L'imaginaire du genre dans les jeux vidéo

Mémoire

Julien-Pierre Hogue

Maîtrise en sociologie - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Julien-Pierre Hogue, 2021

L’imaginaire du genre dans les jeux vidéo

Mémoire

Julien-Pierre Hogue

Sous la direction de :

Pascale Bédard, directrice de recherche

Résumé

Cette enquête porte sur les représentations sociales du genre présentes dans les jeux vidéo populaires. Une attention particulière est portée sur le rôle narratif des personnages, la division sexuelle du travail dans l’imaginaire vidéoludique, l’intersectionnalité, l’imagerie des corps genrés et les traits de personnalité. En ce sens, l’objectif de cette enquête peut être résumé par cette question de recherche : quel est l’état de l’imaginaire du genre dans les jeux vidéo ? Par le passé, les études adoptaient des approches qui ne permettaient pas de comprendre la complexité de cette question, soit parce que l’outil de collecte de données n’abordait que superficiellement les jeux vidéo ou parce qu’elles avaient pour postulat qu’étudier les joueurs était le meilleur moyen pour connaître les représentations du genre dans la communauté vidéoludique. Cette enquête est une étude directe et holistique des productions culturelles. Cette approche permet d’explorer l’ensemble des représentations présentes dans l’imaginaire vidéoludique, spécialement celles qui apparaissent comme « normales » ou « naturelles », et qui peuvent ainsi passer inaperçues aux yeux d’un chercheur utilisant une autre approche. Pour y arriver, un corpus de 46 jeux a été construit et chacun de ces jeux a fait l’objet d’observations précises, par le jeu lui-même et le visionnement de nombreuses vidéos de jeu (playthrough), afin de caractériser, selon différentes dimensions, allant de leur apparence à leurs agissements caractéristiques, un total de 950 personnages différents. Cette enquête permet de mieux comprendre en quoi l’imaginaire du genre dans l’univers vidéoludique peut être perçu comme posant problème, dans une visée de réduction des disparités et des iniquités entre les sexes.

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Abstract

This study examines the social representations of gender in popular video games, with a special focus on the narrative role of the characters, the sexual division of labour in social imaginary, the intersectionality, the imagery of gendered bodies, and the personality traits. Consequently, the objective of this study can be illustrated by the following question: what is the state of social imaginary of gender in video games? Previous studies were not able to correctly tackle the complexity of the question, either because the data collection only considered video games superficially or the social scientist started with the assumption that the best way to understand representations of gender was to study the gamers themselves. The purpose of this study is to approach cultural productions in a direct and holistic fashion. This will allow the exploration of the current representations of gender in the gaming community, particularly the ones that seem normal or “natural” that can go unnoticed when using another method. Hence, 46 video games were considered and played wholly, which resulted in a total of 950 different characters that were studied. This study will allow a better understanding of gender in popular imaginary of video games, and to consider the challenge to reduce the inequalities between the sexes.

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Table des matières

Résumé ...... ii Abstract ...... iii Table des matières ...... iv Remerciements ...... viii Introduction ...... 1 Chapitre 1 – Problématique ...... 5 Chapitre 2 – Sur la notion de genre : théorie et perspective d’analyse ...... 8 Le genre, c’est quoi ? ...... 8 Les autres axes du pouvoir ...... 11 Le genre dans les productions culturelles ...... 11 Chapitre 3 – Les jeux vidéo comme objet sociologique ...... 14 Différencier les concepts : imaginaire et représentation ...... 16 Le social dans les univers fictifs : une mise en scène idéelle du réel ...... 17 L’impact des représentations sociales issues des systèmes du genre...... 19 La place du chercheur dans la globalisation des imaginaires ...... 20 Inquiétudes épistémologiques et solutions méthodologiques ...... 22 Chapitre 4 – Comment étudier le genre dans les jeux vidéo ...... 25 La question de l’esthétique dans le cinéma ...... 25 Les axes d’analyses : les choix créateurs au cinéma ...... 27 La trame narrative ...... 27 La mise en scène ...... 29 La prise de vue ...... 30 Le son ...... 31 La forme, un système contradictoire et intuitif ...... 32 Les axes d’analyse : l’esthétique particulière des jeux vidéo ...... 32 Les particularités des jeux vidéo ...... 32 La trame narrative ...... 33 L’impact du gameplay sur l’esthétique de l’image ...... 34 Des libertés limitées ...... 35 La méthodologie de cette enquête ...... 35 La construction d’un corpus ...... 36

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La grille d’observation ...... 38 Des raffinements pragmatiques ...... 39 Chapitre 5 – Les rôles des personnages dans l’imaginaire du genre ...... 40 Classification des rôles ...... 40 Un portrait de l’ensemble des rôles narratifs dans les jeux vidéo ...... 42 Les personnages jouables ...... 45 Des pas vers l’avant ou un maintien du statu quo ...... 45 Chapitre 6 – La division sexuelle du travail dans les jeux vidéo ...... 46 Trois catégories de classes socioprofessionnelles ...... 47 Les classes socioprofessionnelles dans le gameplay ...... 51 Première dimension de la division sexuelle du travail dans les jeux vidéo : question de répartition ...... 51 Hiérarchisation qualitative ? La seconde dimension de la division sexuelle du travail dans les jeux vidéo .. 56 La primauté de l’imaginaire socioprofessionnel sur celui du genre ...... 57 Chapitre 7 – L’intersection entre les systèmes sociaux de hiérarchisation ...... 59 Un portrait des groupes racisés ...... 61 À la recherche des intersections dans l’imaginaire des jeux vidéo : l’approche intercatégorique ...... 63 Retour critique sur les limites de ce chapitre ...... 68 Chapitre 8 – Les corps genrés ...... 70 Les images des corps enfantins ...... 72 Les images des corps vieillissants ...... 73 Les images des corps adultes ...... 74 Les images des corps féminins et masculins : une représentation typique versus une pluralité de représentations ...... 80 Les images des autres corps : les grosses femmes et les hommes difformes ...... 81 Les rares images de la transidentité : ambiguïté, incognito et caricature ...... 81 Chapitre 9 – La question de la personnalité : la dernière pièce pour comprendre le genre hégémonique ...... 85 Les masculinités et les féminités ...... 85 L’étude des caractéristiques psychologiques ...... 87 Les masculinités et leurs personnalités ...... 88 Les personnalité-types masculines des protagonistes ...... 92 Les féminités et leurs personnalités ...... 93 Les personnalité-types féminines des protagonistes ...... 95 Les personnages de soutien, une pluralité de personnalités utilitaires...... 96

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Le genre hégémonique ...... 97 La masculinité hégémonique ...... 97 Les féminités accentuées ...... 98 Conclusion ...... 102 Corpus de jeux vidéo ...... 107 Bibliographie ...... 110 Annexe 1 – Sous-vêtements censurés ...... 128 Annexe 2 – Identités ethniques ...... 129 Annexe 3 – Les corps des jeunes filles ...... 130 Annexe 4 – Les corps des jeunes garçons ...... 132 Annexe 5 – Eli, l’enfant violent ...... 133 Annexe 6 – Les corps des femmes matures ...... 134 Annexe 7 – Les corps des hommes matures ...... 136 Annexe 8 – Les corps des femmes âgées ...... 138 Annexe 9 – Les corps des hommes âgés ...... 139 Annexe 10 – Les corps des femmes adultes ...... 141 Annexe 11 – Abigail Walker, l’élégance punk ...... 143 Annexe 12 – Lunafreya, l’élégance chic ...... 144 Annexe 13 – L’apparence athlétique ...... 145 Annexe 14 – Les corps cutes ...... 146 Annexe 15 – Sexualisation des personnages féminins ...... 147 Annexe 16 – Les corps des hommes adultes ...... 149 Annexe 17 – Les femmes masquées ...... 151 Annexe 18 – Les hommes masqués ...... 152 Annexe 19 – Le corps des protagonistes masculins ...... 153 Annexe 20 – Les femmes avec des cicatrices ...... 155 Annexe 21 – Les autres corps féminins ...... 157 Annexe 22 – Les autres corps masculins ...... 158 Annexe 23 – Les personnage LGBTQ : Les corps ambigus ...... 159 Annexe 24 – Les personnage LGBTQ : les corps incognitos ...... 160 Annexe 25 – Les personnage LGBTQ : les corps caricaturaux ...... 161

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Liste des figures et tableaux

Figure 1 : Schéma des rôles narratifs.. ………………………………………………………………………………..41

Tableau 1 : Proportions des sexes dans les familles socioprofessionnelles diégétiques ...……………………..53

Tableau 2 : Proportions des sexes dans les familles socioprofessionnelles reposant sur le gameplay ...….….55

Tableau 3 : Sexes associés aux groupes racisés par rapport aux rôles narratifs………………………………...65

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Remerciements

Mon mémoire de maîtrise a été toute une aventure, parsemée d’obstacles autant d’ordre matériel, que physique et psychologique. J’ai passé presque cinq années sur ce projet, étudié une trentaine de jeux vidéo et près de 1000 personnages différents. Durant cette période, je suis tombé en burnout, j’ai eu une dépression et je me suis trouvé dans une situation de précarité. Il va sans dire que les conditions nécessaires pour abandonner étaient toutes assemblées. Cependant, mon entourage a été extraordinaire dans sa capacité de me soutenir.

Je veux d’abord remercier de tout mon cœur la patience de mes proches, particulièrement celle de mes parents qui m’ont soutenu financièrement et qui ne m’ont jamais mis aucune pression pour finir ou pour abandonner ce projet qu’a été la réalisation de cette enquête. Je veux aussi remercier mon ancienne colocataire et amie, Marie-Andrée Faucher. Elle a été derrière moi durant les moments les plus difficiles et elle a supporté avec calme, patience et sagesse mes moments de crise où ma maîtrise me semblait insurmontable. Je veux aussi remercier Marie-Pier Chevanel, ma conjointe d’escalade. Elle était toujours présente pour me changer les idées. Même si elle était occupée, elle trouvait toujours un moyen pour se libérer et venir m’écouter me plaindre.

Je veux spécialement offrir mes remerciements à Pascale Bédard, ma directrice de maîtrise. Sans compter l’importance de ses conseils lors de mes réflexions, elle est la raison principale pour laquelle j’ai réussi à déposer mon mémoire. Je ne sais pas si elle partage mon opinion sur son importance, mais son soutien constant, ses mots d’encouragement et son investissement en temps pour réviser mon travail sont les uniques raisons pour lesquelles vous avez la chance de me lire.

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Introduction

Les jeux vidéo sont devenus une partie importante du paysage culturel contemporain et des vies quotidiennes d’un grand nombre de personnes. En termes économiques, l’industrie des jeux vidéo est maintenant l’une des industries culturelles les plus lucratives au monde. En 2019, elle produisait un chiffre d’affaires dépassant les 152 milliards de dollars américains et rejoignait une clientèle dépassant les 2,5 milliards de joueurs (Newzoo, 2019). Que ce soit dans les arcades, sur ordinateur, sur une console de jeux dans son salon ou sur téléphone, il est de plus en plus facile d’avoir accès à une plateforme pour jouer à un jeu. Les jeux vidéo deviennent ainsi un vecteur important pour la diffusion de la culture. Ils contribuent à la socialisation des joueurs, ainsi qu’à la reproduction et à la transformation des systèmes sociaux.

Les jeux vidéo deviennent ainsi un objet sociologique d’intérêt. À travers l’imaginaire présent dans les jeux, nous retrouvons l’influence de différents systèmes sociaux, comme celui du genre. Au cours des dernières années, plusieurs polémiques entourant le sexisme ont animé la communauté vidéoludique (Farokhmanesh, 2014 ; Chess et Shaw, 2015 ; Schreier, 2020). Avec la visibilité grandissante de cette problématique dans l’espace public, s’intéresser à la question du genre dans les jeux vidéo semble plus pertinent que jamais, en se questionnant sur les modalités par lesquelles le genre se manifeste dans les jeux. Quelles sont les particularités du système du genre dans l’imaginaire vidéoludique ? En considérant la globalisation, est-ce que les jeux partagent le même imaginaire transnational ou est-ce que l’imaginaire du genre s’inspire d’une culture nationale spécifique ? L’imaginaire du genre dans les jeux vidéo présente-t-il des particularités qui lui seraient propres ? Nous ne pouvons malheureusement pas répondre à l’ensemble de ces questions lors de cette enquête. Cela dit, nous allons tenter d’identifier et de mieux comprendre ce qu’est l’imaginaire du genre dans les jeux vidéo de nos jours. Ce sera une première pièce pour répondre à ces autres questions.

Avant d’aller plus loin, précisons si nous étudions le genre dans l’ensemble des jeux vidéo ou si nous nous penchons sur un type particulier de jeux. Même si l’histoire des jeux vidéo est jeune, il existe maintenant une pluralité de types de jeux. Il y a des jeux prototypes comme Bertie the Brain (1950), un jeu de tic-tac-toe, et Tennis for two (1958), où deux joueurs doivent se renvoyer une balle au-dessus d’un filet ; des jeux d’arcades comme ceux que nous trouvons dans les centres de divertissement destinés à un jeune public ou ceux offerts dans les casinos ; finalement, des jeux vidéo complexes auxquels nous pouvons jouer dans le confort de notre salon. Les jeux vidéo ont vite progressé au cours

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des dernières décennies. Nous disposons aujourd’hui de jeux pour tous les goûts : des jeux simulant des compétitions de sport, des jeux construisant des scènes compétitives professionnelles confrontant des équipes de joueurs à d’autres joueurs, des jeux d’aventures où les joueurs prennent le contrôle du protagoniste, ou même des jeux de réalité virtuelle et augmentée où l’immersion est plus grande que jamais.

Il y a aussi une distinction à faire entre les jeux indépendants et ceux produits par les grands studios de l’industrie vidéoludique. Les jeux des grands studios sont le résultat du travail d’énormes équipes de production et visent en grande partie le succès commercial massif. En ce sens, les développeurs font des choix privilégiant ce qu’ils pensent être populaire, en fonction des conseils des équipes de marketing. Par exemple, la rareté des personnages associés à la communauté LGBTQ dans des rôles de protagonistes répond possiblement à cette approche commerciale. Les jeux indépendants sont moins limités par l’injonction au profit, puisque leur public cible est moins massif.

Cela dit, dans le cadre de cette recherche, nous n’aborderons pas la totalité de ces types de jeux vidéo. Quand nous discutons de « jeux vidéo » dans ce mémoire, nous faisons référence à ceux destinés aux consoles de jeux et aux ordinateurs dans lesquels les joueurs sont confrontés à une trame narrative, à des images et à des dialogues empreints symboliquement par le système du genre. Bien que les jeux indépendants ne soient pas exclus de cette enquête, cette dernière porte principalement sur les jeux les plus populaires en termes de niveau de vente, selon le postulat que les jeux les plus populaires sont les plus vendus.

Pour éviter les répétitions et pour rendre le texte plus léger à la lecture, ce mémoire ne comporte pas de section spécifiquement consacrée à la recension des écrits ; le cadre théorique se développe tout au long du texte. Au départ, nous présentons ce que sont le genre, les productions culturelles, l’imaginaire et les représentations sociales. Ensuite, nous abordons au début de chaque chapitre de l’analyse les théories, les concepts et les notions que nous allons utiliser. De plus, la méthodologie est séparée sur deux chapitres. Elle débute dans le chapitre Les jeux vidéo comme objet sociologique où nous abordons les problèmes épistémologiques qui se présentent au moment d’étudier des productions culturelles avec une perspective sociologique et nous proposons des solutions méthodologiques à ces difficultés. Dans le chapitre suivant, Comment étudier le genre dans les jeux vidéo, nous abordons pragmatiquement la méthodologie ici favorisée pour étudier le contenu des jeux vidéo et la construction du corpus de notre enquête.

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En détail, nous abordons dans le second chapitre, Sur la notion du genre : théorie et perspective d’analyse, le concept du genre. Puis, nous plaçons le concept du genre en relation avec d’autres axes de domination. Ensuite, nous discutons de la manière dont le genre se manifeste dans les productions culturelles et pourquoi ces dernières ne peuvent pas être ignorées.

Dans le troisième chapitre, Les jeux vidéo comme objet sociologique, nous précisons ce que nous entendons par imaginaire et représentations sociales dans le contexte des productions culturelles. Nous expliquons la situation particulière que les productions culturelles ont dans le contexte de la mondialisation. Puis, nous discutons de différentes inquiétudes épistémologiques et méthodologiques.

Dans le quatrième chapitre, Comment étudier le genre dans les jeux vidéo, nous abordons l’esthétique des jeux vidéo et comment nous pouvons l’analyser. Nous décrivons aussi la méthodologie que nous allons utiliser lors de cette enquête, spécifiquement en ce qui concerne la construction du corpus.

Dans le cinquième chapitre, Les rôles des personnages dans l’imaginaire du genre, nous conceptualisons comment nous pouvons aborder l’importance du rôle d’un personnage dans la trame narrative et dans le gameplay1. L’objectif est double. D’abord nous définissons des catégories pour classifier l’importance qu’un personnage peut avoir dans un jeu. Ces catégories sont des outils conceptuels que nous utilisons pour l’analyse proposée dans les chapitres suivants. Ensuite, nous analysons la distribution des personnages dans les différentes catégories.

Dans le sixième chapitre, La division sexuelle du travail dans les jeux vidéo, nous explorons les théories sur la division du travail et comment s’en servir pour analyser les jeux vidéo. Nous identifions des catégories professionnelles qui sont diégétiques et d’autres qui reposent sur le gameplay. Puis, nous analysons les données pour identifier s’il y a une relation entre l’imaginaire socioprofessionnel et l’imaginaire du genre dans les jeux vidéo. L’objectif est d’identifier s’il y a des différences ou des similitudes entre les sexes et s’il y a des hiérarchies entre les classes socioprofessionnelles qui s’associent au genre.

Dans le septième chapitre, nous abordons ce qu’est l’intersectionnalité et quelles sont les approches analytiques que nous pouvons mobiliser pour explorer les intersections dans les jeux. Ensuite, nous traçons un portrait des différents groupes ethniques présents dans les jeux vidéo. Puis, nous nous

1 Le gameplay est l’ensemble des règles qui régit les interactions que le joueur peut avoir avec un jeu.

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questionnons sur la situation des personnages se trouvant à une intersection spécifique entre l’ethnicité et le sexe.

Dans le huitième chapitre, Les corps genrés, nous abordons l’importance d’étudier les images du corps, car, au-delà de l’objectivation des personnages, les images nous indiquent beaucoup sur l’identité des personnages et ce qui est valorisé dans leur apparence respective. Puis, nous distinguons les différentes dimensions de l’apparence et cherchons à comprendre quels sont les éléments qui sont valorisés dans l’apparence physique chez les personnages masculins et féminins. C’est ce qui nous permet, par la suite, d’identifier les modèles valorisés dans l’apparence.

Dans le neuvième chapitre, La question de la personnalité : la dernière pièce pour comprendre le genre hégémonique, nous terminons l’analyse en nous questionnant sur la valorisation de certains types de personnalités selon le sexe. Nous présentons d’abord ce qu’est le genre hégémonique, la masculinité traditionnelle et la féminité traditionnelle. Nous identifions les masculinités et les féminités présentes dans l’imaginaire vidéoludique. Finalement, nous faisons un retour en arrière sur les derniers chapitres pour voir comment l’analyse nous conduit à l’identification du genre hégémonique.

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Chapitre 1 – Problématique

En 2016. au commencement de ce mémoire il y avait plusieurs polémiques entourant la question de la misogynie et du sexisme agitaient la communauté vidéoludique. Plusieurs personnes critiquaient les développeurs, les accusant de ne pas introduire assez de diversité dans leurs jeux vidéo (Farokhmanesh, 2014) ; certaines femmes ont subi des représailles pour avoir exprimé leurs opinions sur la place publique (Chess et Shaw, 2015) ; d’autres se sont penchées directement sur le contenu des jeux vidéo en indiquant qu’il était le vecteur de transmission de cette culture sexiste (Sarkeesian, 2012-2015). Ces critiques n’ont pas été bien reçues par une partie des joueurs qui étaient très volubiles sur les différentes plateformes Web. Ces derniers ont commencé à répliquer en cherchant à démontrer que les jeux ne sont pas sexistes. Généralement, leur argument se résumait à présenter des cas spécifiques de personnages féminins forts qui, pour eux, symbolisaient la pointe de l’iceberg : un signe que les personnages féminins forts n’étaient pas une chose rare.

Ces polémiques faisaient rage aussi dans mon entourage et j’ai été moi-même impliqué, à titre de joueur, dans ces polémiques. Intuitivement, j’ai pris la position selon laquelle il y avait un problème de sexisme dans les jeux vidéo, puisque cette situation apparaît dans le reste de la société. Pourquoi les jeux vidéo seraient-ils différents du cinéma et des autres productions culturelles ? Avec un peu de recul, j’ai décidé de mettre mes intuitions de côté et de me pencher sur la littérature scientifique.

Dans un passé proche, c’est-à-dire avant 2010, la littérature scientifique se penchait peu sur les jeux vidéo comme production culturelle, mais plutôt sur la communauté des joueurs et sur la manière dont ces derniers agissaient dans leur vie quotidienne à l’extérieur des jeux. Par exemple, elle postulait que les joueurs sexistes étaient sexistes parce qu’ils jouaient à des jeux vidéo (Behm et Mastro, 2009). Elle explorait peu le fait que les comportements sexistes pouvaient provenir d’autres sphères de la vie sociale. Les recherches s’intéressant spécifiquement au contenu des jeux contenaient des problèmes méthodologiques apparents. Par exemple, ils n’utilisaient que les premières minutes d’un jeu pour déterminer la situation des personnages féminins (Williams et al., 2009) ou faisaient reposer l’analyse sur des images provenant de magazines portant sur les jeux vidéo (Dill et Thill, 2007). D’autres travaux reposaient sur l’étude des 30 premières minutes d’un jeu pour identifier les représentations du genre présentes en son sein (Ivory, 2009). Nous reviendrons en détail dans le chapitre Les jeux vidéo comme objet sociologique sur les limites méthodologiques de ces approches et sur les raisons pour lesquelles étudier directement le contenu des jeux offre une perspective nécessaire pour comprendre l’imaginaire

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du genre dans les productions culturelles. Il est important de noter qu’entre le moment où nous avons réalisé la revue de littérature de ce mémoire et le moment où nous l’avons déposé, la littérature concernant le genre dans les jeux vidéo a émergé en grande quantité (Trépanier-Jobin et Bonenfant, 2017). Une nouvelle revue exhaustive de cette littérature aurait certainement permis d’enrichir ce texte, mais les constats ici présentés nous semblent néanmoins valides.

Nous utilisons les concepts d’imaginaire et de représentation sociale pour explorer comment le genre se manifeste dans la culture vidéoludique. Les représentations sociales sont les images idéelles que les gens se font de la réalité. En d’autres termes, elles constituent les filtres à travers lesquels s’exécute leur compréhension du monde. L’imaginaire social se présente comme le bassin dépositaire de l’ensemble de ces représentations qui sont présentes dans les productions culturelles. En ce sens, si nous souhaitons étudier les jeux vidéo eux-mêmes, sans l’intermédiaire des joueurs ou des développeurs, ce concept est nécessaire. Comprendre l’imaginaire nous permet de comprendre les fondations des représentations sans que ces dernières soient sculptées par les discours populaires que les joueurs ont intériorisés.

La question de recherche à laquelle cette enquête tente de répondre peut se formuler ainsi : quel est l’état de l’imaginaire du genre dans les jeux vidéo ? Cette question n’est pas la plus précise, mais elle permet de ne pas réduire l’imaginaire à une seule dimension. Plusieurs dimensions seront explorées : la position des personnages dans la trame narrative, la relation entre la classe socioprofessionnelle et le genre lors de la construction des personnages, le genre à l’intersection des identités ethniques, les images des corps genrés et les personnalités types féminines et masculines. Au final, nous obtenons non seulement une idée de la situation pour chacune de ses composantes, mais aussi les pièces nécessaires pour tracer ce que serait le genre hégémonique dans la culture vidéoludique.

Pour repérer l’imaginaire social du genre présent dans les jeux vidéo, nous avons choisi d’observer directement leur contenu. Nous n’avons pas réalisé d’entrevue avec des joueurs ou des développeurs, mais nous avons étudié les productions culturelles sans filtre entre notre objet et notre regard. L’avantage de cette approche est qu’elle nous offre un accès à l’imaginaire qui n’est pas structuré par les discours entourant les différentes polémiques présentes dans la communauté des joueurs. En utilisant une grille de lecture inspirée par la sociologie des œuvres, nous avons pu mener une enquête iconographique, où chaque personnage est observé en fonction d’une pluralité de critères.

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Nous avons ainsi noté le rôle attribué aux personnages dans la trame narrative pour savoir si les personnages féminins sont plus souvent relégués dans des rôles secondaires ou si nous nous approchons de la parité. Nous nous sommes aussi intéressé à l’occupation des personnages et à leur classification dans des catégories socioprofessionnelles, dans l’objectif de comprendre si certaines de ces catégories sont plus associées à un sexe qu’à un autre dans l’imaginaire vidéoludique. Une grande partie de notre grille de lecture est dédiée à l’apparence physique des personnages. Cela nous semblait important, car une partie importante des critiques contre les jeux vidéo concerne l’objectivation des corps féminins. Nous avons donc noté les éléments concernant la morphologie générale des corps des personnages, leurs apparences vestimentaires et leurs caractéristiques spécifiques, comme les cicatrices et les tatouages. Ces éléments ne sont pas uniquement utiles pour connaître les standards de beauté valorisés, mais ils peuvent aussi nous éclairer sur l’identité personnelle et sociale des personnages, leurs attitudes et leurs comportements. Par exemple, un personnage habillé d’un uniforme militaire et au visage marqué de cicatrices semble indiquer un tempérament endurci par un passé violent ; un personnage adulte se promenant avec une peluche peut indiquer un caractère enfantin. Nous avons porté une attention particulière à l’identité ethnique apparente des personnages et à leur groupe d’âge, car ces deux éléments font référence à deux autres axes de domination sociale. Distinguer les personnages selon leur ethnie et leur groupe d’âge permet de comprendre les intrications que nous trouvons entre ces catégories et le genre. Finalement, nos dernières observations ont porté sur les personnalités des personnages, leurs attitudes et leurs caractéristiques psychologiques. Cet aspect est la dernière pièce pour comprendre la construction de la masculinité et de la féminité hégémonique dans les jeux vidéo. Nous nous intéressons aux interactions et aux dialogues que les personnages ont avec leur environnement, ainsi qu’à la manière dont le jeu les décrit.

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Chapitre 2 – Sur la notion de genre : théorie et perspective d’analyse

Il est important de s’offrir quelques assises théoriques avant d’aller plus loin dans cette recherche. Nous commençons en explorant la notion de genre et les différentes théories gravitant autour d’elle. L’objectif est de vraiment comprendre globalement ce qu’est le genre, sa relation par rapport à d’autres axes de domination et la manière dont elle se manifeste dans les productions culturelles. Nous ne nous penchons pas en détail sur ces différentes dimensions, car nous y reviendrons à chaque début de chapitre d’analyse. Nous explorerons à ce moment-là la dimension spécifique mobilisée dans ce chapitre, ainsi que l’approche analytique utilisée pour comprendre le genre dans les jeux vidéo.

Le genre, c’est quoi ? La notion de genre peut sembler aller de soi, mais elle est en réalité bien plus complexe qu’elle le laisse croire. Avant tout, il est nécessaire de préciser que nous n’employons pas ce terme en faisant référence aux différents types de jeux vidéo2, mais bien aux processus de création et de hiérarchisation des catégories sociales des sexes que sont « les femmes » et « les hommes ». Même une fois que cette distinction est faite, la confusion continue à exister. Est-ce que le sexe et le genre sont la même chose ? Est-ce que le genre est une catégorie sociale ? Est-ce qu’on parle d’un genre ou des genres ? Dans cette section, nous allons préciser comment nous comptons utiliser ce concept dans cette recherche et pourquoi le genre n’est pas le sexe social, mais bien un processus de construction des catégories sociales de sexe.

« On ne naît pas femme : on le devient » (de Beauvoir, 1949 ; 13). Cette célèbre citation signifie la rupture entre un sexe biologique et un sexe social. Cette distinction entre nature et culture sur le plan des rôles sexués est un premier pas vers la construction de ce qu’est le genre. Plusieurs attribuent la paternité du concept à Robert J. Stoller (1968) qui l’utilisait en psychologie et en psychiatrie pour décrire les expériences psychiques associées au fait d’être un homme ou d’être une femme. Cependant, c’est Ann Oakley (1972) qui emploie le concept de genre dans une perspective critique. Pour elle, le sexe renvoie à la dimension biologique entre les hommes et les femmes et est, en ce

2 Dans les jeux vidéo comme dans d’autres médias, on utilise le terme genre pour catégoriser les différentes formes que ce média peut prendre. Dans le cas spécifique du monde vidéoludique, on fait, par exemple, référence aux jeux de stratégie, d’aventure, de sport, de tir à la première personne, d’horreur et ainsi de suite.

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sens, invariant. Le genre renvoie, quant à lui, à une dimension culturelle, faisant référence aux attributs psychologiques, aux manières d’êtres, aux rôles sociaux et aux identités associées à la masculinité et à la féminité. Le genre serait ainsi contingent et pourrait être modifié par l’action politique.

Judith Butler (1990) remet en question la dichotomie entre le sexe et le genre. Selon elle, séparer ces deux concepts ne fait que renforcer la croyance qu’une fois le genre isolé, on pourrait identifier le vrai sexe biologique, le sexe purement naturel, un sexe « préculturel ». Elle présente le sexe et le genre comme des constructions sociales. Le corps étant toujours appréhendé socialement, son état naturel demeure hors d’atteinte. C’est par la médiation de la culture que la perception et la compréhension viennent se saisir de ce dernier. Christine Delphy (2001) rajoute que le genre est bien plus qu’une simple catégorie construite socialement : il est le processus même de différenciation entre les hommes et les femmes. En ce sens, « c’est le genre qui crée [les catégories sexuées] : autrement dit, qui donne un sens à des traits physiques qui, pas plus que le reste de l’univers physique, ne possède de sens intrinsèque » (Delphy, 2001 ; 28). Nous utilisons le concept de genre de cette manière, c’est-à-dire à la fois en tant que processus et système.

Ces catégories de sexe sont relatives aux cultures des sociétés dans lesquelles elles sont construites. Elles se situent ainsi dans un système de sexe/genre, soit « un ensemble de dispositions par lesquelles le matériel biologique brut du sexe et de la procréation est façonné par l’intervention humaine, sociale, et satisfait selon les conventions, aussi bizarres que puissent être certaines d’entre elles » (Rubin, 1998 ; 13). Ces systèmes de sexe/genre ne construisent pas les catégories d’hommes et de femmes aléatoirement, chacune d’entre elles est « une moitié incomplète qui ne peut trouver la plénitude que dans l’union avec l’autre » (Rubin, 1998 ; 30). Ces catégories idéalisées de ce que les femmes devraient être et de ce que les hommes devraient être sont généralement construites en opposition. Par exemple, si la masculinité, d’un côté, se manifeste par des caractéristiques physiques, comme la grandeur et la musculature, et par des traits psychologiques, comme la rigidité de caractère et l’intellectualité, la féminité se construit en complémentarité et en opposition à l’idéal masculin. Ainsi les femmes répondant à l’idéal féminin doivent avoir une grandeur inférieure à celle de leur partenaire, leur musculature doit être délicate, elles se doivent d’être compréhensives et elles sont plus émotives. Ces caractéristiques ne sont rien de plus que des stéréotypes qui varient à un certain degré d’une époque à une autre, d’une société à une autre, d’une communauté à une autre et d’un individu à un

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autre. Cependant, leur création permet d’ordonner l’espace social, de l’hiérarchiser et de créer des rapports de pouvoir entre ces catégories auxquelles les gens s’associent et sont associés.

