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Toute citation doit être accompagnée de la référence complète (titre de la revue, auteur et titre de l’article, année, numéro, page). Revue Musicale de Suisse Romande 60ème année, n° 4 Décembre 2007

H o d l e r et la musique Voie d’études Master de Direction (MA in Music) dès 2008/09 Direction artistique: Prof. Ralf Weikert

Objectifs Examens d’admission Capacité d’assumer la direction 11 et 12 avril 2008 de concerts et d’opéras sur le plan national et international Informations complémentaires Spécialisations www.hslu.ch/musik - Direction d’orchestre et d’opéra: Ralf Weikert - Direction chorale: Stefan Albrecht, Ulrike Grosch, Pascal Mayer - Ensembles à vents: Ludwig Wicki Manifestations 2007/08 Invités - 21 au 24 janvier 2008: - Bernard Haitink: Cours de maître Cours de maître de - Karl Anton Rickenbacher: Atelier direction avec Bernard - Achim Fiedler: Festival Strings Haitink

Collaborations - 29 février/1 mars 2008: - Lucerne Festival Academy Atelier Direction de - Luzerner Theater récitatifs avec Ralf Weikert - Luzerner Sinfonieorchester - Festival Strings Lucerne - 4 et 5 avril 2008: - Collegium Musicum Luzern Atelier Symphonie clas- (instruments d’époque) sique avec Ralf Weikert 60ème année, n° 4 Décembre 2007

É d i t o r i a l

Vincent Arlettaz 3

D o s s i e r

Ferdinand Hodler et la musique Vincent Arlettaz 4

La rétrospective Hodler du Musée d’Orsay A. Pecqueur 28

Contrepoints artistiques Antoine Pecqueur 30

A c t u a l i t é s

Jean Balissat, 1936-2007 31

Claves, les destinées d’un label helvétique V. Arlettaz 32

Brigitte Balleys, mezzo-soprano Antoine Pecqueur 38

Musicologie

Trois entretiens inédits de Darius Milhaud avec Stéphane Audel (1956), suite Malou Haine 42

L i v r e s

Victoria-Hall, par Metin Arditi Vincent Arlettaz 54

Publications reçues (février-novembre 2007) 55

D i s q u e s Jacques Viret

Les Helvétiques 56

Découverte 59 Après une longue période de désamour, Ferdinand Hodler est certainement considéré É d i t o r i a l aujourd’hui comme un des plus grands artis- tes suisses de tous les temps. Ayant dû lutter de son vivant pour imposer ses conceptions à des compatriotes récalcitrants, il fut reconnu tardivement : en 1904, l’exposition de la Sécession viennoise lui ouvrit enfin les portes deRevue Suisse Romande de la gloire et de la fortune. Dès lors, les com- Musicale mandes officielles se multiplièrent, non sans http ://www.rmsr.ch/ scandales retentissants d’ailleurs. Mais quel- ques décennies après sa mort, l’artiste avait perdu une grande part du prestige qu’il avait Fondée en 1948 à Lausanne sous le nom de « Feuilles Musicales », la Revue mis si longtemps à conquérir. Récemment, Musicale de Suisse Romande a reçu son titre définitif en 1963. Elle est la tendance s’est enfin inversée : après l’ambi- aujourd’hui réalisée avec le soutien de la Loterie Romande. tieuse rétrospective du Musée Rath de Genève et du Kunsthaus de Zurich en 2003-2004, le Musée d’Orsay consacre aujourd’hui au pein- Comité d’honneur tre suisse une exposition de grande ampleur ; sur le marché de l’art, le prix de ses toiles s’est Mme Elisabeth Furtwängler envolé ; et nous découvrons, comme étonnés, Mme Pascale Honegger l’importance d’une œuvre qui rivalise avec Mme Martha Schuricht celle des plus grands. M. Michel Corboz L’époque de Hodler, marquée par un foison- M. Charles Dutoit nement artistique et intellectuel extraordi- M. Léonard Gianadda naire, est le lieu où se croisent de multiples M. Serge Gut courants, où l’idée de modernité se cristallise M. Tobias Richter autour de ses thèmes fondateurs, et où des M. Karl Anton Rickenbacher esprits audacieux imaginent de nouvelles for- M. András Schiff mes de passerelles entre les arts. Longtemps méconnues, les relations de l’œuvre de Hodler avec la musique sont d’une richesse Éditeur Nouvelle Société de la Revue Musicale de Suisse Romande, insoupçonnée et n’avaient jusqu’ici jamais été Lausanne Rédaction & administration 39, rue de la Colombière, CH- abordées de manière systématique et appro- 1926 Fully, tél. +41 79 693 03 81, fax +41 27 746 13 77, [email protected] Publicité Monique Jorg, 72, rue de Montchoisy, CH-1207 Genève, tél. +41 fondie. La Revue Musicale a donc le plaisir de 22 700 1983, [email protected] Abonnement Voir bulletin de souscription vous présenter aujourd’hui cette face cachée en troisième page de couverture. de l’artiste qui, plus que nul autre, a exalté la beauté des paysages suisses, et dont l’œuvre Couverture : est empreinte d’une force rythmique dans Imprimé en Suisse. Prix de vente au numro : 13 francs suisses. Autoportrait parisien, 1891 Genève, Musée d’Art et d’Histoire laquelle Émile Jaques-Dalcroze voyait l’ex- Prochain numéro : mars 2008. @ Bettina Jacquot-Descombes pression de notre « tempérament national ».

Ferdinand Hodler et la musique Ferdinand Hodler et la musique par Vincent Arlettaz

odler et la musique ? À un premier coup d’œil superficiel, il sera sans doute difficile de dissimuler une certaine déception : dans l’ensemble de l’œuvre Hachevé de Hodler, les sujets musicaux sont en effet virtuellement inexis- tants. Ce constat est assez étonnant, dans la mesure où l’artiste aurait certainement eu de multiples occasions d’introduire l’un ou l’autre chanteur ou instrumentiste dans ses toiles ou dans ses grandes fresques historiques. Mais le fait est là : les rares cas que l’on peut pratiquement signaler appartiennent tous à des esquisses qui, par- venues à un stade plus ou moins avancé, ne furent néanmoins pas exploitées par la suite. Elle représentent par exemple une chanteuse s’accompagnant d’une guitare (vers 1910 ?), deux accordéonistes (1908) ou encore, dans une étude de costumes pour La retraite de Marignan, deux soldats suisses de la Renaissance, jouant res- pectivement de la flûte traversière et de la cornemuse (1896). Ce dernier cas, à la vérité, ne laisse pas d’intriguer : connaissant l’importance considérable que jouait la musique dans l’organisation des armées suisses de la Renaissance – dont elles consti- Fig. 1 : La pointe d’Andey, vue de Bonneville (Haute-Savoie) (1909). Paris, Musée d’Orsay tuaient même un élément crucial du point de vue tactique – on aurait pu imaginer © Patrice Schmidt, Paris, Musée d’Orsay que notre peintre, ne serait-ce que par amour de la reconstitution historique, aurait tout naturellement trouvé l’occasion de rendre hommage à l’art des sons. Mais il graphiques qu’il rédigea en 1891 pour son ami poète et journaliste Louis Duchosal n’en est rien ; et il faut bien se rendre à l’évidence : Hodler, d’un point de vue esthéti- pour s’en convaincre : que, n’était pas intéressé par les instruments de musique, ni par les attitudes souvent frappantes de ceux qui en jouent. Cela ne signifie nullement qu’il ait été totalement « Lorsque je n’avais rien à manger à déjeuner, je grimpais sous le toit dans ignorant de notre art ; bien au contraire, il le pratiqua, avec une certaine passion mon atelier, et je jouais un air sur ma guitare, ce qui me faisait reprendre même si l’on en croit le témoignage de ses proches ; et d’autre part, les concepts courage ». musicaux sont omniprésents dans la réflexion qu’il mena sur son art, tout au long de sa carrière. Voyons tout cela d’un peu plus près. Plus tard, alors même que sa situation matérielle sera nettement améliorée et sa notoriété assise, Hodler n’en continuera pas moins à pratiquer la musique, en par- ticulier dans les moments où il lui était nécessaire de compenser un effort soutenu ; Hodler musicien c’est ainsi que nous en parle en tout cas son premier et principal biographie, Carl Albert Loosli : Comme il le relève lui-même, dès les débuts de sa carrière Hodler trouva dans la musique un réconfort dans les moments de détresse. Il n’est que de lire les notes bio- « Avec ses modèles, [Hodler] était un bon diable [ein guter Kerl] comme on dit, bien qu’il fût très exigeant envers eux, qu’il les fatiguât beaucoup, et (1) Ferdinand Hodler, Katalog von Jura Brüschweiler, Zürich, Galerie Römer, 1986, N° 32. (2) C. A. Loosli : Ferdinand Hodler, Leben, Werk und Nachlass, vol. 2, Bern, Suter, 1922, N° (4) Jura Brüschweiler (éd.) et Madeline Jay (trad.) : « A selection from the writings of Ferdinand 14. Hodler », in : Peter Selz (éd.) : Ferdinand Hodler, Berkeley, University Art Museum, 1972, (3) Ibid., vol. 4, Bern, Suter, 1924, N° 6. p. 111-125 ; p. 113.

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qu’il ne fût pas souvent en état de comprendre pourquoi ils tombaient de parfois comme un enfant. Il prenait son harmonica et souvent nous devions sommeil avant lui. Lorsque ce dernier cas se produisait, ou lorsqu’il voulait l’empêcher de danser en jouant. »10 simplement se délasser lui-même un instant et que quelques amis étaient justement présents, aussitôt était exécutée une exubérante danse d’indiens, C. A. Loosli fournit même à ce sujet quelques indications plus précises : pour laquelle il se saisissait sans pitié d’une arme, d’un tambour, de l’harmo- nica [Handharmonika], bref, de tout ce qui se trouvait à portée de sa main. « [Hodler] était de nature sociable, et ce qui donnait à sa compagnie un Il chantait alors avec prédilection une pantomime. Après qu’on eût ainsi charme savoureux, c’était sa bonne humeur, qui ne se troublait presque fait du tapage comme des enfants, jusqu’à perdre haleine, habituellement jamais. Il pouvait se réjouir comme un écolier, et son talent particulier, qui Hodler se rasseyait à son chevalet et continuait à travailler, comme si rien ne savait trouver en toute situation ce qu’il y avait d’amusant, ne souffrait aucune s’était passé. » fatigue. Il avait néanmoins une faiblesse : son accordéon [Ziehharmonika]. Il en possédait toujours une demi-douzaine, qui gisaient çà et là dans son Ces témoignages sont confirmés par plusieurs documents iconographiques. Par atelier, habituellement dans un état pitoyable. Lorsque d’aventure il venait à exemple, une pochade à l’huile exécutée par Marc Odier, et datée de 1878, représente Berne, il s’en achetait d’ordinaire un nouveau qui venait s’ajouter aux autres Hodler (c’était encore un tout jeune homme) jouant de la guitare. L’accordéon et – avec le conseil expert de Max Buri lorsque celui-ci était encore vivant ; à le tambour sont pour leur part attestés par quelques photos datant au contraire de cette occasion, une flûte en métal de première qualité m’échoyait habituel- la fin de sa vie, et montrant un Hodler gouailleur manipulant ces instruments dans lement. L’accordéon de Hodler était très connu dans les milieux artistiques, son atelier ou dans la cour attenante. Quant à la guitare, même si elle semble avoir et appartenait aux accessoires incontournables de nos fêtes joyeuses. Il en été délaissée dans un deuxième temps, elle figure également sur un cliché, à moitié jouait certes modestement, mais volontiers. Et lorsque la gaieté était par- cachée contre un mur. Cette pratique musicale spontanée, voire ingénue, est encore venue à son sommet, lorsqu’on se sentait tout à fait comme des poissons documentée par d’autres témoignages, dont celui de Stéphanie Guerzoni, disciple dans l’eau, il jouait régulièrement la célèbre et fière chanson suisse : « Bei de Hodler : Sempach der kleinen Stadt – ». [« Près de Sempach, petite ville »] Il l’entonnait d’ailleurs d’habitude faux, c’est-à-dire avec une accentuation vrombissante « Aussitôt qu’il se sentait bien, que nous étions entre intimes, à l’atelier, de la mesure, et d’occasionnelles erreurs de doigté – auxquelles il fallait tou- Hodler retrouvait toute sa gaieté et son entrain. Après le travail, il s’amusait jours s’attendre – mais il la jouait avec application et enthousiasme. Ensuite venaient une valse, une polka et une schottisch. Je peux certifier sous le sceau du serment que son répertoire n’allait pas au-delà de ces quatre morceaux, mais nous les réécoutions toujours avec plaisir, car lorsqu’il se mettait à (5) C. A. Loosli : Ferdinand Hodler, Zurich, Rascher & Cie, 1919 (Textband), p. 217. jouer de l’accordéon, Hodler était dans son élément, il était débonnaire et Traduction nôtre. joyeux. »11 (6) Willy Russ : Mes souvenirs sur Ferdinand Hodler, Lausanne, Editions de l’Arbalète, 1945, face à la p. 32. Comme on le voit, Hodler n’aurait eu à l’accordéon qu’une habileté relative, et (7) Heinz Bütler (éd.) : Ferdinand Hodler – Das Herz ist mein Auge, Bern, Benteli, 2004, p. surtout un répertoire bien restreint. Mais il reste indéniablement intéressant de 123. constater que la musique, pour lui, est associée à la joie de vivre, aux instants de (8) Ferdinand Hodler, Views & Visions (Cincinnati Art Museum, 1994), Zurich, Swiss Institute délassement, de réjouissance avec des amis, voire de réconfort dans une situation for Art Research, 1994, frontispice ; Heinz Bütler : Ferdinand Hodler – Das Herz ist mein difficile. Sa passion de collectionneur est par ailleurs également attestée par l’un de Auge (op. cit.), p. 122. Ferdinand Hodler : exposition, Paris, musée d’Orsay, Paris, Réunion des musées nationaux, 2007, p. 256. Ces photos auraient été prises en 1915, après une ses premiers mécènes, le neuchâtelois Willy Russ : cure d’un mois en France, cf. Isabelle Cahn : « Sous peu je serai connu à Paris. Réception critique de Hodler en France 1881-1913 », in : Ferdinand Hodler : exposition, Paris, musée d’Orsay (op. cit.), p. 220. (9) Bernhard von Waldkirch (éd.) : Ferdinand Hodler, Zeichnungen der Reifezeit, 1900-1918, (10) Stéphanie Guerzoni : Ferdinand Hodler, sa vie, son œuvre, son enseignement, souvenirs aus der Graphischen Sammlung des Kunsthauses Zürich, Zürich, Kunsthaus, 1992, p. 8. personnels, Genève, P. Cailler, 1957, p. 118. Photo datée dans ce catalogue de 1911 ; on distingue deux manches de guitare dans (11) C. A. Loosli, Ferdinand Hodler, Zurich, Rascher & Cie, 1919 (Textband), p. 222-223. l’arrière-fond. Traduction nôtre.

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– Oh ! je le connais, ce « Grammont » ! Il est maintenant chez moi ! lui dis-je. – Comment ! il vous l’a vendu ? – Mais oui ! J’étais une fois dans son atelier et pensais lui acheter quelque chose. Je découvre ce tableau et lui propose de me le vendre. Il a accepté sans autre, et voilà. – Ah ! bien, j’espère qu’il vous l’aura fait payer cher ! Tant mieux pour lui et pour vous. Mais laissez-moi vous jouer encore cette valse. »12

On le voit, en tout cela, les goûts musicaux de Hodler s’avèrent essentiellement populaires ; de même, dans le domaine de la chanson – comme nous le rappelle Jura Brüschweiler – la mélodie italienne « O sole mio » avait sa préférence13. Mais toutes ces informations ne doivent pas nous dissimuler le fait que le peintre, par l’intermé- diaire de ses amis et relations, a certainement pu connaître le répertoire classique. Il fut notamment lié au poète symboliste Louis Duchosal (1852-1901), qui fut le centre de gravité d’un groupe de jeunes artistes et intellectuels répondant au nom de « Cercle indépendant »14, et dont le but était de secouer la torpeur de la Cité de Calvin en matière culturelle, d’y promouvoir l’œuvre de Wagner, de Mallarmé, de Verlaine et de Schopenhauer15. Avec Émile Jaques-Dalcroze16, que nous retrouve- rons plus tard, Hodler fut associé à ce mouvement, qui assuma même pour un temps la publication de l’éphémère Revue de Genève. Il semble difficile d’imaginer que le Fig. 2 : Emotion II (1901-1902), collection particulière © Insitut suisse pour l’étude de l’art, Zurich jeune peintre ait été totalement ignorant des admirations musicales de ses collègues, qui furent d’ailleurs à cette époque ses seuls soutiens, dans une ville qui s’éveillait « Hodler m’a toujours reçu très aimablement. Une fois, trouvant par extra- alors à peine à l’art moderne. Et sans doute Hodler aura-t-il apprécié au moins une ordinaire le jardin ouvert, je frappai directement à l’atelier. Il en venait des partie des compositeurs qu’il aura pu connaître dans ce contexte. Bien que très rares, sons entraînants d’accordéon, et je dus m’y prendre à plusieurs reprises pour les témoignages à ce sujet ne sont pas ambigus ; écoutons plutôt ce qu’en dit son me faire entendre. Enfin Hodler vint ouvrir et me dit simplement : « Ah ! élève, Stéphanie Guerzoni : C’est vous ? Entrez, je vais vous jouer un morceau épatant ! » Il jouait en effet fort bien et maniait avec dextérité un énorme instrument. « À l’annonce de la mort de Debussy : « Quel dommage de mourir si jeune – Savez-vous, me dit-il, d’ou me vient cet accordéon ? Je l’ai acheté à mon quand on a en soi un si merveilleux et inépuisable trésor. » »17 ami Buri, ou plutôt non, j’ai fait un échange avec lui. Un jour que je me trouvais dans son atelier à Brienz – il y avait là aussi, je crois, Amiet, Rodo (12) Willy Russ : Mes souvenirs sur Ferdinand Hodler, Lausanne, L’Arbalète, 1945, p. 63-65. et Trachsel – il joua de cet instrument à me donner une envie folle de le posséder ! Je lui dis : « Buri, tu ne voudrais pas me vendre ton instrument ? (13) Ferdinand Hodler, Katalog von Jura Brüschweiler, Zürich, Galerie Römer, 1986, N° 32. – Jamais de la vie », qu’il me répond. Un moment après, il vint à moi : « Tu (14) Verena Senti-Schmidlin : « Ferdinand Hodler et Émile Jaques-Dalcroze, une rencontre », in : Ferdinand Hodler et Genève, Genève, Musées d’art et d’histoire, Neuchâtel, La sais, Hodler, si tu tiens tant à mon accordéon, je l’échangerai contre un de Baconnière/Arts, 2005, p. 21-31 ; p. 22. tes paysages ». Ce fut à mon tour de lui dire : « Jamais de la vie » et nous en (15) Jura Brüschweiler : « La Nuit de Ferdinand Hodler. Sources d’inspiration et éléments restâmes là. Mais un jour ne voilà-t-il pas cette charrette de Buri qui s’amène d’interprétation », in : Ferdinand Hodler : exposition, Paris, musée d’Orsay, Paris, Réunion ici avec son accordéon et se met à me jouer tout son répertoire, qui était des musées nationaux, 2007, p. 164. Sharon L. Hirsh : Ferdinand Hodler, London, Thames considérable ? Je n’y tins plus et lui criai : « Eh ! bien, choisis un paysage et and Hudson, 1982, p. 14-15. fous-moi le camp ! » Buri, qui avait les yeux encore plus bleus que les vôtres, (16) Verena Senti-Schmidlin : « Ferdinand Hodler et Émile Jaques-Dalcroze, une rencontre », considère un « Grammont » que je tenais pour une de mes meilleures toiles, in : Ferdinand Hodler et Genève, Genève, Musées d’art et d’histoire, Neuchâtel, La s’en approche et le met tranquillement sous son bras : « Adieu, Ferdinand, et Baconnière/Arts, 2005, p. 21- 31 ; p. 22. merci ! » – Quel salaud, hein ? Et pourtant, je l’aime bien ! (17) Stéphanie Guerzoni : Ferdinand Hodler, sa vie, son œuvre, son enseignement, souvenirs personnels, Genève, P. Cailler, 1957, p. 127.

