LA BATAILLE DU MONT MOUCHET René CROZET

DEUXIEME EDITION

© Editions LA PLUME DU TEMPS® Août 1999 DEPOT LEGAL: Troisième trimestre 1999 ISBN: 2-913788-05-X

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LA BATAILLE DU MONT MOUCHET

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CATALOGUE GRATUIT SUR SIMPLE DEMANDE AUPRES DE l'EDITION Direction: Jean-Marc TRUCHET - Auteur et éditeur Couverture: Monument commémoratif du MONT MOUCHET. Photographie: René CROZET

LA BATAILLE DU MONT MOUCHET

"Il s'est passé ici un épisode trop méconnu mais héroïque de la Résistance Française" Général de Gaulle (5 Juin 1959)

"A tous nos camarades Tombés pour un rêve de gloire Et pour la Liberté Que le récit de notre histoire Soit un ultime hommage " René CROZET

NOTE DE L'EDITEUR La quasi totalité des photographies provient du film de René CROZET, intitulé: COMPAGNONS DE LA LIBERTE tourné sur les lieux mêmes des événements. Très peu de clichés ont été à l'époque des faits, réalisés durant les événements en question... et pour cause... Le lecteur voudra bien nous pardonner pour la qualité souvent moyenne des photographies reproduites mais celles-ci, par leur réalisme et leur force, nous ont paru indispensables. Elles reproduisent parfaitement l'ambiance de cette glorieuse épopée de la Résistance des Maquis d'Auvergne. Nombre d'acteurs de ce film étaient les compagnons de René CROZET... mais lors du tournage en 1960, ils avaient pris de l'âge... Des hommes venaient de partout, des hommes de tous âges, des hommes qui marchaient, tous volontaires. Ils marchaient en chantant. Tous ces hommes marchaient vers une idée, une espérance. Ils marchaient pour libérer la de l'envahisseur allemand. Depuis quatre années ils avaient attendu ce moment. Ils pleuraient de joie, ils pleuraient du grand bonheur de la Liberté retrouvée, retrouvée bientôt! Et ils marchaient, oui et c'est pour cela que leurs pieds faisaient mal et qu'ils n'en pouvaient plus de marcher, avec au dos, un sac ou à la main une valise. Si jamais, dans l'histoire des guerres une mobilisation fut faîte dans un si grand enthousiasme et une aussi grande exultation, ce fut bien cette mobilisation du 20 mai 1944, affichée, placardée partout, sous les yeux même de l'occupant, partout, sur les murs, sur les portes, sur les volets, dans les rues, au Puy, à Clermont ou ailleurs, dans les villages. Des milliers d'hommes, dans l'heure, se levèrent, des milliers d'hommes s'avancèrent vers la Liberté... Qu'importaient les pieds en sang dans les sabots, qu'importait la faim ou la soif tout au long du chemin! Notre seule soif alors était la liberté. On allait recréer un monde bientôt, quand nous aurions bouté les boches hors de France... Oui, on referait un monde plein de fleurs et de chansons. La Patrie renaîtrait, la France enfin libre... On en rêvait tout fort d'égalité, de fraternité et de paix, de tous ces mots qui chantaient! Oui, la France du général de Gaulle, notre France aujourd'hui n'avait pas perdu la guerre. On y croyait, on marchait et l'on avait raison. Il y avait quatre longues années déjà, qu'au fond de notre coeur s'était enraciné cet espoir. Ami, entends-tu ? Dans la nuit, la Liberté nous écoute. (Chant des Partisans) 1. LES ALLEMANDS ETAIENT PARTOUT

J'avais quatorze ans et j'avais honte. Je restais planté d'inquiétude et de curiosité tout ensemble sur un bord de trottoir, là où l'ancienne avenue de Châteaurouge joignait l'avenue de Lyon, au pont des Trois-Coquins. Au-delà de ce pont du chemin de fer, jeté à coup de traverses noires au-dessus de l'avenue s'étirait une longue théorie de camions peints vert de gris. Il y eut des commandements et des cris dans une langue que je ne comprenais pas. De ces camions jaillirent aussitôt mille soldats casqués, sanglés, l'arme à la main, qui s'alignèrent comme à la parade. J'étais là par hasard. Les écoles étaient fermées. Derrière moi, sur le mur, une affiche fraîchement apposée, invitait la population à garder une attitude calme et