Erving Goffman (1977) argumente que la société ne fait pas que construire cet arrangement entre les sexes : il est son extension, son reflet institutionnel. Les institutions, les espaces et les activités sont genrés. L’installation de toilettes non mixtes en est un exemple parlant. La nécessité d’en avoir est discutable, puisque les salles de bain publiques, au Canada et aux États-Unis, sont déjà conçues pour cacher l’action de leurs utilisateurs, séparant à l’aide de panneaux les différentes toilettes. Un autre exemple est la dichotomie entre l’espace domestique et l’espace public. Le premier est associé sociohistoriquement aux femmes et le second aux hommes. Différents discours explicatifs viennent légitimer et maintenir cette division genrée de l’espace. Dans le cas des salles de bain non mixtes, nous pouvons penser au respect de la vie privée, à l’importance d’honorer les différences biologiques entre les hommes et les femmes ou à la nécessité de protéger l’intimité féminine du regard masculin. Dans le cas de la dichotomie entre l’espace domestique féminin et l’espace public masculin, l’une des explications conservatrices de cette division est que les femmes auraient un rôle maternel à remplir à la maison et qu’en contrepartie les hommes devraient être les pourvoyeurs en travaillant à l’extérieur de la résidence familiale. La catégorisation genrée des espaces est le signe de la manière dont un système de sexe/genre organise l’espace. En ce sens, cette organisation et catégorisation du monde affectent les différents rapports au pouvoir entre les sexes.

En fait pour Delphy (2001), le genre fait bien plus que construire les catégories sexuées, il est un processus de hiérarchisation plaçant les hommes et les femmes dans un rapport inégal, voire de domination. Le système de sexe/genre favorisant les hommes par rapport aux femmes et aux identités de genre marginales comme celles de la communauté LGBTQ. Ces rapports d’inégalités, de pouvoir et de domination sont transversaux aux différentes sphères sociales. Nous les trouvons à l’intérieur de la famille, dans le monde politique, sur le marché du travail, à l’intérieur de nos groupes d’amis et ainsi de suite. D’une part, ils se manifestent symboliquement dans la construction et la hiérarchisation même des catégories, dans les attentes qu’on s’impose et qu’on se fait imposer dû à notre association à un sexe. On accepte la domination symbolique par la croyance que les différences entre les catégories tiennent du régime du naturel et de la normalité. Cette domination masculine limite le potentiel des femmes et facilite la mobilité sociale des hommes (Bourdieu, 1998). D’autre part, cette domination symbolique se manifeste matériellement. La disparité du salaire, la division du travail, ainsi que la

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construction des espaces sont des exemples de comment la société est structurée autour du genre comme système social de classification et d’organisation.

Les autres axes du pouvoir Il ne faut toutefois pas réduire les rapports de pouvoir à la seule problématique du genre. La race, l’âge et la classe sont d’autres axes de pouvoir où des inégalités se produisent. Il est important d’incorporer ces axes supplémentaires pour pouvoir penser le rapport entre les hommes et les femmes provenant de diverses situations sociales. Kimberle Crenshaw (1991) introduit le concept d’intersectionnalité pour discuter de la situation des individus se trouvant à la croisée du genre et de la race. On ne peut toutefois comprendre leur situation comme la simple adéquation de différentes dominations. Les femmes noires ne vivent pas seulement le même sexisme que les femmes blanches et le même racisme que les hommes noirs, mais elles sont dans une situation particulière que ni les femmes blanches ni les hommes noirs ne vivent. En s’intéressant au genre, il est important d’avoir conscience que toutes les femmes, comme les hommes, ne vivent pas les mêmes choses selon leur situation sur les différents axes du pouvoir.

Le genre dans les productions culturelles Les différents rapports de pouvoir, dont ceux relatifs au genre, sont relatifs aux cultures et se trouvent ainsi dans les productions culturelles. Ces productions peuvent être comprises en tant que réflexion idéelle du réel et elles sont imprégnées par les influences des systèmes de sexe/genre. Les représentations des personnages féminins et masculins sont construites par rapport aux images idéalisées et stéréotypées associées aux catégories sexuées. La hiérarchie se transpose elle aussi dans les œuvres culturelles, mais ne se manifeste pas à travers les mêmes inégalités. Produire une œuvre implique de faire des choix : des choix sur les thèmes que l’auteur veut inclure et exclure de l’œuvre ; des choix artistiques sur comment présenter les choses ; des choix sur les éléments sur lesquels on veut mettre l’accent ou laisser en arrière-plan. En ce sens, ces choix impliquent que certaines inégalités puissent être soulignées, que d’autres soient oubliées et que d’autres soient créées.

Par exemple, le jeu vidéo, We Know the Devil (2015), raconte l’histoire de trois adolescentes explicitement associées à la communauté LGBTQ qui vont dans un camp d’été chrétien et doivent passer une nuit dans une cabane pour confronter le diable. Le joueur doit prendre des décisions

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concernant les relations qu’il veut développer entre les personnages : il peut ainsi choisir d’approfondir des relations entre deux personnages et exclure le troisième ou tenter de ne pas favoriser un personnage plus qu’un autre dans le développement des relations. Ce jeu, en confrontant le joueur à une trame narrative entourant « la réalité » queer et « la réalité » d’être ou de se sentir exclu d’une communauté, met l’accent sur ce que vivent ces gens en marge du genre, sur une partie des inégalités auxquelles ils sont confrontés. La réalité sociale est trop complexe pour être transposée intégralement dans un jeu. Les développeurs doivent choisir sur quels éléments ils veulent mettre l’accent : si le développeur donne de l’importance à certains éléments, d’autres éléments doivent être omis ou mis en arrière-plan. Ainsi, certaines inégalités peuvent être systématiquement occultées, car elles ne s’accordent pas avec les sensibilités des créateurs ou parce qu’elles semblent moins pertinentes pour le scénario.

Les productions culturelles créent aussi deux formes d’inégalités que nous réunissons en ayant recours à la notion de diversité. D’un côté, il y a une sous-représentation de certains groupes par rapport aux groupes dominants. L’idée est qu’il y a principalement des hommes blancs représentés dans les médias et que ce fait contribue à marginaliser d’autres groupes dans l’imaginaire social (Williams, 2009). De l’autre côté, il y a la diversité en termes de manières de représenter un groupe. Un personnage féminin peut être dépeint dans une variété de formes. Il peut être la protagoniste, l’antagoniste ou remplir un rôle secondaire ; il peut être timide, brave, curieux ou excentrique ; il peut présenter diverses caractéristiques physiques et ethniques. La diversité dans les productions culturelles peut advenir en remettant en question l’homogénéité des représentations.

La contrepartie des inégalités existantes dans les productions culturelles peut être comprise sous l’angle de l’empowerment. Ce concept réfère à la capacité d’un individu de réaliser qu’il est à la fois la réflexion d’une construction sociale et qu’il a la capacité de se valoriser même si son apparence, son identité et ses qualités ne sont pas celles valorisées par un idéal culturel comme celui de la féminité (Deveaux, 1994). En d’autres termes, l’empowerment est la capacité et la liberté de pouvoir s’autodéfinir et de s’autodéterminer. Dans les productions culturelles, ce concept est discuté quand ces dernières mettent au jour des formes d’oppression ou présentent des figures alternatives de la féminité qui peuvent se révéler comme des modèles émancipateurs. Le modèle des tough girls décrit par Sherrie A. Inness (1998) en est un bon exemple. D’un côté, ces personnages féminins sont présentés comme forts, audacieux, intelligents et indépendants, mais de l’autre côté, ils sont objectifiés

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par le maquillage et les vêtements qui les sexualisent. Cet accent mis sur les caractéristiques physiques permet de maintenir les personnages féminins dans une position non menaçante pour les hommes (Inness, 1998). Même si ce modèle reproduit certaines formes d’inégalités comme l’objectivation du corps féminin, il vient aussi signer la fin de l’exclusivité de certaines caractéristiques associées à la masculinité. En ce sens, le modèle des tough girls peut être compris comme émancipateur, offrant une nouvelle manière de penser les femmes.

En résumé, les productions culturelles peuvent constituer un dispositif de reproduction des rapports de pouvoir et être un moyen de résistance. Ainsi certaines œuvres peuvent forger un imaginaire renforçant la légitimité des hiérarchies existantes en omettant les différentes inégalités qui en résultent, ce qui permet de renforcer les rapports de pouvoir en place. Cependant, d’autres œuvres peuvent révéler des inégalités au grand public et présenter des modèles émancipateurs pouvant permettre l’empowerment.

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Chapitre 3 – Les jeux vidéo comme objet sociologique

L’étude des productions culturelles fait l’objet de controverses en sociologie. La question n’est pas savoir s’il y a du « social » dans ces dernières, mais comment y accéder dans le cadre d’une étude sociologique. Plusieurs universitaires craignent qu’étudier directement les œuvres conduise le sociologue à prendre une posture étrangère à celle de la sociologie (Passeron, 1986 ; Hennion, 1998 ; Heinich, 2004 ; Esquenazi, 2007). D’une part, en l’absence d’une méthode proprement sociologique pour approcher le contenu des œuvres, le chercheur se trouve avec peu d’outils méthodologiques pour les étudier. Il doit, la plupart du temps, s’inspirer des instruments d’autres disciplines comme l’histoire de l’art et l’esthétique. D’autre part, il y a la relation affective que le chercheur pourrait entretenir pour son objet étude qui remettrait en question son objectivité. Que ce soit par l’emprunt d’instruments étrangers ou par la connivence du chercheur, l’interprétation pourrait perdre sa qualité sociologique et scientifique. Cette interprétation ne se distinguerait plus de celles provenant d’autres disciplines, ou même du jugement que des fans exercent sur une œuvre. Selon Esquenazi, « Le risque serait que l’analyse devienne l’acte d’un acteur parmi d’autres et perde toute validité » (2007 ; 42).

Face à ces problèmes, plusieurs sociologues ont plutôt décidé de s’intéresser à la production et à la réception des œuvres culturelles (Heinich, 2004 ; Esquenazi, 2007). Ces deux objets empiriques leur permettent de se confronter aux acteurs qui construisent ou interprètent les œuvres en leur attribuant des sens et des valeurs. Ces deux approches ont non seulement comme avantage de contourner les problèmes apportés par l’étude directe des productions culturelles, mais elles nous permettent également de comprendre les producteurs et leurs intentions, ainsi que les consommateurs et la variabilité de leurs interprétations.

Sous ces angles, les œuvres ne sont pas comprises comme des objets autonomes, mais comme toujours impliquées dans des processus de production et de réception où elles ne prennent leur sens qu’à travers leurs relations avec différents acteurs. Ainsi, le sens d’une œuvre change d’une période historique à une autre, d’une communauté à une autre et d’un acteur social à un autre. Étudier les individus les produisant ou les consommant permet de comprendre les sens que revêtent des œuvres au sein de différents contextes culturels.

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Devant un tel argument, il peut sembler sans intérêt pour les sociologues d’étudier directement les productions culturelles, mais plusieurs s’aventurent quand même sur ce terrain. S’il est difficile de rendre compte de l’ensemble des motivations qui les poussent à prendre de tels objets d’étude, nous pouvons de prime abord en discerner deux. Selon Esquenazi, le motif le plus simple pouvant justifier cet intérêt est que les œuvres « intéressent les acteurs, ils ne cessent d’en parler, de les juger, de leur attribuer des vertus particulières » (2007 ; 41). En ce sens, ne pas se pencher sur les œuvres dans une sociologie des œuvres, c’est ignorer une partie des variables d’une équation.

Nous croyons qu’étudier directement les productions culturelles offre pour avantage de cerner l’ensemble de l’imaginaire social en son sein et non seulement les éléments qui interpellent les acteurs. Les positions et les discours que ces derniers peuvent avoir sur les éléments ne sont pas uniquement le fruit d’une réflexion individuelle, mais constituent/sont une construction structurée par des échanges sociaux entre les individus et les médias. En ce sens, questionner un individu sur l’imaginaire du genre dans les jeux vidéo pourrait nous donner accès aux différents discours populaires sur ce sujet, mais cela révélerait l’état de l’imaginaire avec une certaine superficialité. Nous pourrions y trouver probablement des arguments en accord ou en désaccord avec la sexualisation des personnages féminins, leur rôle dans les jeux et la proportion de ces dernières par rapport à leurs homologues masculins. Toutefois, ces discours ne reflètent pas l’ensemble de la réalité symbolique ; ils risquent d’omettre ce qui semble naturel ou normal. Comprendre ces choses qui semblent être des vérités éternelles permet non seulement de tracer un portrait plus juste de l’imaginaire, mais aussi de rendre compte des structures sociales qui s’y superposent.

Dans ce chapitre, nous tentons de comprendre comment le contenu des productions culturelles peut être abordé dans une recherche en sociologie. Dans un premier temps, nous devons offrir des assises théoriques à notre approche. Pour ce faire, nous utilisons la notion d’imaginaire social pour discuter des représentations sociales présentes dans les productions culturelles. Dans un second temps, nous nous penchons sur la manière dont ces dernières sont liées avec des structures sociales actives dans la vie quotidienne des individus. Dans un troisième temps, nous abordons comment la globalisation affecte le travail d’un sociologue s’intéressant à des productions culturelles visant un marché mondial. Dans un dernier temps, nous soulevons différentes inquiétudes épistémologiques entourant l’étude directe des productions culturelles et proposons des solutions méthodologiques pour y répondre.

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Différencier les concepts : imaginaire et représentation Ces deux concepts sont comme les deux faces d’une même pièce : ils sont différents et complémentaires, mais souvent confondus. En fait, très peu d’auteurs prennent la peine de les différencier, préférant utiliser celui de la représentation sociale à celui de l’imaginaire social (Legros et al., 2006 ; 102). Même s’ils peuvent être compris comme des synonymes, les discerner permet de comprendre la relation entre les productions culturelles et les individus. Comment ces premières reproduisent, produisent et diffusent des imaginaires sociaux, structurant partiellement les représentations sociales que ces derniers peuvent avoir ?

Avant d’aller plus loin, offrir des définitions de ces deux concepts s’impose. Les représentations sociales sont « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989 ; 36). Ces représentations sont construites à partir des expériences individuelles, particulièrement lors de la socialisation, « mais aussi à partir de divers discours sociaux, de l’art, de la mémoire collective et des médias » (Fortin, 2015 ; 3).

L’imaginaire social fait référence aux représentations provenant des images et des discours circulants dans l’art, la mémoire collective et les médias. En des termes plus spécifiques, […] l’imaginaire est un ensemble de représentations mentales, composées d’images visuelles (dessins animés, séries, comédies de situation, téléfilms, jeux vidéo, sites Internet…) et de systèmes linguistiques (métaphores, symboles, récits, histoires, etc.) perçus comme cohérents et dynamiques. (D’Amato, 2009 ; 40)

En ce sens, ce concept réfère à un ensemble de représentations sociales existant dans une culture et qui peuvent être intériorisées par les individus. L’imaginaire, à l’opposé des représentations, se manifeste comme un bassin dépositaire de ces dernières.

Plusieurs autres intellectuels distinguent l’imaginaire des représentations par l’intermédiaire de la fonction créative de l’imagination : « La spécificité de l’imaginaire, à ce niveau de comparaison, serait un dépassement de la simple reproduction générée par la représentation, en une image créatrice ; l’imaginaire est ainsi une représentation surajoutée » (Legros et al., 2006 ; 83). Cet aspect créatif rend le concept d’imaginaire social plus large que celui de représentation. Il ne touche plus seulement la construction d’une réalité commune à un ensemble social, mais touche aussi les univers fictifs présents dans une variété de productions culturelles, des univers surréels et irréels.

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Cependant, le caractère créatif n’est pas réservé qu’à l’imaginaire s’intéressant aux fantaisies irréelles, mais existe aussi dans la formation des représentations. Les individus, avec l’aide de leur imagination, de leurs sens et parfois d’instruments empiriques, produisent des savoirs, scientifiques ou non, pour tenter de saisir le réel. Ces productions se révèlent des représentations idéelles qui semblent être des reflets fidèles du réel pour les gens qui les ont intériorisées. « La représentation sociale n’est ainsi pas l’image d’un objet vrai, mais la "vraie" image d’un objet » (Mannoni, 2001 : 79). En tant que « vraie » image, une représentation est potentiellement aussi fictive qu’une œuvre fantaisiste. La différence se situant alors plutôt dans la compréhension que l’individu a de la représentation, soit comme un savoir à propos du réel ou comme un savoir à propos d’un univers fictif.

Le social dans les univers fictifs : une mise en scène idéelle du réel L’imaginaire du fictif n’est toutefois pas entièrement étranger à la réalité sociale. Il s’en inspire, parfois la caricaturant, d’autres fois l’idéalisant, et, par moments, il tente de lui rester fidèle. L’imaginaire met ainsi en scène le réel dans des univers fictifs. Nous nous retrouvons alors avec des œuvres proposant des visions du passé, du présent et du futur, de notre monde ou d’un autre, imprégnées de nos structures sociales, de nos valeurs, de nos idéologies, de nos stéréotypes et ainsi de suite.

L’intégration de ces éléments aux œuvres se produit par deux chemins. Parfois c’est le fruit du travail des auteurs qui, intentionnellement, critiquent ou offrent leur opinion sur des aspects de la société. Les films de science-fiction mettant en scène des sociétés dystopiques sont parfois de bons exemples de l’intentionnalité des auteurs de proposer une critique d’une idéologie ou d’un système en place. D’autres fois, la présence de ces éléments peut être involontaire. Ils y sont, car leur absence ne ferait pas de sens pour les auteurs ; ils semblent naturels, sans problèmes, ne méritant pas notre attention. La morphologie de l’espace et les rapports de genre peuvent ici servir d’exemples. Dans le premier cas, les représentations des villes ou du ciel sont généralement similaires à ce qu’on trouve dans la réalité factuelle. Le paysage urbain est ainsi peuplé de gratte-ciels, d’immeubles en béton, de routes cimentées et de parcs ; le ciel est clair ou nuageux, bleu ou gris. Dans le second cas, on attribue souvent aux personnages un genre qui est en accord avec la féminité ou la masculinité normative et cette attribution vient généralement avec des rapports de pouvoir qui sont aussi invisibles, dû à leur « normalité », dans les œuvres comme dans la réalité. C’est ainsi que nous pouvons trouver des personnages féminins dans des rôles secondaires qui ont souvent pour fonction de mettre en valeur

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leurs homologues masculins ; ces personnages peuvent avoir des professions suivant la logique de la division sexuelle du travail et être des infirmières ou des mères à la maison ; et d’autres fois, elles peuvent avoir une fonction primordialement esthétique, elles existent pour le plaisir des yeux des joueurs.

Pour le sociologue s’intéressant aux productions culturelles, il est difficile de savoir, voire impossible, ce qui est intentionnel de ce qui ne l’est pas. Le ciel bleu est peut-être l’extension et la manifestation du bonheur du personnage et la place traditionnelle accordée aux personnages féminins dans un scénario ne pourrait être que le résultat d’une volonté hyper conservatrice. Cependant, le travail du sociologue ici n’est pas de juger de l’intention derrière le choix de ces éléments, mais d’explorer l’imaginaire dans son ensemble. Cette position a pour avantage d’être holistique, donnant un accès potentiel à toutes les représentations sociales présentes au sein d’un médium et de sa culture.

Cet avantage répond à deux défauts d’une sociologie s’intéressant uniquement à la production ou à la réception des œuvres, dans la perspective de brosser un inventaire des représentations sociales. Premièrement, il y a beaucoup de représentations qui semblent naturelles, des vérités qui « ont toujours été », et il y a un risque que les participants des différentes enquêtes sociologiques puissent les omettre. Deuxièmement, il y a des facteurs contextuels qui peuvent affecter les représentations que pourraient énoncer les participants. Ces facteurs peuvent être de récentes polémiques, des années de sensibilisation à une dimension de l’objet étudié, l’influence des médias et ainsi de suite. Par exemple, la récente polémique entourant la question du genre dans les jeux vidéo, #GamerGate (Chess et Shaw, 2015), a créé un contexte qui a affecté les représentations que les gens entretiennent. Cette problématique est devenue de plus en plus populaire, certains voyant une manifestation du sexisme dans le monde vidéoludique et d’autres défendant le statu quo ; les médias s’en sont emparés et ont participé à la construction, la diffusion et l’homogénéisation des arguments ; ces arguments s’alignant la plupart du temps avec des dimensions du genre auxquelles les gens ont été sensibilisés. Le résultat est que les représentations qui en ressortent peuvent avoir été structurées essentiellement par le contexte. Cela ne les rend pas moins « bonnes », ni moins « vraies », mais elles peuvent occulter d’autres représentations existantes et intériorisées. Ceux qui défendent un camp pourraient ainsi privilégier des représentations en accord avec leurs convictions, choisissant des exemples leur donnant raison, biaisant ainsi les résultats.

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L’impact des représentations sociales issues des systèmes du genre Les representations sociales sont centrales à l’étude de l’imaginaire vidéoludique du genre. Pour reprendre les mots de Couldry et de Dyer : « Representations are the material site for the exercise of, and struggle over, power. » (Couldry, 2012; 30) ; « How we are seen determines in part how we are treated; how we treat other is based on how we see them; such seeing comes from representation » (Dyer, 1993; 1). On peut considérer les représentations sociales sous deux angles, soit celui des sociotypes et celui des stéréotypes.

In fictions, social types and stereotypes can be recognized as distinct by the different ways in which they can be used. Although constructed iconographically similarly to the way stereotypes are constructed (i.e. a few verbal and visual traits are used to signal the character), social types can be used in a much more open and flexible way than can stereotypes. (Dyer, 2000; 248)

Selon Dyer (2000), l’importance de différencier ces concepts est qu’ils permettent de maintenir une frontière claire et bien définie entre les catégories sociales, une frontière qui n’existe pas vraiment en réalité. Il y a, bien entendu, des différences entre les individus et entre les groupes sociaux, mais elles ne sont pas nettes. Les différences se comprennent plus facilement sous un spectre de possibilités. En ce sens, même si le genre cristallise ce que les femmes et les hommes « devraient » être idéalement, la réalité est qu’il existe une variété de manières possibles de performer le genre.

[…] stereotypes refer to things outside one’s social world, whereas social types refer to things with which one is familiar; stereotypes tend to be conceived as functionless or dysfunctional (or, if functional, serving prejudice and conflict mainly), whereas social types serve the structure of society at many points. (Klapp, 1962 ; 16)

Cette définition d’Orrin E. Klapp est utile pour comprendre le relativisme que ces concepts impliquent, dans le sens où elle questionne l’identité du « one » à partir duquel les représentations peuvent être considérées comme des sociotypes ou des stéréotypes. Le problème, comme Dyer (2000) le souligne, est qu’il sous-estime l’importance politique des stéréotypes dans la construction des rapports de pouvoir. En considérant que les représentations sociales ne proviennent pas uniquement de l’expérience individuelle, mais sont aussi transmises par des acteurs extérieurs, dont les médias, elles ne peuvent être exclues de nos analyses sociologiques. Les stéréotypes peuvent être plus ou moins homogènes dans une culture et renforcer un rapport de pouvoir. Par exemple, les individus peuvent

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avoir une vision très diversifiée de ce qu’est un homme blanc et entretenir une image négative de certains groupes dominés, renforçant ainsi la domination symbolique que ces derniers subissent.

Dans une société où les différences entre les hommes et les femmes sont généralement naturalisées, les représentations pouvant être taxées de sexistes sont partagées par une majorité de personnes, hommes et femmes. Nous pouvons trouver ces gens dans toutes les sphères sociétales, dont celle de l’industrie culturelle, et, pour reprendre la formulation de Berger et Luckmann, celui « who has the bigger stick has the better chance of imposing his definitions of reality » (1967 ; 109). Même si les causes féministes ont fait du chemin depuis les suffragettes, la reconnaissance de nouvelles inégalités et de celles qui ont persisté jusqu’à aujourd’hui par les différents membres de la population n’est pas chose finie. Les stéréotypes, caricaturant ce que certains groupes de gens sont ou idéalisant ce qu’ils devraient être, peuvent nous renseigner sur la frontière que le système hégémonique de sexe/genre trace entre les catégories sexuées.

La place du chercheur dans la globalisation des imaginaires Les imaginaires avec la globalisation des productions culturelles se mondialisent de plus en plus (D’Amato, 2009). Chaque individu, qu’il soit Québécois, Suisse ou Japonais, est ainsi confronté à des œuvres provenant d’autres nations et avec des imaginaires qui peuvent être étranger ou partiellement étranger à leur nationalité. Une sociologie des imaginaires doit se faire en considérant le caractère transnational des œuvres.

D’abord, il est important de délimiter un espace social à partir duquel on étudie les productions culturelles. L’ensemble du monde, pour des raisons techniques et culturelles, n’a pas accès aux mêmes œuvres. Par exemple, une communauté, qu’elle soit nationale, infranationale ou extranationale, crée des productions culturelles qui ne sont pas diffusées à l’extérieur de ses frontières, comme certaines chaînes télévisuelles et radiophoniques. Sa population, ne parlant pas toutes les langues de l’humanité, ne peut profiter que des œuvres se situant à l’intérieur de ce qu’elle peut comprendre et interpréter. Enfin, toutes les communautés n’ont pas accès aux mêmes technologies de l’information, ces dernières sont des vecteurs importants de la diffusion des productions culturelles à l’échelle mondiale. En tenant compte de ces aspects, nous pouvons dessiner une carte géosociale présentant où les œuvres et les productions culturelles sont accessibles et quelles communautés peuvent les consommer. Choisir une communauté spécifique permet non seulement au sociologue de

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comprendre comment les œuvres peuvent affecter cette population, mais aussi de comprendre le rapport l’unissant avec des imaginaires façonnés à travers le globe.

Ensuite, cette relation varie qualitativement d’une culture à une autre. Dépendamment de qui sont les principaux producteurs des productions culturelles et sur quoi ces dernières portent, la communauté de réception peut avoir des rapports diamétralement opposés avec les imaginaires produits. En ce sens, il y a des imaginaires portant sur un groupe social qui sont principalement produits : par des individus provenant dudit groupe ; par des individus faisant partie d’un autre groupe ; ou par des individus provenant d’une multitude de groupes. Il peut aussi exister plusieurs représentations s’opposant, se superposant ou se complétant ; elles peuvent être positives comme négatives, progressistes comme conservatrices. Les individus peuvent alors adopter celles qui leur semblent les plus vraies.

Les représentations provenant d’un imaginaire conçu à l’extérieur d’un groupe peuvent permettre d’établir et de maintenir une domination symbolique sur une population. En l’absence d’imaginaires alternatifs qui lui permettraient de résister aux représentations dominantes, ces représentations dominantes, seront adoptées par le dominé et le dominant. En ce sens, ce type d’imaginaire peut contribuer à créer et maintenir un rapport de pouvoir.

Edward W. Saïd, dans son essai l’Orientalisme (1978), soutient que l’Orient, sur le plan des savoirs et des représentations, est une « construction » de l’Occident qui rend légitime la domination coloniale de ce dernier. Cet imaginaire de l’Orient et des Orientaux propose une dichotomie avec l’Occident, une distinction du « nous », les gens civilisés versus « eux », les gens à civiliser. À partir d’une représentation que les Occidentaux sont supérieurs, ils s’étaient octroyé pour mission d’éduquer et de protéger ces personnes. Aujourd’hui l’imaginaire a évolué, mais il n’a pas tant changé. Les Orientaux ne sont plus seulement présentés comme des êtres faibles devant être protégés et éduqués, mais aussi comme des terroristes potentiels. Construire un imaginaire sur un groupe de personnes, c’est créer un outil politique pour justifier les actions qui les concernent. Pour eux, en tant que cible de l’imaginaire, il n’y a que deux issues possibles : s’ils l’intériorisent, c’est l’acceptation, la naturalisation de leur sort. L’Oriental, pour continuer dans les mêmes termes que l’étude d’Edward Saïd, se percevra

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comme l’Occident le perçoit. S’il le refuse, il ne lui reste que le sentiment de la double conscience3. Ainsi, le rapport que les gens ont avec un imaginaire peut varier selon l’emplacement dans le système- monde. Certains peuvent tirer une fierté de leur affiliation à un imaginaire, d’autres de la colère ou un sentiment d’injustice.

Finalement, la construction d’un imaginaire est le fruit d’un travail créatif sans fin, se produisant globalement ; d’un processus composé d’actes naïfs et de volontés politiques. Nous ne pouvons pas étudier l’imaginaire comme un tout cohérent et homogène. La diversité des contributions culturelles offertes par la multiplicité de producteurs qui y participent demande une approche pouvant en rendre compte. Autrement dit, nous ne pouvons considérer de la même manière des œuvres selon leur origine. Par exemple, des jeux vidéo provenant États-Unis et du Japon ne s’appuient pas forcément sur les mêmes représentations sociales. Pouvoir reconnaître l’origine de ces contributions, c’est pouvoir différencier des éléments qui font partie d’une culture globale et d’une culture nationale. Ainsi, si on trouvait les mêmes représentations dans des jeux vidéo provenant de différent pays, nous pourrions avancer qu’elles n’appartiennent pas seulement aux cultures des pays, mais à une culture vidéoludique transnationale.

Inquiétudes épistémologiques et solutions méthodologiques L’étude sociologique s’intéressant au contenu des jeux vidéo s’inspire fortement de l’observation participante. Même si notre objet n’est pas affecté par notre observation comme le seraient des sujets humains, notre observation est affectée par notre interaction avec le jeu. Dans cette dernière section, nous nous intéresserons à ces préoccupations épistémologiques.

La première inquiétude est que notre double position d’universitaire et d’amateur de jeux vidéo pourrait remettre en question la qualité du savoir produit par l’enquête. Cette proximité que nous avons avec la culture vidéoludique pourrait affecter notre impartialité. Cette préoccupation n’est pas à prendre à la légère. « En raison de ces aspects personnels et parfois subjectifs, les données produites à partir d’une observation participante sont non seulement difficiles à vérifier, mais encore difficiles à réfuter. » (Hilgers, 2013 ; 99). L’objectivité, comme critère idéalisé de scientificité, est une composante nécessaire pour la production de connaissances impartiales. Même si elle est inatteignable, car on ne

3 Ce concept, provenant des essais de W.E.B. Du Bois (1903), d’une part, exprime la posture d’un individu qui a conscience qu’il devrait être en accord avec l’imaginaire en place, et d’autre part, la conscience que cet imaginaire ne dépeint pas la réalité.

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peut pas se débarrasser de notre subjectivité ni de notre bagage culturel, on peut mettre en place des contraintes méthodologiques pour assurer la validité de la recherche.

Cette première préoccupation peut être comprise comme un faux problème, sans solution, car nous ne pouvons pas changer notre position et notre vécu. En s’inspirant du « je » anthropologique (Olivier de Sardan, 2000) et de la notion d’aca-fan, soit la contraction des mots academic et fan (Jenkins et al, 2002 ; Jenkins, 2006), nous pouvons retourner ce problème de sens. L’argument épistémologique et méthodologique du « je » anthropologique postule l’importance du facteur personnel4 et de l’expérience dans la qualité du savoir produit. Embrasser sa subjectivité et sa situation n’est pas enterrer son objectivité. Loin de là, avouer sa situation, indiquer qui nous sommes et offrir des explications sur sa subjectivité permet de présenter les conditions de productions d’un savoir partial, situé et subjectif. D’un côté, en étant transparent sur notre situation et précisant qui nous sommes, particulièrement si notre objet s’articule autour d’un rapport de domination, nous exposons les potentiels biais que nous pourrions avoir. D’un autre côté, « l’explicitation remplit une fonction d’objectivation du rôle du facteur personnel, et d’évaluation de ses effets » (Olivier de Sardan, 2000 ; 436). De surcroît, l’acceptation que notre savoir est partial et situé se veut un rappel que nous devons être méfiant envers nous-mêmes et tenter d’identifier les représentations qui semblent pour nous être des vérités éternelles.

La notion d’aca-fan, en réunissant les termes academic et fan, tente de surmonter l’opposition apparente, en présentant l’avantage que constitue, pour un universitaire, le fait d’être aussi un amateur d’un type de production culturelle. Un fan a des connaissances particulièrement avancées sur un type de production culturelle, il est un informateur qui sait où et comment chercher l’information dont il a besoin pour réaliser l’étude. En ce sens, notre position initiale, qui causait des préoccupations épistémologiques, n’est pas forcément problématique et pourrait même s’avérer un avantage pour réaliser une étude de qualité.

4 Selon Olivier de Sardan (2000), il y a trois modes d’intervention du facteur personnel. Le premier comprend tout ce qui est spécifique au chercheur : sa culture, ses intérêts, ses affects, etc. Le second comprend tout ce qui est spécifique avec sa discipline scientifique : les postulats, les dispositifs expérimentaux, etc. Le troisième comprend tout ce qui est spécifique au terrain d’enquête : la relation entre le chercheur et son objet, les interactions avec les participants, etc.

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La deuxième inquiétude est de perdre de vue l’intérêt sociologique et de prendre une posture étrangère à la sociologie (Heinich, 2004). L’analyse ne se démarque pas par sa qualité scientifique et devient « l’acte d’un acteur parmi d’autres et [perd ainsi] toute validité » (Esquenazi, 2007 ; 42).

