Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011

Master de l’Ecole Polytechnique Mention Economie et Gestion Spécialité « Projet Innovation Conception »

Interaction entre l’électrification de la motorisation et

les usages automobiles

Saad El Garrab et Tiffany Maréchal

Avril 2010 – Août 2011 Entreprise partenaire : VALEO

Responsables entreprise : Monsieur Guillaume DEVAUCHELLE

Tuteurs de Master : Monsieur Christophe MIDLER et Madame Sihem JOUINI

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Remerciements

Après ces seize mois passés au sein du Master PIC et de Valeo, nous souhaitons tout d’abord remercier Madame Sihem Jouini et Monsieur Christophe Midler pour leur soutien et leur aide dans la réalisation du projet mais aussi pour s’être toujours investis afin que nous donnions le meilleur de nous-même. Merci également à l’ensemble des professeurs des Master PIC et MTI pour la richesse de leurs enseignements ainsi qu’à tous les étudiants de la promotion pour leur énergie et leur bonne humeur.

Du côté de Valeo nous tenons tout particulièrement à remercier Monsieur Guillaume Devauchelle pour sa confiance et les nombreux enseignements qu’il a pu nous transmettre ainsi que Mademoiselle Claudine Rochette de nous avoir intégrés au sein de son équipe et soutenus au quotidien. Un grand merci, par ailleurs, à Monsieur Martin Haub, Monsieur Patrick Sega, Monsieur Eric Ménard, Monsieur Gérard-Marie Martin, Monsieur Francçois- Xavier Artigues et l’ensemble des personnes ayant contribué et montré un intérêt à nos travaux et à la méthode que nous avons mise en place. Merci enfin à l’ensemble de l’équipe Hybrelec pour leur aide dans nos tâches diverses et pour la bonne humeur qu’ils ont fait régner sur notre quotidien.

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Abstract

Ce document présente une méthode d’innovation par scenarii d’usage. Le véhicule électrique refait surface à la fin des années 2000 sous la forme de modèles dérivés de plateformes thermiques. Dans un contexte de dominant usage, l’utilisateur s’ancrera dans ses habitudes issues de la voiture conventionnelle pour interagir avec ces véhicules « électrifiés ». Cette transposition des usages donne naissance à des dysfonctionnements qui peuvent être repérés à l’occasion d’expérimentation. La méthode présentée dans ce document permet d’anticiper ces problèmes sans mobiliser l’utilisateur final et peut ainsi être mise en œuvre par des acteurs en amont de la chaîne de valeur. La méthode suppose de construire des configurations d’usages qui sont déclinées par décompositions successives en scenarii d’usage. L’électrification de la motorisation modifie les scenarii d’usages, ce qui est à l’origine de deux types de dysfonctionnements. Une réponse technologique est alors envisagée sous la forme de fonctionnalités implémentées sur des objets technologiques existants. La criticité des dysfonctionnements repérés et la maturité des technologies mises en jeu orientent la construction d’une feuille de route des innovations à développer pour les futures générations de véhicules électriques.

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Table des matières

Remerciements...... 2 Abstract...... 3 Table des matières ...... 4 Introduction ...... 7 1. Le retour du véhicule électrique : un challenge technologique ...... 9 1.1. Réapparition du véhicule électrique dans l’industrie automobile...... 9 1.1.1. Le véhicule électrique, une alternative désormais indispensable...... 9 1.1.2. Les constructeurs face à la question de l’électrique ...... 10 1.1.3. Un retour sur scène qui rebat les cartes de la fillière automobile ...... 11 1.2. Une première génération dérivée de la voiture thermique ...... 12 1.2.1. Le choix de l’électrification...... 13 1.2.2. L’électrification via l’analyse C/K ...... 13 1.2.3. Impact de l’électrification sur les performances...... 14 1.3. La polarisation énergétique ...... 15 1.3.1. Une volonté de réduire l’écart de performances entre véhicules électrique et thermique...... 15 1.3.2. Valeo se positionne en gestionnaire d’énergie ...... 16 1.3.3. Interprétation C/K de la polarisation énergétique ...... 18 1.3.4. L’impasse de l’approche technologique...... 19 2. La prise en compte des usages : d’un moyen de segmentation à une source d’innovations ...... 20 2.1. Face aux performances actuelles, quels segments possibles pour le véhicule électrique?...... 20 2.1.1. Une innovation discontinue et disruptive ...... 20 2.1.2. Une stratégie de Bowling alley ...... 21 2.1.3. “Regarder ce que les utilisateurs font, pas ce qu’ils disent” ...... 23 2.1.4. De la théorie à l’application : ce qu’on fait les constructeurs ...... 24 2.2. Les usages, un concept bien plus étendu ...... 25 2.2.1. Une définition variable et des approches mutliples ...... 26 2.2.1.1. Diversité du terme : du macro-usage au détail du geste...... 26 2.2.1.2. Un thème pluri-disciplinaire...... 27 2.2.1.3 Des exemples intéressants de prise en compte des usages ...... 28 2.2.2. Comment les constructeurs communiquent sur la prise en compte du geste ..... 30 2.3. Les usages, une source d’innovations considérable...... 31 2.3.1. Un “maillon central” (Buisine et Roussel) dans le processus d’innovation ...... 31 2.3.2. Certains constructeurs ont recours à l’expérimentation pour enrichir leurs connaissances des usages...... 32 2.3.3. La prise en compte des usages par l’équipementier ...... 32 2.3.3.1. L’expérimentation : un outil difficilement mobilisable par l’équipementier..... 33 2.3.3.2. Valeur pour l’équipementier de la prise en compte des usages ...... 33 2.3.3.3. Le besoin d’une méthode...... 34 3. Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles ...... 35

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3.1. L’existance d’un dominant usage ...... 35 3.1.1. Le véhicule thermique constitue un dominant design...... 35 3.1.2. Application du dominant usage sur le véhicule électrique ...... 36 3.1.3. Conséquences de la transposition des usages thermiques ...... 38 3.2. L’approche par scénarii pour explorer les usages...... 39 3.2.1. Justification de l’approche par scénarii...... 39 3.2.1.1. Qu’est-ce que l’approche par scénarii ?...... 39 3.2.1.2. Les points d’attention dans la construction de scénarii...... 40 3.2.1.3. Les avantages de cette approche ...... 41 3.2.2. Prise en compte de la dimension “Acteur”...... 42 3.2.2.1. Les cibles marketing visées par les constructeurs...... 42 3.2.2.2. Une cartographie méthodique des acteurs ...... 44 3.2.3. La décomposition : de la configuration d’usage au scénario ...... 49 3.2.4. La prise en compte du contexte...... 50 3.2.4.1. Le contexte technologique ...... 51 3.2.4.2. Le contexte d’usage ...... 51 3.3. Le mécanisme d’interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages ... 52 3.3.1. Méthode de repérage et de classement des dysfonctionnements ...... 52 3.3.2. Réponse aux infélicités par des solutions technologiques ...... 56 3.3.3. Classement des objets technologiques à l’échelle de l’exploration ...... 57 4. Exemple : le scenario de départ ...... 60 4.1. Construction du scénario d’usage thermique ...... 60 4.2. Impact de l’électrification ...... 65 4.2.1. Modification du scenario ...... 65 4.2.2. Mise en évidence des infélicités ...... 65 4.2.3. Réponses technonologiques proposées...... 67 4.2.4 Amélioration de la réponse technologique par variation du contexte ...... 71 4.2.5 Synthèse et classement : les objets technologiques phares ...... 73 4.3. Enrichissement fonctionnel : l’exemple de la clé...... 76 5. Bilan et perspectives...... 79 5.1. L’imagination au service de la transition ...... 79 5.1.1. La dimension imaginative ...... 79 5.1.2. La construction de générations successives ...... 79 5.2. Monographie du projet et mode de fonctionnement...... 80 5.2.1. Constitution préalable d’un socle de connaissances ...... 80 5.2.2. Exploration au cours de séances de réflexion ...... 81 5.2.3. Consultation d’experts pour juger de la pertinence des infélicités repérées et des solutions proposées...... 81 5.3. Les apports par rapport aux démarches existantes ...... 82 5.3.1. La prise en compte de l’usager par l’équipementier ...... 82 5.3.2. L’approche par scénarii appliquée dans l’industrie...... 83 5.4. Les perspectives industrielles envisageables ...... 83 5.4.1. Livrables pour Valeo ...... 83 5.4.2. Perspectives pour la méthode ...... 84 5.4.2.1. Réutilisation de la méthode pour alimenter le processus de conception ...... 84 5.4.2.2. Suggestions d’organisation pour réappliquer la méthode ...... 85 5.4.2. Perspectives pour les solutions proposées ...... 86 Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

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5.4.2.1. Etude de la brevetabilité et de la demande client ...... 87 5.4.2.2. Un travail de sélection multidisciplinaire ...... 87 5.5. Perspectives académiques ...... 88 5.5.1. Intégrer la criticité d’usage dans les calculs de full value ...... 88 5.5.2. Articulation de la méthode avec la théorie C/K...... 89 Conclusion ...... 90 Bibliographie ...... 91 Annexes ...... 94 Annexe 1 : Liste des modèles de véhicules tout électriques par constructeurs ...... 94 Annexe 2 : Mapping de certains modèles de véhicules électriques...... 96

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“La vie a beaucoup plus d'imagination que nous.” François Truffaut

Introduction

Depuis quelques années, le monde automobile est à nouveau déstabilisé par la réapparition du véhicule électrique qui soulève un grand nombre de questions (quel marché potentiel ? Quelles évolutions de la chaîne de valeur et quelle place pour les acteurs historiques ? Quelle stratégie de conception et quels choix technologiques ? …). Il est possible de constater ce bouleversement à travers l’organisation d’un ensemble d’évènements autour du sujet réunissant des acteurs multiples et variés (constructeurs, équipementiers, fournisseurs d’énergie, fournisseurs d’infrastructures de recharge, gestionnaires de flottes, collectivités locales) pour essayer de trouver un chemin commun vers le marché électrique. On le voit également à travers le nombre d’étude actuellement réalisées sur le sujet par les organismes gouvernementaux, les cabinets de conseil mais aussi le monde académique.

C’est dans ce contexte de questionnements et d’incertitudes que le directeur R&D de Valeo a fait appel au Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique pour mener une réflexion sur le sujet de l’interaction entre électrification de la motorisation et usages automobiles. Directement rattaché au directeur R&D, nous avons réalisé ce projet durant 16 mois en intégrant l’équipe R&D en charge, au sein de Valeo, du développement de systèmes et de lois de commande pour véhicules électriques et hybrides.

En orientant la réflexion sur la thématique des usages automobiles, le Directeur R&D de Valeo a souhaité approfondir cette idée selon laquelle le véhicule électrique ne sera certainement pas utilisé comme l’est aujourd’hui son concurrent thermique (à l’image des smartphones actuels loin d’être utilisés comme les portables de générations antérieures). Cette évolution dans les usages lui semblait, par ailleurs, pouvoir constituer une importante source d’innovations permettant à Valeo de se démarquer des travaux jusqu’ici majoritairement menés sur le thème de l’optimisation de la gestion d’énergie.

Pour répondre à ces hypothèses et être force de proposition en termes d’innovations pour Valeo, nous avons orienté nos travaux afin de répondre à la problématique suivante :

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Page 7 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 quelle méthode l’équipementier peut-il mettre en oeuvre pour explorer les futurs usages du véhicule électrique afin de pouvoir proposer des innovations aux constructeurs pour les prochaines générations ? Nous tenterons au travers de ce document de restituer les travaux que nous avons menés au cours de ces 16 mois au sein de Valeo nous permettant de proposer une réponse méthodologique à cette problématique.

Pour cela, nous commencerons par revenir sur le contexte de réapparition de la thématique du véhicule électrique dans le secteur automobile et les approches majoritairement adoptées par les acteurs en présence. Nous verrons ensuite comment la prise en compte des usages peut constituer une alternative à ces approches ainsi qu’un véritable enjeu pour un équipementier en matière d’innovation. Nous expliciterons dans la partie 3. la méthode d’exploration concourante des usages et des technologies que nous avons mise en place puis l’illustrerons au travers d’exemples étudiés au cours du projet. Finalement nous essayerons de tirer un bilan sur notre méthode et de son application chez un équipementier puis tenterons de proposer un certain nombre de perspectives industrielles et académiques permettant de donner une suite à nos travaux dans ces deux univers.

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1. Le retour du véhicule électrique : un challenge technologique

1.1. Réapparition du véhicule électrique dans l’industrie automobile

1.1.1. Le véhicule électrique, une alternative désormais indispensable

Jusqu’ici faiblement remise en cause, la mobilité automobile, telle que nous la connaissons, présente aujourd’hui certaines limites. En plus de celles liées à la congestion et aux difficultés de stationnement qui ne sont pas inhérentes à la propulsion thermique, certaines lui sont au contraire entièrement associées. D’une part, les ressources en hydrocarbures deviennent de plus en plus rares, ce qui entraîne plusieurs conséquences : à court terme, les prix du pétrole sont amenés à augmenter et certains pays se verront rapidement contraints de minimiser leur dépendance énergétique ; à moyen et long termes, une pénurie des ressources en pétrole pourrait survenir et nécessiter un basculement total au profit des alternatives énergétiques. D’autre part, l’automobile est aujourd’hui responsable d’une part non négligeable des émissions de gaz à effet de serre et notamment de CO2.

Malgré leur importance, les enjeux en termes d’environnement et de ressources naturelles sont plutôt restés des préoccupations des pouvoirs publics sans grand impact sur les stratégies des industriels de l’automobile. Pour susciter et garantir le changement, l’Union Européenne a donc pris un certain nombre de mesures coercitives à l’égard notamment des constructeurs, en vue de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi des quotas d’émissions moyennes de CO2 par kilomètre ont été mis en place et accompagnés de sanctions financières plutôt dissuasives. Le respect des quotas imposés par Bruxelles est donc un impératif pour les constructeurs.

Pour y parvenir, plusieurs leviers d’action doivent être actionnés : d’une part, un travail d’optimisation des véhicules thermiques qui passe par le downsizing des moteurs, Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 9 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 l’amélioration du rendement des composants et une diminution du poids total ; d’autre part, une réflexion sur l’hybridation des véhicules. Toutefois aucune de ces solutions ne permet d’atteindre les 95 grammes fixés comme objectif pour 2020. Dans ces conditions, le véhicule électrique se révèle donc comme une nécessité d’autant plus évidente qu’il a été pondéré d’un coefficient 3 dans le calcul des émissions moyennes de CO2 sur l’ensemble des voitures vendues.

1.1.2. Les constructeurs face à la question de l’électrique

Face à ce constat, l’ensemble des constructeurs automobiles, que ce soit les acteurs historiques (grands constructeurs européens, américains et japonais) ou de nouveaux entrants sur le marché (constructeurs indiens et chinois notamment), s’est lancé dans l’aventure électrique en proposant un certains nombre de modèles (cf annexe 1). Les constructeurs font toutefois encore face à de nombreuses incertitudes alors qu’une réelle implication dans le domaine électrique requiert de lourds investissements. En effet, malgré les pressions institutionnelles faisant du véhicule électrique un élément stratégique pour les acteurs du monde automobile, personne ne sait aujourd’hui quelle en sera la pénétration sur le marché à court, moyen et long termes. Les constructeurs hésitent donc entre concevoir et commercialiser rapidement un premier véhicule électrique pour être les premiers sur le marché et marquer les esprits en attendant de concevoir des modèles plus optimisés (stratégie de first mover) ou prendre le temps de la conception tout en observant l’évolution des premiers modèles lancés par les concurrents pour en tirer des informations utiles à la conception et limiter les risques d’un investissement massif et précipité (stratégie de fast follower).

Face à ce dilemme, les constructeurs n’opèrent pas de réel choix et préfèrent communiquer sur un portefeuille de produits avec des niveaux de maturité différents allant du modèle déjà commercialisé au concept-car en passant par des modèles lancés en présérie, en cours d’expérimentation ou seulement au stade de projets avancés (cf annexe 2).

Par ailleurs, en terme de conception, deux approches différentes peuvent également être mises en oeuvre. D’un coté, celle de « la page blanche » qui, en prenant comme base la propulsion électrique, revisite totalement le concept de voiture. Ceci ouvre la voie à des visions futuristes. Par exemple, pourquoi ne pas abandonner la conduite par liaisons mécaniques et profiter ainsi de la haute tension pour électrifier entièrement la conduite ou

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Page 10 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 pourquoi ne pas profiter de la compacité du moteur électrique pour le placer dans les roues ? Ce type de démarche de conception est adopté, entre autres, par PSA pour la Peugeot BB1 ou BMW pour le Megacity. Cependant, cette stratégie de « la page blanche » est loin d’être majoritairement adoptée. En effet, l’industrie automobile est caractérisée par un certain nombre d’éléments (ancrage dans un dominant design, investissements lourds, logique de plate-forme pour optimiser la conception et la production) qui associés aux risques liés à la première approche font que la majorité des constructeurs, y compris PSA, préfère limiter les bouleversements et aborder le sujet de l’électrique avec une stratégie « d’ancrage dans l’existant ». Ainsi ont-ils tous commencé par électrifier des modèles thermiques existants et adopté une démarche de générations successives de véhicules électriques de plus en plus optimisés (figure 1).

Figure 1 : Deux approches de conception, l’exemple de

1.1.3. Un retour sur scène qui rebat les cartes de la fillière automobile

Le retour du véhicule électrique correspond à la résurgence d’un nouveau produit, mais pas seulement. Cette “renaissance” a modifié la dynamique qui s’organisait entre les différents acteurs de la fillière automobile durant les trois dernières décennies. Les années 90 et 2000 ont en effet été marquées par la mise en place de processus de co- developpement (Garel et al., 1997), puis de co-innovation (Maniak & Midler, 2008). Les interactions entre les constructeurs et les équipementiers quittaient alors progressivement le fonctionnement classique de réponse à appel d’offre pour s’orienter vers un mode de Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 11 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 collaboration dont la conséquence a été l’augmentation de la part de l’équipementier dans la valeur ajoutée automobile, jusqu’à en représenter la majeur partie. Cette évolution a été provoquée par la maturité du secteur de l’automobile conventionnelle et la saturation des marchés. Cette situation a poussé la filliale à maintenir un effort constant d’innovation, marqué par des ruptures technologiques qui sont, en fait, “basées sur les compétences possédées par les fournisseurs” (Maniak & Midler, 2008). Face à cette remontée de l’équipementier dans la chaîne de valeur, les constructeurs restaient maîtres de l’assemblage du véhicule, bien qu’ils aient progressivement confié aux équipementiers la conception de modules et de systèmes de plus en plus complexes. Le groupe motopropulseur demeurait cependant la chasse gardée des constructeurs, ces derniers ayant accumulé une connaissance sur cet objet mécanique extrêmement complexe pendant près d’un siècle. En quoi le retour du véhicule électrique a-t-il modifié la donne dans la fillère automobile?

Tout d’abord, alors que les équipementiers, de par leurs compétences, étaient en mesure de pousser les innovations de rupture et d’être force de proposition, ce sont les constructeurs qui ont pris l’initiative de remettre le véhicule électrique sur le devant de la scène. Cette prise en main de l’aventure électrique, avec un développement en interne de prototypes et de préséries, montre que les constructeurs veulent construire une connaissance et une montée en compétence pour ce “nouveau” produit. Contrairement à la voiture thermique, objet ayant connu un siècle d’optimisation et de désintégration verticale, le véhicule électrique ne présente pour l’instant aucun standard, et aucune architecture stabilisée. Cette nouveauté rebat les cartes de la fillière automobile et la répartition entre la part de la valeur destinée à l’équipementier et celle qui sera prise par le constructeur n’est pas encore établie. Un des enjeux est, par exemple, le groupe motopropulseur. Si le moteur à explosion relevait du périmètre du constructeur, son équivalent électrique est un objet beaucoup plus simple et l’équipementier serait en mesure de monter en compétence sur ce sujet aussi rapidement que le constructeur. Ainsi le retour du véhicule électrique casse-t-il, du moins temporairement, la dynamique de collaboration croissante entre l’équipementier et le constructeur en réouvrant les possibles dans la répartition de la valeur entre les deux acteurs, et en les encourageant à organiser leur montée en compétence individuellement.