digne. "Clermontois, " pouvait-on lire, "notre ville a été déclarée ville ouverte. Aucune défense ne sera par conséquent assurée sur notre territoire. Quoi qu'il advienne, nous vous recommandons de vaquer à vos occupations habituelles dans le plus grand calme afin que tout se passe dans l'ordre. C'est la seule façon d'imposer le respect. " Cette affiche était intégralement reproduite en page 2 par LE MONITEUR, ce jour 21 juin 1940. Il faisait beau et pourtant les Allemands entraient à Clermont-Ferrand. Des explications de notre défaite, extraites d'une allocution du maréchal Pétain, étaient données dans L'AVENIR DU PLATEAU CENTRAL: "Depuis la victoire, l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on a servi. On a voulu épargner l'effort, on rencontre aujourd'hui le malheur". Ce même jour, sous la plume de son fondateur, Alexandre Varennes, le Journal LA MONTAGNE publiait un vibrant appel à l'espoir. "La guerre à Clermont. L'incroyable, l'impensable est arrivé. Clermont est dans la bataille. Hier soir, le canon a tonné tout près. La D.C.A. a tiré à nouveau. Un long et sinistre panache de fumée s'est élevé vers l'Ouest, les dépôts d'essence flambaient. Pourtant la vie a continué. Dans le calme, les Clermontois attendent l'inévitable: L'invasion. Que nous reste-t-il à dire, à écrire après ce mot? Les phrases n'ont plus leur sens. Une exhortation, toujours la même: Courage. Courage à chaque minute, quoi qu'il arrive. Maintenant, que notre dernier mot soit un mot de confiance. Tout ceci, toutes ces épreuves doivent finir. Nous avons vécu pour un autre espoir, pour un autre idéal. Nous reverrons une aurore nouvelle. La liberté revivra". Il faisait beau et le ciel était bleu, pourtant, les Allemands étaient là. Peu de badauds. Comme par enchantement, les rues s'étaient vidées du flot de leurs réfugiés qui, la veille encore, y traînaient hardes et désespoir. Sur la partie de l'avenue laissée à la circulation, des side-cars, "vert de gris" toujours passaient, virevoltaient, telles des mouches de coches, pétaradaient d'orgueil et d'accents gutturaux. Le bistrot en face était clos. Etait clos aussi tout à coté, le quartier Desaix où les soldats français et leurs officiers consignés attendaient sans gloire, leur sort de prisonniers, le Commandement de notre XIII Région en ayant ainsi décidé!.. Il faisait bien trop beau ce jour-là et le ciel était bien trop bleu. Les envahisseurs s'étaient rangés colonne par trois, en rien de temps et en ordre impeccable. Ils partirent du talon gauche à la suite d'un hurlement rauque. Presque aussitôt l'un d'eux entonna un air et ce fut, haut et fier, un étonnant chant de guerre scandant le bruit des bottes, un bruit impressionnant. Devant ces officiers hautains, ces soldats glorieux, je demeurai là, pétrifié, des larmes plein les yeux. Beaucoup plus tard, comme un écho, en contrepoint, au guttural martèlement de nos pavés, me reviendra le souvenir d'un autre chant montant, lui, de la nuit. Une mélopée de la douleur et de l'espoir, un air que nous les partisans, commencions par siffler doucement, entre les dents: "Ami, entends-tu le cri sourd du pays qu'on enchaîne..." Pour la capitale auvergnate la drôle de guerre s'achevait. Une autre allait commencer bientôt: La guerre des ombres. Je rentrai chez moi le coeur gros. La maison était rue d'Estaing, l'un des pavillons militaires édifiés sept ans plus tôt entre les granges immenses du parc à fourrage et le stand de tir du 92 R.I. Après que tant de jeunes résistants y aient été fusillés. Jamais ce stand de tir n'aurait dû resservir si nous avions en France un minimum de respect pour nos martyrs. Il fut notre Mont Valérien, à nous les Auvergnats! Mais comme disait quelqu'un que je n'ai plus à citer: "Les Français ont la mémoire courte... " En revenant chez moi ce jour-là, je revivais des joies d'enfants qui appartenaient au passé: Les défilés, le drapeau, les feux d'artifice que nous offrions à nos parents, chaque année dans ce quartier et cette impasse du parc