Émergence de la Préhistoire en Lorraine, la genèse d’une science Sophie Galland

To cite this version:

Sophie Galland. Émergence de la Préhistoire en Lorraine, la genèse d’une science. Le Pays lorrain, Le Pays lorrain, 2019, 100 (1), pp.56-61. ￿hal-03229970￿

HAL Id: hal-03229970 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03229970 Submitted on 8 Jun 2021

HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Émergence La relation entre le grand public et son passé est essentielle, même si de prime abord cela ne semble pas un être besoin quotidien de de la Préhistoire premièrenécessité dans le monde actuel. Que dire alors de la Préhistoire ?Nous allons voir que cette partie de notre histoire en Lorraine, peut paraître lointaine, bien qu’en réalité elle ne soit pas si la genèse distante de tout un chacun. Ses traces et ses souvenirs semblent dissous alors qu’ils sont en réalité intégrés ànos mémoires d’une science intellectuelles, matérielles et génétiques. Le présent article fait suite àunpremier travail de recherches mené en 2016, àpartir des collections de PréhistoireduMusée Sophie Galland de la Cour d’Or àMetz et du palais des ducs de Lorraine (Musée Lorrain)1 àNancy. Il s’inscrit dans le cadre d’une thèse de doctorat ayant pour titre :«La médiation en archéologie dans le monde contemporain. Exemple de la Préhistoire en Lorraine ». Il yest question de s’intéresser àlaconstruction de connaissances nées des découvertes archéologiques et àleur transmission au grand public.

Émergence, genèse la création, défini jusqu’alors par les et expansion des sciences Écrituressaintes? Comment ont-ils de la Préhistoire ouvert les esprits sur des dimensions temporelles plus vastes que ce qui était Les sciences de la Préhistoiresont admis ?C’est seulement au tournant apparues avec la prise de conscience du xixe siècle quenous avons commencé collective de nos origines lointaines sur àaccepter le principe de l’évolution des la terre. Pour certainssavants, c’était espèces, dont la nôtre, sur une longue une évidence dès le siècle des Lumières, périodeconnuesous ladénomination mais comment faire admettrecetteidée de Haute antiquité de la Terre ou d’Anti- au plus grand nombre ?Comment les quité antédiluvienne.Cette nouvelle scientifiques ont-ils fait reculer l’âge de dimensiondéclencha un enchaîne- ment de découvertes inédites, parfois peu connues du public. 1. Galland Sophie, La Lorraine préhistorique:des fouilles aux musées.MémoiredeMasterII SelonAndré Bellard, directeur des (2015-2016), Expertise et médiation cultu- Musées de Metz (Bellard 1955, p. 128)2, relle, UFR Arts, Lettres et Langues/2L2S, Metz, c’est Joseph Buc’hoz (1731-1807) qui Université de Lorraine, dir.Mouchtouris Antigone, 2016, 188 p. aurait été le premier associé àdes 2. Bellard André, «LePaléolithique du bassin de découvertes révélatrices àMetz «d’un la Moselle. Les Mosellansd’avant l’Histoire, véritable foyerdePréhistoireavant la Contribution àlaPréhistoire de Lorraine », e e „ Portrait de Joseph Pierre Buc’hoz. TII, Metz, Bulletin de la Société d’histoirenatu- lettre ». Les auteurs des xix et xx siècles ©Palais des ducs de Lorraine –Musée lorrain, Nancy relledelaMoselle,37ecahier,1955, p. 29-48 ; sont unanimes sur la valeur de ses Bellard André (1890-1969) :journaliste au travaux, en particulier sur son Vallerius Lorrain,préhistorien, conservateur des 3 Musées de la Cour d’Or de 1946 à1957. Lotharingiae (Buc’hoz1768).Pourquoi ? parties :«sables et terres »;«cailloux 3. Buc’hoz Joseph, ValeriusLotharingiae ou Tout d’abordparce qu’il est le premier et pierres »;«minéraux et métaux »; Catalogue des mines,terres, fossiles, sables et àénumérer les «trésors du règne «fossiles et pétrifications »; et pour cailloux qu’ontrouve dans la Lorraine et les Trois évêchés,Nancy,Imprimerie Lamort, avec minéral »àpartir des cabinets de curio- finir,les différentes «espèces d’eau ». approbation et permission, 1768, 382 p. sité de la région qu’il classe en cinq Dans la partie consacrée aux «fossiles

