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Itinéraire VD 24 Yverdon - Les Fourgs, F; col des Etroits Cartes Nationales 1182, 1183

HISTOIRE Etat November 2001 / sbo, ms

Itinéraire entre Yverdon et Pontarlier par Montagny-près-Yverdon, Essert-sous-, , Sainte-Croix et le col des Etroits, autrement dit « route des sels » pour le convoi de cette denrée de Salins vers le plateau suisse par Yverdon et le lac de Neuchâtel. Il est situé entre la passe de conduisant à Yverdon (VD 25) et le seuil des Verrières menant à Neuchâtel (NE 1) et son histoire dépend en bonne partie du succès que connaîtront ces deux itinéraires concurrents.

On a longtemps assimilé cet itinéraire à l’un des deux axes franchissant le Jura rapportés par la Table de Peutinger du IVe siècle, soit à la route Avenches – Besançon par Yverdon et Pontarlier, soit à celle menant du lac Léman à Besançon, et rejoignant la précédente à Pontarlier. Le Jura aurait donc été franchi à l’époque romaine soit par la passe de Jougne soit par le col des Etroits. Il se trouve cependant que les distances indiquées par cette carte ancienne sont trop courtes entre Yverdon et Pontarlier pour attester une voie romaine par le col des Etroits (MOTTAS 1986). La pierre de lieues de Montagny, érigée en 213 ap. J.-C. au nom de Caracalla et commémorant la réfection des routes et ponts «croulant de vieillesse» (CIL XIII 9068; WALSER 1967: 80 f. no 39; MOTTAS 1982:166) ne peut pas être non plus annexée à cet itinéraire puisqu’elle n’indique aucune distance. Enfin, la voie à rainures entre Vuiteboeuf et Sainte-Croix qui plaidait pour l’origine romaine de cet itinéraire, est aujourd’hui considérée comme un chemin construit au plus tôt au cours du bas Moyen Age (MOTTAS 1986; SCHNEIDER, VOGEL 1995; SCHNEIDER 2002).

Il n’empêche que le passage est sans doute ancien, même s’il n’a guère été alors davantage qu’un chemin muletier. Différents vestiges découverts sur le bord de son tracé le confirment, tels à Champvent, au Clos des Ponts, les restes d’une importante ferme romaine du Ier siècle avec thermes et mosaïques (RHV 1924: 330; RHV 1925: 79; DEGEN 1957: 429), à Vuiteboeuf, au Bois des Tours, une petite statuette en bronze de Mercure (ROCHAT 1862: 79, tab. II, fig. 5; LEIBUNDGUT ANNALIS 1980: 31 n° 21, tabl. 29). Des monnaies romaines ont aussi été découvertes entre Vuiteboeuf et Sainte-Croix (BACM 11, 1998: 89, 94 ; SCHNEIDER 2002), et l’auraient été au XIXe siècle à la Villette et au Château de Sainte- Croix (ROCHAT 1862: 79). En revanche, les preuves d’un établissement romain à Sainte-Croix même restent insuffisantes (ROCHAT 1862: 79; TROYEN 1868: 515; DEGEN 1957: 452; MOTTAS 1986: 132). Le nom de Sainte-Croix apparaît dans la bulle pontificale confirmant la fondation par les Grandson du couvent du lac de Joux en 1177, et dérive sans doute du nom de la chapelle de la Villette. Au début du XIVe siècle, deux châteaux gardent le passage des Etroits : le Franc-Castel, dont la bâtisse et le péage sont rétablis en 1317, et qui, enclavé dans les terres des Grandson, appartient aux Chalon, seigneurs de Jougne et de Salins, et le château près de la Villette, dépendant des Grandson, construit sans doute pour attirer sur leurs terres, en sécurisant le IVS VD 24 INVENTAIRE DES VOIES Documentation IVS Importance Nationale DE COMMUNICATION HISTORIQUES Canton de Vaud DE LA SUISSE page 2

passage, une partie du trafic s’écoulant par le col de Jougne (JOSEPH, SIMON 1998: 37, 49-56). Châtellenie savoyarde dès l’extinction des Grandson à la fin du XIVe siècle, Sainte-Croix passera dans l’orbite bernoise en 1536 et la même année le Franc- Castel sera démantelé par les habitants (SIMON 1994: 49). Sainte- Croix et ses hameaux formeront pendant l’Ancien Régime l’une des communes les plus peuplées du pays de Vaud, devant sa relative prospérité à l’exploitation des bois et des mines de fer, à ses hauts- fournaux de Noirvaux et, brièvement, de la Jougnena, puis dès le milieu du XVIIIe siècle, aux activités liées à l’horlogerie (lapidaires) (PELET 1983: 84 ss, 105, 111 ss).