à fourrage. Pourquoi "à fourrage"? Parce que simplement notre armée, face aux divisions blindées allemandes, n'avait, elle, que du cheval-crottin, rien que de l'artillerie hippomobile avec ses canons de 75 et ses caissons, rien qu'une guerre de retard... Il ne manquait en revanche, aucun bouton de guêtre! Alors, il fallait quand même bien les nourrir ces chevaux du 16 Régiment d'Artillerie... D'où ces immenses granges pleines de paille et de foin, ce fameux parc à fourrage desservi par une voie ferrée qui barrait l'entrée de l'impasse. L'atavisme aidant, tous les enfants du quartier se réunissaient donc aux grandes occasions de l'histoire. Le patriotisme n'avait pas d'âge. Le plus petit avait quatre an, le petit Frank, le plus vieux en comptait douze: c'était moi! Nous étions vingt ou trente et colonne par deux ou par trois, que ce soit du pied gauche ou du pied droit, devant nos parents, nous défilions fièrement. Sabre de bois, drapeau en tête porté par un costaud: Pierrot Souriant et en fin de cortège, nos infirmières portant brassard: Monette Jarrier et Yvette Dubourg qui n'atteignaient pas treize ans à elles deux! Les jeunes Perrichon, les Vincent, les Grollet, d'autres encore dont les noms me sont perdus... Nous marchions dans la poussière! Puis, le soir, nos petites économies aidant, nous offrions à l'assemblée des parents notre feu d'artifice, quelques pétards, deux fusées, trois soleils, le tout se terminant par un bouquet bleu blanc rouge qui nous valait de gaies exclamations: nous vivions dans la gloire! Notre gloire ce jour, venait d'en prendre un drôle de coup... Désormais, il n'y aurait plus de Marseillaise, il n'y aurait plus de défilé, il n'y aurait plus de drapeau, il n'y aurait plus de pétards dans ce quartier d'Estaing, sinon deux ans et demi plus tard à l'intérieur du stand de tir, des fusillades et des fusillés... Lors, il ne resterait plus rien d'un pitoyable armistice signé les 22 et 24 juin, qui entra en vigueur le 25 à minuit trente. Ce chiffon de papier, une mode d'époque, prévoyait une zone libre avec le tiers sud-est de la France et une petite armée dite d'armistice, par opposition à l'autre partie, la plus grande, qui comprenait la moitié nord ainsi que la côte Atlantique, appelée zone d'occupation. Entre les deux, une ligne de démarcation. Son seul mérite sera d'avoir inspiré les cinéastes. Mais, en attendant le cinéma, il y avait les réalités: une France coupée en deux et l'impossibilité de passer de l'une à l'autre des zones ainsi créées sans un laissez-passer spécial, les restrictions de tous ordres, les cartes d'alimentation, le couvre-feu. A Clermont Ferrand, les troupes allemandes la semaine durant, bivouaquèrent au jardin public. Leurs camions y écrasèrent tout le gazon! Au Grand Hôtel s'installa une commission d'armistice et puis, le 28 juin, les soldats de la Wehrmacht quittèrent Clermont et l'Auvergne. Si le bruit des bottes diminua quelque peu, les marques de l'esclavage s'imprimèrent "Suivant instruction des autorités d'occupation, LE MONITEUR et LA MONTAGNE paraîtront fusionnés jusqu'à nouvel ordre... " Pourtant, le lendemain, curieusement, chacun reprenait son titre mais publiait en lettres grasses le premier communiqué allemand qui nous fut infligé, daté du Führer-Hauptquartier, le 27 juin 1940. "Le haut commandement de l'armée allemande communique: en exécution des conditions de l'armistice, nos troupes ont progressé dans la région de la Dordogne, à l'ouest jusqu'à Bordeaux. Quelques patrouilles de reconnaissance effectuées par de faibles unités de la flotte ennemie dans la nuit du 24 au 25 Juin, dans la Manche, ont été facilement repoussées. Un de nos sous-marins a coulé plusieurs navires d'un tonnage total de 35 000 tonnes. Dans la nuit du 26 au 27 juin plusieurs avions de allemands ont bombardé à nouveau des ports et une usine d'aviation britannique. Un de nos avions n'est pas rentré à sa base. Des avions de bombardement britanniques ont continué de bombarder, au courant de cette