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Jean-Jacques Meusy, -Palaces ou le temps des cinémas, 1894-1918, CNRS Editions, 1997

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1896 : L’Expansion

Dès janvier 1986, Louis Lumière demande à l’ingénieur Jules Carpentier de lancer une construction de 100 à 200 cinématographes. Expansion large car on la pense rapide et brève. L’appareil est présenté en province, à l’étranger. Des salles s’ouvrent à Lyon (25 janvier), St-Pétersbourg (19 mai)…

Les Lumière engagent très vite des opérateurs. Contrat de 6 mois renouvelable. Métier de forain comme le rappelle Louis à Félix Mesguich. En juin, ce dernier présente l’appareil en Amérique, 2 mois après le Vitascope d’Edison. Pour arriver à cette diffusion aussi rapide, la société s’appuie sur un réseau qui existe déjà. A Paris, on recherche des salles supplémentaires pour étendre l’audience.

I. Nouveaux lieux boulevardiers

L’, 28 Boulevard des Capucines. Etablissement de Joseph Oller. Au 1er étage, Antoine Lumière loue une ancienne salle de billard (mars 1896). L’exploitation dure à peu près 4 mois.

L’Eldorado : le cinématographe s’y installe en mars pour 5 semaines comme seconde partie de spectacle à 22h. En avril, les représentations débutent dès l’après-midi.

II. Le cinématographe Lumière n’est plus seul !

La concurrence apparaît dès 1896 :

Théâtre Isola, 39 Boulevard des Capucines : presque en face du Grand Café et de l’Olympia. Salle exploitée par les 2 frères Isola, Vincent et Emile, venus en 1880 d’Algérie. Passé de menuisiers, deviennent prestidigitateurs aux Folies-Bergères en 1886. Ils louent la salle des Capucines en 1892. 194 places où se donnent des spectacles de magie, spiritisme, deviennent célèbres avec le tour des « lyres isoliennes ». Dès avril 1896, ils se lancent dans l’aventure du cinématographe. Quel appareil utilisent-ils ? L’isolatographe ne fait pas illusion. Il s’agirait en fait de l’appareil de George William de Bedts. Le spectacle ne dure pas et les frères l’abandonnent dès l’été.

Théâtre Robert Houdin : le Kinétographe remplace les tours de lévitation. Méliès est allé acheter l’appareil à Londres, chez William Paul. La publicité présente l’appareil comme américain. Certainement une copie du cinématographe, mais il s’agit de contourner la barrière des droits. Les bandes viennent par contre de chez Edison. Très vite, Méliès considère ces films comme désuets. Méliès veut l’indépendance. Pour cela, il lui faut un appareil de prises de vues. Pour se faire, il adapte lui-même le projecteur de W. Paul. Dès juin, il tourne sa première scène : La partie de cartes, inspirée d’une scène Lumière. Arrive la coupure de l’été, et au retour des vacances, Méliès annonce la mise en vente d’appareils et de vues de sa composition. Intense activité chez cet homme, à l’origine du premier trucage du cinéma. Fin 1896, il fait bâtir dans son jardin de Montreuil, un studio entièrement vitré. Le truc de substitution se retrouve dans l’escamotage d’une dame chez Robert-Houdin, le manoir du diable, qui inaugure le « genre Méliès ». La bande comporte 3 bobines, soit 60 mètres (3 mn).

Le cinématographe Lumière aux grands magasins Dufayel, 13 Bd Barbès : magasin plutôt de luxe pour le mobilier, tout ce qui concerne la maison, l’inévitable vélocipède. Le magasin de la petite bourgeoisie situé dans un quartier nord, populaire, dans le 18è arrondissement. Mr Dufayel offre à sa clientèle des conférences, expositions, attractions scientifiques. Moins de 4 mois après les débuts dans le salon Indien du P a g e | 3

Gd Café, un cinématographe est installé dans une salle de 250 places. Séances de 10h30 à 11h30, de 14h à 18h30, le dimanche de 9h à 13h. Les actualités de tous les pays défilent à un prix bon marché (50 centimes).

28, Bd Capucines : le musée Oller. Au sous-sol de l’Olympia, alors qu’au 1er étage Clément Maurice cesse en juillet l’exploitation du cinématographe des frères Pipon. Les séances se poursuivent jusqu’en octobre 1897.

Guillaume Tell au musée Grévin : Emile Reynaud, harcelé par la direction pour qu’il renouvelle ses sujets. Une pantomine représentant entre 500 et 800 images, ne lui permet pas d’honorer son contrat, lequel stipule 1 changement/an. Reynaud expérimente la photographie animée avec des appareils de sa conception. Le conseil d’administration semble satisfaite et engage 2 clowns, Footit et Chocolat, pour des prises de vues. Ils parodient la scène de Guillaume Tell avec un fusil à eau. Reynaud retravaille ensuite chaque cliché, sélectionne, agrandit, colorie à la main, monte les photos dans les cadres de la bande articulée. Travail lourd, mais moins pénible que précédemment. Accueil excellent du public. La direction décide de s’engager sur un nouveau chantier : « le premier cigare » avec l’acteur Galipaux.

Le cinématographe rencontre le peuple des faubourgs aux Folies-Bergères : ancien théâtre de la Villette, 19è arrondissement, naturalisé parisien par Haussmann. En-dehors des Bds, quartier d’entrepôts, fabriques. Le théâtre a bonne réputation. 900 places pour des spectacles de qualité. Son directeur, Paul Ruez, offre le cinématographe a ses spectateurs, dès septembre 1896 et ce, pendant 3 mois ½.

La photographie animée dans la grande salle de l’Olympia : célèbre établissement dont Oller a confié à son ancien chef d’orchestre, Mr de Lagoanère, accueille des photographies animées en octobre 1896. Grande salle mi-mondaine, mi-populaire. Spectacle en couleur, varié (funambulisme, déshabillage de Melle Willy). Gros succès et le spectacle reste à l’affiche jusqu’en mars 1897.

Le cinématographe Pirou au Grand Café de la Paix, 12 Bd des Capucines (9è) : Eugène Pirou, photographe de célébrités. En 1896, il se lance dans l’aventure de l’image animée au Gd Café de la Paix, à deux pas du Salon Indien. Son programme est varié (cortège du Tsar, rencontre avec le président et départ pour Versailles, le tout dure 6 mn). Le coucher de la mariée avec Melle Willy, qui le joue aussi à l’Olympia, rencontre un franc succès. Pirou ouvre alors plusieurs autres salles.

Le chronophotographe Demenÿ au théâtre du Chatelet (1er) : novembre 1896, première de la Biche au bois, féérie en 4 actes et 30 tableaux, créé à l’origine en 1845. Le spectacle est en couleur, 1000 images coloriées à la main par Jacques Ducon, présent au Salon Indien lors des 1ères séances. Demenÿ, assistant de Marey, développe son propre chronophotographe, qu’il dépose en 1893. Il n’arrive pas à régler certains problèmes techniques qui auraient fait de lui le père du cinématographe. En 1895, Gaumont décide de financer ses recherches. Lui-même, à 31 ans, il dirige le Comptoir général de la photographie. En 1896, Demenÿ dépose plusieurs brevets, les appareils étant fabriqués par Gaumont. La pellicule est plus large que celle d’Edison et de Lumière, 6cm au lieu de 3 ½. On peut ainsi projeter sur une surface plus grande avec une excellente luminosité. Le coût, plus élevé, ramène Gaumont vers le format 35 mm.

Une 3è salle pour le cinématographe Lumière au 6 Bd St-Denis (10è) : Après le Salon Indien et les magasins Dufayel, une 3è salle apparaît dans une zone plus populaire des Gds Bds. Ouverture les après-midi et le soir de 20h30 à 23h. L’ouverture passe relativement inaperçue. Première véritable salle de cinéma dans la mesure où elle n’est la dépendance d’aucun café, magasin ou musée. Capacité d’environ 150 places. Détail de l’histoire, ce cinéma a traversé les temps pour terminer cinéma X dans les années 90.

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III. Bilan d’une première époque

Développement assez considérable de la photographie animée. Le mot cinématographe est encore réservé pour un temps au seul appareil Lumière. La rencontre avec le public a eu lieu.

Au Grand Café, malgré une concurrence qui se développe, les frères Lumière enregistrent des bénéfices record : 326.383 F (895/j), 6X plus que le théâtre Robert Houdin. Impossible par contre de répertorier tous les lieux où se produisent des exhibitions : temps éphémère, les journaux ne les évoquent pas tous. L’opinion qui prévaut est que la mode passera. On s’extasie devant la technique mais on est convaincu que les gens se lasseront des spectacles.

Ces spectacles manquent souvent d’originalité, mais les frères Lumière profitent de leur avance pour faire réaliser des vues documentaires dans le monde entier. Ils s’essaient au sketch comique.

Une grave erreur est à répertorier au compte des Lumière : à peine plus de 3 mois après la 1ère projection publique, la concurrence émerge. Du coup, refuser la commercialisation de leur appareil entraine un effort de la recherche. Demenÿ, Méliès, De Bedts, Kirchner et d’autres se lancent dans la conception, la fabrication et la vente de leurs propres appareils (Gaumont exploite le mécanisme Demenÿ). Situation d’autant plus absurde que la technologie Lumière surclasse les autres concurrents (images plus stables grâce à son mécanisme à griffes. Seul inconvénient : les bandes s’usent plus vite. Plus tard, on privilégiera les 8 perforations, 4 de chaque côté, selon la méthode Edison, plus efficace que les 2 trous ronds selon la perforation Lumière).

L’année 1896 est donc une course aux brevets : 10 en 1895, 124 en 1896. Pourquoi ? On copie d’abord le Kinétographe et le Kinétoscope Edison, non protégés en (ce que fait Eugène Werner, pourtant concessionnaire officiel de la firme Edison). Ensuite, aucune pièce du cinématographe n’est réellement originale : la came qui produit un mouvement alternatif est déjà connue, les griffes sont inspirées des métiers à tisser Jacquard. Le mécanisme à « croix de Malte » à 4 branches vient de l’horlogerie. Enfin, le gouvernement ne garantit pas la nouveauté d’une invention (SGDG, « sans garantie du gouvernement », jusqu’en 1968).

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1897 : L’année noire

Pas de bouleversements dans le domaine technique. Le cinématographe continue d’être exploité sporadiquement. Il constitue rarement un spectacle à lui seul.

I. Le cinématographe à l’affiche

Le cinématographe Kaiser, au 33, passage de l’Opéra (9è) : nouveau venu, Gabriel Kaiser loue une salle à 2 pas de chez Méliès. Outre la diffusion de films, il vend du matériel et des films. Quelques succès au début, mais va souffrir du drame du bazar de la Charité.

Le Kinétographe Méliès au Ba-Ta-Clan : 50 Bd Voltaire, salle de Café-concert de 2500 places. Méliès est chargé de filmer le roi du « Caf’Conc’ », Paulus. On actionne ainsi le Kinétographe pendant que Paulus chante sur scène.

Les actualités reconstituées au théâtre Robert Houdin : l’actualité agitée inspire Méliès. La tension entre la Grèce et la Turquie à propos de la Crète. Méliès tourne ainsi combats navals en Grèce, la prise de Tournavos. De même, en 1898, il tourne l’affaire Dreyfus en 11 épisodes.

Les cinématographes Lumière poursuivent l’exploitation : Bd St-Denis et au Salon Indien, où le programme change en principe tous les samedis. Une dizaine de scènes d’une minute environ. C’est dans les grands magasins Dufayel, en 1897, que Jean Renoir fait sa première expérience du cinéma… qui fut un échec complet d’après ses propres mots.

II. Lumière change son fusil d’épaule

Seule maison capable d’envoyer des opérateurs dans le monde entier. Une gestion lourde. A partir du 1er mai, la firme accepte de vendre son appareil. Vendu avec la lanterne électrique, un régulateur, un rhéostat, un pied, divers accessoires pour 1650F. On s’intéresse moins aux appareils réversibles, à la fois caméra et projecteur, car il devient moins fréquent qu’un opérateur projette les vues qu’il vient de filmer. 2 nouveaux modèles, exclusivement réservés à la projection, sortent pour 3000F. Un modèle A (pellicules perforées à la française), un modèle B (modèle américain).

III. « Près des Champs-Elysées… je vois le feu s’élever et les gens hurler »

Vente de bienfaisance présidée par des dames de l’aristocratie. Cette année, elle occupe un terrain inoccupé proche du rond-point des Champs-Elysées. Le décor représente une rue de l’ancien Paris, longue de 80m, bordée d’échoppes aux enseignes naïves dans lesquelles les dames de la société vont jouer aux marchandes. Inauguration le 3 mai, le 4, un cinématographe est installé dans une pièce de 9 mètres sur 4, contenant 30 spectateurs. Un tourniquet marque l’entrée. Le prix est de 50 centimes. Comme il n’y a pas l’électricité, le projecteur est éclairé par une lanterne oxyéthérique, moins pratique car il faut disposer d’une réserve d’éther et d’oxygène comprimé. Le mélange produit une flamme très intense. Durant l’après-midi, après plusieurs séances, la lampe commence à faiblir. L’opérateur veut la remplir, la dévisse, allume une allumette pour faire un peu de lumière, et enflamme les vapeurs d’éther avant de provoquer une explosion. La sœur de l’impératrice d’Autriche fait partie des victimes. On parle de 120 morts. Les milieux de la Haute-Société portent le deuil. Le samedi suivant, une messe est dite à Notre-Dame en présence du président Félix Faure. P a g e | 6

IV. Après la catastrophe : le glas du cinématographe ?

Une invention réellement dangereuse ? Le nitrate de cellulose contenu dans les pellicules peut s’enflammer en cas de blocage. Le faisceau de lumière concentré entraîne l’inflammation immédiate.

Les pouvoirs publics prennent des mesures : les poursuites judiciaires à la suite de l’incendie sont minimalistes. Le baron de Mackau, organisateur du Bazar est faiblement condamné, malgré ses déficiences (pas de pompiers, installation d’un cinématographe dans un local en bois). Ancien président de l’Union des Droites, portant le deuil de se femme, morte dans l’incendie. La presse se désintéresse de l’Affaire, Dreyfus occupe la une des journaux. On multiplie les visites de contrôle dans les établissements et on les pousse à aménager des mesures de sécurité (musée Grévin). En 1898, la préfecture de police publie un règlement spécifique aux cinémas : le projecteur doit être dans une cabine ignifugée, présence de deux opérateurs dans la cabine, ne pas fumer, présence de 2 seaux d’eau… en province, les directeurs dépendent du maire.

Après la catastrophe, le public est refroidit (voir Henri Fescourt, La foi et les montagnes). La recette des salles parisiennes passe ainsi de 570.000 en 1896 à 261.000 pour 1897. L’épisode du bazar de la Charité marque profondément les consciences : Paul Morand en signe une nouvelle, Paul Mesnier, un film, la Kermesse Rouge, 1946. Aux USA, la baisse se constate de même, preuve que la baisse de régime ne dépend pas que de cet incendie.

Edison est en rivalité avec l’Américain Mutoscope and Biograph, avec, parmi ses fondateurs Laurie Dickson, ancien collaborateur d’Edison.

Durant l’été 97, Maurice Lafont et Félix Mesguich quittent les USA pour revenir en Europe, face aux contraintes douanières pour protéger les inventeurs nationaux. Lafont reprend en main la salle du 6 Bd St- Denis. Mesguich, après son retour, déplore l’aspect frustre et laid des salles parisiennes face au luxe, au confort que proposent les salles américaines.

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1898-1905 : La traversée du désert

Après l’impact initial, l’enthousiasme s’essouffle. Le cinématographe apparaît comme à l’avenir incertain. Pathé investit dans le phonographe, la photographie pour Gaumont. Seul Méliès s’investit complètement dans le domaine : peut-être le premier à filmer des films à plusieurs plans.

L’exploitation cinématographique se poursuit dans les salles qui furent celles de ses débuts. Les recettes restent encore faibles, surtout pour les salles exclusivement consacrées au cinématographe. Ailleurs, le CA est difficile à évaluer : cafés-concerts, music-halls, baraque foraine. Dans le premier cas, le spectacle dure ½ heure et on joue sur la rotation des spectateurs pour rentabiliser et compenser la faible capacité des salles et le coût modique (50 centimes). Le faible renouvellement du style des films ne permet pas de fidéliser la clientèle. Les bandes sont vendues à raison de 2F le mètre. Un programme d’1/2 heure coûte donc en moyenne 600 à 800 F. un coût qui pose problème. C’est pour cette raison qu’une nouvelle catégorie de négociants va apparaître : location et commerce d’occasion. Pour les forains, ces contraintes ne sont pas les mêmes, idem pour les tourneurs, qui, à la différence des forains, ne possèdent que le matériel et pas de baraques.