Quant à l’étape d’Yverdon (Eburodunum), son origine romaine est solidement attestée. Yverdon est un point de rupture de charges pour le trafic en direction de Lausanne et du Grand Saint-Bernard, de Genève, de la Suisse et de l’Allemagne, via le lac de Neuchâtel, l’Aar et le Rhin: son activité portuaire a été confirmée par la découverte de deux barques gallo-romaines en 1971 et 1984 datant des IIe et III-IVe siècles ap. J.-C. (ARNOLD 1992). Sont encore attestés sur le site d’Yverdon-les-Bains un établissement celtique, un vicus romain et un castrum du bas empire (HOWALD, MEYER 1940: 246 ff.; VAN BERCHEM 1982: 265 ff.; DRACK, FELLMANN 1988: 562 ff.; AS 1, 1978: 93 ff.; JbSGU 75, 1992: 202; 76, 1993: 222; 77, 1994: 188; 78, 1995: 229; 79, 1996: 269; SPM IV 1999: 164 Fig. 72.2; 342 Nr. 86). La position stratégique du site d’Yverdon lui vaudra plus tard l’intérêt d’Amédée III de Montfaucon- Montbéliard, seigneur d’, qui y ébauchera un château dans les années 1230-1240, puis surtout celui de son heureux rival Pierre de Savoie qui fondera la nouvelle ville d’Yverdon dès 1260 (AUBERT 1995:46-48). La ville tire profit de son statut de lieu de transit des marchandises: dès le XIIIe siècle, elle est dotée de plusieurs auberges, de foires, mais aussi de banquiers et de changeurs juifs et d’une solide corporations de bateliers (AUBERT 1995: 64; RAEMY 2001:126-128). Ravagée lors des guerres de Bourgogne, la «bonne ville» d’Yverdon tombera, après une courte résistance, sous la domination bernoise en 1536. Pendant l’Ancien Régime, la vocation commerciale de la ville se confirme, relayée par la création en 1638 du canal d’Entreroches qui fait du port la plaque tournante des échanges entre les deux lacs, avec un succès relatif et limité, il est vrai (RADEFF 1998: 173 ss, 281 ss; PELET 1946). Sel franc- comtois et vins vaudois sont les principales denrées qui transitent par le port en direction de Berne par Morat, mais la ville compte aussi au XVIIIe siècle plusieurs négociants et marchands – dont la maison Mandrot créée dans les années 1730 – qui assurent l’importation ou le transit des marchandises d’origines bien plus lointaines – notamment anglaises – entre la et la Suisse et entre Genève et Bâle, etc. (JAHIER 1998: 191 ss). Débouché de la route des Etroits, Yverdon est encore à l’arrivée de celle de Jougne (VD 25), entièrement restaurée par Berne entre 1745 et 1747. Deux décennies plus tard, la création d’une liaison entre Pontarlier et Neuchâtel par le Val de Travers, évitant Jougne et par conséquent Yverdon, apportera un bémol à cette expansion (PELET 1946: 251 n. 6). Le «tout à la route» choisi par Berne au cours du XVIIIe siècle portera un rude coup aux activités lacustres d’Yverdon: en 1754, treize grandes barques et une petite sont en activité au port d’Yverdon, elles ne seront plus que cinq en 1780, «de Morges ou de Lausanne, [les marchandises] allaient par Moudon tout droit ‹dans les Allemagnes›» (PELET 1946: 252).