1.2. Une première génération dérivée de la voiture thermique

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1.2.1. Le choix de l’électrification

Comme nous l’avons vu, le retour du véhicule électrique se caractérise par une grande diversité en ce qui concerne les futures générations mais également par une certaine homogénéité dans l’offre à court terme. En effet, les véhicules disponibles à la vente en 2010 et 2011 sont, pour la quasi totalité, des modèles dérivés de plateformes thermiques (figure 2). L’approche adoptée par les constructeurs a ainsi été celle de l’électrification de l’existant, plutôt que la conception d’un nouveau modèle pensé électrique. Cette logique de substitution organique a permis aux constructeurs de proposer rapidement des véhicules en concession, mais également de mettre au point des préséries prêtes à être mobilisées pour des expérimentations (ex : Renault Fluence ZE pour le projet SAVE, le projet Mini E du goupe BMW, etc).

Mitsubishi i Mitsubishi i-Miev

Figure 2 : Exemple d’électrification d’un modèle thermique

1.2.2. L’électrification via l’analyse C/K

Le choix de l’électrification peut être analysé à travers la typologie introduite dans la théorie C/K (Hatchuel & Weil, 2002). Dans l’espace des concepts, on considère les deux éléments “concevoir un véhicule thermique” et “concevoir un véhicule électrique”. L’électrification consiste à créer un modèle électrique à partir d’un véhicule thermique, en remplaçant la motorisation et la réserve d’énergie. On peut alors considérer qu’électrifier, c’est estimer que le saut conceptuel entre les deux élements “concevoir un véhicule thermique” et “concevoir un véhicule électrique” est quasi nul, soit ∂C ≈ 0 (figure 3). La situation est toutefois différente dans l’espace des connaissances. En effet, la substitution organique suppose d’explorer de nouvelles poches de connaissances : technologies des € batteries, gestion de la haute tension dans le véhicule, composants de la chaîne de traction électrique. Le champ à explorer est assez vaste et nouveau dans le domaine automobile

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Page 13 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 pour considérer que le saut de connaissances est conséquent, soit un ΔK dans la terminologie C/K (figure 3).

Figure 3 : Interprétation C/K de l’électrification

1.2.3. Impact de l’électrification sur les performances

Le choix de l’électrification comme première stratégie pour le véhicule électrique a fortement impacté les performances du véhicule (figure 4). En effet, le carburant est remplacé par un pack batterie dont la densité d’énergie massique est pour l’instant 80 fois inférieure (150 Wh/kg pour les batteries au Lithium contre 12 000 pour l’essence). Le moteur électrique a, certes, un rendement supérieur à son homologue thermique mais ce rapport est nettement inférieur à celui des énergies embarquées. De plus, la part d’énergie perdue par le moteur à explosion est utilisée pour chauffer l’habitacle, ce qui relativise d’autant plus l’efficacité supérieure de la chaîne de traction électrique. La substitution organique a ainsi eu pour effet de diviser l’autonomie par 4, passant de 700 km à 150 km de moyenne. Un autre effet remarquable est le temps de recharge. La forme liquide du carburant permettait à l’utilisateur de faire le plein d’énergie en une minute alors que les caractéristiques de l’électricité domestique sont telles que la recharge d’un pack batterie prendra en moyenne 8 heures. Cette durée peut être réduite en augmentant l’ampérage (ce qui suppose la création

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Page 14 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 de bornes dédiées et peut nuire à la durée de vie des batteries) mais elle ne descend pas en dessous d’une vingtaine de minutes.

Figure 4 : Impact de l'électrification sur les performances du véhicule (en gris la voiture thermique, en bleu clair le véhicule électrique)

1.3. La polarisation énergétique

1.3.1. Une volonté de réduire l’écart de performances entre véhicules électrique et thermique

Ainsi l’électrification de la motorisation a-t-elle profondément modifié les performances affichées par le véhicule, en réduisant sensiblement son autonomie et en rallongeant de manière drastique la durée de recharge énergétique. La réaction immédiate de l’ensemble de la fillière automobile a alors été de chercher à réduire cet écart de performances. En ce qui concerne l’autonomie, l’enjeu est de pouvoir parcourir plus de kilomètres. Pendant que la recherche dans le domaine des batteries oeuvre pour améliorer leur capacité énergétique, les constructeurs et équipementiers automobiles ont fait de la réduction de la consommation énergétique l’enjeu principal pour le véhicule électrique. Le durcissement de la réglementation en matière de rejet de C02 pour les véhicules thermiques avait déjà mis au centre des attentions la frugalité énergétique, mais les leviers utilisés se sont principalement concentrés sur le fonctionnement du moteur à explosion (moteur coupé à l’arrêt, downsizing, etc). Face aux enjeux liés à l’autonomie, d’autres postes fonctionnels

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Page 15 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 doivent aujourd’hui être revisités afin de réduire de manière efficace la consommation énergétique du véhicule électrique.

1.3.2. Valeo se positionne en gestionnaire d’énergie

Parmi les acteurs de la fillière automobile, intéressons-nous plus particulièrement au cas de Valeo, équimentier automobile de rang 1, qui participe également à cet effort global de frugalité énergétique. Ce groupe compte environ 60 000 collaborateurs, répartis dans 28 pays et présente un chiffre d’affaire de 9 milliards d’euros pour l’année 2010. Valeo fournit les constructeurs automobiles sur le marché de la première monte, en proposant 16 groupes de produits répartis en 4 Pôles (figure 5) : 1. Systèmes de Propulsion 2. Systèmes Thermiques 3. Systèmes de Confort et d’Aide à la Conduite 4. Systèmes de Visibilité

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Figure 5 : Organisation de Valeo en pôles et groupes de produits

L’axe stratégique principal mis en avant par le groupe est la réduction des émissions de C02. Cette formulation concerne, bien entendu, les produits intégrés dans des véhicules dotés de moteur à explosion, thermiques ou hybrides. Les moyens mis en oeuvre concernent alors autant des évolutions sur le groupe motopropulseur, grâce à une électrification partielle, ou un contrôle moteur plus affiné, que sur un effort de frugalité énergétique sur les autres postes fonctionnels : systèmes thermiques ou éclairage. Les activités de Valeo lui permettent donc de se positionner en gestionnaire d’énergie sur le véhicule personnel de manière générale, et d’être aux avant-postes du challenge technologique de frugalité énergétique en ce qui concerne le véhicule électrique. Le groupe a par ailleurs conforté sa position en complétant son portefeuille d’activités dès 2009 avec une entité chargée de développer une chaîne de traction pour véhicules électriques, ainsi qu’une électronique de puissance dédiée. Au sein de cette branche, les composants sont conçus dans un souci d’efficacité maximale (haut rendement, gain de poids). Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

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Parallèlement à cette activité qui accompagne l’électrification de la motorisation, l’effort de frugalité énergétique porté sur les autres postes fonctionnels s’accentue en ce qui concerne le véhicule électrique. A titre d’exemple, la thermique habitacle est un enjeu clé dans la mesure où elle peut représenter à elle seule 50% de la consommation globale. On ne peut plus, en effet, compter sur les Joules perdus par le moteur à explosion pour chauffer l’habitacle et toute l’énergie consommée pour maintenir un confort thermique se fait au détriment de l’autonomie qui chute donc de moitié dès que la température extérieure se rapproche de zéro degré. Valeo développe ainsi un ensemble de solutions pour les systèmes thermiques afin de donner à l’utilisateur une impression de chaleur en mobilisant un minimum d’énergie. L’équipementier s’appuie également sur son pôle “Aide à la conduite”, afin de développer des systèmes capables d’optimiser la consommation et la récupération d’énergie en fonction du profil de route repéré par les différents capteurs développés par cette activité.

1.3.3. Interprétation C/K de la polarisation énergétique

Pour poursuivre notre lecture C/K, on voit que la filière automobile en général, et Valeo en particulier, introduisent par cette nécessité de réduction drastique de la consommation un décalage conceptuel entre les deux éléments “concevoir un véhicule thermique” et “concevoir un véhicule électrique”. L’écart des performances est tel que la volonté de retrouver l’autonomie de la voiture thermique amène à revoir des choix conceptuels dans la réalisation de certaines prestations. Par exemple, dans le cas d’un véhicule conventionnel, le faible rendement du moteur à explosion permettait de l’utiliser comme une source de chaleur. Les Joules disponibles en abondance ont orienté la recherche d’un confort thermique vers le choix de chauffer tout l’habitacle. Dans le cas du véhicule électrique, l’excellente efficacité du moteur oblige à prélever l’énergie sur la batterie pour le confort thermique, au détriment de la propulsion. L’enjeu de frugalité énergétique amène donc à revoir les choix conceptuels, encourageant ainsi à ne plus chercher à conditionner tout l’habitacle mais à donner l’impression de chaleur ou de fraîcheur. Cette évolution dans l’espace des concepts permet donc de revisiter des poches de connaissances qu’on estimait stabilisées et identiques au véhicule thermique. A ce stade le véhicule électrifié semble alors appartenir à une classe d’innovations de type δCΔK (figure 6).

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Figure 6 : Interprétation C/K de la polarisation énergétique

1.3.4. L’impasse de l’approche technologique

Si les constructeurs cherchent à améliorer l’autonomie des véhicules électriques, ils sont toutefois conscients qu’ils ne réussiront pas, du moins à court et moyen termes, à retrouver les 700 kilomètres promis par le véhicule thermique. En ce qui concerne le temps de recharge, retrouver la rapidité d’un arrêt à la pompe semble aussi inatteignable, d’autant plus que la charge se révèle nocive pour la longévité des batteries. Cette incapacité à retrouver les performances du véhicule thermique a forcé les constructeurs à quitter le seul volet technique. En effet, la polarisation énergétique a été menée en supposant que l’utilisation du véhicule électrique sera la même que celle de la voiture conventionnelle : “A iso-usage, comment faire plus de kilomètres ?”. Si on était parvenu à retrouver les performances du véhicule thermique, on se serait peut-être arrêté là. La voiture électrique aurait été une innovation de type δCΔK . Mais ce n’est pas le cas et les constructeurs ont du dépasser la simple question technique pour questionner les usages du véhicule.

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2. La prise en compte des usages : d’un moyen de segmentation à une source d’innovations

2.1. Face aux performances actuelles, quels segments possibles pour le véhicule électrique?

2.1.1. Une innovation discontinue et disruptive

Afin de poursuivre notre développement, nous devons nous arrêter un instant sur le type d’innovation qu’incarne le véhicule électrique. Selon Moore, le véhicule électrique est un bon exemple d’innovation discontinue, à savoir un produit qui peut difficilement s’ancrer dans les pratiques et les infrastructures actuelles et qui nécessite donc des changements radicaux à la fois des comportements mais aussi des produits et services sur lesquels il pourra s’appuyer. Moore se place ici dans une approche dans laquelle le type d’innovation est déterminé selon le rapport que celle-ci entretient avec son environnement au sens large.

Dans sa définition d’innovation disruptive, Christensen étudie la rupture non pas par rapport à l’environnement mais par rapport aux caractéristiques et particulièrement aux performances de l’objet en lui-même. Ainsi une innovation disruptive se caractérise-t-elle par trois points : ● Il doit s’agir d’une technologie présentant une combinaison différente de performances par rapport à la technologie dominante sur le marché, ● dont les performances sur les critères aujourd’hui valorisés sont plus faibles ● mais présentent un potentiel d’amélioration rapide.

Revenons sur ces trois points afin de voir pourquoi Christensen qualifie le véhicule électrique d’innovation disruptive. D’une part, le véhicule électrique présente une

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Page 20 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 combinaison de performances très différente du véhicule thermique : autonomie plus faible, temps de recharge énergétique bien plus long, prix à l’achat plus élevé, confort plus sommaire, gammes de véhicules et d’options réduites mais aussi émissions de CO2 nulles, conduite plus agréable en l’absence de bruit et de vibrations, coût à l’usage inférieur. D’autre part, le véhicule électrique affiche aujourd’hui des performances moindres sur les critères valorisés par le grand public (autonomie, prix à l’achat, choix, confort) tandis que ceux pour lesquels il affichait un meilleur niveau de performances n’étaient jusqu’ici que faiblement valorisés. Finalement, on peut anticiper une trajectoire d’évolution des performances valorisées par le grand public qui puisse rapidement contenter ses besoins. Ainsi les avancées technologiques dans le domaine des batteries et de la gestion de l’énergie embarquée permettent d’anticiper une amélioration de l’autonomie et une réduction des temps de charge. Ces améliorations couplées aux effets d’échelle et aux effets d’apprentissage permettront, par ailleurs, de réduire le coût d’achat des véhicules. Enfin l’on peut déjà constater des avancées technologiques par rapport aux précédentes générations de véhicules électriques notamment en termes d’accélération ou de vitesse maximale, celles-ci ayant désormais atteint des performances similaires aux véhicules thermiques.

Considérant donc le véhicule électrique comme une innovation disruptive, Christensen affirme qu’il est inutile de tenter de viser immédiatement le mainstream market qui, trop emprunt du modèle dominant le marché, ne lui trouvera aucune valeur et aucune utilité à court terme. A partir de ce constat, quelle stratégie les acteurs de l’industrie automobile peuvent-ils adopter pour assurer un futur au véhicule électrique?

2.1.2. Une stratégie de Bowling alley

Dans Crossing the Chasm (Moore, 2002), Moore développe une théorie marketing principalement destinée au secteur high tech mais totalement applicable aux secteurs industriels traditionnels. Il affirme en effet que dans le domaine des high tech, la fréquence d’introduction d’innovations discontinues est bien supérieure à celles d’autres industries et que, pour cette raison, le secteur high tech a besoin de modèles marketing plus adaptés à ce type d’innovations. Il ajoute toutefois que ces modèles peuvent très bien servir également les enjeux des industries traditionnelles.

Selon Moore, les innovations discontinues se caractérisent par un schéma de pénétration du marché particulier qu’il formalise en Technology Adoption Lifecycle

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Page 21 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 représentant la courbe de progression d’une innovation technologique au travers de différentes catégories de consommateurs (Figure 7).

Figure 7 : Technology Adoption Lifecycle (source : http://www.mslinn.com/blog/?page_id=32)

Au sein de ce cycle, chaque groupe de consommateurs se caractérise par une attitude spécifique vis-à-vis de la technologie en question qui peut s’expliquer par un “profil psychographique” propre à chaque groupe. Pour Moore, l’enjeu est donc de bien comprendre chacun de ces groupes et les relations qu’ils entretiennent avec les groupes dont ils sont proches afin d’adapter sa stratégie marketing en conséquence. Toutefois, dans cette conquête progressive des différents groupes, un des moments clés est le passage du early market dominé par les consommateurs visionnaires au mainstream market qui commence par les consommateurs pragmatiques. Ce passage étant ce que Moore appelle le chasm.

Si l’on revient sur le cas du véhicule électrique, on peut considérer, qu’en 2011, celui-ci est à un stade où les early markets ont été définis (nous verrons comment dans le chapitre suivant) et où l’on cherche à leur proposer un produit qui leur convienne et qui puisse servir de base d’apprentissage et de communication avant de s’attaquer au mainstream market. Avant d’aller plus loin dans l’analyse du cas du véhicule électrique, revenons un instant sur la définition théorique de ces deux cibles particulières.

La première catégorie, dite des early adopters ou visionaries, est constituée de consommateurs qui ne vont pas investir dans une nouvelle innovation pour son simple aspect technologique (contrairement à la catégorie des innovators) mais parce qu’ils Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 22 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 anticipent un éventuel bénéfice pour leurs activités. Ils voient donc dans l’innovation qu’ils adoptent un intérêt stratégique potentiel. S’ils sont à la recherche de technologies dont la conception est déjà bien avancée, pour autant ils sont prêts à accepter certaines défaillances et à prendre en charge la création de l’infrastructure nécessaire à son bon fonctionnement tant qu’ils ont le sentiment de pouvoir tirer un avantage de leur avance technologique. Par ailleurs, les early adopters sont majoritairement moins sensibles au prix et sont donc prêts à payer davantage “l’initiative technologique”.

En ce qui concerne la early majority, autrement appelée les pragmatists, il s’agit de consommateurs avec un grand sens pratique mais un très faible goût du risque. Ainsi, avant d’acheter un produit, ils vont attendre de voir d’autres l’acheter et les observer en train de l’utiliser. Ce n’est qu’une fois le produit éprouvé qu’ils acceptent d’investir dedans. De plus, les pragmatists vont accorder beaucoup d’importance à l’entreprise dans laquelle ils vont acheter le produit, à la qualité de ce dernier ainsi qu’à l’infrastructure et aux services venant supporter le produit et réduisant les risques qui peuvent encore lui être éventuellement associés. Dans cette recherche de qualité et de performances, ces consommateurs sont prêts à payer un prix légèrement élevé si le produit offre un plus en terme de qualité ou de service. Dans le cas contraire, ils chercheront à faire la meilleure affaire.

Tout l’enjeu pour les entreprises qui veulent lancer des innovations discontinues consiste à trouver qui constitue le early market, à se focaliser sur des niches et à tenter de les servir au mieux. Cela permet d’une part de faciliter le travail en ne cherchant à satisfaire les besoins que d’une clientèle limitée plutôt que de viser directement un marché de masse. D’autre part, cette stratégie permet également de capitaliser sur des connaissances et un retour d’expérience sur ce premier marché pour offrir au marché global un produit plus optimisé. Finalement, elle permet de faire la publicité du produit à moindre coût. En effet, une autre caractéristique des early adopters est leur capacité de communication et d’influence. S’ils sont satisfaits par une innovation dans laquelle ils ont investi, ils vont être particulièrement enclins à le faire savoir pour montrer leur avance technologique et servir de référence. De l’autre coté du chasm, les pragmatists reçoivent alors des signaux positifs montrant que l’innovation a déjà été éprouvée par d’autres avec succès et les incitant donc à investir à leur tour. C’est ce que Moore qualifie de stratégie de Bowling alley, chaque niche constituant une quille à faire tomber pour atteindre le segment suivant.

2.1.3. “Regarder ce que les utilisateurs font, pas ce qu’ils disent”

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Une fois la théorie exposée, le problème qui se pose concrètement est de savoir quelles niches viser : qui constitue le early market? Pour répondre à cette question, revenons sur le chapitre que Christensen a consacré au véhicule électrique dans Innovator’s Dilemma (Christensen, 1997).

Selon Christensen, dans le cadre d’une innovation disruptive, les techniques traditionnelles du marketing sont inappropriées. En effet, le consommateur ne peut dire a priori si et comment il va utiliser ce nouvel objet : il est difficile pour lui de parler d’attentes et de besoins sur un produit qu’il n’utilise pas encore. Dès lors, Christensen suggère, en prenant l’exemple du véhicule électrique, de s’intéresser non pas à ce que les utilisateurs disent mais à ce qu’ils font.

Ensuite, Christensen conseille d’analyser quelles sont les segments pour lesquels les performances des véhicules électriques pourraient ne pas être considérées comme des inconvénients voire être perçues comme des avantages (“I would direct my marketers to focus on uncovering somewhere a group of buyers who have an undiscovered need for a vehicle that accelerates relatively slowly and can’t be driven farther than 100 miles.”).