Pour les frères Lumière, le sous-sol du grand Café continue de recevoir le cinématographe sous la direction de Maurice Lafont. Néanmoins, les recettes baissent. Aux magasins Dufayel, la situation est plus favorable. Dans l’ensemble, pas de catastrophisme pour la firme lyonnaise, la concurrence reste faible et elle n’est pas propriétaire des salles qui accueillent le cinématographe. Elle continue de produire des bandes, notamment une vie et Passion de J-C en 13 tableaux. Production la plus abondante : un millier de titres dès la fin 1898. Par la suite, la production va chuter pour terminer à la fin de l’année 1905.

Méliès est une exception : la saison 97-98 consacre ainsi au théâtre Robert Houdin, toutes les soirées au cinématographe. Le problème reste le coût : 50 centimes ne suffisent pas pour rentabiliser son théâtre et demander plus, compte tenu des courtes scènes, paraît impossible (les séances de prestidigitation sont facturées entre 2 à 5F). en 1898, il abandonne ce type de spectacles. Retour définitif en septembre 1899. Méliès crée la Star-Film et cherche à se constituer un marché du côté des forains : trucs et actualités.

1898 voit aussi la naissance de la publicité cinématographique sous la houlette de Mesguich : sur la façade du 5 Bd Montmartre. Le succès est considérable, à tel point que le préfet doit prendre des mesures pour ne pas gêner la circulation publique. Méliès s’empare de l’idée, et installe un écran translucide au-dessus de la porte d’entrée de son théâtre.

Eugène Pirou : le photographe des rois, au 5 Bd St-Germain, exploite une petite salle de cinématographe. On ne sait pas quand cela commence, mais il fonctionne toujours en 1900. Peu de profits, une moyenne de 75 spectateurs/jour. Après cette date, fermeture et Pirou ne joue plus aucun rôle dans le monde cinématographique. En 1899, le sous-sol de l’Olympia est loué au Phonorama de Dussaud et Joubert, première tentative en public de synchroniser le son à l’image. On retrouve le phonorama à l’Exposition Universelle de 1900.

Le cinématographe hébergé : le musée Grévin accueille un cinématographe. Emile Reynaud accepte sous la pression en 1899. Il doit ainsi inclure une bande Gaumont dans ses pantomines : les funérailles du président Félix Faure. Le programme reste 6 mois à l’affiche.

On retrouve le cinématographe parfois dans des lieux inattendus : patinoire du palais des glaces, au bois de Boulogne, dans les cirques et salles de music-halls. L’American Biograph s’installe aux Folies-Bergères, music-hall fréquenté par la haute-société. Le spectacle s’y maintient jusqu’à la guerre 14-18. Propose des P a g e | 8 images des funérailles de Faure en février 1899, quelques heures après l’événement. Les véritables actualités sont nées, mais elles sont loin d’être devenues une routine. L’Olympia accueille en 1900 Fregoli. L’homme est transformiste et est capable d’endosser la peau de 250 personnes différentes. Il peut jouer à lui seul un opéra entier. Il installe un appareil cinématographique à l’Olympia (Frégoligraphe) pour de nombreux mois.

I. Allons à l’Expo !

L’Exposition Universelle de 1900 couvre 112 ha répartis dans le Grand et le Petit Palais, l’esplanade des Invalides, reliés par le pont Alexandre III. D’autre part, on trouve le Trocadéro et le Champ de Mars, reliés par le pont d’Iéna. Inauguration le 14 avril 1900 par le président Loubet. Rien n’est prêt : le cinématographe géant Lumière, la salle des illusions, le Maréorama ne feront l’ouverture que fin juin.

Apogée des panoramas et des dioramas qui veulent solliciter tous les sens possibles. On recherche le spectacle total. Mais tout reste lié aux techniques du passé : la peinture tient ainsi le premier rôle.

Raoul Grimoin-Sanson propose de remplacer les toiles peintes par une immense image cinématographique : le Cinéorama. Agé de 40 ans, son père travaille dans le drap à Elbeuf. Pour proposer son Cinéorama, il constitue une SA au capital de 500.000F. Il part ensuite dans différentes villes avec son équipe et matériel pour filmer avec 10 caméras dans un cercle de 360°. Le final devant se faire en ballon au- dessus de Paris. Le voyage est organisé en avril 1900, le ballon se transporte à Arpajon, à 30 km de Paris, mais l’atterrissage, trop brutal, ne permet pas de conserver les prises de vues. Grimoin-Sanson propose de simuler un retour aux Tuileries en déroulant à rebours la scène du départ. Les places sont à 1 ou 2F, 200 personnes peuvent s’installer dans la nacelle. En août 1900, la société du Cinéorama est mise en liquidation, le matériel est vendu aux enchères publiques. L’échec viendrait de la chaleur suffocante produite par les projecteurs selon l’inventeur lui-même. Pourtant, tout ne vient pas de là, plutôt des problèmes techniques qui auraient gâché le spectacle. Malgré tout, le Cinéorama a donné naissance à la 1ère salle réellement conçue pour le cinéma. Sa construction est d’abord fonctionnaliste : la décoration s’intègre au spectacle et contribue à accentuer la suggestion.

Le cinématographe-géant de la salle des fêtes : 20 m de largeur, 16 m de hauteur, un orgue gigantesque doit accompagner les scènes. Les frères Lumière n’innovent pas mais recherchent le grandiose. Les séances sont gratuites, durent1/2 heure (une quinzaine de vues et une quinzaine de photographies en couleurs). Opération de prestige qui présente la firme lyonnaise comme les pères du cinématographe.

L’association du phonographe et du cinématographe : l’idée n’est pas neuve, dès 1896 on dépose un brevet (Auguste Baron) mais les moyens financiers ont manqué.

Le phonorama : a fait l’objet de séances publiques au sous-sol de l’Olympia en 1899. Installé avenue de Suffren, elles passent complètement inaperçues.

Le Phono-Cinéma-Théâtre : le lieu fait appel aux gloires de la scène parisienne : Sarah Bernhardt, Coquelin, Victor Maurel, Réjane, Cléo de Mérode (danse), les clowns Footit et Chocolat. Les artistes ont d’abord enregistré leurs partitions puis ont joué la scène en mimant les paroles. Le synchronisme est assuré par l’opérateur qui tourne la manivelle. Les places sont vendues 1F l’après-midi, 2F le soir. Mais les recettes baissent vite. Alors que l’Exposition arrive à sa fin, le concessionnaire de la salle ira jusqu’à demander 50.000F de dommages et intérêts à l’administration (Expo non prête à temps, mauvais éclairage de la rue, concurrence avec le cinématographe gratuit de la salle des fêtes…). Au final, l’expérience se révèle décevante pour le public : son nasillard, inaudible, synchronisme à désirer. P a g e | 9

Le théâtroscope : des images captées dans un lieu voisin, sont transmises aux spectateurs par un système de miroirs. Les recettes se révèlent catastrophiques

Bilans : le 12 novembre 1900, l’Exposition ferme. De toutes les constructions, il ne reste que le Grand et le Petit Palais, la gare des Invalides, le pont Alexandre III et la Grande Roue et la salle des machines.

On a enregistré plus de 50 millions de visiteurs pour 210 jours d’ouverture. Le monde entier a porté ses yeux sur Paris, malgré les désillusions de tous ceux qui espéraient faire fortune. Seules les grandes attractions ont véritablement attiré les foules : le village suisse, le vieux Paris…

Pour le cinématographe, l’échec est cuisant. Il n’est pas prêt encore à ravir la place aux Cafés-Concerts, Music-halls, théâtres. Quelques acteurs sont restés dans les coulisses de cette parade internationale : Méliès tourne 17 films sur l’Expo sans y participer. Pathé avait installé un salon pour ses phonographes seulement, Gaumont, qui avait équipé la majeure partie des cinématographes de l’Expo, n’a organisé aucune représentation.

II. La longue marche

Le cinématographe évolue peu : les films comportent plusieurs scènes, des intertitres apparaissent seulement après 1903.

Après 1901, le nom de cinématographe Lumière ne figure plus dans aucune salle parisienne. Le Grand Salon enregistre une recette ridicule pour 1900. En 1901, la salle ferme dans l’indifférence la plus totale. A la porte St-Martin, Mr et Mme Lafont ferme l’établissement, malgré une rentabilité toujours présente (Maurice Lafont est âgé de 62 ans). Les magasins Dufayel abandonnent progressivement la maison Lumière, dont le catalogue ne se renouvelle pas, au profit essentiellement de Pathé et Méliès. Les projections deviennent ensuite plus longues (3/4 d’heure), plus variées (fééries, reconstitutions historiques). Les recettes culminent en 1904/1905 (150 spectateurs en moyenne pour 21 séances par semaine. La salle est de 250 places). Pour les Lumière, leur concessionnaire continue de vendre leurs appareils. Loin de sentir le potentiel futur de leur invention, ils abandonnent volontairement leur position dominante. L’opération est-elle profitable sur le plan commercial ? en 1935, Louis Lumière affirme un bénéfice de 3 millions entre 1895 et 1900, bilan pourtant contredit par Auguste Lumière.

Méliès s’investit complètement dans le cinématographe : en 1902, il réunit ainsi un public de forains en séance privée pour visionner Le voyage dans la Lune. Le film déplaît, il coûte cher car il est long : 1,5F le mètre en noir, 3F en couleurs, pour 280m contre 60 habituellement. Personne n’en veut. Méliès convainc un forain de tester le film gratuitement auprès du public. Le pari est gagné : les forains le veulent tous, l’Olympia le met à l’affiche avec Mesguich à la manivelle. Aux USA, des copies pirates inondent le marché. Méliès ouvre une succursale à N-Y pour contrecarrer ce mouvement. Méliès est au sommet de sa gloire. En 1904, les Folies-Bergères lui passent commande du Raid Paris-Monte-Carlo en 2 heures, qui mêle théâtre et cinéma. C’est un triomphe. Les commandes affluent du monde entier. En 1905, un film de 25mn est tourné (460m de pellicule) : le Palais des Mille et une Nuits.

Pathé devient un concurrent dangereux : son CA pour le cinéma double chaque année après 1903. Son réseau d’agences couvre le monde entier. Il construit un nouveau studio de prises de vues à Montreuil-sous- Bois, à 2 pas de chez Méliès. P a g e | 10

Au musée Grévin, succès de l’histoire d’un crime par Ferdinand Zecca. L’idée de monter une histoire en spectacle cinématographique n’est pas neuve : dès 1891, le conseil d’administration avait proposé de contacter Marey. Sans suite, et l’année suivante, on contacte Emile Reynaud. Il part en février 1900, son ancien théâtre est transformé. Il devient le Joli-Théâtre, salle de 300 places. On y passe les Actualités Gaumont : le journal lumineux.

En 1904 : Le Petit Journal ouvre un cinématographique dans ses locaux. Le quotidien a vu le jour en 1863. Plus fort tirage du monde au début du siècle (1 million/jour). L’installation du cinématographe s’explique pour accentuer le prestige du journal. Vaste salle de 1000 places, le programme dure 1h ½ et comprend exclusivement des vues Pathé (succès des films « trou de serrure », qui contribue à enrichir les codes de la narration cinématographique). Le cinématographe du Petit Journal cherche aussi à coller à l’actualité : la catastrophe de Courrières, 10 mars 1906, 3 semaines durant lesquelles dure le drame pour un total de 1200 morts. Les vues se multiplient sur le sujet dès avril.

Janvier 1905 : le cinématographe Parisien ouvre ses portes dans le populaire quartier de Belleville. Il faut du courage à Etienne Astier pour ouvrir une salle dans un quartier aussi pauvre. Ici, pas de concurrence, le confort rudimentaire, mais l’affaire marche bien.

Dans l’ensemble, l’inorganisation de la profession permet à des amateurs de trouver du matériel d’occasion et de tenter leur chance dans des établissements en déroute. Au total, les recettes du cinématographe sont insignifiantes face aux cafés-Concert et Music-halls (253.000 F contre 9,4 millions F). Héritiers des « musicos » du XVIIIe. Interdits sous l’Empire et la Restauration, ils ne se développeront qu’après 1867. Les programmes se diversifient. L’Eldorado s’impose comme un lieu majeur, la Scala. Ils ferment durant l’été et les établissements des Champs-Elysées prennent la relève. Progressivement, il devient facultatif de consommer pour se concentrer sur le spectacle. Les places coutent de 1F à 12F. En bas de l’échelle, les « beuglants » où les spectacles ne sont guère de bon goût. Le spectacle commence par quelques airs à la mode, joués par l’orchestre. Ensuite, les artistes se succèdent : une quinzaine en moyenne. Chacun se crée un personnage : toute une caricature de la société. 1 ou 2 entractes. 2 caractéristiques essentielles : l’attraction principale, souvent en milieu de programme. Une pièce en 1 acte, souvent un vaudeville, qui clôt le spectacle. Ensuite, l’orchestre donne le signal du départ avec un morceau de circonstance.

Le music-hall, d’origine anglaise, est venu renouveler le « Caf’Conc’ » : l’Olympia et les Folies-Bergères, l’Alhambra en 1904 (3000 places). La chanson y est réduite, les attractions passent au 1er plan, au point que les frontières avec le cirque deviennent parfois floues. La « revue » est par contre le propre du music-hall : quinzaine de tableaux avec mise en scène, girls, coûteux. Le cinématographe s’infiltre sans que les directeurs n’investissent directement dans le matériel. L’Américain Biograph entre ainsi aux Folies-Bergères en 1898, pour de nombreuses années. Après 1903, la pénétration du cinématographe dans ces univers devient plus importante. Georges Froissart crée ainsi l’American Vitograph et propose ses services dans divers établissements. Il a peu de concurrents (Normandin, l’homme du bazar de la Charité, qui abandonne rapidement cet univers). Après 1903, apparaît l’Urban Trading Co de Charles Urban, spécialisé dans le film documentaire et d’actualité. Il investit l’Alhambra qui filme l’arrivée des gagnants à Auteuil pour le diffuser le soir même. La guerre sino-japonaise grâce aux opérateurs envoyés par Charles Urban (Joe Rosenthal). Sa devise : « Nous mettons le monde devant vous ». Il devient plus difficile de proposer des actualités reconstituées.

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En province, le développement du cinématographe se dépend pas des music-halls et Caf’Conc’, mais des tourneurs. Ces derniers ne fonctionnent pas au cachet, mais louent eux-mêmes des salles. Font leur propre pub. L’un d’eux, Edmond Bouillon, ancien négociant en vin, commence en 1904 par des tournées à Ivry-sur-Seine.

Le banquiste est encore plus indépendant : forain qui possède son matériel, mais aussi sa baraque pour accueillir les spectateurs. Les plus nombreux arborent de somptueuses façades, l’estrade est toujours privilégiée : c’est là que le bonimenteur annonce les nouveautés. Le soir, les représentations s’enchaînent rythmées par un orgue mécanique. Les bandes sont achetées d’occasion, 0,5F le mètre, contre 2F pour des bandes neuves, non coloriées. Le transport des baraques pose problème et se révèle coûteux, par wagon jusqu’en 1905 (5 à 6 par exploitation en moyenne). Les forains s’approvisionnent chez Pathé, le contenu est varié.

A Paris, la fête de Montmartre attire de nombreux forains. La plupart des arrondissements compte au moins une fête annuelle. La foire du Trône est la plus importante. Le spectacle cinématographique du théâtre zoologique Bidel, 1904, impose par sa magnificence.

A la fin de l’année 1905, l’exploitation cinématographique a progressé grâce aux music-halls, cafés- concerts, foires et fêtes foraines. Chez Pathé, les résultats commencent à égaler ceux du phonographe.

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1906-1907 : Le grand tournant

Le développement du cinématographe se fait dans des cadres inchangés depuis l’origine : production artisanale, acteurs recrutés sur le tas, metteurs en scène amateurs, les sujets ne sont que des plagiats des succès des concurrents.

Parmi les fabricants, seul Pathé, soutenu par le Crédit Lyonnais, est en meure de s’adapter à la croissance rapide du marché.

Le public a fini de s’extasier devant la nouveauté technologique. On veut voir maintenant des films. Une scène de 3 mn ne suffit plus en 1906. L’allongement de la durée vient des progrès techniques (meilleures perforations, meilleure capacité des appareils). Seul problème : le prix de vente au mètre empêche les forains d’acheter les films. De plus, les music-halls se montrent moins intéressés par des films qui durent plus longtemps qu’un simple numéro.