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« Si j’avais encore cent ans à vivre, je continuerais à exprimer les accords, les Hodler théoricien harmonies de l’humanité. […] J’ai traduit mes sympathies : une rose, un son d’orgue. »20 La relative pauvreté des indications que nous avons trouvées jusqu’ici sera plus que compensée si l’on songe à l’importance considérable que prennent certains concepts Au-delà de telles indications, somme toute assez vagues, Hodler a recours à des musicaux dans la vision de l’art qu’avait Hodler. Ce dernier ne fut pas à proprement concepts musicaux dans deux contextes essentiellement ; d’abord pour ce qui parler un théoricien – du moins pas au sens spéculatif du terme – mais il prit soin concerne la couleur : de fixer par écrit à diverses occasions des réflexions de nature générale sur son art. Le texte le plus achevé qu’il nous ait laissé à cet égard est sans doute la célèbre confé- « La couleur a un charme pénétrant, musical, indépendamment de la rence qu’il prononça à Fribourg en 1897, sous le titre « La mission de l’artiste ». Bien forme. »21 qu’il ne comporte qu’une dizaine de pages, cet écrit est fondamental pour compren- « Le charme des couleurs est surtout dans leurs accords, dans la répétition de dre la pensée de Hodler. Nous disposons d’autre part d’un certain nombre d’autres nuances d’une même couleur. Les harmonies douces semblent vous péné- documents, généralement dans un état assez chaotique, édités après sa mort par trer plus intimement, elles semblent vraiment être les accords favoris du son biographe Carl Albert Loosli18 et par quelques autres. Il s’agit bien souvent de cœur. »22 notes rapides jetées sur des carnets de voyage, de mises au net provisoires, plus tard surchargées et raturées, parfois même de simples indications accompagnant l’un ou Ces idées d’harmonie ou d’accords sont le plus souvent – comme ici – associées à l’autre croquis. Dans l’ensemble, ces brouillons ont la particularité de se répéter l’aspect des couleurs, bien que Hodler les ait parfois aussi mises en relation avec des très souvent, au point qu’on puisse les considérer pour l’essentiel comme des ver- formes ou des mouvements ; ainsi, parlant du célèbre tableau Eurythmie, représen- sions différentes d’un seul et même texte, dont une partie (mais non l’intégralité) se tant cinq vieillards drapés de blanc marchant sereinement vers un même but, qui est retrouve d’ailleurs dans « La mission de l’artiste ». Nous proposons donc de faire un la mort, il déclare : tour d’horizon de ces quelque cent trente pages de notes, et d’y relever les éléments musicaux les plus importants. « Les cinq personnages apparaissent comme des monuments d’architecture S’il n’est guère étonnant de retrouver sous la plume d’un peintre des mots tels ornementée. De grands plis qui accusent la tournure des corps et suivent le que « rythme » pour qualifier un dessin ou « harmonie » pour définir des rapports balancement de leur mouvement régulier, alors que les têtes portent l’em- de couleurs, il faut bien reconnaître que, par l’usage systématique et conscient qu’il preinte d’une même mélancolie. Comme dans les précédentes toiles […], fait de telles expressions, Hodler constitue un cas particulier. Certains termes sont dans celui-ci la recherche dans l’harmonie par des accords semblables est certes utilisés par lui pour communiquer une impression globale assez imprécise, évidente. »23 simplement suggestive. C’est ainsi que, parlant de son tableau Les las de vivre, repré- sentant cinq personnages assis côte à côte, dans des postures effondrées, l’auteur dit Mais bien plus important encore que le concept d’harmonie, le rythme est omnipré- simplement : sent dans le système de Hodler. Cela est dû au fait que toute son esthétique est basée sur le principe de la répétition – qu’il appelle aussi parallélisme. Par exemple, nom- « Les las de vivre. Un son d’orgue. »19 (20) Sylvie Patry : « Ferdinand Hodler, 1853-1918. Une chronologie », in : Ferdinand Hodler : La référence à cet instrument revient ailleurs encore : exposition, Paris, musée d’Orsay, Paris, Réunion des musées nationaux, 2007, p. 18, 4ème colonne. La deuxième partie de cette citation semble empruntée à un texte manuscrit de Hodler conservé à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève, datant de 1917 ou 1918. Cf. Jura Brüschweiler (éd.) et Madeline Jay (trad.) : « A selection from the writings (18) C. A. Loosli : Ferdinand Hodler, Leben, Werk und Nachlass, vol. 4, Bern, Suter, 1924, p. of Ferdinand Hodler », in : Peter Selz (éd.) : Ferdinand Hodler, Berkeley, University Art 179-314. Museum, 1972, p. 111-125 ; p. 119. (19) Jura Brüschweiler (éd.) et Madeline Jay (trad.) : « A selection from the writings of (21) C. A. Loosli : Ferdinand Hodler, Leben, Werk und Nachlass, vol. 4, Bern, Suter, 1924, p. Ferdinand Hodler », in : Peter Selz (éd.) : Ferdinand Hodler, Berkeley, University Art 303. Museum, 1972, p. 111-125 ; p. 118. Cf. aussi C. A. Loosli : Ferdinand Hodler, Leben, Werk und Nachlass, vol. 4, Bern, Suter, 1924, p. 208 : « Die Lebensmüden sind wie ein (22) Ibid., p. 304. Orgelton, sehr ruhig ». (23) Ibid., p. 280.

10 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 11 Dossier Ferdinand Hodler et la musique

bre de ses toiles mettent ainsi, dans Le lac de Thoune aux reflets (1904, fig. 4), des montagnes se reflétant au en scène une série de miroir de l’eau créent une structure géométrique symétrique d’une pureté exception- personnages, souvent nelle. Souvent aussi, ce sont les nuages qui, par leurs alternances striées, suggèrent simplement alignés, l’idée de parallélisme. Formes rythmées au bord du Lac Léman (1908, fig. 3) illustre ou parfois distribués cette dernière possibilité. À ces cas relativement simples pourront s’ajouter toutes sur un arc de cercle, et sortes d’autres distributions plus subtiles ; mais toujours, Hodler est guidé par le cri- généralement au nom- tère de la répétition, auquel il attribue un pouvoir déterminant sur l’effet esthétique. bre de cinq, plus rare- Dans sa vision, le concept de rythme est donc associé directement et intimement à la ment de quatre ou six. forme, au dessin ; voici quelques citations qui permettront de mieux saisir sa pensée C’est le cas notamment à cet égard : pour Eurythmie (1894- 95) qui, comme nous « Si j’entre dans une forêt de sapins où les troncs sont très allongés, j’ai devant l’avons déjà signalé, re- moi, à ma gauche et à ma droite, d’innombrables colonnes formées par ces présente cinq hommes troncs. J’ai autour de moi une même ligne verticale répétée un grand nom- Fig. 3 : Formes rythmées au bord du Lac Léman (1908), collection âgés marchant en silen- bre de fois […]. L’impression de ces multiples lignes verticales est analogue particulière © Institut suisse pour l’étude de l’art, Zurich ce, traversant la scène de à une seule grande ligne verticale ou une surface plane. »24 droite à gauche. De cet- te toile à la beauté austère, véritablement funèbre, Émotion II (1901-02, fig. 2, p. 8) « Sur un sommet, au milieu de la région alpestre, toutes les cimes innombra- constitue en quelque sorte le pendant féminin, optimiste, printanier. Le même prin- bles qui nous entourent, nous produisent une impression analogue encore cipe y est appliqué : au nombre de quatre, les femmes se dirigent cette fois de gauche plus forte qui est due à la répétition des cimes. […] Si je regarde la voûte du à droite. Entre ces figures verticales, disposées de manière régulière sur le tableau, ciel sans nuages, sa grande uniformité me saisit d’admiration. »25 s’instaure un rapport de quasi-équidistance « On voit par toutes ces observations, quel rôle important le parallélisme ou qui, par analogie avec la répétition joue dans la nature et surtout dans les choses qui nous char- le monde des sons, ment le plus, comme les fleurs. »26 peut être qualifié de rythmique. Les ex- « Si le sujet est agréable, la répétition en augmente les charmes, s’il est triste pressions différen- ou douloureux, elle en augmente la tristesse […]. Donc, la répétition consti- ciées des personnages tue une augmentation d’intensité. »27 apportent pour leur part une variété qui « Ici jaillit l’importance du dessin qui est de lui [sic] de ne s’occuper que de la complète la régularité forme. L’étude la plus importante du peintre est celle de la forme ; il passe sa de la composition, et, vie à observer des rythmes de forme et de couleur, qui complète la première ; selon la conception des effets des formes, il subit quelquefois l’influence jusqu’à l’émotion. Le du créateur, harmoni- rythme s’est reflété, incarné en lui comme un virus. »28 se et amplifie son effet musical. Le principe de parallélisme se re- (24) Ibid., p. 201. trouve aussi, et même (25) Ibid., p. 203. de manière particuliè- (26) Ibid., p. 204. rement claire, dans de (27) Ibid., p. 205. nombreux paysages : Fig. 4 : Le lac de Thoune aux reflets (1904), collection particulière © Institut suisse pour l’étude de l’art, Zurich (28) Ibid., p. 251.

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Le principe du parallélisme ne se limite d’ailleurs pas aux seuls aspects artistiques, Widmann publiait le 12 août 1887 une étude sur Hodler dans le quotidien bernois si intéressants soient-ils, mais embrassent la totalité de l’être, comme une véritable Der Bund, et par la suite devait devenir un de ses principaux défenseurs en Suisse philosophie de vie : alémanique. De manière étonnante donc, le premier musicien à avoir reconnu le génie de « Si nous comparons ces phénomènes décoratifs à ceux de notre vie, nous Hodler n’avait encore vu aucune de ses toiles ! Au demeurant, à cette époque le sommes frappés de retrouver le même principe. Nous savons et nous éprou- peintre, âgé de 34 ans, n’avait pas encore trouvé le langage personnel par lequel vons tous par moments que ce qui nous rend un est plus fort que ce qui nous nous le connaissons aujourd’hui. Il faut attendre bien des années avant que l’atten- différencie. Le but et les conditions principales de la vie sont les mêmes pour tion du public soit suffisamment fixée sur Hodler pour que les musiciens prennent tous ; nous avons tous nos joies et nos peines qui ne sont que des répétitions conscience de son importance. C’est chose faite dès la fin des années 1890, à la et qui se traduisent par les mêmes gestes ou des gestes analogues […] »29 faveur des expositions de la « Sécession », fameux mouvement artistique d’avant- garde outre-Rhin, qui fit une place enviable à l’artiste suisse. Plusieurs compositeurs Loin de n’être qu’une simple métaphore, le recours au vocabulaire musical reflète autrichiens vont dès lors s’intéresser de plus près à Hodler. C’est le cas en particu- donc dans la conception de Hodler un élément original du plus haut intérêt. Si nous lier de Gustav Mahler. En 1903 déjà, le chef d’orchestre visite Bâle en compagnie les regardons à la lumière de ces écrits théoriques, nombre de ses tableaux nous appa- de deux amis peintres, Moll et Moser, dont l’intention est de rencontrer Hodler31. raîtront comme des sortes de variations sur un même thème, qui n’est autre que le Mahler, alors en tournée, ne les a certainement pas suivis jusque-là, mais sans doute rythme. Avec leurs figures parallèles omniprésentes – le plus souvent verticales – ces la conversation aura-t-elle plus d’une fois porté sur l’artiste suisse et ses conceptions œuvres constituent en fin de compte des formes visualisées du rythme musical. Et l’on artistiques. À cette époque de sa vie, notamment sous l’influence de sa femme Alma, comprend mieux ce qui a pu amener d’aucuns à affirmer que la peinture de Hodler Mahler se montre curieux des dernières nouveautés dans le domaine des arts plasti- est l’une des plus profondément musicales de son temps. Souvent au nombre de ques. En 1904, l’exposition de la Sécession viennoise permet à Hodler de remporter cinq comme les doigts de la main – mais aussi comme les lignes d’une portée – ses un des plus brillants succès de toute sa carrière. Il fait alors la connaissance de Mahler personnages, qui dansent parfois mais ne chantent jamais, sont comme les tuyaux et de sa femme, Alma – qui lui trouve d’ailleurs un comportement de « Don Juan »32 ; d’un orgue mystérieux, d’où s’élève une musique grandiose et silencieuse. connaissant le caractère turbulent de la vie personnelle de Hodler, il est difficile de donner tort à Alma sur ce point. Plus intéressant, il est certain que la connaissance de Hodler ne resta pas superficielle, et que les conceptions artistiques du peintre suisse, Hodler vu par les compositeurs en particulier sa théorie du parallélisme, étaient parfaitement connues des époux Mahler. Quelques années plus tard en effet, en juillet 1910, Alma écrit à Gustav, Du vivant de Hodler déjà, plusieurs musiciens célèbres se sont intéressés à son œuvre alors à Tolbach, et fait allusion dans sa lettre à la théorie de l’« eurythmie » de Hodler. et nous en ont laissé un témoignage – même si peu d’entre eux sont allés jusqu’à Comme nous l’avons déjà vu précédemment, le peintre suisse attribuait une impor- composer des pièces inspirées de ses tableaux, ou dédiées à lui. Le premier à pres- tance essentielle à la répétition de motifs analogues dans un même tableau. Plusieurs sentir sa valeur n’est rien moins que Johannes Brahms : visitant l’Oberland bernois de ses compositions sont d’ailleurs organisées autour d’une telle répétition, notam- dès 1886, ce dernier se lia d’amitié avec un écrivain et journaliste suisse, Josef Viktor ment le tableau intitulé – justement – Eurythmie (1894-95), avec ses cinq figures de Widmann, qui l’accompagna notamment plusieurs fois dans ses voyage en Italie. vieillards, cheminant en silence vers une destinée commune. Mahler répond à Alma En été 1887, Hodler, organisant de sa propre initiative (et sans grand succès) une sur un ton humoristique, comparant à cette théorie de Hodler les crayonnages de sa exposition de ses œuvres à Berne, cherche Widmannn, critique en vue de la presse propre fille, Anna Justina, surnommé « Gucki », et alors âgée de six ans : locale, pour requérir son aide. Lorsqu’il le trouve, ce dernier se promène en com- pagnie de Brahms. « Avez-vous vu ces yeux extraordinaires, d’où jaillissent énergie « Les dessins de Gucki sont adorables. J’en ai ri aux larmes, et pleuré. Celui et talent », aurait dit le compositeur au critique, « vous devez absolument y aller, on avec les cinq lignes parallèles n’est pas une démonstration [Beweis] mais peut en attendre de grandes choses. »30 Suivant le conseil du musicien, Josef Viktor

(29) Ibid., p. 204. édition : Rascher, Zurich, 1918). Traduction nôtre. (30) L’anecdote est rapportée par le fils de Widmann, Fritz (1869-1937), lui-même peintre, (31) Henry-Louis de la Grange : Gustav Mahler, chronique d’une vie. II. L’âge d’or de Vienne qui fréquenta Hodler par la suite, et bénéficia même de ses conseils. Cf. Fritz Widmann : (1900-1907), Paris, Fayard, 1983, p. 352. Erinnerungen an Ferdinand Hodler, Biel, Daniel Andres & Co, 1981, p. 6 (première (32) Ibid., p. 402.

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prouve au plus haut point le contraire : que, justement, un Hodler continue à habiter l’imagination et la compréhension artistique d’un enfant. Pourtant, je dis, sans une nuance de critique, que Hodler est un héros de l’art, mais seulement que Gucki, avec ses exquises images enfantines, ne peut pas le démontrer [comme tel]. »33

Au-delà de l’humour et du caractère anecdotique de ce passage, l’admiration de Mahler pour Hodler ne fait pas de doute. Apparemment toutefois, l’interaction en resta là : son intérêt pour le peintre suisse n’aura pas suffi pour inspirer à Mahler une œuvre musicale ; le compositeur, au surplus, n’avait alors plus que dix mois à vivre. Cet épisode méritait cependant d’être mentionné, car il montre l’universalité alors acquise par la réputation de Hodler. Deux autres compositeurs autrichiens – et non des moindres – ont encore laissé une trace de leur appréciation de Hodler. Il s’agit d’une part d’Anton Webern, qui à la faveur d’un séjour à Salzbourg en 1905 visite une exposition d’art moderne internationale. Fort peu de chose lui plaît, mais il fait une exception pour les toiles de Hodler, de même que celles du Bâlois Böcklin et du Grison Segantini (ainsi que d’une poignée d’autres), qu’il apprécie34. Enfin, Arnold Schoenberg, au contraire des précédents, se montre extrêmement critique envers Hodler – mais cette fois pour des raisons politiques et non artistiques. En automne 1914 en effet, à l’invitation de René Morax, directeur du Théâtre du Jorat, Ferdinand Hodler – mais avec lui de Fig. 5 : Les Dents-du-Midi depuis Caux (1917), collection particulière très nombreux artistes suisses, tels Ernest Ansermet, Ernest Bloch, Gustave Doret © Institut suisse pour l’étude de l’art et Émile Jaques-Dalcroze35 – signa une protestation publique parue dans la presse romande, contre la destruction de la Cathédrale de Reims par les bombardements allemands. Pour la plupart des signataires, ce geste ne coûtait que de la conviction ; « […] Il faut maintenant ne parler que par les armes, et celui qui ne le peut mais pour Hodler et Jaques-Dalcroze, il signifia la rupture des relations avec le pays n’à qu’à se terrer dans un coin et tout faire pour qu’on l’oublie. Il semble où ils avaient trouvé enfin la reconnaissance qu’ils méritaient. Hodler fut immédiate- cependant que certains messieurs aient besoin, pour la remettre à flot, de ment exclu des sociétés d’artistes allemands, et Jaques-Dalcroze, qui avait développé donner un coup de main à leur popularité évanouie, et que beaucoup ne son enseignement de la rythmique à Hellerau près de Dresde, dut reconstruire tota- supportent pas l’absence dans les journaux de toute chronique mondaine. lement son entreprise à Genève. Schoenberg, enthousiaste d’une guerre qu’il consi- Pour moi, le bavardage des artistes ne signifie rien d’autre. Mais naturelle- dère comme juste, et sans doute aussi victime des désinformations de la propagande, ment, Monsieur Leoncavallo a dû s’y livrer. À cet individu, dont en temps est extrêmement dur envers Hodler et les autres voix critiques. Le 25 octobre 1914, de paix déjà la camelote était un crime contre la culture, et qui a lui-même il écrit de Berlin à son maître Zemlinsky : traité comme un barbare les spécimens vieillots d’un gothique de pacotille, il était réservé de montrer quels esprits sont MM. Hodler et Cie. Ils ne man- queront pas de recevoir le moment venu tout leur dû. »36

(33) Henry-Louis de la Grange : Gustav Mahler, chronique d’une vie. III. Le génie foudroyé De tels malentendus ne furent pas anodins, loin s’en faut : car dès cet instant, Hodler (1907-1911), Paris, Fayard, 1984, p. 749. sera privé du relais le plus important dont il disposait à l’étranger : en Allemagne, ses (34) Hans et Rosaleen Moldenhauer : Anton von Webern, Chronik seines Lebens und Werkes, toiles sont retirées des salles d’exposition, ses fresques cachées – on envisage même Zürich – Freiburg i. B., Atlantis, 1980, p. 68. leur suppression – alors que la France ne lui a toujours pas accordé la reconnaissance (35) Alfred Berchtold : « Émile Jaques-Dalcroze et son temps », in : Frank Martin et alii (edd.) : Émile Jaques-Dalcroze. L’homme, le compositeur, le créateur de la rythmique, Neuchâtel, La Baconnière, 1965, p. 27-158 ; p. 109. (36) Cité d’après : Marc Vignal : Jean Sibelius, [Paris], Fayard, 2004, p. 664.