L’exemple du véhicule électrique pris par Christensen date de milieu des années 90, période à laquelle le véhicule électrique avait refait surface des deux cotés de l’Atlantique mais qui ne l’a pour autant pas transformé en alternative crédible au véhicule thermique. Une décennie plus tard, on s’aperçoit que les avancées technologiques en matière de stockage d’énergie ne permettent toujours pas d’atteindre une autonomie suffisante ni de recharger le véhicule sur une courte durée et que les problématiques en termes d’infrastructures sont restées inchangées. Toutefois, nous pouvons constater que les constructeurs ont opéré une segmentation stratégique afin de définir des cibles à viser en priorité.

2.1.4. De la théorie à l’application : ce qu’on fait les constructeurs

Si l’on essaye de prendre du recul sur la stratégie adoptée par les différents acteurs du monde automobile face à la problématique du véhicule électrique, nous avons vu dans la partie 1. qu’ils avaient commencé par adopter une approche technologique. Celle-ci consiste à essayer de réduire la différence de performances entre véhicules électriques et véhicules thermiques en augmentant l’autonomie des premiers et en réduisant le temps de leur recharge en énergie. Cependant les constructeurs et les équipementiers ont bien Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

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conscience que cette approche technologique ne permettra pas, à court terme et sauf miracle technologique, de retrouver des performances similaires au véhicule thermique.

Face à ce constat, les différents acteurs en présence ont donc cherché à déterminer des cibles potentielles prêtes à se satisfaire des performances actuelles des véhicules électriques. Pour cela, ils se sont appuyés sur ce qu’ils appellent l’”usage” en se penchant sur deux sources d’informations principales : les statistiques d’utilisation d’une part et certaines grandes tendances sociétales d’autre part.

Dans le premier cas, les statistiques d’utilisation ont permis, principalement aux constructeurs de comprendre comment étaient utilisés les véhicules thermiques actuels quantitativement. On parle ici, entre autres, de distance moyenne journalière, de durée quotidienne de stationnement, de nombre moyen de personnes dans le véhicule sur un trajet, de fréquence d’utilisation du véhicule sur des distances prédéfinies, etc.

Dans l’autre cas, l’analyse de la société permet de mettre en avant certaines grandes tendances liées de près ou de loin à la mobilité. On peut citer, à titre d’exemples, la volonté de faire des grandes agglomérations des espaces de vie plus agréables (en termes de qualité de l’air ou de confort sonore) à mettre en regard de l’urbanisation sans cesse accrue, le désintéressement des jeunes générations pour les voitures et leur univers technologique au profit des accessoires de communication, le passage d’une valeur de propriété à une valeur d’usage accompagné de la prise en compte croissante du coût global au lieu du simple coût d’achat.

Ces deux sources d’informations ont dès lors permis aux acteurs du monde automobile de redorer l’image du véhicule électrique (“certes l’autonomie est faible, mais elle est compatible avec un usage majoritaire” et “certes le prix d’achat est plus élevé, mais le coût total d’utilisation peut être avantageux”) mais aussi de repérer certaines cibles qui, à court terme, pourraient être moins réticentes face aux contraintes pour lesquelles le véhicule électrique est aujourd’hui encore majoritairement rejeté. Il s’agit des flottes d’entreprise, des nouveaux services de mobilités et de certaines catégories d’urbains et périurbains sur lesquels nous reviendrons plus en détail dans la partie 3.

2.2. Les usages, un concept bien plus étendu

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Dans le contexte automobile, l’approche présentée dans le paragraphe précédent pour repérer les cibles prioritaires se veut être une prise en compte des usages. Ainsi entend-t-on régulièrement parler d’usage de flotte, d’usage urbain ou d’usage de véhicule partagé. Comme nous l’avons vu, cette vision des usages est incontournable pour savoir à quelles cibles s’adresser en priorité. Cependant, elle ne permet pas de savoir comment adapter la conception des véhicules électriques ni quelles innovations pourraient être développées pour satisfaire ces cibles. On peut donc se demander dans quelle mesure cette logique de prise en compte des usages ne pourrait-elle pas être approfondie pour répondre à ces enjeux.

2.2.1. Une définition variable et des approches mutliples

2.2.1.1. Diversité du terme : du macro-usage au détail du geste

Comme le notent très justement Buisine et Roussel, il n’existe pas aujourd’hui dans la littérature une définition unique de l’usage mais de multiples définitions (Buisine et Roussel, 2008). Si tous s’accordent sur le fait que l’usage représente la prise en compte des actions et pratiques des utilisateurs, on peut toutefois repérer certaines différences de périmètre dans les définitions qui en sont données.

Les plus restrictifs considèrent l’usage comme l’ensemble des actions réalisées par un utilisateur sur un objet et que Proulx définit comme « interaction dialogique entre utilisateur et dispositif technique » (Proulx, 2005). Dans ce cas, l’analyse gestuelle va permettre d’évaluer la facilité d’utilisation en regard des caractéristiques physiologiques de l’utilisateur. Les plus exhaustifs intègrent au concept d’usage les notions d’us et coutumes. “Il s’agit donc de l’ensemble des pratiques sociales en lien avec l’objet technique” (Buisine et Roussel, 2008). Les modérés, quant à eux, considèrent que la notion d’usage est plus étendue que celle d’utilisation et intègrent des éléments tels que les “attitudes”, “compétences” et “habitudes” des utilisateurs (Vallette, 2005) mais aussi “la fonction, la destination, l’emploi que l’on peut [faire de l’objet]” (Buisine et Roussel, 2008). L’usage se trouve alors “au croisement des exigences des usagers et des performances instrumentales” (Dubuisson, 1996). Malgré ces divergences, de nombreux acteurs s’accordent pour voir dans l’usage un concept tri-dimensionnel comportant à la fois l’objet dont est fait l’usage, l’acteur qui en fait l’usage et le contexte dans lequel l’usage se déroule (Akrich 1993; Vallette 2005), ces trois composantes étant en “interactions permanentes”.

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Au vu de ces éléments, nous avons choisi de considérer l’usage non pas comme une tâche au sens de Boullier (action prescrite à opposer à l’action effectivement réalisée, Boullier, 1997) ni comme une utilisation en tant que simple rapport fonctionnel de l’individu à la technique (Vallette, 2005). A l’inverse nous nous rapprochons davantage des notions d’activité (Boullier, 1997), de pratique (Buisine et Roussel, 2008) et de cours d’action (Akrich, 1993) tout en intégrant l’aspect tri-dimensionnel que nous avons évoqué.

2.2.1.2. Un thème pluri-disciplinaire

Parce qu’ils relèvent, comme nous l’avons dit, d’une prise en compte de l’utilisateur, les usages constituent un objet d’étude pour un grand nombre de disciplines : “l’ergonomie, la sociologie, l’anthropologie, la sémiologie, le design, la physiologie, la linguistique, le marketing, le marketing sensoriel ou encore la micro psychologie.” (Vallette, 2005). On peut néanmoins distinguer trois grandes approches qui renvoient aux différentes définitions données précédemment. Premièrement, les approches macroscopiques comme la sociologie ou le marketing s’intéressent respectivement au sens de l’usage d’un objet (en étudiant les notions de tendances sociales, de représentations ou de finalités) ou au potentiel économique qu’il porte en lui (en étudiant l’attrait pour un produit de catégories d’utilisateurs-consommateurs classés en fonction de leur sexe, de leur âge, de leur appartenance sociale ou de leur lieu d’habitation). Deuxièmement, les approches centrées sur l’activité et l’utilisation (Vallette, 2005) dans le cadre d’actions menées par un utilisateur (avec des compétences et des habitudes) dans un contexte pour réaliser un objectif. Et troisièmement, une “approche centrée sur l’utilisabilité au sens de l’interaction homme- machine” (Vallette, 2005).

Quelque soit la discipline concernée, la prise en compte des usages peut répondre à différents enjeux et peut donc intervenir à différents moments dans le cycle de conception d’un produit ou service : - en aval du cycle de conception : dans ce cas, le produit va d’abord être conçu sans prendre en compte l’usager dans une approche purement technologique puis l’usage qui en sera fait va être défini ou orienté en fonction du produit. Ici la prescription vaut pour l’usage à l’image de ce qui peut être fait dans la conception de modes d’emploi (exemple sur lequel nous reviendrons ultérieurement). - après un premier prototypage pour optimiser le produit final : une première version du produit est alors conçue sous forme de maquette ou de prototype plus ou moins abouti que l’on va confronter à une utilisation réelle observée et analysée pour

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apporter des corrections au produit. Il s’agit, dans ce cas, d’une analyse de l’usage qui se veut corrective pour le produit, fortement utilisée par les techniques traditionnelles de l’ergonomie. - dès les premiers temps de la conception : on anticipe les usages potentiels futurs pour alimenter, au plus tôt, la conception du produit. La prescription se fait alors non pas sur l’usage mais sur le produit.

Partant de ces trois approches, on voit aujourd’hui se dessiner une tendance consistant à déplacer la prise en compte de l’usage de plus en plus tôt dans le cycle de conception et que l’on retrouve incarnée dans de nouveaux courants comme le design ou l’ergonomie prospectifs.

2.2.1.3 Des exemples intéressants de prise en compte des usages Parmi la littérature sur le sujet, deux exemples nous ont semblé particulièrement pertinents pour illustrer certains aspects, problématiques et enjeux de la construction d’une connaissance sur les usages : d’une part la conception de modes d’emploi décrite par Akrich et Boullier et d’autre part la présentaton par Dubuisson d’une méthode utilisée dans la pratique du design, dite approche “usagiste”.

La conception de modes d’emploi (Akrich et Boullier, 1991) Comme nous l’avons vu précédemment, la conception de modes d’emploi relève d’une prise en compte des usages en aval de la conception pour prescrire les futurs usages qui devront être faits de l’objet conçu. Elle ne permet donc en rien d’alimenter la conception de l’objet ou de faire émerger des opportunités d’innovations. Toutefois, l’article d’Akrich et Boullier souligne quelques aspects de la conception de modes d’emploi que nous retrouverons dans la méthode de prise en compte des usages que nous développerons dans les parties 3. et 4.

D’une part, il s’agit d’une activité dans laquelle il est nécessaire d’anticiper les usages qui seront faits du produit. L’enjeu est donc de « construire une véritable représentation de l’utilisateur final » et de « [mettre] en scène l’usage» en tenant compte à la fois des différents utilisateurs et contextes possibles. Cette approche se heurte à la double question de l’étendue verticale et horizontale : “jusqu’à quel point peut-on aller dans l’explicitation des opérations, des gestes techniques” et comment traiter l’infinité des combinaisons usager - contexte d’usage possibles ? En effet, il est impératif d’éviter de

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Page 28 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 particulariser trop le mode d’emploi mais aussi d’éviter d’avoir à réaliser des développements trop longs. Il s’agit donc pour le concepteur de notices de “procéder à une réduction de ces multiples états de l’usager [et] produire un supposé utilisateur universel à travers cette réduction dans la mesure où chaque situation ne peut être traitée de façon particulière.”

Une approche “usagiste” du design : le cas “GEST où l’usage en situation” (Dubuisson, 1996) Ce cas s’appuie sur la pratique d’un designer particulier, qui face à “l’approche dominante en design industriel, qui, selon lui, se limite trop souvent à l’approche esthético- symobolique, [c’est à dire] au travail sur la forme et le sens”, a mis en place une méthode concrète et pratique permettant d’analyser les usages d’un objet afin de “concevoir [cet] objet selon l’usage auquel on le destine”. Cette méthode, illustrée au travers de l’exemple d’une douchette, se base sur une définition de l’usage comme une “interaction symétrique” entre un usager et un objet et tente de mettre entre parenthèses les aspects technologiques. Ainsi, si les macro-fonctions et caractéristiques de base de l’objet sont, bien sur, prises en compte, “les questions techniques sont [...] résolument écartées de l’analyse [et] n’interviendront que dans un second temps pour être confrontées aux critères d’usage.”

L’usager est, dans cette méthode, considéré comme simple “acteur de la séquence d’opérations” ce qui permet de ne pas entrer dans des considérations socio-psycholgiques concernant ces intentions ni de devoir l’objectiver “à partir de variables externes” comme le fait le marketing. La seule considération à avoir sur l’usager est de lui accorder le “maximum de droit à l’erreur’ et de ne “rien exiger de lui a priori”.

Une fois ces règles préliminaires précisées, l’application de la méthode consiste à décomposer l’usage en différents cas d’usage en prenant en compte les trois dimensions précédemment énoncées : le milieu, l’objet et l’usager. L’exploration débute alors en fixant une combinaison “milieu / objet / usager” (dans l’exemple “une douchette utilisée pour la toilette familiale et quotidienne, tenue à la main dans une baignoire sans rideau de douche”) puis en les faisant varier afin d’”examiner tous les cas de figure”. Les cas d’usage repérés sont ensuite décomposés de façon “pratique” et “prosaïque” en séquences d’opérations successives, imbriquées à la manière de poupées russes. Dans cette méthode la génération des scénarii, la restitution des actions de l’usager se fait largement par l’action de l’imagination [...] que l’analyse méthodique des cas permet simplement de contrôler”.

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Au final, cette méthode permet d’aboutir sur « un ensemble de recommandations qui laissent la voie ouverte à plusieurs possibilités d’objets » et qui seront dans un deuxième temps confrontées aux considérations technologiques. La notion d’usage maintenant explicitée, revenons désormais au cas du véhicule électrique.

2.2.2. Comment les constructeurs communiquent sur la prise en compte du geste

Comme nous l’avons remarqué précédemment, ce sont les constructeurs qui ont pris l’initiative de remettre le véhicule électrique sur le devant de la scène. Ayant mené nos travaux depuis le point de vue de l’équipementier, nous n’avions pas d’accès privilégié aux réflexions menées par le constructeur concernant l’usage du véhicule électrique. Nous étions toutefois en mesure d’observer les éléments communiqués au grand public et à la sphère automobile de manière générale. On a ainsi pu remarquer, comme nous l’avons évoqué précédemment, que la notion d’”usage” renvoie souvent à des catégories d’utilisation : “usage de flotte”, “usage particulier”, etc. Quant à la question des interactions de l’utilisateur avec le véhicule, dans leur détail, la communication se réduit souvent à la présentation d’un scénario vertueux. Le déroulé d’une journée “type” fleurit sur les stands des salons automobiles : “L’utilisateur accède à son véhicule et le débranche. Arrivé sur son lieu de travail, il peut brancher son véhicule. De retour chez lui, il rebranche son véhicule.”

Ce scénario idéal permet certes à l’utilisateur de se figurer l’usage du véhicule en temps normal, mais l’objectif de cette communication est également de rassurer le potentiel acheteur. Ainsi, afin de pallier aux inquiétudes concernant la faible autonomie du véhicule, la charge rapide est souvent évoquée dans les scénarii évoqués. “L’utilisateur doit faire une course supplémentaire non prévue, il n’a pas assez d’autonomie. Il se rend alors à une borne de recharge rapide, branche son véhicule, et patiente le temps d’un café.” Pourtant, les études menées par BMW dans son projet Mini-E montrent que la quasi totalité des recharges est effectuée à domicile. La charge rapide aura donc un caractère exceptionnel dans l’usage futur du véhicule électrique. Mettre en avant cette option est bien une preuve de la prédominance de la dimension publicitaire dans les scénarii d’usage présentés par les constructeurs.

Le double objectif pédagogique et promotionnel de l’usage tel qu’il est présenté par les constructeurs met en danger la bonne prise en compte de l’usage dans la conception des technologies à développer autour du véhicule électrique. Cette vision de la future Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 30 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 utilisation du véhicule est incomplète et la réassurance porte sur les peurs (anxiété de l’autonomie), plus que sur une approche systématique de remise en cause du scénario présenté (et si la borne présente un dysfonctionnement pendant la charge? et si la place devant la borne est occupée par un véhicule thermique? etc...). Bien qu’il semble évident que les constructeurs aient une bien meilleure connaissance des usages futurs du véhicule électrique que ce qu’ils ont choisi de mettre en avant dans leur communication, il est nécessaire que l’ensemble des acteurs qui participeront à l’écosystème du véhicule électrique puissent construire une connaissance solide de ces futurs usages.

2.3. Les usages, une source d’innovations considérable

2.3.1. Un “maillon central” (Buisine et Roussel) dans le processus d’innovation

Du point de vue de Proulx (Proulx, 2005), comme de Stiegler, « Les usages font l’objet de stratégies d’innovation » (Stiegler, 1997). De surcroît, ils permettent, d’après Buisine et Roussel de « réunir les utilisateurs, les industriels et plus particulièrement les concepteurs dans l’acte d’innovation» (Buisine et Roussel, 2008). Cette tendance est apparue récemment avec l’accélération du rythme des innovations qui entraîne des ruptures plus intenses dans le domaine des usages. Dans ce contexte, Vallette rappelle la nécessité “pour les entreprises de se différencier et de proposer de nouvelles offres de produits plus proches de l’utilisateur pour survivre sur ses marchés” (Vallette, 2005).

Face à ces enjeux, la prise en compte des usages constitue, selon de nombreux auteurs, une approche pertinente et efficace. Ainsi, dès 1998, le Ministère de l’Industrie proposait de poser “l’utilisateur en préalable à toute conception, comme un des composants du système technique à spécifier” (Vallette, 2005). Ce type d’approche permet, en effet, d’explorer de “nouveaux services [...] à mettre à disposition du grand public” (Boullier, 1997) et de nouvelles fonctionnalités pour des produits qui soient plus en adéquation avec les “critères de confort, de sécurité, d’efficacité et de satisfaction des utilisateurs” (Buisine et Roussel, 2008). En ce sens, l’analyse des usages en phase de conception constitue donc pour l’entreprise un moyen d’innover tout en permetant de “réduire le coût d’adaptation de l’Homme au produit conçu et de maximiser la convivialité (simplicité) et la performance pour le plus grand nombre » (Ministère de l’Industrie repris par Vallete, 2005).

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S’ils s’accordent sur l’importance de prendre en compte la dimension usage dans le processus d’innovation, les auteurs qui s’y sont intéressés ne manquent pas de souligner les difficultés liées à cette étude : diversité infinie des usages (Akrich, 1991 ; Vallette, 2005), nécessité et limites de la réduction de cette diversité à un usager moyen (Akrich et Boullier, 1991), ambiguïté du rapport à l’expérience personnelle (Boullier, 1997), complexité de l’anticipation des usages futurs (Boullier, 1997). Proulx ajoute enfin “qu’une fois l’objet technique stabilisé dans une forme définitive (étape de la commercialisation), les pratiques effectives des usagers ne coïncident jamais entièrement avec les usages imaginés par les concepteurs” (Proulx, 2005).

2.3.2. Certains constructeurs ont recours à l’expérimentation pour enrichir leurs connaissances des usages

Nous avons présenté précédemment les usages du véhicule électrique tels qu’ils étaient décrits par les constructeurs dans leur communication officielle. Nous avons également précisé que les constructeurs disposaient certainement d’une connaissance bien plus développée que ces scénarii d’usages vertueux ou parfois peu représentatifs de l’usage futur du véhicule. Nous pouvons légitimement émettre cette hypothèse au vu des expérimentations menées par les constructeurs. En s’appuyant sur les prototypes et préséries qu’ils ont développés, les grands groupes automobiles ont pu tester ces modèles en conditions réelles d’usage, en les mettant entre les mains d’automobilistes. Ainsi le groupe BMW a-t-il mis en place une série d’expérimentations dans les grandes villes occidentales (Côte Est et Ouest des Etats Unis, Berlin, Londres, Paris, etc...). Au total, 600 Mini électrifiées ont été louées pour une période de 6 à 12 mois par des candidats prêts à payer 475 euros par mois et remplissant certaines conditions (disposer d’un garage à domicile et d’un réseau électrique aux normes ou être prêt à le financer). Ces pionniers doivent en contrepartie communiquer au constructeur un ensemble d’informations détaillées sur leur expérience de conduite et accepter que du matériel d’enregistrement de données soit embarqué dans le véhicule. On ne peut qu’imaginer la richesse de ce retour d’expérience, qui permettra au constructeur d’anticiper l’usage réel qui est fait des véhicules électrifiés, et de préparer les futurs générations de véhicules ou apporter des améliorations au modèle de série.