I. Les signes avant-coureurs

Un nouvel intérêt pour le cinématographe : la Bonne Presse, groupe catholique qui veut mettre le progrès technique au service de la Foi. Parmi ses quotidiens, La Croix, Le Fascinateur, 1903, dont le directeur, Boissac, sera l’auteur de la première histoire du cinéma en 1905, qui utilise abondamment le matériel cinématographique pour donner des conférences publiques. En 1905, le Fascinateur passe commande de La Passion de Notre-Seigneur en 11 tableaux. Beaucoup d’articles traitent de l’activité, vente de matériel, de bandes. Au musée Grévin, le sous-sol, réservé à la projection des actualités, est devenu insuffisant avec ses 130 places. La ville de Paris ouvre un concours pour recruter un cinématographe officiel.

Progression soutenue des formes d’exploitation traditionnelles : 8,5 fois plus fréquentes dans les programmes en 1907 qu’en 1903.

Le cinématographe en quête de nouveaux lieux de projection : il s’agit de trouver des lieux qui acceptent des temps de projection plus longs.

En juin 1906, le propriétaire d’un magasin de phonographes ouvre à côté le Cinématograh-Théâtre. Les projections durent ¾ d’heure. Les bandes, Pathé, sont récentes et renouvelées toutes les semaines. Un petit orchestre accompagne les projections. Tarifs modiques (à 0,5F à 1F) mais des recettes très intéressantes (en 6 mois, il gagne autant qu’en 12 mois pour les magasins Dufayel). Salle de 400 places, taux d’occupation autour de 50%.

En 1906, commence une nouvelle pratique : transformer les théâtres en cinéma durant la période estivale, à cause principalement de la T°, étouffante dans des salles mal aérées. L’idée d’introduire le cinématographe se retrouve par exemple au théâtre des Folies-Dramatiques (1600 places). La saison s’est terminée le 15 juillet et la direction propose le cinématographe tous les soirs à 21h, une séance de 2h1/2. Les recettes sont inférieures à celles habituelles, mais l’expérience est concluante.

Dans tous les établissements, on cherche à mieux rentabiliser les temps morts : à l’Olympia, désormais dirigé par Paul Ruez, le cinématographe envahi les espaces. Ruez procède de même dans les autres établissements qu’il dirige : Olympia, Parisiana, Folies-Bergères. P a g e | 13

Timides essais de location des bandes : que faire des stocks ? Revendre à des confrères plus modestes, mais sans l’existence de circuits organisés. On commence à organiser la location, laquelle est suivie attentivement par Pathé, qui attende voir la rentabilité de l’affaire.

Phono-Ciné-Gazette : Edmond-Benoit Levy, 1905, 1ère revue cinématographique française. Pendant 3 ans, rôle de premier plan pour préparer les esprits aux changements futurs. Le directeur, ancien avocat d’affaires, très cultivé, volonté de populariser la pratique cinématographique : organise un syndicat des cinématographistes, une grande fête pour montrer les nouveautés de la maison Pathé, à tel point que le lien avec Pathé devient suspect. En 1907, la revue axe son combat sur 2 thèmes : la location et la défense des droits des auteurs.

Gaumont devient une S.A : constituée en 1895 autour du secteur photographique. Son pôle cinématographique se développe, les ateliers des Buttes-Chaumont ne suffisent plus. En 1905, un atelier de prises de vues est acheté (45m de long, 34 de haut), nouveaux terrains, naissance de la « cité Elgé ». nécessité d’investissements de plus en plus lourds : transformation en SA en janvier 1907. Léon Gaumont en est le principal actionnaire, suivie d’Alice Guy, Herbert Blaché (époux d’Alice Guy), Louis Feuillade, Georges Laudet, spécialiste du cinéma sonore. En 1907, la SEG (société des établissements Gaumont) à 88% de son CA pour le cinématographe, sort 15.000 à 20.000 m/jour de bandes (contre 60.000 pour Pathé).

Pathé augmente son capital : forte expansion de nouveaux investissements. Le capital atteint 5 millions en 1908. Les usines sont nombreuses, à Vincennes, on trouve des usines de traitement des films, notamment le coloriage des positifs. Egalement un théâtre de prises de vues. A Montreuil- sous-Bois, un autre théâtre pour des scènes nécessitant de vastes espaces.

II. Décembre 1906 : le coup d’envoi public

L’Omnia-Pathé, 5 Bd Montmartre : décembre, 1906, inauguration. Salle de 250 places. Décoration très « Modern Style » : colonnades, statues… fosse d’orchestre devant la scène, conduit par le maître Paul Fauchey, place pour un bruiteur, Barat, ancien chanteur de café-concert, avec son assistant, le jeune Charles Vanel. On passe de nouvelles bandes Pathé au cours de la soirée, parmi elles, le pendu, interprété par un artiste de 24 ans, Max Linder, qui tient un petit rôle au théâtre des Variétés. La salle accueille tous les publics : les promenoirs sont à 0,5F, jusqu’au balcon où les places sont à 3F. ouverture tous les jours, de 14h à 18h, de 20h30 à 23h30. Les représentations durent 2h pour ½ douzaine de bandes. L’ensemble se fait sans conférencier. Le programme change chaque semaine, très rapidement le vendredi. Edmond Benoit-Lévy préside l’établissement. Le lien avec Pathé est fort mais distinct : le cinéma s’engage à ne programmer que des bandes Pathé, en échange la société s’engage à lui livrer les vues nouvelles 8 jours avant les autres établissements. Les résultats financiers sont extrêmement bons : 400.000F pour l’année 1907, et pousse la société à ouvrir de nouvelles salles (Omnia Pathé Victor Cousin, Omnia Mille-Colonnes, Omnia Pathé Femina).

Le Kinéma-Théâtre Gab-Ka : diminutif de Gabriel Kaiser, qui n’est pas un nouveau venu, un des pionniers de l’exploitation en 1897. Il revient dans l’activité après un certain temps. La nouvelle salle s’ouvre au 27 Bd des Italiens, établissement luxueux pour 300 places. Programme surtout composé P a g e | 14

d’actualités. Les recettes restent modestes : 140.000F en 1907. Parmi ses premiers clients, Anatole France, au sommet de sa notoriété.

L’Alhambra : quartier populaire. En 1909/1910, il sert de siège au jeune syndicat des exploitants du cinématographe.

III. 1907 : L’année décisive

La ruée vers les salles : dans les théâtres et les cafés-concerts, les matinées cinématographiques battent leur plein avant même le début de l’été (théâtre du Chatelet). Il est devenu rare maintenant que les salles ferment durant l’été, pratiquant des tarifs souvent très bas (0,25F). les frères Isola expulsent Paul Ruez de l’Olympia, Parisiana, des Folies-Bergères pour non-paiement des loyers. Ils commencent la diffusion du cinématographe en s’associant avec la Cie des cinéma-halls. En général, la durée des spectacles s’étend pour atteindre les 2h. Chez les forains, le succès est toujours là : foire aux pain-d’épices de 1907, pas moins de 28 baraques. Mais forte concurrence (tarifs jusqu’à 5 centimes). Beaucoup se donnent le nom de Pathé, sans autorisation, laquelle réagira contre cette pratique.

De nouveaux cinémas sur les Bds : février 1907, cinéma-palace, 1er palace parisien, même si ses dimensions restent encore modestes. L’exploitant, Charles Stigler, est un ancien ingénieur en ascenseur. Il fait agrandir la salle et fait appel à un architecte renommé pour les travaux.

Fin 1907, le cirque d’hiver devient un cinématographe. Il l’avait déjà accueilli pendant l’été avant de l’exploiter totalement jusqu’en 1923. 2000 places, l’intérieur est réaménagé par un architecte pour refonder la salle circulaire dans d’autres proportions.

Le cinéma s’étend à toute la capitale : hors des Gds Bds, jusqu’en 1907, Paris ne compte que le cinéma Dufayel (18è) et le cinéma du Petit Journal (9è). Après, les créations se développent. Beaucoup dans des anciens biens de congrégation, ayant du fermer après 1904, ou des anciens théâtres.

A titre d’exemples : l’Omnia-Pathé Victor Cousin, proche de la Sorbonne (5è), qui a vu dans ses locaux passer le jeune J-P Sartre et J. Prévert (témoignages p 166/167). Certains débits de boisson se transforment également en cinématographes : celui des époux Chardenal dans le 19è aménagent une ancienne salle de billard en salle de projection de 180 places. Beaucoup ne seront que des établissements éphémères (les Chardenal abandonnent leur café-cinéma en 1909, suite à une expropriation justifiée par la construction d’une ligne de métro). Autre exemple : la brasserie- cinéma Rochechouart, qui se maintient au-delà de la 2è GM. Tenue par Jean Ferret, venu s’installer à Paris en 1906. Sa brasserie-cinéma ouvre en 1907 et accueille 819 spectateurs. Ferret, militant syndical actif, loueur de films en 1908, inventeur d’un écran en rouleau, va devenir une des figures les plus connues de la 1ère génération d’exploitants indépendants de la capitale.

En décembre 1907, après le cirque d’hiver, l’immense hippodrome place Clichy (18è) s’ouvre au cinéma. Inauguré en 1900, durant l’Expo Universelle, abrite ensuite un cirque qui fait faillite en 1907. La Cie des Cinéma-halls, nouvelle SA, en reprend l’exploitation. Un écran de 144 m² y est installé, les places sont ramenées de 5500 à 3400. L’inauguration s’ouvre avec un spectacle de 3h P a g e | 15 avec 2 entractes. L’orchestre et les chœurs comprennent 100 exécutants. Le prix des places est diversifié : de 30 centimes à 3F. en 1907, avec cet établissement et le Cirque d’Hiver, Paris gagne d’un coup plus de 5000 places. Le cinéma commence à devenir un phénomène de masse.

Les vastes ambitions de la Cie des Cinéma-Halls : fondée par un négociant, Henri Daniel en 1907. SA au capital de 1,5 million émanant de 188 souscripteurs. La société obtient rapidement de rapides concessions, dont celle du jardin d’acclimatation, avant de s’engager sur le chemin de véritables salles de cinéma. Premier grand réseau d’exploitation avec la maison Pathé. Les films achetés sont d’abord passés à l’Hippodrome avant d’inonder les autres salles du réseau.

La bombe Pathé : la location des films et les sociétés concessionnaires régionales. L’exploitation sédentaire requiert un renouvellement fréquent des bandes. La vente n’est plus adaptée à ce système. 2 temps forts dans la semaine : jeudi et dimanche. Le vendredi devient donc le jour choisi pour commencer la nouvelle semaine. Ce n’est qu’à compter du second semestre de 1937 que le vendredi sera troqué au profit du mercredi.

Un spectacle de 2h nécessite l’achat de 1900 mètres, ce qui renvoie à 3000F/semaine, soit 150.000F/an. Pathé est vivement intéressé par la location, système qui lui permet en outre de conserver le contrôle des bandes émises sur le marché. Les films en mauvais état dévalorisent l’image de marque, ils gênent la production de nouveautés en encombrant le marché. Finalement, la profession de loueur est lucrative, les films sont vite amortis et les bénéfices nets intéressants.

Des sociétés satellites : en mai 1907, Pathé crée des sociétés anonymes régionales, auxquelles elle accorde le monopole de l’exploitation des films pour 10 ans renouvelables, dans les salles leur appartenant et celles avec lesquelles elles sont liées par accord. Ces sociétés sont 5, elles réunissent des capitaux importants. Une 6è s’ajoute en 1908 pour couvrir le Benelux. Sur Paris, la société Cinéma-Exploitation (Bourgogne y compris). Pathé et beaucoup de proches sont souscripteurs. Ces sociétés concessionnaires rachètent des exploitations dans une vision hégémonique. L’objectif : sédentariser le cinéma dans toute la France. Elles livrent bagarre sur le terrain même des forains. Cinéma-Exploitation constitue un réseau de 11 établissements à Paris même (Cirque d’Hiver). Dans ces 6 sociétés, indépendamment de Cinéma-Exploitation où Charles Pathé investit directement de l’argent, on trouve des employés, des cadres de la société, des membres de la famille. Un réseau de salles se constitue rapidement autour de ces sociétés, qui arborent le symbole du coq et intègrent le nom « Pathé » dans leur appellation.

Floraison de nouvelles sociétés productrices de films : Gaumont et Pathé augmentent leur capital et de nombreuses maisons de production voient le jour (terme encore anachronique, ces maisons possèdent encore à la fois leur théâtre de prises de vues et des labos de développement et de tirage). Beaucoup de sociétés sont issues de pionniers qui décident de passer à la vitesse supérieure. Charles Urban, à la tête de la Warwick Trading Co, crée la Société Générale de Cinématographes Eclipses. Henri Joly, l’inventeur, fonde la société des phonographes et cinématographes Lux en novembre 1906. La Lux maintient son activité de production jusqu’à la fin 1913. Un des frères de Charles Pathé, Théophile, fonde lui aussi sa société, en étant complètement désavoué par la firme familiale. Ambroise François Parnaland fonde la Société Française des Films Eclair. En 1907, elle vole à Gaumont Victorin-Hippolyte Jasset, qui devait remplacer Alice Guy qui part aux USA après son mariage. Feuillade occupe sa place chez Gaumont, Jasset part chez Eclair. On lui doit la série des P a g e | 16

« Nick Carter », « Chéri-Bibi ». la mort prématurée de Jasset en 1913 sera un rude coup pour la société.

L’exploitation tente de s’organiser : le directeur de l’Alhambra, Adolphe Bernard, prend l’initiative et réunit plusieurs collègues. Ancêtre du syndicat d’exploitants, qui prend véritablement son envol qu’en 1909, date de sa création, surtout après 1911 avec le charismatique leader Léon Brézillon.

Une nouvelle profession émerge avec la croissance des salles : opérateur de projection. L’entraînement se fait encore à la main. Ce n’est que dans les années 10 qu’un moteur électrique prend le relais. Difficulté de trouver le bon rythme. Un syndicat des opérateurs se crée en 1907, qui se préoccupe d’abord de la mise en place d’un brevet de capacité professionnel.

La bataille pour les droits d’auteur : début 1907, 2 cinémas de Bd, le Gab-Ka et le Cinématograph-Théâtre de Lucien Vives affichent Faust, et cela entraîne des poursuites de la part de Barbier et Carré, dont le livret est exploité. Idem pour Gounod avec sa musique. Pathé subit également des poursuites. La justice est embarrassée pour juger des situations dont les lois remontent à 1791 et 1793 : un film est-il une édition d’un livre ? A priori non. Ces dernières affaires sont importantes car elles peuvent faire jurisprudence. Jugées durant l’été 1908, dans le sens des auteurs qui obtiennent des dommages et intérêts. Phono-Ciné-Gazette publie des articles dans le sens de la défense des auteurs, et appelle les plus talentueux à écrire pour les fabricants de films. Position que ne défend pas Pathé, préférant régler les situations au cas par cas dans son bureau.

L’enfant Prodigue au théâtre des Variétés : volonté d’établir une collaboration privilégiée entre le monde du cinéma et les auteurs dramatiques. L’enfant prodigue constitue une sorte de prologue. On établit ainsi une redevance de 6% pour chaque représentation, payée pour moitié par le théâtre des Variétés. Edmond Benoit-Lévy commande une version de l’Enfant Prodigue à Léon Gaumont. Il s’agit de théâtre filmé en plans fixes, de 1600 mètres (1h1/2). Situation nouvelle pour les acteurs notamment, qui doivent interrompre leur jeu tous les 120 mètres de pellicule. Le film est donné après la clôture du théâtre lors de la période estivale. L’originalité par rapport aux autres salles c’est que les spectateurs viennent assister à un véritable spectacle théâtral filmé, pour un coût plus modique, accompagné par un orchestre de 25 musiciens. Pendant 3 mois ½, pour 122 représentations, l’Enfant Prodigue est un succès (100.000 spectateurs). Edmond Benoit-Lévy n’impose pas pour autant ce type de spectacle à l’échelle nationale : peur d’un théâtre du pauvre, de la longueur du film, du montant des droits à payer.

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1908-1909 : Le cinéma vit sa première grande crise

La loi du marché est un régulateur de l’économie, mais elle agit souvent par rétroaction. Si 1907 est l’année de l’embellie, on a investit au-delà des besoins. Les contrecoups se sont fait sentir plus tard. En premier lieu, le problème du manque de compétence de beaucoup de nouveaux venus.

I. L’opinion de la Bourse

Gaumont, Eclipse, Pathé, Lux, Le Film d’Art… entrent en bourse. Absence d’Eclair. Côté exploitation : Pathé, Omnia, Cie des Cinéma-Halls.

Les valeurs les mieux cotées sont celles de Pathé (1400F, une action de 100F, fin 1907). A sa suite, Eclipse, qui contrôle l’Urban Trading Co, Gaumont.

A partir de fin 1908, début d’une récession générale, qui touche également le monde de l’exploitation : les 3 sociétés en bourse, la dernière, la Cie des Cinéma-Halls, tombe en faillite en août 1909.

