25/07/13 RAGEMAG | FFF vs AS Monaco : quand le fric et le fisc foutent le bordel

FFF vs AS Monaco : quand le fric et le fisc foutent le bordel

Publié le 19 mai 2013 à 14:58 | par Lucie Bacon | 3

La saison prochaine, l’AS Monaco, pensionnaire de la L2 depuis 2 ans, mais champion depuis ce week-end, évoluera dans l’élite française. Oui, mais à quel prix ? 200 millions d’euros, vraiment ? Officiellement, il s’agirait de la somme que la Fédération française réclamerait au club du rocher si ce dernier ne daignait pas installer son siège en France. Jusque-là, il bénéficiait d‘une fiscalité différente et donc avantageuse. Comment le club va s’en sortir grâce à son richissime patron ? Ragemag vous explique.

En 1953, Monaco rejoint pour la première fois la première division française. Depuis, quelques années en , une période difficile dans les années 70, et quelques mésententes dans l’équipe dirigeante au début des années 2000. Mais sinon, Monaco, c’est surtout un club qui a tutoyé les sommets, avec un parcours qui a peu d’égal aujourd’hui en . L’ASM, c’est sept titres de champion de France, cinq sacres de Coupe de France au compteur, une dans la vitrine et une finale de Ligue des Champions en 2004. L’AS Monaco, c’est aussi le club qui a formé des , Emmanuel Petit et autres et par lequel sont passés, entre autres, Delio Onnis, Sonny Anderson et Patrice Evra.

Un Russe, un chéquier, un retour en Ligue 1

En décembre 2011, après une difficile descente en Ligue 2, une place de lanterne rouge du championnat et une équipe à reconstruire, le club aperçoit enfin le bout du tunnel. Le milliardaire russe et sa société Monaco Sport Invest (MSI) prennent le contrôle de l’AS Monaco, à hauteur de 66,67% des actions. Les 33% restant demeurent sous le contrôle de l’Association Sportive de Monaco qui représente les intérêts de la Principauté. Il ne faut pas abuser, le Prince Albert est un assidu du stade Louis II et veille jalousement à la destinée du club du rocher. Rybolovlev devient donc le nouveau président monégasque, en remplacement du météorique et discret Etienne Franzi. MSI s’engage alors à investir dans le club 100 millions d’euros au cours des quatre prochaines années. Dès le premier exercice, la promesse n’est pas en bois. Exit le médiatique mais peu expérimenté Marco Simone, nommé en catastrophe pour éviter au club une descente en National, et place à l’autre star italienne, , dont le pedigree exceptionnel (Inter Milan, Juventus, Valence, Chelsea, AS Roma) Lucas Ocampos, recruté en 2012 à 18 ans. laisse pantois sur les pelouses de L2. La cavalerie est également lancée avec le recrutement pléthorique de joueurs plus coutumiers des joutes dans les championnats de premières divisions européennes, comme N’dinga (longtemps courtisé par ), Raggi (Bologne), les internationaux suédois et danois, Bajrami et Poulsen, le Toulousain Emmanuel Rivière ou l’Argentin Ocampos.

Un an et demi après ces belles promesses, Monaco domine la Ligue 2 « Il aura fallu l’arrivée d’un milliardaire pour qu’on et regagne sa place dans l’élite. Au même moment, la Ligue de demande au club de rendre des comptes. Coïncidence ? » Football Professionnel lui demande d’installer son siège en France afin de se soumettre au régime fiscal local. Alors que pendant plus de 70 ans, l’AS Monaco, en dépit de quelques rappels à l’ordre gérés de main de maître par son ex-président et gourou, Jean-Louis Campora, n’a jamais eu à craindre les instances du football, il aura fallu l’arrivée d’un milliardaire (qui a perdu néanmoins de sa superbe, mais pour combien de temps ?) pour qu’on demande au club de rendre des comptes. Coïncidence ? Peu probable, même si cette question de statut fiscal fait grincer des dents depuis longtemps.

Jean-Marc Benammar est professeur associé à VIII et consultant en économie, spécialisé dans le football. Il nous rappelle que les Français habitant à Monaco payent leur impôt sur les revenus comme s’ils habitaient en France. En revanche, les étrangers habitant à Monaco, eux, ont un statut fiscal dérogatoire et extrêmement avantageux. Une aubaine pour la plupart des joueurs. Le club lui aussi bénéficie d’avantages. Par exemple, une entreprise sur le rocher ne paye pas l’impôt sur les sociétés si elle réalise plus de 75% de son chiffre d’affaires à Monaco. En France, une entreprise est taxée à hauteur de 33,33% sur ses bénéfices. Les cotisations sociales sont par ailleurs deux fois moins élevées à Monaco qu’en France. « Car les caisses sont plus faciles à équilibrer dans un pays comme Monaco où les revenus sont plus élevés donc le taux de cotisation plus faible« , explique Benammar.