2.3.3. La prise en compte des usages par l’équipementier

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2.3.3.1. L’expérimentation : un outil difficilement mobilisable par l’équipementier

Si l’expérimentation est un outil puissant que le constructeur peut mobiliser pour anticiper l’usage qui sera fait de ses véhicules électrifiés, on voit bien qu’il ne communique pas les résultats de ces expériences à l’ensemble de la filière automobile. Évidemment, chaque constructeur ayant mis en place ses propres essais, avec des moyens conséquents, dispose d’un “trésor de guerre” qu’il ne cherchera pas à partager avec ses concurrents. Or ce retour d’expérience est précieux et représente une source très importante d’innovations qui seront un moyen de différenciation déterminant dans les prochaines générations de véhicules électriques. Comme nous l’avons évoqué précédemment, les constructeurs ont repris l’initiative avec le véhicule électrique et l’équipementier doit développer une stratégie qui lui permettrait de rester proactif dans son rapport avec ses clients, afin de s’inscrire dans la dynamique amorcée dans les années 90. Si l’enjeu de frugalité énergétique permet à l’équipementier de disposer d’un axe stratégique pour lequel son expertise technique est un atout considérable, nous avons vu que la seule approche technologique est insuffisante et qu’elle doit être complétée par une analyse des futurs usages du véhicule électrique.

Alors que les constructeurs s’appuient sur l’expérimentation pour construire cette connaissance orientée usage, les équipementiers ne peuvent pas mettre en oeuvre cet outil. D’une part, ils n’ont pas la compétence de mettre au point un grand nombre de prototypes de véhicule électrifié afin d’effectuer les tests. Certes, le fournisseur pourrait louer des modèles de série chez le constructeur mais cela supposerait d’attendre la commercialisation de ces derniers. D’autre part, mener une expérimentation suppose de mobiliser des ressources importantes et il semble difficile de justifier un tel effort pour un objectif apparemment éloigné du coeur de métier du fournisseur.

2.3.3.2. Valeur pour l’équipementier de la prise en compte des usages Si l’expérimentation est un outil que l’équipementier ne peut pas mettre en oeuvre, du moins à une échelle conséquente, comment peut-il construire une connaissance des futurs usages du véhicule électrique ? Comme nous l’avons développé précédemment, cette prise en compte des usages est théoriquement une source importante d’innovation. Dans le cas du véhicule électrique, nous avons aussi montré que la polarisation énergétique a orienté tous les acteurs de la filière automobile vers le challenge technologique au détriment du champ d’innovations ouvert par l’analyse des usages. Si l’équipementier parvenait à mettre en oeuvre une méthode de prise en compte des usages pour enrichir son effort Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 33 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 d’innovation il pourrait disposer de deux atouts dans son rapport de force avec les constructeurs. En effet, en construisant une connaissance des usages futurs en parallèle des expérimentations du constructeur, le fournisseur anticiperait les futures demandes de son client et préparerait des produits qui le placeraient en position privilégiée pour répondre aux appels d’offre. Mais surtout cette capacité d’exploration des nouveaux usages permettrait à l’équipementier d’être force de proposition sur des problématiques que le constructeur n’aura pas encore explicitement formulées, permettant à l’équipementier de poursuivre sa progression dans la chaîne de valeur.

2.3.3.3. Le besoin d’une méthode

Nous voyons ainsi qu’une prise en compte des usages dans la stratégie d’innovation de l’équipementier est une des clés qui permettrait à ce dernier de retrouver une position forte dans l’écosystème en construction du véhicule électrique. Ne pouvant pas recourir aux outils mobilisés par le constructeur, à savoir l’expérimentation à grande échelle, quelle méthode l’équipementier peut-il mettre en oeuvre pour explorer les futurs usages du véhicule électrique afin de pouvoir proposer des innovations aux constructeurs pour les prochaines générations ? En réponse à cette problématique, nous présentons dans la partie suivante la méthode que nous avons mise au point au cours de nos travaux de recherches au sein de Valeo. Nous illustrons cette méthode à l’aide d’un exemple dans la partie 4, avant d’apporter un éclairage critique sur le modèle présenté dans la dernière partie.

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3. Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles

3.1. L’existance d’un dominant usage

3.1.1. Le véhicule thermique constitue un dominant design

Si, au début du XXème siècle, trois types de motorisations (à vapeur, électrique et à explosion) se partageaient le marché automobile, une seule d’entre elles a fini par s’imposer. Depuis un siècle, le moteur à explosion a ainsi équipé la quasi totalité des véhicules et autour de ce choix technologique s’est organisé un système qu’Abernathy et Utterback qualifient de dominant design (Abernathy et Utterback, 1978). Parmi les éléments de ce système, on peut citer la réglementation (la taxe permettant de financer les infrastructures routières est prélevée sur les carburants), les critères de performances (la haute capacité calorifique des carburants permet de parcourir plusieurs centaines de kilomètres), les infrastructures (les autoroutes exploitent la haute autonomie des véhicules thermiques), la chaîne de valeur (en amont, les pétroliers fournissent et distribuent le carburant, en aval la maintenance est formée à la mécanique du moteur à explosion), l’architecture (le groupe motopropulseur est placé à l’avant ou à l’arrière) et les composants (la standardisation a peu à peu gagné l’ensemble des éléments du véhicule) (figure 8).

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Figure 8 : Les composantes du dominant design

Une dernière dimension du dominant design nous intéresse plus particulièrement ici, il s’agit des usages. Pendant plus d’un siècle, parallèlement à la stabilisation des éléments techniques ou de l’infrastructure, la façon dont les automobilistes interagissent avec leur véhicule a connu la même maturation. Parmi tous les usages automobiles, on peut émettre l’hypothèse qu’une partie d’entre eux est liée au choix technologique du moteur à combustion. On peut ainsi citer le départ en vacances (qui exploite la haute autonomie du véhicule), l’arrêt à la pompe, ou encore le passage de vitesse. Au delà de ces exemples flagrants, nous pouvons supposer qu’une partie de ces usages du moteur thermique est implicite. Parmi l’ensemble des interactions que nous opérons avec notre véhicule, il semble en effet compliqué de distinguer ce qui est issu du choix du moteur à explosion du reste. Les usages automobiles actuels sont ainsi amalgamés avec ceux du moteur thermique. Nous pouvons faire une analogie avec la terminologie d’Abernatty et Utterback en qualifiant cette situation de dominant usage.

3.1.2. Application du dominant usage sur le véhicule électrique

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Comme nous l’avons décrit précédemment, les premiers modèles de véhicules électriques sont issus d’une plate-forme thermique. Ainsi la Renault Fluence ZE est dérivée du modèle Fluence déjà existant. La transformation est d’ailleurs visible à l’ouverture du coffre : le pack batterie, intégré derrière les sièges, occupe une partie de la malle arrière. A l’exception de ce type de détails, de la présence d’un câble à la recharge et d’un autocollant « ZE », peu de choses différencient le véhicule électrifié de son parent thermique, du moins sur l’aspect général (figure 9).

Figure 9 : Renault Fluence : modèle thermique vs électrique

Face à un véhicule en apparence proche de la voiture conventionnelle, on peut raisonnablement penser que l’utilisateur aura tendance à s’ancrer dans ses habitudes issues du véhicule thermique. Akrich et Boullier confirment cette hypothèse en expliquant que face à un nouvel objet, l’utilisateur mobilise le « savoir-faire et les compétences que l’on peut inférer de sa familiarité avec d’autres dispositifs techniques » (Akrich et Boullier, 1991). La familiarité du véhicule électrique avec le véhicule thermique justifie ainsi la tendance qu’aura l’utilisateur à reproduire avec le véhicule électrifié les usages qu’il a développés avec la voiture conventionnelle. Pour utiliser la métaphore de Buisine et Roussel, le véhicule thermique est le «produit-parent», le véhicule électrifié est un «produit-enfant» (Buisine et Roussel, 2008). Si l’utilisateur reproduit avec un véhicule électrifié les usages automobiles actuels, il applique sur un dispositif nouveau une pratique construite sur le produit parent. Si l’on Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 37 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 s’intéresse aux usages qui appartiennent de manière évidente au monde thermique, on voit que leur transposition, telle quelle, n’est pas viable : un voyage Paris – Marseille d’une seule traite n’est plus possible en raison d’une autonomie maximale de 150 km, un arrêt à la pompe n’est plus nécessaire, et le passage de vitesse est révolu (le moteur électrique n’ayant qu’un seul rapport). La difficulté provient de la part implicite des usages, qu’il serait nécessaire d’identifier afin de questionner leur transposabilité au véhicule électrifié. Nous présenterons par la suite une méthode pour explorer les usages conventionnels.

3.1.3. Conséquences de la transposition des usages thermiques

La transposition à l’identique d’usages construits autour d’un objet (véhicule thermique) sur un objet différent mais familier (véhicule électrifié) peut donner naissance à des dysfonctionnements. Pour Akrich, il s’agit d’ « infélicités des relations entre l’usager et le dispositif technique» (Akrich, 1993). Deux réponses peuvent être mises en place pour pallier à ce dysfonctionnement : « la réforme de l’utilisateur, celle du dispositif technique, ou [...] l’instauration d’un compromis ».

La réforme de l’utilisateur relève d’un processus d’apprentissage, souvent mis en avant dans les discussions autour du véhicule électrique. Cette dimension est un des éléments qui participent à la transition entre le dominant usage existant et l’usage en devenir du véhicule électrique. A titre de comparaison, on peut prendre comme exemple le cas de l’iPhone. A sa sortie, ce dernier était critiqué pour sa faible autonomie. Les téléphones existants à l’époque étaient en effet capables de tenir plusieurs jours sans besoin de recharge alors que l’’iPhone offrait des fonctionnalités inédites mais très gourmandes en énergie, ce qui limitait l’autonomie à une journée. La réforme de l’utilisateur a consisté à développer une habitude de charge quotidienne : en branchant son smartphone systématiquement sur sa table de chevet l’utilisateur a pu dépasser le problème de la faible autonomie « à coût nul ».

Si la réforme de l'utilisateur est un moyen pour dépasser les problèmes nés de la transposition à l’identique des usages du thermique au véhicule électrique, on ne peut pas compter intégralement sur ce phénomène pour assurer la viabilité de l’offre électrique. En effet, dans un premier temps le véhicule électrique s’adressera prioritairement à certaines catégories d’utilisateurs, suivant le scénario de bowling alley décrit précédemment. Ces utilisateurs seront certes conscients de leur statut de pionniers et prêts à certaines Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 38 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 concessions mais il est dangereux de leur laisser la responsabilité de déminer le terrain des « infélicités ». Ces early adopters étant aussi des prescripteurs, une première expérience désagréable du véhicule électrique trouvera vite une tribune qui ne pourra que freiner son adoption. En parallèle d’une perspective d’apprentissage de l’utilisateur, il est donc nécessaire de mener une réforme du dispositif, en d’autres termes de donner une réponse technologique aux infélicités repérées. La capacité à anticiper les dysfonctionnements permettrait de repérer des solutions et de les développer en vue d’une intégration sur véhicule. Comme nous l’avons vu précédemment, du point de vue de l’équipementier, ce coup d’avance lui permettrait d’être force de proposition en présentant des produits porteurs de solutions sur des problèmes repérés en phase d’expérimentation, ou tout du moins d’être plus réactif au moment des appels d’offre du constructeurs.

3.2. L’approche par scénarii pour explorer les usages

3.2.1. Justification de l’approche par scénarii

Comme nous l’avons présenté dans la partie précédente, nous partons de l’hypothèse que l’usage des premières générations de véhicules électrifiés se fera dans le cadre d’un dominant usage, c’est à dire d’un usage stabilisé autour du véhicule thermique. Nous confrontons ensuite cet usage à l’électrification de la motorisation et tentons de repérer les éventuelles incohérences ou inconforts d’utilisation auxquelles Valeo pourrait apporter une réponse technologique. Pour réaliser cette analyse, nous avons opté pour une approche par scénarii.

3.2.1.1. Qu’est-ce que l’approche par scénarii ?

Principalement utilisée dans le secteur informatique et des nouvelles technologies, l’approche par scénarii a fait l’objet d’un certain nombre de publications, particulièrement dans le domaine de la conception de software.

La plupart des auteurs définissent le scénario comme une description narrative d’une séquence temporelle d’interactions entre un utilisateur et un système (Potts, 1995), incluant ce que l’utilisateur fait, ce qui lui arrive et d’éventuels changements de contexte (Carroll, 1999). Une des forces de l’approche par scénarii est sa capacité anticipative, puisqu’elle permet de réfléchir sur des situations avant que celles-ci ne se produisent réellement Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

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(Carroll, 1999) : il s’agit d’étudier les interactions que des personnes ont ou pourraient avoir avec un dispositif nouveau (Navaroo et al, 2009) tout en tenant compte du fait que les interactions en question sont étroitement liées avec un contexte d’usage donné (Pascal et Rouby, 2010).

L’objectif principal est de comprendre comment les utilisateurs vont utiliser l’objet et ses fonctionnalités (Carroll, 1999) et dans quelle mesure cet objet va pouvoir s’ancrer dans des pratiques (Pascal et Rouby, 2010). Ainsi permet-il d’exposer le système ou l’objet en cours de conception à la critique en en donnant une première représentation partielle (Carroll, 1999) et d’en faire une évaluation prédictive (Navaroo et al, 2009). En ce cens, le scénario représente une sorte de point de rencontre entre le monde des concepteurs et le monde des utilisateurs (Pascal et Rouby, 2010).

Il faut toutefois souligner la part de subjectivité qu’induit cette approche. En effet, si les scénarii peuvent s’appuyer sur des perceptions, des déclarations ou des observations (Navaroo et al, 2009), ils relèvent néanmoins principalement de la faculté d’imagination et de représentation (Caelen, 2004) de celui que les élabore. Par ailleurs, les scénarii ne restent que des représentations partielles de l’usage à la fois dans leur dimension temporelle et dans leur contenu (ils présentent un point de vue fixe de le situation, choisi par le concepteur) (Nelson et al, 2009). De surcroît les scénarii peuvent intégrer différents niveaux de détails et des perspectives diverses (Carroll, 1999) qu’il revient au concepteur de définir et de limiter.

3.2.1.2. Les points d’attention dans la construction de scénarii

A l’image de ce qu’Akrich et Boullier exposaient concernant la conception de modes d’emploi, une des difficultés lorsqu’on adopte une approche par scénarii est que l’on se trouve rapidement confronté à l’immensité de l’univers des usages et donc à un nombre illimité de scénarii possibles (Potts, 1995). Face à cette situation et pour ne pas se perdre dans l’étude des scénarii, un cadre est nécessaire afin de structurer le processus d’exploration ainsi que la définition des usages d’un produit (Nelson et al, 2009).

Par ailleurs, comme il est impossible d’explorer tous les scénarii, il faut donc identifier quels peuvent être les plus représentatifs, les plus pertinents et ceux permettant de mettre au jour un maximum de problèmes en un minimum de temps (Potts, 1995). De façon similaire, il est impossible voire contre-bénéfique, pour un scénario donné, d’étudier

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Page 40 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 l’ensemble des hypothèses et des cas particuliers. Ainsi est-il recommandé par Constantine et Lockwood de ne pas surcharger les scénarii de détails superflus au risque de détourner l’attention de l’essentiel (Constantine et Lockwood, 2004). Les scénarii étudiés doivent donc être considérés plutôt comme des représentants de classes de situations que comme des suites particulières d’événements (Potts, 1995). Ceci implique qu’il y aura toujours des situations d’usage qui n’auront pas été anticipées (Nelson et al, 2009) car trop spécifiques de part l’utilisateur ou le contexte d’utilisation mais il est important de ne pas se perdre dans des détours par des usages exceptionnels (Constantine et Lockwood, 2004).

Comme nous l’avons vu, un scénario doit être pertinent. Pour cela, Potts conseille que chaque scénario étudié soit salient (Potts, 1995), c'est-à-dire qu’il illustre un ou des problèmes ou tensions entre l’utilisateur et l’objet non encore traités par les autres scénarii.

3.2.1.3. Les avantages de cette approche Une approche par scénarii, si elle respecte les quelques éléments précédents, comporte de nombreux avantages. Elle permet en effet, en peu de temps et avec des ressources limitées, de rendre explicite l’usage pour les personnes en charge de la conception en leur donnant une meilleure vision des tâches qui pourraient être accomplies (Carroll, 1999).

En mettant au jour, très tôt dans le processus de conception (Reeder), un certain nombre de problèmes dans la réalisation de ces tâches avec l’objet ou le système tel qu’il est pensé au moment de l’exploration, les scénarii représentent un important levier de découverte de besoins et de pratiques (Pascal et Rouby, 2010) qui peuvent déboucher sur des opportunités d’innovation et de différenciation par rapport à la concurrence (Reeder). En effet, alors que la plupart mettent l’accent sur une action prioritaire, les scénarii peuvent permettre de repérer des problèmes et opportunités d’innovation sur des actions considérées comme non prioritaires mais qui vont améliorer le produit en offrant plus qu’une réponse au besoin primaire (Reeder).

Une fois que les étapes ont été identifiées, il existe ensuite différentes façons d’innover et de créer de la valeur, par exemple en améliorant l’exécution d’étapes spécifiques, en dégageant l’utilisateur de la responsabilité de réaliser certaines étapes ou en permettant d’accomplir certaines étapes différemment (Bettencourt et Ulwick, 2008).

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3.2.2. Prise en compte de la dimension “Acteur”

L’approche par scénarii apparaît donc comme une pratique rapide et efficace pour analyser les usages futurs qui pourront potentiellement être faits d’un objet afin d’en améliorer la conception. Passons désormais à l’application de cette approche au cas du véhicule électrique pris sous l’angle d’un équipementier.

Comme nous l’avons vu précédemment, l’usage se caractérise par un triptyque objet / acteur / contexte. Nous avons dit que l’objet étudié était le véhicule électrifié ; intéressons- nous maintenant à l’acteur.

3.2.2.1. Les cibles marketing visées par les constructeurs Comme nous l’avons vu précédemment, un important travail de segmentation marketing a été réalisé par les constructeurs automobiles afin de déterminer quelles cibles pouvaient être visées à court terme au vu des performances offertes par les premiers véhicules électriques. En s’appuyant sur les statistiques d’utilisation des véhicules thermiques actuels et les grandes tendances sociétales, il est ressorti que les cibles prioritaires étaient les flottes d’entreprises, les nouveaux services de mobilité et, dans une moindre mesure, certaines catégories de particuliers.

Les flottes d’entreprises Les flottes d’entreprises, constituées d’une part des véhicules de fonction octroyés à leurs cadres ou commerciaux pour leurs déplacements quotidiens et d’autre part des voitures de société mises à la disposition de certains employés pour des besoins ponctuels, peuvent trouver dans le véhicule électrique des avantages par rapport aux véhicules thermiques. En effet, au delà d’un certain kilométrage annuel, le coût total d’utilisation d’un véhicule électrique s’avère avantageux, le surcoût à l’achat étant compensé par une coût d’utilisation plus faible, permettant ainsi de réduire un poste de charge souvent significatif pour les entreprises. Par ailleurs, le véhicule électrique contribue également à l’image des entreprises qui l’adoptent en les présentant comme respectueuses de l’environnement (absence d’émission de CO2) mais aussi des populations (absence de bruit appréciable dans le cas des livraisons en agglomération) et des salariés (le retour d’expérience des véhicules électriques utilisés au sein du Groupe La Poste montre que les salariés en charge des livraisons quotidiennes ont apprécié le confort d’utilisation des véhicules électriques en termes de bruit et de vibrations).