II. Expansion de l’exploitation parisienne

Globalement le CA augmente pour 1908-1909. Individuellement, la situation est plus complexe : l’Omnia voit son CA toujours augmenter, tandis que celui de Dufayel s’érode lentement depuis 1905. L’hippodrome/Cinéma-Halls est en tête des cinémas parisiens en 1908.

Le mouvement de bourse ne trouve pas son explication dans l’exploitation : globalement, les spectateurs sont de plus en plus fidèles au spectacle cinématographique.

III. La société Omnia : les turbulences de la croissance

Pour apparaître comme une société majeure dans le circuit de l’exploitation, la société a commis l’erreur d’émettre des actions nouvelles sans s’assurer que les recettes augmenteraient de manière significative. Résultat, en 1908, baisse de 24% des recettes et une valeur de l’action en chute. La baisse des recettes trouve son explication dans les chiffres de la province, le réseau contrôlant des exploitations sédentaires et itinérantes, parfois non rentables.

En février 1908, Pathé autorise les sociétés concessionnaires à faire elles-mêmes de la location. L’abandon de ce monopole lui ouvre de nouveau l’accès aux salles indépendantes. Evènement positif, mais masqué par les frais importants du réseau provincial, bloquant la progression de ses actions.

IV. Cinéma-Exploitation : un déploiement éclair

Mise sur pied d’un réseau parisien de 12 salles : rachète des terrains, et confie à l’architecte Georges Malo, la construction de vastes salles populaires sur le même modèle, autour de 750 à 1200 places, sans recourir à un balcon. La façade est toujours identique : le coq Pathé juché sur un globe terrestre. En-dessous, l’inscription « Cinéma-Exploitation ». Plus en-dessous, on trouve des panneaux d’affichage des programmes, surmontés de motifs décoratifs. Pas de fosse d’orchestre dans P a g e | 18

la salle, le piano est installé au pied de l’écran. Pas de strapontins, même si l’invention date de 1875. Les constructions s’échelonnent entre 4 et 6 mois, toutes dans des quartiers modestes. On recherche une clientèle populaire, exception faite du Cirque d’Hiver. Il faut attendre 1911 pour que Cinéma- Exploitation ouvre une salle dans la partie huppée des Gds Bds (9è, Bd des Italiens).

Des accords de sous-location : l’accord donné par Pathé contribue à améliorer la situation financière de la société. Cinéma-Exploitation va ainsi assumer la distribution des films Pathé dans les cafés-concerts et les music-halls.

Une seule semaine à l’affiche : série de 6 à 8 films de 5 à 10 mn. Les bandes comiques tiennent une place de choix. Des gloires populaires émergent : Boireau, Rigadin, Max Linder. Ce dernier a commencé à tourner chez Pathé dès 1905. Il ne devient une star qu’après 1910. Les vues d’actualité ont toujours une place de choix, elles deviennent hebdomadaires en 1909 avec la création de « Pathé- Faits divers », qui devient Pathé-Journal (Gaumont sort son propre journal en 1910). En dernier lieu, les voyages apportent une touche documentaire. La musique est restreinte, on adopte la machine à bruits mise au point par Pathé, dans son catalogue en 1909.

Les programmes changent chaque vendredi : sortent sur les Grds Bds, puis de 1 à 3 semaines plus tard dans les salles périphériques. Ils peuvent encore être sous-loués à de petits exploitants indépendants, puis retournent chez Pathé. Le paiement : location au mètre et à la semaine. Il faut attendre l’Entre-deux-guerres pour que la location s’établisse au % des recettes.

Le temps des économies : toujours le même problème, il faut dégager des gros capitaux pour constituer un réseau de salles important à Paris et en province. Des investissements dans des établissements douteux, pour un chiffre d’affaire plutôt médiocre. Cinéma-Exploitation connaît des difficultés majeures, revend quelques établissements, pratique une politique d’austérité qui conduit à des conflits sociaux avec les musiciens. Les difficultés financières se maintiennent, mais la société parvient à remonter la pente.

V. La faillite de la Cie des Cinéma-Halls

Confortable capital, prestige de l’Hippodrome, réseau étendu, pourtant la situation va se dégrader : mauvaise gestion, faillite de 2 banques apportant 1/3 du capital. La société défend sa bonne santé financière et fait la pub de l’Hippodrome. Fin 1908, le bilan est pourtant catastrophique. La faillite est prononcée en août 1909.

VI. Innovations techniques et attentisme commercial chez Gaumont

La salle du chronophone : la SEG observe une attitude prudente. La firme cherche une salle pour montrer la valeur du son chronophone, amélioré depuis son invention en 1903. Sa puissance sonore a été renforcée grâce à l’Elgéphone (amplificateur à air comprimé). Gaumont achète le Cinématograph-Théâtre, 4 à 500 places. Tous les vendredis, on inclut 1 à 2 scènes sonores (Phonoscènes). La longueur ne dépasse pas la durée du disque, autour de 5mn, et on puise dans les airs d’opéra-comique. Si Pathé veut la révolution commerciale, Gaumont recherche la révolution P a g e | 19

technologique jusqu’à 14-18. En 1913, la firme cherche à régler le problème de la trop petite durée des disques au moyen d’un système permettant leur enchaînement. Autre cheval de bataille : la couleur.

Emile Cohl au théâtre du Gymnase et au Cinéma-Théâtre : caricaturiste qui vient au cinéma sur le tard. Il intègre Gaumont en 1907 et assure une production prolifique d’abord chez Gaumont, puis chez Pathé et surtout chez Eclair, à partir de 1912. Il crée Fantasmagorie, Le cauchemar du Fantoche, des dessins faits de simples bâtons et de cercles qui s’animent en blanc sur fond noir. A l’instar d’Emile Reynaud, Emile Cohl se présente comme le précurseur du dessin animé.

VII. Le Cinéma-Palace exploité par une société anonyme

Grand cinéma, fondé en 1907 par Walter Neuhoff. Il laisse l’affaire à son associé Joseph Stigler, lequel recherche de nouveaux capitaux. En septembre 1908, la société compte 11 actionnaires parmi lesquels Delafon (Lavabos), Ernest Kahn (vient de l’industrie de la cravate). Le cinéma-Palace est une affaire florissante, qui se présente comme « cinéma chantant et parlant », après avoir fait installer, en 1908, un système de synchronisation, mis au point par Oswaldo de Faria.

VIII. Une quarantaine de nouvelles exploitations indépendantes

La plupart des nouvelles créations ne se font plus sur les Grds Bds, mais dans les quartiers. Le métier séduit malgré la crise : marché de l’occasion pour le matériel, aménagement d’une salle peu coûteux, loyers acceptables, un débit de boisson associé complète les revenus.

2è arrondissement, le Central Cinéma, avec 50-80 places, l’un des plus petits au monde, dont l’entrée est à 30 centimes. Le cinéma ferme en 1913 pour être remplacé par un salon de coiffure.

A deux pas, le cinéma de la Lune. Ces salles proposent un système de sonorisation rudimentaire (gramophone actionné à la main).

Dans le 9è, la salle Charras, 1908, lance le Film d’Art.

Souvent ces salles ont une existence courte et changent souvent de main. Si on suit l’exemple du 16è arrondissement : il s’équipe sur le tard. Le jardin d’Acclimatation au bois de Boulogne propose des projections régulières dès 1896, jusqu’à la fin de la 2è GM, sans fonctionner pour autant de façon régulière. D’après les souvenirs du réalisateur Claude Heymann, le ciné en plein air du Ranelagh ne fonctionne qu’à la belle saison, sous une tente rayée.

Dans le 17è, à noter le Fééric Cinéma, 1909, 800 places, complètement illuminé la nuit, sur la rue de Puteaux, à l’ancien emplacement du monastère St-Antoine de Padoue. Création de Pierre Paillusson. Orchestre de qualité, son buffet, un skating Rink installé dans l’ancienne crypte. La salle a un standing nettement supérieur à la moyenne. Il poursuit son activité quelques années après 14-18.

Le visage de l’exploitation indépendante : 1908-1909, époque de la 1ère grande vague d’équipement des quartiers en cinémas tandis que les Gds Bds semblent marquer le pas. On se contente souvent de l’aménagement le plus rudimentaire. Le plus souvent, on aménage les cours intérieures en communiquant avec la rue par l’intermédiaire d’un couloir, porche. Entre 500 et 1000 P a g e | 20

places, souvent sans balcon. Les exploitants viennent souvent du monde du commerce. Le personnel extérieur est faible : 1 ou 2 musiciens, éventuellement un bonimenteur. Souvent, ces établissements gagnent peu ce qui entraîne une grande instabilité de l’exploitation. Beaucoup d’entre eux se maintiennent encore après 1945.

L’ordonnance du préfet de police (10 août 1908) : solliciter un permis de construire, une salle de spectacle doit en outre bénéficier d’une autorisation de la préfecture de police, avec plan détaillé et visite des lieux. Ancienne ordonnance datait de 1898, les nouveautés : classement des salles en 3 catégories, normes de dégagement en fonction du nombre de salles, cabine de projection 1,60 X 1,35 à au moins 2 m des spectateurs, ventilée de l’extérieur, stockage séparé des bandes, présence d’eau dans des extincteurs, un seau, affichage des prix, présence obligatoire d’un policier rétribué par l’exploitant, fin des spectacles à minuit ½ maximum, sauf autorisation spéciale, possibilité d’une censure a posteriori, en cas d’atteinte à la morale ou à l’ordre public.

IX. A la conquête de nouveaux publics, le cinéma fait appel au théâtre

Le cinéma prend une place grandissante. Les cafés-concerts en souffrent le plus. La couche populaire est acquise, moins vrai pour les élites (tentative de Benoit-Lévy avec l’Enfant Prodigue).

Nouvelles initiatives : janvier 1908, Paul Lafitte, actionnaire de la Cie Cinéma-Halls, dépose les statuts d’une nouvelle société, « Le Film d’Art ». 2 académiciens l’épaulent : Charles le Bargy, Henri Lavedan. Le monde littéraire s’enthousiasme pour le projet. Très vite des contacts sont pris avec Pathé pour l’édition et la commercialisation des films. Société des auteurs pour le cinématographe, autre société, sur l’inspiration d’Eugène Gugenheim, metteur en scène, échotier, associé aux Mezbach, banquiers. Mars 1908, naissance de la SCAGL (société cinématographique des auteurs et gens de lettres). A la différence du film d’art, Pathé investit directement dans la SCAGL, prenant en charge toute la partie technique au sein de son usine de Vincennes. La direction est confiée à Eugène Gugenheim et Pierre Decourcelle, homme de plume, très lié au monde des Lettres.

L’Arlésienne, 1er film de la SCAGL : adaptation du drame d’Alphonse Daudet. Réalisé par Albert Capellani, un des premiers grands réalisateurs de cinéma, qui s’entend peu avec Zecca. Chez Pathé, il voit comme une aubaine la naissance de la SCAGL. Le film dure 17 mn, musique de Bizet. Bonne adaptation mais plutôt boudée par la presse. Les créations vont se succéder : Labiche (l’Affaire de la rue de Lourcine), A.Daudet (le Nabab), Zola, (L’Assommoir), V.Hugo (Hernani, Marie-Stuart…), Ponson du Terrail (Rocambole, gros succès en 1914). Au sein de la SCAGL, se remarque une jeune scénariste, Abel Gance. Parmi les acteurs : Harry Baur, Ravet, Leprince, Numès, Gabrielle Robinne, Melles Napierkowska. Les auteurs ne sont plus pillés, mais payés au mètre de film vendu laissant de côté l’habituel %. Les metteurs en scène sont toujours les grands oubliés : leurs noms n’apparaissent pas encore. Après 14-18, ils prennent l’initiative au fur et à mesure qu’ils découvrent toutes les richesses que recèle le langage cinématographique.

17 novembre 1908, l’Assassinat du duc de Guise à la salle Charras : bénéficiant de l’aura de ses créateurs, la première attire du monde. Soirée d’1h30. Le film dure 18 mn et raconte comment Henri III a fait assassiner son cousin au château de Blois. La presse fait débat autour du succès. P a g e | 21

Les films s’enchaînent : un duel sous Louis XIII, le baiser de Judas, Retour d’Ulysse. En mars 1909, sort une nouvelle version de l’Enfant Prodigue, due à Henri Lavedan. Passé avril, la salle Charras interrompt ses représentations. Du côté de la SCAGL, c’est la crise : les caisses sont vides. Graves défauts de gestion, l’argent est dilapidé, le public n’adhère pas, la SCAGL emprunte beaucoup au théâtre et le public raffiné préfère voir ces pièces directement sur scène.

Les « séries artistiques » contre la crise ? Donner au cinéma ses lettres de noblesse en faisant appel aux célébrités de la plume est né avant la crise. Avec elle, c’est une réponse aux difficultés. Gaumont, Eclair, développent des séries de films autour du théâtre, de la qualité esthétique. Autre catégorie, très différente, de films, sort en même temps que le Film d’Art et la SCAGL : le film de détectives (Nick Carter, 1908, produit par Eclair).

X. Fidéliser un public familial

Jusqu’alors le public reste occasionnel. Avec des salles, dans les quartiers populaires, il devient possible de le fidéliser en faisant du spectacle, un spectacle familial, chose que le café-concert n’a jamais réussi à faire.

Moralité et violence : à l’origine, on aimait les spectacles morbides, les exécutions, des séquences « historiques » plus ou moins violentes (les martyres de l’Inquisition, 1905, Lucien Nonguet). Dès lors que le spectacle devient de masse, on sélectionne davantage ce que l’on montre.

Vers la censure ? La censure théâtrale a disparu en 1906, avec la suppression des crédits alloués à ce service, datant de 1864. La loi reste pourtant active. Seuls les maires et le Préfet de Police sont autorisés à interdire un spectacle. Au départ, le cinéma n’est pas un enjeu, il reste marginal. Il le devient : Biribi, 1907, film de Pathé de Lucien Nonguet, entraîne des protestations à droite.

En 1909, à la suite d’une quadruple exécution capitale à Béthune, le ministre de l’Intérieur demande aux préfets d’éviter que des prises de vues soient faites de ce type d’événement. Il autorise, vis-à-vis des spectacles cinématographiques, à pouvoir établir une censure préalable.

XI. La crise et le 1er Congrès International des éditeurs de films

Les intérêts des exploitants, loueurs, éditeurs deviennent de plus en plus contradictoires.

Le nouveau paysage de l’industrie et du commerce cinématographiques : la corporation des éditeurs est la plus touchée par la crise (l’éditeur renvoie au monde du livre : prend en charge le négatif et en assure des copies et la vente aux loueurs. L’éditeur n’est pas toujours le producteur du négatif). Beaucoup de sociétés apparaissent et espèrent s’implanter sur un marché que Pathé domine, en direction des exploitants indépendants. Inflation de l’offre de films, gonflée avec l’implantation de firmes étrangères : Vitagraph, Cinès, Edison, Nordisk… La désaffection pour le système de l’achat entraîne la fortune des loueurs et une baisse du nombre de copies, qui passent ainsi des salles les plus prestigieuses en direction des moins cotées, avec des prix de location dégressifs. Ensuite, le film rejoint un stock dans lequel viennent puiser les tout-petits exploitants. P a g e | 22

Pour les éditeurs, l’intérêt est d’assurer un plus grand nombre de copies : Pathé y arrive sans difficulté, ce qui n’est pas le cas des nouveaux éditeurs.

Georges Méliès organise le Congrès : président de la chambre syndicale des fabricants et négociants de cinématographes. Deux hommes sont au centre du Congrès : George Eastmann, 1er fournisseur mondial de pellicule vierge et Charles Pathé, N°1 des éditeurs. Ce dernier refuse de venir, pensant que la crise trouvera sa solution par la disparition du surplus d’éditeurs, ce qui entrainera la baisse du surplus de production. Finalement, Pathé se présente au Congrès, le 2 février 1909.

2 février 1909 : le congrès international des éditeurs s’ouvre au siège de la société française de photographie, 51 rue de Clichy. Dure 3 jours, tous les fabricants français sont là, idem pour l’Italie, l’Allemagne, la GB, USA (Vitagraph), Danemark (Nordisk), Russie (Drankoff).

Les propositions : les loueurs devront retourner les films dans un délai de 4 mois, le prix est maintenu à 1,25F le mètre. En cas de refus, les clients seraient privés de films par les 32 maisons signataires. Système qui met définitivement fin au système de la vente pour la location à 4 mois.

Exploitants et loueurs s’organisent pour résister aux éditeurs : les forains sont les premiers à s’opposer, 4 mois étant un délai trop court. 2 syndicats apparaissent : syndicat français des loueurs de films et syndicat français des exploitants (mars 1909).