Fist fiscal

Mais alors pourquoi ne pas lui avoir demander de déplacer son siège des décennies plus tôt ? La question reste en suspens. Ni la Ligue ni le club n’ont souhaité répondre à nos sollicitations, même si la question est revenue à de multiples occasions sur le tapis. Dommage. Vendredi, le club a indiqué dans un communiqué avoir déposé deux recours devant le Conseil d’État afin de faire annuler la nouvelle réglementation votée en mars dernier par la LFP, l’obligeant à installer son siège en France avant juin 2014. « Le Club entend démontrer que la décision de la LFP d’imposer à l’AS Monaco FC de déplacer son siège en France viole plusieurs principes fondamentaux du droit français et du droit européen, notamment le principe de libre circulation, le principe de la libre concurrence, le principe du libre accès aux compétitions sportives et également la convention fiscale franco-monégasque du 18 février 1963. » Alors le club monégasque est-il dans son droit et peut-il gagner ce bras de fer ?

Le code du sport prévoit que chaque fédération réserve sa compétition aux clubs basés sur le territoire national. Mais la FFF, dans ses règlements généraux, a inclus Monaco dans sa compétition, « car il n’y a pas assez de clubs et de population à Monaco pour y créer une fédération et un championnat » , indique Jean-Marc Benammar.

Pour le spécialiste, « certains clubs ont toujours été jaloux de Monaco et de ses avantages fiscaux, mais à chaque fois, le Prince est monté au créneau. Et puis parfois, l’ASM constituait un bon partenaire commercial pour les autres clubs français, car il achetait des joueurs à de très bons prix. Quand ils sont descendus en L2, personne n’a pleuré. » Bien au contraire… ragemag.fr/fff-vs-as-monaco-quand-le-fric-et-le-fisc-foutent-le-bordel-28995/ 1/3 25/07/13 RAGEMAG | FFF vs AS Monaco : quand le fric et le fisc foutent le bordel

Emmanuel Petit, ancien international formé à Monaco, s’insurge : « Pour moi c’est de la mesquinerie et du racket. La Ligue met Monaco devant le fait accompli sans recevoir le représentant des dirigeants monégasques (Jean-Louis Campora, ndlr). Monaco est pris pour un bouc émissaire. Alors que c’est un atout pour la Ligue 1, ils peuvent rapporter beaucoup au niveau européen, beaucoup de points pour le coefficient UEFA. »

Grâce à qui vont-ils remplir Louis II ?

En jouant notamment une finale de la Ligue des Champions en 2004, Monaco a en effet participé à la renommée du football français. Mais aujourd’hui, on reproche au club d’être un peu trop monégasque. De quoi énerver Petit : « J ’ai l’impression qu’on force la main de l’ASM en faisant fi des conventions entre la France et Monaco. » Le problème au fond ? « Monaco n’a pas à remettre en cause son statut fiscal. De toute façon, il n’y a pas d’équité dans le sport en Europe, il faudrait légiférer au niveau de l’Union européenne. Mon vœu le plus cher, ce serait qu’il n’y ait plus de places fiscales opaques, car tant qu’il en reste, il n’y aura pas d’équité sportive et sociale. C’est un monde qui marche sur la tête. C’est très différent si l’on franchit les frontières. Par exemple en Angleterre, on permet à des clubs de s’endetter pour qu’ils jouent la Champion’s League. »

Dans plusieurs médias, depuis que l’affaire Monaco a éclaté, on retrouve les propos de David Antoine, avocat et enseignant en droit du sport à l’université de Nice. Il expliquait ainsi aux journalistes que la démarche de la LFP n’était pas forcément légitime et qu’un recours en justice de l’ASM pourrait aboutir. « La LFP est soumise au droit communautaire. Or, la Cour de justice européenne a rappelé à plusieurs reprises le principe de la liberté d’établissement. Une

entreprise peut donc installer son siège social partout dans l’Union », « C’est de la mesquinerie et du racket. Monaco est pris pour rappelait-il par exemple dans Libération. un bouc émissaire. »

Mais pour Jean-Marc Benammar, cela est absurde. Pour une seule et bonne raison : Monaco ne fait pas partie de l’Union européenne. « Il n’y a aucune réglementation européenne sur le sujet. L’instance qui serait à même de gérer ce conflit est le Conseil de l’Europe, car son fonctionnement est proche de celui de l’UEFA, mais il n’a pas de compétences sportives. Pour moi, la position de la LFP est extrêmement solide. » En clair, Monaco est mal et la LFP est dans une situation un peu plus confortable.