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Par ailleurs, les flottes d’entreprises présentent des avantages par rapport au véhicule électrique. D’une part, les entreprises ont, dans certains cas, la possibilité de prévoir des déplacements et ainsi de les optimiser en fonction de l’autonomie disponible sur les véhicules électriques. D’autres part, les entreprises disposent généralement d’infrastructures de parking pouvant être facilement équipées de bornes de recharge.

Les nouveaux services de mobilité Les nouveaux services de mobilité, qu’ils soient à l’initiative d’acteurs privés (constructeurs, loueurs ou nouveaux venus dans le secteur automobile) ou publics (collectivités locales), apparaissent aujourd’hui comme une nouvelle offre située entre le véhicule particulier et les transports en commun, aux côtés des offres de location traditionnelles. Déjà fortement répandus aux Etats-Unis et en Allemagne, ces services regroupent l’autopartage, le libre service et la mobilité à la demande (ex : service Mu By Peugeot) et représentent une véritable opportunité pour le véhicule électrique. Ils se destinent en effet particulièrement à un usage urbain en complément de l’offre de transport existante pour parcourir les derniers kilomètres mal desservis par les transports ou dans des cas de mobilité réduite difficilement compatible avec les transports en commun (handicap, enfants en bas âge, transport de bagages, etc). Surfant sur le succès des offres de vélos partagés, l’engouement pour le concept d’une voiture partagée gagne actuellement la France et le véhicule électrique semble parfaitement adapté a cette nouvelle offre : pour son silence, son caractère écologique dans un contexte urbain ainsi que pour sa facilité d’utilisation tandis que les distances parcourues, souvent courtes, ne poseront pas de problème en terme d’autonomie.

Les particuliers En raison du surcoût à l’achat par rapport au véhicule thermique, la cible des particuliers ou mainstream market pour reprendre la terminologie de Moore, semble particulièrement difficile à atteindre tant que le véhicule électrique n’aura pas fait ses preuves auprès des deux segments précédents. Cependant, il existe certaines catégories spécifiques de particuliers qui pourraient être intéressées : ceux exerçant une profession libérale nécessitant de faire de nombreux trajets de courte distance (les enjeux étant alors les mêmes que dans le cas d’une flotte d’entreprise) mais aussi les urbains ou périurbains pour leurs trajets quotidiens entre domicile et lieu de travail. Au vu des études marketing menées, on peut penser qu’il s’agira dans un premier temps de consommateurs aisés ayant les moyens d’acheter un véhicule électrique, disposant d’un espace de stationnement (garage ou place de parking) pour le recharger et ayant certainement un autre véhicule pour

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Page 43 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 les trajets de plus longue distance (le véhicule électrique pouvant ainsi être utilisé comme l’est actuellement une Smart).

Ces cibles privilégiées semblent aujourd’hui faire consensus au sein de l’industrie. L’enjeu est donc de savoir comment les satisfaire au mieux pour assurer qu’elles communiquent de façon positive auprès des cibles futures. Jusqu’ici, le point de différenciation entre un véhicule pour particulier et un véhicule pour une flotte d’entreprise se situait sur le plan des services accompagnant le véhicule et non des technologies embarquées, celles-ci étant plutôt génériques. Dès lors, la réflexion sur les besoins spécifiques des flottes n’a été que faiblement et partiellement menée par les constructeurs et les équipementiers. On peut néanmoins constater aujourd’hui que cette situation a amené d’autres acteurs à fournir des technologies complémentaires à ajouter sur les véhicules a posteriori pour un usage de flotte (ADM concept, qui a obtenu la médaille d’or du concours Lépine 2011, a développé pour Veolia un kit pour autopartage comprenant un électromécanisme breveté pour le verrou de la prise de courant s’intégrant dans la trappe d’accès, des interfaces électriques ou électroniques pour permettre la gestion à distance de paramètres liés au véhicule, ainsi que l'intégration d'un écran qui respecte le design original et la qualité perçue de la voiture d’origine. Ce kit est actuellement implémenté à Nice (Autobleue) et à La Rochelle (YeloMobile)). Dès lors, il apparaît clair que si l’on veut séduire et satisfaire ces cibles privilégiées, il est impératif de s’intéresser au préalable à leurs particularités et différences. Ainsi chacune de ces cibles va-t-elle avoir des scénarii d’usage spécifiques qu’il va falloir prendre en compte.

Pour cela, il nous a semblé nécessaire de commencer par réaliser une cartographie méthodique des différents usagers possibles en gardant à l’esprit les cibles privilégiées que nous venons de présenter et dans le but de mieux comprendre leurs spécificités pour ensuite construire les scénarii qui leur sont propres.

3.2.2.2. Une cartographie méthodique des acteurs Lorsqu’on parle d’usagers, on ne s’intéresse pas à l’usager en tant qu’humain mais en tant qu’acteur. Dans le premier cas, nous aurions pu cartographier l’usager selon son sexe, son âge, ses caractéristiques physiques, son attrait pour les technologies, etc. mais en s’intéressant à l’acteur, nous avons plutôt orienté notre réflexion selon le rapport existant entre l’objet et l’usager.

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Dans le cas d’un véhicule, nous avons mis au jour cinq rapports principaux entre celui-ci et son usager, appelés catégories d’usage et correspondant à ce qu’Akrich définit comme postures (Akrich, 1993) : l’utilisation ; la propriété ; la maintenance ; le dépannage ; le vandalisme (figure 10) : - L’utilisation regroupe l’ensemble des usages « normaux » d’un conducteur ou d’un passager dans un objectif global de déplacement d’un point A à un point B. - La propriété regroupe l’ensemble des usages liés à la possession du bien. - La maintenance correspond à l’ensemble des usages permettant l’utilisation du véhicule et le maintien de sa valeur. - Le dépannage regroupe l’ensemble des usages liés à un problème sur ou avec le véhicule (accident, panne). - Le vandalisme correspond à l’ensemble des usages néfastes faits du véhicule à différents niveaux de gravité (de l’erreur de manipulation inconsciente à l’acte de vandalisme volontaire).

Figure 10 : Les cinq catégories d'usage

Dans la pratique, nous nous sommes ensuite intéressés plus particulièrement aux catégories d’usage « Utilisation » et « Propriété » et avons réalisé une cartographie des usagers possibles dont voici les étapes successives du raisonnement. Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

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L’utilisateur peut être soit conducteur (1), soit passager (2)

Le conducteur peut être le propriétaire du véhicule qu’il utilise (1.1) ou non (1.2)

S’il n’est pas propriétaire (1.2), il peut néanmoins être l’utilisateur principal du véhicule (1.2.1) ou un utilisateur occasionnel (1.2.2)

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Dans le cas d’un utilisateur principal non propriétaire (1.2.1), il peut s’agir d’une voiture de fonction (1.2.1.1) ou d’une voiture de location (1.2.1.2). Dans le premier cas, l’employer est soit propriétaire soit locataire du

véhicule (leasing entreprise)

Dans le cas d’un utilisateur occasionnel (1.2.2), il peut s’agir d’une voiture de société (1.2.2.1) ou d’une voiture « louée » (1.2.2.2)

Une voiture de société (1.2.2.1) peut être soit possédée par l’entreprise soit louée selon différentes modalité (leasing, location courte durée ou autopartage d’entreprise)

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Pour disposer d’une voiture (1.2.2.2), un particulier peut passer soit par une location courte durée, soit par une « voiture-service » (type autopartage ou libre-service)

Suite à cette cartographie, on peut faire apparaître trois grandes configurations d’usage dans lesquelles transparaissent les cibles marketing précédemment évoquées : CU1-l’utilisateur propriétaire (en violet sur la figure 11) ; CU2- l’utilisateur principal non propriétaire (en orange) ; CU3- l’utilisateur occasionnel (en vert).

Figure 11 : Mise en avant de trois configurations d'usage

Une fois définies, ces configurations d’usages, qui peuvent regrouper plusieurs sous- configurations, se caractérisent par un certain nombre d’éléments (figure 12) : l’utilisateur, le propriétaire, le gestionnaire, le type d’usage, le niveau d’implication de l’utilisateur et le modèle économique et le lieu de recharge.

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Figure 12 : Caractérisation des trois configurations d'usage étudiées

En résumé, ce travail de cartographie nous a permis, tout en gardant à l’esprit les cibles marketing déterminées par les constructeurs, de dresser un panorama des différentes catégories d’acteurs pouvant entrer en interaction avec un véhicule selon le type de rapport qu’ils peuvent entretenir avec lui. Nous avons ensuite analysé les points communs et différences entre ces configurations d’usages afin de connaître leurs spécificités. Nous allons désormais montrer comment construire des scénarii d’usage à partir de ces catégories d’acteurs.

3.2.3. La décomposition : de la configuration d’usage au scénario

La construction des scénarii d’usage relève d’une approche verticale partant des configurations d’usage et allant jusqu’au scénario par étapes successives de décomposition (figure 13). On commence par fixer une configuration d’usage et par déterminer le cycle de vie du véhicule associé. Dans cette étape, on entend cycle de vie non pas, au sens marketing, comme la succession d’étapes de commercialisation du produit mais comme la succession des étapes traversées par le produit depuis sa production jusqu’à son recyclage.

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On prend ensuite une étape au sein du cycle de vie que l’on va décomposer en scénarii d’usage successifs en augmentant progressivement le niveau de granulométrie, passant ainsi du macro-scénario à l’enchaînement d’actions puis à la succession de gestes.

Pour ce faire, on part d’une première séquence d’actions immédiate et basique que l’on cherche ensuite à enrichir afin d’aboutir sur un scénario suffisamment détaillé pour permettre de repérer les infélicités d’usage que nous avons évoquées. Nous cherchons ensuite à compléter cette séquence en y intégrant les actions pertinentes pouvant se passer en amont et en aval ou entre certaines actions déjà repérées.

Figure 13 : Etapes de décomposition pour construire un scénario d'usage

3.2.4. La prise en compte du contexte

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Après avoir étudié la dimension acteur, intéressons-nous au contexte que l’on peut décomposer en deux classes : d’une part le contexte technologique et, d’autre part, le contexte d’usage.

3.2.4.1. Le contexte technologique

Toute réflexion menée sur le véhicule électrique ne peut se faire sans la prise en compte des biens et services complémentaires (sixième force de Porter ou complementors) qui rendent possible l’utilisation du véhicule électrique. C’est particulièrement le cas de tous les biens et services relatifs à la charge : infrastructure, type de borne, modèles économiques liés à la recharge, etc.

Au cours de notre projet, nous sommes donc restés attentifs à l’actualité de l’écosystème électrique notamment sur le plan technologique. Pour ce faire, nous avons échangé avec un grand nombre d’acteurs parmi les énergéticiens, les fournisseurs de bornes ou d’espaces de stationnement et mené une veille systématique de l’actualité (publications gouvernementales, études privées, communiqués de presses). Cette connaissance des choix opérés nous a permis d’inclure une nouvelle dimension à notre exploration, le contexte technologique, en construisant les scénarii sur la base de différentes hypothèses technologiques qu’il sera ensuite possible de revoir en fonction des évolutions au sein de l’écosystème.

3.2.4.2. Le contexte d’usage En plus des choix technologiques, un certain nombre d’éléments extérieurs peuvent également influencer l’usage et sont donc à prendre en considération dans l’élaboration des scénarii. Ces éléments extérieurs constituent ce que l’on appelle le contexte d’usage et regroupent principalement : ● la position géographique du véhicule et de l’utilisateur : maison individuelle / immeuble collectif / parking d’entreprise / parking public / voirie ; en sous-sol / en extérieure ; en zone couverte par le réseau ou non ; ... ● les conditions climatiques : jour / nuit ; température ; été / hiver ; ... ● les conditions de circulation : zone urbaine / périurbaine / rurale / autoroute ; trafic fluide ou dense ; …

Au vu du nombre élevé de possibilités pour chaque paramètre, une exploration exhaustive et systématique se serait avérée à la fois longue et fastidieuse sans forcément aboutir à des résultats significatifs. C’est pourquoi nous avons choisi de faire varier ces Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 51 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 paramètres selon leur pertinence par rapport au scénario étudié. Nous illustrerons ce point dans l’exemple de la partie 4. et nous verrons notamment en quoi la prise en compte du contexte d’usage permet de tester la robustesse des solutions proposées ou de repérer d’autres dysfonctionnements.

3.3. Le mécanisme d’interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages

3.3.1. Méthode de repérage et de classement des dysfonctionnements

Le but de l’exploration organisée des scénarii d’usage présentée ci-dessus est de chercher à détailler les interactions entre l’automobiliste et son véhicule dans l’optique de pouvoir mieux prévoir les conséquences de l’application de ces usages aux véhicules électrifiés. Comme nous l’avons déjà précisé, l’électrification du véhicule correspond à une substitution organique de la chaîne de traction et de la réserve d’énergie. Nous allons maintenant décrire l’impact de cette substitution sur les usages en introduisant le cadre théorique de notre méthode.

3.3.1.1. Cadre théorique Dans notre étude, nous avons considéré deux espaces en regard. D’un côté l’espace des technologies, qui comporte l’ensemble des objets intégrés dans le véhicule, ou appartenant à l’écosystème qui l’entoure; de l’autre, l’univers des usages, organisé en grandes catégories d’usage et décomposé en différents niveaux de scénarii.

3.3.1.2. Impact de l’électrification L’électrification de la motorisation correspond à une modification dans l’univers des technologies : en accompagnement de la substitution organique du moteur à explosion par son équivalent électrique, et du réservoir à carburant par une batterie, la haute tension fait son entrée dans le véhicule, et une prise de recharge remplace la trappe à essence. Comme nous l’avons précisé précédemment, cette transformation modifie les performances du véhicule, comme l’autonomie et le temps de recharge. Ces modifications dans l’espace technologique imposent ici une modification dans l’espace des usages : les arrêts à la Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 52 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 pompe sont supprimés, et les étapes de branchement/débranchement sont systématiquement ajoutées au scénarii d’usage. Ces changements permettent de corriger les usages afin que l’utilisateur puisse faire fonctionner son véhicule électrifié. En pratique, il s’agit de consignes présentes dans le mode d’emploi du véhicule, dont le but est d’assurer la bonne réalisation des fonctions de bases des nouvelles technologies introduites (Comme le rappelle Akrich, “Le mode d’emploi est supposé indiquer à l’utilisateur d’un objet technique ce qui est requis de lui, c’est à dire son programme d’action, du moins s’il souhaite arriver à faire faire à l’objet ce en vue de quoi il a été conçu.” - Akrich, 1991). Ainsi l’utilisateur devra-t-il brancher son véhicule pour le charger et le débrancher avant de conduire.

Figure 14 : Impact de l’électrification sur l’univers des usages

Toutefois, cette modification théorique dans l’espace des usages ne garantit pas un changement effectif du comportement des utilisateurs. En effet, sous l’effet du dominant usage du véhicule thermique l’utilisateur pourrait, par réflexe, reproduire ses habitudes, ce qui donnerait lieu a des dysfonctionnements que l’on peut qualifier de mésusages, c’est à

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Page 53 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 dire des problèmes dûs à un non respect du mode opératoire associé aux nouveaux objets technologiques, du fait du poids des pratiques traditionnelles.

Par ailleurs, l’influence du dominant usage donne également naissance à une autre catégorie de dysfonctionnements. Dans ce cas, l’utilisateur respecte le mode opératoire prescrit pour le nouvel objet technologique, mais ce scénario, certes corrigé, est issu du véhicule thermique. En effet, le constructeur apporte les consignes qui semblent nécessaires pour faire fonctionner les nouveaux éléments associés à l’électrification. Il ne revisite pas tout le scénario d’usage traditionnel, issu du véhicule thermique. L’utilisateur va donc intégrer les nouvelles instructions, tout en reproduisant par ailleurs ses habitudes d’usage. Appliquée au véhicule électrique, l’application de ces scénarii issus du véhicule thermique génère ce qu’on appelera des incohérences d’usage qui ont pour effet de diminuer ponctuellement les performances du véhicule ou de complexifier inutilement l'interaction avec ce dernier.

On voit ainsi qu’une modification dans l’espace des technologies implique des transformations dans l’espace des usages. Du fait de l’ancrage des utilisateurs dans le dominant usage, les modifications dans l’espace des usages s’accompagnent de dysfonctionnements de deux types : ceux dûs à une non application du mode opératoire des nouvelles technologies, et ceux dûs à l’insertion d’étapes nouvelles dans un scénario construit autour du véhicule thermique.

3.3.1.3. Mode opératoire du repérage des dysfonctionnements En se plaçant dans le cadre d’une configuration d’usage déterminée et grâce aux techniques de décomposition décrites précédemment, nous avons détaillé des scénarii d’usage. C’est dans ces séquences développées d’actions que nous avons inséré les nouveaux usages prescrits du véhicule électrifié. En nous basant sur notre connaissance du véhicule électrique, nous avons pu alors repérer les dysfonctionnements qui vont accompagner cette modification des usages.

Deux éléments méritent à être précisés dans la démarche décrite : le niveau de détail et l’apport des connaissances sur le véhicule électrique. Au cours de notre démarche, nous avons cherché à décomposer les scénarii du véhicule électrique dans l’optique de repérer des dysfonctionnements qui ne sont pas décelables dans des macro-séquences. Si le niveau de granulométrie doit être avancé, la question de l’arrêt se pose légitimement. Deux règles de base ont alors été suivies :

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Page 54 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 décomposer systématiquement ce qui relève du macro-scénario et s’arrêter à l’échelle du geste. Ainsi verrons-nous dans l’exemple présenté ultérieurement que nous n’avons pas cherché à développer le mouvement opéré par la main lorsque la prise est débranchée du véhicule. Entre les deux limites de la macro-séquence et du geste, nous nous sommes basés sur les connaissances acquises sur le véhicule électrique pour estimer, à chaque étape, la pertinence d’une décomposition supplémentaire et décider d’arrêter la descente quand les dysfonctionnements potentiels semblaient épuisés. Le deuxième élément déterminant dans la capacité à prévoir les dysfonctionnements est la richesse des connaissances sur le véhicule électrique et son environnement. Nous avons mis en oeuvre cette méthode au contact des équipes chargées, au sein de Valeo, du développement des technologies pour le véhicule électrique, ce qui nous a apporté une bonne connaissance des composants et de l’architecture des premiers modèles électrifiés. Une veille technologique sur le futur écosystème du véhicule électrique (bornes de recharges, prototypes, etc) ainsi que notre propre expérience de modèles électrifiés sont autant d’éléments qui ont permis de construire une solide connaissance sur la question du véhicule électrique. C’est cette base de savoir qui nous a permis d’apporter les modifications dans l’espace des usages.

3.3.1.4. Classement des dysfonctionnements Une fois les dysfonctionnements repérés grâce à la méthode présentée, nous avons tenté d’enrichir leur première catégorisation entre mésusages et incohérences d’usage pour permettre une meilleure lisibilité des résultats de notre méthode. Pour ce faire, nous avons opté pour un classement de ces dysfonctionnements selon leur criticité, c’est à dire en fonction du type de conséquences qu’ils pourraient avoir sur l’utilisation du véhicule. Sans prétention d’avoir quantifié cette notion de criticité, nous nous sommes, là encore, appuyé sur l’ensemble des connaissances que nous avions pu développer sur les différentes problématiques liées au véhicule électrique afin de classer, qualitativement, ces dysfonctionnement. Nous avons donc mis en avant cinq niveaux de criticité classés de façon croissante, les dysfonctionnements pouvant porter atteinte : 1. à l’intégrité physique de l’utilisateur (ex : risque d’électrisation). 2. au bon fonctionnement des composants du véhicule (ex : réduction de la durée de vie de la batterie). 3. aux performances du véhicule sur le court terme (ex : trop faible autonomie liée à un problème de charge).