nuit, la région ouest de l'Allemagne sans occasionner de dégâts militaires. Plusieurs civils ont été blessés ou tués. Deux avions anglais furent descendus par la D.C.A., un autre par les avions de chasse. Lors de la traversée du Rhin, le 15 juin et des combats qui suivaient pour forcer le passage par un des cols des Vosges, le commandant Schuler, à la tête de son régiment, s'est distingué tout particulièrement. " Quelque chose était donc bien changé en France. Les journaux avaient chaque jour un avis important à publier, un avis important qui intéressait toute la population. Comme celui-ci, par exemple: "Les forces d'occupation sont pourvues d'une monnaie spéciale qui sera acceptée en paiement sur la base de 5 pfennigs pour 1 franc." Oui, vous avez bien lu: "Les forces d'occupation!" Combien en eurent la nausée de ces trois petits mots qui illustraient à eux seuls notre très grande honte, au moins pour les patriotes En fait, tous les Français n'avaient pas forcément enraciné au coeur l'amour de leur pays. Tous les Français ne s'appellent pas Jeanne d'Arc ou Vercingétorix... On ne tardera guère à s'en apercevoir avec le marché noir, les profiteurs en tous genres, les collaborateurs, les délateurs, les traîtres. "La calomnie, la délation se donnent libre cours. Il est vrai que lorsqu'un régime nouveau s'installe sur les ruines de l'ancien avec des hommes qui n'ont pas l'habitude de gouverner, des ambitions ahurissantes se déchaînent. C'est à qui profitera le plus vite et le plus abondamment des malheurs de la Patrie, honneurs précaires, places, avancements aussi inespérés qu'injustifiés, profits de toute nature, tout est bon à arracher, ce qu'il y a de plus vil dans le coeur de l'homme fait surface. Innombrables, les consciences pourries se révèlent... " Je cite ici quelques lignes de l'ouvrage de Valentin Palmade: "Sous-préfet à Saint-Flour durant l'occupation" qui en ajoute encore : "Je recevais quotidiennement des lettres anonymes portant les accusations les plus graves contre les personnes de toute sorte, des plus élevées aux plus humbles. A leur prêter foi, j'eusse commis les pires injustices et les plus détestables vilenies. " Mais d'autres y prêtèrent foi: la Gestapo, la terrible police allemande et la . Des Français indignes d'être Français qui aidèrent l'ennemi à arrêter, à martyriser, à tuer d'autres Français. C'est ainsi que les forces d'occupation en vinrent à publier de plus en plus de petits placards indiquant que des "terroristes" avaient été fusillés. Le 29 août 1941, une affiche rouge et bilingue, collée sur les murs de , informait la population que le commandant d'Estiennes d'Orves venait d'être fusillé avec deux autres "espions" comme lui. C'était signé : Der Militâr Febelshaber in Frankreich. Pourquoi devait tomber ce pur parmi les purs? Par la trahison d'un certain Marty, son propre radio, qui avait vendu aux Allemands le réseau de résistance créé dès Noël 1940 par le commandant d'Estienne d'Orves, débarqué de Londres. Le délateur n'a jamais été retrouvé. Peut-être vit-il encore quelque part aujourd'hui avec son infamie... Ainsi va le monde! Dans la défaite et l'humiliation, il fallait pourtant vivre, il fallait donc bien que la vie s'organisât. Par la Kriegefangenenpost, une lettre du père arrivait enfin le 1 août. En fait, un pli écrit au crayon, avec comme en- tête l'inscription "Stalag VI C". Je la résume: "Je vais bien, j'ai été blessé à Courtrai, j'ai été soigné à Gand pendant un mois..." S'ensuivaient d'autres nouvelles comme celles d'une citation à l'ordre de sa division pour avoir, ô ironie, fait des prisonniers allemands avant de l'être lui-même, puis une longue théorie de recommandations pour nous soigner, pour écrire (le courrier était censuré), pour envoyer des colis. Il en fut à peu près de même envers la majorité des femmes du quartier. On passa l'été à faire des colis pour les prisonniers, nous en comptions un million quatre cent mille! Malgré la cherté de la vie, le marché noir, chacun, chacune se