16 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 17 Dossier Ferdinand Hodler et la musique pour laquelle il a tant travaillé. Dans l’Hexagone en effet, son art, perçu comme victorieux, un événement ancien, sans nostalgie romantique ni idéalisme germanique, rencontre une assez large indifférence. Alors que, dès 1891, Puvis de aucun, tout à fait pareil au style des guerriers de Hodler. »41 Chavannes s’était enthousiasmé pour le symbolisme de La Nuit37, Apollinaire quali- fiera encore en 1913 L’Unanimité de « grande fresque pour brasserie munichoise »38. De tels rapprochements sont effectivement intéressants ; mais ils ne prennent en La guerre contraint donc Hodler à se replier davantage sur la Suisse ; à long terme, compte qu’un seul aspect de la créativité de Hodler : ses grandes compositions his- cette position devait le handicaper fortement. toriques, qui ont eu certes un impact considérable sur la formation de l’identité nationale, mais qui sont loin de représenter l’intégralité de son apport artistique. Le symboliste sophistiqué, le portraitiste subtil, et surtout le paysagiste infiniment Hodler et les compositeurs suisses poétique sont ici ignorés. En y regardant d’un peu plus près, peut-être un musi- cien comme Othmar Schoeck se prêterait-il à un parallèle plus satisfaisant ; Schoeck Ferdinand Hodler appartient à une période charnière pour la formation de l’identité qui, comme Hodler, possède une face solennelle, presque pompeuse, mais qui sait culturelle helvétique ; son œuvre, de surcroît, comporte des aspects qu’il est aisé de aussi parfois se souvenir de l’impressionnisme le plus délicat. La grande variété de mettre en relation avec la musique de son époque. Ainsi, plusieurs critiques ont registres dans lesquels il s’est illustré rend la comparaison séduisante ; mais comme relevé les similitudes existant entre son art et la musique d’un Arthur Honegger par pour Honegger, il ne s’agit ici que de rapprochements a posteriori, dont l’origine ne exemple. Ce dernier est sans doute celui des musiciens suisses qui correspond le se trouve pas chez les compositeurs eux-mêmes, mais bien chez leurs critiques. En mieux à la figure de Hodler en termes de rayonnement international, bien qu’il ait revanche, deux musiciens suisses ont eu un rapport beaucoup plus explicite à Hodler appartenu à une génération postérieure. Harry Halbreich a proposé le rapproche- et à son art : il s’agit d’Émile Jaques-Dalcroze et d’Ernest Bloch. ment, comparant Horace Victorieux aux fresques patriotiques de Hodler :

« Les deux fanfares rivales des Horaces […] et des Curiaces, toutes deux Émile Jaques-Dalcroze à trois voix (nombre des protagonistes) s’affrontent, puis les adversaires en présence se défient, tapant du pied sur un étonnant motif rythmique De douze ans son cadet, Émile Jaques-Dalcroze (1865-1950) fut sans doute le musi- évoquant les guerriers de Hodler, en une musique belliqueuse aux brutaux cien le plus étroitement lié à la biographie de Ferdinand Hodler42. Tous deux ont accents de cuivres. »39 longtemps vécu à Genève, pour ainsi dire côte à côte, et ont fréquenté des milieux proches, notamment autour de la personne de Louis Duchosal, poète symboliste Plus loin encore, cette comparaison revient, sous la plume du même auteur : genevois et ami intime de Hodler. Tous deux associés à l’aventure éphémère de la Revue de Genève dans les années 188743, ils participent conjointement à l’Exposition « Cantique de la bataille (chœur mixte). C’est un 3/2 haché, aux rythmes Nationale de 1896 ; Hodler, représenté par quelques-unes de ses plus importantes heurtés issus du Sacre du printemps, musique en armure d’une prodigieuse toiles, est également en charge de la décoration monumentale du pavillon des Beaux- puissance à la Hodler. »40 Arts, tandis que Jaques-Dalcroze apporte sa participation à un grand spectacle por- tant le titre de Poème alpestre. En 1909, des témoins rapportent la présence et la Avant lui, dès les années 1930, Willy Tappolet avait déjà suggéré le même parallèle : collaboration de Hodler à certaines séances de démonstration de Jaques-Dalcroze44. On a déjà mentionné plus haut le fait que tous deux signèrent la lettre de protesta- « Comme dans le Chant de Nigamon, une situation barbare est mise en musi- que avec toute sa brutalité. Ainsi renaît, dans le titanesque combat d’Horace (41) Willy Tappolet : Arthur Honegger, traduit de l’allemand par Claude Tappolet, Neuchâtel, La Baconnière, 1957, p. 62. (42) Verena Senti-Schmidlin : « Ferdinand Hodler et Émile Jaques-Dalcroze, une rencontre », (37) Ferdinand Hodler : exposition, Paris, musée d’Orsay, Paris, Réunion des musées nationaux, in : Ferdinand Hodler et Genève, Genève, Musées d’art et d’histoire, Neuchâtel, La 2007, p. 163. Baconnière/Arts, 2005, p. 21-31. (38) Ibid., p. 231. (43) Ibid., p. 21-22. (39) Harry Halbreich : Arthur Honegger. Un musicien dans la cité des hommes, [Paris], Fayard (44) Alfred Berchtold : « Émile Jaques-Dalcroze et son temps », in : Frank Martin et alii (edd.) : – [Neuilly-sur-Seine], Sacem, 1992, p. 457. Émile Jaques-Dalcroze. L’homme, le compositeur, le créateur de la rythmique, Neuchâtel, La (40) Ibid., p. 505. Baconnière, 1965, p. 27-158 ; p. 144.

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allures du corps on découvre son âme. Il faut concilier le geste, la beauté du mouve- ment avec la beauté des formes », rappelle ainsi le peintre46. Dans son cas particulier, cette préoccupation du geste expressif rejoint ses concepts sur le rythme pictural, tels que nous les avons exposés ci-dessus ; dans plusieurs de ses grandes toiles sym- bolistes, comme Eurythmie (1894-95) ou L’émotion II (1901-1902, fig. 2, p. 8), la répétition de figures humaines analogues (cinq hommes dans le premier cas, quatre femmes dans l’autre) installe déjà en soi un « rythme de formes », mais l’harmonie est tout autant dans la variété des mouvements gracieux ou expressifs des personnages ; et cette variété, amplifiée par la répétition (ou parallélisme), crée véritablement la dynamique et l’équilibre de la composition. On le voit, loin d’être anecdotique, la rencontre avec Jaques-Dalcroze peut être considérée comme une interaction d’une richesse exceptionnelle entre le monde des arts plastiques et celui de la musique ; en cela, elle reflète bien d’ailleurs l’esprit de son époque. Jaques-Dalcroze ne s’y trompa pas, qui fut parfaitement conscient de l’importance de cette confrontation, comme on le voit dans l’article qu’il écrivit en 1928 pour le dixième anniversaire de la mort de Hodler, sous le titre : « Ferdinand Fig. 6 : Chant du lointain (1906) Hodler et le rythme » : Saint-Gall, Kunstmuseum © Kunstmuseum St Gallen « […] le sentiment que j’avais de voir mes préoccupations touchant le rythme partagées en un autre domaine par cet homme génial et généreux, m’a soutenu à maintes reprises au cours de mes recherches. […] Le principe animateur de l’œuvre hodlérienne est le rythme et c’est pourquoi son œuvre tion contre la destruction de la Cathédrale de Reims, en 1914, avec les conséquences nous apparaît éminemment musicale (au sens grec du mot) et c’est pour- que l’on sait. Enfin, en 1917, Hodler prendra la plume pour recommander au public quoi aussi elle synthétise notre tempérament national qui est essentiellement 47 genevois les fêtes organisées par l’institut de gymnastique rythmique, s’enthousias- rythmique. » mant devant… « Comme il était simple quand il exprimait ses idées sur le rythme, sur « …la succession des groupes harmonieux représentant les différentes émo- l’art des oppositions et des redoublements de lignes, de l’équilibre et des tions. Tous ceux qui ont déjà pris part à ces représentations de rythmique contrastes ! Comme il était suggestif et ingénu ce geste familier de sa jolie chez Jaques-Dalcroze ont été enthousiasmés par l’harmonie des mouvements main robuste, à l’aide duquel il exposait son grand principe de la symé- du corps et s’estiment heureux d’admirer de nouveau cet art de l’expression. trie : il ouvrait à demi la main arrondie, doigts fléchis, et disant : « voyez L’attraction n’est pas moins forte pour le grand public. »45 la belle courbe et le beau rythme », puis appliquant l’autre main contre la première, doigts contre doigts, dans la même attitude, il ajoutait : « voilà La manière dont Hodler s’exprime ici est très claire, et montre sans l’ombre d’un la courbe devenue plus belle encore et le rythme plus affirmatif ! Les deux doute qu’il existe une similitude entre sa propre approche du mouvement et celle attitudes se complètent et produisent une force et une beauté nouvelle, celle 48 de Jaques-Dalcroze. On peut d’ailleurs en voir la marque dans plusieurs œuvres de de l’unité ! » » Hodler, par exemple Splendeur linéaire (vers 1909) ou Chant du lointain (1906, fig. 6). Pour le peintre comme pour le musicien, il s’agit de retrouver l’harmonie natu- (46) C. A. Loosli : Ferdinand Hodler, Leben, Werk und Nachlass, vol. 4, Bern, Suter, 1924, p. relle du mouvement, de découvrir la manière de visualiser l’émotion, de lui donner 200. une forme gestuelle : « On atteint à une très haute expression par le geste. Dans les (47) Émile Jaques-Dalcroze : « Ferdinand Hodler et le rythme », in : L’Art en Suisse, Revue Mensuelle Illustrée, janvier 1928, p. 111-114 ; p. 111. (45) Verena Senti-Schmidlin : art. cit., p. 23. (48) Ibid., p. 112.

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banc ; il m’a toujours hanté, et l’an dernier, j’avais demandé à Hodler s’il ne Ernest Bloch voyait pas d’inconvénient à ce poème ; je l’ai fait en quelques heures, depuis une quinzaine de jours et je l’achèverai sans doute cet automne ; c’est encore Parmi les plus enthousiastes de l’œuvre de Hodler figure d’autre part Ernest Bloch plus sinistre et désolé qu’Hiver ; j’imagine ces bougres racontant leur histoire (1880-1959). Ce dernier avait commencé sa carrière à Genève, mais n’y trouvant pour aboutir au même néant ; du gris, sur fond gris ; un basson solo, un cor pas de reconnaissance, il émigra en 1916 aux États-Unis. Sa première période gene- anglais, alto, des contrebasses dignes et sans enthousiasme ; et puis quelques voise l’avait toutefois durablement marqué, notamment l’enseignement de Jaques- accents douloureux ; j’imagine que, parmi eux est un juif, et je le caractérise Dalcroze, l’amitié d’Ernest Ansermet, sans oublier la fréquentation de Hodler, alors par des thèmes juifs […] »51 au sommet de sa gloire. C’est en été 1896, dans le cadre de l’Exposition Nationale, tenue cette année-là à Le manuscrit de cette œuvre est malheureusement perdu. Mais ce qu’en dit ici le Genève sur la plaine de Plainpalais, qu’il découvre l’œuvre de Hodler. Il a sans doute compositeur est suffisant pour nous faire voir qu’il s’est d’abord intéressé au caractère rencontré très tôt ce dernier, qui s’installe d’ailleurs en 1902 dans un nouvel atelier, sombre de certaines œuvres de Hodler, qui lui semblaient entrer en résonance avec au 29 de la rue du Rhône, à quelques mètres du magasin de la famille d’Ernest ses préoccupations personnelles. Les deux artistes ont en effet un certain nombre de Bloch49. Le 12 février 1908, ce dernier écrit à Otto Barblan, compositeur d’origine points communs, comme le relèvent Joseph Lewinski et Emmanuelle Dijon : le goût grisonne, qui fut organiste de la cathédrale de Genève dès 1885, et qui venait de de l’autoportrait, le pessimisme, l’obsession de la mort, l’intérêt pour le symbolisme, faire représenter une de ses œuvres, le Festival de Calven, sorte d’épopée nationale le sentiment pour ainsi dire panthéiste de la nature, et l’amour de la patrie suisse52. grisonne : Bloch a également mis en musique des poèmes de Duchosal, le rédacteur de la Revue de Genève (1885-86), qui fut en quelque sorte le théoricien du mouvement auquel « Permettez-moi de vous dire l’émotion profonde que j’ai ressentie, hier soir, Hodler appartenait53. à votre Calven. Il y a longtemps que je n’avais vibré d’un tel enthousiasme. Par la suite, Bloch émigre aux États-Unis, où il connaîtra encore de nombreuses Que votre œuvre est grande, noble, majestueuse, et quelle dignité constante difficultés, mais où sa carrière est enfin couronnée de succès. Il n’oublie pas son de style ! Quelle que soit mon admiration pour sa magnifique facture, il y a pays d’origine toutefois, et écrit en 1929 une œuvre symphonique en son honneur. quelque chose de plus rare qui m’a empoigné encore davantage : c’est la poé- Faisant partie (avec Israël et America) d’un triptyque patriotique, Helvetia est dédiée sie intense qui s’en dégage, la justesse d’expression, et par dessus tout l’âpreté par Bloch « à tous les amoureux des montagnes et de la liberté, et à la mémoire de virile de sa couleur. C’est bien là un art suisse, vraiment suisse, comme les Ferdinand Hodler »54. L’œuvre est créée en 1932 et à cette occasion, Bloch écrit lui- fresques de Hodler ; un art dégagé de toute concession, de toute séduction même un texte explicatif dont il vaut la peine de citer quelques extraits. facile, et où tout vient de l’intérieur ; mais c’est d’une émotion qui vous Après avoir exposé qu’il désirait depuis longtemps rendre hommage à la nature prend immédiatement, d’une chaleur intense qui se communique à tous et à la montagne, où il a trouvé les meilleures consolations, Bloch affirme avoir ceux qui vivent. accumulé les matériaux de cette œuvre pendant une longue période ; commencé dès Merci, Monsieur, pour cette grande joie. »50 1900, le travail de composition aboutit à sa phase terminale en 1928, lorsqu’il se décide finalement à donner à ses idées forme et unité. L’œuvre suit un programme Des années plus tard, le 26 juillet 1912, il confiera à son ami l’écrivain franco-suisse que Bloch décrit de manière très détaillée : au commencement se trouve une évoca- Edmond Flegenheimer (1874-1963) : tion des mystères de la montagne ; les populations laborieuses se réveillent ensuite et, portant leurs armes médiévales, descendent pour se réunir à la « Landsgemeinde » ; « J’ai presque achevé l’esquisse d’un poème symphonique appelé Les l’ennemi extérieur menace, mais le peuple se lève pour empêcher qu’on asservisse les Désenchantés d’après le tableau de Hodler que tu connais sans doute – il montagnes ; une bataille médiévale s’ensuit, qui aboutit à la victoire symbolisée par était exposé à l’exposition de 1896 ; c’est les cinq hommes affalés sur un (51) Dr. Joseph Lewinski, Emmanuelle Dijon : op. cit., p. 77 et 569. (49) Dr. Joseph Lewinski et Emmanuelle Dijon : Ernest Bloch (1880-1959). Sa vie et sa pensée. Tome I. Les années de galères (1880-1916), Genève, Slatkine, 1998, p. 575. (52) Ibid., p. 569-576. (50) Elisa Perini et Roger Vuataz : Otto Barblan, père de l’école d’orgue de Genève. Vie et (53) Ibid., p. 573. œuvre, Neuchâtel, La Baconnière, 1976, p. 98. Également cité par : Dr. Joseph Lewinski, (54) Dr. Joseph Lewinski, Emmanuelle Dijon : Ernest Bloch (1880-1959). Sa vie et sa pensée. Emmanuelle Dijon : op. cit., p. 405. Tome II. La consécration américaine (1916-1930), Genève, Slatkine, 2001, p. 812.

22 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 23 Dossier le vieil hymne genevois « Cé qu’è lainô », associé à la victoire sur les Savoyards à l’oc- casion de l’Escalade de 160255. Bloch lui-même caractérise le propos d’Helvetia :

« J’ai songé à la vieille Suisse, celle qu’a si admirablement illustrée le grand peintre Ferdinand Hodler. Et mon œuvre se situe, non dans le présent, mais dans le passé d’un petit peuple en formation, luttant pour ses libertés, son indépendance. »56

Sur son style et son langage musical, il précise :

« […] dans Helvetia j’ai délibérément choisi mes moyens et me suis confiné au style qui convenait au sujet que j’interprétais, un style nettement tonal et diatonique, robuste et traditionnel, ce qui, après tout, n’est pas si facile que beaucoup le croient aujourd’hui… Mais pour ceux qui ont des yeux, des oreilles et un cœur, ils me retrouveront aussi bien en cette œuvre, ou en America qu’en Schelomo ou en mon Quintette. Seulement, dans chacune de ces œuvres, j’ai libéré une partie différente de ma personnalité. Dans Helvetia ou America, le cadre étant plus localisé, cette personnalité paraîtra peut-être moins pittoresque, ou « originale », ou soi-disant « moderne », à ceux qui jugent par la surface. »57 Fig. 7 : La Bataille de Morat (1917), Glaris, Kunsthaus © Urs Bachofen, Kunsthaus Glaris Dans une lettre à Ernest Ansermet, qui dirigea à Genève la première audition euro- péenne, Bloch entre dans des détails encore plus précis ; dans ce commentaire, Bloch fait part à Ansermet de son sentiment très fort d’être un déraciné ; puis il Hodler est cité de nombreuses fois : commente l’œuvre page après page ; le nom de Hodler va revenir plusieurs fois ici également ; ainsi, au sujet de la deuxième partie, « Éveil de la montagne » : « […] je pensais que peut-être tu avais renoncé à Helvetia, si cette œuvre t’était antipathique. (Ce que j’aurais d’ailleurs absolument compris, et sans « P. 34-48 Fresque – hodlérienne – Les Vieux Suisses ! avec hallebardes, etc. amertume, bien qu’avec chagrin). descendent de tous côtés, avec leurs bannières, par groupes, frustes et rudes, Je vois qu’il n’en est rien, et que, malgré tout, tu as été pris, et tu le seras tous les vieux Cantons, écussons – symbolisés par ces motifs en des modes en conduisant l’œuvre – même si elle n’est pas ton idéal ! – mais qu’une par- différents […] » […] « La Patrie en danger – Les Vieux – (Holder a peint de tie, au moins, de ce que j’ai tâché de dire, nous est commun, à toi, à moi, merveilleuses fresques de ces Vieux, que tu connais sûrement.) » […] C’est la à d’autres, notre enfance, notre communion avec la nature, la vieille Suisse, bataille moyenâgeuse – avec coups de matraques, hallebardes, etc. (où Hodler Hodler – qui m’a beaucoup inspiré – et tout ce qui, malgré l’heure présente, encore m’a inspiré) et puissant par les Victoire des Suisses p. 64 […] »59 la S.d.N. (Société des Nouilles), l’hypocrisie sociale, le cynisme ambiant, les théories d’art, etc., etc., tout ce qui fait dater déjà mon œuvre… On le voit, c’est à la face historique et patriotique de l’œuvre de Hodler que Bloch Mais il y a quand même quelque chose qui surnagera, tout au fond – la se réfère ici avec enthousiasme, alors que sa pièce symphonique de jeunesse (perdue) 58 vieille Suisse, et l’Idée qu’elle représente. […] » s’était intéressée surtout à son aspect symboliste. En tout cela, il nous manque encore les paysages, qui sont pourtant aujourd’hui une des parties les plus appréciées de sa (55) Ibid., p. 815. production. (56) Ibid., p. 815. (57) Ibid., p. 816. Genève, Georg, 1981, p. 61. (58) Claude Tappolet : Lettres de compositeurs genevois à Ernest Ansermet (1908-1966), (59) Ibid., p. 63.

24 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 25 Dossier Ferdinand Hodler et la musique

des liens de famille l’unissaient61, mais dont l’art est sensiblement plus traditionnel que celui de Hodler62. Plus près de nous encore, Julien-François Zbinden (*1917) a composé une musique pour un film documentaire consacré à Hodler63. Tourné en 1968 à l’occasion du cinquantenaire de la mort du peintre, ce court-métrage a pour originalité de s’intéresser principalement aux paysages de Hodler, une partie de son œuvre qui, comme nous l’avons vu, avait été négligée jusque-là par les musiciens – ce qui est fort dommage, car par leurs affinités avec l’impressionnisme, qu’ils mènent jusqu’aux frontières de l’abstraction, les paysages de Hodler semblent offrir au musi- cien une matière particulièrement prometteuse.