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4. à la cohérence d’utilisation (ex : réalisation de tâches difficile pendant la manipulation du câble). 5. au confort d’utilisation (ex : température dans l’habitacle, état de propreté du câble).

3.3.2. Réponse aux infélicités par des solutions technologiques

Face aux dysfonctionnements repérés, nous avons évoqué précédemment les deux types de réformes possibles : celle de l’utilisateur (apprentissage) et celle du dispositif (réponse technologique). Dans le cadre théorique introduit ci-dessus, l’apprentissage correspond à l’effort fait par l’utilisateur pour intégrer les nouveaux scénarii d’usages. Ainsi, après une certaine durée d’utilisation, l’utilisateur exécutera les scénarii prescrits, mais au prix de nombreux mésusages pouvant mettre en péril la santé des composants, ou du moins l’impression d’ensemble que l’usager a du véhicule. Nous cherchons ainsi à éviter ces problèmes en réformant ex ante le dispositif, c’est à dire en procédant à une modification dans l’espace des technologies. Cette réponse consiste en une fonctionnalité, portée par un ou plusieurs objets technologiques.

Figure 15 : Réponse technologique

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Nous avons cherché les solutions technologiques en nous basant sur des produits existants, des prototypes, ou des projets en avance de phase. En effet, nous nous intéressons ici à des dysfonctionnements liés à la transition entre les véhicules conventionnels et les véhicules électrifiés. Or certains d’entre eux sont déjà disponibles dans les concessions et une part des problèmes repérés par la méthode fait déjà l’objet de réclamations chez le constructeur. L’équipementier doit donc être prêt à répondre de façon très réactive à ces dysfonctionnements et c’est pourquoi les solutions de réformes du dispositif sont d’abord recherchées dans l’univers des objets technologiques connus.

Par ailleurs, face à un problème donné, se pose la problématique du domaine de compétence de l’entreprise au sein de laquelle l’exploration est menée. En effet, dans le cas de notre projet, certains problèmes repérés ne trouvent pas de solutions dans le coeur de métier de l’équipementier. Si la solution repérée suppose de mettre au point des objets trop éloignés du champ de son développement, la capacité à être réactif à court et moyen terme s’en trouve menacée. Par contre, si un produit est à la marge du domaine, ou voué à en sortir, la pertinence de cet objet comme réponse à des problèmes futurs d’usage doit le mettre au même niveau que les produits historiquement dans le cœur de métier.

Parallèlement aux enjeux de réactivité qui orientent la recherche de solutions, plusieurs solutions peuvent parfois être repérées en réponse à un même problème donné et il est possible de classer cet éventail de possibilités en fonction de la complexité de la fonctionnalité ainsi que la maturité des objets technologiques mobilisés. Cette capacité à répondre à un problème par des solutions dont la complexité et la valeur ajoutée à l’usage sont croissantes permet de dépasser une approche « one shot » et de préparer une génération de produits qui vont accompagner les générations de véhicules électriques.

3.3.3. Classement des objets technologiques à l’échelle de l’exploration

Dans les parties précédentes, nous avons explicité le mécanisme qui, partant d’une modification dans l’espace des technologies (substitution organique), opère un changement dans l’espace des usages. Cette transition, du fait de l’influence du dominant usage, est accompagnée de dysfonctionnements qu’il est possible d’éviter en réformant le dispositif, c’est à dire par une modification de l’espace des objets technologiques embarqués.

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Dans la pratique, l’espace des usages du véhicule thermique est d’une telle ampleur qu’il semble impossible d’explorer tous les impacts de l’électrification. Au bout d’un certain nombre de scenarii, nous avons pu néanmoins distinguer un groupe d’objets technologiques particulièrement mobilisés en tant que réponses aux dysfonctionnements. Nous avons quantifié cette tendance en comptabilisant le nombre d'occurrences de ces objets technologiques, pondérée par la criticité des dysfonctionnements auxquels ils répondent.

Au lieu de poursuivre l’exploration de l’impact de l’électrification de manière linéaire, nous avons fait le choix de nous baser sur cet ensemble d’objets technologiques comme une grille de lecture des scénarii d’usage à explorer. En effet, ces technologies sont des produits existants, éventuellement au stade de prototypes ou de projets en avance de phase, et sont déjà porteurs d’un certain nombre de fonctions de base. Comme le révèle une première phase d’analyse de l’impact de l’électrification, ces objets sont particulièrement pertinents pour un meilleur usage du véhicule. Pour chaque produit du groupe repéré, nous avons alors mené une exploration des autres scenarii en questionnant à chaque étape ce que peut apporter cet objet à la cohérence d’usage, en se basant sur les fonctions de base qui lui sont attribuées. Cette phase apporte de nouvelles fonctionnalités au produit, ce qui permet de se rapprocher d’un cahier des charges qui servira de support aux équipes de développement pour préparer ce produit.

Figure 16 : Enrichissement fonctionnel

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De façon synthétique, après la modification initiale de l’espace des technologies par la substitution organique, et l’analyse de son impact sur une partie des scénarii d’usage thermiques, nous avons repéré des objets technologiques porteurs de fonctionnalités en réponse aux dysfonctionnements dûs à l’importance du dominant usage. Une classe d’objets technologique se détache par sa pertinence et la suite de l’exploration des usages se fait à travers le prisme des fonctions de base de ces produits, améliorant les scénarii d’usages d’une part et enrichissant fonctionnellement les éléments de l’espace technologique d’autre part.

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4. Exemple : le scenario de départ

Dans cette partie sera illustré l’ensemble des points de la méthode présentée dans la partie précédente sur la base d’une exploration que nous avons menée en profondeur au cours de notre projet.

4.1. Construction du scénario d’usage thermique

Pour démarrer l’exploration, nous nous plaçons dans une configuration d’usage particulière, celle de l’Utilisateur-Propriétaire. Le cycle de vie associé à cette configuration d’usage est le suivant :

Le véhicule commence par être produit par un constructeur automobile. Il est ensuite vendu à un particulier au sein d’une concession puis utilisé. Au cours de cette utilisation, le véhicule nécessite d’être entretenu et éventuellement dépanné. Il peut finalement être soit revendu et réutilisé soit recyclé s’il est en fin de vie.

Figure 17 : Cycle de vie

Au sein de ce cycle de vie, on se ce concentre ensuite sur une étape, l’”utilisation” qu’on décompose en scénarii d’usage successifs. Pour cela, on commence par dresser un premier macro-scénario.

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Dans un cadre d’une utilisation “normale” du véhicule, l’usager s’en sert pour partir, effectuer son trajet puis arriver à sa destination.

Figure 18 : Macro-scénario

On prend ensuite une étape de ce macro-scénario, le “Départ”, qu’on décompose en séquence d’actions.

En première approximation, on peut se dire que pour partir, l’utilisateur va ouvrir le

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véhicule et rentrer dans l’habitacle puis va démarrer le moteur et ensuite se mettre à rouler.

Figure 19 : Scénario d'usage simple

On cherche ensuite à enrichir ce scénario en regardant quelles étapes pourraient être ajoutées en amont, en aval ou entre des étapes déjà repérées et en décomposant certaines étapes pertinentes.

Le scénario de départ ne commence pas au moment où on entre dans l’habitacle mais au moment où l’on décide de prendre la voiture pour effectuer un trajet, à la suite de quoi il faut accéder au véhicule. Ensuite entre le moment où l’on démarre le moteur et celui où on met en mouvement le véhicule, on peut effectuer un ensemble de réglages sur lesquels nous reviendrons juste après.

Figure 20 : Scénario d'usage détaillé (ajout d'étapes)

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Si l’on décompose l’étape de décision, l’utilisateur commence par se dire qu’il a besoin d’effectuer un trajet. Il peut ensuite consulter l’état du trafic et l’itinéraire en transport en commun afin de comparer les deux temps de trajet. Finalement il opte pour le véhicule personnel.

Figure 21 : Scénario d'usage détaillé (décomposition d'étape 1)

Pour démarrer le moteur d’un véhicule thermique, l’utilisateur insère la clé dans le barillet du contact d’allumage (Neiman) puis la tourne jusqu’à entendre le bruit et sentir les vibrations lui indiquant que le moteur est allumé, à la suite de quoi il relâche la clé.

Figure 22 : Scénario d'usage détaillé (décomposition d'étape 2)

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Comme nous l’avons vu précédemment, avant de mettre le véhicule en mouvement, le conducteur peut effectuer un certain nombre de réglages : - la position de conduite : hauteur du siège, hauteur du volant, position des rétroviseurs, etc. - thermique habitacle : température, puissance des ventilateurs, dégivrage, etc. - multimédia : musique - navigation : saisie d’une destination, etc.

Figure 23 : Scénario d'usage détaillé (décomposition d'étape 3)

Pour commencer à rouler, sur un véhicule thermique traditionnel, l’utilisateur doit d’abord desserrer le frein à main. Il sélectionne ensuite une vitesse et accélère pour mettre en mouvement le véhicule. Il effectue ensuite un certain nombre de manoeuvre pour sortir de sa place de stationnement et peut ensuite commencer à effectuer son trajet.

Figure 24 : Scénario d'usage détaillé (décomposition d'étape 4)

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4.2. Impact de l’électrification

4.2.1. Modification du scenario

A partir du scénario détaillé sur lequel nous avons abouti, nous allons analyser l’impact de l’électrification de la motorisation sur les usages. En procédant à la substitution organique de la propulsion thermique par un moteur électrique, du réservoir d’essence par une batterie et de la trappe à carburant par une prise de recharge, le constructeur a modifié le véhicule et intègre dans le manuel de l’utilisateur des conseils d’utilisation qui permettent de faire fonctionner le véhicule. C’est ainsi que le scénario d’usage du départ est complété avec une étape de débranchement.

Quand l’utilisateur se trouve face à son véhicule et que ce dernier est branché, l’utilisateur doit déconnecter la prise de recharge. Nous pouvons décomposer cette étape en précisant que l’utilisateur doit débrancher le câble de la borne de recharge et du connecteur sur le véhicule. Il doit ensuite ranger ce câble dans l’habitacle, le plus souvent dans un sac situé dans le coffre.

Figure 25 : Impact de l'électrification

4.2.2. Mise en évidence des infélicités

Comme nous l’avons présenté précédemment, on peut faire face à deux types de dysfonctionnements: les mésusages et les incohérences d’usage. Nous allons donner des exemples de ces deux classes de problèmes.

Le mésusage correspond à la reproduction à l’identique de l’usage thermique et ce malgré les recommandations du constructeur de modifier le scénario classique. Dans le cas

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Page 65 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 du départ, ceci correspondrait au cas de l’automobiliste qui oublie de débrancher son véhicule avant de monter dans l’habitacle. Cette erreur est tout à fait probable du fait de l’ancrage dans le dominant usage du véhicule thermique. Si aucune mesure n’avait été prise pour pallier à ce risque, le dysfonctionnement aurait eu des conséquences dramatiques sur la bonne marche des composants (câble sectionné, mécanique et électronique sur le véhicule endommagée, station de recharge détériorée, etc...). On le classe ainsi dans le niveau de criticité 2 (“atteinte au bon fonctionnement des composants du véhicule”).

L’incohérence d’usage provient, quant à elle, de l’application, au modèle électrifié, du scénario thermique agrémenté des conseils d’utilisation de base pour véhicule électrique. On peut donner en exemple l’étape des réglages divers, traditionnellement placée après l’allumage moteur, notamment parce que certains des composants mobilisés sont ou ont été historiquement liés à l’activité du moteur thermique (comme la thermique habitacle). Lancer les réglages de climatisation ou de chauffage au même endroit du scénario est par contre problématique avec un véhicule électrique. En effet, au moment où l’usager est au poste de conduite, le véhicule est supposé être débranché, et la mise en température de l’habitacle mobilise une énergie qui sera entièrement prélevée sur la batterie, ce qui aura pour effet de réduire de manière conséquente l’autonomie (jusqu’à 50% avec une température extérieure de quelques degrés), rangeant ainsi ce dysfonctionnement parmi ceux de criticité 3 (“atteinte aux performances du véhicule sur le court terme”).

Un autre exemple d’incohérence d’usage est la reproduction à l’identique des étapes de décision. Se contenter de consulter le traffic et l’alternative en transport en commun n’est pas suffisant. En effet, dans le cas du véhicule électrique, il faut ajouter une étape de prise en compte de l’état de charge de la voiture. Pour un véhicule conventionnel, l’utilisateur ne se demande pas s’il dispose d’assez de carburant pour couvrir le chemin à parcourir avec son véhicule personnel. Il suppose qu’il dispose toujours d’une réserve suffisante pour se rendre à la station service la plus proche, s’arrêter quelques minutes et repartir avec des centaines de kilomètres d’autonomie. Dans le cas du véhicule électrifié, non seulement l’autonomie théorique est déjà limitée à une centaine de kilomètres, mais en plus elle est très impactée par les besoins de chauffage tandis que le temps de recharge est au meilleur des cas d’une demie heure et le réseau des points de recharge sera, du moins dans un premier temps, beaucoup moins dense que celui des stations services. Tous ces éléments rendent l’étape de décision telle qu’elle est pratiquée avec un véhicule thermique (sans consultation de l’état de charge du véhicule) inadaptée avec les modèles électrifiés.

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L’incohérence introduite à l’usage du véhicule fait de ce dysfonctionnement un problème de criticité 4 (“atteinte à la cohérence d’utilisation”).

Infélicité Catégorie Niveau de criticité

Démarrer en oubliant de débrancher le 2 - Atteinte au bon véhicule => graves dégats sur le véhicule et Mésusage fonctionnement des l’infrastructure composants

Lancer la thermique habitacle après avoir 3 - Atteinte aux Incohérence débranché le véhicule => forte réduction de performances du véhicule d’usage l’autonomie à court terme

Décider de prendre le véhicule sans Incohérence 4 - Atteinte à la cohérence connaître l’état de charge => risque de ne d’usage d’utilisation pas avoir l’autonomie attendue

Tableau 1 : Synthèse des infélicités repérées

4.2.3. Réponses technonologiques proposées

Face à ces dysfonctionnements, nous avons évoqué deux types de réformes. A titre d’illustration, nous allons brièvement décrire ce que pourraient être, dans cet exemple, les réformes de l’usage. En ce qui concerne le mésusage de l’oubli de débranchement, nous pouvons légitimement penser que quand l’utilisateur aura omis une fois de se débrancher avant de démarrer, il ne risque pas de commettre cette erreur une deuxième fois vu les désagréments qu’il connaîtra. Pour la question du conditionnement thermique de l’habitacle, l’utilisateur pourrait monter dans l’habitacle sans débrancher le véhicule, lancer le conditionnement thermique et patienter jusqu’à ce que l’habitacle aie atteint une température acceptable avant de retirer la prise. Cette gymnastique est malheureusement synonyme d’une perte de temps colossale pour l’usager. Enfin, face à la nécessité de pouvoir connaître l’état de charge de son véhicule au moment de la décision, l’utilisateur pourrait noter sur un papier ou sur son téléphone la dernière information disponible à la sortie de son véhicule. Ce moyen montre rapidement ses limites dans les cas où le véhicule est en train de se charger, ou dans des situations où le véhicule est partagé.

L’objet de cette méthode est de mettre en valeur les réformes du dispositif qui permettent d’éviter les dysfonctionnements repérés. Ainsi avons-nous déterminé face aux trois problèmes repérés des réponses technologiques. Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

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Afin de pallier aux conséquences de l’oubli de débranchement nous pouvons proposer plusieurs solutions. Une première réponse (déjà apportée par les constructeurs sur les premiers modèles de véhicule électrique) est de mettre en oeuvre une fonctionnalité sur l’électronique embarquée du véhicule qui inhibe les fonctions motrices tant que le véhicule reconnaît la présence d’une prise (ce qui suppose d’implémenter une fonction de reconnaissance de présence mécanique de la prise dans le connecteur de charge). Empêcher le démarrage du véhicule sans en informer l'utilisateur de la raison peut cependant dérouter l'utilisateur. Il faudrait donc indiquer sur le tableau de bord que le véhicule est toujours branché et qu’il est nécessaire de le déconnecter pour pouvoir rouler. Ces solutions permettent de prévenir des conséquences de l’oubli mais pas d’éviter l’oubli en lui même. En effet, une fois prévenu, l’utilisateur devra sortir du véhicule, débrancher puis remonter dans l’habitacle. Idéalement, il sera judicieux d’inviter l’utilisateur à se débrancher dès que ce dernier s’approche de la porte du conducteur. Une fonctionnalité (mettant en jeu des capteurs sur le véhicule) peut être implémentée sur la clé afin de reconnaître cette situation. Des alertes sonores et lumineuses peuvent ensuite être émises par le connecteur de recharge afin de signifier à l’utilisateur qu’il doit se débrancher. Nous voyons ainsi un éventail de couples fonctionnalité/objet technologique en réponse au dysfonctionnement repéré.

Infélicité Catégorie Niveau de criticité

Démarre en oubliant de débrancher le 2 - Atteinte au bon véhicule => graves dégats sur le véhicule et Mésusage fonctionnement des l’infrastructure composants

Niveau de Fonctionnalité Objet technologique complexité

Inhiber les fonctions motrices tant que le - Electronique embarquée Niv. 0 véhicule est branché

Informer l’utilisateur de la cause du non - Interface homme machine Niv. 1 démarrage

Avertir l’utilsateur que le véhicule est - Clé Niv. 2

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branché a priori - Capteurs - Connecteur

Tableau 2 : Synthèse des solutions repérées 1

Nous pouvons également proposer des solutions technologiques à la question du conditionnement thermique. Si l’horaire de retour au véhicule est connu, une fonctionnalité de minuterie peut être implémentée sur l’intelligence embarquée du véhicule. La clé peut également lancer le conditionnement thermique lorsque l’utilisateur est à portée visuelle du véhicule, ce qui est pertinent si la configuration du lieu de vie de l’usager lui permet de commander avec sa clé son véhicule stationné dans son garage depuis sa cuisine ou son salon par exemple. Enfin, la climatisation et le chauffage peuvent être lancés à plus grande distance par le biais d’un boîtier télématique intégré dans le véhicule qui permettrait de lancer un préconditionnement depuis n’importe quel terminal connecté à internet. Cette solution suppose de développer une intelligence embarquée dans les systèmes qui interrompraient par exemple le processus si l’utilisateur ne se rend pas à son véhicule après un certain temps.

Infélicité Catégorie Niveau de criticité

Lancer la thermique habitacle après Incohérence 3 - Atteinte aux performances avoir débranché le véhicule => forte d’usage du véhicule à court terme réduction de l’autonomie

Niveau de Fonctionnalité Objet technologique complexité

Lancer le préconditionnement grâce à - Interface Homme Machine Niv. 0 une minuterie

Lancer le préconditionnement quand - Clé Niv. 1 l’utilisateur est en visuel

- Boîtier télématique Lancer le préconditionnement à - Systèmes thermiques Niv. 1 distance intelligents

Tableau 3 : Synthèse des solutions repérées 2

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Enfin, pour la problématique de connaissance de l’état de charge, nous pouvons envisager de pouvoir consulter en temps réel cette information à distance grâce à la présence d’un boîtier télématique dans le véhicule. Au delà de la question de l’état de charge, on peut apporter à l’utilisateur une information qui sera plus pertinente dans sa prise de décision, à savoir l’autonomie en kilomètre. Après un certain temps d’utilisation, l’utilisateur pourra certes estimer la distance qu’il pourra parcourir avec un pourcentage donné de l’état de charge, mais cette évaluation restera très approximative étant donné la très forte sensibilité de l’autonomie aux conditions climatiques, ou encore au type de trajet (routier ou urbain, topographie, etc). Ainsi une solution plus évoluée au besoin d’information lors de la prise de décision serait de pouvoir disposer de l’autonomie estimée avec la meilleure précision possible. Pour ce faire, un objet technologique doit pouvoir agréger les données provenant de multiples sources : informations disponibles sur le réseau (météo, traffic), données de navigation (topographie, vitesses limites), informations provenant de l’utilisateur (habitudes de conduite, trajet prévu) et bien sûr les données du véhicule (état de charge, pression des pneux, etc). Dans le cas d’une consultation à distance le smartphone peut remplir cette fonction, à condition que le véhicule envoie, via le boîtier télématique, les informations pertinentes.