débrouillaient. Une petite avance de solde arrivait à la maison, ma mère faisait de la couture, bref, on vivait, ce n'était déjà pas si mal. Les femmes ont peut-être bien gardé depuis ce temps- là un certain esprit d'indépendance qui fait que beaucoup travaillent aujourd'hui, non pas forcément pour les besoins du foyer mais surtout pour se payer leurs fantaisies. Je me souviens qu'elles avaient un lieu de conversation tout à fait privilégié: les lavoirs. En effet, à la conjonction des quatre grilles de séparation des jardins, quatre lavoirs sous un même toit permettaient, en grimpant dessus, de discuter sans contrainte, en vis à vis et en toute discrétion aussi! Toutes ces paires de mollets blancs s'agitèrent vivement sur leur podium inspiré lorsqu'une nouvelle colportée de bouche à oreille gagna les cités. Il y avait un général français qui parlait à Londres, le soir, sur les antennes de la B.B.C. et qui disait que la guerre n'était pas finie... Ah donc! Un soir, rentrant de l'école, je surpris ma mère l'oreille contre le poste de T.S.F., un vieux "Point Bleu" qui marchait à merveille pourvu qu'il ait deux longs boudins d'antenne se croisant au plafond de la salle à manger. Elle mit un doigt sur ses lèvres et reprit sa position d'écoute. Ce n'était pas facile car un brouillage énorme, tel un moulin à prières, faisait tilali, tilali, tilali... sans discontinuer. Enfin, avec un peu d'assiduité comme d'entraînement, on arrivait à saisir des mots et des phrases qui n'avaient apparemment aucune signification et on le vit bien quand le speacker précisa qu 'il s'agissait de messages personnels. Il y avait donc un code, c'était déjà du mystère! Ce mystère-là ne pouvait pas ne pas passionner les nouvelles auditrices de la BBC et s'il existait l'heure des lavoirs, il exista l'heure où les Français parlaient aux Français. Le lendemain, perchées sur leur lavoir et chuchotantes, elles reconstituaient l'émission. Ainsi put-on avoir, à condition d'être discret, d'autres informations bien différentes de celles que les forces d'occupation laissaient paraître dans les journaux. Si la France n'avait perdu qu'une bataille, il n'y avait pas raison de désespérer. Des joies secrètes alors nous pénétraient. En 1941, l'Allemagne fit de l'oeil à la France. Les efforts de propagande sont si poussés, si outranciers que je ne peux résister au plaisir d'un morceau de bravoure diffusé par Radio Stuttgart: C'est presque du Goebbels! "L'Allemagne vous parle. Auditeurs français, lorsque vous avez lu sur les murs de chaque commune de France l'appel de la mobilisation, vous n'avez pas hésité à faire votre devoir. Vous avez embrassé les vôtres et vous avez rejoint votre dépôt: C'est pour la France! Eh bien, ce n'était pas vrai!... Lorsque des rafales d'obus coucheront les hommes à terre comme on fauche les blés, les blessés se diront les uns les autres comme pour s'encourager: C'est pour la France! Eh bien, une fois de plus ce ne sera pas vrai! Vous n'avez pas été mobilisés pour la France, les vôtres n'ont pas été évacués pour la France car la France n'a jamais été attaquée par l'Allemagne qui a toujours répété et qui redit encore inlassablement, malgré les hostilités, qu'elle n'a rien à réclamer à la France, rien que sa tolérance et peut-être, un jour, son amitié. Tandis que, la guerre finie, vous peinerez sur un sol appauvri, que vous réparerez vos ruines, que vous élèverez de nouveau, dans chaque village, un monument aux morts, les spéculateurs, calés au fond de leurs fauteuils, les pieds sur la table, un gros cigare à la bouche, souriront ironiquement et regardant du coté de l'Europe ruinée, ils murmureront: Tas d'idiots! C'est la seule expression de reconnaissance que vous recevrez pour les avoir enrichis. " Les émissions de Stuttgard (564 m) en langue française étaient transmises dans les camps chaque soir à 18 h 30 et 19 h.30. "Les prisonniers ont pu se rendre compte que le poste de Stuttgard leur avait toujours dit la vérité et qu'il ne se départit pas de