Au terme de ce tour d’horizon, c’est là sans doute la conclusion à laquelle on ne peut échapper : connu de son vivant surtout pour ses grandes compositions symbolistes ou historiques, Hodler nous apparaît aujourd’hui sous un jour en partie différent. Son œuvre de paysagiste et de portraitiste, peut-être moins remarquée en son temps, est plus actuelle que jamais ; la qualité, l’originalité de cette production ne le cède à rien à celle des peintres les plus prestigieux – par exemple un Cézanne, auquel Hodler a souvent été comparé64. Il est étonnant qu’un art aussi personnel, aussi vivant, n’ait pas davantage été mis à contribution par les musiciens, qui partagent avec le grand Ferdinand Hodler la passion de la couleur, du geste et des rythmes. Mais peut-être la renaissance ne fait-elle, justement, que commencer…

Vincent Arlettaz Fig. 8 : Le lac de Genève au coucher du soleil (1917), collection particulière © Institut suisse pour l’étude de l’art, Zurich (61) Ibid., p. 5. Autres compositeurs (62) Henri Gagnebin : Musique mon beau souci. Réflexions sur mon métier, Neuchâtel, La Baconnière, 1968, p. 65. Après Ernest Bloch, deux autres compositeurs romands au moins se sont inspirés (63) Claude Tappolet : Julien-François Zbinden, compositeur, Genève, Georg,1995, p. 160- de l’œuvre de Hodler : d’une part Henri Gagnebin (1886-1977), fondateur du 161 et 360. Concours de Genève et directeur du Conservatoire de la même ville de 1925 à (64) Kandinsky déjà avait abordé conjointement la « peinture rythmique de Cézanne et de 1957, auteur de « Tableaux symphoniques d’après Hodler » (1940-42). Ces derniers, Hodler ». Cf. Oskar Bätschmann : « Ferdinand Hodler : style et expression », in : Ferdinand Hodler : exposition, Paris, musée d’Orsay au nombre de trois, portent respectivement les titres Cortège de lutteurs, La Nuit , Paris, Réunion des musées nationaux, 2007, p. 159. et Le meunier, son fils et l’âne60. Ce sont donc trois aspects différents de l’œuvre de Hodler qui ont inspiré le compositeur, à savoir l’inspiration patriotique (Le cortège de lutteurs, 1882), le symbolisme (La Nuit, 1891) et la fable, moins caractéristique de la créativité du peintre (Le meunier). En revanche, portraits et paysages n’y sont pas abordés. Inédite, la partition est conservée à la Bibliothèque du Conservatoire de Genève et n’a, pour autant que nous sachions, jamais été enregistrée. Du moins peut-on savoir qu’Henri Gagnebin, sensible aux arts plastiques, a exprimé dans ses librairie musicale écrits son enthousiasme pour l’œuvre du peintre neuchâtelois Paul Robert, auquel 98, rue de Carouge Tél. 022 320 18 68 CH-1205 Genève Fax 022 329 13 72 (60) Henri Gagnebin, organiste – compositeur. Chronologie de sa vie et catalogue de ses œuvres, E-mail : [email protected] www.pointdorgue.ch Anières (Genève), édité par ses descendants, 1986, p. 23. Mardi-vendredi 10 h – 18 h 30 Samedi 10 h – 17 h

26 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 27 « Sous peu, je serai connu à paris. » La rétrospective Hodler du Musée d’Orsay

En ce jour de grève automnale, le Musée d’Orsay est quasiment désert. Et pour- célèbres Apôtres. « Hodler a voulu montrer à travers cette peinture la marche de l’hu- tant, le lieu vient d’inaugurer une exposition d’importance dédiée à l’œuvre de manité vers la mort, estime Sylvie Patry. C’est l’expression d’un philosophe, pour qui Ferdinand Hodler. « La dernière exposition parisienne consacrée à cet artiste fut celle l’humanité forme une seule entité en dépit des différences de chacun ». L’exposition se organisée au Petit Palais en 1983, rappelle notre guide, la commissaire du Musée poursuit avec les salles dédiées aux paysages. « C’est la partie la plus unanimement d’Orsay, Sylvie Patry. Or, Ferdinand, Hodler est sans conteste le principal peintre suis- reconnue dans son œuvre », note Sylvie Patry. « Ces toiles atteignent d’ailleurs des re- se ». L’exposition d’Orsay s’inscrit dans le cadre des monographies d’artistes étran- cords de vente, puisque l’un des paysages s’est récemment vendu à onze millions de francs gers présentées régulièrement au Musée depuis 1990. Ces rétrospectives ont permis suisses ! ». Vient ensuite la partie sans doute la plus polémique de l’exposition, avec de gommer l’image d’un musée cantonné aux seuls courants français. Honneur les tableaux exaltant la fibre nationaliste. Il y a là Le Bûcheron (1910, diverses ver- donc à la Suisse et à son brillant représentant Ferdinand Hodler au travers d’un sions), et La Bataille de Morat (1917), dont sont habilement présentées des esquis- choix exceptionnel de quatre-vingt peintures. Dès l’entrée de l’exposition, le spec- ses préparatoires, permettant de percevoir comment Hodler arrive à synthétiser une tateur découvre une toile puissante : L’Émotion II (1901-02). Cette peinture illustre scène aussi complexe. L’espace dévolu aux portraits révèle la maîtrise de ce genre avec éclat le style symboliste de Hodler, à la fois sobre et grandiose. Pour Sylvie par Hodler tout en offrant un panorama des personnalités proches du peintre. On Patry, « c’est la quintessence de sa peinture, retrouve ainsi sa femme, Berthe Jacques, son épanouissement total ». Le parcours de le journaliste et ami Mathias Morhardt, l’exposition, à la fois chronologique et des collectionneurs et… lui-même. thématique, se révèle fluide, mis en va- « Hodler s’est prêté au jeu de l’autoportrait leur par la belle muséographie de Pascal de façon régulière, explique la commis- Rodriguez. Dans la troisième salle prend saire. Son premier autoportrait s’est fait place La Nuit (1889-90), sans aucun dou- sous l’influence de Rembrandt. Puis, ses te l’œuvre la plus célèbre de Hodler. « Ce différentes réalisations montrent à la fois tableau n’avait presque jamais été prêté par une volonté d’introspection et une origi- le Musée de Berne », observe Sylvie Patry, nalité dans les expressions ». L’exercice du avant d’expliquer que « La Nuit est un portrait prend, dans la salle suivante, une tableau essentiel, qui a lancé Hodler comme tournure particulière. Hodler a peint à un peintre à dimension européenne ». Cette différentes reprises Valentine Godé-Darel, toile a toute raison d’être à Orsay puisque La Nuit (1889-90). © Berne, Kunstmuseum. sa maîtresse, agonisant. « Une série unique c’est à Paris qu’elle fut présentée en 1891. dans l’histoire de la peinture », note Sylvie À Genève, l’œuvre avait auparavant créé un scandale, étant jugée « indécente ». Patry. Le réalisme de Hodler devient alors presque insupportable. Dans sa pein- « La figure centrale est un autoportrait du peintre, entourée de deux femmes, qui ne ture, les lignes horizontales, représentant un corps allongé ou simplement l’infini, sont autres que son épouse et sa maîtresse. Hodler résume ainsi une partie de sa vie pri- ne sont que des allégories de la mort. La visite s’achève sur les derniers paysages de vée. En outre, le tableau révèle une véritable obsession de la mort. Il faut rappeler que Hodler, dont la beauté à couper le souffle frôle l’abstraction. On mesure alors l’évo- Hodler est orphelin depuis l’âge de quatorze ans et que tous ses frères et ses sœurs sont lution stylistique du peintre. « La touche s’est de plus en plus libérée, les surfaces sont morts. Il se voit comme un survivant », analyse Sylvie Patry. devenues moins homogènes ». Sylvie Patry dit avoir souhaité « montrer la profondeur et La salle suivante prolonge la thématique de la mort dans l’œuvre de Hodler. La l’originalité de la peinture de Hodler ». En sortant de cette exposition précise, juste et toile Les Las de vivre (1892) produit un effet sidérant, tant par sa rigueur plastique émouvante, force est de constater que le pari a été relevé avec brio. que par son atmosphère accablante. Le peintre suisse affirme une esthétique pro- fondément germanique. « Sa peinture est rude, brutale, gothique, et c’est pour cela Antoine Pecqueur qu’elle a été difficilement adoptée par les Français, qui privilégiaient alors la grâce et le classicisme », commente la commissaire. Dans la même veine, L’Eurythmie (1894- Ferdinand Hodler au Musée d’Orsay, du 13 novembre 2007 au 3 février 2008 95) montre combien Hodler se situe dans la lignée d’un Dürer – on pense à ses www.musee-orsay.fr – tél. : +33 1 40 49 48 14

28 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 29 Contrepoints artistiques Jean Balissat 1936-2007 En écho à l’exposition Hodler, le Musée d’Orsay propose concerts, cafés littéraires et séances de cinéma en lien avec la Suisse. C’est avec une vive émotion que le monde a Suisse s’invite à Orsay : prolongeant la rétrospective Hodler, tous les arts musical romand a appris la disparition de Jean sont conviés pour évoquer la Confédération Helvétique. À commencer par la Balissat, décédé dimanche 16 septembre 2007, musique, avec une série de concerts dans l’auditorium du Musée. Honegger à l’âge de 71 ans. Dès 1977, Jean Balissat était etL Frank Martin seront bien sûr présents, mais on attend surtout avec impatience devenu l’un des compositeurs romands les plus l’interprétation de l’Élégie, cycle de mélodies d’Othmar Schoeck par l’Orchestre de en vue, grâce à la partition écrite cette année-là Paris. « Comme Hodler, Schoeck est habité par les questions de la mort et de la transfi- pour la Fête des Vignerons. D’autre part, par son guration. Son Élégie, écrite à soixante-dix ans, est une œuvre sombre, qui n’emploie que activité pédagogique au sein des Conservatoires des nuances ineffables », nous dit Pierre Korzilius, directeur de la programmation. La de Fribourg, puis de Lausanne et de Genève, il musique contemporaine est également à l’affiche, avec une soirée monographique a profondément marqué un grand nombre de ldd consacrée à Xavier Dayer et un concert de l’Ensemble Intercontemporain où se mê- musiciens de notre région, qu’ils soient ou non leront des partitions de Jarrell, Kyburtz, Holliger… compositeurs. Né à Lausanne le 15 mai 1936, Le Musée d’Orsay a d’ailleurs imaginé des cafés littéraires, pour mettre en lien Jean Balissat fut d’abord formé au Conservatoire de Lausanne, où il eut pour maî- Hodler et les textes de son époque. La lecture ne se limitera pas aux seuls écrits tre Hans Haug (contrepoint, harmonie), puis se perfectionna au Conservatoire de consacrés à l’artiste : deux auteurs helvétiques seront mis en avant : Rober Walser Genève auprès d’André-François Marescotti (orchestration) et Samuel Baud-Bovy et Charles-Ferdinand Ramuz. « Ramuz, c’est l’homme de la montagne, qui porte un (direction). Attiré très tôt par la musique symphonique, il apprit le cor et la percus- véritable regard sur son pays, à l’instar de Hodler dans ses paysages. », déclare Pierre sion pour connaître l’orchestre « de l’intérieur ». Mais son parcours l’amena égale- Korzilius. Les textes seront lus par quinze étudiants de la Haute Ecole de Théâtre de ment à diriger des fanfares et des harmonies – par exemple la Landwehr de Fribourg, Lausanne, dirigée par le metteur en scène Jean-Yves Ruf. pendant pas moins de douze ans. Cette attirance multiple devait marquer profon- L’auditorium du Musée accueillera également des séances de cinéma. A l’affiche, dément son approche de la composition, oscillant entre les subtilités de la musique des œuvre souvent oubliées de la production suisse, des années 20 à aujourd’hui. contemporaine et la spontanéité du répertoire pour sociétés d’amateurs. Loin de Pour les films muets, un accompagnement musical sera proposé en direct par le pia- peser sur sa production, on pourrait dire que ce paradoxe fut fécond pour sa car- niste et compositeur Karol Beffa. « En écho à certaines peintures nationalistes, on a mis rière, qui culmine avec la composition de la Fête des Vignerons de 1977. Mais son en avant des films interrogeant l’identité suisse », observe Pierre Korzilius. catalogue, riche de près de 120 œuvres, comprend également des pièces pour chœur, pour percussions, pour divers ensembles de musique de chambre, etc. Ses archives Antoine Pecqueur sont déposées à la Bibliothèque Cantonale et Universitaire vaudoise, qui a publié en 2006, à l’occasion des 70 ans du compositeur, le catalogue complet de ses œuvres et Concerts à l’auditorium du Musée d’Orsay (sélection) de sa discographie. Renseignements : +33 1 40 49 47 50 – www.musee-orsay.fr Sa curiosité naturelle et sa grande ouverture d’esprit prédisposaient Jean Balissat à l’enseignement, et c’est avec un plaisir particulier que ses élèves se souviennent de ses Samedi 19 janvier à 20h : œuvres de Johannes Brahms et Othmar Schoeck par l’Orchestre de cours, à la fois érudits et vivants. Son engagement au service de la création actuelle est Paris (François-Xavier Roth, direction), avec le baryton Laurent Naouri et le pianiste Maciej également à relever, notamment au sein de la Société de Musique Contemporaine, Pikulski. de l’Association Suisse des Musiciens (dont il fut président de 1986 à 1990) et de la Jeudi 24 janvier à 20h : œuvres de Michaël Jarrell, Hanspeter Kyburz, Dieter Ammann, Fondation Suisa (de 1991 à 2004). Andrea Lorenzo Scartazzini et Heinz Holliger par l’Ensemble Intercontemporain (Susanna Mälkki, direction). Atteint dans sa santé depuis plusieurs mois, Jean Balissat s’est éteint paisiblement dans sa belle maison de Corcelles-le-Jorat, au cœur de la campagne vaudoise qu’il Séances de cinéma à l’Auditorium Diffusion de douze films du 10 au 20 janvier. aimait profondément. À sa famille, à ses proches et à ses nombreux amis, la Revue Musicale de Suisse Romande présente ses plus sincères condoléances. (réd.)

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CLAVES Me Olivier Verrey

Les destinées d’un label helvétique

Fondé en 1968 à Thoune par Marguerite Dütschler, élève du claveciniste Jörg Ewald Dähler, Claves appartient aux plus prestigieuses maisons de disques. En 2003, le label était restructuré, ses activités se rapprochant progressivement des rives du Léman, plus exactement de Pully où nous avons rencontré son président, Olivier Verrey, et son directeur, Antonin Scherrer, ancien collaborateur de notre revue.

RMSR. Maître Verrey, à qui appartient qu’aujourd’hui, ce chiffre est supérieur à aujourd’hui Claves ? 600 ! On parle sans cesse de crise du dis- Olivier Verrey. Claves Records AG, que, mais chaque mois, 600 enregistre- dont le siège est encore à Thoune mais va ments nouveaux ou autres « repiquages » être transféré prochainement à Pully où sont mis sur le marché ! Eh bien, qua- se trouvent déjà ses bureaux, a été rache- rante ans après, Claves est toujours là. tée en 2003 à sa fondatrice Marguerite Marguerite Dütschler, pour diverses rai- que nous perdions tout de même sur les l’industrie, mais l’artisanat du disque – Dütschler par la Fondation Clara Haskil, sons, a eu de la peine à maintenir l’équi- nouvelles productions, l’ancien catalo- même si, au cours de son histoire, Claves organisatrice tous les deux ans du libre financier et n’a pu le faire à certai- gue conserve un bon rendement. a vendu aux alentours de trois millions et Concours international de piano épo- nes époques (ou après la publication de demi de disques. Marguerite Dütschler nyme. Nombre de lauréats du Concours disques ayant moins bien marché) qu’en Le disque classique ne se vend-il donc a vécu à l’époque où chaque enregistre- ont d’ailleurs enregistré pour le label. réinjectant de l’argent dans la société. Et plus ? ment se vendait au minimum à 3 ou il est arrivé un moment où cela n’a plus Antonin Scherrer. Il y a actuellement 4'000 exemplaires ; le concerto pour cla- En quoi la situation a-t-elle changé, été possible. Au début des années 2000, une sorte de mythe, notamment au rinette de Mozart par Thomas Friedli a depuis l’apparition du label, il y a elle avait refusé une offre de rachat pour niveau des pourvoyeurs de subventions : même atteint le chiffre record de 80'000 bientôt 40 ans ? plusieurs millions de francs, convaincue sous l’influence du cas de la pop music copies ! En ce temps-là, la question que OV. Lorsque Claves a été fondée, en que son catalogue d’alors, de plus de sans doute, on a tendance à croire que les l’on posait aux artistes n’était pas : « Avez- 1968, il n’existait pas de label suisse, 400 titres, dont les droits appartiennent labels font d’énormes bénéfices sur le dos vous 20'000 francs à mettre sur la table ? », alors que de nombreux artistes de notre intégralement à Claves, valait davantage. des artistes. Mais je le répète à qui veut mais bien : « Acceptez-vous un cachet de pays désiraient enregistrer. Marguerite La Fondation Clara Haskil a finalement l’entendre : nos comptes sont ouverts ! Les 3'000 ou 5'000 francs ? » ; tout était alors Dütschler a d’emblée placé la barre haut, racheté le tout pour une somme bien institutions, à part les fondations privées payé par le label. Malgré cela, un artiste notamment pour ce qui concerne la inférieure. Aujourd’hui nous continuons peut-être, refusent de financer un disque comme Peter Lukas Graf a enregistré qualité technique des enregistrements. peu ou prou à vivre comme l’a long- sous prétexte qu’il s’agit d’une activité chez nous pas moins de 37 disques, sans Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, temps fait Marguerite Dütschler : il faut commerciale ; or, s’il est clair que nous jamais demander de cachet ! Il tenait à le nombre de disques nouveaux publiés toujours et encore un peu de mécénat, devons vendre nos produits pour pou- être présent sur le marché du disque, et chaque mois se montait peut-être à autour des artistes ou de Claves, pour voir vivre, il n’en reste pas moins qu’une consentait à cet effort pour valoriser son 25 ou 30, tous pays confondus, alors maintenir le navire à flot. Et s’il arrive maison comme Claves ne représente pas image, étant bien conscient que le fait de

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Grand Théâtre de Genève en 1969, déjà timeraient lésés nous demanderont des vendu à 1'500 exemplaires, ou l’Elektra comptes ; cela pourrait initier un débat de Gwyneth Jones (2'000 ventes) sur la salutaire sur cette question, où l’intérêt même scène en 1990. Ces deux disques particulier de certains n’est pas concilia- constituent certes des coups de cœur ble avec l’intérêt général, qui est d’avoir personnels mais l’accès à ces trésors doit accès à un patrimoine inestimable ! être ouvert au plus grand nombre. AS. Le matériel est très abondant, D’autres projets sont-ils en cours ? notamment parmi les archives du défunt AS. Depuis cette année, nous parlons Festival de Lausanne, ou du Septembre également de « Digital Only », c’est-à- Musical de Montreux-Vevey, spécia- dire d’enregistrements qui ne sont diffu- lement dans les grandes années 1950- sés que sur internet, sur les sites de télé- 1960. La politique actuelle de la RSR est chargement payants. Publier un disque de numériser (et donc de sauver, même uniquement sur internet est très bon Antonin Scherrer si la situation des bandes magnétiques marché, tandis qu’une production stan- n’est pas aussi grave que celle des films) dard coûte plusieurs dizaines de milliers publier à compte d’auteur n’est pas du encore et toujours par le canal du concert tout ce qui a de la valeur, « au kilomètre » de francs – car nous tenons absolument tout comparable à une présence dans le que les noms des artistes circulent ! en quelque sorte. Le rôle de Claves est à maintenir une grande qualité, qui est catalogue d’un label reconnu. Certains distributeurs en font même une d’opérer des choix fondés. Nous sommes essentielle pour notre image (présenta- condition sine qua non. Ces projets « jeu- d’ailleurs liés dans ce but par contrat avec tion graphique, contenu du livret, etc.). Quels sont les buts stratégiques de nes artistes » ne sont pas forcément pro- la Radio Suisse Romande, depuis cette Nous voulons proposer des produits qui Claves à l’heure actuelle ? fitables financièrement, mais nous nous année, la RSR ayant saisi l’importance restent, et je suis persuadé par exemple OV. Claves reste placée sous le haut efforçons de les réaliser au mieux, de ne d’utiliser tous les relais possibles – égale- que le Pelléas ou l’Elektra dont nous par- patronage de Marguerite Dütschler, en pas être pris en faute et de susciter l’inté- ment hors ses murs – pour sauvegarder lions à l’instant sont des références. particulier pour tout ce qu’elle a fait pour rêt des critiques importants. ce patrimoine. les jeunes interprètes. C’est donc en tête OV. Hélas, le problème des droits gan- Quel est aujourd’hui le public de que nous plaçons la promotion des jeu- Et par ailleurs ? grène la sauvegarde du patrimoine. Claves ? nes artistes, tels Cédric Pescia, le quatuor OV. Notre deuxième tâche, essentielle à Après avoir exhumé une perle rare, il AS. Le label a ses fidèles, qui atten- Terpsycordes, l’altiste Ettore Causa, le mes yeux, est ce que j’appelle la « sau- arrive qu’on se heurte aux exigences des dent et achètent toutes les nouveautés trio Nota Bene, etc. Nous nous sommes vegarde du patrimoine » : il y a dans représentants des titulaires des droits, que nous proposons, notamment dans fixé comme but de faire connaître des les caves des radios, en Suisse comme qui demanderont 10'000 francs pour la nos offres de printemps et de Noël, gens qui le méritent cent fois, de publier ailleurs, une multitude d’enregistre- publication d’un enregistrement d’ar- par l’intermédiaire de notre lettre d’in- un premier disque, d’organiser un ver- ments de grande valeur, de concerts qui chives ; or, c’est à peu près le chiffre de formation « Club Claves ». Par ailleurs, nissage et surtout de mettre l’objet sous possèdent toujours quelque chose de vente que l’on peut espérer atteindre au l’ancien catalogue continue à trouver le nez des rédacteurs en chef des revues différent de ce qu’un disque peut appor- cours de la première année de commer- preneur ; par exemple le duo de piano spécialisées d’Europe et du monde. Le ter. Si chacun fouille dans sa mémoire, cialisation ! Cela rend les choses impos- Crommelynck, qui est l’objet d’un véri- succès aidant, nous avons eu l’envie de au fil de trente ou quarante ans de sou- sibles. Que faire dès lors ? Dans vingt table engouement en France ; les 16 dis- continuer la collaboration avec certains venirs, ou en consultant des listes et des ans, il sera trop tard, les bandes seront ques qu’ils ont enregistrés chez nous ont d’entre eux, sachant qu’aujourd’hui, plus programmes de concert, il se souviendra trop détériorées ! Chez Claves, nous tous dépassé les 10'000 exemplaires, et encore qu’il y a vingt ou trente ans, pour de choses extraordinaires : certaines se nous sommes fixé comme objectif de ne nous continuons à les vendre au rythme qu’un disque se vende, il est vital que sont maintenant concrétisées en albums pas rester les bras croisés, déterminés à de 200 à 300 par année, pour chacune les artistes donnent des concerts ; c’est Claves, comme par exemple le Pelléas du nous défendre le jour où ceux qui s’es- des 16 références !