Infélicité Catégorie Niveau de criticité

Décider de prendre le véhicule sans Incohérence 4 - Atteinte à la cohérence connaître l’état de charge => risque de d’usage d’utilisation ne pas avoir l’autonomie attendue

Niveau de Fonctionnalité Objet technologique complexité

Consulter l’état de charge à distance - Boîtier télématique Niv. 0

Consulter l’autonomie à distance - Boîtier télématique Niv. 0

Agréger des données et calculer - Boîtier télématique Niv. 1 l’autonomie - Smartphone

Tableau 4 : Synthèse des solutions repérées 3

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4.2.4 Amélioration de la réponse technologique par variation du contexte

Nous allons maintenant montrer comment la modulation de l’environnement permet d’affiner la réponse technologique. Nous allons illustrer l’intérêt de la variation du contexte technologique et du contexte d’usage sur la réponse au besoin d’information au moment de la décision.

Nous avons présenté le boîtier télématique comme un moyen de consulter en temps réel l’information d’état de charge lorsque l’utilisateur est à distance de son véhicule. Ceci est vrai dans le cas où le véhicule est stationné dans un lieu couvert par les réseaux de télécommunication. Dans un contexte d’usage de stationnement sur la voie publique, en plein air, cette condition est vérifiée dans la totalité des grandes agglomérations. En revanche, dans le cas d’un stationnement en sous sol, il est très fréquent que le véhicule ne puisse être connecté au réseau. Le véhicule électrique étant destiné aux populations urbaine et périurbaine, cette situation sera assez fréquente. Il est donc nécessaire d’évaluer quelles solutions de secours peuvent être envisagées dans ce type de cas.

C’est l’occasion ici de montrer l’intérêt de la modulation du contexte technologique. En effet, quand le véhicule est branché, on pourrait profiter de ce contact filaire pour transmettre de l’information au réseau. Cependant, une étude sur les bornes de recharge montre que ces dernières ne disposent pas forcément d’une connection au réseau des données. Si le contexte technologique le permet (borne intelligente), une fonctionnalité peut être implémentée sur la connectique de recharge du côté du véhicule afin d’envoyer dans le réseau son état de charge quand le véhicule est branché. Lorsque le véhicule n’est pas branché, une connection sans fil courte distance (Wifi, Bluetooth), avec des relais installés dans les sous sols, ou avec des bornes de recharges permettant ce type de communication (autant de conditions sur le contexte technologique), peut être également incorporée dans le boîtier de télématique du véhicule.

Infélicité Catégorie Niveau de criticité

Décider de prendre le véhicule sans Incohérence 4 - Atteinte à la cohérence connaître l’état de charge => risque de d’usage d’utilisation ne pas avoir l’autonomie attendue

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Contexte spécifique : absence de réseau / borne intelligente (connectée)

Niveau de Fonctionnalité Objet technologique complexité

Transmettre par voie filaire les - Electronique embarquée Niv. 0 informations véhicules (SoC) à la borne - Connecteur

Communiquer sans fil avec la borne à -Boîtier télématique équipé de Niv.1 courte distance fonction Wifi ou -Bluetooth

Tableau 5 : Synthèse des solutions repérées 4

Dans l’hypothèse d’un contexte technologique non favorable (borne non connectée), il faut pouvoir donner à l’utilisateur un moyen d’évaluer l’état de charge de son véhicule même s’il n’a pas accès à cette information en temps réel. Dans le cas d’un véhicule stationné sans être en charge, l’enjeu est de stocker la dernière information de façon automatique. On peut utiliser la capacité de stockage des derniers modèles de clés intelligentes afin de conserver cette valeur, reçue depuis le véhicule au moment de la dernière intéraction (fermeture des portes) et de pouvoir consulter l’état de charge sur son smartphone, via une fonction de communication entre les deux terminaux connue sous le nom de Bridge. Dans le cas d’un véhicule en charge, il est possible de stocker le profil prévu de l’évolution de la charge afin d’avoir une estimation de l’état de charge de la batterie à tout instant.

Infélicité Catégorie Niveau de criticité

Décider de prendre le véhicule sans Incohérence 4 - Atteinte à la cohérence connaître l’état de charge => risque de d’usage d’utilisation ne pas avoir l’autonomie attendue

Contexte spécifique : absence de réseau / borne non connectée

Niveau de Fonctionnalité Objet technologique complexité

Stocker et transmettre les informations -Clé équipée d’une fonction Niv. 0

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véhicule (SoC) bridge

-Clé Estimer l’état de charge à tout instant Niv. 1 -Smartphone

Tableau 6 : Synthèse des solutions repérées 5

4.2.5 Synthèse et classement : les objets technologiques phares

Sur l’exemple ci dessus, nous avons choisi un scénario donné de la configuration d’usage utilisateur-propriétaire, dans le cadre d’un véhicule thermique. Nous avons cherché à compléter et décomposer ce scénario puis nous avons inséré les étapes inhérentes à l’utilisation d’un véhicule électrifié. Nous avons pu repérer un dysfonctionnement lié au non respect de ces étapes prescrites (mésusages), ainsi qu’un ensemble de problèmes liés à l’incohérence de l’application du scenario du véhicule thermique sur le modèle électrifié (Tableau 1). Pour chacun de ces dysfonctionnements, nous avons proposé une ou plusieurs solutions, correspondant à des fonctionnalités implémentées sur des objets technologiques (Tableau 7). En analysant la variété des contextes d’utilisation, nous avons rendu cette réponse technologique plus robuste , en proposant des solutions de secours qui mettent en jeu des couples fonctionnalités/objets technologiques.

Objets technologiques Fonctionnalités Objets synergiques

Electronique embarquée - inhiber les fonctions - connecteur (prise) motrices tant que le véhicule est branché - transmettre les informations véhicules à la borne

Interface Homme Machine - informer l’utilisateur des - électronique embarquée causes du non démarrage quand le véhicule est branché - lancer le

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préconditionnement avec une minuterie

Clé - avertir l’utilisateur que le - électronomique véhicule est branché avant embarquée, capteurs, qu’il entre dans l’habitacle connecteur - lancer le préconditionnement quand l’utilisateur est en visuel - stocker et transmettre les informations véhicules (état de charge, autonomie, etc)

Boîtier télématique - lancer le - systèmes thermiques préconditionnement à intelligents distance - consulter l’état de charge - consulter l’autonomie - communiquer sans fil avec la borne de charge

Smartphone - agréger les données et - boîtier télématique calculer l’autonomie - estimer l’état de charge à - clé tout instant

Tableau 7 : Synthèse des fonctionnalités repérées pour chaque objet technologiques

Comme nous l’avions décrit dans la méthode, ces objets peuvent ensuite être mis en regard du nombre et du niveau de criticité des infélicités auxquelles ils pourraient répondre (tableau 8).

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Tableau 8 : Mise en regard des objets technologiques par rapport au nombre et au niveau de criticité des infélicités

Nous avons mené ce travail sur d’autres scénarii d’usages de la configuration d’utilisateur propriétaire et un groupe d’objets technologiques régulièrement appelé par la méthode s’est distinctement détaché. Dans l’exemple ci-dessus déjà, nous remarquons que le boitier télématique et la clé, entre autres, sont des objets qui ont été mobilisés plusieurs fois lors de l’analyse. Cette tendance se confirme sur les autres scénarii d’usage explorés. A ce stade de nos travaux, plusieurs éléments convergents mettaient ainsi en lumière l’intérêt de ces objets technologiques pour le véhicule électrique. La clé intelligente et le boîtier télématique font déjà l’objet de projets au sein de l’équipementier et sont déjà porteurs de fonctions. Etant donné que le véhicule électrique se dirige dans un premier temps vers les véhicules de flotte, nous avons ainsi cherché à explorer les scénarii d’usages liés à ces configurations afin de déterminer quels apports, en plus des fonctionnalités repérées par l’application de la méthode sur la configuration d’usage utilisateur-propriétaire, peuvent améliorer l’expérience du véhicule électrique.

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4.3. Enrichissement fonctionnel : l’exemple de la clé

Intéressons-nous à l’objet technologique clé intelligente. La formulation relève du concept mais il s’agit d’un projet au sein de Valeo et les fonctions de base de ce produit sont stabilisées : la clé intelligente est capable d’envoyer des commandes aux véhicule lorsqu’elle est à portée visuelle (une centaine de mètres); elle peut servir comme capteur pour indiquer la position de l’utilisateur; elle peut stocker des informations, mais pas des fichiers volumineux (image, son, etc..); enfin elle peut communiquer avec un smartphone. Cette dernière fonction (appelée bridge) permet d’afficher des informations sans avoir à intégrer un écran sur la clé.

Avec ces fonctions de base en tête, nous allons étudier un scénario d’usage donné de la configuration d’usage “utilisateur occasionnel” (CU3), et plus particulièrement du cas de la voiture de société, c’est à dire du salarié qui utilise de façon ponctuelle un véhicule appartenant à la flotte de l’entreprise. Au sein du cycle de vie du produit, nous allons nous intéresser une fois encore à l’utilisation, mais nous allons cette fois-ci considérer le scénario de retour, dont nous présentons la décomposition figure 27.

Figure 26 : Impact de l'électrification

Dans le cas d’un véhicule thermique, l’utilisateur a la responsabilité de restituer le véhicule avec un niveau acceptable de carburant. Il effectuera avant son retour un éventuel passage à la station service. Dans le cas d’un véhicule électrique, l’obligation analogue sera de se brancher systématiquement lors du retour afin de laisser au conducteur suivant Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 76 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 un véhicule avec un maximum d’autonomie. Ici également nous envisageons la situation où l’utilisateur oublie de procéder à ce changement d’usage, ce qui altérerait les performances du véhicule pour l’utilisation suivante. Face à ce risque relevant du mésusage, il est nécessaire de parer l'oubli de branchement, ce qui appelle la mise en place d'un certain nombre de solutions. Une condition à cela est de pouvoir reconnaître que l’utilisateur est bien arrivé au point de stationnement habituel, ce qui peut être implémenté sur le module GPS du véhicule. Pour rappeler à l’utilisateur de la nécessité de se brancher avant qu’il sorte de l’habitacle, on peut afficher un message sur l’interface homme machine. Si l’utilisateur s’éloigne sans avoir brancher son véhicule, on peut s’appuyer sur la clé en tant que capteur de position de l’utilisateur pour reconnaître cet éloignement et sur sa fonction de communication courte distance avec le véhicule pour provoquer des signaux lumineux voire sonores sur la voiture. Enfin l’utilisateur peut être averti, a posteriori, par une alerte sur son smartphone soit grâce au boîtier télématique soit grâce à la fonction bridge entre la clé et le smartphone.

Infélicité Catégorie Niveau de criticité

Oublier de brancher le véhicule après 3 - Atteinte aux utilisation => risque de manquer Mésusage performances du d’automonie pour l’utilisateur suivant véhicule à court terme

Niveau de Fonctionnalité Objet technologique complexité

Reconnaître le retour à la station -GPS Niv. 1

Rappel à l’utilisateur de se brancher tant -Interface homme machine Niv. 0 qu’il est encore dans l’habitacle

Reconnaître l’éloignement et avertir -Clé Niv. 1 l’utilisateur a proximité

Alerter l’utilisateur à distance -Boîtier télématique Niv. 1 -Clé

Tableau 9 : Synthèse des solutions repérées 6

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On peut constater à travers ce nouvel exemple que, même lorsqu’on explore les scénarii d’usage sous le prisme d’un objet technologique précédemment repéré, cela permet de trouver de nouvelles solutions correspondant soit à l’objet en question soit à d’autres objets technologiques.

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5. Bilan et perspectives

5.1. L’imagination au service de la transition

5.1.1. La dimension imaginative

Un caractère essentiel dans l’approche présentée est la dimension imaginative. Tout au long de la méthode, et plus particulièrement lors de la décomposition en scénarii, les personnes en charge de l’exploration doivent se placer “dans la peau de l’usager, en situation” (Dubuisson, 1996). Cette capacité à construire un scénario virtuel s’appuie, d’une part, sur la familiarité avec l’objet sur lequel la méthode est appliquée. Dans le cas des travaux menés au sein de Valeo, nous étions ainsi deux utilisateurs réguliers de la voiture conventionelle et nous avons pu nous baser sur notre expérience personnelle pour construire les séquences d’actions liées au véhicule thermique. D’autre part, afin de “compenser l’arbitraire de l’idée personnelle qu’on se fait de situations” (Dubuisson, 1996), en d’autres termes afin d’élargir les scénarii imaginés à des cas que l’approche imaginative ne met pas en scène dans un premier temps, la méthode double l’approche imaginative d’une analyse systématique des cas possibles.

5.1.2. La construction de générations successives

Une autre caractéristique de la méthode présentée est la logique de transition entre l’existant et les futures générations de produits. En effet, le point de départ de notre réflexion est l’existence d’un dominant usage qui constitue un cadre de référence sur lequel les automobilistes vont s’appuyer pour accueillir les premiers véhicules électrifiés. Comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, nous n’avons pas opté pour l’approche de la page blanche. Nous nous sommes intéressés à la première génération de véhicules, dont nous connaissons les caractéristiques, pour imaginer l’utilisation qu’en feront les automobilistes. Nous avons mobilisé des objets existants actuellement afin de les enrichir fonctionnellement et les positionner pour la deuxième génération. L’itération de ce mécanisme permet de construire les futurs scénarii d’usage ainsi que les vagues d’objets technologiques qu’il faudra aligner.

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De plus, face à chaque dysfonctionnement, nous avons pu établir des réponses technologiques de complexité et de valeur d’usage croissantes, ce qui permet d’ajouter une dimension supplémentaire à l’approche générationnelle de la feuille de route technologique.

5.2. Monographie du projet et mode de fonctionnement

5.2.1. Constitution préalable d’un socle de connaissances

Une part importante et préliminaire de notre travail a résidé dans la constitution d’un socle de connaissances permettant d’alimenter l’exploration des usages et des technologies que nous avons ensuite menée. Comme nous l’avons montré au cours des parties précédentes, ces connaissances relèvent de trois thèmes principaux.

Tout d’abord, notre sujet imposait que nous comprenions bien le véhicule électrique et son ecosytème de façon macroscopique. Nous avons, pour cela, mené une veille thématique de l’actualité du véhicule électrique et avons également échangé avec de nombreux interlocuteurs internes et externes à Valeo et participé à un certain nombre de congrès et conférences sur le sujet. Ceci nous a permis d’appréhender les aspects technologiques (conception, fonctionnement, technologies, performances), stratégiques (acteurs en présence, niveau de maturité actuel, enjeux et problématiques) et d’usage (cibles prioritaires, premiers retours d’expérience) du véhicule électrique.

Par ailleurs, nous avons développé une connaissance plus fine des véhicules électriques de première génération afin de mieux ancrer notre exploration dans le contexte technologique actuel. Ainsi avons-nous, par exemple, réalisé un benchmark détaillé des modèles présents au Mondial de l’Automobile 2010 à Paris en mettant l’accent sur la dimension usage. Nous avons également utilisé un certain nombre de véhicules électriques mis à disposition lors d’évènements thématiques ou loués par Valeo et consulté les tests réalisés sur les premiers modèles de véhicules électriques par les journalistes, les personnes participant aux expérimentations voire, plus rarement, les premiers acheteurs.

Finalement, comme nous l’avons précédemment expliqué, nous avons démarré notre exploration en s’appuyant sur une analyse préliminaire du dominant usage, que nous avons basée sur nos connaissances des usages du thermique, acquises grâce à notre expérience personnelle. En effet, nous sommes, nous-mêmes, des automobilistes, Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 80 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 utilisateurs de véhicules thermiques et emprunts du dominant design, et avons donc constitué notre propre panel représentatif. Toutefois, la conscience que nous avions d’être dans ce cas nous a permis de prendre en compte le dominant design sans être contraints par celui-ci et d’envisager des cas qui ne nous correspondaient pas totalement (ex : flotte d’entreprise) et pour lesquels nous nous sommes mis à la place des utilisateurs.

5.2.2. Exploration au cours de séances de réflexion

Comme nous l’avons vu précédemment, nous n’avons pas basé notre exploration sur l’observation préalable d’utilisateurs en action mais sur les connaissances que nous possédions à la fois sur le véhicule électrique et son écosystème et sur les usages actuels de véhicules thermiques. Au cours du processus d’exploration, nous travaillions majoritairement seuls, au cours de séances de réflexion, en profitant de la complémentarité de nos formations (ingénieur et commercial) et de nos points de vue. Lors de ces séances, nous procédions par analyse et décomposition des scénarii issus de l’univers thermique que nous confrontions ensuite à l’électrification afin de faire émerger des tensions entre l’utilisateur et les véhicules électriques de première génération. Nous nous appuyions enfin sur nos connaissances de l’actualité du monde automobile et de l’écosystème électrique pour trouver des solutions à ces tensions.

Pour mener à bien l’exploration, une préparation était nécessaire en amont des séances afin de faire le point sur les éléments déjà analysés et de donner des directions dans lesquelles mener l’exploration en séance. Réciproquement, une fois la séance de réflexion achevée, nous portions une attention particulière à l’étape à laquelle on s’arrêtait ainsi qu’aux questions relatives au contexte ou aux objets technologiques et nécessitant de développer des connaissances supplémentaires. A posteriori, nous rédigions un compte- rendu détaillé de l’exploration recensant à la fois le détail des scénarii développés, les infélicités d’usage repérées et les solutions envisagées.

5.2.3. Consultation d’experts pour juger de la pertinence des infélicités repérées et des solutions proposées

En parallèle des explorations que nous menions seuls, nous avons également échangé de nombreuses fois avec des interlocuteurs de Valeo issu des départements marketing et R&D au sujet des infélicités repérées et des solutions que nous avions pu imaginer. Concernant les incohérences d’utilisation, ces échanges nous ont permis, d’une Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

Page 81 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 part, de vérifier la pertinence et la nouveauté des problèmes soulevés et, d’autre part, de savoir si des demandes provenant des constructeurs existaient déjà en ce sens. Pour ce qui était des solutions, ils nous ont permis de voir dans quelle mesure elles pouvaient être adaptées aux problèmes en question en termes de pertinence et de faisabilité technologique et d’enrichir nos connaissances des objets technologiques mis en avant par l’exploration (fonctionnement, périmètre, contraintes, possibilités et subtilités technologiques).

5.3. Les apports par rapport aux démarches existantes

5.3.1. La prise en compte de l’usager par l’équipementier

La prise en compte de l’usager est comme nous l’avons vu, majoritairement admise comme une bonne pratique et utilisée par de nombreuses entreprises sous la forme d’expérimentations, de tests ergonomiques ou en faisant intervenir des designers “usagistes” en phase de conception. Cependant, notre expérience du domaine nous permet de penser que cette approche est sans doute plus généralisée au sein des entreprises en lien direct avec l’utilisateur final (activités B2C) que chez leurs fournisseurs (activités B2B). Il apparait, en effet, que cette prise en compte soit, à première vue, plus adaptée à certaines catégories de produits qu’à d’autres.