La troisième inquiétude repose sur le manque de méthode proprement sociologique pour étudier les œuvres (Heinich, 2004). Les manières d’analyser et d’interpréter les œuvres sont généralement celles provenant d’autres disciplines comme celles de l’histoire de l’art, de l’esthétique et de la critique. La question se pose : est-ce légitime pour la sociologie d’étudier les productions culturelles si elle n’apporte rien de nouveau et si son analyse n’est qu’une copie de ce qui existe déjà dans une autre discipline ?

La principale réponse à ces deux problèmes se trouve dans la dimension du corpus. « Un corpus important permet d’analyser collectivement les œuvres, en dégageant les caractères communs à une multiplicité de productions fictionnelles plutôt que les interpréter une par une. » (Heinich, 2004 ; 92). Concevoir un corpus avec un grand nombre de cas implique l’usage d’une méthode comparative : « l’analyse d’une œuvre doit engager d’abord d’autres œuvres, leurs modèles communs, leurs différences et leurs variations respectives » (Esquenazi, 2007 ; 43). Selon Pierre Véronneau, ce type de corpus et cette méthode sont nécessaires pour se démarquer d’autres disciplines dont les « analyses […] reposent sur un nombre restreint d’exemples et dont les conclusions ne tiennent pas la route lorsqu’on les confronte avec un large corpus auquel elles sont censées correspondre » (Véronneau, 2008 ; 76).

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Chapitre 4 – Comment étudier le genre dans les jeux vidéo

Dans le chapitre précédent, notre ambition était de placer des assisses théoriques pour aborder directement le contenu des jeux vidéo et présenter brièvement comment nous y arriverons. Dans ce chapitre, nous présentons la méthodologie utilisée pour cette recherche.

Les deux premières sections portent sur les dimensions esthétiques du cinéma et des jeux vidéo en présentant les différents axes d’analyses. Le cinéma est un objet culturel qui a déjà été largement étudié par les chercheurs. Nous identifions ainsi des axes d’analyse relatifs à l’image, à la trame narrative et au son, qui sont communs aux productions vidéoludiques. Ensuite, nous abordons le jeu vidéo en distinguant ses spécificités et la manière dont ces dernières affectent les axes identifiés auparavant.

La troisième section porte directement sur la méthodologie. Nous y verrons les dimensions analysées dans cette étude sur les jeux vidéo, la construction du corpus, les difficultés méthodologiques que nous avons rencontrées et leur solution, ainsi que les raffinements pragmatiques que nous avons utilisés pour faciliter le « terrain ».

La question de l’esthétique dans le cinéma Les œuvres, artistiques ou non, ont une esthétique qui, la plupart du temps, est au cœur de l’expérience qu’elles proposent. Un sociologue désirant les comprendre ne peut pas faire fi de cet aspect. L’ignorer serait comme vouloir comprendre un individu parlant une langue étrangère : nous pourrions saisir des éléments appuyés par des gestes et par des expressions faciales, mais la compréhension qu’on en aurait ne serait que partielle. Connaître les principes esthétiques derrière les conceptions des productions culturelles permet non seulement de cerner les différents tropes5 présents, mais aussi les différentes figures stylistiques qui pourraient obscurcir nos interprétations de l’imaginaire social habitant ces œuvres. Ces figures stylistiques ne sont pas forcément là que pour leur dimension

5 Nous n’utilisons pas le terme trope selon sa définition française où il réfère à une figure de style ou une figure rhétorique, mais nous l’entendons selon sa définition anglaise, soit « a significant or recurrent theme, esp. in a literary or cultural context; a motif » (Oxford English Dictionary, 2016)

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artistique, mais peuvent avoir pour fonction de guider notre attention vers des éléments spécifiques et tenter de façonner notre compréhension de l’œuvre qu’elles composent.

Dans cette section, on s’intéressera aux outils développés dans les études cinématographiques pour analyser les films. Le cinéma, en tant que production audiovisuelle, partage un grand nombre de caractéristiques avec les jeux vidéo. Nous commencerons par la construction de la forme générale d’un film où rien n’est laissé au hasard. Puis, nous nous pencherons sur la trame narrative, la mise en scène, la prise de vue et le son, et la manière dont ces dernières sont utiles pour une analyse sociologique.

La forme, selon Bordwell et Thompson, est un système organisant un film dans sa totalité et elle est construite pour nous faire vivre une expérience structurée en engageant plusieurs de nos sens (2014 ; 97). Elle repose sur le postulat qu’en tant qu’humains, nous sommes prompts à rechercher les motifs et les patterns dans une œuvre ; dans une tentative de comprendre son sens, nous proposons des interprétations ; l’œuvre peut aussi nous absorber et déclencher des réponses émotives. Les différentes composantes de la forme tentent de jouer sur ces éléments en créant des attentes et en mettant en place les conditions pour vivre des sensations et des émotions. Ainsi, si nous écoutons un film de science-fiction, nous nous attendons à voir des technologies futuristes ; si c’est un film romantique, nous nous attendons à voir une relation amoureuse qui est probablement hétérosexuelle. Nos réactions suivront le déroulement du film et les figures stylistiques qui nous guident dans cette expérience : de l’émerveillement face aux futures technologies qui nous révèlent des futurs possibles ou un toboggan émotif suivant la construction fictive d’un rapport amoureux.

Chacune des composantes, de la mise en scène au son, en passant par le scénario est le résultat d’une multitude de choix que le réalisateur et les autres membres du personnel créatif doivent faire (Bordwell et Thompson, 2014). Rien n’est laissé au hasard, chacune des parties a une ou plusieurs fonctions dans le film. Les choix peuvent être plus ou moins complexes. Prenons le ciel par exemple. Doit-il être nuageux ou dégagé, de quelle couleur doit-il apparaître, bleu, rouge ou vert ? Est-ce qu’il y a des objets dans le ciel comme des avions, des étoiles ou un cerf-volant ? Répondre à ces questions implique de faire des choix et de les justifier. Pourquoi le ciel serait-il orageux ? À cause des changements climatiques causés par une industrialisation grandissante. Pourquoi le ciel serait-il vert ? Car nous sommes sur une autre planète ayant une atmosphère différente.

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En tant que sociologue, ces choix sont intéressants et indicatifs des imaginaires, puisqu’ils offrent un aperçu des représentations sociales entretenues dans la communauté vidéoludique, tant du côté des développeurs que de leur public cible. Nous pouvons y voir des représentations de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui serait ; des représentations caricaturales, idéalisantes ou se voulant réalistes. Un ciel orageux dans une société industrielle dystopique peut être compris comme une représentation d’un futur de plus en plus pollué.

Bien entendu, les choix ne sont pas tous pensés au même degré ; puisqu’il est question de représentations, ils n’ont parfois rien d’un « choix ». Le ciel peut être bleu avec quelques nuages parce que ça va de soi pour le réalisateur ou parce que c’est plus simple de filmer avec la lumière du soleil que d’utiliser un système d’éclairage coûteux pour tourner sous un ciel nuageux. Il ne faut toutefois pas considérer ces choix comme moins significatifs que les autres. Ils révèlent ce qui semble normal ou naturel pour les concepteurs.

Les axes d’analyses : les choix créateurs au cinéma Il y a plusieurs composantes qui peuvent être définies dans la forme d’un film. Nous présenterons ici celles qui sont similaires aux jeux vidéo.

La trame narrative Se pencher sur la trame narrative, en tant que première composante des jeu, semble aller de soi. Elle est souvent une des raisons pour lesquelles nous écoutons un film ou jouons à un jeu vidéo : l’histoire nous intéresse. Avant d’aller plus loin, il est bon d’indiquer que ce ne sont pas tous les films ou tous les jeux vidéo qui ont une trame narrative. Les documentaires et plusieurs jeux de puzzle n’en ont pas et n’en ont pas besoin pour nous intéresser. Cependant, quand elle est présente, la trame narrative s’avère très révélatrice de l’imaginaire. C’est à partir d’elle que nous pouvons commencer à distinguer l’important du non important et à comprendre les significations qui sont données à des objets présents dans le récit. Nous pouvons étudier de nombreux objets à travers la trame narrative. Dans le cadre de cette recherche, nous allons nous pencher spécifiquement sur les personnages, sur leur sexe et sur la manière dont la trame narrative accorde des valeurs sociales et des significations particulières à ces derniers.

Tout d’abord, en découvrant quel personnage est mis de l’avant et quel est son rôle dans l’histoire, nous pouvons identifier des caractéristiques et commencer à saisir son « identité » dans le récit. Nous

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pouvons ainsi nous poser une série de questions. Qui sont les protagonistes, les antagonistes ou qui assume des rôles de soutien ? Quels moyens utilisent-ils pour faire progresser l’histoire ? Utilisent-ils des actions violentes, proposent-ils des solutions démocratiques ou est-ce qu’ils résolvent des énigmes ? Les actions entreprises se traduisent en caractéristiques psychologiques et en modes de pensée qui peuvent être présentées sous un angle positif, neutre ou négatif. Nous pouvons ainsi cerner les motivations d’un personnage à agir. Son action peut être poussée par des caractéristiques, comme sa bravoure, sa témérité ou ses peurs, et par des modes de pensée, comme le rapport machiste qu’un homme pourrait avoir avec son sentiment de devoir sauver une demoiselle en détresse ou un sens de la justice particulière.

Une fois que nous avons défini qui sont les personnages, que nous savons que le protagoniste est un homme blanc courageux avec un certain sens de justice et que l’autre personnage est une jolie femme dans un rôle secondaire, la question devient alors : quelles sont les relations les unissant ? Indépendamment de l’identité des personnages, une grande variété de relations est possible. Un protagoniste machiste ne partage pas forcément l’écran avec une demoiselle en détresse, il peut le partager aussi avec une femme forte. Les relations possibles qui en découlent sont multiples et ont pour limite l’imagination humaine.

Ces caractéristiques, ces modes de pensée, la dynamique entre les personnages sont porteurs de valeurs sociales et elles peuvent être valorisées ou dévalorisées dans les productions culturelles. Par exemple, le triomphe d’un personnage sur un autre peut être interprété comme un triomphe de ses valeurs et de son mode de pensée, soit une valorisation de ces derniers. La défaite équivaudrait alors à la dévalorisation de ceux-ci. En fait, il y a une multitude de modalités à la disposition des producteurs culturels pour valoriser et dévaloriser des éléments via la trame narrative. Pour donner un second exemple, le récit permet aussi de faire vivre aux personnages des réalisations où ces derniers abandonnent leur manière d’être pour en adopter une nouvelle. Nous pouvons penser au trope cinématographique dans lequel des jeunes abandonnent leur vie de débauche et de festivité pour en adopter une s’alignant avec les normes du travail et les valeurs de la famille nucléaire.

Bien entendu, la dimension des personnages et du genre en est une parmi d’autres. Nous pouvons aussi étudier l’espace, le temps, les idéologies, le travail, etc. via la trame narrative. Ces différentes dimensions s’entrelacent dans la composition de la forme d’un film et doivent être étudiées les unes par rapport aux autres. En ce sens, nous ne pourrions étudier l’imaginaire de la féminité sans nous

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intéresser au rapport que les personnages féminins entretiennent avec l’espace domestique et le travail. Leurs rapports avec ces dimensions sont constituants de la manière dont on imagine la féminité.

La mise en scène Cette seconde composante est celle de l’image, ou de la mise en scène. Par image, nous entendons tout ce qu’on voit à l’écran, soit le décor, l’éclairage, le positionnement des personnages dans la scène, leurs mouvements, leur costume et leur maquillage, ainsi que l’interprétation des acteurs. Les différents choix entourant ces éléments permettent de créer plusieurs effets. Par exemple, le réalisateur d’un film peut créer une atmosphère et mettre l’accent sur des choses qu’il veut qu’on remarque.

D’abord, l’atmosphère dicte les attentes potentielles que les spectateurs peuvent avoir d’un film et propose un contexte dans lequel nous pouvons comprendre et interpréter un film. Un décor et des costumes futuristes, ainsi qu’un éclairage sombre laissent place aux spéculations sur ce que le film sera : probablement un film de science-fiction dystopique. S’il y a des armes, nous pouvons postuler qu’il s’agit d’un film d’action. Ces attentes sont structurées par des conventions cinématographiques qui se sont développées avec le cinéma, les réalisateurs s’inspirant des films passés et les imitant. Ces conventions, loin d’être éternelles, varient selon l’esthétique de l’époque et du style cinématographique. Les spectateurs, qui écoutent des films au fil des années, apprennent intuitivement à reconnaître ces conventions. Ils perçoivent les indices que la scène en sera une humoristique et se préparent à rire ou qu’elle sera terrifiante et se préparent à sursauter.

L’atmosphère peut être comprise comme une partie de la métacommunication d’un film6. Pour le cinéma, c’est une indication de comment nous devrions interpréter et réagir à une scène. En ce sens, une scène ne peut pas être uniquement comprise par la trame narrative, par les dialogues et par les actions des personnages. Le spectateur a besoin de saisir l’atmosphère pour cerner si une scène est supposée être drôle ou dramatique, si elle est horrifiante ou attendrissante, si elle est satirique ou « réaliste ». Même s’il cerne l’atmosphère intuitivement et, en ce sens, il n’est normalement pas nécessaire de s’y attarder, il est toujours possible de mécomprendre, ce qui pourrait conduire à une mauvaise analyse de l’œuvre. Par exemple, nous pourrions comprendre les scènes dans leur sens littéral, quand l’atmosphère nous indiquerait qu’elle devrait être comprise dans un contexte

6 La metacommunication est « all exchanged cues and propositions about (a) codification and (b) relationship between the communicators » (Bateson et Ruesch, 1951 ; 209). En d’autres termes, c’est le langage non dit, de la gestuelle au contexte en passant par la relation aux conventions sociales entourant la communication.

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(humoristique, dramatique, etc.). Autrement dit, leur sens symbolique n’est pas le même que leur sens littéral. Rester consciemment sensible à l’atmosphère permet de réduire ce risque.

Ensuite, la mise en scène permet aussi de mettre l’accent sur certains éléments. Le réalisateur a un éventail toujours grandissant de techniques à sa disposition pour y arriver. Il peut se servir du mouvement pour capter l’attention ; il peut utiliser l’emplacement de l’élément, comme le centre de l’écran ; il peut jouer avec l’éclairage, le plaçant sur ce qu’il veut mettre en valeur. Connaître les différents mécanismes qui permettent de souligner des éléments aide à faire une meilleure lecture de l’image en distinguant ce qui a une valeur symbolique particulière de ce qui n’en a pas. Le réalisateur peut ainsi objectifier le corps d’une femme en guidant notre regard constamment vers ses seins ou ses fesses, qui symbolisent la sexualité féminine, ou il pourrait attirer l’attention sur un coucher de soleil de la plage le présentant comme un symbole romantique.

En plus de tous les effets que la mise en scène peut avoir, elle est avant tout une série d’images convoyant de l’information sur l’imaginaire. Chacun des éléments que nous y trouvons, qu’ils soient mis de l’avant ou non, est pertinent et mérite notre attention. Ils constituent des manifestations des représentations idéelles présentes dans l’imaginaire. Autrement dit, tous les détails présents dans l’image peuvent nous renseigner sur l’imaginaire et ne peuvent être écartés sous le prétexte que l’œuvre ne les met pas de l’avant.

La prise de vue La prise de vue est la contrepartie de la mise en scène : c’est la composante portant sur l’utilisation de la caméra. Le réalisateur peut ici ajuster le niveau de lumière entrant dans l’objectif, cadrer la mise en scène pour inclure ou exclure des éléments à l’écran, choisir la dimension du plan pour guider notre regard et ainsi de suite. Au même titre que la mise en scène, la prise de vue structure l’attention et détermine en partie notre compréhension du film.

Premièrement, ajuster le niveau de lumière affecte l’atmosphère d’un film et, comme nous l’avons vu dans la section précédente, l’atmosphère comme la métacommunication d’un film. En ce sens, une scène avec peu de lumière permet de créer un monde plus sombre, ce qui peut donner l’impression que cette séquence est sérieuse. Les spectateurs peuvent réagir à ce monde sérieux en prenant une posture sérieuse, ne laissant que peu de place au rire. Comprendre l’atmosphère permet de saisir si

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les images ont pour visée d’être drôles, satiriques, tristes, sombres, etc. La signification de ces dernières varie dépendamment de l’atmosphère.

Deuxièmement, le réalisateur doit choisir la dimension de son plan et les mouvements de la caméra. Un plan peut ainsi être gros, ne cadrant que le visage de l’acteur ou ne présentant qu’un objet ayant une certaine importance ou il peut être d’ensemble, cadrant l’entièreté du décor. Les mouvements de la caméra et sa capacité de zoomer en association avec la dimension du plan permettent de créer une variété d’effet. L’effet le plus important est encore une fois la capacité de mettre un accent sur des éléments. Par exemple, un gros plan glissant sur le corps d’une femme, des pieds à sa tête, peut l’objectifier par la même occasion. Ces accents ne permettent pas seulement de distinguer les symboles les plus importants, mais aussi de comprendre les dispositifs esthétiques permettant de créer ces symboles dans l’imaginaire.

Finalement, « le cadre donne forme à notre expérience en attirant l’attention sur ce que le réalisateur veut que nous y voyions » (Bordwell et Thompson, 2014 ; 298). D’une part, c’est l’image que nous avons à l’écran et d’autre part, c’est la construction du champ et du hors-champ. Le premier réfère à tout ce qui est dans le cadre et le second à ce qui n’y est pas, à ce qui est à l’abri du regard. L’hors- champ est à portée de notre imagination et ne prend sens uniquement dans la relation que nous avons avec le film. La construction du champ et du hors-champ est révélatrice de ce qui est important et de ce qui n’est pas important pour le réalisateur dans une scène. Cette frontière permet tout simplement de distinguer ce qui devrait mériter de notre attention, de ce qui peut être exclu.

Le son Le son, de la voix des acteurs aux chansons en passant par le bruitage, est la seconde moitié d’un film. Il détermine la compréhension des images et guide l’attention. D’un côté, le son fait partie, à l’instar de l’atmosphère, à laquelle il participe, de la métacommunication du cinéma. Il indique comment interpréter une scène. Par exemple, les images d’une manifestation peuvent avoir une signification très différente dépendamment de la trame sonore qui l’accompagne. Une trame élogieuse pourrait présenter la manifestation comme une action politique pour la justice sociale ; une trame sévère ou dramatique pourrait la présenter comme une révolte de la masse ; une trame mélangeant à la fois louange et critique soulignerait la polémique autour de cet événement.

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D’un autre côté, le son dirige notre attention, par exemple la voix d’un narrateur demandant à notre regard de se poser sur un objet ou le bruit d’une explosion qui entraînent notre regard sur son origine. Le son permet ainsi de mettre un accent sur certains éléments, de détourner notre attention d’autres éléments.

La forme, un système contradictoire et intuitif Au final, la multitude de choix créatifs nécessaires pour créer un film ne suit pas de règles esthétiques bien définies malgré l’existence des conventions. Nous pouvons ainsi facilement trouver des formes de film qui peuvent sembler contradictoires. Pour citer l’exemple de Dawn Heinecken sur l’héroïne de la série télévisée Aeon Flux : « Although she at first appears to be a very erotic dominatrix, an image reinforced by her sexual activities, the visual effect of her body in motion is quite jarring, and actually works to counteract the overt sexualization of her character » (2001 ; 79). En plus de l’animation qui va dans le sens inverse de son apparence hyper sexualisée, la trame narrative place ce personnage dans un rôle de résistance par rapport à une société de contrôle dirigée par un homme. Pour Heinecken, elle est une héroïne féministe luttant contre le patriarcat. Qu’on soit ou non en accord en désaccord avec sa conclusion, son analyse démontre bien l’importance d’étudier les œuvres de manière holistique en intégrant les principes esthétiques et en surmontant ce qui semble être des contradictions.

Les axes d’analyse : l’esthétique particulière des jeux vidéo L’étude de l’esthétique cinématographique nous a permis de comprendre comment il est possible de jouer avec l’image et le son pour transmettre de l’information. Les jeux vidéo partagent, en tant que production audiovisuelle, l’ensemble des composantes esthétique que nous avons soulevé avec le cinéma. Dans cette section, nous verrons comment elles se manifestent et varient spécifiquement dans les jeux vidéo.

Les particularités des jeux vidéo Nous pouvons diviser les jeux vidéo en deux grandes composantes structurelles, soit le gameplay et les cutscenes. Le gameplay se comprend autour de deux ensembles de règles, le premier définissant les objectifs à accomplir et le second spécifiant les moyens et les contraintes pour les atteindre (Alvarez et al., 2007). En d’autres termes, c’est le moment où le joueur prend le contrôle et qu’il joue au jeu. Ces règles gouvernent l’ensemble du jeu, de la création du personnage à la progression dans le jeu. Les cutscenes sont des scènes qui coupent les séquences de gameplay. Le joueur n’est plus en

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contrôle et devient un observateur. Les cutscenes partagent intégralement les mêmes composantes esthétiques que le cinéma. Nous ne nous y intéresserons donc pas davantage au cours de cette section.

En dehors de ces deux grandes composantes, un principe esthétique de liberté pousse les concepteurs des jeux vidéo à aller dans une direction particulière.

Remember, gamewrights, the power and beauty of the art of gamemaking is that you and the player collaborate to create the final story. Every freedom that you can give to the player is an artistic victory. And every needless boundary in your game should feel to you like failure. (Card, 1991 ; 58)

Bien entendu, ce ne sont pas tous les jeux qui sont conçus avec ce principe à l’esprit, certains n’offrant quasiment aucune liberté aux joueurs. Cependant, l’idée d’offrir une plus grande liberté aux joueurs est au cœur des innovations artistiques s’y produisant. La trame narrative s’est ainsi arrachée de la monotonie linéaire où les joueurs sont confrontés à une seule route possible pour progresser dans le jeu et, par le fait même, à une seule histoire possible. Le gameplay est conçu avec l’idée que les choix des joueurs ont un impact sur le jeu et sur son histoire.

La trame narrative Il y a plusieurs moyens à la disposition des concepteurs pour raconter des histoires dans un jeu vidéo. Un des modèles les plus basiques est celui de la linéarité où le joueur suit le déroulement proposé, sans qu’aucun de ses choix n’affecte le récit. Il commence au point A, puis continue par le point B et finit au point C.

Avec l’idée d’offrir toujours plus de liberté aux joueurs, ce modèle évolue dans plusieurs directions. Par exemple, certains jeux offrent une variété d’histoires linéaires selon le personnage que le joueur choisit de jouer. L’arrivée du modèle du branching et du bottleneck permet de sortir la trame narrative de la linéarité (Egenfeldt Nielsen et al., 2008). Lors des séquences de branching, les joueurs ont plus de liberté : ils peuvent naviguer dans le monde et faire des quêtes annexes. Lors des séquences de bottleneck, ils sont forcés à faire une séquence obligatoire pour progresser dans le jeu et débloquer le prochain branching.

L’approche diégétique apporte ce principe à un autre niveau. L’idée est que l’histoire doit s’adapter et se développer selon les choix que les joueurs font durant le jeu (Egenfeldt Nielsen et al., 2008). C’est

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généralement durant la phase du bottleneck qu’on voit les conséquences des choix faits par les joueurs durant le jeu. Le récit s’adapte en offrant une variété de dénouements possibles, en causant la mort d’un certain personnage, en développant une relation romantique avec un autre personnage, etc.

Malheureusement, cette liberté complexifie la méthode utilisée pour étudier les jeux. Dépendamment de l’imaginaire qui nous intéresse, se réduire à étudier la trame narrative principale n’est peut-être pas suffisant pour saisir ce qui se passe. Si nécessaire, il faut être prêt à explorer les autres sections du jeu et les autres trames narratives.

L’impact du gameplay sur l’esthétique de l’image Le gameplay affecte l’image, car la caméra peut maintenant être sous le contrôle du joueur. Ce changement implique de repenser partiellement la mise en scène et la prise de vue. Normalement, dans une scène cinématographique, ces deux composantes fonctionnent l’une par rapport à l’autre : la mise en scène est composée par rapport à la position des caméras et les prises de vue tentent d’exploiter cette dernière. Le contrôle sur ces deux composantes permet de créer des plans sur deux dimensions par rapport à la caméra. Ainsi, les éléments dans la scène peuvent se déplacer vers la gauche de la caméra, vers la droite, vers le haut, vers le bas, s’en approcher ou s’en éloigner. Si la caméra ne nous montre pas quelque chose, nous ne pouvons le voir.

En donnant le contrôle de la caméra au joueur, la mise en scène doit être conçue sur trois dimensions. Le joueur peut se déplacer et explorer l’espace construit dans le jeu, il peut tester les limites de la caméra. En ce sens, il peut focaliser sur les éléments qu’il veut voir. S’il y a des éléments que les concepteurs veulent cacher, ils doivent le faire en censurant ouvertement cet élément7 ou en limitant le contrôle du joueur sur le positionnement de la caméra.

Même si le joueur peut diriger la caméra, certains éléments sont en dehors de son contrôle. Par exemple, le cadrage du personnage varie d’un type de jeu à un autre. Dans les jeux à la première personne, on ne peut généralement rien voir de plus que les bras du personnage. Dans les jeux à la troisième, nous pouvons voir l’ensemble du personnage. Si le premier cas exclut le personnage, dans le second cas nous pouvons avoir une multitude d’angles que la caméra peut prendre pour focaliser sur le protagoniste. L’angle peut ainsi être neutre en donnant une vue d’oiseau sur le personnage, il

7 C’est une tactique généralement utilisée pour cacher les sous-vêtements d’un personnage féminin quand elle porte une jupe. Voir l’annexe 1 pour des exemples.

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peut être fixé sur un point de son corps comme le haut de ses épaules ou ses hanches, ou il peut être laissé à la liberté du joueur.

Des libertés limitées Les options offertes aux joueurs sont définies par les concepteurs. Ces espaces de libertés sont importants à considérer, car ils tracent la frontière entre ce qui est envisageable dans l’imaginaire et ce qui ne l’est pas. Par exemple, le gameplay peut offrir au joueur la liberté de modifier l’image, soit en lui permettant de choisir un personnage parmi plusieurs ou de modifier certains éléments de son apparence. Cette frontière peut prôner certains standards corporels et en exclure d’autres.

Le gameplay définit généralement plus qu’un seul moyen pour arriver aux objectifs qu’il fixe. Ceci dit, il encourage aussi certaines actions plus que d’autres. Pour offrir un exemple, il existe une dualité fréquente dans les jeux vidéo où le joueur doit choisir entre deux options, soit confronter l’adversaire ou se sauver. Le fait que les combats sont difficiles peut inciter le joueur à les éviter, mais une récompense offerte peut le mener à se lancer dans combat. Ces mécaniques à l’intérieur des jeux sont des manifestations d’un imaginaire favorisant une certaine méthode pour résoudre des conflits et des problèmes.

Au final, on ne peut penser les différentes composantes d’un jeu sans les mettre en relation avec les autres. Un jeu vidéo est esthétiquement plus que la somme de ses parties et l’imaginaire ne peut être extrait du jeu sans prendre une approche holistique.

La méthodologie de cette enquête Quand nous avons décidé de faire cette recherche, l’ambition était de comprendre comment les jeux vidéo mettent de l’avant une certaine représentation stéréotypée des personnages, décrite par plusieurs comme sexiste (Summers et Miller, 2014 ; Paaβen et al., 2017). Avec nos ambitions naïves, l’objectif était de réaliser un portrait holistique de la situation du genre dans les jeux et couvrir différentes dimensions du genre comme la question des rôles narratifs, de la division sexuelle du travail, de l’intersectionnalité, de l’imagerie des corps, des caractéristiques psychologiques associées à la féminité et à la masculinité et le genre hégémonique.

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La construction d’un corpus Pour y arriver, nous avons d’abord constitué un large corpus couvrant les jeux les plus populaires entre 2014 et 2016. Nous avons choisi ces années afin de rendre compte d’éventuels changements dans la culture vidéoludique. Cette période est importante pour deux raisons. Premièrement, 2016 est l’année durant laquelle nous avons commencé à travailler sur ce mémoire. Deuxièmement, on baignait dans le contexte polémique du Gamergate où plusieurs femmes associées au monde vidéoludique se faisaient attaquer par d’autres joueurs, eux-mêmes critiqués et accusés de sexisme (Chess et Shaw, 2015).

Considérant que le scénario constitue un vecteur important pour la transmission de l’imaginaire du genre et des idéologies y étant reliées, le corpus de cette recherche est exclusivement constitué de jeux ayant une trame narrative. Nous avons donc exclu tous les jeux qui n’avaient pas un mode de jeu se concentrant sur l’exploration d’une trame narrative, comme les jeux de sport et les jeux multijoueurs se concentrant sur le Player versus Player (PvP)8. D’autres jeux comme les Massively Multiplayer Online Gaming (MMO) ont aussi été ignorés, car ce sont des jeux qui peuvent prendre des centaines d’heures à réaliser, car les développeurs ajoutent des extensions supplémentaires pour que les joueurs continuent à y jouer. Ils sont, en ce sens, des jeux sans fin définitive. Même s’il est vrai qu’il serait intéressant d’étudier ces jeux sous la loupe du genre, pour des raisons de faisabilité, nous avons dû fixer des limites et les exclure.

Finalement, nous nous intéressons aussi à l’imaginaire dominant, le plus « populaire », et c’est pourquoi nous avons sélectionné les jeux les plus vendus. Pour les identifier, nous nous sommes basé sur le site de VGChartz (2016). Cette organisation produit différentes statistiques autour de l’industrie vidéoludique, dont les 100 jeux les plus vendus annuellement. C’est Ee respectant les critères précisés dans les derniers paragraphes que les 50 jeux les plus vendus ont été identifiés.

Malheureusement, nous avons sous-estimé la charge de travail que ce terrain demandait. L’observation participante et la prise de note demandaient entre 20 et 90 heures par jeu. Étudier l’ensemble du corpus avec cette approche était irréaliste. Face à cette situation, nous avons décidé de ne plus jouer aux différents jeux de ce corpus, mais plutôt de nous rabattre sur ce qu’on appelle le

8 Le PvP est un mode de jeu se concentrant sur gameplay ou les joueurs jouent contre d’autres joueurs. Plusieurs jeux sont uniquement jouables en mode PvP.

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Playthrough ou le Walkthrough, soit des vidéos de gens s’enregistrant en train de jouer et publiant leur partie sur des plateformes Web comme YouTube. Cette nouvelle approche comporte toutefois un problème pour l’analyse. Nous perdons notre capacité à explorer le jeu, les données que nous récoltons suivent les choix du joueur que nous observons. Pour réduire ce biais, nous avons choisi des playthrough où le joueur ne fait pas de commentaires sur le jeu pour éviter que cela affecte nos observations. De plus, nous avons observé plusieurs différents playthrough du même jeu pour s’assurer de couvrir un maximum d’éléments importants pour l’analyse. Cette situation se produit généralement quand il y a plusieurs personnages jouables ou quand le sexe du protagoniste est laissé au choix du joueur. En bref, nous estimons que ce qui est perdu en capacité d’explorer, est regagné en efficience. À un certain moment, il nous a semblé atteindre un point de saturation dans la cueillette des données : les 19 jeux restants ne semblaient pas offrir de valeur ajoutée aux données déjà récoltées, d’autant plus qu’ils provenaient des mêmes franchises et des mêmes compagnies que les jeux que nous avions déjà étudiés. Ainsi, nous avons donc décidé d’ignorer ces 19 jeux.

Au final, le corpus de départ est donc composé de 31 jeux, publiés entre 2014 et 2016 faisant partie des 50 jeux les plus vendus sur la planète en 2016 selon le site VGChartz. Un total de 682 personnages différents a été étudié et analysé pour produire cette recherche, comme nous l’expliquerons plus loin.

En plus de ce corpus initial, nous nous sommes permis d’observer certains cas spécifiques provenant d’autres années, afin d’intégrer certains cas de figure rares permettant de nuancer les analyses en termes de représentation de l’imaginaire du genre. Dans ce second corpus, on fait par exemple référence à l’existence des personnages LGBTQ et à des personnages féminins moins stéréotypés. Nous avons ainsi étudié 15 jeux supplémentaires et un total de 268 nouveaux personnages. Les jeux provenant de ce second corpus n’ont pas été étudiés avec les autres ni de la même façon : ils ne font pas partie des 100 jeux les plus vendus en 2016 et sont donc indicateurs de l’existence de trames narratives et de préoccupations alternatives, en émergence dans l’imaginaire vidéoludique. Dans le présent mémoire, il sera précisé chaque fois que des exemples seront tirés de ce second corpus. Les données générales (présentées notamment dans les tableaux) ne s’appliquent qu’au premier corpus.