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OV. Les ventes de « Digital Only » ne souhaitaient réaliser des projets plus car leurs charges sont considérables, et cheront sur le téléviseur, on fera défiler sont pas négligeables non plus. Nous y originaux, et occuper des terrains qui leurs marges bénéficiaires réduites. tout le répertoire par une télécommande sommes présents depuis le mois de mars, n’étaient pas encore valorisés au disque. à écran tactile faisant aussi office de télé- et les chiffres de vente pour le deuxième OV. À cette époque, les labels commen- Et du point de vue technologique ? phone ! La matérialisation du disque trimestre sont déjà de quelques mil- çaient déjà à regarder de près leurs chif- OV. Il est avéré que le prix n’est pas appartiendra au passé. Tout changera, et liers de dollars. Tout au début, nous fres de vente : ils se sont aperçus que si déterminant : 25 ou 35 francs pour un à des coûts probablement minimes. Pour étions curieux de voir quels étaient les Teresa Berganza gravait un répertoire bel objet ne fait pas une différence fon- l’instant, les gens achètent encore des titres les plus demandés : à notre grand peu connu, même s’il s’agissait d’elle, le damentale. La question importante est disques, des livres et des journaux, des étonnement, il s’agissait d’un disque disque ne se vendrait pas bien. De même bien plutôt de savoir ce qui remplacera produits certes « datés » mais qui conti- d’airs italiens anciens et de mélodies de pour Fischer-Dieskau : tout Fischer- le CD, et si ce changement doit avoir nuent à avoir beaucoup d’attrait. Mais Liszt enregistré par Gérard Souzay, un Dieskau qu’il fût, on n’avait plus envie lieu. Nous en sommes réduits à tâton- pour combien de temps encore ? Les Grand Prix du Disque de 1955 devenu d’enregistrer avec lui n’importe quelles ner : tout le catalogue de Claves est plus jeunes se contenteront-ils de pro- introuvable, et auquel je tenais absolu- œuvres, La situation n’était pas encore maintenant disponible sur internet et duits dématérialisés ? De toute manière, ment ! Actuellement, ce sont les albums comparable à celle d’aujourd’hui, qui il est important d’y être. Il arrivera très il faut y être : former le goût, donner du Schumann de Finghin Collins et Cédric propose souvent de purs produits « mar- bientôt que pourront être téléchargés plaisir, cela existera toujours, même si Pescia qui ont pris le dessus. keting », mais sans doute peut-on voir des fichiers sans compression, donc l’on ne sait pas encore sous quelle forme. déjà alors les premiers symptômes d’une sans perte de qualité. Vous aurez alors Il faut donc être présent un peu partout, Vous parliez de l’ancien catalogue évolution qui, en quarante ans, nous a une petite boîte dans votre salon, qui et espérer que l’on arrivera à rester au- Claves, on y trouve de véritables rare- menés là où nous sommes… contiendra toute votre discothèque. dessus de la vague ! tés, comme la musique d’Othmar Les textes de présentation, les photos, propos recueillis par Schoeck… Quelles sont les prochaines étapes de le livret de l’opéra ou la partition s’affi- Vincent Arlettaz AS. Avec une dizaine de titres à son cata- l’évolution du disque classique ? logue, Claves est le premier producteur OV. C’est le grand mystère ! Avec les de disques de Schoeck. Il s’agit d’une intégrales Mozart, Bach ou Beethoven à musique du XXe siècle quelque peu en prix extrêmement bas, certains ont réa- PRIXD’ETUDES DE CHANT marge des grands courants, regardant lisé de belles opérations commerciales (à Le Pour-cent culturel Migros de´cerne, avec la participation de la Fondation Ernst Göhner, des prix d’e´tudes a` de jeunes chanteuses et encore vers le post-romantisme – par un euro le CD !) qui ont dopé tempo- chanteurs doue´s qui souhaitent parfaire leur formation profession- exemple les sonates pour violon, qui rairement le marché du disque classique. nelle. Les prix d’e´tudes sont attribue´s lors d’un concours. sont encore très straussiennes d’esprit. Il Mais cette mode passera : la suivante sera Branches 3 Lied/Oratorio 3 Ope´ra y a une demande réelle pour cette musi- peut-être la mise sur le marché d’inté- 3 Altus que, et c’est là que s’exprime la philo- grales d’interprètes, par exemple tous les Conditions 3 Avoir une formation de chant avance´e sophie qui a fait la notoriété de Claves : disques de Brendel, etc. de participation 3 Ne´s en 979 ou plus tard 3 Etre citoyen/ne suisse ou e´tranger re´sidant en Suisse depuis selon l’expression à la mode, il s’agit AS. Nous pourrions décider de jeter sur quatre ans au moins d’un « marché de niche ». le marché une grande quantité de musi- Dates des auditions 2 et 22 avril 2008 a` Zurich que pour des prix très bas, par exemple De´lai d’inscription er fe´vrier 2008 Une belle niche tout de même, puisque une intégrale de Peter Lukas Graf en 37 Documentation www.pour-cent-culturel.ch d’inscription Promotion/Prix d’e´tudes de chant Dietrich Fischer-Dieskau a contribué CD, à condition de disposer de réseaux Seules les inscriptions sous forme e´lectronique seront accepte´es! à ces enregistrements ! de distribution adaptés, comme c’est Autres informations Fe´de´ration des coope´ratives Migros AS. Oui, c’est le phénomène que nous apparemment le cas de certains labels. Direction des Affaires culturelles et sociales Prix d’e´tudes de chant appelons les « retraites dorées » : cer- Quant aux « majors », malgré leurs Case postale, 803 Zurich tains artistes, comme Dietrich Fischer- moyens publicitaires puissants, ils ne Te´le´phone 044 2772040 sabina.escana»mgb.ch Dieskau justement, ou Teresa Berganza, vivent pas forcément mieux que nous,

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Brigitte Balleys

Mezzo-soprano

En janvier 2008, Brigitte Balleys incarnera le rôle-titre de Carmen à l’Opéra du Rhône de Saint-Maurice. Retour aux sources pour la mezzo-soprano valaisanne, enfant de Dorénaz, petite commune au pied de la Dent de Morcles…

étendue, souriante, disponi- Mireille Matthieu. C’étaient mes référen- ble… Brigitte Balleys est à ces ». À côté du chant, Brigitte débute le Dl’opposé du cliché de la chan- piano, la trompette, la danse classique teuse capricieuse et souvent insupporta- – une formation complète qu’elle reçoit ble. Elle nous reçoit dans un petit village à Martigny. La voix aura néanmoins sa d’Auvergne, où elle vient régulièrement préférence, et c’est au Conservatoire de en vacances. Si elle se montre aussi libre Sion qu’elle se perfectionne auprès du et détachée, c’est sans doute, comme elle baryton Oscar Lagger. « Il me disait que le dit elle–même, parce qu’elle « n’a plus ma voix naturelle était extraordinaire. le poids de la carrière ». Âgée de quarante- C’était un très bon départ pour moi, huit ans, Brigitte Balleys prend enfin le d’autant que Sion, à l’époque, vibrait de temps de respirer. Car jusqu’alors son la présence du grand Tibor Varga ». parcours ne lui a laissé que peu de répit. ldd Son envie de devenir chanteuse reflète déjà une volonté bien trempée. « Je vou- « Beaucoup de rôles d’homme » lais qu’on m’entende car je n’avais pas beau- Jakob Stämpfli, elle va ainsi développer lancée. Elle chante sur les scènes les plus coup de place dans la famille. Mes parents Quelques années plus tard, Brigitte le répertoire du Lied. Les étapes de son prestigieuses – Grand Théâtre de Genève, étaient très occupés par leur profession et Balleys fait ses adieux au Valais pour parcours s’enchaînent ensuite très rapi- Opéra de Zürich – et fait ses débuts aux par ma sœur autiste. Je voulais attirer l’at- rejoindre le Conservatoire de Berne. dement. À vingt-trois ans, elle remporte festivals de Lucerne et de Berlin. « On tention ». La famille, installée à Dorénaz, Quitter la Suisse Romande et franchir à Londres le Concours international me donnait beaucoup de rôles d’homme, entre Saint-Maurice et Martigny, a la le « Röstigraben » fut-il difficile pour Benson & Hedges, puis participe aux car j’avais un côté garçon manqué ! fibre mélomane. Le père, menuisier, est elle ? Bien au contraire, la chanteuse master-classes d’ J’appréciais ces personnages travestis, où je aussi chef de chœur, et la famille chante s’est alors « retrouvée dans son élément » : et d’Elisabeth Glauser, la doublure de ressentais l’expérience du double. » Elle fait régulièrement. Mais c’est par le disque « J’étais passionnée par la littérature alle- Christa Ludwig. « Grâce à ces cours, j’ai d’ailleurs ses débuts à l’Opéra de Vienne que la jeune Brigitte s’initie à la pratique mande et je souhaitais faire un vrai travail développé mes aigus et j’ai abordé l’opéra. » en 1987 dans le rôle travesti le plus célè- vocale. « J’imitais Edith Piaf, Barbara, sur le texte ». Dans la classe de la basse La carrière lyrique de Brigitte Balleys est bre de l’histoire de l’opéra : Chérubin.

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De célèbres metteurs en scène croisent recommencer à faire quelques vocali- demande toujours ce que le public va pen- prochainement un enregistrement de sa route, depuis Jean-Louis Martinoty ses. Mais après cette « véritable cassure », ser. Maintenant, je vis autre chose ». Sa mélodies de Chabrier avec le pianiste jusqu’à Pierre Audi. « J’adore travailler les choses reprennent peu à peu. Belle seule nostalgie, elle la réserve aux enre- Laurent Martin. Mais ce qui mobilise avec un vrai directeur d’acteurs. Ce qui preuve d’amitié et de professionnalisme, gistrements historiques. Brigitte Balleys toute l’énergie de Brigitte Balleys, c’est me plaît chez ces grands metteurs en scène, son agence artistique (Caecilia à Zürich) est une admiratrice des voix de Nadine désormais l’Espagne : « J’ai envie de par- c’est que rien n’est jamais figé. Le rôle évo- lui est restée fidèle malgré toutes ces dif- Denize ou de Georges Thill. « À l’époque, tir vivre là-bas. J’apprends d’ailleurs les lue constamment. Ils insufflent par ailleurs ficultés. il y avait très peu de prises, et donc pas castagnettes et le flamenco ». Encore un une énergie incroyable au plateau. ». Par Brigitte Balleys choisit néanmoins de de trucages d’enregistrement. Aujourd’hui, nouveau départ dans la vie décidément contre, Brigitte Balleys dénonce les met- marquer le pas et décide de se consacrer tous les disques sont trafiqués. » Pour passionnée de Brigitte Balleys ! teurs en scène « anti-musicaux, qui veu- à l’enseignement. Après avoir donné autant, elle ne coupe pas les ponts avec lent absolument nous faire chanter avec un un grand nombre de master-classes, cette industrie, et va d’ailleurs publier Antoine Pecqueur téléphone portable ». elle devient en 2000 professeur au En parcourant les grandes maisons Conservatoire de Lausanne. Directeur d’opéra, la chanteuse est amenée à jouer de l’établissement, Pierre Wavre rap- « L’ o p é r a d u R h ô n e » sous la baguette de nombreux chefs pelle : « Nous voulions mettre en route une Un opéra en Valais ? L’idée peut paraître audacieuse, mais elle n’a rien de chiméri- d’orchestre. Elle se souvient en particu- formation au métier d’artiste lyrique. Nous que. Âme du projet, Florian Schmoker, corniste originaire de Martigny et ancien lier de , avec qui elle a avons ainsi recruté Brigitte Balleys, qui est soliste de l’OSR, a déjà eu l’occasion de mettre sur pied en 1999 un premier grand enregistré Fierabras de Schubert et dont engagée dans une activité musicale, mais spectacle, La nique à Satan de Frank Martin, donnée dans le cadre de l’aula du le geste est « parfois indéfinissable, mais dont la carrière ne l’empêche pas d’ensei- Collège de St-Maurice, avec la participation de plusieurs chœurs locaux, ainsi que toujours totalement naturel », sans oublier gner. Elle développe ainsi des ateliers sur d’un orchestre professionnel ad hoc, soit au total plus de 200 participants. Passionné Nikolaus Harnoncourt, complice dans le travail corporel, la diction… À côté de de théâtre, c’est à l’instigation de François Rochaix que Florian Schmoker a fait ses des Monteverdi et des Mozart, ou cette formation d’opéra, elle propose cha- premiers pas de metteur en scène. Pour la partie musicale, il a su attirer la collabo- encore et Jesus que année une semaine autour du Lied, ration d’un directeur d’expérience en la personne d’Ernst Schelle, chef d’origine allemande, mais établi en Valais de longue date, et actuel titulaire de l’Orchestre Lopez-Cobos. Quant à sa rencontre avec qui est son jardin secret. Brigitte s’engage du Collège de St-Maurice. Philippe Herreweghe, lors de l’enregis- complètement dans ce qu’elle fait, la rou- Parmi les réalisations de l’Opéra du Rhône depuis 1999 figurent notamment trement des Nuits d’été de Berlioz, cela tine lui est étrangère. En même temps, elle Le petit roi qui pleure de Jaques-Dalcroze (2000 et 2003), L’histoire du soldat de reste l’une de ses expériences musicales n’est pas remplie d’autosatisfaction : elle Stravinsky (2000) et La chemise de Jean-François Monot (2002). Pour ce début les plus marquantes. cherche, elle doute… » En parallèle à son d’année 2008, l’association a décidé de frapper un grand coup en mettant à l’af- travail au Conservatoire de Lausanne, fiche Carmen de Bizet, un ouvrage qui permettra de mettre en valeur les forces Brigitte Balleys crée une classe de Lied chorales du canton (la Fédération des sociétés de chant du Valais est partenaire du Rupture et nouveau départ à Fribourg, sur le modèle de l’Académie projet), de même qu’un plateau formé pour l’essentiel de chanteurs professionnels Francis Poulenc fondée à Tours par le valaisans, tels la mezzo Brigitte Balleys, le baryton Claude Darbellay et la soprano La saison 1993/1994, qui voit Brigitte baryton François Le Roux pour pro- Anne-Brigitte Vaudan. L’orchestre quant à lui sera constitué d’instrumentistes Balleys accepter des rôles de plus en mouvoir la mélodie française. valaisans actifs dans des orchestres professionnels suisses ou étrangers, de profes- plus difficiles, constitue une véritable seurs du Conservatoire Cantonal et d’élèves de l’Académie Tibor Varga. Les responsables de l’association aiment à rappeler que les populations vivant épreuve pour la chanteuse. À l’arrivée, Castagnettes et flamenco au long du Rhône, de Gletsch à Marseille, sont unis par un même sens de la fête. les médecins diagnostiquent un grave Gageons que celle-ci sera belle et durera dans le souvenir du public et des musi- problème sur une corde vocale. « Je ne ciens du Valais et des régions voisines, notamment des plus jeunes ! pouvais plus parler. On m’a dit que je ne Aujourd’hui, la chanteuse affiche un rechanterais pas. » Après sept mois d’ar- optimisme que l’on sent sincère. « Je Carmen de Bizet, par l’Opéra du Rhône: St-Maurice, théâtre du Martolet (aula du rêt, la chanteuse, sur les conseils de sa n’ai plus d’angoisses ; j’ai vraiment trouvé collège), le 20 janvier 2008 à 17 heures, les 23 et 25 janvier 2008 à 20 heures. « coach » Elisabeth Glauser, décide de mon corps. Quand on est jeune, on se www.operacarmen.ch — [email protected]

40 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 41 Entretiens inédits de Darius Milhaud

Deux Cités, celle de L’Enfant et de la mère, la Suite provençale, le Concertino de printemps, la petite Suite pour piano, violon et clarinette, votre Scaramouche pour Tr o i s e n t re t i e n s i n é d i t s d e D a r i u s M i lh a u d deux pianos, d’innombrables mélodies et j’en oublie sans doute. Or, il se trouve que cette production considérable ne vous a pas empêché de voyager énormément a ve c St é p h a n e Au d e l (1956) et c’est là une phase de votre activité qui n’est pas négligeable – car il me semble que les voyages ont pour vous plus que de l’attrait, mais encore une sorte de pouvoir (deuxième partie) fécondant : suis-je dans l’erreur ? Milhaud : Non, c’est exact. J’ai besoin de mouvement, le voyage est pour moi une espèce d’aliment pour l’esprit. Peut-être est-ce que cela tient à ce que, à cause de mon Transcrits, présentés et annotés par Malou Haine état de santé, je mène une vie assez sédentaire ; mais dès que je suis dans un train, dans un bateau et même dans un avion, je commence à voir différemment, à être Chercheur associé à l’IRPMF, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, intéressé par mille choses, je sens que tout se met en mouvement et que tout cela est Conservateur du Musée des Instruments de Musique de Bruxelles très favorable au travail. Audel : Et vous avez énormément voyagé bien entendu ; je ne vous parle pas des États-Unis, puisque vous y alliez régulièrement, mais je voudrais que vous nous disiez quelques mots d’un pays qui m’est cher et que vous connaissez aussi, c’est-à- Tr o i s i è m e e n t re t i e n dire le Mexique. Milhaud : Oui, le Mexique cher ami – eh bien j’adore le Mexique ! Je n’y suis Audel : Après avoir évoqué vos débuts dans la vie musicale, vos études à Paris et malheureusement allé qu’une seule fois, en 1946, et j’ai un grand désir d’y retourner. votre séjour à Rio de Janeiro pendant la guerre de 1914, nous arrivons aujourd’hui, Je vous dirai qu’en plus de cela, de ce désir, je me sens toujours un peu chez moi cher Darius Milhaud, à la période d’entre les deux guerres. Elle fut pour vous dans les pays latins – et je suis allé au Mexique après avoir passé six ans dans un pays d’une fécondité prodigieuse : vous avez abordé avec succès tous les genres. L’opéra anglo-saxon ! Et alors, je dois dire que le choc de cette latinité qui vous saute à la avec Christophe Colomb, Maximilien et Bolivar, la musique de concert avec vos gorge dès la douane est une impression inoubliable. Je suis allé là-bas pour diriger symphonies, votre Concerto pour batterie et orchestre, la musique de chambre avec un concert, et comme c’était au mois de juin – et par conséquent une période de vos quatuors. La radio a diffusé à peu près toutes vos œuvres, plus Les Malheurs vacances pour le collège dans lequel j’enseignais – j’en ai profité pour passer un mois d’Orphée et votre Médée. Vous avez écrit la Cantate de la paix, la cantate Les au Mexique ; et comme dans les contes de fée, nous avons trouvé là un industriel, Monsieur Prieto – qui est un grand ami de la musique, marié à une Française – qui a mis à notre disposition une voiture et un chauffeur, pendant quinze jours !