Au sein de Valeo, par exemple, certaines branches pour les produits desquelles les interactions avec les utilisateurs apparaissent plus immédiates (Security Systems et Diving Assistance) ont recours à l’utilisation de use case pour alimenter les analyses fonctionnelles en phase de conception. A l’inverse, dans la division véhicules électriques, stratégiquement orientée sur les composants de la chaine de traction, les interactions avec l’utilisateur apparaissent moins évidentes ce qui explique une faible prise en compte de l’usager qui se limite tout au plus à une prise en compte du ressenti en termes de bruit, de vibrations et de qualité de la réponse de la chaine de traction à la demande du conducteur.

Ainsi, de par son positionnement stratégique, la seule dimension marketing sous laquelle est analysé le véhicule électrique chez Valeo relève d’un rapport commercial entre un produit et des consommateurs (quelle taille de marché? quelles cibles marketing? etc). Si ce travail est nécessaire pour anticiper la part d’activité et de chiffre d’affaires que pourrait représenter le véhicule électrique, il ne s’agit pas d’informations permettant d’alimenter le travail de conception sur le sujet. Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

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A l’inverse, la méthodologie que nous avons mise en place constitue un outil d’aide à la conception qui, sur la base de l’analyse des usages, permet de repérer des produits à développer et des fonctions à implémenter qui soient synergiques avec le véhicule électrique pris dans son ensemble. Ainsi, en ne limitant pas notre étude au périmètre du powertrain, avons-nous été en mesure de donner aux autres branches de Valeo des éléments de réponse aux demandes auxquelles ils pouvaient faire face (ex : concevoir une clé intelligente pour le véhicule électrique) sans savoir réellement comment y répondre.

5.3.2. L’approche par scénarii appliquée dans l’industrie

Le deuxième apport auquel nous pourrions prétendre concerne l’application dans un contexte industriel d’un type de méthodologie particulier pour prendre en compte les usages : l’approche par scénarii. Il ne s’agit pas en soi d’une innovation méthodologique puisque ce type d’approche est déjà très fréquemment utilisé dans le domaine des services, des NTIC et des logiciels comme le montre une bonne partie de la littérature qui nous a servi de référence (Carroll, 1999; Pascal et Rouby, 2006; Potts, 1995).

Toutefois, différents éléments nous ont conduits penser que ce type de méthodologie n’était que faiblement utilisé dans l’industrie et particulièrement dans l’industrie automobile. D’une part, nous n’avons trouvé aucune littérature sur l’utilisation de scénarii d’usage en phase de conception dans un contexte industriel. D’autre part, nous avons longuement échangé avec un designer qui a lui-même souvent recours aux scénarii pour la conception de sites internet ou de services à la personne mais ne les a jamais vus appliqués à l’industrie. Finalement, nous avons pu constater que notre méthode a suscité un certain engouement à différents niveaux en interne et en externe ce qui nous laisse penser qu’il ne s’agit pas d’une pratique couramment utilisée.

5.4. Les perspectives industrielles envisageables

5.4.1. Livrables pour Valeo

Afin que Valeo puisse capitaliser sur les travaux que nous avons menés au cours des 16 mois passés dans l’entreprise, nous avons mis à leur disposition un ensemble de livrables :

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● Une présentation de la méthode et du processus d’exploration permettant à toute personne de pouvoir la réappliquer de façon simple et immédiate dans le but d’en faire un nouvel outil à disposition des équipes R&D et marketing en phase de conception; ● Une liste des solutions (fonction + objet technologique) mises en regard des problèmes qu’elles permettent de résoudre; ● Un classement des objets technologiques synergiques avec le véhicule électrique en terme d’usage; ● Une explication détaillée des configurations d’usage citées dans la partie 3; ● Un certain nombre de scénarii d’usage détaillés avec mise en avant des problèmes repérés; ● Des insights sur certains points permettant de partager avec les membres de Valeo les connaissances que nous avons pu acquérir sur des thématiques soulevées par l’exploration (lieux de charge, moyen de communication à distance, calcul de l’autonomie, etc.).

5.4.2. Perspectives pour la méthode

5.4.2.1. Réutilisation de la méthode pour alimenter le processus de conception

En développant cette méthode d’exploration concourante des usages et des technologies, nous avons fourni un nouvel éclairage à Valeo permettant de repérer des opportunités de développement de produits synergiques avec le véhicule électrique en terme d’usage. La mise en pratique de cette méthode nous a tout d’abord permis d’enrichir la connaissance de Valeo sur les usages automobiles au travers d’un certain nombre de scénarii pouvant être réutilisés de façon immédiate aussi bien dans un contexte de motorisation électrique que thermique. En effet, Carroll suggère que la documentation et l’explication de scénarii d’usage offre un compte-rendu d’un ensemble de situations possibles qui peut être immédiatement réemployé dans des travaux futurs de conception en revisitant les scénarii de différentes façons (Carroll, 1999). Au delà de cette réutilisation possible des scénarii déjà développés, Valeo dispose également d’un nouvel outil permettant de construire et d’analyser d’autres scénarii.

Ceci peut, d’une part, servir à poursuivre le travail commencé sur le véhicule électrique. En effet, il va de soi que nous n’avons pu mener une exploration exhaustive des

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Page 84 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 scénarii d’usage et de leurs interactions avec l’électrification de la motorisation et les objets technologiques déjà repérés. Dès lors, notre travail peut être complété de différentes façons : en détaillant certaines sous-configurations d’usage que nous n’avons pas eu le temps d’explorer en profondeur (ex: voiture de fonction; différence entre libre-service et autopartage; cas des voitures louées) ou en appliquant la méthode à partir d’autres catégories d’usage (nous nous sommes en effet particulièrement concentrés sur l’”utilisateur” et dans une moindre mesure sur le “propriétaire” et il pourrait être intéressant de faire un travail de cartographie et d’élaboration des scénarii sur les catégories “maintenance”, “dépannage” ou “vandalisme”).

D’autre part, cette méthode peut également permettre d’explorer de nouveaux produits en dehors d’un éventuel lien avec le véhicule électrique. Pour cela, la condition principale à remplir est que l’objet s’ancre dans un usage existant (ce qui est souvent le cas dans le contexte automobile) qu’il va falloir transposer ce qui pourra potentiellement occasionner des problèmes. Il s’agit en effet majoritairement d’essayer de prendre en compte les répercussions éventuelles d’une évolution technologique sur l’usager.

5.4.2.2. Suggestions d’organisation pour réappliquer la méthode

Au vu de la mise en pratique que nous avons pu faire de notre méthode au cours du projet de Master, nous pouvons formuler un certain nombre de recommandations concernant l’organisation du processus d’exploration afin de permettre d’organiser au mieux d’éventuelles explorations futures.

Tout d’abord, nous suggérons que l’exploration soit menée au cours de séances de réflexion durant entre deux et trois heures et rassemblant un nombre réduit de personnes (cinq au maximum) afin d’enrichir l’élaboration des scénarii d’usage, la détection des incohérences d’utilisation et la proposition de solutions sans ralentir ni alourdir l’exploration par la prise en compte de nombre trop élevé de points de vue. Nous conseillons, par ailleurs, que les participants à ces séances soient issus d’univers différents. En effet, nous avons pu constater durant notre projet l’apport bénéfique de la complémentarité de nos profils permettant de prendre en considération un nombre accru d’éléments. Ainsi pourrait-il être opportun de faire interagir des personnes en interne (issus des départements marketing, R&D et design par exemple) ainsi que des représentants des clients (constructeurs automobiles dans le cas de Valeo) et des utilisateurs.

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Afin d’assurer le bon déroulement du processus, il est nécessaire de désigner un “responsable de l’exploration” qui dispose d’une bonne connaissance des enjeux technologiques et stratégiques relatifs à l’objet sur lequel porteront les réflexions et qui coordonnera l’ensemble du processus (avant, pendant et après les séances de réflexion). Le “responsable de l’exploration” devra ainsi rédiger un compte-rendu détaillé comprenant les scénarii élaborés, les problèmes détectés et les solutions proposées et assurer la gestion et le suivi de l’exploration (celle-ci peut en effet rapidement et facilement se perdre dans les décompositions et hypothèses multiples) : il doit savoir à l’avance les configurations et macro-scénarii à étudier et faire avancer l’exploration quand on ne trouve plus rien sur un scénario ou qu’on se perd dans le détail de la décomposition des scénarii ou des hypothèses prises.

Concernant le processus en lui-même, nous suggérons d’adopter la chronologie suivante : - dresser, au préalable à toute séance, un rapide panorama des catégories d’usage et configurations d’usage pertinente ou sur lesquelles l’on souhaite se concentrer - réaliser une première séance (éventuellement avec un représentant du client) dans laquelle on discute de ces configurations d’usage - élaborer ensuite un certain nombre de macro-scénarii approximatifs qui serviront de base à la réflexion en séance - réaliser une série de séances en interne (avec des représentants du marketing, du design et de R&D) destinée à l’élaboration des scénarii, au repérage des problèmes, et à la proposition de solutions - (éventuellement) réaliser une série de séances avec des représentants des clients, au cours desquelles seront étudiés des scénarii moyennement détaillés (pour apporter des éléments aux participants sans leur dévoiler de contenu stratégique et sans brider leur imagination avec des scénarii tellement décomposés qu’ils ne laissent plus de place à une quelconque évolution) - (éventuellement) réaliser, de la même façon, une série de séances avec des représentants des utilisateurs - (éventuellement) réaliser une séance interne de confrontation des différents éléments analysés d’une part en interne et d’autre part en externe avec les clients et les utilisateurs.

5.4.2. Perspectives pour les solutions proposées

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Comme nous l’avons vu dans les parties précédentes, face aux infélicités dues à l’impact de l’électrification sur le dominant usage, nous avons proposé un certain nombre de solutions qui se composent d’une fonction associée à un ou plusieurs objets technologiques. Nous avons ensuite classé ces objets en fonction du niveau de criticité des infélicités auxquelles ils répondent et de leur nombre d’occurences. Voyons maintenant quelle suite pourrait leur être donnée au sein de Valeo.

5.4.2.1. Etude de la brevetabilité et de la demande client

La première chose que nous conseillons avant de s’interroger sur l’éventuel développement des solutions proposées est d’en étudier la brevetabilité. En effet, pour chacune, nous avons montré dans quel contexte elle pourrait intervenir et à quel problème elle pourrait s’adresser. Il s’agit ensuite de savoir si ces solutions existent déjà à l’état de produits ou de brevets. Si ce n’est pas encore le cas, Valeo devra rapidement étudier la pertinence technologique et stratégique ainsi que les conditions d’une éventuelle brevetabilité (par exemple, en termes d’étendue et de revendications).

La deuxième étape consiste à savoir pour chaque solution repérée s’il existe déjà une demande client en ce sens qui n’ait pas encore été résolue, auquel cas, la solution en question pourra rapidement s’avérer gagnante pour Valeo en réponse à la demande du constructeur.

5.4.2.2. Un travail de sélection multidisciplinaire Une fois ces deux questions préliminaires posées, se pose celle de l’avenir des solutions repérées au sein de Valeo.

Avant d’entamer des réflexions plus poussées, il serait premièrement réaliser une introspection au sein de Valeo pour savoir s’il existe des projets en cours, déjà réalisés ou abandonnés en lien avec les objets technologiques et fonctions proposés. Des suites différentes peuvent en effet être données à ces solutions en fonction des résultats de cette première recherche en interne.

Pour les objets associés à un projet présent ou passé chez Valeo, les fonctions que nous avons repérées pourraient permettre d’en compléter le cahier des charges. D’où la nécessité d’étudier la possibilité d’y ajouter les fonctions mises en avant par notre méthode en fonction de plusieurs éléments : Valeo - “Interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles”

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● L’état d’avancement du projet ● Le temps de développement vs le calendrier du projet ● Les compétences internes présentes vs à acquérir ● Les possibilités et contraintes technologiques du projet vs la facilité de développement de la fonction ● Les coûts vs la valeur supplémentaire

Pour les objets n’ayant jusqu’ici pas fait l’objet d’un projet au sein de Valeo, un certain nombre de questions doivent être analysées : ● L’objet correspond-t-il à une des activités cœurs de Valeo? Si oui, ● Quels sont les concurrents éventuels? ● Cet objet représente-t-il une opportunité d’enrichir le portefeuille produits de Valeo? ● Quels retours (stratégiques, financiers, en terme d’image) peut-on attendre si on lance le projet? Si non, ● Quels sont les acteurs potentiellement présents sur le sujet? ● Cet objet entre-t-il en adéquation avec la stratégie globale de Valeo? Représente-t-il une opportunité d’élargir le périmètre d’activité de l’entreprise? ● Cet objet entre-t-il en adéquation avec la perception de Valeo par les clients? ● Quels retours (stratégiques, financiers, en terme d’image) peut-on attendre si on lance le projet?

On voit donc à travers toutes ces questions l’importance du travail pluridisciplinaire qu’il reste à mener sur la base des résultats de notre étude en intégrant notamment les départements stratégie, R&D, marketing, business développement, finances et propriété intellectuelle.

5.5. Perspectives académiques

5.5.1. Intégrer la criticité d’usage dans les calculs de full value

Nous avons présenté une méthode qui consiste à imaginer l’usage des véhicules électrifiés en supposant que l’utilisateur restera ancré dans ses habitudes d’interaction avec la voiture conventionnelle. Nous avons mis en valeur deux types de dysfonctionnements qui

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Page 88 sur 96 Master Projet Innovation Conception Promotion 2010-2011 peuvent être issus de cette transposition, sur un objet nouveau, d’usages construits autour du “produit parent”. Nous avons proposé un classement de ces problèmes potentiels en se basant sur la notion de criticité. S’il semble difficile de quantifier cette notion, nous pouvons chercher à s’approcher d’une valeur objective de la criticité. En s’inspirant de l’approche employée dans la méthode de Full Value (Maniak, 2010), nous pouvons nous baser sur un panel de personnes qui attribueront une note chiffrée à chaque dysfonctionnement. Dans l’évaluation des objets technologiques constituant une solution à ces problèmes, notamment la méthode de Full Value, la criticité des dysfonctionnements qu’ils permettent d’éviter pourrait être intégrée comme un paramètre supplémentaire.

5.5.2. Articulation de la méthode avec la théorie C/K

L’application de la méthode présentée permet de repérer des dysfonctionnements potentiels. En réponse à ces problèmes, nous avons cherché dans l’espace des technologies connues et appartenant au périmètre de l’équipementier, des couples fonctionnalités/objet(s). La résolution des problèmes rencontrés se caractérise ainsi par une optique pragmatique de disponibilité à court terme de la solution. Une approche différente et plus systématique peut être mise en œuvre. Face aux problèmes formulés, une analyse C/K peut être mise en place afin d’explorer le champs des solutions possibles. Les solutions technologiques déjà disponibles correspondent à des conjonctions entre l’espace des concepts et celui des connaissances. Une utilisation systématique de l’explotaion C/K pousserait l’équipementier à envisager des solutions issues de partitions expansives. Cette méthode générerait un éventail plus large de solutions et alimenterait l’approche par générations successives ou, au contraire, pourrait enclencher des ruptures, notamment dans le champs des objets technologiques mobilisés (nouvelles technologies, etc...).

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Conclusion

Nous avons ainsi montré que la résurgence du véhicule électrique a pris la forme d’une électrification des modèles existants. Cette transformation a modifié les performances affichées par la voiture et l’ensemble de la filière automobile a cherché à réduire cet écart en se concentrant sur l’enjeu de réduction de la consommation. En parallèle de cette polarisation énergétique, les constructeurs ont pu explorer par le biais de l’expérimentation les nouveaux usages qui vont accompagner l’électrification de la motorisation. Pour parvenir à prendre en compte l’utilisateur final dans son effort d’innovation, l’équipementier peut s’appuyer sur une méthode imaginative qui lui permet d’anticiper l’évolution des usages et de préparer des produits qui lui permettront d’être force de proposition vis à vis du constructeur.

La méthode que nous avons développée se base sur une cartographie des usages orientée par les cibles marketing auxquelles les constructeurs ont destiné le véhicule électrique. Les décompositions successives permettent de générer un ensemble de scenarii d’usages du véhicule thermique. L’électrification de la motorisation apporte des modifications à ces séquences d’actions, donnant lieu à des dysfonctionnements potentiels que l’on cherche à éviter en implémentant des fonctionnalités sur des objets existants. La méthode permet d’organiser une réponse technologique à des problèmes qui surviendront sur les premiers modèles de véhicules électriques et de préparer les innovations qui seront intégrées dans les générations suivantes.

L’interaction entre l’électrification de la motorisation et les usages automobiles est ainsi un processus itératif qui a comme point de départ le dominant usage du véhicule thermique. La construction d’une connaissance détaillée de ce dominant usage est une condition nécessaire pour imaginer l’impact de la modification de l’objet « voiture » sur la façon dont l’utilisateur interagira avec cet objet. L’imagination ne porte pas ici sur les usages possibles du concept de « véhicule électrique », mais sur l’utilisation effective qui sera faite des premiers modèles déjà connus.

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Annexes

Annexe 1 : Liste des modèles de véhicules tout électriques par constructeurs

(Source : http://www.voitureelectrique.net/marques)

-AMP : Equinox -Artega : Artega SE -Audi: Audi E-Tron -BAIC: BE701 -Bolloré-Pininfarina: Blue Car -BMW: Mini-E | Active E Concept | Megacity -Buddy : Buddy France -BYD: BYD E6 -Citroën: Citroen C-Zero -Chrysler: Dodge Circuit -Courb : C-Zen et C-Top -Dok-Ing : XD Concept -Eco & Mobilité : SimplyCity SC4P | Simplycity Sun -Epic Electric Vehicles : Epic Torq EV et Epic Amp -Exxon Mobil: Maya 300 -eWolf: EWolf e1 et e2 -Fam Auto: F-City -Ford: Ford Focus électrique | Ford Transit BEV -GM : Chevrolet e-Spark -Gordon Murray : T.27 electrique -GreenGo Tek: Ggt Cozmo -Green Vehicles : Triac -Heuliez: Heuliez Mia | anciennement: Heuliez Friendly -Honda: Honda EV-N | EV | Honda Hello -Hyundai: BlueOn | i10 Blue Drive | Sonata electrique -Jaguar : C-X75 concept | XJ electrique

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-Kia : Naimo | Kia Venga EV | Kia POP -Lightning Car Company: Lightning GT -Li-ion Motors : Inizio et Wave II -Lotus électrique -Lumeneo: Lumeneo Neoma | Lumeneo Smera -Luxgen : Luxgen EV + -Mercedes : classe A E-Cell | SLS AMG e-cell -Mitsubishi: i-Miev -Mute automobile : Mute Concept biplace -Myers Motors: NmG2 -: | Esflow concept | Nissan Land Glider | Leaf Nismo RC -Panda: Tobe Panda -Peugeot: Peugeot Ion (=miev modifiée), Peugeot BB1 | EX-1 concept -Porsche toute-electrique : Porsche Boxster E -Protoscar Protoscar Lamp02 -Renault: Renault Zoé | Renault Fluence électrique | Kangoo Be-Bop Ze | | Renault DeZir |Frendzy -Reva: Reva NXR | Reva Li-ion -Rinspeed : Rinspeed UC -Saab : 93 ePower -Saic (Chine) Saic Roewe1 -Sim-Drive: Luciole, Eliica, Kaz -Smart: Smart ForTwo ED -Tazzari: Tazzari Zero -Tesla Motors: Tesla Roadster | Tesla Model S -TE: Toronto Electric Option 1 -Think : Think City -Toyota: RAV4 electrique | FT-EV 2 Concept -Véléance : Triode et Quatode -Venturi : Fetish | America et Antarctica -Volkswagen : E-Up | Bulli electrique concept -Volvo : Volvo C30 electrique BEV -Wheego: Wheego Whip -Zap: Zap Alias

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Annexe 2 : Mapping de certains modèles de véhicules électriques

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