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La grille d’observation Une grille d’observation a été conçue pour réaliser cette étude et elle a pour objet l’ensemble des éléments qui sont relatifs aux personnages. Le premier segment de la grille est un registre avec « l’adresse » du personnage, soit une série d’informations concernant : le jeu d’où il provient, la partie du jeu où on peut le trouver et son rôle dans celui-ci. Le second segment documente l’information sociodémographique du personnage, c’est-à-dire son appartenance à certaines catégories ou groupes sociaux : sexe (apparent), orientation sexuelle (si évidente), groupe d’âge, identité ethnique (si déclarée) et classe socioprofessionnelle. Le troisième segment offre un espace pour décrire l’apparence et les objets relatifs au personnage : sa morphologie, une description de son visage, la couleur de sa peau, son apparence vestimentaire, sa coupe de cheveux, des caractéristiques particulières (cicatrice, tatouage, etc.) et les objets qui lui sont associés (chambre à coucher, arme, livre, etc.). Le quatrième et dernier segment s’attarde à la situation psychosociale du personnage : ses traits de personnalité dominants dans le jeu, les actions qu’il utilise pour résoudre ses problèmes, le contexte narratif l’entourant et ses relations avec les autres personnages.

Dans le premier corpus, deux grandes catégories de personnages ont fait l’objet de nos observations. Premièrement, notre attention s’est portée sur l’ensemble des personnages qui sont associés à la trame narrative, que ce soit le protagoniste, les personnages de soutien, l’antagoniste, etc. Deuxièmement, on s’est intéressé aussi à l’ensemble des personnages avec lesquels le joueur peut interagir, même si ces derniers n’ont pas d’impact sur l’histoire du jeu et que leur fonction se résume au gameplay. Finalement, seuls les personnages figurants n’ont pas fait l’objet d’observations. Les personnages figurants sont génériques et ils existent uniquement pour contribuer au décor du jeu.

Dans le cadre du second corpus, nous avons observé uniquement les personnages dont les caractéristiques permettent de rehausser l’analyse en incluant des cas de figure plus rares en 2016, notamment concernant la situation de personnages aux identités plus marginales par rapport aux représentations dominantes dans les jeux populaires, que ce soit du point de vue de la couleur de la peau, de l’ethnicité ou de l’orientation sexuelle. L’idée est vraiment de compléter le portrait de l’imaginaire du genre avec des représentations existantes, mais rares dans les jeux vidéo populaires.

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Des raffinements pragmatiques Avec l’expérience, nous avons développé deux « nouvelles » techniques pour accélérer le terrain. D’une part, les jeux sont divisés en deux grandes sections, les cutscenes et le gameplay. La première se présente sous la forme de mini films et constitue l’un des principaux vecteurs pour conter l’histoire. La seconde comprend tous les moments où le joueur a du contrôle dans le jeu. Certains segments du gameplay deviennent rapidement répétitifs et peu de nouvelles informations peuvent en être tirées. Après un certain temps d’observation d’un jeu, nous finissons par reconnaître ces segments et nous pouvons, donc, les éviter. D’autre part, nous avons commencé à utiliser des ressources Web, comme les pages Wikia. Ces dernières sont des pages rédigées par des fans pour des fans et contiennent des informations pointues sur les jeux. La lecture de ces pages nous a permis de contre-vérifier nos observations et d’avoir accès à des images spécifiques sur des personnages pour compléter nos observations sur leur apparence.

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Chapitre 5 – Les rôles des personnages dans l’imaginaire du genre

Nos premiers pas dans cette analyse de l’imaginaire du genre nous ont conduits à observer la répartition des rôles (ou des personnages) féminins et masculins selon leur importance dans les jeux vidéo. Nous allons examiner deux méthodes pour classifier les personnages selon leur rôle : la première se basant sur le gameplay et la seconde sur la trame narrative. Puis, nous regarderons comment les personnages se répartissent selon leur genre dans les différentes catégories.

Classification des rôles Egenfeldt-Nielsen et al. (2008) proposent une première classification reposant sur le gameplay et séparant les rôles des personnages en quatre catégories.

• Les stage characters sont des figurants avec lesquels le joueur ne peut pas interagir et qui n’ont pas d’importance dans l’histoire ;

• Les functional characters sont des personnages avec qui le joueur peut interagir, mais qui n’ont pas d’impact sur l’histoire principale. Par exemple, ils offrent des quêtes parallèles dans le jeu ou vendent des objets associés au gameplay (armes, médicaments, équipements divers, etc.) ;

• Les cast characters sont des personnages avec une fonction en lien avec l’histoire ;

• Les player characters sont des personnages jouables.

La force de cette classification est la distinction mécanique qu’elle permet entre les usages des personnages dans une perspective ludique et leurs participations différenciées à l’histoire d’un jeu. Selon nous, l’élément le plus important est la dichotomie entre les personnages jouables et non jouables, car les premiers ont une qualité spéciale : leur interactivité permet d’augmenter l’impact qu’ils peuvent avoir sur le joueur en facilitant l’identification au personnage9.

However, interactivity might only be a necessary but not sufficient condition for identification. […] Thus the attractiveness and the personal desirability of the role that is

9 Identification peut être décrite comme prendre la perspective d’un personnage médiatique (Hefner et al., 2007).

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offered to be occupied during game play must be given to a certain degree in order to facilitate monadic identification. (Hefner et al., 2007; 42)

Toutefois, même si un personnage n’est pas jouable, un joueur peut tout de même développer un lien empathique avec ce dernier. Ce lien se développe quand le joueur est confronté pendant une période de temps à l’histoire du personnage (Cohen, 2001). En ce sens, cette catégorie doit être considérée avec précautions dans nos analyses.

Le problème de cette classification est qu’elle ne tient pas compte de la « qualité symbolique », ni de la place d’un personnage dans la trame narrative. Les catégories des player characters et des cast characters peuvent avoir ici la même valeur ou des valeurs variables, c’est-à-dire que les « héros » et les « vilains » peuvent se trouver dans la même catégorie en tant que personnages jouables, bien que leur qualité symbolique soit totalement différente. Par exemple, le héros peut avoir une position idéalisée, présentée comme juste et morale, et le vilain peut présenter des caractéristiques qui deviennent, par ce fait, péjoratives. Un autre exemple serait celui d’un héros et d’un personnage de soutien tous deux jouables, bien que la centralité de leur position dans la trame narrative diffère.

Si la classification reposant sur le gameplay est éclairante, elle présente certaines limites que nous proposons de contourner en utilisant une seconde classification reposant sur la position que les personnages occupent dans la trame narrative.

Figure 1 : Schéma des rôles narratifs

Personnages principaux Personnages secondaires

Protagonistes Antagonistes Personnages de soutien Figurants

Cette nouvelle classification permet de tenir compte des rôles narratifs que les personnages occupent et de leurs qualités symboliques. Les personnages principaux sont ceux qui ont un impact dans la trame narrative principale, alors que les personnages secondaires sont ceux n’ayant qu’un faible impact sur l’histoire, leur présence servant généralement à ajouter au décor un élément pour favoriser l’immersion du joueur dans le jeu. Les personnages de soutien incluent des functional et cast characters. Ils se trouvent ainsi autant chez les personnages principaux que secondaires.

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Dans le cadre de notre analyse des jeux vidéo, nous n’abordons pas en détail la situation des figurants. Ces personnages sont trop nombreux et pour cette même raison ils deviennent difficiles à étudier d’une manière systématique. En ce sens, nous allons plus souvent utiliser le terme « personnages secondaires » pour discuter des personnages de soutien n’ayant pas d’impact sur l’histoire.

Un portrait de l’ensemble des rôles narratifs dans les jeux vidéo Parmi les 682 personnages de notre corpus principal, 71,55 % sont des hommes et 27,12 % sont des femmes. Les personnages masculins sont toujours plus nombreux que les personnages féminins, et ce, dans l’ensemble des rôles. Cependant, les proportions varient d’un rôle à un autre.

Dans le cas des protagonistes, deux modèles de personnages cohabitent : certains jeux (l’écrasante majorité des jeux du corpus) imposent le ou les personnages principaux, d’autres jeux permettent de composer le personnage jouable en sélectionnant certaines de ses caractéristiques, dont le sexe. Dans l’ensemble des 31 jeux analysés à cette rubrique (premier corpus), le joueur se voit imposer un personnage masculin dans 70 % des cas, un personnage féminin dans 18 % des cas et peu choisir le sexe du personnage principal dans seulement 12 % des cas. Pourtant, dans le manuel de conception de jeu vidéo rédigé par Scott Rogers, ce dernier indique : « Customization will increase player attachment » (2014). En ce sens, il recommande aux développeurs de laisser le plus de liberté possible aux joueurs en ce qui concerne le design du personnage, de son nom à son apparence, en passant par le gameplay.

Au-delà d’essayer de créer un plus grand attachement, offrir le choix aux joueurs implique aussi de leur remettre la responsabilité d’inclure ou non une plus grande diversité dans les jeux. Il y a deux problèmes avec cette approche. Premièrement, laisser l’option aux joueurs implique que s’ils ne veulent pas jouer avec un personnage féminin ou LGBTQ, ils ne seront pas confrontés à une plus grande diversité. Pour Dmitri Williams (2009), l’utilité de l’inclusion de la diversité dans les jeux vidéo est de sensibiliser aux réalités des groupes minoritaires et potentiellement de briser les stéréotypes. Autrement dit, pour optimiser l’impact de la diversité dans une perspective éthique, ce sont les joueurs faisant partie des groupes dominants qui doivent y être confrontés.

Deuxièmement, les jeux incluant ce type de mécanique pour choisir le sexe de son personnage ne sont pas forcément structurés pour accommoder l’inclusion d’un personnage féminin. Dans l’ensemble des jeux, on dirait que la trame narrative s’associe symboliquement à la masculinité. Le protagoniste

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prendra le rôle d’un guerrier, d’un soldat ou d’un aventurier qui doit résoudre les problèmes par le recours à la violence. Le protagoniste est un dur à cuire ne se plaignant pas, parce que les hommes sont endurcis et les blessures gravées dans leur chair en sont la preuve. Il y a une évacuation de ce qui pourrait être associé à la féminité dans la trame narrative et cette évacuation peut dépasser la praxis10 d’un personnage en se manifestant dans les dialogues.

Dans les meilleures situations, les personnages utilisent des noms genrés pour identifier le protagoniste. Par exemple, dans Bloodborne (2015) les personnages utilisent les termes fellow/lass, mister/miss et boy/girl pour parler avec le joueur. La même chose se produit dans Fallout 4 (2015) avec des termes comme father/mother. Dans les autres situations, les personnages utilisent le pronom de la deuxième personne du singulier « you » ou des noms neutres pour nommer le protagoniste comme guardian (Destiny, 2014) ou trainee (Black ops 3, 2015). Cette évacuation des termes féminins dans les dialogues n’est pas l’unique problème. Dans les pires situations, nous pouvons avoir des dialogues sexistes instigués par des personnages féminins, ce qui peut créer une image dissonante. Par exemple, dans une scène de Black ops 3 (2015) où deux personnages argumentent, le/la protagoniste les rappelle à l’ordre en les appelant Ladies. Un rappel que ce sont les femmes qui s’obstinent alors que les hommes passent à l’action. Si, déjà, cette insulte est définitivement sexiste, le fait que ce soit un personnage féminin qui le dise rend la situation ridicule. Il y a aussi un scénario romantique dans ce même jeu : il est intéressant de noter que le sexe de l’intérêt romantique du personnage est le même, peu importe le sexe du protagoniste. En ce sens, en choisissant un personnage masculin, le protagoniste a une relation hétérosexuelle et si nous jouons un personnage féminin, la protagoniste a une relation homosexuelle.

Nous pouvons expliquer ce manque d’effort de la part des développeurs pour mieux inclure les personnages féminins comme une solution pour réduire les coûts de développement des jeux. Néanmoins, les discordances que peut créer, pour le joueur, le fait de choisir un personnage principal féminin agissent comme incitatif indirect à choisir un personnage masculin, cette situation contribuant

10 La notion de praxis a été longuement discutée en philosophie (Aristote, 1995, 1997 ; Marx, 1845 ; Arendt, 1958 ; Sartre, 1960) et nous ne l’explorons pas en détail dans ce mémoire. Cela dit, nous nous en inspirons pour décrire l’ensemble des actions d’un personnage quand il interagit avec son monde virtuel. Ses actions ayant une portée et des valeurs spécifiques peuvent avoir un effet structurant sur l’environnement du jeu. Par exemple, un personnage peut adopter une praxis violente ou diplomatique, ou une praxis porteuse d’idées contestataires ou conservatrices.

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à une annihilation symbolique de certaines caractéristiques associées à la féminité dans l’imaginaire vidéoludique en général, c’est-à-dire que la trame narrative de la majorité des jeux tient pour acquis que le personnage principal sera masculin. Cette situation fait aussi écho à ce que Trépanier-Jobin et Bonenfant désignent par le terme Ms. Male :

Ms. Male character as a feminine version of an existing male character, which game designers have modified by adding stereotypical, arbitrary and socially constructed markers of femininity such as long eyelashes, red lipstick, blush, pink outfits, bows, high heels, jewelry, beauty marks, etc. Instead of creating an original female character with her own features, game designers transform a male character into a female character by adding feminine attributes to the original body. (2017; 25-26)

Si ce concept concerne l’apparence d’un personnage, des situations similaires ont été observées concernant les actions et les interactions dans certains jeux par les protagonistes féminins (Thériault, 2017). Cela dit, ce refus d’adapter les jeux au sexe de leur protagoniste contribue à une annihilation symbolique de certaines caractéristiques associées à la féminité.

Dans le cas des antagonistes, uniquement 17,32 % des personnages sont des femmes. Ce type de rôle présente la plus petite proportion de personnages féminins. Il est difficile de cibler exactement pourquoi il y a moins de personnages féminins antagonistes, bien qu’une connaissance intuitive des stéréotypes en vigueur conduit à penser qu’un personnage féminin est plus difficile à imaginer comme étant cruel et violent, cela allant à l’opposé de la délicatesse et souplesse émotionnelle associées aux représentations les plus communes de la féminité.

Ce sont dans les rôles de personnages secondaires et de soutien que nous trouvons le plus de personnages féminins, soit entre 30 % et 31 %. Cette observation s’accorde aux constats de plusieurs autres recherches (Downs et Smith, 2010 ; Lynch et al., 2016). Cela dit, nous nous devons de souligner que ces rôles sont moins importants que ceux des protagonistes et des antagonistes dans la trame narrative. En ce sens, les personnages féminins dans ces rôles sont généralement moins développés et se réduisent à quelques récurrences caractéristiques. Nous nous trouvons alors avec des personnages qui peuvent manquer d’originalité et, par le fait même, qui ne contribuent pas à une plus grande diversité.

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Les personnages jouables Nous trouvons des personnages jouables autant chez les protagonistes, les antagonistes que chez les personnages de support. La jouabilité met en évidence l’importance d’un personnage pour le jeu et souligne ses motivations, favorisant ainsi le lien empathique qu’entretient le joueur avec le personnage. Dans notre corpus, 17,44 % des personnages sont jouables et seulement 2,94 % de ceux-ci sont des femmes. Autrement dit, il y a presque 5 fois plus de personnages jouables masculins.

Des pas vers l’avant ou un maintien du statu quo En résumé, quelques constatations peuvent être énoncées. Il est clair que les personnages féminins sont sous-représentés dans les jeux vidéo par rapport à leurs homologues masculins. De plus, les rôles où nous trouvons le plus souvent les femmes sont secondaires. Une question se pose quand même : est-ce que la situation s’est améliorée, s’est maintenue ou s’est détériorée ? En considérant que notre corpus ne comporte que des jeux produits dans une période de temps restreinte, la méthode que nous avons utilisée dans cette recherche ne permet pas d’apporter directement une réponse. Toutefois, l’étude de Lynch et al. (2016) démontre qu’il y a de plus en plus de représentations de femmes dans les jeux vidéo. Cependant, elles ne sont pas souvent des protagonistes, mais bien des personnages secondaires, ce qui est en accord avec nos observations.

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Chapitre 6 – La division sexuelle du travail dans les jeux vidéo

Si nous voulons bien comprendre l’imaginaire du genre, nous ne pouvons éviter sa dimension socioprofessionnelle : elle est incontournable. La relation entre les catégories socioprofessionnelles et le genre a été longuement discutée dans une multitude d’angles. Nous pouvons parler du travail domestique, exécuté principalement par les femmes et qui n’est pas reconnu comme tel, de l’accès inégal à l’emploi, ou de la conciliation mariage travail-famille (Bereni et al, 2012). Dans le cas des jeux vidéo, nous l’abordons avec l’aide du concept de division sexuelle du travail, soit :

[…] la forme de division du travail social découlant des rapports sociaux de sexe ; cette forme est modulée historiquement et sociétalement. Elle a pour caractéristiques l’assignation prioritaire des hommes à la sphère productive et des femmes à la sphère reproductive ainsi que, simultanément, la captation par les hommes des fonctions à forte valeur sociale ajoutée (politiques, religieuses, militaires, etc.). (Kergoat, 2000 ; 36)

À l’origine, cette idée repose sur le postulat d’une complémentarité entre les sexes que refléterait la division sexuelle du travail. Nous nous trouvons ainsi avec des théories sur les chasseurs-cueilleurs où les femmes ont pour tâche de cueillir, car c’est une tâche avec peu de risque pour leur fonction de reproduction (Lee, 1968 ; Bird, 1999)11 et des hypothèses sur les raisons pour lesquelles les femmes devraient s’occuper de la cuisine (Wrangham et al., 1999). Cela dit, dans notre société contemporaine, la division sexuelle du travail ne se réduit pas uniquement à l’idéologie naturaliste de la complémentarité qui réduit le sexe féminin à la reproduction. Les femmes peuvent aussi occuper les mêmes professions que les hommes. Cependant, si on étudie la question avec un peu plus de profondeur, on s’aperçoit que la division sexuelle du travail continue d’expliquer un grand nombre de phénomènes, dont l’inégalité persistante dans le travail domestique, les soins aux enfants ou l’accès à certaines fonctions d’autorité, de même que l’iniquité salariale ou la répartition des sexes dans certains corps de métier.

En effet, même si les professions ne sont généralement pas réservées à un sexe, il y a quand même une séparation et une hiérarchisation qui se produit entre les emplois et les gens qui les occupent (Kergoat, 2000). D’une part, il y a des emplois qui sont occupés principalement par un sexe et d’autre

11 À titre indicatif, plusieurs sociétés ne suivent pas la logique selon laquelle les femmes sont réduites au rôle de cueilleuse, mais elles contribuent activement à la chasse (Dahlberg, 1983 ; Biesele et Barclay, 2001).

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part, les données continuent de confirmer que les emplois occupés par des hommes sont plus valorisés que ceux occupés par des femmes, notamment en termes de rémunération (Bereni et al., 2012). Les emplois suivant une logique du care, c’est-à-dire du travail de soin et de prise en charge d’enfants et d’adultes dépendants, sont occupés majoritairement par des femmes (Bereni et al., 2012). Nous reviendrons plus tard sur la situation des professions du care dans l’imaginaire vidéoludique.

Dans ce chapitre, nous discuterons quatre éléments. Nous verrons d’abord comment les classes socioprofessionnelles se manifestent dans les jeux vidéo. Puis, nous aborderons en deux temps comment la division sexuelle du travail se produit, soit en termes de séparation et de hiérarchisation. Finalement, nous regarderons comment l’imaginaire socioprofessionnel affecte l’imaginaire du genre dans les jeux.

Trois catégories de classes socioprofessionnelles Nous pouvons diviser les représentations des catégories socioprofessionnelles en trois ensembles : celles inspirées du réel, celles inspirées de la fiction et celles qui ont une fonction dans le gameplay. Dans les deux premiers cas, les catégories sont diégétiques dans le sens qu’elles sont une partie de la trame narrative et ajoutent à la composition identitaire des personnages. Dans le troisième cas, les classes ont une fonction de guide pour aider le joueur à comprendre le fonctionnement du jeu, généralement en spécifiant quel rôle un personnage a par rapport aux autres. Dans cette section, nous faisons l’inventaire des différentes catégories socioprofessionnelles qu’on trouve dans les jeux et s’il y a lieu, nous commentons ce qu’elles nous indiquent sur les praxis associées à un genre.

Les catégories inspirées du réel et de la fiction se distinguent l’une de l’autre par le fait que la première emprunte au réel les titres professionnels comme médecin, infirmière, militaire, mécanicien, etc., alors que la seconde utilise des titres qui n’ont pas, ou plutôt peu, de résonnance avec le réel de la vie sociale. C’est l’univers où les militaires sont des templiers, les médecins sont des prêtres doués de pouvoir provenant du divin et où les sorciers existent. Nous pouvons toutefois construire des « familles » regroupant les différentes classes socioprofessionnelles. Avant d’aller plus loin, il est important de mentionner que ces familles ne sont pas mutuellement exclusives ; certaines professions peuvent se trouver dans plusieurs familles et certains personnages peuvent avoir plusieurs professions.

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La plus importante de ces familles est celle des guerriers qui regroupe militaires, assassins, spécialistes des arts martiaux, etc. Les termes décrivant les professions du combattant varient d’un jeu à un autre et ne sont pas forcément reliés à un domaine martial. Par exemple, le titre professionnel diégétique d’un guerrier peut être « Hunter », car il chasse des monstres (Bloodborne, 2015) et, dans d’autres cas, le personnage peut être un « détective » armé et prêt à se défendre (The Evil Within, 2014). La famille des guerriers n’est pas seulement la plus large, elle est aussi la plus présente au sein des personnages principaux. Selon, le classement des personnages précédemment établi, uniquement 25,4 % des protagonistes ne sont pas des guerriers et ces derniers font tous partie du même jeu, Lego Jurassic World. Ils sont en ce sens un cas unique qui a peu de poids pour discuter de l’imaginaire vidéoludique.

Cela dit, la surreprésentation de cette famille chez les protagonistes nous indique son importance symbolique. Les guerriers ont une praxis particulière par laquelle les personnages se réalisent dans un jeu et qui se résume généralement à présenter la violence comme la méthode pour progresser dans le jeu, la solution de prédilection pour surmonter les problèmes rencontrés. Si l’ensemble des actions qu’un personnage peut poser ne se résume pas toujours à la violence, les exemples de ces moments où le protagoniste use de diplomatie ou d’empathie pour résoudre une situation sont sporadiques et ne sont généralement pas encouragés par le gameplay. Autrement dit, le jeu contraint généralement le joueur à se battre, lui offrant rarement d’autres options. De plus, lorsque le personnage n’utilise pas la violence comme solution privilégiée, c’est souvent lors des cutscenes, soit en dehors du contrôle du joueur.

En termes de genre, la violence est traditionnellement associée à la masculinité (Kimmel, 1994 ; Vetterling-Braggin, 1982). Elle entretient aussi une relation étroite avec les autres caractéristiques associées à la masculinité. Que nous parlions de force, de confiance en soi ou de courage, ces caractéristiques se manifestent généralement par la violence du protagoniste, généralement à travers l’action qu’un combat implique. Cette mise de l’avant des héros masculinisés et violents implique deux choses. D’une part, les caractéristiques traditionnellement féminines comme l’empathie, la sensibilité, la compassion, la gentillesse, l’altruisme, etc. (Vetterling-Braggin, 1982 ; Murray, 2000), ne sont pas les principaux moyens utilisés pour résoudre des problèmes dans le jeu et sont plutôt mise en arrière- plan. En fait, comme mentionné plus haut, ces attitudes sont soit entièrement absentes, soit rarement utilisées, ou reléguées aux cutscenes à l’extérieur du gameplay. D’autre part, cette tendance force

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l’adoption de qualités masculines par les héroïnes, ou plutôt une « masculinisation » des personnages féminins. L’identité des protagonistes féminins est partiellement déterminée par leur classe socioprofessionnelle ; dans le cas des guerriers, l’identité des personnages féminins est marquée par les différentes caractéristiques associées à la masculinité traditionnelle. C’est un effacement des héroïnes non seulement en termes de quantité, mais aussi en termes de caractéristiques féminines. C’est l’adoption d’une praxis « masculine » stéréotypée comme étant le moyen préconisé pour résoudre des problèmes.

La famille économique/marchande est la deuxième plus grande famille. Elle regroupe l’ensemble des professions qui peuvent être associées à l’économie ou aux échanges marchands. Nous trouvons ainsi des personnages qui sont des artisans (forgerons, bijoutiers) ; qui proviennent du monde de la restauration et de l’hôtellerie (cuisiniers, barmans, maîtres d’hôtel) ; qui offrent leur service (guérisseurs, mécaniciens) ; ou qui relèvent du monde monétaire (banquiers, bookmakers). De plus, il n’y a pas de distinction significative entre les professions que les femmes et les hommes occupent dans la famille économique/marchande : il y a des mécaniciens et des mécaniciennes, des vendeurs et vendeuses d’armes, de bijoux, de potion, etc., des docteurs et des docteures en médecine, et ainsi de suite, même s’il existe de petites différences de proportion dans certaines catégories professionnelles. Par exemple, nous trouvons plus de femmes que d’hommes dans les professions associées aux cosmétiques et aux soins (nous reviendrons plus tard pour le cas des soins), ainsi que plus d’hommes que de femmes dans les professions associées aux armes et à la mécanique. Cela dit, en termes de nombre, la différence se compte sur les doigts des mains. En ce sens, il y a un effacement du genre dans cette famille socioprofessionnelle.

La famille intellectuelle réfère aux professions reposant sur le savoir académique ou sur des formes de sagesse. Nous y trouvons ainsi les scientifiques, médecins, ingénieurs, philosophes, clercs, l’ancien d’un village, etc. Comme avec les marchands, il n’y a pas de distinction claire entre les sexes. Il y a des personnages féminins et masculins dans chacune des professions existantes.

La famille du leadership comprend l’ensemble des personnages qui ont un rôle de leader. Elle regroupe l’ensemble des classes sociales dominantes où un personnage a du pouvoir sur un groupe de personnages. Elle regroupe des classes politiques comme les politiciens, les aristocrates, les monarques et autres dictateurs ou des classes économiques comme les bourgeois et le patronat. Encore une fois, il n’y pas de distinction entre les sexes.

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La famille du care se présente comme l’espace, ou la catégorie socioprofessionnelle, où les personnages féminins sont en nette majorité. Le care est

[…] un terme anglophone qui renvoie à tout le travail de soin et de prise en charge (matérielle et psychologique) des enfants, des personnes âgées et des adultes dépendants (malade, handicapé), quelles que soient ses conditions de réalisation (travail bénévole, ou rémunéré, réalisé par un membre de la famille, un proche ou quelqu’un d’extérieur). (Bereni et al., 2012 ; 189)

Cette définition nous donne une bonne idée de ce que peuvent être les professions du care, mais la limite de ce qui en fait partie est plutôt subjective. Nous pouvons affirmer que le travail invisible des mères, la profession d’infirmière ou d’enseignante peuvent être considérés comme suivant la logique du care. Cependant, cette définition est étroite : le care dépasse la prise en charge des adultes dépendants et doit comprendre aussi les adultes indépendants. Jean Tronto réduit le care a quatre éléments (1994) :

• l’attention aux besoins des autres et la capacité de les prévoir ;

• prendre la responsabilité de soutenir l’individu dans le besoin ;

• la compétence de pouvoir soutenir l’individu ;

• le comportement réceptif à la situation de la personne qu’on soutient.

En ce sens, la catégorie du care, telle que nous l’avons adaptée à l’univers des jeux vidéo, peut inclure des professions comme celles de secrétaire, de majordome, de gardienne de maison, de médecin ou d’hôtelier.

Dans les jeux vidéo, nous trouvons l’ensemble des professions du care citées plus haut. Cette famille socioprofessionnelle est la seule mettant de l’avant une praxis associée à la féminité. Les personnages faisant partie de cette famille ne sont jamais des personnages principaux et ils sont toujours réduits à un rôle de soutien ou secondaire. Autrement dit, ils sont en quelque sorte invisibles, facilement oubliables, sans ou avec peu d’importance pour la trame narrative.

Il y a d’autres professions comme les criminels, les messagers, les journalistes ou les prophètes, mais elles sont rares et peuvent difficilement être regroupées en famille. De plus, au même titre que la famille

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marchande, intellectuelle et du leadership, il n’y a pas de distinction précise entre les sexes dans la représentation vidéoludique de ces professions.

Les classes socioprofessionnelles dans le gameplay Nous pouvons diviser les classes socioprofessionnelles provenant du gameplay en deux catégories, celles touchant les personnages principaux et de soutien et celles touchant les personnages secondaires. Dans le cas des classes des personnages principaux et de soutien, l’ensemble des rôles ont une fonction dans les combats. Les développeurs ont eux-mêmes classifié les personnages jouables selon différentes catégories à partir desquelles nous avons construit quatre familles professionnelles (la famille offensive, celle défensive, celle du soutien et celle spécialiste). La famille offensive est celle qui regroupe toutes les formes de guerrier et sa fonction est de faire des dommages chez les adversaires. La famille défensive se réduit généralement au rôle du « tank » et a pour fonction de protéger les membres de son équipe en absorbant les dommages. La famille du soutien tente de soutenir son équipe en les protégeant avec des habilités spécialisées et en les soignant. Nous pouvons facilement voir le parallèle avec la logique du care. La famille des spécialistes contient tous les personnages trop uniques pour être inclus à l’une des trois autres familles. En termes de genre, il n’y a pas vraiment de différence entre les familles en question. Nous pouvons facilement trouver des personnages masculins et féminins dans chacune des catégories. En ce qui concerne les personnages secondaires, ils sont généralement des vendeurs ou des quest giver12. Encore une fois, nous trouvons les deux sexes dans les deux classes.

Première dimension de la division sexuelle du travail dans les jeux vidéo : question de répartition Si nous voulons réfléchir sur la division sexuelle du travail dans les jeux vidéo, nous devons aborder la manière dont se séparent les femmes et les hommes dans les différentes familles socioprofessionnelles. Cela dit, pour arriver à discuter de cette division, il faut d’abord considérer l’ensemble des personnages et non seulement les protagonistes. Cela dit, en ignorant les personnages dont le sexe relève d’un choix du joueur, les statistiques suivantes portent sur 676 personnages.

La famille des guerriers réunit 46,5 % des personnages, que ceux-ci soient jouables ou non. Sur ce pourcentage 17,9 % sont des femmes et 82,1 % sont des hommes. Cette proportion ne nous dit

12 Personnage non jouable donnant une quête au joueur.

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malheureusement pas grand-chose, outre que les hommes en tant que guerrier ont une visibilité nettement plus grande que les femmes. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la surreprésentation des personnages masculins implique que les hommes sont toujours le groupe majoritaire dans l’ensemble des familles socioprofessionnelles (sauf une, nous y reviendrons plus tard). Comparer les hommes aux femmes n’est pas la seule mesure que nous pouvons considérer pour comprendre comment la séparation se produit, nous pouvons aussi comparer les femmes aux autres femmes et faire de même avec les hommes. Dans le premier corpus, 27,9 % des femmes peuvent être considérées comme des guerrières, contre 54,3 % des hommes. Cet écart montre clairement la proximité que l’univers martial entretient avec la masculinité dans l’imaginaire vidéoludique – ce qui n’est pas très surprenant. Même dans les jeux vidéo où le combat se présente comme la praxis de prédilection, il y a quand même une différence qui s’approche de 30 points entre les hommes et les femmes, c’est-à-dire que les personnages combattants continuent d’être majoritairement masculins, alors que les autres types de personnages réunissent la majorité des représentations de femmes.

Dans le cas de la famille économique/marchande, 15,6 % des personnages du corpus en font partie. Sur ce pourcentage 39,3 % sont des femmes et 60,7 % sont des hommes. En comparant avec le même sexe, 20,6 % des femmes ont un rôle de marchande ou une profession qui est profondément lié à l’économie versus 13,5 % des hommes.

Dans le cas de la famille intellectuelle13, elle regroupe 22,8 % des personnages. Sur ce pourcentage, 32,7 % sont des femmes et 67,3 % sont des hommes. En comparant avec le même sexe, 25 % des femmes ont un rôle d’intellectuelles dans les jeux contre 21,8 % des hommes.

Dans le cas de la famille du leadership, 10,3 % des personnages occupent cette catégorie. Sur ce pourcentage, 40,8 % sont des femmes et 59,2 % sont des hommes. En comparant avec le même sexe, 14,2 % des femmes ont des rôles de leader versus 8,7 % des hommes, ce qui constitue une donnée intéressante.

13 Rappelons que ces catégories sont définies et précisées dans la section « Trois catégories de classes socioprofessionnelles ».