(4) La Cantate de la Paix (juillet 1937) et la cantate Les Deux Cités (août 1937) sont toutes (1) Composé en 1930 à Aix-en-Provence, l’opéra Maximilien, sur un livret de Franz Werfel deux écrites pour chœurs mixtes sur un texte de Claudel, tandis que la Cantate de l’enfant adapté par Hoffmann et Armand Lunel, est créé à l’Opéra de Paris le 5 janvier 1932 sous et de la mère (1938), sur un poème de Maurice Carême, est destinée à une voix parlée la direction de François Ruhlmann. L’opéra Bolivar, sur un livret de Jules Supervielle et accompagnée d’un piano et d’un quatuor à cordes. Madeleine Milhaud, est composé à Mills College d’Oakland en Californie en 1943, mais (5) La Suite provençale (1936) est créée au Festival de la Biennale de Venise en septembre sa première audition publique a lieu à l’Opéra de Paris le 12 mai 1950 sous la direction 1939. d’André Cluytens. (6) Le Concertino de printemps pour violon et orchestre (1934) est créé à Paris le 21 mars (2) Le Concerto pour batterie et orchestre, écrit en 1929 et 1930 est dédié à Paul Collaer qui 1935 par Yvonne Astruc sous la direction du compositeur. crée l’œuvre sous la baguette du compositeur aux concerts Pro Arte à Bruxelles en 1930, avec le percussionniste Théo Coutelier. (7) La Suite pour piano, violon et clarinette (1936) est créée aux Concerts de la Sérénade à Paris le 10 janvier 1937. (3) Les Malheurs d’Orphée, opéra en trois actes sur un livret d’Armand Lunel, est créé au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles sous la direction de Corneil de Thoran le 7 mai 1926. (8) Scaramouche pour deux pianos est créé à l’Exposition Universelle de 1937 par Marcelle Médée, sur un livret de Madeleine Milhaud, est une commande de l’État belge créée à Meyer et Ida Jankelevitch. l’Opéra Flamand d’Anvers le 7 octobre 1939. (9) La sœur de Carlos Prieto, Maria Teresa Prieto (Prieto y Fernandez de la Liana) (1910-

42 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 43 Malou Haine Entretiens inédits de Darius Milhaud

Audel : C’est très mexicain, ça ! terminée, Francis et moi avons eu l’idée, le désir d’aller à Vienne pour connaître ces musiciens et connaître leurs œuvres de plus près. Ça a coïncidé en plus avec une Milhaud : Ce qui nous a permis d’aller voir un tas de choses, de nous promener période où – à Paris – je venais de donner la première audition en France du Pierrot – et avec quelqu’un justement comme ce chauffeur qui parlait espagnol et qui savait Lunaire11, sous ma direction. Et par conséquent, quand nous sommes arrivés là-bas, admirablement par où il fallait passer. Et je dois dire que ça a été alors merveilleux nous avions déjà beaucoup de choses en commun, Schoenberg, Francis et moi ; et pour voir le plus de choses possible. ! Quant au point de vue musical, alors – en ce ça a été un séjour extrêmement intéressant à cause du contact quotidien que nous qui nous concerne plus particulièrement, j’ai eu une très grande admiration pour un avions avec ces trois grands hommes12. pays dont l’orchestre symphonique avait inscrit, pendant ce mois de juin 1946, un festival Hindemith dirigé par Hindemith, un festival Stravinsky dirigé par Stravinsky Audel : Bien entendu, bien entendu… Et à ce sujet justement, j’aimerais que vous et un festival de mes œuvres dirigé par moi10. Eh bien, je crois qu’on ne trouverait nous donniez votre sentiment sur le dodécaphonisme, puisque vous vous y êtes pas beaucoup, dans le monde, de simples associations symphoniques qui pourraient, intéressé dès le début n’est-ce pas – car il date des premières années du siècle ; et sans se risquer les foudres de bien des gens, offrir trois grands concerts dirigés par des cependant, il n’a pas encore réuni l’audience totale du public. Tenez, vous parliez compositeurs vivants ! justement du Pierrot Lunaire ; j’avoue que la première fois que je l’ai entendu, j’étais véritablement – comment dirais-je – plus que surpris, stupéfait, peut-être par Audel : Cela ne fait pas l’ombre d’un doute ! Mais à ce point de vue-là, moi, pendant manque d’éducation auditive ; mais enfin, depuis j’ai compris ; enfin, j’ai évolué. De la guerre, lorsque j’étais au Mexique, l’orchestre symphonique du Mexique donnait toute façon, par exemple le fameux Wozzeck13 d’Alban Berg – bien évidemment, des choses des plus avancées et des plus audacieuses, et il était très suivi – c’est c’est un chef-d’œuvre : tout le monde est d’accord là-dessus… Mais enfin, revenons vraiment un pays très épatant. à ma question, pensez-vous véritablement que le dodécaphonisme est la musique de Milhaud : Et on y travaille très bien, songez qu’on m’a donné sept répétitions ! l’avenir ? Audel : Ah ! C’est exceptionnel. Milhaud : Mais personne ne peut savoir quelle sera la musique de l’avenir, n’est-ce Milhaud : Oui, j’étais un peu épouvanté, car cela commençait à sept heures du pas ! Ce qui est très intéressant dans le dodécaphonisme, c’est son épanouissement matin ! à retardement : car au fond, c’était il y a quarante ans que cela aurait dû sortir, mais comme dit Nietzsche, « les révolutions viennent à pas de colombe ». Et on Audel : Ah oui, ça commence très tôt… a attendu évidemment longtemps ; ce qui est très heureux dans cette aventure, Milhaud : Seulement, c’est une affaire d’habitude. c’est que Schoenberg a vécu assez vieux pour voir l’immense retentissement et la tentation immense que son système des douze tons a eue sur une partie de la Audel : Bien sûr – mais je voudrais également, cher Darius Milhaud, que vous nous jeunesse. Il est certain que – il y a une question de tempérament qui compte : on parliez d’un autre voyage, évidemment pas dans le même continent, mais un voyage est ou tenté par le diatonisme, ou par le chromatisme ; de ce fait on devient un que vous fîtes à Vienne, en compagnie, si je me rappelle bien, de Francis Poulenc. C’était en 1921 n’est-ce pas ? (11) Le 16 janvier 1922 aux Concerts Wiéner, Milhaud dirige la première parisienne de Pierrot Milhaud : Oui, eh bien vous savez que nous nous sommes beaucoup intéressés Lunaire de Schoenberg, avec le concours de la cantatrice Marya Freund. De 1921 à 1925, toujours à l’œuvre des grands compositeurs viennois, c’est-à-dire Schoenberg, Berg les Concerts Salade ou Concerts Wiéner (du nom de leur fondateur, Jean Wiéner) offrent et Webern, qui sont devenus depuis les idoles des dodécaphonistes – seulement nous une programmation d’œuvres contemporaines encore peu connues à Paris, notamment nous sommes intéressés à eux il y a trente ans. Et dès la Première Guerre Mondiale Schoenberg, Berg, Webern, Stravinsky et de Falla. (12) En 1922, Milhaud voyage à Vienne puis en Pologne accompagné de Francis Poulenc et de Marya Freund. À Vienne, il rencontre non seulement Arnold Schoenberg, Alban Berg 1982) a étudié la composition et l’orchestration avec Darius Milhaud à Mills College et Anton Webern, mais également Hugo von Hofmannsthal et Egon Wellesz. Lors d’un en 1948. Elle s’est distinguée dans son pays à la fois comme pianiste et compositeur. La même concert privé, Milhaud et Schoenberg donnent chacun leur propre interprétation plupart de ses œuvres ont été exécutées par l’Orchestre Symphonique de Mexico. Milhaud de Pierrot Lunaire, l’un en français avec Marya Freund, l’autre en allemand avec Erika a dédicacé à Carlos Prieto et son épouse Cécile le Trio à cordes op. 274, composé à Mills Wagner. College en février 1947. (13) Wozzeck, opéra en trois actes d’Alban Berg d’après le drame Woyzeck de Georg Büchner, (10) L’Orchestre Symphonique de Mexico était alors sous la direction d’un chef et compositeur est créé au Staatstheater de Berlin en 1925, mais la France devra attendre le 9 novembre remarquable, Carlos Chávez (1899-1978). De 1928 à 1949, Chávez fit de cet ensemble 1950 pour une première représentation en concert aux Champs-Elysées sous la direction symphonique le premier orchestre permanent de l’histoire du Mexique. de Jasha Horenstein.

44 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 45 Malou Haine Entretiens inédits de Darius Milhaud compositeur dodécaphonique si on est tenté par le chromatisme, parce que c’est par disposition, et que nous ne devons pas négliger. Moi, j’ai été très tenté d’aller – pour le chromatisme qu’on arrive à échapper à la notion de tonalité. Maintenant il y a employer une expression un peu triviale – « fourrer mon nez » dans le Studio d’Essai dans la jeunesse de tous les pays des jeunes gens qui font du dodécaphonisme. S’ils où on fait la musique concrète à Paris ; mais comme j’ai l’esprit de contradiction, le font après avoir énormément étudié leur technique, c’est que vraiment ils étaient je ne me suis pas servi des éléments concrets qu’on met là si gentiment à votre faits pour ça, et alors bravo. Sinon, il faut se méfier de ceux qui prennent ça pour disposition. J’ai au contraire essayé, pour la première fois – je ne dis pas que plus tard une discipline, donc une facilité. Par exemple, j’ai rencontré en Angleterre quelqu’un je n’y retournerai pas – j’ai essayé un montage fait uniquement avec des éléments qui m’a dit : « Depuis que je fais du dodécaphonisme, je compose tous les jours ». Ça poétiques, lyriques et entièrement musicaux. J’ai enregistré sept bandes différentes m’a épouvanté ! (que j’avais combinées naturellement avant) et puis après, j’ai fait un montage en les mélangeant, en les transposant ; et j’ai fait un morceau de musique que j’ai appelé Audel : Oui, c’est évidemment épouvantable ; bien sûr, bien sûr… Mais puisque Etude poétique16, justement pour bien indiquer que ce que j’avais voulu faire était nous abordons cette forme d’écriture musicale, et d’autres qui sont nées depuis, je une chose évidemment lyrique et, d’un autre côté, qui ne pouvait pas se jouer sans brûle aussi de vous interroger sur les musiques concrètes et électroniques. Moi – je le truchement d’un micro et sans la bande enregistreuse. vous avouerai que moi, je les considère un peu comme un moyen plutôt que comme une fin ; enfin, en quelque sorte plutôt une involution qu’une évolution. Quel est Audel : Parfaitement. Et qu’est-ce que ça a donné comme résultat, c’est votre sentiment à ce sujet ? intéressant ? Milhaud : Vous savez qu’actuellement un compositeur ne peut pas, n’a pas le Milhaud : Ah bien – moi, ça m’a passionné. Je sortais de séances de travail comme droit de négliger tous les moyens qui peuvent s’ajouter et qui peuvent lui offrir un un jeune homme qui découvre un nouveau champ à exploiter ! Je ne dis pas que plus élargissement de son champ expressif. Il est certain que les recherches qui ont été tard… cette année j’avais l’intention, justement, d’aller un peu examiner de plus faites dans les studios de musique concrète, aussi bien que dans les studios de musique près alors les éléments purement concrets. Malheureusement, le Studio d’Essai est électronique, c’est-à-dire Paris ou Cologne pour commencer14 – maintenant il y en à un second étage et ça a rendu les choses impossibles pour m’y installer, à cause de a d’autres, il y en a à Gravesano en Suisse dont Scherchen s’occupe15 ; il y en a en ma santé. Amérique et que sais-je encore – eh bien je trouve que toutes ces recherches peuvent Audel : Bien entendu, hélas. Mais vous m’avez dit la dernière fois, cher Darius avoir leur utilité. Je crois surtout que nous assistons à une chose qui commence, Milhaud, que vous vous montriez très strict – et vous venez de le répéter d’ailleurs que les applications immédiates peuvent se trouver évidemment pour la musique de – sur la formation contrapuntique de vos élèves, et vous avez bien raison. Il me scène où il peut y avoir des effets extrêmement saisissants… semble, à moi profane, quand même, qu’on ne peut se libérer des règles qu’en les Audel : C’est à cela que je pensais justement ! connaissant à fond ; et comme chacun sait, la musique est le seul art qui puisse exprimer l’inexprimable – tout le monde est d’accord là-dessus – et pourtant il Milhaud : …ou à la musique de cinéma. Mais il n’est pas non plus impossible s’appuie sur des lois qui s’apparentent un peu à la mathématique, n’est-ce pas. Il est de penser qu’il y a un moyen d’expression supplémentaire qui est mis à notre bien certain qu’on ne peut pas jeter au hasard des notes de musique sur une portée ; or malgré cette rigueur de base, je vous avouerai que certaines productions musicales (14) À l’époque des entretiens de Milhaud avec Audel, on assiste à l’éclosion des premiers contemporaines me donnent parfois l’impression du chaos. C’est sans doute un studios électroacoustiques au sein des stations de radio, d’abord à Paris en 1948 avec la manque d’éducation de mon oreille, bien sûr ; ou bien est-ce que je dois reprocher création du Studio d’Essai de Radio-Paris sous l’impulsion de Pierre Schaeffer ; en 1951 à cette musique d’être trop savante pour l’auditeur moyen non-initié aux nouvelles à Cologne, la radio de la West-Deutsche Rundfunk accueille Werner Meyer-Eppler et Robert Beyer, bientôt rejoints par Herbert Eimert et Kalheinz Stockhausen ; en 1955 lois de l’écriture musicale ? à Milan le chef d’orchestre Bruno Maderna et le compositeur Luciano Berio jettent les Milhaud : Non, je crois qu’il faudrait simplement que vous la réentendiez dans dix bases du Studio de Phonologie de la RAI. En 1956, ce sera au tour de la Radio japonaise ans. NHK à Tokyo d’ouvrir un Studio animé par Toshirō Mayuzumi, Makoto Moroî et Tōru Takemitsu ; en 1957, la radio de Varsovie lance son studio expérimental à l’initiative du compositeur Zbigniew Wiszniewski et du musicologue Josef Patkowski. (15) En 1954 avec l’aide de l’Unesco, Hermann Scherchen fonde un Institut Électroacoustique à Gravesano afin de poursuivre des recherches expérimentales sur la musique moderne. (16) L’Etude poétique op. 33 est écrite en mars 1954 et diffusée la même année par Radio- Bientôt, il publie une revue musicale trimestrielle très documentée intitulée les Gravesano France dans l’émission « Recherches » sous la direction du compositeur et dans un montage Blätter. de J. E. Marie.

46 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 47 Malou Haine Entretiens inédits de Darius Milhaud

Audel : C’est possible – vous croyez que c’est une question d’éducation de cela m’a évidemment énormément intéressé à tous les points de vue ; tout d’abord l’oreille ? parce que j’ai vu des représentations d’opéra admirables ; j’ai entendu des orchestres merveilleux et j’ai vu surtout des musées tout à fait de premier ordre. D’un autre Milhaud : Ah, certainement ! Maintenant, dire qu’il faut être extrêmement strict côté, c’était très intéressant de vous trouver, tout d’un coup, dans un pays dont non dans ses études, eh bien c’est une – moi je considère cela comme une vérité de La seulement on ne comprend pas la langue, mais dont on ne peut pas lire l’écriture, Palisse. N’est-ce pas, il faut apprendre son métier et l’apprendre à fond. Et en effet, c’est un peu comme un voyage dans la lune. Et je dois dire que, grâce à l’hospitalité comme vous le disiez très justement, il faut aussi arriver à l’oublier – mais je constate que nous avons trouvée auprès des services des relations culturelles, tout nous a été qu’il est beaucoup plus difficile de l’oublier que de l’apprendre ! facilité. Tous les soirs, on nous emmenait dans le théâtre que nous avions choisi ; et Audel : Oui, certainement. ça a été un voyage extrêmement intéressant à cet égard, parce que ça nous a permis Milhaud : Oui, vous savez, lorsqu’on a fait des études techniques de contrepoint, de de prendre contact avec les jeunes musiciens ; et en 27, je me rappelle avoir eu la fugue, des chorals variés et des chorals développés, etc., etc., pendant cinq, six ans – visite d’un jeune homme avec des lunettes. Il m’a apporté sa première symphonie : eh bien, c’est indispensable, c’est entendu, mais quand on arrive à la septième année, c’était Chostakovitch ! il y a une espèce de tendance à facilement tomber dans les clichés. Et alors, c’est là, Audel : Et je suppose que vous avez dû voir là-bas des opéras qu’on ne donne jamais sur cette base solide qu’il faut arriver à libérer cette jeunesse – pleine de talent, mais par ici ? qui a besoin justement d’une petite chiquenaude pour les sortir de l’académisme. Milhaud : Oui, comme par exemple le Ruslan et Ludmilla18 de Glinka, qui est une Audel : Bien entendu ; évidemment c’est très délicat, et pour tous les artistes – c’est chose merveilleuse et qu’on ne donne jamais. un problème qui se pose à tous les créateurs. Et tenez naguère, Erik Satie a réagi Audel : Et L’Amour des trois oranges19 ? contre l’impressionnisme de Ravel et de Debussy, n’est-ce pas, c’est le même genre. Eh bien aujourd’hui, les dernières œuvres de Stravinsky par exemple – elles semblent Milhaud : Je l’ai vu aussi – je l’ai vu aussi à Leningrad dans de très bonnes indiquer une route plus austère, enfin plus rigoureuse et peut-être un retour au conditions, et c’était une soirée superbe aussi. classicisme. Qu’est-ce que vous en pensez ? Audel : Et voilà qui est fort intéressant ! Et maintenant, mon cher Darius Milhaud, Milhaud : Mettons les avant-dernières œuvres de Stravinsky, parce que maintenant, je dois vous faire un aveu. Je ne voudrais vous faire évidemment nulle peine même il a un grand flirt avec le dodécaphonisme ! légère, mais enfin, je pense qu’il agréerait peut-être à nos auditeurs d’entendre une de vos œuvres qui dès sa création n’a cessé de connaître le succès. Je n’ai pas Audel : Ah, par exemple, c’est vrai ? ! besoin d’insister, je sais que vous savez de quelle œuvre je parle n’est-ce pas, de votre Milhaud : Oui, mais traité à la Stravinsky, ce qui est toujours par conséquent Scaramouche écrit pour deux pianos. Si je crains de vous importuner, c’est que vous superbe et conséquent à la fois. êtes un peu agacé par ce succès, vous me l’avez dit, et comme Poulenc m’a dit lui- Audel : Oui bien entendu, celui-là, rien ne l’entame il faut bien le dire. Mais enfin, même qu’il était agacé également par le succès de ses Mouvements perpétuels, mais après cette digression fort intéressante, mon cher Darius Milhaud, et grâce à vous c’est une œuvre charmante. – revenons à vos voyages. Je crois me souvenir que votre Christophe Colomb fut créé Milhaud : Vous savez, on ne sait jamais si une œuvre sera un succès ou non. à Berlin et que vous avez fait par la suite, ou peut-être en même temps je ne sais plus, Scaramouche se trouve en être un. Et ce qui est curieux, c’est que je ne me suis jamais un voyage en Russie. Quels souvenirs en gardez-vous ? autant ennuyé dans ma vie qu’avec ce Scaramouche. Je l’ai fait comme un pensum, Milhaud : Oui, c’était à peu près à la même époque – c’était un petit peu avant, en parce que j’avais absolument promis une sonate à deux pianos pour l’inauguration 28 je crois ou en 27, lorsque les relations culturelles ont été reprises avec l’URSS. d’un pavillon à l’Exposition de 1937. J’avais promis ça à Marcelle Meyer et Ida J’ai été engagé avec Jean Wiéner pour aller diriger quelques concerts en Russie17 et Jankelevitch qui en ont donné la première audition – et je devais le faire à une certaine date et je pestais, je rageais ! Alors, je l’ai fait dans la plus grande mauvaise (17) Les liens culturels entre la France et l’URSS se rétablissent en 1926. À l’instigation de Wanda Szigeti, épouse du violoniste Joseph Szigeti, Milhaud accepte une tournée en (18) Ruslan et Ludmilla d’après Pouchkine, aujourd’hui l’un des opéras les plus connus de URSS avec le soliste Jean Wiéner. En 1927, il donnera trois concerts à Moscou et trois Mikhaïl Glinka, date de 1842. autres à Leningrad. Voir les détails de ce voyage en URSS dans Ma vie heureuse (p. 153- (19) L’Amour des trois oranges, opéra de Serge Prokovief sur un livret du compositeur d’après 157). Carlo Gozzi, est créé à l’Opéra de Chicago en décembre 1921.