Emmanuel Petit précise de son côté: « Si Monaco décidait d’intenter une procédure judiciaires contre la Ligue et que le club demande une indemnité de 500 millions d’euros par exemple, le foot français serait bloqué car il faut approvisionner un partie de l’indemnité, ce qu’il n’a pas les moyens de faire. Pour moi, ce conflit est un bras de fer perdant/perdant. »

Des solutions à ce bras de fer ? « À mon avis, le club et les instances du foot vont trouver une gentleman agreement, soit un accord en marge du droit qui arrange les deux parties. Monaco pourrait être limité à ne recruter que six joueurs étrangers ». « Une des solutions serait par exemple que Monaco ne puisse pas profiter de ses droits audiovisuels », propose Emmanuel Petit.

Tu es qui Dmitry ?

En attendant que le conflit soit réglé dans les règles de l’art et du fisc, les Russes (car Dmitry n‘est pas seul, il a su bien s’entourer) vont continuer leur petit marché pour remplir le club monégasque de stars. On attend avec impatience le PSG – Monaco et ses 22 paires de pompe en platine sur la pelouse. Superbe. Mais au fait Dmitry, c’est bien beau de faire des chèques, mais d’où viennent les biftons ?

« Le roi du potassium. » C’est son blaze dans le milieu. La 119e fortune « La 119e fortune mondiale, de la prison, un mini- mondiale selon Forbes, avec 7 milliards d’euros. L’équivalent du Versailles, un Airbus et le manoir de Donald Trump. » transfert d’environ 75 Cristiano Ronaldo (prix de 2009) ou 300 Zlatan. Après la chute du régime soviétique, le jeune Rybo’ rachète une entreprise qui fabrique des engrais, Uralkali. Quelques mois plus tard, le Russe se retrouve derrière les barreaux. Il aurait tué l’ex-patron de la boîte. Il est blanchi faute de preuves, mais il n’en perd pas moins ses ambitions et préfère aller vivre entre les States, la Suisse et Monaco. Il gère sa boîte de l’étranger, et entre-temps, Monsieur ne se refuse rien et se fait construire avec Madame un petit palais de Versailles, en Suisse, évidemment. Il achète également un avion pour aller au boulot le matin, un Airbus A319, et le manoir de Donald Trump à Palm Beach (100 millions de dollars).

En 2010, il vend une grande majorité des parts à un proche du pouvoir russe, sous la pression de Poutine. La même année, il devient actionnaire, par le biais de certaines de ses sociétés, de la banque chypriote Bank Of Cyrpus. Le pauvre homme, en plus de devoir gérer un business international, doit faire face à un divorce douloureux. Madame lui demande la moitié de sa fortune, le manoir de Floride … et la yacht où Dim’ pratiquerait le bunga bunga. C’est d’ailleurs, selon les mauvaises langues, l’une des raisons de son rachat de l’AS Monaco, l’argent investi dans le club échappant au partage lors d’un divorce. Avec la crise chypriote, Rybo’ pourrait perdre quelques billets, puisque la banque, suite au plan de sauvetage européen, doit récupérer 9 milliards de dette d’une autre banque chypriote en faillite.

En rachetant Monaco, le milliardaire n’avait aucunement caché ses ambitions européennes. On peut s’en réjouir, ou pas. Monaco va acheter des joueurs prestigieux, remplir des stades (ou pas, en fait, Louis II est une rivière calme dans un milieu de furies), vendre des maillots et du rêve. ragemag.fr/fff-vs-as-monaco-quand-le-fric-et-le-fisc-foutent-le-bordel-28995/ 2/3 25/07/13 RAGEMAG | FFF vs AS Monaco : quand le fric et le fisc foutent le bordel

Les futures saisons de l’AS Monaco se laissent facilement deviner. Le club suit sensiblement les traces du PSG, la science du management en moins. Comme en témoigne le transfert probable du colombien Falcao. Il y a fort à parier que dans les prochaines années, le PSG et Monaco seront les deux clubs français quasiment sûrs de jouer la Ligue des Champions à chaque début de saison. Dommage pour les autres clubs. Dommage pour l’éthique sportive.

Boîte noire :

Dmitry et son passé sulfureux ;

l’histoire de l’ASM ; Une petite maison à Palm Beach

les statuts de la FFF, et ses règlements généraux ;

les statuts de la Ligue de Méditerranée, dont dépend l’ASM ;

les statuts du district de la Côte d’Azur dont dépend aussi le club du rocher.

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À propos de l'auteur

Lucie Bacon Parle parfois de littérature, parfois de foot. Comme quoi tout arrive.

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