XII. Le second congrès international des éditeurs renonce à s’attaquer à la crise

Le congrès des 16, 17, 18 avril 1909 : Pathé claque la porte dès le 17. Le congrès ne s’engage que sur des mesures mineures : le retour des films est abandonné.

Elargir le marché : les éditeurs indépendants restent trop faibles pour imposer quoi que ce soit à Pathé. Pour trouver une solution au problème de la surproduction, on regarde du côté de l’étranger. Seuls Pathé et Méliès appartiennent à la MPPC (Motion Pictures Patents Cie), Pathé a même transformé sa succursale de New-York en maison d’édition américaine.

Les autres sociétés cherchent donc à s’implanter aux USA, mais pour y fonder des sociétés US afin d’éviter les droits de douane élevés. Gaston Méliès fonde ainsi la George Méliès Cie, à Chicago, en 1908. Gaumont préfère l’Angleterre en transformant sa succursale de Londres en SA en 1908. Pour beaucoup d’éditeurs, la voie n’est pourtant pas aussi simple et l’avenir paraît assez sombre.

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De 1910 à la guerre : Développement et innovation

I. Evolution sans révolution

Evolution vers la maturité, sans fracture. Surproduction latente. La profession de loueur prend une dimension centrale. Trinité dans l’activité : Edition, Location, Exploitation, qui préfigure la production, la distribution et l’exploitation de l’Entre-deux-guerres.

Le spectacle cinématographique va beaucoup évoluer :

1. Longueur des films augmente (300m à parfois 2000. 1000m = 55mn). 2. Apparition de nouveaux genres : policiers, western, enfants, péplum. 3. Nouveautés techniques : système du double poste (1911), colorisation (Ch.Urban, Gaumont). 4. Pathé fabrique du film vierge, se libérant du monopole d’Eastmann. En Allemagne, Agfa, Gevaert en Belgique. En 1914, l’importation de film vierge c’est quand même 50% du commerce cinématographique. Pathé se vante toutefois de pouvoir proposer un film ininflammable.

II. Les années de maturation du spectacle cinématographique

Le cinéma se détache progressivement des références théâtrales. En revanche, le travail sur le son, la couleur naturelle vont avoir peu d’influences sur le spectacle cinématographique : exploitation marginale. Une chance dans le traitement de l’image : le cinéma forge ainsi son propre langage.

Règles, pratiques et usages : 1. La fermeture pendant l’été s’impose, contrairement aux premiers temps. Cela conduit les éditeurs, après 1912, à attendre septembre pour sortir leurs films importants. 2. Jeudi, jour des écoliers et dimanche, repos dominical (1906), sont deux moments forts dans la semaine. Les matinées sont réservées à ces journées. Exception faite des Grds Bds, dont la clientèle travaille peu. 3. Pas encore de fonctionnement en continu : on stoppe à 18h pour reprendre à 20h30. 4. La durée des spectacles évolue entre 2h et 3h. entractes, musique, attractions. Les pauses permettent de fréquenter le bar. L’orchestre ouvre le début par un air entraînant. Les programmes tentent de satisfaire tous les publics. Après l’entracte, l’orchestre introduit la 2è partie du spectacle. Les attractions sont parfois si nombreuses qu’on peut parler de « programmes fixes ». L’orchestre varie selon les salles : au Gaumont Palace, le chef, Paul Fosse, est également compositeur, et dirige 50 à 60 musiciens de grande qualité. Le bruiteur est souvent placé dans la fosse, à côté des musiciens. Le conférencier est à côté de l’écran et explique l’action au public. Dans les Grds Bds, on y a souvent renoncé, le public étant estimé suffisamment cultivé. 5. On change le programme le vendredi à compter de 1907 : les exceptions sont rares. 6. Les films sortent dans plusieurs salles à la fois : il faut donc que les éditeurs tirent beaucoup de copies d’un même film. Les exploitants plus modestes font leur marché en assistant à des projections corporatives et choisissent des films d’origines très diverses.

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Les films kilométriques : l’allongement des films est certainement le changement majeur de la période. Jusqu’en 1911, les films de 300m (16 mn) sont toujours la norme. Après 1911, la norme va changer et se confirme passé 1912. 1913 est l’année des plus longs films : Les Misérables de Capellani (SCAGL) est un événement (3600m, plus de 3h), mise en scène de qualité. Sortie exceptionnelle dans 28 cinémas. Une soirée longuement préparée dès décembre 1912. Après sa sortie, on le présente comme un événement, et les exceptions vont ensuite s’enchaîner : Capellani prépare Germinal. 2 autres films monumentaux : Enfant de Paris et les Trois mousquetaires (Film d’Art, 3800m). En Italie, même tendance pour les péplums : Quo Vadis (Cinès, 2250m), Cléopâtre,… Quo Vadis passe ainsi en exclusivité au Gaumont Palace, l’orchestre est porté à 80 musiciens, 50 choristes interviennent au moment de l’incendie de Rome. L’acteur principal, Amleto Novelli, est extrêmement célèbre. Nombreux figurants, décors. Seul problème, les acteurs parlent beaucoup : 160 cartons, souvent très longs. La première est un succès : 6800 spectateurs et 2000 laissés à la porte. Ces films font l’objet d’un racolage publicitaire jusque là inconnu, mais nécessaire pour rentabiliser des coûts de plus en plus importants. En 1914, Néron et Agrippine de la Gloria, dont Pathé a acheté les droits pour 150.000F, aurait coûté plus d’1 million. Une ville est reconstituée, une trirème, un colisée. 33 cinémas retiennent le film pour sa sortie en juin 1914. Tous les films de 1913 ne subissent pas cette inflation : la majorité reste autour de 100 à 250m. Début du clivage entre « grand film » et « complément de programme ». Pour les professionnels, les longues bandes ne doivent pas se généraliser, au risque de perturber la structure du programme, et empêche d’accueillir les spectateurs qui entrent et viennent en cours de projection. Sur le plan technique, la capacité des projecteurs est de 600m. Les cinémas vont ainsi s’occuper de 2 appareils fonctionnant en alternance : l’opérateur recharge l’un pendant que l’autre fonctionne.

Les films en série, une étape vers les films à épisodes : les premiers films ont des personnages anonymes. Les premiers films de Max Linder : Premier cigare d’un collégien (1905), Le Pendu (1906)… dans lesquels l’acteur n’a pas encore créé son personnage. Ce n’est qu’en 1910 que naissent les séries des Max et autres Rigadin. Rapidement, 1 titre nouveau /semaine chez Pathé. Chez Gaumont, on trouve les Zigoto, Conésime, Léonce, et la série des « bébé » mettant en scène un gamin (Clément Mary). Le principe des films en série : même personnage dans une histoire autonome. Genre gangster et détective. Victorin Jasset ouvre la voie chez Eclair en 1908 avec son Nick Carter. Très gros succès populaire, les épisodes en appellent d’autres chaque semaine. Pathé crée son « Nick Winter » en 1910. En 1911, nouvel héros chez Eclair, Zigomar, le « roi des bandits », tiré d’un roman populaire de Léon Sazie, paru en feuilleton dans le Matin entre 1909 et 1910. Si les Nick Carter sont inférieurs à 300m, Zigomar affiche d’emblée 900m. Zigomar appelle à des plagiats : Fantômas en 5 films de Louis Feuillade chez Gaumont entre 1913 et 1914. Chez Pathé, le génie du mal s’appelle Rocambole. Pendant la guerre, le principe évolue vers les films à épisodes : le récit est découpé et livré à intervalles courts et réguliers. Le premier de ces films sort aux USA : les aventures de Kathlyn en 1914. Au-delà, les mystères de New-York et plus encore les Vampires, 1915, qui marque la véritable naissance en France des films à épisodes.

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Les actualités : ils se développent beaucoup entre 1910 et 1914. Gaumont sort le n°1 de son « Film- Gaumont-Actualités » en 1910, journal hebdomadaire. En 1912, Eclair-Journal en 1914, Le Ciné- Gazette par Rapid-Film. Pathé essaie de garder une longueur d’avance en proposant son Pathé- Journal 2X par semaine. En 1913, il devient quotidien mais il privilégie toujours l’événementiel. En 1912, un cinéma se consacre exclusivement à la projection de ses actualités.

Les spectacles mixtes, spectacles d’avenir ? 2 types de spectacles mixtes :

1. Films coexistent avec de nombreux numéros de variétés. 2. Profiter du cinéma pour créer une atmosphère dans une pièce de théâtre ou une revue de music-hall. Première en 1896, dans la biche au bois au Chatelet. Le cinéma évoque ce qui se passe ailleurs ou dans un autre temps, en contrepoint. Il représente le rêve, les pensées profondes, les remords. Max Linder s’en sert à l’Alhambra, dans un sketch : « c’est le tango qu’est cause de ça », 1913.

Innovations techniques et vieilles recettes : les procédés de synchronisation film-son et couleurs naturelles. On dépasse le stade de l’expérimentation sans laisser d’empreintes car elles sont très contraignantes sur le plan technique. Les projections en salle éclairée tendent à se développer, utile pour permettre de consommer en même temps qu’on visionne le film. Utile aussi pour domestiquer le public, lui éviter des gestes un peu audacieux. L’habitude ne se prolongera pas et le cinéma finira par retrouver l’obscurité totale, qui fut celle de sa naissance, le propre de sa magie.

III. Le loueur devient un partenaire incontournable

Fin des pionniers. Le dernier d’entre eux, Georges Méliès, est maintenant très endetté et va devoir se placer sous l’aile de Pathé.

Les loueurs à l’ancienne mode : système d’achat-vente-location fondé sur un stock de films plus ou moins anciens. Après 1910, ce système paraît passé de mode.

La nouvelle profession de loueur : le film est devenu une denrée de consommation rapide, dont la valeur marchande décroît très vite. Les loueurs assurent des projections corporatives pour montrer les nouveautés. Position encore plus solide si le loueur est le seul à assurer la diffusion de quelques éditeurs importants.

Louis Aubert, qui vient au cinéma en 1909. Il déploie son énergie dans la location. Il devient l’agent exclusif de l’éditeur italien Vesuvio. En 1910, il représente la Nordisk qui propose quelques films à succès (La traite de blanches). En 1911, il assure en exclusivité les films italiens de la Cinès (Quo Vadis, 1913). Il étend son influence sur les salles : il est le propriétaire de 20 salles à la fin des années 20, et devient même éditeur de film (L’Abandonnée, 1914).

L’agence Gale Cinématographique d’Astaix, Kastor et Lallement. La société obtient en 1910 la location exclusive du Film d’Art et des productions Eclair. Le Film d’Art, après des difficultés, reprend du poil de la bête après 1910, sous l’égide de Charles Dulac. Chaque semaine, 4000m de films nouveaux. Progressivement, les directeurs se dirigent vers l’exploitation. P a g e | 26

Les grands éditeurs français boycottent le marché libre : le marché libre est le marché des films qui peuvent être achetés en toute liberté. Pathé est le premier à se soustraire à cette pratique. En 1907, Pathé cesse la vente, fonde 5 sociétés régionales qui ont mis sur pied un vaste réseau de salles. En 1908, la société autorise des concessionnaires a pratiqué la double-location pour éviter que les indépendants aillent voir ailleurs. Pathé va chercher à récupérer l’exclusivité du système en rachetant aux sociétés le bénéfice dont elles disposaient. Gaumont prend le train en marche, lancé par Pathé, avec 2 ou 3 années de retard. En 1910, elle sort du marché libre. Eclair crée un service de location inter éditeurs : l’Union des grands éditeurs (1909). La société organise en grande pompe l’autodafé des films usagés. En 1913, Eclair cesse la vente de ses films et rachète l’Union des Gds Editeurs et en fait son propre service de location (Eclair-Location).

1912-1913 ; les loueurs en difficulté ? A l’origine des difficultés, le raccourcissement de la période d’exploitation des films. Généralement, il devient difficile de trouver un client passé 3 semaines de location. Il est impossible d’en amortir le coût en aussi peu de temps. Le prix de vente des films ne peut pas baisser étant donné que leur fabrication coûte de plus en plus cher. Il faut regarder du côté du prix des places pour pouvoir louer plus cher. Ou alors coupler l’exploitation et la location. C’est le cas chez Aubert et l’AGC (Agence Gale Cinématographique).

IV. Essor de l’exploitation parisienne

Situation souvent précaire pour la petite et moyenne exploitation

De combien de cinémas la capitale dispose-t-elle ? qu’entend-on d’abord par cinéma ? Dufayel est un magasin, l’Olympia un music-hall, le musée Grévin, le cinématographe du Petit Journal… en 1912, on estime à 138 exploitations strictement cinématographiques pour Paris, plus une cinquantaine d’établissements mixtes. Début 1913, la préfecture de police donne le chiffre de 262, en comptabilisant tous les types d’établissements. Les sources ne sont donc pas fiables. Pour des établissements comptant plus de 50% de séances cinématographiques payantes, on passe de 2 en 1902 à 175 en 1914. Le nombre est X8 entre 1905 et 1908, après 1908, +20% par an.

Dans toute la ville : le cinéma apparaît d’abord sur les Grds Bds, ensuite le spectacle s’étend à tous les quartiers. Sur les 175 en 1914, 20 sur les Gds Bds, 70 sur des voies importantes ou des rues animées, avec parfois des lieux de plaisir connus de longue date. Les 85 autres sont des cinémas de quartier.

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Des recettes en forte hausse :

Comment expliquer la hausse très forte 1. De 1896 à 1906 : période héroïque où le cinéma est un spectacle après 1911 ? marginal. Recettes en progression lente. Fidélisation d’un 2. De 1907 à 1911 : forte progression en 1907 avec la création des public familial et premières salles, puis hausse modeste mais continue. Les recettes populaire. établies selon le droit des pauvres, mais 2 manières de s’acquitter : Percée en 1/11è des recettes brutes ou alors souscrire à un forfait établi avec direction de l’administration de l’Assistance Publique, donc difficile de retrouver nouvelles couches les recettes exactes. sociales. 3. De 1912 à 1914 : très forte expansion.

Elargissement du public : à regarder les programmes, on pourrait croire que c’est un spectacle familial fréquenté essentiellement par la haute société. Il ne faut pas confondre réalité et l’expression d’un désir de la profession. Pourtant, pour les personnes cultivées, si le cinématographe est intéressant pour les vues de voyage, les actualités, les fictions n’en restent pas moins le « théâtre du pauvre ». le changement apparaît quand des salles ouvrent dans des quartiers bourgeois (le 16è, dépourvu avant 1910, en compte 6 en 1914). Des salles où les places sont chères, avec des programmes qui insistent sur le caractère moral et familial de leurs vues. Des habitudes se dessinent : la séance du vendredi soir devient une séance « chic ». le jeudi est le jour des enfants, le samedi soir et le dimanche sont familiaux.

1913 : le cinéma fait son entrée dans la presse : vaste mépris au départ, mis à part quelques publicités pour de vastes établissements. Les théâtres, cafés-concerts et music-halls sont à meilleure enseigne. Avec l’allongement des films passé 1911, le changement de mentalité s’opère également indépendamment des avancées techniques.

En 1913, le Matin indique chaque vendredi une programmation. Une rubrique est ensuite confiée à Dulac, « la semaine au cinéma ». Comoedia, quotidien des spectacles, ouvre une rubrique en mars 1913. Tout élément de critique y est encore absent. Ce n’est qu’en mars 1914 que Le journal inaugurera une rubrique « Ciné-Critique ».

V. Des palaces aux bouis-bouis

L’exploitation parisienne devient multiforme : fait marquant entre 1910 et 1914, l’apparition de palaces, inhabituels en-dehors des Grds Bds. On les trouve le plus souvent le long d’artères animées, tant dans les quartiers cossus que populaires de la capitale (Gaumont Palace, ancien hippodrome).