48 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 49 Malou Haine Entretiens inédits de Darius Milhaud humeur ; et alors, après le concert, mon éditeur, le pauvre Raymond Deiss20, qui a Buenos Aires et, il y a deux ans, à l’Opéra de Rome. Le Maximilien a été créé à Paris été décapité par les Allemands pendant la guerre, est venu me trouver et m’a dit : « Je à l’Opéra dans de très bonnes conditions également. veux éditer ça tout de suite ». Moi je lui ai répondu : « Mais vous êtes fou, comment Audel : Le livret était de qui ? voulez-vous qu’une œuvre marche pour deux pianos, qui est-ce qui a deux pianos ? » Et il m’a dit : « Mais non, moi je le prends tout de même, parce que ça me plait ! » Et Milhaud : Eh bien le livret, ça, c’est une histoire peut-être un peu longue ! Je vais alors je lui ai dit : « Vous ne pourrez pas me dire que je ne vous ai pas prévenu ». Et tâcher de vous résumer. C’est un sujet qui s’est imposé à moi. Nous revenions, alors après, il s’amusait à me téléphoner pour plaisanter et me dire : « Vous savez, on ma femme et moi, des États-Unis, nous étions sur un bateau anglais et je suis allé m’en a demandé 500 en Angleterre, 1000 aux États-Unis », et au fond – je sais que chercher un livre dans la bibliothèque du bord ; et j’ai choisi Un voyage au Mexique, la musique papier ne se vend pas du tout, du moins en ce qui me concerne. Et c’est qui était une relation d’un officier belge au moment de la campagne faite par le la seule œuvre de moi qui marche ! corps expéditionnaire français, belge et autrichien pour la consultation du trône de l’empereur Maximilien22 ; et alors, j’avais dit à ma femme : « Tout de même, la Audel : Comme c’est extraordinaire, c’est vraiment très drôle ! Eh bien écoutez, physionomie de Maximilien – cet homme à la fois généreux et timide, et transplanté faisons entendre à nos auditeurs votre Scaramouche, vous voulez bien ? dans un pays pour lequel il n’est pas fait – ferait un très beau caractère d’opéra ». Milhaud : D’accord ! Nous rentrons à Paris, il y a un libraire en face de mon appartement Boulevard de Clichy, et il y avait en vitrine deux gros volumes du Comte Corti, des mémoires sur Maximilien et Charlotte du Mexique23 ; donc ma documentation se faisait [Audition.] d’elle-même ! Là-dessus je vais à Bruxelles diriger le Pierrot Lunaire, les journaux annonçaient la mort de l’impératrice Charlotte, qui était la tante du Roi Albert et qui venait de mourir dans un château belge où elle était enfermée. Elle avait perdu Audel : Et parlons à présent, cher Darius Milhaud, de la création de vos opéras c’est- la raison après les événements de 1865 ou 66, je ne me rappelle plus24. Donc, de à-dire de Maximilien, de Christophe Colomb et, plus près de nous, de Bolivar. nouveau dans les journaux, des photographies, des articles etc. Là-dessus je pars Milhaud : Eh bien, les trois que vous avez choisis au fond ont un élément pour Vienne et je m’installe à la campagne à Grinzing chez mon éditeur, directeur commun : c’est que leurs actions se passent en Amérique, ou ont à faire avec de l’Universal Edition, Monsieur Hertzka25. Il me dit « Qu’est ce que vous lisez ? » l’Amérique. – Je lisais en effet ce livre sur les mémoires, à propos de Maximilien, et je lui dis : « J’ai bien peur que le livre que je lis en ce moment vous fournisse un livret d’opéra ». Audel : Parfaitement, c’est bien pour ça que je les ai choisis ! Milhaud : On peut appeler ça une trilogie américaine, bien qu’il n’y ait aucun lien Souvenirs du Mexique entre les trois. Mais le Christophe Colomb a été fait sur un livret de Claudel, comme (22) Sans doute s’agit-il de l’ouvrage du baron Alfred Van der Smissen, (1864-1867), Bruxelles, J. Lebègue et Cie, 1892. D’autres ouvrages sont possibles : Capitaine vous savez, et il a été créé dans les conditions de luxe inouïes de l’Opéra de Berlin, Léon Timmerhans, Voyage et opérations du corps expéditionnaire belge, Liège, Faust, 1867 ; en 1930 sous la direction de Kleiber21. Ça a été une de ces représentations qui ont Capitaine Loiseau, Notes prises au Mexique par un officier de la légion belge, Bruxelles, E. compté dans ma vie au point de vue de la perfection dans le travail. Depuis, ça a Guyot, 1867 ; Emile Walton, Souvenirs d’un officier belge au Mexique, Termonde, 1874. été donné assez souvent au concert ; et au théâtre, ça a été donné aussi à Cologne, à Nous remercions Pascal Riviale de nous avoir suggéré ces identifications. (23) Egon Cesar Comte Corti, Maximilien et Charlotte du Mexique d’après les archives secrètes de l’Empereur Maximilien et autres sources inédites, Paris, Plon, 1927, 2 vols. , t. I : 1860- 1865, 479 p. ; t. II : 1865-1867, 413 p. (20) Raymond Deiss a édité plusieurs œuvres de Milhaud. Ce dernier lui dédie les Quatre (24) Charlotte de Belgique (1840-1927), impératrice du Mexique, fille de Léopold 1er, roi Romances sans paroles (1933). Deiss s’est illustré pendant la Seconde Guerre Mondiale des Belges, mariée en 1857 à l’archiduc Maximilien d’Autriche (1832-1867), frère de en publiant en octobre 1940 la première feuille clandestine d’information concernant la l’empereur François-Joseph et empereur du Mexique en 1863, suite à la proposition situation alliée d’après la radio anglaise : Pantagruel connaîtra seize numéros. En octobre de Napoléon III. Maximilien ne réussit pas à s’imposer et meurt fusillé à Querétaro ; 1941, Deiss est arrêté par les Allemands et décapité à la prison de Cologne en 1943. Charlotte sombre alors dans la folie. (21) Le chef d’orchestre autrichien Eric Kleiber (1890-1956) dirige la musique de l’Opéra (25) Fondée à Vienne en 1901, la maison d’édition musicale Universal Edition est à l’époque de Berlin de 1923 à 1934, année où il fuit le régime nazi. Durant ce mandat de onze ans, dirigée par un triumvirat d’éditeurs : Josef Weinberger, Adolf Robitschek et Bernhard il remporte d’importants succès avec diverses œuvres contemporaines dont le Christophe Herzmansky. Avec la nomination en 1907 d’Emil Hertzka (1869-1932), la maison Colomb de Milhaud le 5 mai 1930. d’édition connaît un rayonnement considérable.

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Et il me demande ce que c’est – et là-dessus il me répond : « Mais est-ce que vous Milhaud : Non, c’était beaucoup plus difficile, parce qu’il est plus facile de faire savez que Franz Werfel26 a écrit une pièce Juarez et Maximilien qui a été un immense une musique de scène qu’on oublie, et puis alors de traiter la chose lyriquement. succès dans toute l’Europe centrale ? Malheureusement, elle n’est pas traduite. On C’est ce qu’Honegger a fait aussi pour l’Antigone de Cocteau28 : il avait fait pour s’informe. Franz Werfel était à Vienne, j’arrive chez lui, il me dit : « Vous savez, les représentations de Dullin une courte partition de musique de scène écrite pour vous avez de la chance : ce matin j’ai reçu un projet de traduction française de mon harpe et hautbois, saisissante du reste. Et alors après, il a fait l’opéra. Tandis que œuvre ». Je l’emporte et deux jours après, on avait signé un contrat avec l’Universal Christophe Colomb – j’avais vraiment fait un très gros effort pour l’élaboration de cet Edition pour cet opéra qui s’est imposé à moi par une suite de circonstances ! opéra ; et après, c’était beaucoup plus dur de revenir à l’optique rétrécie29, n’est-ce pas ; et par conséquent – qu’est-ce que c’est que la musique de scène ? Il faut donner Audel : C’est tout à fait extraordinaire. au metteur en scène les éléments qu’il désire, car il se sert de la musique comme il Milhaud : Le destin… se sert d’un projecteur pour l’éclairage. Par conséquent, j’ai dû faire une partition Audel : Tout à fait, il fallait que vous écriviez cet opéra ! pour un orchestre réduit, pour des chanteurs qui n’en sont pas, puisque c’étaient les acteurs qui chantaient. Et donc, ce devait être extrêmement facile à chanter. Milhaud : Quant à Bolivar, j’avais fait la musique de scène pour la Comédie J’ai travaillé avec Jean-Louis Barrault, qui est venu plusieurs fois chez moi me dire 27 Française et ce sujet m’avait énormément plu, surtout l’admirable langue de exactement le nombre de secondes ou de minutes qu’il lui fallait à tel endroit. Supervielle bien sûr, le poète merveilleux. Et alors pendant la guerre, nous nous trouvions en Californie – évidemment, toutes nos pensées étaient constamment Audel : C’est un peu comme une musique de film, dans le fond ; c’est un peu la tournées vers mon pays et vers les horreurs de l’Occupation ; et j’ai trouvé au fond, même chose… dans Bolivar, l’idée de faire un opéra qui traitait d’une libération. Milhaud : C’est un peu – si vous voulez. Audel : Exactement, c’est comme on l’appelle là-bas : libertador, le libérateur. Audel : Mais c’est tout de même mieux ! Milhaud : Et alors c’est justement ce côté, qui prenait une espèce d’actualité très Milhaud : Oui, oui, certainement. D’un autre côté, vous comprenez, je n’ai voulu dramatique, qui m’a poussé à demander à Supervielle la permission de faire un opéra ; introduire aucun élément commun avec mon opéra, d’abord parce que ça m’aurait et alors, je ne me suis absolument pas servi d’aucun des éléments de la musique de été même difficile. scène. C’est tout à fait autre chose. D’ailleurs, l’optique musique de scène est très Audel : Je pense bien. Enfin, tout ce que vous venez de nous dire, cher Darius différente de l’optique lyrique – et on ferait mieux de dire « acoustique » plutôt que Milhaud, confirme la richesse de votre imagination – enfin votre scrupule aussi, « optique », mais enfin… votre honnêteté de créateur et votre puissance. Aussi ne voudrais-je pas terminer Audel : Oui, on comprend ce que vous voulez dire. Mais justement, c’est là une sans faire entendre à nos auditeurs un passage d’un de vos opéras. Qu’est-ce que vous faculté surprenante que vous avez, car enfin, vous avez fait la même chose pour prévoyez qu’on pourrait entendre ? Christophe Colomb : vous avez écrit un opéra, c’est entendu, un magnifique opéra. Milhaud : Eh bien, je ne crois pas que des éléments lyriques vous en trouverez Mais Jean-Louis Barrault, lorsqu’il a monté la pièce sur le texte de Claudel sous – mais vous avez là une suite que j’ai composée des différents interludes, et qui se son aspect dramatique, vous a demandé une musique de scène, et vous avez fait termine par l’ouverture de Maximilien. de nouveau une musique qui n’a aucun rapport avec la musique de l’opéra : moi je trouve ça extraordinaire ! Audel : Eh bien voilà ! [Audition.] l (26) Franz Werfel (1890-1945), écrivain autrichien appartenant au courant impressionniste. Ses romans étaient particulièrement populaires durant les années 1920 et 1930. Sa pièce (28) Arthur Honegger a d’abord écrit une courte musique de scène de quelques mesures pour de théâtre Juarez und Maximilian a été publiée à Berlin en 1924 et a connu plusieurs la pièce Antigone de Jean Cocteau en décembre 1922, avant de mettre entièrement le texte rééditions. Une adaptation cinématographique hollywoodienne a été réalisée en 1939, en musique dans une tragédie musicale en trois actes créée au Théâtre de la Monnaie de avec Bette Davis dans le rôle de Charlotte et Paul Muni dans celui de Juarez. Bruxelles, le 28 décembre 1927. (27) Bolivar, pièce de Jules Supervielle, est montée à la Comédie Française le 28 février 1936, (29) La pièce de Paul Claudel, Christophe Colomb, est montée au Festival de Bordeaux en mai avec une musique de Milhaud dirigée par Raymond Charpentier. Milhaud en tire un 1953 par Jean-Louis Barrault, avec une musique de scène de Milhaud. Sur ce même texte, opéra en trois actes du même titre, pour voix solistes et chœur mixte, qui est créé à l’Opéra le compositeur avait précédemment écrit un opéra complet en trois actes qui est créé à de Paris le 12 mai 1950 sous la direction d’André Cluytens. l’Opéra de Berlin le 5 mai 1930.

52 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 53 Actualités Actualités Publications reçues Livres Février-novembre 2007

• Catherine Buser Picard : Déodat de Slatkine, 2007, 381 p., ill., ex. mus., bibl., Séverac ou le Chantre du Midi, Troinex/ index Drize, Genève, Papillon, 2007, 238 p., ill., • Armin Jordan ou la musique ensemble, s.l., ex. mus., catalogue des œuvres, bibl., disc., s.d., 39 p., ill. Victoria-Hall index • Pascal Lécroart (éd.) : Paul Claudel. • Clio. Histoire, femmes et sociétés, N° Correspondance musicale, Troinex/Drize, par Metin Arditi 25/2007. Musiciennes, Toulouse, Presses Genève, Papillon, 2007, 334 p., ill.,, ex. Universitaires du Mirail, 2007, 311 p., ill. mus., index (collection « 7ème note ») • Célestin Deliège : Invention musicale et • Antoine Le Duc : La Zarzuela. Voyage idéologies 2. Mutations historiques et lectures autour du théâtre lyrique espagnol (1832- inancier et mécène, connu depuis rapport d’amour-haine aussi bien avec critiques de la modernité. Textes édités par 1910), Paris., Mare et martin, 2007, 737 quelques années comme prési- sa famille qu’avec sa ville, Genève, qu’il Irène Deliège-Smismans, Wavre, Mardaga, p., ill., bibl. dent de l’Orchestre de la Suisse voit toutes deux comme castratrices de 2007, 375 p., bibl., index • Patrick Mamie : Progressions 1, formation F • Nicolas Dufetel et Malou Haine (édd.) : musicale par les chansons, Le Mont-sur- Romande, Metin Arditi est également ses sentiments. Ces contradictions sont Franz Liszt, un saltimbanque en province, Lausanne, Loisirs et pédagogie, 2007, 87 l’auteur d’une demi-douzaine d’ouvra- incarnées notamment dans le person- Lyon, Symétrie, 2007, 424 p., ill., ex. ges littéraires ; son premier roman, nage de la mère d’Armand, d’origine p. mus., index • Jean-Louis Matthey (éd.) : Edouard Victoria-Hall, publié en 2004 et réédité levantine, vivant dans la Cité de Calvin • Jean Duron (éd.) : Regards sur la en 2006, a pour cadre Genève et ses dans un isolement qui confine au mons- Garo, notee biographique, liste des œuvres musique au temps de Louis XIII, Wavre, et bibliographie institutions musicales, notamment le trueux. , Lausanne, Bibliothèque Mardaga, 2007, 178 p., ill., bibl., index Cantonale et Universitaire, 2007, 62 p., Concours International. Mais il nous L’auteur a visiblement des comptes (Publications du centre de musique ill., catalogue des œuvres, bibl. fait aussi voyager à Prague et à Trieste, à régler avec sa ville d’adoption, et c’est baroque de Versailles) • L’orgue. Bulletin des Amis de l’Orgue, • Jean Duron (éd.) : Regards sur la sur les traces d’un riche collectionneur, bien ce qui rend son propos vrai et émou- 2006/1, N° 273, Lionel Rogg, ill., ex. mus., musique au temps de Louis XIV, Wavre, directeur d’une banque privée genevoise. vant. Car si l’amour finit par l’emporter, catalogue des œuvres, disc. Mardaga, 2007, 157 p., ill., bibl., index Parti à la recherche d’un manuscrit de quelques vérités sont dites, et bien dites. • Béatrice Ramaut-Chevassus (éd.) : (Publications du centre de musique Kafka, celui-ci trouvera bien vite sur sa La Genève dont parle Armand ou sa fille, Musique et schème, entre percept et concept, baroque de Versailles) route une cantatrice tchèque, l’affolante l’impertinente et désœuvrée Charlotte, St-Etienne, Publications de l’Université Tatiana. Les références littéraires sont n’est certes pas celle des milieux popu- • Jean Duron (éd.) : Regards sur la musique au temps de Louis XV, Wavre, de St-Etienne, 2007, 283 p., ill., ex. légion dans ce récit, au point que l’on laires ou des immigrés de basse classe, Mardaga, 2007, 167 p., ill., bibl., index mus., index (Centre Interdisciplinaire se surprend plus d’une fois à sourire du mais bien celle de la haute bourgeoisie (Publications du centre de musique d’Etudes et de Recherches sur l’Expression procédé – dès le prologue en fait, qui met d’affaires, le décor en est Malagnou et la baroque de Versailles) Contemporaine, Travaux 131 ; collection en scène une rencontre imaginaire entre Promenade du Pin, plutôt que Bernex ou • Jean Duron (éd.) : Regards sur la « Musicologie ») Proust et Kafka ; mais ce qui paraissait les Eaux-Vives. Mais au-delà des simpli- musique au temps de Louis XVI, Wavre, • Elisabeth Rozeboom : 40 promenades pour une artificieuse coïncidence se révèle fications d’usage, la critique ne manque Mardaga, 2007, 176 p., ill., bibl., index jeunes pianistes débutants. Le jardin des peu à peu, au fil des pages, le fondement pas de pertinence, et nous pose même (Publications du centre de musique chansons, Le Mont-sur-Lausanne, Loisirs et même du roman, dont le thème princi- une question fondamentale : l’opulence baroque de Versailles) pédagogie, 2007, 85 p. pal n’est sans doute pas la musique, mais n’est-elle pas un obstacle irrémédiable à • André Ducret, compositeur, chef de chœur • Claude Tappolet (éd.) : Ernest Ansermet : bien la quête d’identité de ses protago- la liberté, au sentiment et à la création ? et pédagogue, Fribourg, Bibliothèque Correspondance avec des compositeurs nistes, pris entre un Occident opulent et Apparemment, le protagoniste parvient Cantonale et Universitaire, 2007, 117 américains (1926-1966), Chêne-Bourg, Georg, 2006, 166 p., ill., index froid, voire terrifiant de mesquinerie, et finalement à trouver un compromis effi- p., ill., catalogue des œuvres, éléments de • Marianne Théodoloz-Bolle : Sur la un Orient pauvre mais plus authentique, cace – et c’est sans doute aussi le souhait discographie Anton von Webern terre comme au ciel, Neuchâtel, Messeiller, sorte de patrie du cœur pourrait-on dire. de l’auteur. La question méritait néan- • Alain Galliari : , s.l., Fayard, 2007, 984 p., ill., catalogue des 2006, 157 p., ill. C’est là sans doute la part la plus sin- moins d’être posée. (Vincent Arlettaz) œuvres, bibl., index • Edith Weber (éd.) : Itinéraires du Cantus cère, disons même la plus touchante, de • Philippe Girard et Alain Rochat : C. Firmus VIII. Aspects multiples, Paris, ce récit. Armand, directeur de la Banque Metin Arditi : Victoria-Hall, roman, F. Ramuz – Igor Strawinsky. Histoire du Presses de l’Université Paris-Sorbonne, Hugues, fondée en 1782, entretient un Pauvert, 2006, 214 p. soldat. Chronique d’une naissance, Genève, 2007, 189 p., ill., ex. mus., index