cette méthode. " "Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand" Autre son de cloche de la B.B.C. Capter Londres n'est pas sans danger. "Auditeur de la Radio anglaise, consciemment ou non, en écoutant et propageant cette propagande, fruit de l'alliance judéo-communiste, tu commets un crime envers ta Patrie. Sans préjudice des sanctions judiciaires auxquelles tu t'exposes, sache qu'il est des Français décidés à tout pour que cesse ton action criminelle. Essaie de comprendre où est ton devoir, sinon, à notre grand regret, nous n'hésiterons pas à te l'imposer". En somme la carotte et le bâton. Dans cet ahurissant fatras des ondes et des bombes, des chants de guerre et des messages personnels, le silence des nuits d'Auzances où jeune scout, je campais avec ma troupe lors des grandes vacances, avait quelque chose d'éthéré et de fascinant. Sur les flammes de feux de camp nous chantions. Sur la rosée des matins nous priions et le reste du temps nous étions trempés par les larmes du ciel. Dix-huit jours sur vingt et un, il tomba des cordes. Avec l'ami Bidet on faisait merveille pour souffler sous les marmites à en perdre haleine et la soupe avait le culot d'être bonne! A la rentrée, je retrouvai ma mère plus fidèle que jamais à la voix de la B.B.C. L'heure vacation était devenue une institution. N'importe quel message, aussi incompris fût-il, ne pouvait être qu'un rayon d'espoir... Mais, il fallait bien fermer les volets, la porte à clé et baisser le volume du son pour qu'aucune oreille ennemie ne se doutât d'une telle trahison. Le voilà! Le Maréchal en grandes pompes, à Clermont, le 21 mars 1942 et nous l'avons chanté ce refrain, dans cette rue de Jacobins où nous faisions une haie d'honneur: "Maréchal nous voilà Devant toi le sauveur de la France, Nous jurons, nous tes gars De servir et de suivre tes pas. Maréchal nous voilà Tu nous as redonné l'espérance, La Patrie renaîtra, Maréchal, maréchal nous voilà" Du reste, toute la France chantait et applaudissait le sauveur de la Patrie, enfin, presque toute la France! Mais ce n'est pas parce que l'on chante "To Tipperary" que l'on est Américain... Ainsi cette petite histoire de Robert, engagé dans l'armée d'armistice début 42 afin de pouvoir choisir la D.C.A. Le cantonnement se trouvait aux Cézeaux. L'hébertisme étant à la mode, on fait du sport. On en faisait ce matin-là, quand le chef de section, voyant arriver quelques galonnés, réunit alors tous ses hommes pour leur faire chanter, d'une même voix: "Maréchal nous voila". Au geste, toute la section entonna comme un seul homme: "Its a long way to Typerary..." ce qui fit, parait-il, un effet magistral! Un autre matin où les jeunes militaires des Cézeaux couraient en flottant et torse nu autour des vignes d'Aubière, une autre apparition fut non moins magistrale, celle de soldats allemands qui, l'arme à la hanche et prêts à tirer, les encerclèrent soudainement. "Avec un copain, poursuit Robert, nous nous trouvions en bout de vigne, nous convenons de nous tailler. Il se jette dans une allée, la première. Je fais de même, dans le milieu de la vigne. Lui n'a pas de bol, un boche se dresse juste en face et à coups de crosse dans les reins, le ramène vers le cercle. Moi, je rejoins la Raye-Dieu, le quartier où nous habitions. Ma mère s'est bien demandée, sur le coup, ce qui se passait en me voyant arriver en si petite tenue..." Ce qui se passait était simple. Franchissant sans préavis la ligne de démarcation, les troupes allemandes, celles du 66 corps d'armée de réserve, jusque-là formé en Côte d'Or, venaient d'envahir la zone libre. Du 9 novembre au 1 décembre 1942, comme l'écrit Gilles Lévy dans A NOUS AUVERGNE, une chape de plomb descendit sur la zone sud. Foin des conventions, l'armée du même nom fut démobilisée fort brutalement. On y cultivait trop le culte de la France, d'une France ressuscitée au détriment du pangermanisme. L'un de ses chefs, le général Frère, n'était-il pas en train de regrouper, depuis le château Saint Victor à Chamalières, toutes les volontés de lutte pour former l'Organisation de Résistance de l'Armée (O.R.A.)