Le plus grand cinéma du monde : le Gaumont-Palace : 30 septembre 1911, sur l’emplacement de l’hippodrome, après la faillite de la Cie des Cinéma-Halls en 1909, la salle est transformée en piste pour patins à roulettes. La société tombe en faillite et Gaumont reprend le bail en août 1911. Auguste P a g e | 28

Bahrmann, architecte attitré de Gaumont depuis 8 ans, est chargé des transformations. Durée imposée : 6 semaines. 6 travées de fauteuils, 21 loges, 3500 fauteuils, plus une galerie et des promenoirs. Au total, le Gaumont-Palace peut accueillir 5500 spectateurs. Ecran de 8,50 m de base, la cabine est construite en saillie, à 35 m en arrière de la scène. 2 postes fonctionnent en alternance, le chronophone y est installé. La fosse accueille 80 musiciens. La scène est large de 14 m sur une profondeur de 6 m. des appariteurs accueillent les spectateurs en tenue bleu-clair, galonnés et casquette. Les prix sont pourtant très variés : de 0,50F jusqu’à 5F pour les loges. Pour l’inauguration, un film de 900 mètres en exclusivité : la Tare de Louis Feuillade, film d’inspiration réaliste. Les représentations durent plus de 3h avec 2 entractes de 15 mn. On note généralement 2 phonoscènes de 3 mn, qui confirment que le chronophone équipé d’un amplificateur pneumatique peut fonctionner dans n’importe quelle salle. Le directeur, Edgar Ostil, met au programme les œuvres marquantes de la société, ainsi que les grands titres étrangers (Quo Vadis de la Cinès, Spartacus de Pasquali). 8 mois après l’ouverture, le chronochrome gagne la salle. Toutes les semaines, 2 ou 3 petits films en couleurs naturelles. Le Gaumont-Palace est-il rentable ? Le dernier trimestre 1911, il enregistre des bénéfices record (l’équivalent des recettes des plus gros cinémas pour toute l’année 1911). De gros frais de fonctionnement mais le Gaumont Palace s’avère une réussite. Quelle est sa clientèle ? L’établissement mise sur la fidélité de la clientèle des quartiers avoisinants. Leur profil reste varié, avec des prix de billets qui s’échelonnent dans un rapport de 1 à 12.

Les nouveaux palaces : hors des Grds Bds, les premiers cinémas étaient des sortes de hangars aménagés. Une évolution se dessine dès 1912. Gabriel Kaiser, le fondateur du Gab-Ka, est l’un des premiers à l’avoir compris. Dans le 16è, il ouvre le Cinérama-Théâtre en 1910. Salle de 500 places. A sa suite, les nouvelles constructions sont plus ambitieuses, 1000 à 1500 places, incluant une brasserie ou un café. Les financiers ne craignent plus d’investir dans ce secteur. 15 décembre 1911, 1er palace de quartier dans le 17è : le Ternes Palace, fondé par une société créée par Edmond Benoit-Lévy. 1200 places avec balcon. Pour la première fois, le problème de l’aération durant la période estivale a été réglé par un toit mobile. Longue activité jusqu’en 1976. Toujours dans le 16è, le Mozart Palace en 1913, le Passy Cinéma-Théâtre, ce dernier étant le plus important. Parmi tous ces palaces, le Batignolles-Cinéma (17è) est une exception : tandis que la plupart cherche à éblouir leur public avec une décoration chargée, plus ou moins inspirée de la tradition théâtrale, le Batignolles opte pour le ciment armé, dépourvu de colonnades, frontons, guirlandes… bâtiment construit par l’architecte Paul Auscher, créateur de l’étonnant magasin Félix Potin (6è), représentatif de l’Art Nouveau, futur magasin Tati. La société Cinéma-Exploitation, la première à avoir fondé un réseau de salles dans Paris en 1907- 1908, possède le Cirque d’Hiver. En 1911, la société ouvre le Pathé-Palace sur le Bd des Italiens, face au Gab-Ka. Une salle qui connaît le succès : en 1912-1913, plus grosses recettes derrière le Gaumont-Palace. L’Artistic Cinéma-Pathé, est la 2è salle que Cinéma-Exploitation ouvre entre 1910- 1914, dans le 9è. Au départ, elle n’a pas la taille d’un palace, à peu près 500 places. Des travaux agrandissent l’ensemble en 1917-1918 pour la porter à 1200 spectateurs. Parmi les œuvres qui y seront projetées, 2 vont subir les foudres de la censure : Le cuirassé Potemkine (1926), Zéro de conduite (1933). P a g e | 29

Le Colisée, premier cinéma des Champs-Elysées : 1913 et il restera longtemps le seul. Lieu de promenade plus calme et aristocratique. La salle a été copiée sur la façade du Théâtre d’Amiens. Autour de 600 places. Le fondateur est un antiquaire parisien, également artiste dramatique. Le succès n’est pas au rendez-vous, loin derrière les cinémas des Grds Bds. Tout au long de son histoire, il ferme en 1988, il fut le lieu des prestigieux lancements des films qui ont marqué le 7è Art.

Les cinémas Bernard-l’ermite : durant ces 4 années, il devient fréquent qu’on modifie une salle pour la transformer en cinéma contrairement à précédemment où on privilégiait les créations nouvelles. Le plus célèbre est évidemment l’hippodrome. Les transformations ne sont pas nécessairement définitives. Parmi les plus importants : le Parisiana, dirigé par Paul Ruez, qui a débuté aux Folies-Parisiennes en 1893. Il a dirigé les établissements les plus prestigieux : l’Olympia, Les Folies-Bergères. Expulsé en 1907 par les frères Isola, il prend possession du Parisiana. En 1909, il reprend possession du , mais la faillite le gagne en 1911. Le Parisiana marche mieux, 1500 places dans une partie très vivante des Grds Bds. Ses promenoirs avaient l’originalité d’accueillir un public homosexuel qui venaient y faire des rencontres. Souvent le 2è ou 3è cinéma de la ville, derrière le Gaumont Palace et le Pathé Palace. Autre établissement : le Tivoli-Cinéma, 1910, à la place d’un bal-concert, là où furent adoptés les statuts de la commune de Paris en 1871. Parmi les entrepreneurs de spectacles, il faut retenir Charles Aumont. Maxime Gorki évoque déjà son nom dans ses mémoires de 1896. Ancien directeur de spectacles en Russie, il revient en France et devient le directeur du Moulin Rouge en 1907. La société tombe en faillite en 1909 et Paul Ruez le remplace aux commandes. D’une manière générale, il faut noter que quand ce ne sont pas des grosses sociétés aux commandes, l’activité peut être très instable et aventureuse. Le Moulin Rouge consacre une partie de la superficie de son établissement au Cinéma en 1914. En 1915, un incendie dévaste le music-hall. Plus tard, à l’aube du sonore, le Moulin Rouge se transforme véritablement en cinéma, tandis que les spectacles de music-hall se déplacent en sous-sol.

Salles spécialisées : si les grosses sociétés qui gravitent autour de Pathé s’en sortent, on compte plus d’échecs que de réussites. Quelques uns cherchent le succès dans la mise en place de nouvelles inventions et créent des salles spécialisées. Le chronophone Gaumont : 2è arrondissement, séances de Phonoscènes d’une dizaine de minutes au milieu d’un programme classique. Au Gaumont Palace, en 1913, on donne Asile de nuit, comédie de 15 mn, entièrement synchronisée. Le film rate son entrée dans l’histoire. Le « théâtre-romantique » est ensuite abandonné par Gaumont. La qualité du son est médiocre. Le chronophone ne s’imposera nulle part ailleurs que dans les salles Gaumont. La production des Phonoscènes se tarit (774 au total, 20 après 1913, aucune en 1916). L’Américain Biograph-Kinémacolor : le couleur est une préoccupation constante. Pour les couleurs naturelles, premier procédé en 1907 mis au point par Lumière, mais demeurent des difficultés. Au niveau de la photographie, la couleur arrive en 1869 par Louis Ducos du Hauron, le principe consiste à prendre 3 photos noir&blanc derrière des filtres rouge, vert, bleu, qui permettent de reproduire toutes les couleurs. On adapte le procédé au cinéma : Eclipse, en 1908, présente les travaux d’Albert Smith, à l’origine de la colorisation, le Kinémacolor. La guerre avec Pathé commence, cette société se lançant également dans le développement du procédé. Une salle pour le Kinémacolor s’ouvre : l’American Biograph-Kinémacolor, 1911. On y projette l’Apothéose de l’Empire des Indes, auquel le procédé reste longtemps attaché. Pathé multiplie les films en Pathéocolor, notamment des fictions, surtout le Siège de Calais (1911). P a g e | 30

Pendant 5 mois, l’American Biograph-Kinémacolor souffre de n’être que bicolore. Gaumont travaille sur un procédé de trichromie. En 1912, le système est au point et montré au public. L’appareil de prises de vues est doté de 3 objectifs munis d’un philtre bleu, rouge et vert. Les 3 images sont prises en même temps, les unes au-dessus des autres, ce qui réduit la longueur du film utilisé (3X à la normale avant, 2 ¼ maintenant). Le biochrome est le nom provisoire du procédé. Gaumont cherche une salle pour montrer son dispositif : 1913, l’Empire Cinéma Music-hall est loué et rebaptisé en Gaumontcolor. La production de films en couleurs est encore insuffisante pour constituer des programmes complets, aussi Gaumont continue-t-elle de projeter des bandes classiques. Au final, le Chronophone ne connaît qu’une courte carrière. Plus aucun film après 1916. Le Kinémacolor est présenté au public au cinéma Edouard VII, ouvert en décembre 1913. Sans doute l’établissement le plus luxueux de la capitale, mais les vues en couleurs sont peu nombreuses et les programmes se renouvellent peu. Charles Urban, à l’origine du projet, constate la non-implantation du procédé en France. En juin 1914, la salle est transformée en théâtre. Le Kinoplastikon : nouveauté qui passe à l’American Biograph à partir du 1er janvier 1914. Principe de projection de l’image non sur un écran mais au milieu de décors adaptés. Un chronographe produit un synchronisme approximatif. Le résultat reste étrange et peu réaliste. Une curiosité sans lendemain.

Petites et moyennes exploitations nouvelles : on ne construit pas que des palaces, aussi beaucoup de salles plus petites. Le Récamier, dans le 7è, propriété de la Ligue de l’Enseignement qui ne l’exploite pas elle-même mais l’a mise en location. Le Pathé-Journal, 1913, propriété de Max Linder, qui y consacre peu de son temps, lequel tourne jusqu’à 40 films pour Pathé par an. Le bail est signé en janvier 1914, ouverture officielle du Ciné Max Linder, enseigne destinée à la fois aux actualités Pathé et aux films de Linder. Parmi ces salles, on trouve le cas d’exploitants qui constituent de véritables dynasties familiales. C’est le cas de la famille Brocard avec le Jeanne d’Arc (13è), de la famille Gérard avec le St-Michel, ce dernier étant victime d’un incendie volontaire après la projection de La Dernière Tentation du Christ en 1988.

Absinthe et celluloïd : il peut paraître surprenant qu’en cette période de construction de cinémas, des bars continuent de faire des projections cinématographiques, mais il faut comprendre que le plaisir du film est associé au plaisir d’une consommation. Difficile de retrouver leurs traces, on les trouve un peu partout. Leurs recettes peuvent être confortables même s’ils puisent dans des stocks de films anciens (café cinéma Robineau, Faubourg du Temple).

Le cinéma comme attraction de café-concert, music-hall, cirque… les dernières années : les films courts se font plus rares, présence des cinémas, la faveur du public est moins grande. On entre dans une inversion des rôles : ce sont des numéros de music-hall, cafés-concerts qui entrent maintenant au cinéma comme attractions. La guerre fixe ce mouvement et ensuite il n’y a plus guère que l’Alhambra qui continue à programmer des projections.

L’exploitation foraine et les tourneurs : on pensait que l’arrêt de la vente des films Pathé serait fatal à la profession, mais ce ne fut pas le cas pour nombre de sociétés étrangères. Néanmoins, la concurrence des cinémas permanents qui s’ouvrent en province entraîne des difficultés pour les forains. En 1914, plus guère de villes de plus de 5000 hab. ne possèdent pas de cinémas.

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VI. Une architecture peu spécifique

Pas de normes spécifiques pour les cinémas, l’image des théâtres reste la norme. Le respect du spectacle n’est pas une priorité : placement de la cabine, places éloignées de l’écran, cadre trop somptueusement décoré. La forme qui domine est celle de la parcelle rectangulaire. Il faudra du temps pour se rendre compte que le trapèze est la forme idéale. L’espace d’affichage à l’extérieur n’est pas adapté. Architecture au final peu adaptée, qui s’explique par l’incertitude qui entoure le devenir de ces salles, il faut pouvoir facilement les convertir à d’autres spectacles en cas d’échecs.

VII. La profession d’exploitant et les métiers annexes

Une profession très hétérogène : beaucoup sont souvent d’anciens boutiquiers, cafetiers ou artisans qui se lancent dans l’exploitation, sans forcément s’y préparer convenablement. Les reventes sont nombreuses mais rares sont les exploitations qui ferment définitivement. L’exploitation subit également un mouvement d’intégration verticale, avec une fusion avec le monde de l’édition. Gaumont possède son propre réseau dont le Gaumont-Palace est le fleuron. Pathé poursuit sa politique de sociétés concessionnaires. Aubert est l’étoile montante de ces années : gros loueur, producteur, exploitant de quelques salles de quartier. On trouve aussi la catégorie des hommes d’affaires qui créent des établissements en vue, indépendants, ils choisissent leurs films librement (Sandberg-Guernieri pour Tivoli-Cinéma).

Les tâches de l’exploitant : se doit d’être présent lors des séances les plus importantes, au contact de la clientèle, doit la fidéliser, connaître ses goûts. Souvent, pour les nouveaux venus, la méconnaissance du métier est un lourd handicap, notamment pour ce qui relève de la composition des programmes. Il faut assister aux projections corporatives, qui rebutent certains. Trop faire confiance aux loueurs peut engendrer des problèmes.

Pratiques et astuces : 1. La ruée sur les films de première semaine. Une tendance qui conduit à la réduction de la durée d’exploitation. 2. La réclame. La loi de 1912 institue un droit de timbre annuel sur les affiches publicitaires posées sur les murs qui n’appartiennent pas à l’annonceur. En-dehors des affiches, des prospectus, billets de faveur, hommes-sandwichs, bonimenteurs, insertions dans des quotidiens. La publicité permanente est moins fréquente, mais elle contribue au succès du Tivoli-Cinéma (place de la République, autobus, funiculaire de Belleville). 3. Le doublage : procédé guère honnête qui consiste à voir 2 exploitants s’entendre pour partager les frais de location. Il faut évidemment que ces confrères soient proches géographiquement. Une pratique qui se maintient dans les années 30 et 40.

Le syndicat français des exploitants du cinématographe devient majeur : première tentative en 1907, à l’époque du coup de force de Pathé, mais les liens n’étaient pas encore assez forts. Le syndicat, quant à lui, date de 1909, est présidé par André Prieur, ancien électricien. Il arrive à regrouper en un seul lieu les projections corporatives, exception faite de Pathé et Gaumont. Projection faite le mardi dans la brasserie-cinéma Rochechouart. Des problèmes divers poussent à déplacer ces projections au Consortium-Cinéma le lundi matin. S’y côtoient exploitants, loueurs et P a g e | 32

éditeurs. Les loueurs passent commande et reçoivent les copies en moyenne 2 semaines plus tard. Les exploitants livrent leurs goûts et permettent d’ajuster ces commandes. Moment incontournable à une époque où n’existe aucune critique cinématographique, laquelle apparaît officiellement en 1914 sous la plume d’Edmond Floury, « Les films tels qu’ils sont », dans le Courrier Cinématographique. Les loueurs n’apprécient pas que les projections corporatives se fassent sous l’égide des exploitants. Ils torpillent l’organisation en organisant des projections au Tivoli : au final, ces dernières perdent de leur importance. Pathé/Gaumont présentent leurs films dans leurs salles, les grosses productions sont proposées dans des salles de prestige. En 1911, Léon Brézillon remplace André Prieur. 1er Congrès international des exploitants du cinématographe en 1912, sous la présidence du Préfet Lépine. Le leitmotiv du syndicat : la défense du « marché libre » contre les accapareurs, ceux-là même qui s’assurent la production exclusive de telle ou telle maison, et ensuite, pour amortir les coûts, les fournissent à leurs clients, qui les absorbent, bon gré, mal gré, les bons comme les mauvais. Autres combats : lutter contre la concurrence déloyale des marchands de vins. Ils protestent contre le coût de l’électricité, la hausse des locations. En 1912, le syndicat des auteurs demandent une rétribution en % des recettes, comme au théâtre, contrairement à l’ancien système (rétribution au mètre de film vendu). Ce nouveau système consisterait à transférer cette charge des éditeurs en direction des exploitants. La levée des boucliers est unanime, dans un contexte où les tarifs des cinémas sont libres et bas, car la concurrence entre établissements est rude. Un changement s’opère, d’abord par les Grds établissements, qui relèvent leurs tarifs en y incluant le Droit des Pauvres (lequel est supprimé le 31/12/1942, pour être remplacé par de nouvelles taxes). L’idée d’un syndicat regroupant toutes les branches de la cinématographie fait son chemin : en juillet 1912, le projet devient réalité avec 4 sections : constructeurs, éditeurs, loueurs, directeurs de cinéma.