54 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 55 ActualitésDisques

Les Helvétiques disques en 1904 et 1916, affirment davantage Morgenstern à nouveau, en 1950 : Das par Jacques Viret une personnalité originale. Sans être Nasobem, sept poèmes pour chœur a reniée, la source romantique s’y trans- cappella. Le Schweizer Kammerchor, mute en des formules alors inédites. Le dirigé par Fritz Näf, a récemment enre- Troisième quatuor, en particulier, devrait gistré à la perfection leurs trois versions, compter au nombre des plus remarqua- allemande, anglaise et française, pour ce bles des années 1900. Modernité sans même disque. Lequel réédite, en outre, la La musique de chambre modernisme : Juon innove par nécessité gravure de Vierklaklavier (comprenons : d’Arthur Honegger interne, non parti pris forcé. VIER KLArinetten, « quatre clarinettes ») réalisée en 1985 par le Swiss Clarinet Paul Juon : les quatre quatuors, Quatuor Players, leur commanditaire : logique, Niziol (double CD Musiques Suisses MGB puisque Morgenstern les a inspirés. ’excellent Quatuor Parisii, entouré CD 6242, 65’ + 63’). Comme de coutume, la muse légère du de quelques comparses, a réuni sur Les quatuors de Paul Juon compositeur bernois exerce son pouvoir un précieux disque onze œuvres de séduction. Lde chambre d’Arthur Honegger. Hormis Le nom de Paul Juon (1872-1940) est Les « Morgensterniades » le Troisième quatuor, des pages mineures, revenu maintes fois dans ces colonnes. de Tischhauser Franz Tischhauser : Die drei Morgenstern- aurait-on envie de dire. Mineures par le Ce compositeur russo-germano-suisse iaden, Das Nasobem / The Nosobame format sans doute, mais non par la qua- du début du siècle dernier est, en effet, / Le Nézobème – Klein Irmchen – Das lité de la substance musicale ! L’auteur du bien servi par le disque : on ne s’en plain- Vierklaklavier (Musiques Suisses MGB CD Roi David y ouvre quelques-uns de ses dra point, vu la qualité et l’attrait de sa 6245, 66’). jardins secrets : intimisme de l’expression, musique. Nous l’avons présenté dans le perfection de la forme. Il s’y révèle le plus second numéro de la présente année, et divers, peut-être, des compositeurs de sa y revenons pour saluer l’édition, sous le Le concerto pour piano génération. Souvent français d’esprit, à label Musiques Suisses, des quatre qua- de Michel Cardinaux côté de ses sympathies avouées pour la tuors : on en est redevable au Quatuor tradition germanique ; simple et spon- Niziol, quatre brillants instrumentistes Pour le troisième disque qu’il enregistre tané, ou subtilement complexe ; héritier zurichois. Les deux premiers opus sont à la tête de son orchestre à cordes yver- des classiques, mais épris de nouveautés ; l’œuvre, en 1896, d’un jeune homme donnois, Michel Cardinaux a concocté, ne crachant pas, à l’instar de ses confrè- de vingt-quatre ans à la plume géné- Quand en 1937, âgé de seize ans, Franz secondé par le valeureux pianiste Daniel res des Six, sur l’apport impressionniste. reuse et déjà maître de ses moyens. Les Tischhauser mettait en musique quel- Spiegelberg, un original programme Tel il nous apparaît ici : égal à lui-même, deux derniers, composés respectivement ques poèmes enfantins de Christian d’œuvres concertantes des deux derniers attachant, inventif, sincère. Morgenstern, il témoignait d’un talent siècles. L’un des temps forts en est son aussi remarquable que précoce. Le très propre Premier concerto, qui confirme Honegger : Quatuor n° 3, Sonatine pour juvénile compositeur y découvrait ce le remarquable talent créateur de ce violon et violoncelle, Hymne pour dix- qui allait être son filon : la « jolie musi- sympathique et dynamique musicien. tuor à cordes, L’ombre de la ravine, Pâques que » au meilleur sens du terme, teintée Habilement écrite en un style clair, à New York, Six Poésies de Cocteau et de gaieté et d’humour. En 1973, Edith concis, bien sonnant, l’œuvre séduit autres pièces, Quatuors Parisii et Psophos, Mathis et l’auteur au piano gravaient d’emblée et ménage au pianiste quel- J. Corréas, baryton, Ph. Bernold, flûte, F. ces quelques lieder. Ceux-ci reparaissent ques beaux solos, de quoi déployer ses Cambreling, harpe (Saphir Productions aujourd’hui sur un compact du label capacités techniques et musicales. Pour LVC 001056, 74’). Musiques Suisses. Souriant registre et le reste, on savoure un exquis Wedding-

56 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 57 ActualitésDisques découverteActualités Cake, « caprice-valse » de Saint-Saëns, et lui, couronné en 2005 par trois prix au l’on découvre avec intérêt un Concerto Concours de Genève. Un premier disque Chant grégorien da camera de son aîné Alkan, un bref fait briller son exceptionnel talent sous Recitativo de l’enfant Mendelssohn, et diverses faces : un capiteux concerto de la Malédiction où le jeune Liszt associait Mendelssohn, une sonate de Mozart, u Moyen Âge, compositions pour la première fois son instrument et un bouquet d’étincelants morceaux de polyphoniques et plain-chant l’orchestre. Moszkowski, quelques études jazzistiques Atraditionnel s’entremêlaient dans de Schulhoff… Des doigts légers et déliés les liturgies. Depuis 2000, l’ensemble Mendelssohn, Alkan, Liszt, Tchaïkovsky, pour le jeu perlé, un poignet d’acier pour vocal Psallentes s’est voué à celui-ci pour Saint-Saëns, Cardinaux : œuvres pour le rebond des détachés, et partout un collaborer avec des interprètes de celle-là. piano et orchestre, par Daniel Spiegelberg brio à tout casser, voilà de quoi éblouir Ces six chanteurs hollandais s’illustrent – l’une des vingt mille (sic) puttane actives et l’Yverdon-les-Bains String Orchestra sans jeter de la poudre aux yeux. Parfait à présent dans un disque entier : au pro- à cette époque dans la Sérénissime (Rapsodia 007, 57’, www.yso.ch). accompagnement orchestral, assuré par gramme, les antiennes, répons et lectures République. On redécouvre, depuis l’Orchestre de Chambre de Genève sous composés pour l’office de la Trinité, au quelques années, les quelques dizaines la baguette de Paul Goodwin. IXe siècle, par l’évêque Étienne de Liège. d’airs profanes pour voix seule et conti- Le pianiste Louis Schwizgebel-Wang Du bel et bon grégorien, abordé ici dans nuo qu’elle écrivit pour son propre usage, Mendelssohn : Concerto en ré mineur un esprit intemporel, à mi-chemin entre et publia. Ils s’éloignent du recitar can- À vingt ans tout juste, le pianiste Louis – Pièces en solo de Moszkowski, Mozart l’impassibilité « solesmienne » et une tando calqué sur la déclamation verbale : Schwizgebel-Wang – naguère élève de (sonate K 311), Schulhoff, Louis rythmique plus plastique, en longues ces émouvants lamenti exploitent à l’envi Brigitte Meyer au Conservatoire lausan- Schwizgebel-Wang, piano (Pan Classics PC et brèves, modelée sur les accents ver- les sophistications baroques des vocali- nois – a déjà un joli parcours derrière 10 192, 65’). baux. Quelques touches de polyphonie ses, dissonances et répétitions de mots. improvisée rehaussent la ligne mélodi- La voix s’y repaît de mélismes virtuoses. que. C’est soigné, pur et beau, avec une Celle de Cristiana Presutti, excellem- NOUVEAUTÉS Disques VDE-GALLO www.vdegallo.ch tendance – excessive pour notre goût – à ment accompagnée par les instrumen- la placidité désincarnée. La notice repro- tistes de l’ensemble Poïésis, est rompue duit les paroles et leur traduction. à cet art d’un suprême raffinement. En outre les deux violonistes de l’ensemble Étienne de Liège : In festo sanctissimae montrent, à travers trois pages de Biagio trinitatis, ensemble vocal Psallentes, dir. Marini, combien le violon italien, à ses Hendrik Vanden Abeele (Ricercar RIC 249, origines, dérive du chant. 61’ ; distr. Disques Office). Barbara Strozzi : airs profanes pour une voix et basse continue, Ensemble Poïésis L’Italie baroque avec Cristina Presutti, soprano, et Marion Fourquier, harpe et coordination (æon Surprenant personnage que cette AECD 0643, 71’ ; distr. Disques Office). Barbara Strozzi (1619-1677), chan- teuse et compositeure, élève de Cavalli, Une réalisation grandiose égérie des académies vénitiennes du Sur ce fertile terrain du baroque italien, Une réalisation grandiose. GALLO CD-1236 + bonus DVD-1237GALLO CD-1236 + bonus seicento ! Fille naturelle d’un patri- le label suisse Pan Classics nous a déjà Egalement: Ensemble Fidelio: Beethoven-Mozart CD-1231 • Trudelies Leonhardt, fortepiano: cien lettré qui fut le librettiste, entre procuré quelques enchanteresses décou- Schubert CD-1232 • Trio Eleonore: Bruch-Juon-Stutschewsky CD-1233 • El-Baze: Chayara CD-1238 autres, de Monteverdi, elle n’a peut- vertes : beauté des œuvres, magnificence être pas été – comme on l’a supposé des interprétations, richesse des notices

58 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 59 Disques ActualitésDisques reproduisant tous les textes et leur tra- trouve chez un heureux particulier de La duction. On se souvient, en particulier, Chaux-de-Fonds. Construit par Louis des oratorios de Carissimi transfigurés Denis, restauré en 2005, il fait désormais par Jérôme Corréas (interprète d’Ho- concurrence au Ruckers du Musée de negger comme chanteur, voir ci-des- Neuchâtel (CD Couperin par Jovanka sus !) et son ensemble Les Paladins (PC Marville, Gallo CD-1032, 2000). Une 10182, 2005). À ces mêmes interprètes, bien belle pièce ! La talentueuse clave- nous devons maintenant la révélation ciniste Paola Erdas en offre la primeur de quelques captivantes pièces vocales aux discophiles, au gré d’une sélection de Domenico Mazzocchi (1592-1665). de pièces françaises du XVIIe siècle pro- Ce musicien romain, d’une génération cents fois le même concerto. S’il avait venant d’un manuscrit qu’a copié en popularité. Lorenz Duftschmid, brillant le cadet de Monteverdi, était prêtre ; cela connu les cantates de chambre produi- partie Jean-Henry d’Anglebert : pièces élève de Jordi Savall, rend maintenant ne l’a point empêché de composer de tes à la pelle par les contemporains du de d’Anglebert lui-même, de son maître justice au troisième grand nom de la la musique vocale d’une bouleversante prete rosso, il aurait pu leur appliquer, à Chambonnières, de son confrère Louis viole de gambe française : Forqueray. intensité émotionnelle, sur des textes meilleur droit, une boutade analogue ! Couperin, ainsi que de luthistes plus À vrai dire il y en eut deux, Antoine et sacrés ou profanes de caractère pieux. Voici cinq ans, l’ensemble Fons Musicae anciens, transcrites par d’Anglebert. La Jean-Baptiste, le père et le fils. L’un après « Détournons-nous des séductions mon- exhumait pour Pan Classics des cantates plastique ornementale et décorative s’y l’autre, à l’âge de cinq ans, ils émerveillè- daines », exhorte une voix enjôleuse ; et de Caldara. Il récidive aujourd’hui avec conjugue avec l’élégance de l’expression, rent Louis XIV ! Après la mort d’Antoine, quand les paroles évoquent les larmes de Francesco Gasparini (1661-1727). Entre et le toucher sensible de l’interprète est Forqueray fils publie en 1747 un recueil Marie-Madeleine, la musique nous fait temps les trois archets ont changé, mais en symbiose avec les profondes résonan- de Pièces de Viole avec la Basse Continue, pleurer avec elle… Les chanteurs solis- le théorbiste et chef Yasunori Imamura ces de l’instrument. qu’il donne comme l’œuvre de son père tes, généralement à plusieurs avec vio- est toujours là, les deux chanteurs aussi : (sauf trois morceaux), alors qu’elles sont lons et continuo, restituent à merveille le soprano Monique Zanetti (un peu vraisemblablement de sa plume. Il s’agit cette rhétorique si chargée d’affects. décevante vocalement mais bonne musi- en tout cas d’une superbe musique, dont cienne) et l’alto Pascal Bertin (excellent). les énergiques détachés tranchent sur les Quant à la musique, elle est à la mesure joliesses rococo prisées à l’époque de des badinages galants de bergers amou- Louis XV. Peu d’ornements donc, mais reux évoqués par les poèmes : volubi- des accents mâles, vigoureux, dont l’ar- les récitatifs alternent avec pimpantes chet virtuose de l’interprète restitue la arias. Agréable sans plus, et même joli. forte saveur. Interprétations d’un bon style. D’Anglebert : Pieces de Clavessin en Antoine Forqueray : Pièces de viole, L. Gasparini : Sonate e Cantate, Ensemble Manuscrits, par Paola Erdas, clavecin Louis Duftschmid, basse de viole solo, C. Urbanetz, Fons Musicae, dir. Yasunori Imamura (Pan Denis, 1658 (Arcana A 337, 69’, distr. basse de viole, J. Hämmerle, clavecin, T. C. Domenico Mazzocchi : Madrigali e dia- Classics 10189, 79’). Disques Office). Boysen, théorbe et guitare baroque (double loghi, ensemble vocal et instrumental Les CD Pan Classics PC 10190, 77’ + 57’). Paladins, dir. et claviers Jérôme Corréas (Pan Classics PC 10188, 68’). La France baroque Autre instrument emblématique de la France baroque : la viole de gambe. Trios russes Le plus ancien clavecin français, sem- Depuis certain film de Gérard Corneau, Vivaldi, aurait dit Stravinski, n’a pas ble-t-il, ayant conservé tous ses élé- le Sieur de Sainte-Colombe et son élève Les hasards des parutions discographi- composé cinq cents concertos mais cinq ments sonores dans leur état d’origine se Marin Marais jouissent d’une enviable ques permettent quelquefois d’intéres-

60 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 61 ActualitésDisques ActualitésDisques

position d’un surdoué de dix-sept prin- harpe (Altrisuoni AS 201, 59’ – wwwal- qawwali pakistanais. Le musicologue temps : le Premier trio de Chostakovitch. trisuoni.com, ou à Bâle chez Musik Wyler Fabrice Contri nous révèle, pour l’heure, Les Nota Bene ont pour eux l’élan, la www.musikwyler.ch). les chanteurs Konkanî de Kochi, cité du générosité, le panache, qualités fort bien Kerala central, qu’il est allé enregistrer mises en valeur par le magnifique Trio sur place en 2004. Une révélation, oui : en ré mineur d’Anton Arensky, publié en « Le Pauvre Matelot » de Milhaud beauté proprement musicale de la hari- 1894 : Schumann ou Mendelssohn, avec kathâ, « discours de sanctification ». Le un je-ne-sais-quoi de russe… Tout comme l’œuvre sœur Les Malheurs haridâsa, « serviteur de Hari », stimule d’Orphée (qui figure, rappelons-le, dans la piété des fidèles en racontant la vie et Chostakovitch : Trios n° 1 et n° 2 – le coffret en hommage à Paul Sacher, en chantant les poèmes des saints mys- santes confrontations. Ainsi nous est-il Rachmaninov : Trio élégiaque n° 1, Trio Musiques Suisses MGB 6240), Le Pauvre tiques du Mahârâshtra, Légende dorée donné, pour l’heure, de comparer les Bendayan (Agneta Lansing AL 2006, 56’). Matelot, « complainte » dramatique de hindoustani. Accompagnés de quelques mérites respectifs des trios Bendayan et Rachmaninov : Trio élégiaque n° 1 Darius Milhaud sur un livret de Cocteau, instruments, six chanteurs, dont trois Nota Bene dans des programmes russes – Arensky : Trio en ré mineur op. 32 – créée en 1927, est un délectable chef- solistes, s’absorbent dans la profondeur comportant, de part et d’autre, le pre- Chostakovitch : Trio n° 2, Trio Nota Bene d’œuvre. La sève mélodique y coule avec de leur sentiment intérieur. mier Trio élégiaque de Rachmaninov et (Claves 50-2720, 70’). un bonheur constant, alimentée qu’elle le Second trio de Chostakovitch, l’un des est dans un terreau folklorique devenu Mahârâshtra – Chants des Konkanî de fleurons de sa production de chambre. pour Milhaud une seconde nature. Treize Kochi, enregistrements et notes de Fabrice Bendayan : une jeune fratrie de trois Chant et harpe instruments tissent autour des voix une Contri (Archives internationales de musique Arméniens, tous trois résidant à Genève. trame sonore fine, transparente, impec- populaire AIMP LXXX, VDE-Gallo CD- Nota Bene : des Valaisans, jeunes aussi, Voici quelques années, Mme Consuelo cablement rendue ici par les interprètes. 1212, 63’). à l’aube d’une brillante carrière inter- Giulianelli, harpiste de carrière et pro- Les quatre chanteurs, quant à eux, adop- nationale. Entre ces deux formations fesseur à Bâle (www.consuelogiulianelli. tent le style sobre qui convient. Le Trio à incontestablement de grande classe, la net), tenait sa partie dans les Folksongs cordes, l’une des innombrables partitions Steinway Hall préférence sera affaire de goût person- de Berio. Cela lui donna l’idée de chan- de chambre composées par Milhaud, Suisse Romande. nel. Le nôtre ira aux Bendayan pour la ter elle-même en s’accompagnant, prati- prolonge les teintes claires de l’opéra. sensibilité, le frémissement, la subtilité que courante en folk celtique mais non des teintes et des atmosphères. Tout ce en « classique ». Heureuse idée : elle nous Milhaud : Le Pauvre Matelot, complainte qu’il faut pour Rachmaninov : un mou- vaut un disque délicieux à croquer et en trois actes, C. Dubosc, C. Papis, J.- vement unique composé à vingt ans, craquer ! La ravissante voix, pure et natu- F. Gardeil, J. Bona, ensemble de solistes rempli de poignante nostalgie et de relle, de cette instrumentiste convient de l’Opéra, dir. J. Darlington, Trio Albert chaleureux lyrisme. Autre juvénile com- idéalement aux chansons populaires Roussel (Arion ARN 63659, 46’, enr. 1984 ; harmonisées par Berio, Bartók, Britten distr. Disques Office). ou autres. Entre les plages vocales s’in-

tercalent quelques beaux morceaux de Le Steinway Hall Suisse Romande vous donne Nino Rota, Cage et Britten. De John Chants mystiques de l’Inde l’occasion d’écouter et de choisir votre ins- trument favori parmi la plus large gamme Cage, une longue et surprenante pièce, d’instruments Steinway & Sons jamais exposés. Nous vous offrons la possibilité d’apprécier les minimaliste et modale : In a Landscape. En Inde, les chants dévotionnels se diverses sonorités comme nulle part ailleurs. Délectable… caractérisent – à côté du plus austère Lausanne, Grand Pont 4/Arcades Pichard 13 dhrupad – par leur accent de ferveur Téléphone 021 310 48 21 Saeya - Saeya, Folksongs and Harp épanchée en chaleureuses mélodies. On Recital, Consuelo Giulianelli, chant et connaissait, dans ce registre, le célèbre

62 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 Revue Musicale de Suisse Romande 60/4 Décembre 2007 63 Actualités

Association Musique & Vin

12e Saison musicale 2007-2008

Dimanche 27 janvier 2008, 17 h Saxon, église catholique Daniela Numico, clavecin Jacques Mayencourt, alto J.-S. Bach

Dimanche 10 février 2008, 17 h Riddes, La Vidondée «Podium Artistes Valaisans» Patronage: John Schmidli, clarinette Programme à définir

Jeudi 1er mai 2008, 19 h Riddes, La Vidondée ENSEMBLE HUBERMAN Beethoven – Brahms

Dimanche 1er juin 2008, 19 h Riddes, La Vidondée ENSEMBLE HUBERMAN Saint-Saëns – Fauré

Renseignements : François Métrailler, vigneron-éleveur, +41 79 220 44 05

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