... "On avait alors un lieutenant d'origine alsacienne - C'est toujours Robert qui parle - Quelques jours plus tard, quand j'ai pu discrètement le revoir, il m'a demandé de rejoindre l'unité pour y être démobilisé régulièrement, car il craignait que j'aie des ennuis. J'ai obtempéré plus pour lui faire plaisir que par conviction. Je suis retourné au cantonnement à la barbe des boches. Le jour où nous avons dû leur céder la place, ce lieutenant a fait sonner "Aux couleurs", en fantaisie par les deux clairons que nous avions. Lentement le drapeau a été amené, c'est lui-même qui l'a pris, l'a religieusement plié et emporté. Aussitôt les Allemands ont hissé à la place leur drapeau à croix gammée. Je crois que nous avons tous pleuré ce jour-là. Les jeunes démobilisés n'en furent pas quittes pour autant. Le service du travail obligatoire (S.T.O.) venait d'être décrété par Hitler, l'Allemagne avait besoin de main d'oeuvre, nous devions lui fournir 250000 hommes! Je n'avais pas envie d'aller travailler chez les boches. Pourtant, j'étais requis mais au moment du départ, je ne me suis pas présenté. Je n'étais pas le seul d'ailleurs car celui qui ne voulait pas pouvait toujours se démerder! Après ma démobilisation, je m'étais fait faire une fausse carte au nom de Robert Chaplon, le nom de ma mère et je m'étais camouflé à Riom où j'avais trouvé une place au Crédit Lyonnais. C'est là qu'ils sont venus me chercher. Il fallait passer la visite rue Georges Clémenceau. J'y suis allé. J'ai touché un bleu, j'ai même reçu une prime de 1000 francs, un vrai pactole à l'époque! Au C.L.. J'avais comme chef de bureau un vieux c... qui me dit comme ça: "C'est bien, mon petit, vous faîtes votre devoir" Il croyait que je partais en Allemagne!" La soupente de l'escalier où nous bavardons résonne d'un rire gras. "Je les ai feintés! Madame Macaire qui s'occupait d'une association de LA MERE AU FOYER, je crois, avait dit à la mienne un jour: "Si Robert a des ennuis qu'il vienne me trouver". Il s'est passé alors que vous partiez, qu'elle le savait et que Jean son fils, partait avec vous. C'est comme cela que j'ai été du voyage, un voyage en sens inverse, non pas vers l'Allemagne mais vers la liberté, avec vous, les scouts". Quand j'écris aujourd'hui "les scouts" j'entends parler du scoutisme en général qui, créé par un Anglais, Baden Powel, ne plaisait pas mais pas du tout aux Allemands! Car il y avait parmi nous des Eclaireurs de France comme Robin, par exemple qui sera ravi que je mette les points sur les i et m'a précisé que le foulard de sa troupe était rouge bordé de blanc tandis que le foulard de Godefroy, le mien, était bleu bordé de rouge! Trente ans plus tard, quelle mémoire! Il y avait au moins un gars des auberges de jeunesse. Ce même Robert qui vient de prendre le train à l'envers! Il y avait bien entendu des routiers du clan Baden Powel car lorsque le scout grandit il devient routier. J'avais certainement grandi très vite... Et puis il y avait quelques "civils": de jeunes copains de voisinage ou de collège. Ainsi donc une troupe de jeunes, les deux derniers avaient juste seize ans, rejoignirent, au nombre de dix-huit, les Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) au du Mont Mouchet. Pour nous, les gamins, le Mont Mouchet c'était du latin. C'est après coup que l'on connaîtra tout! La troupe des scouts, ainsi y fûmes-nous nommés... Mais, n'anticipons pas! D'autres jeunes, très jeunes encore, les enfants de troupe de Billom, suivront et rejoindront ce que l'on appelle aujourd'hui: Le réduit du Mont Mouchet. Les uns et les autres seront affectés à la 14 Compagnie et connaîtront ensemble le baptême du feu, ensemble et bravement. Mais qui donc à écrit: "La valeur n'attend pas le nombre des années"? Revenons un instant à nos scouts. Un scout, c'est sérieux et son poignard aussi est une arme sérieuse, fait aussi bien pour éplucher les pommes de terre