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La famille du care réunit 4,8 % des personnages, dont 75,7 % sont des femmes et 24,3 % sont des hommes. Il s’agit d’un certain renversement comparé aux cas précédents : même si les personnages féminins sont globalement en minorité dans les jeux, elles représentent la majorité des personnages associés aux professions du care. Si nous comparons avec le même sexe, 12,3 % des femmes ont un rôle en relation avec le care versus 1,7 % des hommes. C’est non seulement la première fois que nous avons un taux plus élevé de femmes que d’hommes, mais c’est aussi le taux le plus bas des hommes. Ces observations sont en accord avec le fait que les métiers du care sont associés à la féminité (Pinto, 1990 ; Bereni et al., 2012 ; Jenson, 1997).

Tableau 1 : Proportions des sexes dans les familles socioprofessionnelles diégétiques

Fréq. des Proportion par rapport au Familles Proportion selon le sexe personnages même sexe socioprofessionnelles dans la famille Femmes Hommes Femmes Hommes Guerrier 46.5 % 17.9 % 82.1 % 27.9 % 54.3 % Intellectuelle 22.8 % 32.7 % 67.3 % 25 % 21.8 % Économique 15.6 % 39.3 % 60.7 % 20.6 % 13.5 % Leadership 10.3 % 40.8 % 59.2 % 14.2 % 8.7 % Care 4.8 % 75.7 % 24.3 % 12.3 % 1.7 % Total 100 % 25 % 75 % 100 % 100 % Total (n) 676 169 507

Plusieurs remarques peuvent être faites sur ces statistiques qui ont été produites par la classification des personnages du corpus en fonction des « familles socio-professionnelles » précédemment définies. Premièrement, comme mentionné plus tôt, on constate une surreprésentation des personnages masculins dans toutes les familles, sauf celle du care. Cette situation crée une grande disproportion dans la visibilité différenciée selon le sexe dans la majorité des familles professionnelles, les personnages masculins représentant 59 % à 82 % des personnages dans les différentes familles. Nous voyons ainsi plus d’hommes en tant que guerriers, vendeurs, intellectuels ou dans des positions de leadership.

Deuxièmement, à l’exception des familles des guerriers et du care, les taux relatifs aux femmes ne sont jamais bien éloignés de ceux relatifs aux hommes : au plus nous avons 7,1 points d’écart chez les intellectuels. En ce sens, l’écart pour les familles socioprofessionnelles des intellectuels, des marchands et des leaders est moins grand.

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Troisièmement, si nous ordonnons les quatre premières familles socioprofessionnelles selon les taux de femmes et d’hommes, nous trouvons le même ordre pour les deux sexes, soit la famille des guerriers, la famille intellectuelle, la famille économique/marchande et finalement la famille du leadership. Les familles socioprofessionnelles ne semblent pas tant structurées par le système de genre, mais par l’imaginaire socioprofessionnel en général.

Finalement, la famille du care se présente comme une exception. Elle est l’une des moins visibles dans les jeux vidéo et les personnages en faisant partie sont généralement relégués à des rôles secondaires ou, au mieux, à des rôles de soutien. Elle est dominée par des personnages féminins, ce qui fait écho à la réalité sociale.

En ce qui concerne le gameplay, dans ce présent corpus où les jeux reposent principalement sur une trame narrative, presque l’ensemble des protagonistes fait partie de la famille offensive. Nous en trouvons une poignée pouvant être classée dans une autre famille et ces personnages font tous partie des mêmes jeux soit Final Fantasy XV et Jurassic Park.

Pour arriver à une meilleure compréhension de la séparation des sexes selon les classes tirées du gameplay, il est pertinent de jeter un regard à l’extérieur de notre corpus principal constitué des jeux les plus vendus en 2016, pour nous pencher brièvement sur certains jeux du second corpus proposant un autre style de conception : les MOBA14 (Massive Online Battle Arena). Le MOBA est un style de jeu où deux équipes s’affrontent dans une arène pour accomplir certains objectifs. Il y a deux éléments qui rendent ce style de jeu particulièrement intéressant. Premièrement, ces jeux sont actuellement très populaires : l’un des plus populaires, League of Legends, réunit plus de 27 millions joueurs quotidiennement et plus de 67 millions par mois (Riot Games, 2014). Deuxièmement, ces jeux ont une multitude de personnages jouables, parfois plus d’une centaine, et ceux-ci ont des rôles prédéterminés par les développeurs. Ce corpus comprend 260 personnages, parmi lesquels 64,6 % sont des hommes et 35,4 % des femmes.

14 Nous allons étudier les cas de trois MOBA dans ce chapitre, soit League of Legend, Heroes of the Storm et Overwatch. Ces jeux ont été sélectionnés dans la perspective d’offrir un regard sur l’univers vidéoludique qui soit complémentaire à celui fourni par l’analyse du corpus principal.

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65 % des personnages appartiennent à la famille offensive. 36,1 % de ces personnages sont des femmes et 63,9 % des hommes. En comparant avec le même sexe, 66,3 % des femmes occupent un rôle offensif versus 64,3 % des hommes.

14,2 % des personnages appartiennent à la famille défensive. 18,9 % des personnages sont des femmes et 81,1 % des hommes. En comparant avec le même sexe, 7,6 % des femmes occupent un rôle défensif versus 17,9 % des hommes.

13,5 % des personnages appartiennent à la famille du soutien. 54,3 % des personnages sont des femmes et 45,7 % des hommes. En comparant avec le même sexe, 20,7 % des femmes occupent un rôle de soutien versus 9,5 % des hommes.

7,3 % des personnages appartiennent à la famille des spécialistes. 26,3 % des personnages sont des femmes et 73,7 % des hommes. En comparant avec le même sexe, 5,4 % des femmes occupent un rôle de spécialiste versus 8,3 % des hommes.

Tableau 2 : Proportions des sexes dans les familles socioprofessionnelles reposant sur le gameplay

Fréq. des Proportion par rapport au Familles Proportion selon le sexe personnages même sexe socioprofessionnelles dans la famille Femmes Hommes Femmes Hommes Offensive 65 % 36.1 % 63.9 % 66.3 % 64.3 % Défensive 14,2 % 18.9 % 81.1 % 7.6 % 17.9 % Soutien 13.5 % 54.3 % 45.7 % 20.7 % 9.5 % Spécialiste 7,3 % 26.3 % 73.7 % 5.4 % 8.3 % Total 100 % 35 % 65 % 100 % 100 % Total (n) 260 91 169

Premièrement, l’ensemble des classes professionnelles associées aux personnages principaux dans le gameplay est orienté par rapport au combat. Cela dit, dans toutes les approches qu’un personnage peut adopter, celle de l’offensive est la plus récurrente. Elle est privilégiée par rapport à un gameplay plus défensif ou reposant sur le soutien d’autres personnages. En d’autres mots, en se penchant sur ce petit corpus, on peut remarquer une valorisation de l’agression. On pourrait maladroitement argumenter que les développeurs mettent de l’avant ce type de personnages, car ils croient que ce sont ceux que préfèrent les joueurs. Cependant, même si l’ensemble des personnages jouables sont

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conçus pour être intéressants, la dominance des types offensifs peut indiquer leur degré de valorisation par rapport aux autres types de personnages.

Deuxièmement, les familles spécialiste et défensive sont celles qui regroupent le moins de personnages féminins. En fait, nous pourrions dire que les femmes y sont rares. Sur un corpus de 260 personnages, nous trouvons uniquement 12 personnages féminins dans ces familles à l’opposé des 34 personnages masculins, soit presque trois fois moins.

Troisièmement, au même titre que les familles socioprofessionnelles diégétiques, la classe du soutien, comme celle du care, est plus associée à la féminité et nous y observons ainsi une plus grande proportion de personnages féminins que masculins. Cependant, en termes de visibilité dans ce corpus, il y a seulement 3 personnages féminins de plus que leurs homologues masculins.

Hiérarchisation qualitative ? La seconde dimension de la division sexuelle du travail dans les jeux vidéo Pour compléter cette analyse sur la division sexuelle du travail dans les jeux, nous devons répondre à la question suivante : observe-t-on une hiérarchisation entre les classes socioprofessionnelles selon le genre ? Cette hiérarchisation peut se produire de deux manières : en fonction des personnes — et de leur sexe — ou en fonction des occupations professionnelles elles-mêmes et de leur association traditionnelle avec un genre.

D’un côté, au sein d’une même classe socioprofessionnelle, les sexes peuvent être hiérarchisés. Autrement dit, est-ce qu’un homme occupant le même poste qu’une femme est plus valorisé ou considéré supérieur ? Pour reprendre les mots de Bourdieu :

[…] les mêmes tâches peuvent être nobles et difficiles, quand elles sont réalisées par des hommes, ou insignifiantes et imperceptibles, faciles et futiles, quand elles sont accomplies par des femmes ; comme le rappelle la différence qui sépare le cuisinier de la cuisinière, le couturier de la couturière, il suffit que les hommes s’emparent de tâches réputées féminines et les accomplissent hors de la sphère privée pour qu’elles se trouvent par là ennoblies et transfigurées […] (1998 ; 86)

Nous n’avons trouvé aucun exemple de ce type de hiérarchisation dans ce corpus. Les personnages féminins ne sont jamais présentés comme étant moins compétents que les personnages masculins. Elles ne sont pas exclues systématiquement des positions traditionnellement masculines que sont celles du leadership, des intellectuels ou des guerriers. En fait, leurs compétences sont généralement

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mises de l’avant et présentées comme quelque chose de nécessaire pour rendre les personnages intéressants.

D’un autre côté, les classes socioprofessionnelles qui sont traditionnellement associées à un sexe peuvent être hiérarchisées les unes par rapport aux autres. Dans les sections précédentes, nous avons argumenté que la famille des guerriers/offensive peut être comprise comme associée à la masculinité et que la famille du care/soutien peut être associée à la féminité. Si nous réduisons la question de la hiérarchisation à ces deux familles, nous pouvons facilement voir que les professions martiales sont plus valorisées que celles du care. La famille des guerriers/offensive est non seulement celle de la majorité des personnages, mais aussi celle de prédilection pour les protagonistes. Les personnages occupant des professions du care sont à la fois rares et généralement réduits à un rôle secondaire.

Cependant, si nous considérons l’ensemble des familles socioprofessionnelles identifiées, il n’y a pas une hiérarchisation selon genre entre elles. En réalité, la famille martiale est nettement plus importante que les autres dans l’imaginaire vidéoludique. Cela dit, la famille « martiale » est la plus valorisée des familles et elle est traditionnellement associée à la masculinité.

La primauté de l’imaginaire socioprofessionnel sur celui du genre S’il y a clairement une relation entre le genre et le statut professionnel dans l’imaginaire vidéoludique, nous pouvons nous questionner sur lequel des deux est le plus structurant pour les jeux et leurs personnages.

Comme mentionné précédemment, la majorité des familles socioprofessionnelles n’est pas associée à un sexe spécifique, autrement que par le fait qu’il y aurait la surreprésentation des hommes en son sein : la surreprésentation masculine, ou sa sous-représentation, même majeure, ne nous semble pas suffisamment significative puisqu’elle advient dans un contexte de surreprésentation générale des hommes et des guerriers/combattants. S’il y a une hiérarchie entre les classes socioprofessionnelles, nous pouvons argumenter qu’elle n’est pas « causée » par le genre, même si la praxis valorisée est associée à la masculinité.

Au-delà de la division sexuelle du travail, l’impact de l’imaginaire socioprofessionnel touche aussi les interactions entre les personnages et leur monde. Cet imaginaire est la fondation sur laquelle repose l’identité d’une grande partie des personnages. Pour ne donner que quelques exemples, Cindy (Final

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Fantasy XV, 2016) est une mécanicienne ; son intérêt principal dans la vie est son amour pour les voitures : l’ensemble des interactions l’impliquant concerne la réparation ou l’amélioration d’une voiture. Elle parle aussi avec un accent qui pourrait être associé aux Rednecks15 stéréotypés. Son rôle dans le gameplay nécessite qu’elle soit mécanicienne. Elle n’est donc pas une mécanicienne parce qu’elle est Redneck, mais elle est une Redneck parce qu’elle est mécanicienne. Sonya Blade (Mortal Kombat X, 2015) est une militaire. Elle se distingue par son autorité, même auprès des membres de sa famille ; elle maintient l’ordre et une structure militaire dans les différentes facettes de sa vie ; elle priorise son devoir de soldat par-dessus sa famille. Rosa Manuela (Just Cause 3, 2015) est une politicienne. Encore une fois, l’ensemble de son personnage est construit autour de cette idée. Son apparence, son groupe d’âge (50-60 ans) et sa tenue vestimentaire (pantalon, veston) semblent avoir été choisis pour illustrer sa profession ; elle semble constamment en campagne électorale, se déplaçant en serrant la main des différents personnages, son électorat, et présentant ses différentes idées politiques.

Cette primauté de l’imaginaire socioprofessionnel n’est toutefois pas une évacuation du genre. Elle est encore la fondation de deux familles socioprofessionnelles diégétiques et deux des familles du gameplay. Pour ce qui concerne l’identité des personnages, le genre est relégué à un rôle secondaire. Comme nous le verrons dans le dernier chapitre de l’analyse présentant les caractéristiques psychologiques, le genre a un impact hétéronormatif sur la construction des personnages et leur objectivation en tant qu’intérêt romantique.

15 Le terme Redneck réfère à une catégorie de gens provenant du Sud des États-Unis, qui sont politiquement réactionnaires. Un élément qui les distingue dans cette représentation stéréotypée est leur affection pour la mécanique !

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Chapitre 7 – L’intersection entre les systèmes sociaux de hiérarchisation

La question de l’intersectionnalité entre les différents systèmes de catégorisation, notamment entre le genre et la « race », est incontournable. Il est entièrement légitime de se poser la question suivante : qu’en est-il des personnages féminins et masculins qui sont, par exemple, représentés avec un phénotype minoritaire (car, il faut le dire d’emblée : l’écrasante majorité des personnages observés sont blancs) ou portant les signes ostentatoires d’une culture ou d’une religion particulière dans les jeux vidéo ?

Avant d’aller plus loin, définissons l’intersectionnalité. Dans son article de 1989, Demarginalizing the Intersection of Race and Sex, Kimberle Crenshaw développe le concept d’intersectionnalité. Pour reprendre ses mots :

I argue that Black women are sometimes excluded from feminist theory and antiracist policy discourse because both are predicated on a discrete set of experiences that often does not accurately reflect the interaction of race and gender. These problems of exclusion cannot be solved simply by including Black women within an already established analytical structure. Because the intersectional experience is greater than the sum of racism and sexism, any analysis that does not take intersectionality into account cannot sufficiently address the particular manner in which Black women are subordinated. (Crenshaw, 1989 ; 140)

L’intersectionnalité nous permet ainsi de comprendre les situations que vivent des groupes de gens se trouvant au croisement de différents axes de domination (race, genre, classe, etc.), des situations dont il est difficile de rendre compte autrement. Généralement, étudier un groupe par l’intermédiaire d’un seul axe conduit à tracer un portrait du groupe privilégié ou dominant. La situation que Crenshaw décrit est celle où les études utilisant uniquement le concept de genre décrivent généralement les situations de femmes blanches ; les études portant sur les relations raciales présentent les situations des hommes noirs. La raison principale pour laquelle ces concepts ne suffisent pas pour exprimer la situation des personnes prises dans une intersection est qu’ils se présentent comme universalistes. Ils ne traitent pas les groupes de personnes selon les particularités qui les distinguent, mais selon ce qu’ils ont en commun (un sexe, la couleur de leur peau ou leur classe socio-économique). L’intersectionnalité permet d’aller au-delà de ces particularités individuelles.

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Même si l’intersectionnalité est un outil efficace pour comprendre la matrice de domination, ce chapitre ne porte pas sur l’ensemble des possibilités, mais se réduit uniquement à l’intersection entre le genre et la « race » ou l’appartenance ethnoraciale. La raison derrière ce choix est que dans les jeux vidéo, la classe socio-économique n’est pas une dimension récurrente de l’identité des personnages. Ce qui s’en approche le plus est la famille socioprofessionnelle, dimension traitée au chapitre précédent.

Il y a trois approches méthodologiques pour aborder l’intersectionnalité ou, du moins, pour réduire sa complexité et la rendre intelligible (McCall, 2005). L’approche anticatégorique repose sur la déconstruction des catégories analytiques. La vie sociale étant trop complexe pour être réduite à une catégorie, déconstruire celle-ci nous permet de mieux comprendre la réalité. Puisque les catégories sociales (souvent stéréotypées) sont prises pour données dans les jeux vidéo, qui constituent des constructions fictionnelles, cette approche semble toutefois moins appropriée pour étudier le contenu vidéoludique.

L’approche intracatégorique reconnaît les défauts des catégories sociales existantes tout en reconnaissant leur importance dans la compréhension du monde social. Elle remet en question la manière dont ces catégories créent des frontières et des distinctions. Généralement, elle se penche sur un groupe pris dans une intersection spécifique et met en lumière les difficultés que vivent ses membres. Cette approche pourrait être pertinente pour l’étude des jeux si nous nous intéressions à un groupe spécifique, comme les femmes autochtones par exemple. Cependant, elle s’applique difficilement à ce corpus, puisque nous ne disposons pas d’un nombre suffisant d’exemples sur un cas particulier pour l’utiliser.

Finalement, l’approche intercatégorique considère que l’existence des inégalités dans la société est la base de l’intersectionnalité. Pour reprendre les mots de Leslie McCall :

The intercategorical approach (also referred to as the categorical approach) begins with the observation that there are relationships of inequality among already constituted social groups, as imperfect and ever changing as they are, and takes those relationships as the center of analysis. The main task of the categorical approach is to explicate those relationships, and doing so requires the provisional use of categories. (2005; 1784-1785)

En ce sens, cette approche ne remet pas en question l’existence des catégories sociales, mais elle cherche à comprendre la toile de relation les liant aux autres catégories. Il est important de noter que la visée de cette approche « is to be illustrative rather than exhaustive » (McCall, 2005 ; 1773).

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Dans le cas des jeux vidéo, nous allons principalement utiliser l’approche intercatégorique pour rendre compte de la situation de certains groupes et leurs relations à d’autres groupes. Ce chapitre se divise en deux segments. Nous présenterons dans un premier temps un portrait des groupes les plus importants et les situations dans lesquelles ils se trouvent. Puis, nous nous pencherons sur les situations particulières qui émergent de ce portrait. Finalement, nous ferons des commentaires critiques sur les limites de ce chapitre.

Un portrait des groupes racisés Nous parlons des groupes racisés et, par prudence, il semble important de différencier cette notion de celles de race et d’ethnie, car ces termes ne sont pas interchangeables et peuvent créer de la confusion (Morning, 2015). « Le terme de race a longtemps servi à désigner une subdivision de l’espèce humaine fondée sur des critères biologiques » (Hiernaux, 2010 ; 611), soit une manière de catégoriser les humains en suivant les principes de la classification linnéenne, appliquée depuis ledit Linée aux plantes et aux animaux non humains. Généralement pratiquée à partir de la couleur de la peau, cette catégorisation « produit » des « races » blanche, noire, jaune, etc. là même où règne l’absolue diversité. Nous n’allons pas plus loin ici sur les explications ou les usages politiques ou sociologiques d’un tel système de classification, mais pour reprendre les mots de Viktor Stoczkowski :

Il est d’usage de placer l’article « Race » dans les dictionnaires des sciences de l’homme pour se donner l’occasion d’affirmer que cette notion, inapplicable à l’humanité, y figure à titre de curiosité historique, qu’elle appartient à une époque révolue dont le souvenir ne mérite d’être rappelé que pour mieux en assurer l’opprobre. (2010 ; 821)

S’il ne fait aucun doute que la « race » comme notion scientifique est archaïque, voire dangereuse, son usage dans l’espace social permet de nommer ou de décrire une multitude de rapports de domination, dont le racisme. L’imaginaire vidéoludique mainstream n’est pas toujours sensible aux problèmes associés à cette situation dans la construction de l’identité des personnages.

À la différence, un groupe ethnique peut être défini comme : « a named social group based on perceptions of shared ancestry, cultural traditions, and common history that culturally distinguish that group from other groups » (Peoples et Bailey, 2012 ; 389). Nous pouvons rapidement constater que l’ethnie dépasse la réduction hâtive que constitue la racisation, en faisant référence à la culture. Un regroupement ou une identité ethnique n’a donc rien à voir a priori avec la couleur de la peau et repose ainsi sur un patrimoine culturel collectif, que ce soit la langue, les traditions, etc. Ainsi, les groupes

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ethniques constituent une forme de regroupement social s’appuyant souvent sur une distinction par rapport aux autres groupes ethniques. Fredrik Barth indique que :

When defined as an ascriptive and exclusive group, the nature of continuity of ethnic units is clear: it depends on the maintenance of a boundary. The cultural features that signal the boundary may change, and the cultural characteristics of the members may likewise be transformed, indeed, even the organizational form of the group may change - yet the fact of continuing dichotomization between members and outsiders allows us to specify the nature of continuity, and investigate the changing cultural form and content. (1969; 14)

Délimiter les différentes frontières des groupes ethniques dans les jeux vidéo est essentiel pour parler d’intersectionnalité. Ces frontières peuvent être la sonorité d’un nom, l’accent spécifique des personnages, leurs vêtements associés à une culture spécifique ou leur identification dans le jeu comme faisant partie d’un groupe ethnique spécifique. Un autre élément particulièrement délicat est la couleur de la peau des personnages.

Comme mentionné plus tôt, l’imaginaire vidéoludique utilise souvent le phénotype pour spécifier l’identité des personnages. En ce sens, si les développeurs construisent un personnage autochtone, ses cheveux ne seront généralement pas blonds et la couleur de sa peau ne sera pas blanche…

Même si cela est évident, il convient ici de rappeler que les jeux vidéo constituent des objets culturels fictionnels et que les « personnes » dont il est ici question sont des « personnages » dont la profondeur est limitée notamment par le fait qu’ils sont des images de synthèse, dont les caractéristiques sont, de plus, généralement stéréotypées. C’est d’ailleurs un problème que l’on trouve aussi du côté des représentations genrées. Il serait inconsistant de tenter de comprendre les appartenances « ethno- raciales » des personnages de jeux vidéo en rapport à la réalité de la vie humaine sur Terre (d’ailleurs, on trouve même des extraterrestres…) : il s’agit ici de comprendre comment agissent, ou non, les stéréotypes dans l’imaginaire vidéoludique.

En ce sens, les notions de « race » ou d’« ethnie » ne sont pas satisfaisantes pour décrire les groupes qui figurent dans les jeux vidéo. En effet, si une couleur de peau spécifique est parfois associée à des attributs ou des marqueurs culturels comme des vêtements ou des accessoires « typiques » d’une certaine identité ethnique, ce n’est pas toujours le cas. Certains personnages sont particulièrement typifiés de façon plus ou moins cohérente en regard de la réalité humaine (une Parisienne en redingote

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au XIXe siècle qui utilise un révolver, un Arabe en djellaba qui se bat avec un sabre, etc.), d’autres personnages, cependant plus rares, échappent à une représentation ethnoraciale stéréotypée.

Ce qui demeure le plus important est le fait suivant, que certaines données permettent de spécifier : les jeux vidéo présentent le plus souvent une « situation sociale » fictionnelle où l’identité ethnoraciale « par défaut » est blanche de peau et occidentale dans ses marqueurs culturels, les autres appartenances visibles sont, sauf exception, minoritaires, voire reléguées dans l’exotisme folklorique. En cela, il est difficile de ne pas conclure à une certaine disposition raciste de ces produits culturels. En effet, l’ensemble des stratégies de représentations mobilisées dans les jeux tend à créer des catégories réductrices qui ne sont en rien fidèles à la réalité et qui ne tentent pas de l’être. Nous n’étudions pas la réalité des groupes ethniques de l’Europe ou de l’Asie, mais bien la manière dont l’imaginaire vidéoludique construit des représentations de l’ethnicité.

Il existe aussi une ambiguïté quant à l’appartenance ethnique, voire raciale, de certains personnages16, cette incertitude se déclinant dans l’ensemble de leurs caractéristiques : leur nom n’évoque aucune consonance linguistique spécifique et leur apparence peut être interprétée de plusieurs manières différentes. Encore une fois, il est utile de rappeler que les jeux mettent parfois en scène des mondes inventés.

Cette ambiguïté pourrait aussi être expliquée par la logique marketing. Pour reprendre les mots d’Adrienne Shaw : « people want to see people “like them” in the media they consume. […] if you want people to watch/play/read something, you put people “like them” in it » (2014 ; 41). Les développeurs de jeux créent peut-être des personnages composites pour augmenter les chances que les joueurs s’y identifient.

À la recherche des intersections dans l’imaginaire des jeux vidéo : l’approche intercatégorique Comme mentionné dans l’introduction de ce chapitre, nous cherchons à comprendre l’intersection entre l’appartenance ethnoraciale et le genre dans la représentation des personnages des jeux vidéo, dans le but d’aller un peu plus loin au sujet de l’imaginaire du genre dans les jeux vidéo en mobilisant aussi l’approche intersectionnelle. Nous y arrivons avec l’aide de l’approche intercatégorique. En

16 Voir l’annexe 2 pour des exemples.

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abordant la répartition des sexes associés aux groupes racisés par rapport aux rôles narratifs, nous sommes capable de mettre en lumière les différences à l’intersection du genre et des groupes racisés. À la prochaine page, nous détaillerons les données sur lesquelles reposent nos constatations sur l’ensemble des personnages observés dans ce corpus, à l’exception des personnages dont le genre et l’identité ethnoraciale sont laissés au choix du joueur. Nous avons ainsi exclu 6 personnages sur 682, ce qui nous amène à un total de 676 personnages.

Pour traiter ces questions complexes, nous dérivons notre analyse des catégories proposées par Statistiques Canada et la législation fédérale, nonobstant les critiques sérieuses dont elles pourraient faire l’objet.

Selon la Loi sur l’équité en matière d’emploi, on entend par minorités visibles « les personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche ». Il s’agit principalement des groupes suivants : Sud-Asiatique, Chinois, Noir, Philippin, Latino-Américain, Arabe, Asiatique du Sud-Est, Asiatique occidental, Coréen et Japonais. (Turcotte et Savage, 2020)

Considérant le peu de précisions détenues sur les personnages, notre analyse s’attarde aux « minorités visibles et identifiables dans les jeux », en réunissant les catégories « asiatiques » en une seule (Sud-Asiatique, Chinois, Philippin, Asiatique du Sud-Est, Asiatique occidental, Coréen et Japonais). Concernant les types de personnages, nous avons détaillé nos données pour comprendre le nombre de protagonistes, d’antagonistes, de personnages de soutien.

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Tableau 3 : Sexes associés aux groupes racisés par rapport aux rôles narratifs

Toutes Protagonistes Antagonistes De soutien Secondaires catégories N // % N // % N // % N // % N // % Hommes 26 // 57,8 % 71 // 56,3 % 88 // 46,6 % 145 // 45,9 % 331 // 49 % blancs Femmes 8 // 17,8 % 16 // 12,7 % 44 // 23,3 % 69 // 21,8 % 138 // 20,4 % blanches Hommes 1 // 2,2 % 5 // 4,0 % 14 // 7,4 % 19 // 6,0 % 39 // 5,8 % noirs Femmes 1 // 2,2 % 0 // 0 % 2 // 1,1 % 2 // 0,6 % 5 // 0,7 % noires Hommes 7 // 15,6 % 4 // 3,2 % 2 // 1,1 % 5 // 1,6 % 18 // 2,7 % « asiatiques » Femmes 0 // 0 % 4 // 3,2 % 2 // 1,1 % 6 // 1,9 % 12 // 1,8 % « asiatiques » Hommes autres 1 // 2,2 % 2 // 1,6 % 8 // 4,2 % 6 // 1,9 % 19 // 2 ,8 % minorités visibles Femmes autres 0 // 0 % 0 // 0 % 5 // 2 % 3 // 0,9 % 7 // 1 % minorités visibles Autres (non- 1 // 2,2 % 24 // 19,0 % 24 // 12,7 % 61 // 19,3 % 109 // 16,1 % humains)

Totaux (n // %) 45 // 100 % 126 // 100 % 189 // 100 % 316 // 100 % 676 // 100 %

Sur l’ensemble des 676 personnages préformatés analysés sous cette dimension, 49 % sont des hommes blancs répondant majoritairement à des caractéristiques occidentales, c’est-à-dire sans attributs associés à une identité ethnique non occidentale, 20,4 % sont des femmes blanches, pour un total de 469 personnages de type « blanc occidental », soit près de 70 % des personnages décrits. 26 protagonistes sur 45 sont des hommes blancs, 8 sont des femmes blanches.

Concernant les « minorités visibles », la nature des images avec lesquelles nous travaillons contraint à une catégorisation approximative, d’où nous ne pouvons tirer que quelques conclusions. Les personnages à la peau noire représentent 6,5 % des personnages décrits, soit 39 hommes et 5 femmes. Parmi ces personnages masculins, un seul est un protagoniste (sur un total de 45) et 5 sont

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des antagonistes (sur un total de 126). Une seule femme noire occupe la catégorie des protagonistes, et les 4 autres personnages féminins à la peau noire se répartissent dans les catégories de soutien et secondaire. L’origine nationale ou l’appartenance ethnique de ces personnages est parfois indiquée, parfois non, et varie énormément.

L’autre catégorie ethnoraciale la plus représentée est le « type asiatique », avec toutes les variations qu’elle peut comporter. Il n’est certainement pas inutile de rappeler que l’industrie vidéoludique est vastement mondialisée et largement influencée par l’imagerie martiale asiatique. Il est alors intéressant de constater que sur les 676 personnages observés, seuls 30 correspondent à cette typification ethnoraciale, 18 hommes (dont 7 protagonistes) et 12 femmes, pour une représentativité totale de 4,5 % du corpus seulement.

Les autres personnages humains ou anthropomorphes se répartissent selon une diversité de phénotypes et de marqueurs culturels qu’il semble inutile de détailler ici. Mentionnons seulement, pour rendre justice à nos observations, que selon les représentations stéréotypées auxquelles nous avons accès, on trouve : 8 personnages d’apparence autochtone dans le corpus, 6 hommes et 2 femmes, dont un seul protagoniste (masculin) ; 8 personnages de type « arabe ou perse » (6 hommes, 2 femmes, aucun protagoniste) ; 9 personnages dont les attributs évoquent l’Inde (5 hommes, 4 femmes, aucun protagoniste).

Enfin, 109 personnages doivent être inclus dans une catégorie « autre », qui nous rappelle que l’imaginaire des jeux vidéo fait aussi appel à la fiction : il s’agit de monstres, d’animaux parlant ou non, d’objets animés, de créatures étranges, etc. Ces personnages constituent 16 % du corpus. Un seul est un protagoniste, 24 sont des antagonistes.

Quelques constats se dégagent de ces observations. La surreprésentation des personnages de type « blanc occidental » n’est pas la seule dimension de leur « supériorité » dans les jeux : ils sont également plus nombreux, en proportion, à agir comme personnages principaux (protagonistes ou antagonistes) et leur profil de personnage est plus travaillé, moins stéréotypé. Par exemple, il y a une multitude d’identités nationales et linguistiques parmi ces personnages : parfois, ils sont identifiés comme étant des Américains, des Anglais, des Français et, d’autres fois, ils sont présentés comme étant des hispanophones et c’est à nous d’imaginer leur origine nationale. Au contraire, les origines nationales des personnages non blancs sont moins diversifiées, plus en accord avec les stéréotypes

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qu’avec la diversité constatée sur Terre. Nous pouvons en déduire qu’il y a définitivement un axe de domination basé sur les identités racisées dans les représentations des personnages dans les jeux vidéo. Cette constatation nous indique que l’intersection entre les groupes racisés et le genre est une problématique bien réelle dans les jeux vidéo.

Un autre élément intéressant est que les identités racisées sont généralement réduites à des rôles tiers, à tel point qu’on pourrait avancer que leur fonction est d’ajouter un peu d’exotisme au scénario ou de répondre à une certaine exigence éthique de représentation de la « diversité ethnique » dans les jeux. C’est par exemple le cas de Longinus (Far Cry 4, 2014), un vendeur d’armes originaire d’Afrique, qui se retrouve dans un pays fictif situé dans l’Himalaya. Sa présence n’est pas contributoire à la cohérence du décor ou du scénario, par conséquent sa représentation racialisée pourrait remplir une exigence de diversité ou, plus simplement, n’avoir strictement aucune explication.