Les opérateurs de cabine : une profession qui s’organise. Grosse responsabilité, il suffit d’un arrêt accidentel du film alors que la lanterne est allumée pour que le film s’enflamme. Des incendies éclatent ainsi assez régulièrement, causant parfois des blessures, voire la mort de l’opérateur. Dans les salles permanentes, le danger de l’incendie est minime, la cabine étant isolée, mais reste le problème de la panique. La solution définitive vient de la pellicule ininflammable grâce à l’Acetoïd (Pathé), 1913. Beaucoup d’hostilités et des performances inférieures empêchent de rendre son usage obligatoire avant les années 50. Le métier d’opérateur est plutôt malsain : poussière de charbon dispersée par l’Arc électrique, chaleur et froidure à cause de l’aération, on constate beaucoup de maladies pulmonaires. Le syndicat des opérateurs date de 1907 avec comme principale revendication : le brevet de capacité professionnel, qui est mis en place à partir de 1913. Une école professionnelle des opérateurs de France se crée rue de Bondy (mais le métier continue de s’apprendre sur le tas) et le 1er Congrès international des opérateurs est organisé à Paris en 1913.

Le déclin des bonisseurs et des conférenciers : avec l’institutionnalisation du cinéma, les programmes apparaissent dans les quotidiens, le besoin de racolage se fait moins sentir, d’autant que le préfet Lépine demande que l’excentricité de leur tenue soit limitée. Les bonisseurs se font plus rares, mais ne disparaissent pas encre. En 1916, il est tout de même différent que « l’aboyeur » des temps précédents : plus distingué, bon orateur. En revanche, l’homme-sandwich va encore continuer à arpenter les rues, au-delà même de la 2è GM.

Le conférencier est au contact du public : il dispose pour chaque film d’un résumé auquel il adjoint sa note personnelle. Volontiers pris à partie, chahuté par le public, il doit s’adapter aux situations. P a g e | 33

Avec la généralisation des intertitres, les films se comprennent par eux-mêmes. Restent que l’illettrisme encore important, maintient la profession dans les cinémas des quartiers populaires. Après 14-18, le métier va disparaître.

Musiciens et bruiteurs : 2 métiers proches, certains sons étant obtenus par les instruments de musique. Le métier de bruiteur n’est pas officiellement reconnu, charge souvent confiée à n’importe qui, tant qu’il ne coûte pas cher. L’usage des machines à bruits ne se généralise pas : trop cher et demandent un employé pour les faire fonctionner.

VIII. Le quartier d’affaires du cinéma

L’essentiel est concentré dans les Grds Bds : sur 39 grandes maisons, la moitié est située dans un triangle Bd Poissonnière / Rue Lafayette / Faubourg Poissonnière. Seule exception : Gaumont, sur St-Roch (1er). Les studios, ateliers, usines sont en périphérie.

IX. Le cinéma et la marche à la guerre

L’avion du cinéma : le Matin est révélateur de l’esprit qui tend à préparer les esprits à la guerre. En 1912, le journal lance une souscription pour aider l’armée à se doter d’une flotte aérienne. Un négociant parisien, Sylvain Brémond, y associe le cinéma. Dans le Courrier Cinématographique, on trouve ainsi une liste de souscripteurs, comprenant notamment Max Linder.

Les films patriotiques : le cinéma ne témoigne pas réellement de l’imminence de la guerre. On note en revanche bon nombre de films patriotiques : L’Alsace-Lorraine est un thème majeur. En 1897, Les dernières cartouches par Méliès. D’autres bandes en 1900.

Le drapeau est un thème récurrent : Pour la patrie, bande Pathé, 1909.

L’alliance franco-russe est aussi très présente.

Après 1910 et surtout 1912, la situation évolue sensiblement. Gaumont-Palace introduit Pour la patrie. En 1913, sortent plusieurs films glorifiant l’héroïsme (A la gloire de l’armée française, le drapeau du 22è, Baiser rouge qui s’inspire des guerres balkaniques, Sous la mitraille sur le même sujet, reportage sur la guerre entre la Grèce et la Bulgarie).

L’épopée napoléonienne est aussi un grand thème d’inspiration : Pathé produit un Napoléon en 1909. En 1911, la même maison édite le film de la SCAGL, Le mémorial de Ste-Hélène. En juin 1914, est filmée au théâtre du Châtelet la première de l’Aiglon, pièce d’Edmond Rostand, 3h ½ de spectacle.

Après 1914, les films patriotiques se font plus nombreux, plus ambitieux et plus directs : La voix de la patrie, film Gaumont réalisé par Léonce Perret. Histoire d’un officier pauvre qui découvre une nouvelle poudre. Endetté, il est prêt à vendre la formule jusqu’à ce qu’il entende une musique militaire au loin, remuant son sentiment patriotique. Pathé sort Maudite sois la guerre, film qui pourrait faire fausse note. Produit en Pathécolor, réalisé par Alfred Machin. Histoire d’un aviateur et son amie appartenant à 2 nations qui entrent en guerre. P a g e | 34

Il ne faut pourtant pas en conclure que les films patriotiques envahissent les écrans. Les 2 derniers Fantômas, 3 Rocambole, les enfants du capitaine Grant d’après Jules Verne remplissent largement les salles.

Ordre moral et censure : on exige plus du cinéma que du théâtre. Le cinéma est populaire par essence et son éducation est jugée nécessaire. Les vues pornographiques existent mais on ne les voit que dans les maisons closes. En cas de descentes, les films sont saisis. En 1912, un brigadier et 6 inspecteurs iront même jusqu’à immerger dans la Seine 25 km de films obscènes. Toujours en 1912, on note le IIe Congrès national contre la pornographie. On s’élève contre toute forme de limitation des naissances, contre les films jugés amoraux (scènes de corruption, crimes…). Fin 1912, un député présente à la chambre un projet de loi autorisant le préfet à interdire tout spectacle qui ferait l’apologie de nos mauvais penchants. La résolution est vite laissée de côté. Les Zigomar, Fantômas, Rocambole incarnent l’envers de la société. Si le danger qu’ils représentent est tout à fait illusoire, en 1912, la bande à Bonnot entretient un climat de peur, avant de rendre l’âme dans une maison de Choisy-le-Roi, le 27 avril 1912. Avant même l’épilogue, on propose une bande actualités : L’Auto grise, de 300 m. Eclair tourne une suite, Hors La Loi. 2 films qui entraînent des protestations émanant de maires de province. Des mesures d’interdictions qui lancent un mouvement de fond, puisque des interdictions commencent à toucher d’autres films, pour d’autres motifs. En avril 1913, une circulaire du ministre de l’Intérieur généralise la pratique des maires.

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La grande guerre : fractures et continuités

Après la mobilisation générale décrétée le 1 août, des actes de vandalisme le lendemain : on saccage nombre de magasins considérés comme allemands ou autrichiens. Plusieurs brasseries sont dévastées. Certains mouvements sont ouvertement antisémites. Autour du départ, les gares s’animent, les voies d’accès sont encombrées. Quelle place dès lors peut occuper le cinéma dans ce contexte ?

I. Août 1914 : La désorganisation de la vie civile

Plus de spectacles… ou presque : sur les Grds Bds, intense circulation militaire, les cafés n’occupent plus les terrasses et ferment dès 20h, seuls les restaurants peuvent ouvrir jusqu’à 21h30. Les salles de spectacle restent closes. D’après l’Assistance Publique, 7 cinémas restent ouverts, d’autres les rejoignent après le 15 août, mais l’approvisionnement en films reste difficile. On pioche alors dans le registre patriotique. On met en place des représentations dont le bénéfice est reversé à des œuvres, façon de proclamer son attachement au patriotisme. Beaucoup de personnel est mobilisé et quand le directeur part, c’est souvent la salle qui doit fermer.

Le public populaire atteint par le chômage et la misère : dans les familles modestes, le départ du père entraîne des conséquences financières lourdes. Des entreprises doivent fermées, générant du chômage. Dès le 5 août, l’Etat décrète que les loyers ne sont plus exigibles tant que l’homme est sur le front. Des bons de lait sont distribués, on alloue 1F/jour aux familles nombreuses. La misère s’installe, des soupes populaires s’organisent. Dans ce contexte, le cinéma n’occupe plus les esprits.

Les spectacles et la presse : les rubriques des spectacles disparaissent de la presse. Tout est consacré à la guerre. Comoedia, quotidien spécialisé dans les spectacles, cesse de paraître le 7 août.

La production cinématographique stoppée : la mobilisation réquisitionne de nombreux techniciens, une situation financière précaire avec le moratoire qui suspend provisoirement les rentrées d’argent. L’usine Pathé de Vincennes tourne ainsi au ralenti, avant de produire du gaz de combat asphyxiant et des masques à gaz.

Censure de la presse et censure des spectacles : transfert des pouvoirs de police en direction de l’autorité militaire. Aucun correspondant de guerre n’est autorisé dans les zones des armées. La presse informe de l’entrée des troupes à Mulhouse le 9 août, qui est évacuée le lendemain. Le 27 août, 2 socialistes font leur entrée dans le gouvernement : Marcel Sembat aux Travaux Publics, Jules Guesde, sans portefeuille. Rapidement, les allemands se rapprochent de la capitale. Fin août, peut- être 1 million de parisiens, dont Méliès, qui n’a pas rouvert le Théâtre Robert-Houdin, a quitté la capitale. Les propriétaires des salles toujours ouvertes sont tenus de soumettre leurs programmes à la censure. Une fiche signalétique accompagne chaque film, suivi du visa de la préfecture. 3 censeurs occupent cette tâche spécifiquement pour le cinéma : Mr. Martin, ancien commissaire, Mr. Cadon, ancien fonctionnaire de préfecture, Mr. Léna, ancien professeur d’Université. Aucune représentation de l’ennemi n’est autorisée. En décembre, les fiches sont remplacées par la vision des films.

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II. Le cinéma au creux de la vague : Sept. 14 au Printemps 15

La vie reprend dans la capitale

Restrictions et difficultés : les spectacles sont jugé encore déplacés dans le contexte de guerre. Les colonnes Morris gardent encore les programmes de juillet, fin septembre. Elles sont recouvertes d’un papier tricolore, les réservant à l’administration militaire. L’éclairage de nuit est réduit, voire supprimé. Le 15 septembre, il n’y a plus d’enseignes lumineuses, le métro ne fonctionne que jusque à 21h30. Les conséquences sont dramatiques pour les cinémas. Fin septembre, dans la presse, on trouve les 1ères annonces publicitaires pour les spectacles cinématographiques, exclusivement des reprises.

La chasse aux maisons allemandes : Walter Neuhoff, Otto Gutmann, de la société des Grds Cinémas Parisiens, propriétaires du Palais Rochechouart, voient leurs biens mis sous séquestre. Gabriel Kaiser, pourtant de nationalité française, change son nom pour Keuser.

L’ordonnance du 23 novembre 1914 sur la réouverture des salles de spectacle : avec le prolongement de la guerre, la misère économique des professionnels du spectacle, la réouverture des cinémas devient nécessaire, d’autant que leurs revenus alimentent les caisses de l’Assistance Publique. Pour contrer les critiques des moralisateurs, on institue une forte taxe à l’entrée destinée aux poilus. La mesure est décidée le 23 novembre 1914, pas moins de 15% de la recette brute (droit des pauvres inclus). Le spectacle doit être terminé pour 23h. En réalité, le prélèvement sera de 5%, ce qui est déjà énorme. Dans les 2 mois, de nombreuses salles rouvrent, le 18 décembre pour le Gaumont-Palace. En février 1915, on estime à 80 cinémas rouverts, soit 50% des établissements. Leurs recettes s’établissent entre 55% et 75% de leurs recettes de 1913.

La vie corporative reprend peu à peu son cours : les loueurs et éditeurs reprennent la présentation des nouveaux films les lundis et mardi après-midi, au Tivoli-Cinéma. 2 revues spécialisées reprennent leur parution : Le cinéma, Ciné-Journal en février 1915.

III. Printemps et été 1915 : l’industrie cinématographique française tente un timide redémarrage

Si la journée, le visage de Paris change peu, c’est à la tombée de la nuit, en raison de la raréfaction de l’éclairage public, que les choses changent. En mars 1915, l’incursion de 2 Zeppelins conduit à de nouvelles restrictions. Des contraintes peu favorables aux spectacles, mais les parisiens commencent à s’y accoutumer.

Une demande croissante de films : si à Paris, la majorité des cinémas à rouvert, la situation est inégale en province, selon le taux de la taxe supplémentaire, et les interdits de la censure, variables selon les municipalités.

Une production peu abondante et sans grande ambition : Louis Feuillade, Léonce Perret et quelques autres tentent de produire quelques bandes durant l’hiver 14-15. Le Film d’Art reprend également sa production. L’ensemble est de médiocre qualité, le métrage est faible. Pathé est absent de France et investit l’espace US (The Exploits of Elaine, film à épisodes, qui atteint un succès considérable).

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Lorsque l’événement cinématographique vient d’Outre-Atlantique : Les exploits d’Elaine arrivent en France, sous le titre Mystères de New-York. D’autres films US débarquent : Naissance d’une nation, mars 1915, est interdite par la censure française, mais les comiques investissent les écrans : Mac Sennett et la Keystone sous l’égide de Jacques Haïk, qui comprend que ces personnages peuvent plaire au public français. C’est lui qui invente le surnom de Charlot. Si le comique est déjà célèbre dans son pays, il gagne rapidement les faveurs du public en France. Chaque firme US cherche à imposer sa star-vedette : la Vitagraph avec le Gros Bunny, la Transatlantic Films, Billie Ritchie ne fait que plagier que Charlie Chaplin.

L’Etat-major modifie son attitude à l’égard du cinéma : rapidement, le monde professionnel défend le principe des Actualités. Bandes faciles à produire, et un public très favorable, l’image du Poilu étant aimée et populaire. Pour cela, il faut de véritables images du front. Pour le pouvoir politique, l’idée est séduisante : les allemands filment leur guerre depuis le début et l’on n’ignore pas tout le bienfait de ces images sur le plan de la propagande. Millerand, ministre de la guerre, donne son aval en février 1915. La section cinématographique de l’armée est créée. 4 opérateurs, appartenant aux 4 premières maisons françaises, forment le noyau. Ces opérateurs sont des soldats, dépendent de l’Etat-major. A partir de mai 1915, ces vues militaires sont incorporées aux programmes. On peut y voir des soldats allemands, mais pas encore les zones de combat, pas avant 1916. Les salles sont très fréquentées, même si les comptes de l’Assistance Publique laissent entendre une baisse de 6% des recettes entre 1914 et 1915. Les Actualités Patriotiques sont bien accueillies. L’enchérissement du quotidien ne semble pas entamer le patriotisme de la population.

Une nouvelle salle prestigieuse sur les Grds Bds : Le cinéma des Nouveautés-Aubert Palace. La guerre a interrompu les projets de construction. Le cinéma des Nouveautés-Aubert est le premier à être inauguré depuis le début de la guerre, sur le Bd des Italiens, en mai 1915. Son succès est immédiat. D’emblée, l’Aubert Palace fait partie de ce petit groupe de salles où se donnent les représentations de films importants : Conscience Vengeresse de Griffith (1916). C’est ici que Le chanteur de Jazz sera projeté pendant 48 semaines (Janvier à Décembre 1929). En 1933, la salle est louée à une société allemande. Après la guerre, il devient le Lumière Gaumont et termine sa carrière discrètement le 30 décembre 1987.

IV. Le renouveau du spectacle cinématographique (Sept. 1915 à Décembre 1916)

Des conditions plus favorables : la vie est toujours chère, mais le chômage se résorbe. Le cinéma offre, pour un prix raisonnable, une soirée de détente. 2 mesures contribuent à améliorer la situation du cinéma : en août 1915, Malvy, ministre de l’intérieur, suspend la taxe de 5%. En contre partie, les cinémas s’engagent à offrir 1 séance de bienfaisance par mois. En septembre 1915, on lève l’état de siège dans les départements non touchés par la guerre.

Les événements cinématographiques de la saison : en novembre 1915, le journaliste Philippe Guérande commence son enquête sur les vampires. Tout droit sortis de l’imagination de Louis Feuillade qui s’inspire des Zigomar, Fantômas, Fregoli. Autre trait, la place réduite de la police, d’incessants retournements de situation. Feuillade, présenté volontiers comme prude, dégage dans sa série une bonne dose d’érotisme. La caméra serre l’action au plus près : gros plan, montage parallèle, jeu sobre qui s’écarte de la théâtralité. Au total, 9 épisodes qui se succèdent en moyenne toutes les 3 P a g e | 38 semaines. Feuillade improvise constamment selon les circonstances : la mort du Grd Vampire (Jean Aymé) s’explique par les retards incessants de l’acteur qui agaçaient Feuillade.