que pour crever des pneus de voiture. Le poignard scout, toujours fixé à la ceinture, confère à son propriétaire une mâle assurance. Nous en avions parfaitement conscience quand les gamins que nous étions, Jean Pradelle et moi-même, eûmes, après nos distributions de tracts anti-chleuhs, la scélératesse de donner quelques "petits coups" de poignard aux pneus d'un camion pas français, rangé juste devant chez lui, tout au début de l'avenue de la République. Le bruit de l'air qui s'échappe, le pouou, ouf... du pneu qui s'écrase, cette grosse roue qui soudain se dégonfle: une inoubliable émotion que nous prîmes un malin plaisir à bien entretenir... Et, je ne parlerai pas des sucres que nous économisions pour les mettre dans les réservoirs et les carburateurs des voitures "vert-de-gris" car le sucre est souverain pour boucher les durites et les gicleurs. Nous le savions, je ne sais comment et nous en profitions, bien sûr, pour empoisonner les boches à notre façon. Comme le sucre était rationné, nous utilisions de la saccharine pour notre propre usage. Mais, que n'aurions-nous pas fait pour embêter les Allemands?... Depuis qu'ils étaient revenus en force dans notre zone libre, l'esprit de la revanche s'aiguisait en nous un peu plus chaque jour, au seul bruit de leurs bottes, de leurs patrouilles ou de leur couvre-feu. Et puis, je me souviens encore, la première fois que l'on entendit tirer dans le quartier, je veux parler des cités militaires, on n'y fit pas sur l'heure tellement attention. Une femme sans doute, sur son perchoir et ses blancs jarrets, en fit la remarque à sa voisine mais sans plus. Tiens donc, les chleuhs s'entraînaient. N'était-ce pas un stand de tir que nous avions derrière chez nous? Quelques semaines passèrent, les claquements partirent sec, à nouveau, au-delà du mur de béton. Oui, les chleuhs s'entraînaient, ils s'entraînaient sur des cibles vivantes! Hélas! Au stand de tir du 92, on fusillait des "terroristes". Des sentinelles montaient la garde au-dehors. On avait ordre de fermer les volets. Alors on regardait comme on pouvait, en douce, dès qu'il semblait que quelque chose allait devoir se passer. Ainsi une fois, j'ai entrevu une douzaine de civils qui, descendus de plusieurs voitures, entraient les malheureux, par la petite porte du stand, la porte du mauvais coté, la porte en fer qui donne accès aux cibles, celle qui était presque en face de chez nous. Je sais que ma mère pleurait et qu'elle serrait les poings sur ses larmes. Je sais aussi que j'avais le coeur gros et je me promettais en moi-même qu'un jour je tuerai des boches. Nos malheureux résistants qui n'avaient eu le tort que de trop aimer leur patrie, durent, nous l'avons su plus tard, creuser leur propre tombe avant d'être abattus. Des rafales d'armes automatiques vinrent nous percer l'âme. Les voitures repartirent. Des femmes, derrière leurs volets devaient joindre les mains et prier. Nous aussi. Il fallait faire quelque chose... Quelque chose, c'est sûr! Dès l'âge de 16 ans, René CROZET rejoint la Résistance dans les monts de la Margeride, au Sud Ouest de Clermont Ferrand. Depuis le , à près de 1500m d'altitude, il se heurtera ainsi que ses camarades, pour beaucoup ne comptant guère plus d'années que lui, à la fameuse division Das Reich. Remontant vers le débarquement allié de Normandie, 3000 à 4000 FFI l'en empêcheront tout le mois de juin 1944. Nombreux sont ceux qui ne reviendront pas et dont les stèles rappellent le souvenir. Une page d'histoire extraordinaire dans la libération de la France mais trop peu connue, comme l'a dit le Général de Gaulle. Une page d'histoire relatée par ceux qui l'ont écrite et vécue. Une page d'histoire à la gloire de la jeunesse qui donne là le plus bel exemple de la générosité mise au service d'un idéal merveilleux : la Liberté. Pour tous ceux qui l'ont payée de leur vie, notre liberté, ce livre est un hommage. Souhaitons qu'il soit aussi le livre du souvenir.

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