Si nous nous attardons aux protagonistes, en rappelant encore une fois l’importance de ces personnages en tant qu’indice de ce qui est valorisé dans l’imaginaire vidéoludique, nous observons que ces personnages sont majoritairement des hommes blancs ; les protagonistes féminins sont rares et elles sont, elles aussi, plus souvent blanches.

En fait, dans notre corpus constitué de 31 jeux parmi les 50 les plus vendus, comprenant 676 personnages, il n’y a qu’un seul protagoniste sur 45 qui soit féminin et non-blanc : Jacqui (Mortal Kombat X; 2015). Ce personnage est non seulement une femme noire, elle est aussi représentée comme un personnage physiquement fort, compétent, ayant de l’initiative et sensible à la réalité des autres ; ce qui a du sens dans son rôle de protagoniste. Jacqui n’est pas réduite à des stéréotypes ou à un second plan parce qu’elle est une femme noire. Autrement dit, la couleur de sa peau n’affecte pas négativement l’identité de ce personnage. Cependant, son statut d’exception apparaît significatif pour continuer de décrire l’imaginaire vidéoludique.

De plus, sa position de protagoniste et de femme noire ne sont pas les seuls éléments qui en font une exception. En effet, elle provient d’un jeu où le gameplay et la trame narrative offrent plusieurs protagonistes et personnages jouables. Mortal Kombat est un jeu de combat mettant l’accent sur sa dimension multijoueur. Ce type de jeu possède un large inventaire de personnages jouables et en jouant l’histoire, on passe à travers les arcs narratifs des différents protagonistes. Si Jacqui est bien la seule protagoniste forte provenant d’un groupe racisé, elle l’est dans le cadre d’un jeu où elle doit

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partager la vedette avec d’autres protagonistes (femmes blanches et hommes avec différentes identités racisées). Ajoutons qu’un jeu ayant un large inventaire de personnages fait généralement l’effort de les distinguer les uns des autres, et ce, pour une multitude de raisons. Que ce soit pour les rendre uniques, pour répondre à des pressions sociales d’inclure de la diversité, pour aider les joueurs à distinguer les différents personnages, ou pour créer un jeu plus amusant où les combats sont variés parce que les personnages sont très différents les uns des autres.

Au-delà de Jacqui, il y a une rareté associée aux personnages féminins noirs. En considérant que les personnages noirs constituent le deuxième groupe le plus représenté de personnages humains racisés après les personnages blancs, la proportion des femmes par rapport à leurs homologues masculins est la plus faible de l’ensemble des groupes racisés, soit 11,4 %.

En ce sens, il y a un effacement des femmes noires, et ce, plus que dans n’importe quels autres groupes racisés. Dans le cadre de ce corpus, la situation des autres groupes peut difficilement être décrite comme étant une problématique associée au genre, mais plus une problématique associée au racisme. L’ensemble des autres groupes, indépendamment du genre, est peu représenté ou quasi inexistant dans l’imaginaire vidéoludique selon ce qui se dégage du corpus des jeux les plus vendus.

Retour critique sur les limites de ce chapitre Avant de terminer ce chapitre, formulons trois commentaires critiques. Premièrement, est-ce que notre approche nous a vraiment permis de comprendre l’intersection ? Le seul endroit où nous avons réussi à nous approcher d’une intersection est dans la situation des personnages féminins noirs. La seule raison pour laquelle nous nous sommes permis de faire cette analyse est qu’il y avait un nombre plus large de personnages provenant de ce groupe racisé par rapport aux autres groupes minoritaires. Une critique possible de cette analyse est qu’elle est relativement superficielle et, en effet, elle devrait être considérée comme telle : c’est uniquement un indice qu’il existe des problématiques bien réelles à l’intersection du genre et des identités racisées, mais que ce présent corpus peut difficilement rendre compte de leur complexité. La seule chose que nous pouvons constater hors de tout doute est l’ensemble de privilèges dont jouissent les personnages masculins blancs : ils sont toujours les plus représentés dans l’ensemble des catégories narratives et ils sont aussi dans la position la plus valorisée, celle du protagoniste. La mise de l’avant de ces personnages démontre l’écart qualitatif entre eux et les autres groupes racisés.

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Deuxièmement, nous pouvons attribuer les problèmes discutés dans le paragraphe précédent à des limites méthodologiques reliées au corpus. Nous croyons qu’un corpus monté sur mesure pour observer un groupe genré racisé spécifique et l’approche intracatégorique est probablement le seul moyen efficace de rendre compte des intersections dans l’imaginaire vidéoludique.

Finalement, dans un autre ordre de pensée, nous aimerions aborder la situation des personnages dont l’apparence est laissée aux choix du joueur. Dans la majorité de ces cas, le joueur a l’option de choisir le sexe et une variété de teintes de peau. Cela dit, laisser aux joueurs la responsabilité d’introduire la diversité dans les jeux ne les force pas à être confrontés à la diversité, mais leur laisse seulement l’opportunité de la créer. En ce sens, cette option n’indique pas grand-chose sur l’imaginaire vidéoludique, outre que le fait que les compagnies refusent la responsabilité d’introduire des personnages significatifs provenant de diverses origines.

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Chapitre 8 – Les corps genrés

Pour reprendre les mots d’Erving Goffman, « When an individual enters the presence of others, they commonly seek to acquire information about him […] » (1956 ; 1). Ce processus n’est pas vraiment différent de celui d’une personne jouant à un jeu mettant en scène des personnages. L’image du corps est certainement l’un des éléments qui donnent la première impression d’un personnage. À partir de cette représentation superficielle, le joueur peut se dire s’il est joli ou laid, s’il a l’air fort, agile ou fragile et s’il lui manque un membre ou s’il a des cicatrices, en lui imaginant un passé mouvementé.

Cependant, c’est en conjonction avec son rôle dans le jeu et ses relations avec les autres personnages que nous pouvons comprendre si certains types de corps sont particulièrement valorisés. Dans le cadre de cette étude sur l’imaginaire du genre, il semble raisonnable de partir du point de vue selon lequel l’image du corps peut constituer un modèle de l’apparence idéalisée de la masculinité ou de la féminité, ou, à l’inverse, une contre-représentation ou un contre-idéal. Certains types de corps sont ainsi possiblement réduits aux rôles secondaires ou à une illustration caricaturale de l’apparence du fou, du comique, de la criminalité ou d’un personnage sans importance dans le scénario, celui qui ne se distingue pas. En ce sens, les jeux vidéo ne font pas que présenter le spectre des corps possibles dans l’imaginaire du genre, mais leur accordent une valeur sociale particulière.

Avant d’aller plus loin, il est important de définir ce qu’on entend par « corps ». Comme le mentionne Anastasia Meidani, cette notion n’a jamais été définie, parce qu’elle va de soi sous forme d’un accord tacite (2007 ; 13). D’un côté, le corps comprend toute la réalité biologique et, d’un autre côté, les significations associées aux pratiques corporelles individuelles que les gens utilisent par altérer leur apparence. Pour Meidani, « l’apparence » est l’esthétique résultant des pratiques sportives, alimentaires, vestimentaires et esthétiques (2007 ; 13). Parler du corps en termes d’apparence et de pratiques est une approche éclairante et utile pour aborder les jeux vidéo. Le corps n’est pas seulement la morphologie d’un personnage, mais comprend aussi son apparence vestimentaire (le port d’une robe, de talons hauts), ses choix esthétiques (maquillage, coupe de cheveux) et si le corps est celui d’un athlète ou non. La dimension des pratiques alimentaires n’est pas présente dans l’imaginaire vidéoludique et ne sera donc pas approfondie dans ce mémoire.

Si l’apparence est inséparable des pratiques la construisant, il n’est pas possible de comprendre l’image du corps en considérant seulement ce qui est vu, il faut aussi porter une attention à ce qui est

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décrit (Meidani, 2007 ; 26). Dans les jeux, les personnages sont des constructions complexes où l’apparence et l’identité sont généralement en adéquation. Ainsi pour comprendre ce qu’est un corps sportif, le corps que nous voyons doit être décrit comme étant sportif. Cette description vient généralement de la trame narrative, mais peut aussi provenir d’autres éléments comme les pratiques vestimentaires et esthétiques.

Finalement, les différentes parties du corps n’ont pas la même valeur. On peut remarquer deux segments hiérarchisés, la tête ou le visage et le reste du corps. La tête a une place particulière dû à nos traditions dominantes où « the very concept of body has been formed in opposition to that of the mind » (Jaggar et Bordo, 1989 ; 4). La tête étant le lieu où l’esprit réside, elle est considérée comme supérieure au reste du corps (Meidani, 2007 ; 26). En ce sens, l’apparence du visage ne peut être négligée et doit être soulignée dans cette analyse.

Dans ce chapitre, nous tentons de présenter les différentes images des corps identifiées dans le corpus de l’enquête. Pour y arriver, nous avons d’abord divisé les types de corps selon des groupes d’âge, soit celui du corps de l’enfant, du corps mature, du corps âgé et finalement du corps adulte. Il est difficile de faire plus de catégories, car l’imagerie du corps ne reproduit pas avec finesse les détails de la réalité. En d’autres termes, il est facile de distinguer un enfant d’un adulte ou d’une personne âgée, car il y a des traits physiologiques apparents qui sont propres à leur corps, mais on ne peut pas en dire autant pour la représentation d’un personnage dans la vingtaine ou dans la quarantaine. Parfois le personnage dans la quarantaine a un corps adulte et d’autres fois un corps mature.

Ensuite, nous verrons les images des corps marginaux dans l’imaginaire des jeux vidéo, soit ceux associés à un genre, mais se distinguant par leur rareté, et ceux des personnages dont l’identité de genre évoque une certaine fluidité, notamment les personnages associés à la communauté LGBTQ. Chacune de ces sections aborde la masculinité et la féminité en parallèle pour pouvoir facilement les comparer.

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Les images des corps enfantins Le corps de la jeune fille17 se distingue d’abord par sa cuteness (Genosko, 2005 ; Cerulo, 2016 ; Gould, 2018). L’idée est de rapprocher l’image d’un personnage de celle d’un bébé. Pour y arriver, la stratégie « involve (a) suppressing realistic detail, (b) exaggerating the cues of cuteness, and often (c) juxtaposing cuteness cues with images […] defined as ugly and dangerous » (Cerulo, 2016: 122). Dans le cas des images de la jeune fille, elles ont une large tête par rapport au reste de leur corps ; des yeux larges par rapport à la tête ; elles n’ont pas les seins, les hanches et les fesses développés. Cela dit, le visage présente tout de même des traits plus fins que ceux de leurs homologues masculins qui ont un visage plus rond. En plus d’incarner l’image de la cuteness, son association au genre féminin se manifeste par ses cheveux longs et des accessoires féminins comme les vêtements (robes, boucle en ruban dans les cheveux, etc.).

Tout comme pour le corps de la jeune fille, la majorité des images du corps du jeune garçon18 se définit par les caractéristiques de la cuteness. Que ce soit la dimension des yeux par rapport à la tête ou de la tête par rapport au corps. L’imagerie du corps du jeune garçon rappelle les traits d’un nouveau-né, soulignant généralement leur naïveté, ainsi que leur manque de compréhension de l’univers dans lequel il évolue. Ce que nous entendons par naïveté et par manque de compréhension se traduit par le fait que le jeune garçon apparaît souvent comme une manifestation de l’enfance d’un personnage adulte. Il est une version du personnage qui n’a pas vécu de traumatisme l’amenant à devenir un guerrier ou un militaire, un homme ayant une mission à accomplir.

Cette situation est beaucoup plus rare chez les personnages féminins. Uniquement deux personnages dans ce corpus ont des flash-backs dévoilant leur jeunesse et seulement l’un de ces deux personnages devient un guerrier endurci. Le flash-back de l’autre personnage permet de renforcer la dimension protectrice et maternelle de sa personnalité.

Le seul enfant ne se distinguant pas par sa cuteness est celui d’Eli l’enfant soldat (Metal Gear Solid 5, 2015)19. Ce dernier, ayant connu la dureté du monde, a des cicatrices et un regard sévère. L’ensemble

17 Voir l’annexe 3 pour des exemples. 18 Voir l’annexe 4 pour des exemples. 19 Voir l’annexe 5 pour des exemples.

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de son apparence vient renforcer le fait qu’il est colérique, impulsif, arrogant et qu’il a un problème avec l’autorité.

Les images des corps vieillissants L’imagerie du corps plus âgé peut prendre deux formes : « mature » et carrément « très âgé ». La première présente un corps ayant quelques signes de vieillesse comme des cheveux blancs, des petites rides, des bajoues, etc. Ces signes sont généralement visibles sur le visage du personnage, mais pas toujours sur son corps. Ces images incarnent soit l’entrée dans le troisième âge ou la beauté possible à un âge avancé.

Les personnages féminins20 faisant partie de ce groupe d’âge ne sont pas des retraités, mais des femmes encore sur le marché du travail. Leur apparence vestimentaire présente leur identité professionnelle, et ce, d’une manière très réaliste, sans sexualisation ou fantaisie. Leur corps nous offre une diversité de minceur, de la minceur élégante d’un top-modèle à celle d’une femme ordinaire.

Les corps des hommes matures21 présentent aussi des signes de vieillesse, mais sont également en bonne santé. Les hommes peuvent ainsi être petits ou grands ; minces, gros ou musclés ; avoir tous leurs cheveux ou faire de la calvitie. Le personnage de l’homme mature aura cependant toujours des rides et sera en possession de tous ses moyens, sa vieillesse ne limitant pas ses capacités physiques. Son apparence vestimentaire, tout comme pour les femmes, se plie à un imaginaire professionnel.

La seconde forme, les personnages « très âgés », met en avant-plan une vieillesse caricaturale se distinguant par l’abondance des rides sur le visage, des joues creuses ou des bajoues, ainsi qu’une fragilité du corps. Cette fragilité se matérialise par un dos courbé ou une maigreur maladive. Les femmes très âgées22 dans les jeux portent des vêtements ne mettant pas en avantage la féminité de leur corps, mais son aspect vénérable. Le port du châle (ou d’autres formes de foulard), pouvant parfois couvrir la tête, est un symbole récurrent distinguant leur qualité d’aînées.

Au même titre que pour leurs homologues féminins, les hommes très âgés23 se caractérisent par une exagération des mêmes signes de la vieillesse en plus de celui de la calvitie. Ces personnages ont

20 Voir l’annexe 6 pour des exemples. 21 Voir l’annexe 7 pour des exemples. 22 Voir l’annexe 8 pour des exemples. 23 Voir l’annexe 9 pour des exemples.

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parfois un handicap qui affecte leur mobilité ou leur capacité d’interagir avec leur monde. Ils sont ainsi parfois aveugles ou reposent sur une chaise avec l’incapacité d’utiliser leurs jambes.

Les images des corps adultes Le corps de l’adulte est le plus représenté dans l’imaginaire vidéoludique, en fait 71,8 % des personnages sont adultes. Il est aussi celui des personnages principaux et secondaires. L’apparence des personnages principaux, qu’ils soient dans le rôle du protagoniste ou d’un intérêt romantique de ce dernier, est généralement construite pour représenter l’image d’un corps idéal. De façon peu surprenante, ces personnages reprennent majoritairement les caractéristiques typiques des images publicitaires, le modèle de beauté standardisé de l’époque. Les protagonistes et les personnages qui font l’objet de leur intérêt romantique semblent reconduire les critères de l’industrie culturelle globale sur ce qu’on peut considérer désirable et beau.

En ce qui concerne l’apparence du corps féminin24, nous avons identifié trois principes directeurs l’orientant pour les personnages importants. Ces principes sont l’élégance, l’athlétisme et la cuteness, et ils ne sont pas mutuellement exclusifs. Ainsi, l’image d’un corps ne se réduit pas forcément à un seul principe, mais est généralement l’amalgame de deux principes.

L’élégance est de loin le principe le plus récurrent. Par élégance, nous entendons une apparence construite autour d’un style vestimentaire. Par exemple, Abigail Walker25 et Lunafreya26 ne se distinguent pas par des traits physiologiques particuliers, mais par leur style inspiré par la mode punk rock ou par le bon chic bon genre.

L’athlétisme dans les images du corps n’est en rien une reproduction de l’apparence des athlètes dans le monde réel, mais bien une construction de ce que devrait être un corps beau. Les personnages27 n’ont pas des épaules larges, leurs cuisses ne sont pas particulièrement musclées. Leur corps a environ les mêmes proportions que les personnages non athlétiques. Elles se distinguent généralement par des muscles plus définis, mais sans masse. En fait, ce n’est généralement pas tant l’image de leur corps qui indique que le personnage est athlétique, mais c’est le jeu qui le mentionne.

24 Voir l’annexe 10 pour des exemples. 25 Voir Abigail Walker dans l’annexe 11. 26 Voir Lunafreya dans l’annexe 12. 27 Voir l’annexe 13 pour des exemples.

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Lara Croft est athlétique, car elle est capable d’escalader des montagnes et de survivre dans n’importe quelles situations ; Jade Aldemir est une ancienne championne de kick-boxing ; Cassie Cage est une militaire et une athlète des arts martiaux. C’est ainsi que nous comprenons ce que l’imaginaire vidéoludique entend par un corps athlétique, soit un corps mince avec une musculature tonifiée, mais sans masse.

L’athlétisme et l’élégance vont généralement de pair et construisent un spectre du corps mince. Parfois, l’image du corps est construite en mettant de l’avant des caractéristiques reliées à l’athlétisme, alors que d’autres fois ces mêmes caractéristiques sont reléguées à un second plan. Cependant, en aucun temps le corps des personnages principaux n’est présenté comme uniquement élégant ou athlétique. Autrement dit, la minceur ne vient jamais sans muscles tonifiés et le corps athlétique n’est jamais dénué de style.

La cuteness, comme mentionnée plus tôt, est l’effort mis en place pour rapprocher l’apparence d’un personnage à celle d’un bébé ou d’un jeune enfant. L’idée est que l’image d’une chose cute déclenche une réaction émotive chez les individus la voyant (Genosko, 2005 ; Cerulo, 2016 ; Gould, 2018). Si ce principe a souvent été utilisé pour rendre des créatures non humaines ou anthropomorphiques tellement désirables qu’elles ont le pouvoir de réduire un individu à parler comme un bébé à leur vision, il s’est aussi imposé comme un type de corps idéal pour les femmes (Genosko, 2005). Dans l’imaginaire vidéoludique, le corps cute s’inspire de la Lolita. Le terme « Lolita » provient du roman du même nom de Vladimir Nabokov (1955) dans lequel une jeune fille de 12 ans est sexualisée. Cependant, le corps de la Lolita28 dans les jeux vidéo n’est pas celui d’un enfant de 12 ans, mais celui d’un personnage adulte ou s’approchant de l’âge adulte, probablement pour des raisons éthiques, évidentes.

Deux types de corps de Lolita se distinguent. Le premier est une caricature du corps d’un enfant29, celle d’une femme âgée ayant les caractéristiques d’une jeune fille. Elle est petite, n’a pas de seins ou en a de petits, a une large tête par rapport à son corps, a des yeux larges par rapport à sa tête et son corps et ses hanches sont plus larges que son tour de poitrine. Elles sont « Older Than They Look », soit un trope classique généralement utilisé pour rendre un personnage plus attractif ou pour réaliser

28 Voir l’annexe 14 pour des exemples. 29 Voir Chronoa dans l’annexe 14

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un fantasme légalement (TvTropes, 2018). Cela dit, dans ce corpus, nous ne trouvons qu’un seul personnage ayant ce type de corps et ce dernier n’est pas sexualisé ou présenté comme partenaire romantique.

Le second type est plus réaliste et représente généralement une adolescente approchant l’âge adulte30. Son corps est sexuellement mature et sa jeunesse se trahit par la dimension large de ses yeux par rapport à son visage et par son apparence vestimentaire, comme un uniforme scolaire. Si la construction de l’image d’un corps d’adolescent n’implique pas de facto son objectivation sexuelle, sa position comme partenaire romantique du protagoniste peut avoir le même effet. Présenter un personnage comme un idéal romantique, c’est le présenter comme ayant un physique idéal. C’est le cas de plusieurs personnages dans ce corpus. Si l’objectivation de l’image physique d’un personnage enfantin est critiquable, ce fantasme est légitimé dans les jeux via un protagoniste ou partenaire romantique qui a le même âge ou est légèrement plus vieux.

Au-delà de l’athlétisme, de l’élégance et de la cuteness, le corps de la femme peut être aussi conçu comme eye candy, objectifié pour le male gaze. Autrement dit, les corps féminins dans les productions culturelles sont souvent construits par les hommes et pour le regard des hommes dans une optique de plaisir scopophile31 (Mulvey, 1975).

Dans les jeux vidéo, ce sont les vêtements qui sexualisent principalement l’apparence de ces personnages32 en mettant en avant les courbes de leur corps. Généralement, il n’y a pas d’explication justifiant l’apparence d’un personnage dans la trame narrative, un personnage sexy n’a pas besoin de raison pour l’être. Cependant, le directeur de Metal Gear Solid 5 a senti le besoin de justifier l’apparence d’un personnage qui est seulement vêtu d’un bikini, de bas filets, ainsi que d’un harnais et de bottes militaires. Pour reprendre l’un des dialogues justifiant sa presque nudité : « She uh… refuses to wear clothes. […] She understands English, but she never speaks, sweats, or breathes. Well not with lungs at least, she breathes through her skin. Clothing would suffocate her. » (Metal Gear Solid 5, 2015). Il est intéressant de voir comment on utilise ici la trame narrative pour légitimer un choix artistique. Cela dit, les cas où le directeur utilise le scénario pour justifier ses choix entourant

30 Voir Iris Amicitia dans l’annexe 14 31 La scopophilie est l’équivalent du voyeurisme, sauf que l’observation de la sexualité d’autrui se fait ouvertement, sans honte, sans le besoin de se cacher pour le faire. 32 Voir l’annexe 15 pour des exemples.

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l’apparence d’un personnage principal sont rares. Généralement, les personnages sexualisés sont secondaires et ont des professions à caractère sexuel, comme les prostitués où ladite profession constitue la justification de leur apparence sexualisée.

Il est important d’ajouter que si certains personnages sont des exemples extrêmes d’une objectivation sexuelle, la majorité des personnages principaux sont construits, dans une moindre mesure, avec l’idée qu’elles doivent posséder un certain sex-appeal. Il n’y a pas un seul exemple dans ce corpus où le corps d’un personnage principal n’est pas une adulte mince portant une tenue soulignant sa féminité. Sa féminité peut se traduire par ses courbes, par sa sexualité ou par des accessoires cosmétiques ou vestimentaires comme une robe ou des talons hauts.

À l’inverse des personnages féminins, le design des corps masculins ne se réduit pas à quelques principes spécifiques. Nous observons une pluralité de types de corps33 qui se caractérisent par leur minceur, leur athlétisme, leur musculature, leur embonpoint, leur grandeur, etc.

En plus de la multitude des types de corps masculins, les visages et les têtes des personnages masculins varient plus que ceux des personnages féminins. Les deux sexes partagent une grande variété de coupe de cheveux, mais les similitudes s’arrêtent là. Les personnages masculins ont non seulement l’avantage d’avoir des poils faciaux, ce qui multiplie les options de l’apparence de leur visage, mais ils ont aussi la possibilité de cacher leur visage avec un masque. Les personnages masculins ont plus souvent le visage camouflé que leurs homologues féminins, soit 7,1 % par rapport à 2,6 %.

Nous concevons deux raisons pouvant expliquer cet écart. Premièrement, il y a une grande différence de proportion entre les sexes dans l’échantillon. En considérant que 71,6 % des personnages sont exclusivement des hommes versus 27,1 % des femmes, l’utilisation du masque devient un raccourci créatif pour désigner les hommes. Le masque permet ainsi d’éviter que la majorité des personnages secondaires d’un jeu aient le même visage.

Cette hypothèse est supportée par les données qualitatives dans l’utilisation du masque selon le genre. Les personnages féminins34 portent le masque dans deux situations. Nous les trouvons soit dans un

33 Voir l’annexe 16 pour des exemples. 34 Voir l’annexe 17 pour des exemples

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contexte d’horreur où le masque est déshumanisant et ajoute à l’atmosphère terrifiante d’un jeu, ou comme un accessoire venant avec l’imaginaire d’une catégorie « socioprofessionnelle » comme le masque d’un ninja. En plus de ces raisons, l’utilisation du masque chez les personnages masculins sert aussi d’outil pour désigner des personnages génériques35 qui ne reviennent pas dans le jeu, ou des adversaires de base.

Deuxièmement, si nous partons de la prémisse que la conception des personnages féminins est soumise au male gaze, cacher le visage féminin vient potentiellement nuire à son objectivation sexuelle. Le visage en tant que partie du corps est l’une des plus importantes en ce qui concerne l’esthétique d’un personnage et le cacher sous un masque revient à brimer une opportunité de capitaliser sur son apparence. En ce sens, l’utilisation d’un masque dans le design d’une femme doit être plus qu’un simple raccourci créatif. Il doit apporter quelque chose au jeu ou au personnage, soit en renforçant l’atmosphère de ce premier ou l’identité de ce dernier.

La pluralité des types de corps masculin dont nous avons discuté dans les paragraphes précédents appartient à l’ensemble des personnages adultes, et ce, peu importe leur position dans le scénario du jeu. Si nous nous intéressons davantage aux protagonistes36, nous nous apercevons très rapidement que cette multitude de types s’efface pour faire place à un spectre beaucoup plus restreint. Le corps du héros n’est jamais gros ou gras, il est soit mince ou large et musclé, ou entre les deux. Toutefois, le corps uniquement mince chez les protagonistes est extrêmement rare. En excluant les personnages provenant du jeu Lego Jurassic World, car leur morphologie est difficile à déterminer, nous n’avons identifié qu’un seul personnage ayant un corps mince sans musculature visible. Tous les autres personnages ont des corps caractérisés par une musculature visible dans leur apparence.

Muscle raise a familiar paradox over the coming together of naturalness and performance which dyer has characterized in terms of the way in which muscles can function as both a naturalization of ‘male power and domination’ and as evidence precisely of the labor that has gone into that effect. (Dyer, 1982; 71)

Cette musculature est une manière de justifier visuellement les compétences des personnages à vaincre l’adversité. La musculature est ainsi une importante composante de la masculinité par la

35 Voir l’annexe 18 pour des exemples. 36 Voir l’annexe 19 pour des exemples.

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manière dont elle est utilisée pour expliquer la « supériorité » physique des hommes, et aussi la manière dont elle prescrit l’esthétique de l’apparence masculine.

Comme mentionné plus tôt, Les protagonistes sont généralement conçus pour plaire aux joueurs et sont ainsi des représentations de la beauté et de la masculinité idéale. Cependant, les types de corps valorisés dans l’imaginaire représentent un standard qui est difficilement atteignable par l’ensemble des gens, au même titre que le corps mince et athlétique des personnages féminins. Cela dit, si l’esthétique masculine désirable ne couvre pas une grande variété de corps, elle demeure plus souple que celle prescrite pour la féminité. L’apparence féminine varie selon le style vestimentaire d’un personnage, son corps reste toujours environ le même : mince avec une musculature ferme. L’homme masculin peut autant être mince avec peu de muscles que ressembler à un culturiste.

Au-delà de la diversité des corps masculins par rapport aux corps féminins, une étonnante similitude apparaît entre les deux sexes. La présence de cicatrices est visible presque autant chez les personnages masculins que féminins. En fait, 8,9 % de ces premiers ont des cicatrices visibles versus 5,2 % de ces dernières. Si l’on considère uniquement les protagonistes, les proportions s’inversent, 12 % des hommes ont des cicatrices versus 14 % des femmes. Cette similitude au niveau de l’apparence des personnages implique de poser une nouvelle question. Est-ce que les cicatrices ont des significations différentes selon le genre ? Selon Peter Lehman, les significations que les cicatrices revêtent varient selon le genre :

If, in fact, beauty is not the source of male power in patriarchal culture, then an acquired physical mark such as a scar that mark the aesthetic surface of the body should signify much differently on the male body than on the female body. In the cinema, a scar on a man’s face frequently enhances rather than detracts from his power, providing a sign that he has been tested in the violent and dangerous world of male action and has survived. He is not easily defeated or killed. He may not be perfect, but he perseveres. If he has done so in the past, he can do so again. Instead of (or, in the case of villains and enemies, in addition to) being ugly, he is more powerful for having been scarred. (2007; 70)

Ce passage est éclairant sur les significations des cicatrices pour la masculinité et leur relation avec la force. L’ensemble des personnages masculins de ce corpus se trouvent dans cette représentation où les cicatrices constituent des marques témoignant de leur talent de guerrier, ou une preuve qu’ils ont survécu à des épreuves de difficiles.

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Pour Lehman (2007), les cicatrices des personnages féminins ne témoignent pas de leurs compétences ou ne sont pas une preuve qu’ils ont survécu à des épreuves difficiles, mais bel et bien un handicap affectant leur beauté, leur capacité à être désirable et à trouver l’amour. Cependant, nos données montrent l’inverse. Au même titre que les hommes, les cicatrices chez les personnages féminins37 sont les marques de leur capacité à vaincre l’adversité. De plus, toutes les cicatrices n’affectent pas l’apparence de la même manière. Certaines sont subtiles et n’affectent pas vraiment la « beauté » d’un personnage, elles viennent juste donner de l’information sur ce dernier. D’autres sont incontournables : ce sont des cicatrices défigurant le visage d’un personnage et souvent l’histoire de ce dernier est construite autour de sa blessure. Ces cicatrices n’affectent pas la capacité d’un personnage féminin à trouver l’amour comme Lehman l’avait observé au cinéma. Ainsi, à l’opposé de la féminité représentée au cinéma, dans les jeux vidéo, les personnages féminins se rapprochent d’une masculinité traditionnelle : celle de l’homme fort qui surmonte les épreuves.

Les images des corps féminins et masculins : une représentation typique versus une pluralité de représentations Au final, s’il n’est pas possible d’affirmer que les images des corps féminins se réduisent à un type de physique, il y a définitivement une caractéristique physiologique dominante par son omniprésence. Qu’ils soient protagonistes de leur histoire, antagonistes ou personnages secondaires, les personnages féminins n’ont pas de ventre : ils ont un corps mince. Le concept Des filles en série de Martine Delveaux (2013) fait écho à nos observations. Les filles en série sont des personnages qui sont quasi identiques les uns aux autres. Les seules différences entre elles sont des détails dans leur apparence vestimentaire et dans leurs courbes légèrement distinctes. Elles sont une illusion de la perfection. La minceur chez les protagonistes féminins est ce standard de beauté produit et reproduit industriellement par les compagnies de jeux. À leur opposé, les personnages masculins sont présentés dans une plus grande diversité de type de corps : le physique des hommes ne se réduit pas à cette caractéristique essentielle qu’est la minceur.

37 Voir l’annexe 20 pour des exemples.

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Les images des autres corps : les grosses femmes et les hommes difformes Il existe quelques rares cas dans l’imagerie des corps qui se distinguent suffisamment pour justifier une section distincte. Pour commencer, nous n’avons identifié que sept personnages féminins38 dans ce corpus qui ne respectent pas cette tendance de la minceur. L’image du corps gros est celle d’une femme âgée d’au moins d’une cinquantaine d’années, avec un visage marqué de quelques rides et une large mâchoire. Ce type de corps n’est présent que dans cinq jeux. En d’autres termes, seulement 3,7 % des femmes n’ont pas un corps défini par leur minceur. Cette faible représentativité n’est pas le seul mécanisme qui rend invisible ce type de corps. Ces personnages sont généralement réduits à des rôles secondaires et ne sont présents que pendant un bref moment du jeu, quelques minutes au plus. Ce court temps à l’écran est un passage obligatoire pour le cheminement dans le jeu ou un dispositif pour faire progresser l’histoire et ces personnages ne refont pas d’apparition dans le reste de la trame narrative.

Les seuls corps masculins pouvant être considérés comme marginaux dans ce corpus sont ceux défigurés et difformes39. Ils apparaissent uniquement dans Mad Max, soit un jeu post-apocalyptique dans lequel leur apparence est justifiée par le contexte. Leur apparence les rend grotesques face à l’apparence charismatique du protagoniste, mais elle n’est en rien un handicap dans l’univers du jeu. Ces rares cas ne semblent pas être un indice pointant vers une dimension de l’imaginaire masculin du genre, mais semblent simplement le fruit d’un contexte spécifique présent dans un jeu unique.

Les rares images de la transidentité : ambiguïté, incognito et caricature Les personnages trans sont rares dans les jeux. En fait, il n’y a qu’un seul cas issu de notre premier corpus : un homme trans du nom de Ned Wynert. Cela dit, en puisant dans notre second corpus, nous avons trouvé plusieurs cas de personnages LGBTQ, que nous avons répartis sous trois catégories.