25 novembre 1915 : le théâtre du Vaudeville se transforme en cinéma et accueille Cabiria, écrit par Gabriele d’Annunzio, film d’Itala-Film, réalisé par Giovanni Pastrone. Le film est projeté en exclusivité dans le théâtre, il y reste 4 mois, comptabilisant plus de 250 représentations. En janvier 1917, le film gagne de nouveaux écrans. Le théâtre du Vaudeville change alors sa programmation par un autre film de l’Itala-Film, Maciste, dont la présence avait été appréciée dans Cabiria, interprété par Bartolomeo Pagano.

3 décembre 1915, la vague des Mystères de New-York déferle sur Paris, sur 54 écrans parisiens parmi les plus luxueux. Avec les villes de province, c’est un total de 156 salles, du jamais vu. Gros pilonnage publicitaire. 22 épisodes, calibrés à 600m (1/2 h) qui sortent chaque semaine. L’expérience est nouvelle dans cette synergie entre presse, qui annonce les épisodes, et le cinéma. Aventures d’Elaine, aidée par le journaliste scientifique Justin Clarel, aux prises avec une bande d’assassins surnommée « La main qui étreint ». Le succès vient beaucoup du charisme de l’héroïne, jouée par Pearl White, qui incarne la femme libérée du Nouveau-Monde. Les mystères sont réalisés aux USA par Louis Gasnier. Les aventures d’Elaine étaient déjà un succès en Amérique avant qu’elles ne débarquent en France. Pendant 22 semaines, les mystères fidélisent un large public. L’ère des films à épisodes ne fait que s’ouvrir et les mystères de New-York connaîtront une longue descendance, jusque dans les années 30 et 40.

14 janvier 1916 : le Film d’Art sort le fleuron des films patriotiques, Alsace. Dans ce genre, pas de grandes batailles, le cinéma français n’en a plus les moyens, souvent des situations familiales qui traitent de l’Alsace. De nombreuses bandes sortent en 1915 et surtout en 1916. Dans Ceux de chez nous, de Sacha Guitry, première réalisation cinématographique, 1915, on veut montrer que la culture française est supérieure à la civilisation germanique. En janvier 1916, arrive Alsace. Le film obtient un vaste succès. Adaptation d’une pièce en 3 actes de Gaston Leroux, jouée en son théâtre de la rue Blanche par la Grde Réjane. L’histoire raconte la relation d’une mère et de son fils, qui a commis l’irréparable en épousant une allemande. Quand la guerre arrive, le fils, Jacques, est tiraillé entre sa mère et son épouse. Il finira sous les balles de l’ennemi et meurt dans les bras de sa mère. On peut voir dans le film des uniformes allemands, contrairement à la censure. Malvy intervient et l’autorisation est finalement donnée. Dès lors, la représentation de ces uniformes ne sera plus l’objet d’interdiction. Après Alsace, le genre entre dans une phase de déclin.

21 juillet 1916 : Forfaiture est une révélation. Film américain, drame intimiste se déroulant entre 3 personnages. Le scénario n’est pas le plus original, mais son traitement est novateur : les gros plans sont utilisés pour lire les sentiments des personnages. La violence est montrée de façon subtile, contrairement aux gestes emphatiques. Le jeu de lumière participe à l’atmosphère dramatique. Le film dure 1h10 et remporte un large succès et pousse le loueur, Charles Mary, à s’adapter face à la forte demande et à un faible nombre de copies (naissance du bloc-système : s’engager à louer un certain nombre de films sans possibilité de les choisir individuellement). Le film entraîne 2 acteurs sur le chemin de la gloire, surtout Sessue Hayakawa, l’impassible et cruel japonais, et célèbre le talent de son metteur en scène, homme de 35 ans, Cecil B.DeMille.

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Crise de la production française et invasion étrangère : la production ne retrouve pas son niveau d’avant-guerre. Pathé accentue ses productions faites par ses filiales à l’étranger. Quant à Gaumont, les efforts pour relancer la production sont indéniables : les Vampires, mais proposent aussi des films venus d’éditeurs étrangers. Autre signe, des réalisateurs français partent travailler à l’étranger : Emile Chautard, Albert Capellani, Léonce Perret, Maurice Tourneur, Louis Gasnier. Max Linder, réformé après 6 mois d’armée, part à Chicago pour tourner 12 films.

L’exploitation à l’origine des maux de la production ? Les recettes des cinémas sont florissantes. Pas de désaffection du public. 1916 est en progression par rapport à 1913, la meilleure année d’avant-guerre, pour les comptes de l’Assistance Publique. En réalité, en francs constants, sur 6 établissements réputés, on note une baisse de l’ordre de 38%. Une baisse certes, mais une reprise indéniable comparée à l’année 1915.

Outre quelques fermetures (Gaumontcolor, cinéma Dufayel), l’exploitation cinématographique constitue une planche de salut aux yeux de certains directeurs de théâtres. Si l’on suit les arguments du directeur du Vaudeville, le théâtre est jugé trop frivole. Il n’enregistre aucun succès depuis sa réouverture. L’appel du cinéma a donc été particulièrement écouté : si le plus gros succès théâtral, La Belle Aventure, dépasse les 30.000F de recettes, ce n’est rien comparé aux succès qu’on été Cabiria, Maciste (+ 60.000F), Jules César de la Cinès (mai-juillet 1916, plus de 126.000F). Christus, un péplum de la Cinès, tourné en Egypte et en Palestine, reste à l’affiche plus de 5 mois entre 1916 et 1917 et affiche 344.000F de recettes. Un résultat impossible sans le concours de somptueux films italiens donnés en exclusivité. Beaucoup de théâtres imitent ce mouvement de reconversion.

Les docteurs au chevet du film français : beaucoup d’observateurs font remarquer que la crise débute avant la guerre : montée en puissance des firmes US et italiennes. En 1914, la Paramount était dotée d’un capital 3X supérieur à celui de nos 2 plus grandes sociétés. La guerre ne pouvait qu’accélérer cet état des choses. On reproche la banalité des scénarios, l’insuffisance des metteurs en scène de qualité, le manque d’audace des producteurs. Pour certains, il faut accorder plus d’espace aux créateurs, et notamment les sortir de l’anonymat afin qu’une saine concurrence permette aux meilleurs de sortir du rang. De façon plus générale, le marché du film français est trop étroit pour espérer tirer des bénéfices suffisants. Le matériel est vieillissant, les ateliers de prises de vues ne permettent pas de produire un travail continu et de qualité. La politique même de Pathé a, en partie, engendré la crise : en abandonnant le système de la vente, elle a amené des exploitants à aller se fournir auprès d’autres maisons, en partie étrangères. Quand la production a commencé à moins rapporter, Pathé s’est progressivement désengagé de ce secteur qu’elle a laissé entre les mains d’autres sociétés, notamment étrangères. Le début de la guerre n’a fait qu’accélérer ce processus. C’est dans ce sens que Pathé engage la production des Mystères de New- York, engagent des gros moyens dans un pays où le cinéma est devenu un objet de grande consommation. Pour certains, il faut imiter l’Angleterre et appliquer un protectionnisme douanier mais l’idée divise : on craint des coûts de location plus élevés et que le repli sur le territoire ne pousse le cinéma à ne pas vouloir chercher des solutions à la crise qu’il traverse.

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La bataille des taxes : la bonne santé de l’exploitation pousse l’Etat à voir dans le cinéma une manne providentielle. La journée cinématographique du Poilu (21 décembre 1915). On pousse tous les établissements à participer à l’opération et à rendre publique les souscriptions. Le résultat de la journée est globalement satisfaisant. Par contre, après un bombardement de Zeppelin la nuit du 29 janvier 1916, le préfet de Police fait appel à la générosité forcée des directeurs et demande qu’une journée de recettes soit donnée au bureau de bienfaisance du XXe arrondissement : refus collectif. Redoutant le retour de la taxe de 5%, le syndicat des directeurs de cinématographes prend les devants en janvier 1916, et propose au ministre de l’intérieur une taxe de 2% sur les recettes brutes versées à la fin de chaque mois, exception faite de 5 mois durant la période estivale. La manœuvre échoue et le ministre rétablit la taxe de 5% à compter du 1er avril 1916. Le pire arrive pourtant en mars 1916, quand 2 députés proposent une loi instituant une taxe sur les entrées dans les établissements de réjouissance, au titre qu’il est anormal de se divertir alors que les soldats se battent sur le front. La taxe implique le doublement des billets. Le projet est momentanément laissé de côté, mais en décembre, la taxe refait surface et le texte est voté. Sur le principe, elle est fixée par rapport aux recettes brutes, perçue chaque mois sur la base de 5% des recettes jusqu’à un total de 25.000F, puis 10% entre 25.000 et 50.000, 20% jusqu’à 100.000F, puis 25% au-delà, jusqu’à la fin du mois. Les tarifs augmentent donc.

Les établissements de spectacles victimes des économies d’énergie : pénurie de charbon, d’électricité. En novembre 1916, Malvy décide de faire fermer les cinémas le mardi afin d’économiser l’énergie. La mesure touche essentiellement les établissements des Grds Bds. En décembre, Malvy revient sur sa décision, mais impose un maximum de consommation électrique.

Les caprices de Dame Anastasie : la censure s’exerce de façon souvent peu claire, on craint autant les propos démoralisateurs que les excès de patriotisme. On ne veut rien montrer des atrocités. Il est difficile de connaître la liste des films censurés, les registres ayant disparu. Une manifestation organisée le 17 avril 1915 par le syndicat des directeurs des cinématographes, peut néanmoins nous éclairer. Y sont projetés des films interdits par la censure face à un parterre de personnalités artistiques, politiques, journalistiques. Lors de l’allocution de l’avocat du syndicat, on insiste sur l’aspect incohérent qui caractérise cette censure : un film peut être interdit à Paris mais pas en province, on ne peut plus passer de film montrant l’uniforme d’un gendarme, toute atteinte à une quelconque autorité. L’affaire de Pendant la bataille est un bel exemple d’absurdité : film de la SCAGL, 850m, passe en avril 1916. On entend des sifflets au cours de la représentation. La préfecture convoque un responsable de chez Pathé et exige des coupures dans le film alors que dans les autres salles où le film passe aucun incident n’est relevé. Finalement, sa projection est complètement interdite. Cette censure datant de 1884, qui laisse tout pouvoir aux maires et aux préfets, va être modifiée en 1916. On essaie de mettre en place une censure nationale, mais l’ancien système ne disparaît pas pour autant. Il subsiste, après remaniements (1919, 1928, 1936), jusqu’en 1974, supprimée par Valéry Giscard d’Estaing, entraînant dans sa foulée l’explosion de la pornographie.

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Un vent nouveau : amorce de changements. Pathé et Gaumont ne sont plus 2 grosses sociétés à intégration verticale. Progressivement, elles se dégagent de la production sur des filiales étrangères. On observe ainsi l’apparition d’une myriade de petites maisons de production françaises, plus ou moins éphémères, souvent fondées par un metteur en scène ou un acteur. Parallèlement, on assiste à une montée en puissance des metteurs en scène, en tant que coauteurs du film. Essentiellement après 1917, leur nom apparaît dans les revues corporatives. Dans le monde de l’exploitation, le film n’est plus perçu comme une marchandise standard, exploité de façon immuable sur le principe de la 1ère, 2ème, 3ème semaine. Tendance à la bipolarisation entre les films de vaste consommation populaire, tirés à un grand nombre de copies, et des films sortant de l’ordinaire, qui bénéficient du système de l’exclusivité, restant plusieurs semaines à l’affiche d’un cinéma. Les tarifs de location pour ce type de films s’estiment alors selon le bouche à oreille, ce qu’en disent les critiques, en fonction de l’offre et de la demande. Commence à poindre l’idée d’un système de location basé sur le % des recettes, manière efficace de différencier les films selon leur succès auprès du public, manière aussi de mieux rémunérer les loueurs face aux exploitants. Les séances corporatives, qui ne permettent pas la mise en valeur des films, faites dans le bruit, la précipitation, sans orchestre, perdent de leur importance et poussent les producteurs à organiser des séances particulières, en général le matin vers 10h, quand les salles sont inutilisées. Ces projections corporatives sont finalement abandonnées le 1er février 1918, chacun reprenant sa liberté.

V. 1917-1918 : Le second versant de la guerre

Le cinéma et la guerre : avec la guerre qui continue, Verdun, la Somme, les mutilés choquent, d’autant que la victoire ne semble pas acquise. La vie est toujours aussi chère, en mai 1917 des grèves éclatent, qui concernent aussi les employés des cinémas. Pour les parisiens, l’année 1918 est sinistre, les allemands s’approchent suffisamment prêts de la capitale pour la bombarder. De mars à août, les bombardements s’enchaînent de jour comme de nuit. Avec la paix qui se profile, un autre défi accapare l’esprit des professionnels du cinéma : revenir sur le devant de la scène face à une industrie US conquérante, une industrie allemande qui se développe, très entourée par le gouvernement. En France, on discute beaucoup au café du Globe et au café de Namur, véritables QG des gens du cinéma, mais parfaitement incapables de sauver la situation.

Nuages sur l’exploitation : à cause de la pénurie de charbon, à partir de février 1917, les cinémas ne peuvent plus ouvrir que 3 jours/semaine (jeudi/samedi/dimanche). Une indemnité est versée aux directeurs pour payer leurs personnels 2 jours sur 4 où ils sont fermés. Passé l’hiver, en mars, les établissements peuvent de nouveau ouvrir comme ils l’entendent. Après le 1er janvier 1918, les loueurs relèvent leurs tarifs de 10%, augmentation répercutée sur les tarifs des places. Avec la pénurie de papier, des mesures restrictives touchent la publicité papier. Tirage limité à 1500 exemplaires, les façades des établissements ne peuvent plus être éclairées que par 15 lampes bleues. Les bombardements s’accentuent dans le premier trimestre 1918. Avec la grosse Bertha qui pilonne à 120 km de distance, l’exploitation devient très difficile. Avant cela, les autorités avaient laissé les directeurs des salles libres de prendre les mesures qu’ils souhaitent. Désormais, il faut prendre d’autres mesures : interdiction des matinées si des bombardements ont lieu entre 10h et 14h. P a g e | 42

Les éditeurs, face à la difficulté de l’exploitation, décident de suspendre les nouveautés. Après avril, la situation s’améliore sur le plan militaire, les allemands repassent la Marne, les bombardements cessent et les loueurs reprennent leurs activités. Reste un dernier problème : la grippe espagnole. L’épidémie débute en avril-mai. A l’automne, c’est le pic avec jusqu’à 300 morts/jour à Paris. En octobre, on dépasse le nombre de victimes par bombardement depuis le début du conflit. Les cinémas restent ouverts, sous couverts de « mesures hygiéniques ». Devenue un fléau planétaire, au début 1919, quand elle s’affaiblit, la grippe espagnole aurait fait plus de 15 millions de morts.

Changements dans l’exploitation parisienne : malgré toutes ces épreuves, l’année 1918 est une bonne année en termes de recettes. Sur Paris, Serge Sandberg se voit attribuer par Pathé la concession de 14 salles. Il devient également un important éditeur en prenant le contrôle de la société Eclair. Il fonde avec Louis Aubert, la SIC (société industrielle cinématographique) en 1918 qui s’occupe de gérer la société Eclair. Cette même société fait faillite en 1920 et Serge Sandberg devra abandonner les salles que Pathé lui avait concédées, en 1925. Dans les années de l’immédiat après- guerre, 2 réseaux de salles vont se constituer qui joueront un rôle considérable dans l’exploitation des années 20 : les cinémas Aubert, le groupe Lutetia Wagram.

Ces soldats qui sifflent les films : à partir de juillet 1918, on commence à s’habituer aux soldats US qui fréquentent les salles des Bds. Les parisiens sont surpris par les attitudes de ce nouveau public, qui manifeste son contentement par des sifflements. Les actualités commencent à être dans les 2 langues.

Charles Pathé parle… : dans une brochure qui date de mai-juin 1918, dans laquelle il souhaite répondre à ceux qui l’accusent d’avoir fait perdre à l’industrie cinématographique française sa place d’avant-guerre. Il prodigue toute une série de conseils en distinguant le producteur de l’ancien terme d’éditeur. La figure du metteur en scène émerge dans cet ensemble à travers la création, en janvier 1918, de la société des auteurs de films, autour de Feuillade, Tristan Bernard, Abel Gance… L’objectif premier de cette société est de parvenir à obtenir un nouveau mode de rémunération des droits, basée sur les recettes en salles. Le monde des exploitants refuse évidemment, se considérant propriétaires d’un gâteau que tout le monde cherche à se partager. Pathé, qui est son propre loueur, défend lui-même l’idée de fixer la location en pourcentage des recettes. C’est sur ces discussions que survient le 11 novembre 1918.