C’est principalement le sel qui fera la bonne fortune de l’itinéraire Yverdon – Pontarlier par le col des Etroits dès le Moyen Age et jusqu’au XVIIIe siècle: la route en portera d’ailleurs le nom aux IVS VD 24 INVENTAIRE DES VOIES Documentation IVS Importance Nationale DE COMMUNICATION HISTORIQUES Canton de Vaud DE LA SUISSE page 3

XVIIe et XVIIIe siècles. Il s’agit cependant par rapport à l’itinéraire officiel des convois de sel par Jougne d’une voie secondaire, gardée par le Franc Castel où se perçoit le péage dû aux sires de Chalon (HAMMERER 1984: 177). Voie de contrebande aussi sans doute, pour qui tente de fourvoyer le petit péage de Jougne frappant les produits du commerce régional et local (JOSEPH, SIMON 1998: 72). Il est difficile d’évaluer le partage du trafic de sel entre Jougne, les Etroits et les Verrières, au cours de l’Ancien Régime: selon JOSEPH et SIMON (1998: 147-148) «Sainte-Croix est le point central du marché au sel entre la Suisse et Salins... entre 1500 et 1620, on exportait de Bourgogne vers Berne de deux à huit mille charges de sel par année, il y en eut, en 1631 comme en 1632, plus de quarante-deux mille charges, chacune d’elles pesant environ cent kilos. Cela représente environ quatre mille sept cents chars traversant le Jura, dont probablement un bon tiers par Sainte-Croix, soit, si on compte deux cents jours de praticabilité par an, environ huit chars par jour, ou plus de sept tonnes». Entre 1687 et 1695, 3200 à 3600 bosses de sel par an transitent par Jougne, alors qu’on en compte 300 par Sainte-Croix en octobre-novembre 1715, mais 25'000 charges auraient pris le chemin des Etroits en 1756 (BABIANTZ 1961: 25). La route est aussi celle de la poste bernoise des Fischer créée en 1675: dès 1690, leurs courriers relient Soleure à Paris en quatre jours par Berne, Payerne, Yverdon et le col des Etroits (JOSEPH, SIMON 1998: 160-161) ; quelques années plus tard, c’est la route plus directe de Neuchâtel et des Verrières qu’elle empruntera (BABAIANTZ 1961: 23, 98).

La fig. 1 montre les différents stades de l’itinéraire. En pointillé, la route à ornières qui est restaurée au début du XVIIIe siècle par Berne (VD 24.1). Complètement délabrée vers le milieu du siècle, la route est alors reconstruite par les communes de Sainte-Croix et de Vuiteboeuf, sans l’aide de Berne qui a misé sur la liaison Yverdon – Jougne par Ballaigues. Les deux communes construisent un ouvrage remarquable – tracé en traits tirés sur la fig. 1 – dont la sinuosité réduit la forte pente de la Côte de Vuiteboeuf (VD 24.2). Le dernier tracé aux larges contours – en traits gras sur la fig. 1 – est construit dans les années 1830-1840 (VD 24.3).

TERRAIN Relevé 27 Dezember 2001 / nab

L'itinéraire VD 24 est un itinéraire difficile au point de vue topographique. En effet, de Vuiteboeuf il monte d’abord des côtes escarpées pour atteindre Sainte-Croix. De-là, il franchit le col des Etroits pour redescendre dans des combes maraicageuses en direction de L’Auberson et enfin atteindre la frontière nationale. IVS VD 24 INVENTAIRE DES VOIES Documentation IVS Importance Nationale DE COMMUNICATION HISTORIQUES Canton de Vaud DE LA SUISSE page 4

Le développement spatial des routes dans la Côte de Vuiteboeuf. Fig. 1

Cet itinéraire est un cas d’école puisqu’il présente, parfaitement visibles sur le terrain, trois générations de tracés (fig. 1). Le tracé VD 24.1 date d'avant 1760 et monte la côte de Vuiteboeuf en un seul virage ; il correspond sur le terrain aux voies à rainures. VD 24.2 date des années 1760 et effectue sept virages pour gravir la côte de Vuiteboeuf, c'est une semi-chaussée soutenue en aval par des murs de pierre sèche. VD 24.3 date de 1838 et franchit en neuf virages la côte de Vuiteboeuf, c’est aussi une semi-chaussée soutenue en aval cette fois par des murs en pierre cimentée. Il correspond à la route actuelle taillée en partie dans le rocher. Entre 2000-2001, ce dernier a été élargi côté amont pour laisser place à une troisième voie, de dépassement. L’aspect traditionnel a été conservé puisque les travaux ont simplement consisté à l’excavation de la paroi rocheuse, laissée brute.

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