La première est celle des cas ambigus,40 qui se distingue par la construction de personnages qui présentent des amalgames de caractéristiques associées à la féminité ou à la masculinité. La féminité peut se manifester par la petite taille du personnage, sa minceur, un visage fin et un manque de pilosité.

38 Voir l’annexe 21 pour des exemples. 39 Voir l’annexe 22 pour des exemples. 40 Voir l’annexe 23 pour des exemples.

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La masculinité peut se présenter par la dimension du corps, l’absence de courbe et l’apparence vestimentaire. De plus, les vêtements, comme l’armure, permettent de camoufler les courbes féminines et d’augmenter la corpulence.

Il est intéressant de noter que l’ensemble des personnages ambigus trouvés dans cette enquête sont des hommes trans. De plus, l’ambiguïté donne une impression de « réalisme » où le personnage n’est pas conçu comme une blague pour divertir le joueur et n’est pas caché sous une apparence masculine. L’imagerie oblige le joueur à se questionner sur le sexe du personnage et le laisse dans le doute sans une confirmation narrative.

La seconde est celle des cas incognito,41 qui se distingue par l’apparence des personnages indiscernables des autres corps associés au même sexe. Ainsi, une femme trans est impossible à distinguer des autres personnages féminins en se basant uniquement sur l’image de son corps. Le seul moyen de la distinguer est de s’appuyer sur d’autres supports comme le texte narratif du jeu ou les commentaires des développeurs dans d’autres médias. À l’opposé des personnages ambigus, les personnages incognitos identifiés dans cette enquête sont tous des femmes trans. Leur apparence est soumise aux mêmes standards que n’importe quels autres personnages féminins.

Finalement, la troisième est celle des caricatures,42 qui se distingue par sa qualité humoristique. À titre indicatif, nous n’avons trouvé aucun personnage dans notre premier corpus présentant cette dimension caricaturale. Cependant, plusieurs cas existent dans le second corpus, même s’ils sont rares, justifiant l’importance de les inclure.

Il y a deux types de personnages caricaturaux qui, sans être forcément trans, se trouvent ailleurs sur le spectre du genre par rapport les deux positions classiques. D’une part, ce sont les personnages ayant des caractéristiques stéréotypiques exagérées associées à la féminité comme les drag-queens. Ces personnages font généralement de l’embonpoint et portent une grande quantité de maquillage et de bijoux.

L’accumulation d’éléments faisant référence à un seul et même univers a pour résultat de le rendre visible à tel point qu’il en devient une parodie, ou, tout du moins, une représentation théâtralisée et exagérée de « la féminité » qui fait écho à la notion de mascarade (Riviere, 1929), c’est-à-dire l’exagération des signes de féminité comme un

41 Voir l’annexe 24 pour des exemples. 42 Voir l’annexe 25 pour des exemples.

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masque, une performance, qui souligne ainsi le caractère socialement construit de cette dernière. (Coville, 2015 ; 61)

Il est important de mentionner qu’en aucun temps ces personnages ne sont présentés comme des hommes. Nous pouvons seulement déduire qu’ils le sont potentiellement à cause des références faites à la culture des drag-queens dans leur apparence.

D’autre part, il y a aussi des personnages mélangeant à la fois des caractéristiques « exclusivement » associées à la féminité ou à la masculinité. Il y a ainsi des personnages habillés avec des vêtements féminins et fiers de leur féminité, mais dissimulant sous un voile des poils faciaux ajoutant du ridicule à ces personnages. À l’inverse, il y a des personnages faisant de la calvitie et portant la barbe, mais se distinguant par une apparence vestimentaire colorée d’un rose clair, par des boucles d’oreilles ou du maquillage.

Il y a plusieurs commentaires à faire sur les personnages trans, leur position, ainsi que leur impact sur l’imaginaire du genre. Premièrement, nous pouvons aisément critiquer la rareté et, par le fait même, le manque de diversité des personnages LGBTQ en présentant deux arguments pour une plus grande diversité dans les jeux vidéo. D’abord, il est important de comprendre que les « representations are the material site for the exercise of, and struggle over, power » (Couldry, 2012 ; 30). En ce sens, les représentations dans les médias présentent différents groupes et les différentes manières qu’ils peuvent être perçus. De plus, l’absence de représentations peut contribuer à les rendre invisibles dans l’imaginaire populaire. Autrement dit, « how we are seen determines in part how we are treated; how we treat other is based on how we see them; such seeing comes from representation » (Dyer, 1993; 1). Les jeux vidéo portent des « media representations [which] play an important role in informing the ways in which we understand social, cultural, ethnic, and racial differences » (Davis et Gandy jr., 1999 ; 367). La diversité est ainsi importante pour que les gens faisant partie du groupe dominant puissent comprendre la réalité des groupes marginalisés et arrêtent de croire des stéréotypes oppressants (Williams et al., 2009).

Une autre raison pour inclure plus de représentation de ce type de personnage est de permettre aux personnes provenant de ces minorités de se sentir plus incluses en voyant des représentations de leur réalité (Cassell and Jenkins, Barbie to Mortal Kombat, 2000). Le problème avec cet argument comme Shaw le démontre est que les « Players identify with narratives above and beyond the physical characteristics of characters or avatars » (Shaw, 2014; 143). Son étude portait sur l’identification des

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joueurs faisant partie de la communauté LGBTQ avec les personnages des jeux vidéo. En ce sens, nous pouvons questionner l’argument de l’importance des représentations LGBTQ dans les jeux pour les joueurs faisant partie de cette communauté. Cela dit, Shaw ajoute aussi que beaucoup de personnes LGBTQ qui font leur coming out ne connaissent pas forcément d’autres personnes adoptant leur position. Les médias deviennent alors une source de renseignement pour comprendre qui ils sont : « In other words, if the body on-screen could be gay, pansexual, genderqueer, Chicana, old, young, or disabled and players wouldn't care, let's make it so. If they do care, then we might actually be able to have a more nuanced discussion of why representation matters in games. » (Shaw, 2014; 144)

Deuxièmement, la transidentité d’un personnage est rarement clairement énoncée dans un jeu : le travail repose sur les épaules du joueur. Il doit interpréter les indices dans l’apparence physique d’un personnage ou se plonger dans des sous-missions pour réussir à trouver des passages dans un jeu précisant la transidentité d’un personnage. Dans le cas des personnages incognito c’est encore plus difficile de trouver l’information, car elle n’est pas forcément incluse dans le jeu et peut se trouver à l’extérieur du jeu. Nous pouvons la retrouver dans une entrevue qu’un développeur donne à une revue ou dans un message Twitter. Sans cet effort de la part du joueur, ce dernier peut généralement finir un jeu sans prendre conscience de la présence des personnages trans.

Troisièmement, ces personnages ne sont jamais présentés négativement dans les jeux. Ils se réduisent généralement à une position de vendeur, de questgiver, ou de boss. Les images de leur corps ne font que renforcer leur position ou leur identité sans les dénigrer. En ce sens, ils peuvent être compris comme une forme de subversion présentant sous un jour neutre ce type d’apparence.

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Chapitre 9 – La question de la personnalité : la dernière pièce pour comprendre le genre hégémonique

Dans le chapitre précédent, nous avons examiné la manière dont les corps genrés étaient représentés. Nous portons maintenant le regard sur ce qui définit psychologiquement les personnages masculins et féminins dans les jeux vidéo. Plusieurs questions se posent sur ce thème. Est-ce que l’imaginaire vidéoludique reprend des définitions traditionnelles de la féminité et de la masculinité ou offre plutôt des définitions originales ? Est-ce que les personnages féminins et masculins ont des personnalités similaires ou distinctes ? Comment ces personnalités, en addition avec les images des corps genrés, forment une masculinité hégémonique et une féminité accentuée/hégémonique ?

Pour répondre à ces questions, nous commençons par identifier dans la littérature les traits psychologiques qui peuvent être associés au genre, même si la masculinité et la féminité sont des concepts socialement construits, et varient donc entre les individus, les communautés, les époques et les lieux. Comprendre les formes que ces constructions peuvent prendre dans la société occidentale constitue le point de départ de cette analyse. Puis, nous mettrons en relation les caractéristiques identifiées dans les jeux vidéo avec celles identifiées dans la littérature. Finalement, nous proposerons un modèle de masculinité et de féminité dominant dans l’imaginaire vidéoludique.

Les masculinités et les féminités Dû aux contraintes narratives, seuls les personnages principaux sont assez visibles pour identifier leurs caractéristiques psychologiques. Nous limitons ainsi cette analyse à ces personnages. La première étape est de comprendre les différentes formes de masculinité et de féminité et leurs relations entre elles. Pour y arriver, nous explorerons la théorie entourant la masculinité hégémonique et la féminité accentuée/hégémonique.

Dans l’ouvrage incontournable Stigma, Goffman écrit qu’il n’y a qu’un type d’homme valorisé par la société américaine sur tous les aspects :

a young, married, white, urban, northern heterosexual, Protestant father of college education, fully employed, of good complexion, weight and height, and a recent record in sports. Every American male tends to look out upon the world from this perspective... Any male who fails to qualify in anyone of these ways is likely to view himself... as unworthy, incomplete, and inferior. (1963 p. 128)

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Goffman décrit un exemple de ce qu’était la masculinité hégémonique en 1963, soit un modèle de ce que l’homme devait chercher à être ; un modèle couvrant l’ensemble de l’individu, de son apparence à sa personnalité en passant par les différentes activités qu’il pratique. Cela dit, la masculinité ne se réduit pas à sa forme hégémonique. Il n’y a pas une masculinité, mais des masculinités. Raewyn W. Connel et James W. Messerschmidt ont proposé une définition plus riche de ce concept :

Hegemonic masculinity was distinguished from other masculinities, especially subordinated masculinities. Hegemonic masculinity was not assumed to be normal in the statistical sense; only a minority of men might enact it. But it was certainly normative. It embodied the currently most honored way of being a man, it required all other men to position themselves in relation to it, and it ideologically legitimated the global subordination of women to men. (2005 ; 832)

Ainsi, il y a plusieurs autres formes de masculinité. Certaines sont alternatives, d’autres subordonnées. Il est important de comprendre que la notion de masculinité hégémonique est sociohistoriquement construite. Par cela, nous entendons qu’elle varie d’un environnement social à un autre et d’une époque à une autre, toujours au risque d’être remplacée par une masculinité alternative.

Par le passé, certains auteurs ont énuméré des caractéristiques de la masculinité hégémonique en Occident. Pour Patricia Cayo Sexton (1969), un homme devrait avoir une certaine robustesse du corps et de l’esprit, du courage, de l’autonomie, certaines formes d’agressivité, des compétences technologiques, de la solidarité et un sens de l’aventure. Pour Michael S. Kimmel (1974), un homme devrait être fort, capable, fiable, prospère et en contrôle. Plus tard, examinerons comment la masculinité hégémonique dans l’espace vidéoludique se situe par rapport à cette conception traditionnelle.

La féminité accentuée est pour Connell la contrepartie de la masculinité hégémonique, mais elle n’est en rien son équivalent : « [Emphasized femininity] is defined around compliance with this subordination and is oriented to accommodating the interests and desires of men. » (Connell, 1987 ; 184). D’une part, elle se présente comme le modèle privilégié de ce que la femme devrait être. D’autre part, Connell a décidé de ne pas appeler ce concept « féminité hégémonique » pour souligner le fait qu’il est dominé par la masculinité hégémonique comme toutes les autres formes de féminité et de masculinité. En ce sens, la féminité hégémonique n’est pas égale à la masculinité hégémonique.

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Le problème avec cette conception est qu’elle ne rend pas facilement compte des rapports de domination qu’elle entretient avec les autres formes de féminité. Le concept de féminité hégémonique a été utilisé des nombreuses fois43 dans la sociologie du sport « pour désigner la forme culturellement idéalisée de la féminité, forme qui participe à la domination des femmes et qui exerce une domination sur les autres formes de féminité. » (Courcy et al., 2006 ; 32). À partir de ce point, nous utilisons les termes de féminité hégémonique et de féminité accentuée comme des synonymes.

Par le passé, certains auteurs ont énuméré des caractéristiques de la féminité hégémonique en Occident. Pour Sally A. Cockerill et Colin Hardy (1987), une femme devrait avoir souci de son apparence, ainsi que de ses traits de personnalité, tels que la douceur et le romantisme. Pour Courcy et al. (2006), s’ajoutent à cet idéal stéréotypé la fragilité, la sensibilité et les bonnes manières. Pour Neill Korobov :

Broadly, traditional or ‘‘emphasized femininity’’ norms encourage female passivity, compliance with men’s sexual advances, an unremitting desire to have a romantic partner, a pressure to be sentimental and emotionally committed and caring, a pressure to attract the gaze of men, and a pressure to manufacture romantic feelings and mitigate unhappiness or abuse. (2011; 52-53)

Nous verrons dans les sections suivantes où se situe la féminité hégémonique par rapport à cette conception stéréotypée dans l’espace vidéoludique.

L’étude des caractéristiques psychologiques Avant de commencer cette analyse, un dernier détour s’impose. Comme mentionné précédemment, l’identification des caractéristiques psychologiques repose sur la subjectivité du chercheur. En d’autres termes, nous n’avons pas d’instrument spécialisé pour réussir à identifier une caractéristique psychologique sans l’ombre d’un doute. En ce sens, la seule chose à faire est d’offrir deux lignes directrices pour essayer de donner une certaine constance dans cette analyse des différents personnages.

Premièrement, nous ne proposons pas de définitions expertes des différentes caractéristiques identifiées. Nous expliquons plutôt notre propos en utilisant des définitions générales issues de dictionnaires de langue ; dans ce cas-ci, le dictionnaire Web de Larousse.

43 Notamment par Choi (2000), Courcy et al. (2006), Davis (1997), Krane (2001), Krane et al. (2004) et Lenskyj (1994).

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Deuxièmement, pour attribuer à un personnage une caractéristique, ce dernier doit se retrouver plusieurs fois dans des situations où il manifeste ladite caractéristique. En ce sens, un personnage ne sera pas décrit colérique s’il n’a été en colère qu’une seule fois dans le jeu. D’autres caractéristiques, comme l’intelligence, peuvent être identifiées par son attachement à une autre dimension comme la catégorie socioprofessionnelle. Par exemple, nous pouvons supposer qu’un scientifique ou qu’un ingénieur est intelligent.

Les masculinités et leurs personnalités Si nous voulons identifier la masculinité hégémonique, la meilleure manière pour y parvenir est d’observer les protagonistes des jeux. Ces personnages incarnent généralement le parangon de la masculinité. Plusieurs caractéristiques ont déjà été abordées, mais certaines se sont présentées comme étant plus structurantes, parfois, sous la forme d’une dichotomie.

Pour commencer, un protagoniste peut être introverti ou extraverti. Les personnes introverties ont une tendance à se replier sur eux-mêmes. Dans les jeux vidéo, ce sont des personnages qui se distinguent par le fait qu’ils s’expriment peu durant les dialogues. Ce sont aussi des personnages qui agissent comme s’ils étaient les seuls à pouvoir agir pour résoudre la situation au cœur de la trame narrative. Autrement dit, même s’ils ont souvent des alliés, c’est sur leurs épaules que repose le poids du monde. Parfois c’est parce qu’ils sont les plus compétents pour résoudre les problèmes (Metal Gear Solid 5, 2015), d’autres fois ils sont guidés par leur destin (Final Fantasy XV, 2016), à d’autres moments, leur statut socioprofessionnel implique qu’ils doivent passer à l’action (Mortal Kombat X, 2015), dans certains cas ils sont tout simplement les seuls présents capables d’améliorer la situation (: Advanced Warfare, 2014), ou ils peuvent avoir un désir de protéger les personnes qui leur sont chères (Metal Gear Solid 5, 2015 ; Final Fantasy XV, 2016). Il est possible de réduire cette tendance des personnages introvertis au sentiment du devoir. Un sentiment qui prend racine dans le contexte narratif du personnage ou dans une moralité. Ils font les choses qu’ils font parce que ce sont les bonnes choses à faire et parce qu’ils sont les mieux placés pour le faire.

Les personnages extravertis sont caractérisés par une fréquence élevée de conduites visant à établir des contacts sociaux. Ils le font généralement par le biais de l’arrogance. Ce sont des personnages qui ne perdent pas une chance de se vanter (Assassin Creed, 2014 ; 2014 ; 2015) ou de narguer les autres (Infamous Second Son, 2014). Cette arrogance démontre non seulement l’assurance et la

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confiance du personnage, mais elle se produit souvent avec une visée humoristique. Par exemple, quand le protagoniste d’Infamous Second Son obtient ses pouvoirs et devient pour la même raison un criminel, il dit : « Of course the only downside being... [a criminal with super power]. Nope can't think of anything; this is pretty freaking awesome ». Ces phrases sont généralement utilisées pour initier un dialogue ou prendre un rôle dominant dans le dialogue.

La seconde dichotomie est celle des personnages solitaires versus les personnages solidaires. Les personnages solitaires sont ceux qui cherchent à être seuls ou qui entreprennent des actions seuls. Les personnages solitaires se divisent en deux groupes : ceux qui ont des motivations égoïstes et ceux qui ont des motivations altruistes. Dans le premier groupe, ce sont des personnages qui tentent de se distancer des autres. Ils sont dans une logique où l’autre est une nuisance qui va les ralentir, ou une charge qu’ils ne veulent pas soutenir (Middle-earth: Shadow of Mordor, 2014; Mad Max, 2015). Dans le second groupe, ce sont des personnages qui refusent l’aide des autres pour les garder en dehors du danger (The Evil Within, 2014; Batman: Arkham Knight, 2015). Au même titre que les personnages extravertis, les personnages solitaires démontrent une certaine arrogance dans leur confidence et dans leur tendance à sous-estimer les personnages de soutien.

Les personnages solidaires sont ceux qui s’estiment liés à quelqu’un d’autre ou à un groupe par une responsabilité commune ou par des intérêts communs. Nous trouvons ces personnages dans des jeux avec un gameplay qui encourage la coopération avec les personnages de soutien et dans lesquels la trame narrative valorise les compétences de ces derniers. D’une part, cette valorisation se produit dans le dialogue et souligne l’apport du personnage de soutien pour surmonter une épreuve (Final Fantasy XV, 2016). D’autre part, ce type de motivations va dans le sens du bien commun ou du bien- être de son groupe. Deux extraits de Metal Gear Solid 5 (2015) expriment bien ce point. Dans le premier, le protagoniste rappelle à un personnage de soutien que les actions qu’ils entreprennent ne sont pas motivées par la vengeance, mais par l’amélioration du futur : « This isn't about the past. We're fighting for the future ». Dans le second extrait, le protagoniste arrête un combat entre des soldats et il est blessé dans l’incident : « We don't draw weapons on comrades. Look around you. This is your family ». Autrement dit, les personnages solidaires ont un sens du devoir développé pour protéger l’intégrité et le futur du groupe et sont capables de reconnaître l’apport des personnages de soutien.

La troisième dichotomie est celle existant entre les personnages sérieux et humoristiques. Les personnages sérieux sont ceux qui accordent une importance particulière à leur objectif : ils agissent

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conformément à ce qu’on attend d’eux. Ces personnages sont généralement introvertis. Leurs dialogues servent principalement à faire progresser le joueur dans la trame narrative. Les personnages de soutien permettent le développement du personnage, sa croissance (Batman : Arkham Knight, 2015 ; Final Fantasy XV, 2016) ou ils guident le joueur en présentant le prochain objectif dans le jeu (Call of duty, 2014; 2015).

Les personnages humoristiques sont capables de souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité. Dans le cas des protagonistes, l’humour s’appuie souvent sur les traits caractéristiques de leur masculinité. C’est un rappel constant qu’ils sont plus compétents et plus forts que les autres. Plusieurs personnages incorporent des manies humoristiques à petite échelle, ce qui leur donne plus de caractère, les rend plus aimables ou les distingue des autres personnages (Infamous Second Son, 2014 ; Assassin Creed, 2014 ; 2014 ; 2015). Quelques rares cas se présentent comme une caricature de la masculinité, un amalgame de stéréotypes machos : ils sont musclés, ils sont imbus d’eux-mêmes, ils se trouvent attirants (Mortal Kombat X, 2015 ; Just Cause 3, 2015).

La quatrième dichotomie se situe entre l’approche violente ou l’approche diplomatique par rapport à une situation donnée. D’un côté, un personnage violent est susceptible de recourir à la force brutale et est agressif. De l’autre côté, un personnage diplomatique a une habilité, une souplesse et fait preuve de prudence lorsqu’il conduit un entretien ou une affaire difficile. Dans le cadre des jeux vidéo, c’est une question de choix fait par le personnage quand il rentre dans un conflit. Va-t-il va prendre les armes et attaquer ; est-ce qu’il va tenter de raisonner son adversaire/opposant ; est-ce qu’il est invité à éviter le conflit ? Ces « choix » peuvent relever de la trame narrative et se produire durant les cutscenes ou être laissés à la discrétion du joueur lors du gameplay. Cela se produit en offrant textuellement un choix au joueur entre deux options (Infamous second son, 2014; Fall out, 2015) ou en encourageant les actions d’un joueur en lui offrant des récompenses quand il accomplit de « bonnes actions ». Par exemple, dans Metal Gear Solid 5 (2015), le personnage perd des points s’il tue les adversaires au lieu de les rendre inconscients.

Un des éléments importants est le fait que presque tous les personnages doivent user de violence d’une manière ou d’une autre. D’un côté, le protagoniste masculin n’est généralement pas sadique. À l’exception de Mortal Kombat X (2015) où le jeu met en spectacle une violence excessive, les personnages principaux ne sont pas présentés comme ayant une nature violente, s’il peut y avoir des séquences du jeu où ils le deviennent. De l’autre côté, aussi pacifique qu’un personnage puisse être,

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la manière dont les développeurs utilisent le gameplay pour faire progresser le joueur dans le jeu implique la plupart du temps que le protagoniste doive poser des gestes violents. Au final, la violence se présente comme le moyen absolu de régler les problèmes et apparaît indissociable de la représentation de la masculinité.

La cinquième et dernière dichotomie est celle existant entre l’impulsivité et l’intelligence. Le trait de l’impulsivité se présente chez une personne qui agit sous la poussée d’une force irrésistible, en l’absence de toute volonté réfléchie. Dans les jeux, les protagonises se présentent comme des personnages d’action. Quand une situation se produit, il n’y a pas de cutscene présentant une réflexion avant d’agir. Ils agissent avec violence pour s’assurer que la chose qui leur semble moralement juste se réalise. Dans certains cas, cette impulsivité se réalise aussi dans les relations avec les autres personnages, et cela, via des dialogues (Infamous Second Son, 2014 ; Mortal Kombat X, 2015 ; Assassin Creed, 2015). Par exemple, dans Assassin Creed (2015) le protagoniste critique l’impulsivité de son frère qui crée plus de problèmes qu’autre chose : « I have been repairing your mistakes, to much haste is too little speed ». De plus, l’impulsivité du protagoniste est toujours soulignée en mettant des personnages de soutien que nous pouvons qualifier d’intelligent. Par intelligent, nous entendons l’aptitude d’un être humain à s’adapter à une situation, à choisir des moyens d’action en fonction des circonstances.

De l’autre côté, les protagonistes intelligents sont loin d’être rares dans les jeux. Nous pouvons les identifier de trois façons différentes. Ils proposent des plans d’action durant les cutscenes (Call of Duty: Advanced Warfare, 2014). Le gameplay laisse au joueur l’option de concevoir ses propres stratégies pour progresser dans le jeu (Metal Gear Solid 5, 2015). Le protagoniste est textuellement décrit dans le jeu comme étant intelligent par un autre personnage (Batman : Arkham Knight, 2015). Cependant, cette « intelligence » ne permet généralement pas d’arriver à une solution différente que celle qu’un personnage impulsif adopterait. Au final, le chemin choisi est le plus souvent de confronter violemment les adversaires. Il y a quand même une distinction avec la violence impulsive : le jeu met alors en valeur le fait qu’un personnage ne doit pas agir sans penser, mais leurs réflexions sont rarement de nature éthique. Dans la majorité des cas, elles ne portent pas sur les conséquences des actions, mais sur la manière de les rendre efficientes et stratégiques. Cela dit, dans certains cas, l’intelligence d’un personnage lui permet de remettre en question la dimension politique de ses actions (Final Fantasy XV, 2016) ou la dimension éthique de ses gestes (Metal Gear Solid 5, 2015).

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Les personnalité-types masculines des protagonistes On observe des variances de personnalité-type aux croisements des dichotomies de ces caractéristiques. Par variance, nous entendons que les personnalité-types partagent plusieurs caractéristiques entre elles. En ce sens, nous présentons d’abord les personnalités qui découlent des personnages extravertis, puis celles qui découlent des personnages introvertis. En dehors des personnages du jeu Lego : Jurassic World (2015), l’ensemble des protagonistes sont des personnages d’action usant de violence.

Les personnages extravertis sont humoristiques, impulsifs et violents. Ils peuvent cependant être solitaires ou solidaires. Cela dit, cet aspect de leur personnalité n’est pas mis de l’avant et n’a pas beaucoup d’impact sur le caractère d’un protagoniste. Il y a deux variations de ce type de personnage. Le premier est équilibré, l’objectif étant de créer un personnage charismatique et « réaliste ». Ce sont des protagonistes qui sont forts, confiants, qui ont un sens de l’initiative et qui sont drôles.

Le second est une exagération qui tourne la masculinité en caricature : un personnage avec une musculature exagérée et une confiance complète. Celui-ci se trouve intelligent et sexy : il est meilleur que son adversaire et il le sait. L’environnement et les mouvements communiquent aussi son ridicule, rajoutant ainsi aux dimensions caricaturales et humoristiques de ce type de personnage. Dans le cas de Johnny Cage (Mortal Kombat X, 2015), une des techniques de combat du personnage est de faire le grand écart et de donner un coup de poing dans les parties génitales de son adversaire, un hommage à l’acteur Jean-Claude Van Damme dans le film Bloodsport (1988). Dans le cas de Rico Rodriguez (Just Cause, 2015), sa caricature des héros de films d’action se produit à travers des explosions, des gadgets à la et des cascades impossibles. L’environnement et les mouvements du personnage sont ainsi une extension de leur masculinité.

Les personnages introvertis sont présentés comme étant sérieux et intelligents. Parfois ils tentent de ne pas user de violence pour résoudre une situation, mais au final c’est toujours le chemin qu’ils choisissent d’emprunter. En ce sens, il n’y a pas vraiment de différence entre les personnalités qui se veulent diplomatiques et violentes. Là où la variation se produit, c’est entre les personnalités solitaires et solidaires. Les personnalités introverties et solidaires se distinguent par la valeur qu’elles accordent aux membres de leur équipe. Ce sont des personnages qui ont des limites et des faiblesses. Ils ne sont pas compétents dans toutes les sphères, ils le savent et ils s’appuient sur les autres.

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Les personnalités introverties et solitaires sont confiantes en leur capacité, et ce, peu importe les sphères. Même s’ils tentent de s’isoler en rejetant la compagnie des autres personnages, ils sont motivés par le désir de les protéger qu’ils soient des proches ou des inconnus dans le besoin.

Les féminités et leurs personnalités En faisant le même exercice avec les personnages féminins, nous avons identifié cinq groupes de caractéristiques. Cependant, à l’inverse des protagonistes masculins, nous pouvons difficilement les mettre en relation à travers des dichotomies : seuls deux groupes de caractéristiques peuvent être analysés dans une relation dichotomique.

Le premier groupe de caractéristiques est celui de la violence. À l’exception des protagonistes de Lego Jurassic World (2015), les personnages féminins sont aussi violents que leurs homologues masculins. À l’exception de Lara Croft (Rise of the Tomb Raider, 2015), la violence omniprésente fait partie du spectacle ou de l’ordinaire et n’est pas spécifiquement associée à un sexe. Autrement dit, on l’exagère pour en faire un spectacle (Mortal Kombat X, 2015) ou elle est présentée comme normale, comme quelque chose d’ordinaire qui va de soi dans le gameplay pour la progression du joueur dans le jeu.

Le cas de Lara Croft est différent, car la violence fait partie de sa personnalité, et ce, comme aucun autre protagoniste dans le jeu, même ses homologues masculins. On ne peut rendre compte de la violence pour ce personnage sans considérer la trilogie de 2013-2018 de ce jeu. Dans Tomb Raider (2013), Laura subit différents traumatismes : multiples blessures, ses amis se font tuer et elle subit une agression sexuelle. Elle doit faire face à ces traumatismes, apprendre à survivre, ainsi qu’à tuer. Vers la fin du jeu, elle décide de se venger en chassant et en tuant les personnages qui l’avaient mise dans ces situations traumatiques. Pendant que ses ennemis se sauvent, elle les poursuit en hurlant : « Run You bastard! I’m coming for you all! » (Tomb raider, 2013), sous-entendant qu’elle allait tous les tuer. Au cœur du Rise of the Tomb Raider (2015), Lara Croft est devenue confiante dans sa capacité de tuer et elle apprécie le faire. Ce qui est souligné textuellement par le dialogue avec son psychologue et précisé dans un commentaire d’un personnage de soutien et antagoniste :

Therapist : And did you enjoy taking control?

Lara : You mean killing, don’t you? Did I enjoy killing? I did it because I had no choice!

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Ana : Lara is avoiding the tough questions. It’s hard to tell if she’s merely being stubborn, or she’s actually frightened of the answers. By the end of this, she may have to face a hard truth about the kind of person she’s become.

Ce passage est soutenu par la capacité de Lara Croft à enlever une vie sans hésitation, même si c’est une personne proche d’elle. Dans Shadow of the Tomb Raider (2018) Lara boucle la boucle. Elle réalise les conséquences de ses actes et décide de changer sa vie. En d’autres mots, elle surmonte ses traumatismes.

Les lectures pouvant être faites de la violence chez Lara Croft sont multiples. Nous pouvons sympathiser avec sa situation et comprendre pourquoi elle est violente ; ignorer sa dimension violente parce qu’elle n’est pas visuellement plus explicite que dans un autre jeu ; ou nous pouvons voir ce jeu comme un commentaire sur le fait que des traumatismes peuvent rendre quelqu’un violent, d’où la nécessité de les surmonter. Au final, nous pouvons simplement dire que Lara Croft est une subversion de ce que peut être la violence pour un personnage féminin. Autrement dit, le personnage féminin n’est plus la victime de la violence, mais son producteur.

Le second groupe de caractéristiques est l’intelligence. Au même titre que pour les personnages masculins, un personnage intelligent se distingue par le fait qu’il planifie ses actions, même si la planification ne permet pas toujours d’emprunter un chemin moins violent. L’intelligence des personnages féminins ne se manifeste pas uniquement dans leur capacité à planifier, mais aussi dans leur curiosité. Ce sont des personnages qui sont présentés comme des archéologues ou autres scientifiques, leur curiosité est généralement une forte motivation dans l’intrigue du jeu (Rise of the Tomb Raider, 2015; Lego Jurassic World, 2015).

Le troisième groupe est celui des personnages responsables. Une personne responsable « est réfléchie, sérieuse, et prend en considération les conséquences de ses actes ». Si un personnage intelligent est motivé par sa curiosité et construit des stratégies avant de passer à l’action, un personnage responsable a un sens des responsabilités développé et considère les conséquences de ses actions. Ce sont des personnages qui ont un devoir moral d’arrêter une entité dangereuse (Rise of the Tomb Raider, 2015), des devoirs socioprofessionnels qu’ils doivent accomplir (Mortal Kombat X, 2015 ; Assassin’s Creed Syndicate, 2015), ou des personnages altruistes, attentionnés ou qui font preuve d’un instinct maternel (Lego Jurassic World, 2015).

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Finalement, une protagoniste peut être solidaire ou solitaire. Ces caractéristiques sont les mêmes que pour les personnages masculins répertoriées plus tôt. L’ensemble des protagonistes féminins à l’exception de Lara Croft sont solidaires. Leur gameplay repose en partie sur l’entraide et elles reconnaissent les forces des autres personnages. En effet, Lara Croft ne peut pas être considérée comme purement solitaire. Par exemple, elle a deux motivations la poussant à l’action : venger l’assassinat de son père et accomplir un devoir moral d’aider la communauté native de la région.

Les personnalité-types féminines des protagonistes Une des malheureuses conséquences du fait que les personnages féminins représentent une aussi petite proportion des protagonistes est que cela nous offre un portrait très limité d’une représentation idéale de la féminité, ce qui contribue à une invisibilité constitutive de la féminité dans l’univers des jeux vidéo. Cependant, nous pouvons aussi interpréter cet élément comme un manque de diversité. Nous verrons ainsi deux personnalités-types.

La première présente des personnages féminins forts, intelligents, compétents, confiants, qui ont un sens développé des responsabilités et qui n’ont pas peur d’utiliser la violence pour arriver à leurs fins. Ces dernières peuvent être solidaires ou solitaires, mais cette variation ne change pas vraiment la personnalité-type du personnage. Dans l’ensemble des cas, cette personnalité-type est l’équivalent de la personnalité-type masculine des personnages introvertis.

La seconde présente des personnages féminins qui sont encore une fois forts, intelligents, compétents et qui ont un sens développé des responsabilités, mais qui ne sont pas violents. L’ensemble de ces personnages font partie de Lego Jurassic World (2015). Nous pouvons argumenter que le contexte du jeu laisse peu de place pour un gameplay violent. Cela dit, d’autres jeux populaires présentent des personnages féminins non violents. Par exemple, dans Mirror’s Edge (2008) la protagoniste est capable de se battre, mais les adversaires sont tellement forts que ce n’est pas une option raisonnable. Le jeu encourage ainsi le joueur à éviter le combat et à désarmer l’adversaire plutôt qu’à le confronter. Au final, ce type de personnalité demeure rare : il est difficile de nommer d’autres exemples.

Nous nous trouvons donc avec la même situation que lors du chapitre sur les images du corps. Les personnages masculins exposent une plus grande diversité de ce qui est désirable. Les personnages féminins n’ont que deux options et les deux reprennent des caractéristiques qui sont associées à la masculinité, comme la force, l’intelligence, la confiance dans ses compétences, ainsi que la propension

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à utiliser la violence pour régler les conflits. D’un côté, ces caractéristiques ne sont pas la « propriété légitime » de la masculinité. Ce sont des qualités valorisées par la société et elles ne sont pas exclusives. Leur appropriation par des personnages féminins n’est pas une chose nouvelle et peut être perçue comme un signe d’émancipation, puisque ces caractéristiques sont socialement valorisées, bien qu’associées traditionnellement aux masculinités.

D’un autre côté, le fait que des qualités habituellement associées à la féminité, ou entrant dans une logique du care ne soit pas mises de l’avant chez les protagonistes, et ce, peu importe le sexe, peut être critiqué. L’empathie, la sympathie et le soutien ne sont jamais mis de l’avant comme caractéristiques centrales de la personnalité d’un personnage et ne sont jamais privilégiés comme solution pour résoudre des conflits ou progresser dans un jeu. Certains pourraient croire qu’il serait difficile de faire un jeu avec un gameplay ne reposant pas uniquement sur le combat. Cependant, Undertale (2015), un jeu indépendant, prouve l’inverse. Dans chaque affrontement, le jeu offre quatre options au joueur, soit fight, act, item et mercy. Quand le joueur clique sur act, le jeu propose d’autres options. Par exemple, le joueur peut discuter avec l’adversaire, lui serrer la main, lui faire un massage, etc. Il est alors invité à faire un mini jeu dans lequel il doit éviter des obstacles. À n’importe quel moment du combat, le joueur peut cliquer sur mercy pour savoir si l’adversaire est prêt à arrêter le combat. Autrement dit, c’est un mode de résolution de conflit reposant sur les interactions comme le dialogue et cherchant une compréhension mutuelle entre le protagoniste et son adversaire.

Les personnages de soutien, une pluralité de personnalités utilitaires Réduire aux protagonistes les masculinités et les féminités qu’on trouve dans les jeux vidéo ne rend pas justice à ces dernières. Il y a une pluralité de féminités et de masculinités différentes, mais elles ne sont pas autant valorisées que celles associées aux protagonistes. Le personnage se définissant en tant que parent protecteur et attentionné, une infirmière avec sensibilité pour le bien-être des autres, un escroc maladroit et stupide, un soûlon colérique et bagarreur, ou un cruel docteur faisant des expériences sur ses patients ne sont pas des choses rares. Cela dit, ces représentations genrées remplissent un rôle utilitaire dans le jeu. Elles peuvent être là pour produire un effet comique, être un antagoniste mineur qui souligne la position morale du protagoniste, un marchand avare vendant des équipements, ou une demoiselle en détresse soulignant les sensibilités du héros. Ces personnalités sont accessoires au développement des héros.

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De plus, cette diversité est passagère. La majorité des personnages de soutien, antagonistes et personnages secondaires ne restent pas à l’écran très longtemps. En ce sens, même s’ils montrent une diversité en termes de représentations de l’imaginaire du genre, ils n’ont pas beaucoup de visibilité et ne sont pas valorisés au même degré que les protagonistes.

Le genre hégémonique Dans les chapitres précédents, nous avons vu comment l’imaginaire du genre se manifestait au croisement des appartenances ethnoraciales et de l’imaginaire socioprofessionnel. Nous avons aussi vu comment les masculinités et les féminités se manifestaient à travers les images du corps et les caractéristiques psychologiques données aux personnages. Avec ces informations, nous sommes capables d’identifier la masculinité et la féminité hégémoniques promues dans la culture populaire vidéoludique.

Le genre hégémonique, et ce, peu importe le sexe, vient avec une identité racisée et une classe socioprofessionnelle particulière : la majorité des protagonistes sont présentés comme blancs et guerriers. S’ils ne le sont pas, ils se trouvent dans une zone d’ambiguïté qui laisse place à l’interprétation du joueur. Si le personnage est présenté comme un scientifique, il est définitivement capable d’user tout de même de violence pour se sortir d’une situation. D’un côté, l’imaginaire vidéoludique maintient une représentation très traditionnelle des personnages masculins. D’un autre côté, la construction de la féminité présente dans les jeux vidéo en est une où les personnages féminins partagent les mêmes compétences que les personnages masculins : usage expert de la violence, ingéniosité, débrouillardise et indépendance.

La masculinité hégémonique Nous pouvons réduire la masculinité hégémonique à sa forme la plus simple, soit la toughness. Pour Inness (1998) la toughness44 est la capacité d’un personnage à endurer des situations difficiles et à les surmonter. Cette résilience et cette ténacité se manifestent non seulement dans leur apparence physique, mais aussi dans leur attitude.

44 La signification et la connotation du terme anglais semblent évoquer beaucoup mieux la caractéristique décrite ; c’est pourquoi nous en privilégions l’usage.

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Physiquement, les protagonistes tough peuvent être définis par exemple par une musculature développée, des blessures, des vêtements déchirés ou militaires, etc., l’apparence transmettant cette idée qu’un personnage est capable d’endurer et de surmonter les épreuves qu’il affronte. Comme nous l’avons vu précédemment, les corps des protagonistes viennent tous avec une certaine musculature symbolisant cette toughness. Il y a des personnages élancés, musclés et athlétiques, d’autres avec une carrure imposante. Chacun de ces corps présente la compétence guerrière et acrobatique de surmonter l’adversité, que ce soit l’affrontement avec l’antagoniste ou l’escalade d’une montagne. Leur corps est souvent marqué par des cicatrices et d’autres blessures, comme si c’étaient des médailles témoignant de leur résistance. Les vêtements viennent ajouter une couche à l’apparence tough d’un personnage : tout ce qui fait référence à l’aspect guerrier, militaire ou post-apocalyptique est un indice témoignant des compétences du personnage.

Cette toughness se manifeste dans la bravoure, l’intelligence, la confiance en ses compétences, etc. Des attitudes négatives comme la violence et la colère peuvent être aussi une manifestation de la toughness. De plus, l’humour d’un personnage, le fait qu’il soit solidaire ou solitaire, qu’il soit introverti ou extraverti n’affecte pas sa toughness.

En fait, cette variété de corps et d’attitudes élargit le spectre de la toughness : elle est aussi marquée par l’humour, différents idéaux moraux, par la solidarité ou l’égocentrisme. Le personnage masculin peut être petit, grand, large et musclé, ou mince et élancé. Cela dit, même si cette masculinité n’est pas un modèle unique, elle offre tout de même des modèles qui ne sont pas facilement atteignables, voire inaccessibles dans la vie humaine réelle. Elle impliquerait, pour se réaliser dans la réalité, une culture du contrôle du corps qui demande de s’entraîner et de faire des diètes, comme des boxeurs devant faire une pesée avant un combat. D’un autre côté, nous pouvons argumenter qu’être tough n’est pas un standard souhaitable, car les caractéristiques mises de l’avant peuvent mettre de la pression sur les individus et être considérées éthiquement discutables, comme l’utilisation de la violence.

Les féminités accentuées « Masculinity » and « feminity » at least since the nineteenth century and arguably before, have been constructed through a process of mutual exclusion. One cannot simply add the historically feminine virtues to the historically masculine ones to yield a New Woman, a New Man, a new ethics, or a new culture. Even on the screen or on television, embodied in created characters like the Aliens heroine, the results is a parody. (Bordo, 1993 ; 174)

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Si nous pensions comme Susan R. Bordo, nous pourrions supposer que les jeux vidéo suivraient la même logique d’exclusion mutuelle pour la construction de la féminité hégémonique. Cela dit, il y a des signes que cette réalité est en train de s’effriter (Green, 1998) et que le modèle des filles tough prend de plus en plus de place dans les médias télévisuels (Inness, 1998). À l’inverse des propos de Bordo, ces féminités ne sont en rien des parodies. En ce sens, s’il y a dans les jeux vidéo des masculinités hégémoniques qui ne brisent pas le modèle traditionnel, la situation des personnages féminins est bien différente : elles embrassent elles aussi le modèle de la toughness.

En termes d’attitude, elles ont les mêmes caractéristiques que les personnages masculins. Elles n’ont pas peur de risquer leur vie, elles sont intelligentes et débrouillardes, elles ont confiance en leur capacité à surmonter les épreuves, et surtout, elles sont présentées comme aussi violentes que leurs homologues masculins. Ainsi, elles empruntent des caractéristiques à la masculinité, mais gardent certains aspects féminins. Elles peuvent faire preuve d’attention aux autres, être sensibles ou plus proches de leurs émotions, être moins agressives ou moins violentes que les protagonistes masculins. Ce n’est pas le cas dans les jeux vidéo. L’attitude des personnages féminins est très similaire à celle de leurs homologues masculins.

La seule différence marquée entre les sexes en tous points se situe au niveau de l’accent mis sur l’intelligence, laquelle se remarque dans les jeux où des protagonistes masculins et féminins peuvent être joués côte à côte. Les personnages féminins sont généralement présentés comme plus intelligents. Dans des jeux comme Assassin’s Creed : Syndicate (2015) et Mortal Kombat X (2015) l’ensemble des personnages féminins sont présentés comme plus rationnelles, plus stratégiques et plus responsables que leurs homologues masculins qui, à la différence, sont plus drôles, plus arrogants et plus impulsifs. Un dialogue entre la sœur et le frère d’Assassin’s Creed : Syndicate (2015) le démontre bien :

La sœur : You’re late […]. I have seen your handiwork across the city. Perhaps you should trust my judgment.

Le frère : I have been killing Starick henchmen. What have you been doing? […]

La sœur : I have been repairing your mistakes. Too much haste is too little speed.

Le frère : Don’t you quote father on me.

La sœur : That’s Plato […]

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Cet extrait rappelle que la sœur est plus responsable, plus stratégique et qu’elle connaît la littérature grecque contrairement à son frère. Dans d’autres jeux comme Fall Out 4 (2015), le joueur peut choisir le sexe du protagoniste. Le protagoniste masculin est un ex-militaire et le protagoniste féminin est un avocat. La classe socioprofessionnelle d’avocate peut être associée à intelligence.

Si la féminité traditionnelle ne se transpose pas dans l’attitude tough des personnages féminins, néanmoins elle dépasse leur apparence physique. Les protagonistes féminins ne portent pas autant de cicatrices. Leur apparence vestimentaire est similaire à celle de leurs homologues masculins et peut varier drastiquement d’une apparence militaire à celle d’une scientifique. L’apparence physique est le moment où l’on se fait rappeler qu’un personnage féminin dans les jeux vidéo ne peut pas être aussi tough qu’un personnage masculin, ou, du moins, si elle est aussi tough en action, elle ne l’est pas dans son apparence. La minceur reste la caractéristique invariable pour les personnages féminins et même si la musculature et l’athlétisme sont des signes de toughness, ce ne sont pas des caractéristiques que l’ensemble des personnages tough partagent. Les protagonistes féminins se plient à des standards de beauté pour le plaisir des yeux. Beaucoup de jeux vidéo sont soumis à un souci de réalisme et la toughness des personnages féminins ne se manifeste pas par la force physique, mais par la dextérité acrobatique. La force physique semble être une caractéristique qui, la plupart du temps, est réservée aux personnages masculins. Cela dit, personnellement en tant que joueur nous trouvons que les personnages féminins ne nous donnent pas l’impression d’être moins tough par leur apparence : du point de vue du joueur, il n’y a pas de différence entre jouer un personnage masculin ou féminin.

Si l’on compare la féminité hégémonique et la masculinité hégémonique telles que représentées dans les jeux vidéo afin de repérer l’imaginaire du genre dans ces univers, on remarque surtout qu’il n’y a pas beaucoup de variation dans la représentation de la féminité. Les corps sont très généralement minces avec quelques nuances au niveau du tour de hanche et de poitrine. Plusieurs des personnalités qui existent chez les personnages masculins sont inexistantes chez les protagonistes féminins. De plus, il y a une annihilation symbolique des caractéristiques positives provenant d’une féminité traditionnelle, comme l’empathie.

Au final, il est possible faire plusieurs lectures de la situation du genre hégémonique. Certains pourraient y voir une émancipation de la féminité traditionnelle. D’autres pourraient y voir la perte de qualités féminines suivant la logique du care qui sont importantes et qui doivent être valorisées. E

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considérant que les jeux sont encore développés principalement par des hommes45 (Weststar et Legault, 2015) et pour des hommes (Paaßen et al, 2017), il s’agit, à notre avis, surtout de la promotion d’un idéal romantique féminin. Cette intuition se situe dans la continuité de la réflexion de Laura Mulvey sur le Male Gaze (1975). Autrement dit, nous avançons que les développeurs construisent des personnages féminins désirables, qui représentent pour eux des idéaux de partenaire romantique, des femmes qui possèdent des caractéristiques qu’eux-mêmes apprécient ; des femmes assez compétentes, autonomes et indépendantes pour ne pas être un souci pour eux ; des femmes qui, par leurs réussites, peuvent devenir des symboles de fierté. Même si cette situation offre une féminité plus valorisée, elle n’est rien de plus qu’une objectivation de ce que les femmes devraient être : un objet romantique nécessitant peu d’attention ou d’efforts relationnels…

45 Selon un sondage de 2015 de l’IGDA (International Game Developers Association) fait auprès de 2 928 personnes, 95 % d’entre elles (référent = personnes) travaillent, travaillait, travailleront dans l’industrie vidéoludique et 5 % d’entre elles ont un travail ayant une certaine proximité de ce travail (domaine ?) (chercheurs étudiant les jeux vidéo, journalistes et critiques de jeux). Sur le plan géographique, 68 % des répondants ont leur emploi en Amérique du Nord, 17 % travaillent en Europe, 4 % en Australie et le reste du monde se sépare les points restants. 75 % des répondants se sont identifiés comme des hommes, 22 % comme des femmes et 3 % ne se considèrent ni comme homme ni comme femme. Au niveau de l’appartenance ethno-raciale, 76 % s’identifient comme blanc/Caucasien/Européen, 9 % comme Asiatique de l’Est, 7 % comme Hispanique/Latino et 3 % noir/Africain/Afro-Américain (Weststar et Legault, 2015).

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Conclusion

Durant notre enquête, nous avons cherché à répondre à la question suivante : quel est l’état de l’imaginaire du genre dans les jeux vidéo ? Nous avons ainsi voulu comprendre comment le genre structure les différentes représentations associées aux féminités et aux masculinités, ainsi que les relations les unissant dans la culture vidéoludique. Notre objectif n’étant pas de faire une histoire des représentations du genre dans les jeux, nous avons donc construit un corpus de jeux vidéo populaires récents pour peindre un portrait de l’imaginaire actuel. Pour y arriver, nous nous sommes donné une série d’objectifs de recherche pour guider notre enquête.

Le premier objectif était de comprendre les disparités, si elles existent, entre les personnages masculins et féminins en ce qui concerne l’importance de leur rôle dans les jeux vidéo. Par exemple, qu’en est-il de la proportion de personnages jouables parmi les protagonistes masculins et féminins ? Avec peu de surprise, la situation n’a pas vraiment changé depuis les premières études pourtant sur le genre dans les jeux vidéo. Le monde des jeux vidéo n’est pas spécialement progressiste en ce qui concerne la question du genre. Les personnages féminins ne représentent que 27,12 % des personnages et, dans le cas du rôle des protagonistes principaux, ce pourcentage descend à 17,64 %. La majorité du temps, les personnages féminins sont réduits à des rôles de soutien ou à des rôles secondaires. Autrement dit, la proportion des personnages de soutien et secondaires qui sont féminins est de 30 %. De plus, uniquement 16,8 % des personnages jouables sont féminins. Ce qu’on peut tirer de cette analyse, c’est que les personnages féminins sont largement sous-représentés dans les jeux vidéo.

Le second objectif était de comprendre la relation qui unit l’imaginaire socioprofessionnel et l’imaginaire du genre dans la culture vidéoludique à partir de l’étude de deux corpus, soit un total de 46 jeux, dont 950 personnages ont été étudiés. Nous avons supposé que cette relation était complexe et qu’il y avait une division sexuelle du travail spécifique remarquable dans l’imaginaire, que les sexes étaient associés fortement avec certaines professions ou que la relation unissant ces deux imaginaires affectait l’identité des personnages.

Néanmoins, nous avons été surpris. Si les professions suivant une logique du care sont définitivement associées à la féminité et les professions valorisant l’aspect guerrier associées à la masculinité, il n’y a pas de grandes différences entre les personnages féminins et masculins dans l’ensemble des autres

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familles socioprofessionnelles, que ce soit dans celles qui sont diégétiques ou celles associées au gameplay. La proportion de personnages féminins par rapport à leur propre sexe est similaire à celle des personnages masculins dans les familles diégétiques s’associant aux professions intellectuelles, marchandes et de leadership. Ces proportions sont encore plus étroites quand nous regardons les familles socioprofessionnelles associées au gameplay et que ce soit pour la catégorie offensive, défensive, de soutien ou spécialiste. Autrement dit, s’il y a une séparation qui se produit dans la division sexuelle du travail, elle se produit entre la famille des guerriers, celle du care et celle du soutien.

Au final, si nous excluons la famille des guerriers, celle du care et celle du soutien, il est impossible d’affirmer qu’il y a une hiérarchisation associée au genre entre les familles socioprofessionnelles. En fait, il y a une hiérarchisation, mais elle ne s’associe pas à la question du genre. L’importance de l’imaginaire socioprofessionnel dépasse celle du genre dans son l’impact sur la construction des personnages et de leurs identités : c’est plus souvent leur profession que leur sexe qui dicte qui sont les personnages.

Le troisième objectif concerne l’intersectionnalité. Est-ce que les personnages féminins provenant de groupes racisés particuliers sont représentés d’une manière différente ? Cette question a été difficile à répondre. La majorité des personnages sont des hommes qui peuvent être perçus comme étant blancs et si le protagoniste n’est pas un homme blanc, il est une femme blanche. À l’exception d’un protagoniste féminin noir, les personnages féminins racisées sont extrêmement rares et sont réduits à des rôles secondaires. On peut affirmer que cette représentation spécifique est marquée par cette rareté, qui glisse dans l’invisibilité par rapport aux personnages blancs.

Le quatrième objectif porte sur l’apparence des personnages. Même si les images des corps des personnages peuvent évoquer leur identité et leur histoire, leur apparence en relation avec leur rôle nous permet de répondre aux questions suivantes : qu’est-ce qui est valorisé comme standard de beauté ? Quel est le résultat de l’objectivation du corps ? Existe-t-il plusieurs modèles d’apparence valorisés pour la féminité et la masculinité ?

Le genre affecte drastiquement l’apparence des personnages dans l’imaginaire vidéoludique. Les personnages masculins ont une pluralité de modèles de corps à leur disposition, petits ou grands, minces ou gros, avec des cheveux ou chauves, avec une barbe ou fraîchement rasée. Le spectre des modèles du corps masculin est vaste et n’a comme seule limite l’imagination. L’imagerie des

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personnages féminins est totalement différente. Si on observe des corps variés chez les personnages féminins âgés, les personnages adultes ont accès à un modèle unique, celui du corps mince. Il existe plusieurs variations de ce modèle, les corps peuvent être petits ou grands, avoir des hanches larges ou non, avoir une grosse poitrine ou non, mais ce corps est toujours mince.

Parmi les personnages principaux, l’apparence d’un personnage féminin s’articule autour de trois critères : l’élégance, l’athlétisme et la cuteness. Ces trois éléments semblent délimiter ce qui est valorisé comme idéal de beauté féminin. L’élégance porte spécifiquement sur le style vestimentaire qui s’associe généralement à un courant de mode. L’athlétisme ne fait pas référence aux corps des athlètes féminins dans la réalité, mais aux proportions d’un corps tonifié, sans être trop musclé. La cuteness fait référence à une culture valorisant ce qui est jeune. Cela peut se présenter dans la proportion du corps, dans la tenue vestimentaire ou dans le mouvement d’un personnage. Au final, ce sont des images de corps fictifs qui tiennent plus de l’objectivation sexuelle que de la représentation réaliste.

Les personnages principaux masculins ont un spectre de corps qui est quand même plus vaste que celui de leurs homologues féminins, mais qui demeure tout de même restreint. Les protagonistes masculins ne sont jamais gros ou gras, leur corps est toujours mince ou athlétique ou large et musclé.

Le cinquième objectif de recherche concerne les personnalités des personnages, leurs caractéristiques et leurs attitudes. En effet, les traits de personnalité semblent souvent être un fondement sur lequel repose la logique du genre. Ce sont ces caractéristiques qui expliqueraient pourquoi une femme serait mieux équipée qu’un homme pour remplir une fonction spécifique et vice versa. En ce sens, si nous voulons présenter l’état du genre dans l’imaginaire vidéoludique, comprendre les personnalités des personnages est un incontournable.

Nous avons été surpris par notre terrain d’enquête. Nous nous attendions à voir une distinction claire entre les représentations de la féminité et de la masculinité dans les jeux vidéo. Cependant, ce n’était pas tout à fait le cas, spécialement chez les protagonistes et les personnages jouables. Les personnages féminins n’ont pas des personnalités qu’on pourrait associer à une féminité traditionnelle. En fait, la personnalité type féminine la plus dominante est celle présentant des personnages forts, intelligents, compétents, confiants en leur capacité et qui n’ont pas peur d’user de violence pour arriver

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à leurs fins. Il s’agit pratiquement d’une copie presque carbone de ce qui définit l’une des personnalités types masculines.

Nous pouvons interpréter cette situation de deux manières. D’un côté, c’est une masculinisation des personnages féminins et l’annihilation symbolique de caractéristiques associées à la féminité. D’un autre côté, nous pouvons interpréter cette situation comme l’appropriation de caractéristiques associées traditionnellement à la masculinité par les personnages féminins, et, en ce sens, nous pouvons interpréter cette situation comme une forme d’empowerment pour les femmes. Ces deux interprétations apparaissent ainsi, d’une certaine manière, paradoxales : elle reconduise la hiérarchisation patriarcale ou machiste de certaines qualités en faisant de celles-ci la voie de l’empowerment.

Quand un jeu met en scène au même moment des protagonistes féminins et masculins, les personnages féminins sont généralement présentés comme plus intelligents, sérieux et responsables que leurs homologues masculins, qui sont plus impulsifs et comiques.

L’analyse nous a conduit à identifier une représentation plutôt hégémonique du genre dans l’imaginaire vidéoludique et ce genre hégémonique a une couleur et une identité socioprofessionnelle dans l’imaginaire vidéoludique : blanc et guerrier.

Que nous regardions les personnages masculins ou féminins, ce sont des personnages qui brillent par leur toughness, soit leur capacité à endurer et surmonter les épreuves. Que ce soit par leur bravoure, leur intelligence, leur force, leur agilité ou leurs compétences expertes, cette toughness se manifeste non seulement dans leur caractère, mais aussi dans leur apparence physique.

La morphologie des corps des personnages masculins incarne cette toughness. Leur musculature démontre leur force ou leur agilité ; leur tenue vestimentaire présente leur statut professionnel de militaire, d’intellectuel, de chasseur de trésor, etc. ; et les personnages portent des cicatrices comme des médailles démontrant leur capacité à surmonter l’adversité. Il y a une multitude de types de corps masculins. En ce sens, les personnages ont une morphologie qui s’adapte aux besoins de l’histoire.

Au contraire, la morphologie des corps féminins n’incarne pas spécialement la toughness. Elle est plutôt arrimée au male gaze, objectifiée pour le plaisir du regard, même si leurs tenues vestimentaires peuvent incarner la toughness. Encore une fois, s’il y a un large spectre des représentations possibles

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de la masculinité, il n’y a que très peu d’options pour les féminités et ses options semblent être soumises au male gaze, pas seulement en termes d’objectification sexuelle, mais surtout en termes d’objectification romantique. Les protagonistes féminins sont présentés comme des femmes désirables, soient belles, intelligentes, débrouillardes, braves, etc. Elles sont des personnes qui peuvent suivre leur partenaire romantique dans ce qu’il aime, une compagne qui est un reflet de leur masculinité, mais qui est définie par un modèle très étroit de ce qui est attirant.

Au final, nous croyons que l’objectivation « romantique » des personnages féminins est un objet important à étudier. C’est un dépassement de l’objectivation sexuelle et un changement des attentes imposées aux femmes dans la culture vidéoludique. La popularité des jeux vidéo augmente constamment. Elle est l’une des industries culturelles les plus profitables. En ce sens, comprendre l’impact de l’objectivation romantique qui se produit dans l’imaginaire vidéoludique sur la communauté des joueurs et sur le reste de la société semble une piste de réflexion fascinante pour comprendre plus finement la manière dont l’imaginaire vidéoludique du genre se lie aux pratiques sociales réelles.

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Corpus de jeux vidéo 46

Assassin’s Creed Rogue, Ubisoft Sofia, Mikhail Lozanov, Spass Kroushkov et Martin Capel, 2014.

Assassin’s Creed Syndicate, Ubisoft Québec, Marc-Alexis Côté, Scott Phillips et Wesley Pincombe, 2015.

Assassin's Creed Unity, Ubisoft Montréal, Alexandre Amancio et Marc Albinet, 2014.

Batman : Arkham Knight, Rocksteady Studios, Sefton Hill, 2015.

Battlefield Hardline, , Ian Milham, 2015.

Bertie the brain, Josef Kates, 1950.*

Bloodborne, FromSoftware, Hidetaka Miyazaki, 2015.

Call of Duty: Advanced Warfare, , et , 2014.

Call of Duty: Black Ops 3, Treyarch, Jason Blundell et Dan Bunting, 2015.

Catherine, Atlus, Katshura Hashino et Kenichi Goto, 2011.*

Civilisation VI, Fireaxis Games, Ed Beach, 2016.*

Dark Souls II, FromSoftware, Tomohiro Shibuya et Yui Tanimura, 2014.

Destiny, Bungie, Jason Jones, 2014.

Dragon Age: Inquisition, BioWare, Mike Laidlaw, 2014.*

Dragon Ball: Xenoverse, Dimps, Yuda Kobayashi et Takeshi Sakamoto, 2015.

Dying light, Techland, Pawel Marchewka et Adrian Ciszewski, 2015.

Fairy Tail, Gust Studios, Umi Tanaka, 2020.*

46 Les jeux avec un astérisque appartiennent au second corpus.

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Fallout 4, Bethesda Game Studios, Todd Howard, 2015.

Far Cry 4, Ubisoft Montréal, Alex Hutchinson et Patrik Méthé, 2014.

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Annexe 1 – Sous-vêtements censurés

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Peach, Super Smash Bros, 2014

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Annexe 2 – Identités ethniques

Delsin, Infamous second son, 2014 Jade, Dying light, 2015

Noctis, Final Fantasy XV, 2016

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Annexe 3 – Les corps des jeunes filles

Lunafreya, Final Fantasy XV, 2016

Glory, Mad Max, 2015

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Clara, Assassin’s Creed Syndicate, 2015

131

Annexe 4 – Les corps des jeunes garçons

Noctis, Final Fantasy XV, 2016

Arno, Assassin’s Creed Unity, 2014

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Annexe 5 – Eli, l’enfant violent

Eli, Metal Gear Solide V : The Phantom Pain, 2015

133

Annexe 6 – Les corps des femmes matures

Mary Anne Disraeli, Assassin’s Creed Syndicate, 2015

Holly, Final Fantasy XV, 2016

134

Camelia, Fina Fantasy XV, 2016

135

Annexe 7 – Les corps des hommes matures

John Taylor, Call of Duty : Black Ops III, 2015

Imran Zere, Dying light, 2015 Jim Gordon, Batman: Arkham Knight, 2015

136

Sebastiano Di Ravello, Just Cause 3, 2015

137

Annexe 8 – Les corps des femmes âgées

Ezma, Final Fantasy XV, 2016

Mama Murphy, Fall out 4, 2015 Onatah, Assassin’s Creed Rogue, 2014

138

Annexe 9 – Les corps des hommes âgés

Karl Marx, Assassin’s Creed Syndicate, 2015

Charles Darwin, Code Talker, Assassin’s Creed Syndicate, 2015 Metal Gear Solid V: The Phantom Pain, 2015

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Master Willem, Bloodborne, 2015

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Annexe 10 – Les corps des femmes adultes

Lara Croft, Rise of the Tomb Raider, 2015

141

Cassie Cage, Mortal Kombat X, 2015 Lunafreya, Final Fantasy XV, 2016

142

Annexe 11 – Abigail Walker, l’élégance punk

Abigail Walker, Infamous Second Son, 2014

143

Annexe 12 – Lunafreya, l’élégance chic

Lunafreya, Final Fantasy XV, 2016

144

Annexe 13 – L’apparence athlétique

Cassie Cage, Mortal Kombat X

Lara Croft, Tomb Raider, 2013 Jade, Dying light, 2015

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Annexe 14 – Les corps cutes

Iris, Final Fantasy XV, 2016 Chronoa, Dragon Ball Xenoverse, 2015

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Annexe 15 – Sexualisation des personnages féminins

Catwoman, Batman: Arkham Knight, 2015 Ivy, Batman: Arkham Knight, 2015

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Quiet, Metal Gear Solid V: The Phantom Pain, 2015

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Annexe 16 – Les corps des hommes adultes

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Vyv, Final Fantasy XV, 2016

149

Gladiolus, Final Fantasy XV, 2016 Shay Cormac, Assassin’s Creed Rogue, 2014

Hurk, Far Cry 4, 2014

150

Annexe 17 – Les femmes masquées

Frost, Mortal Kombat X, 2015 Annalise, Bloodborne, 2015

151

Annexe 18 – Les hommes masqués

Jackson, Call of Duty: Advanced Warfare, 2014

152

Annexe 19 – Le corps des protagonistes masculins

Johnny Cage, Mortal Kombat X, 2015 Ajay Ghale, Far cry 4, 2014

153

Delsin Rowe, Infamous Second Son, 2014 Sebastian Castellanos, The Evil Within ,2014

154

Annexe 20 – Les femmes avec des cicatrices

Troy, Dying Light, 2015

Lucatiel, Bloodborne, 2015

155

Annika Svenson, Just Cause 3, 2015

156

Annexe 21 – Les autres corps féminins

Betty, Infamous Second Son, 2014

Agnes MacBean, Reine Victoria, Assassin’s Creed Syndicate, 2015 Assassin’s Creed Syndicate, 2015

157

Annexe 22 – Les autres corps masculins

Stankgum, Mad Max, 2015

Chumbucket, Mad Max, 2015

158

Annexe 23 – Les personnage LGBTQ : Les corps ambigus

Ned Wynert, Crem, Assassin’s Creed Syndicate, 2015 Dragon Age, 2014

159

Annexe 24 – Les personnage LGBTQ : les corps incognitos

Erica, Catherine: Full Body, 2011 Poison, Street Fighter IV, 2008

160

Annexe 25 – Les personnage LGBTQ : les corps caricaturaux

Bolson, The Legend of Zelda: Breath of the Wild, 2017

Vilia, The Legend of Zelda: Breath of the Wild, 2017

161

Great Fairy, The Legend of Zelda: Breath of the Wild, 2017

Madame Broode, Super Mario Odyssey, 2017

162