56 Le Pays Lorrain ) 116e année ) Vol. 100 ) Mars 2019 ) N° 1 l’Homme dès le début de l’époque quaternaire. Nous observons un véritable écho à ces révélations publiques en lisant des articles très instructifs dans les Mémoires de l’Académie de Metz et de Stanislas. Nous apprenons également que les savants lorrainsfaisaientcirculer en scéancedes objets prêtés parBoucher de Perthes(Godron 1847 ;18485 ; Simon 1959)6. C’est le siècle de la Préhistoire où les découvertes sontpubliées dans les „ Rostres de bélemnites. Collection et cliché G. Belland Mémoires des Sociétés savantes.Àla suite de la période d’inventaire des fossiles et des restes d’animaux disparus, on se met àfaire celui des et pétrifications »(id.,p.31-41), nous Victor Simon (1797-1865), géologue et haches7 :preuves matérielles des traces découvrons, pour la première fois, des archéologue. Danslapartie sud de la humaines du Paléolithique et du mentions de fossiles de grandsmammi- région, nous rencontronsDominique- Néolithique. fères, telle une vertèbre d’hippopotame Alexandre Godron (1807-1880) et En Lorraine, au xixe siècle,bienque trouvée àSorcy (Meuse), prouvant que Nicolas Husson (1814-1881). Tous les chercheurs scrutent attentivement le cet animal abien existé dans la région. deux pratiquent les sciences naturelles, sol, nous relevons seulement trois Ensuite, parce que le Vallerius la géologie,laspéléologieetl’archéo- mentions associées àdes découvertes Lotharingiae n’est pas qu’un catalogue, logie. Tous inventorientles fossiles du Paléolithique : il véhicule également des valeurs. Par marins, les restesdegrands mammi- 1. ÀVerdun, «ondécouvrit en 1870, exemple, quand l’auteur énonceles fères disparus (mammouth, rhino- dans les alluvions anciennes de la gare, fossiles marins découverts dans le sol, céros, hippopotame…) et observent les une pointe de silex, taillée des deux il s’attarde surles bélemnites qu’il strates géologiques comme on feuil- côtés, du type de Saint-Acheul, très rare qualifie de «vraies médailles du lette un livre. C’est un phénomène dans l’Est de la France »(Liénard déluge ». Il décrit leur présence aussi important, nourri de correspondances, 1874)8 ; bien sur les monts que «dans les d’échanges d’objets, de rencontres via entrailles de la terre »pour démontrer le réseau des sociétés savantes. que le déluge ne peutpas être tenu pour Tournons-nous vers Abbeville responsable du dépôt des bélemnites (Somme) dans les années 1830. Jacques 4. Boucher de PerthesJacques1847 et 1859, Les Antiquités celtiques et antédiluviennes. Mémoire sur des centaines de mètres d’épaisseur. Boucher Crèvecœur de Perthes (1788- sur l’industrie primitive et les arts àleur origine, Il écrit :«Le SouverainÊtre del’Univers 1868), considéré comme le père de la Wurtz-TreutteletDerache libraires, Paris, ainspiré aux hommes la recherche de Préhistoire,apu yfaire admettre l’an- 1847-1859. 5. GodronDominique-Alexandre,«De l’espèce ces médailles dans le siècle de l’incré- cienneté antédiluvienne du sous-sol et des racesdans les êtres organisés du monde dulité même, afin que ces fossiles grâce àladécouverte derestes d’élé- actuel », Mémoires de la Société royale des puissent être des témoignages authen- phant fossile associés àdes silex taillés sciences, lettresetartsdeNancy,1847, p. 182- 4 288 ; Id 1848, p. 381-420. Source gallica.bnf. tiques de la vérité des Écritures ». (Boucher de Perthes 1847 et 1859) et fr/BnF. Cet exemple hardi du siècle des grâce au soutien de géologues, notam- 6. Simon Victor,«Notice sur les pierres Lumières permet d’évaluer la position ment celuidubritannique SirCharles antiques»,Mémoires de l’Académie de Metz, 1859, p. 383-396. Source gallica.bnf.fr/BnF. d’un scientifique face aux Écritures et Lyell (1797-1875). Au même moment, 7. Hache est un terme qui regroupe, au début du de comprendre comment l’observation un autre scientifiquebritannique, xixe siècle,àla fois les bifaces paléolithiques des sols devient, par la suite, le socle CharlesDarwin(1808-1882), publie De et les haches polies néolithiques. 8. LiénardFélix, «Objetsdel’époque préhisto- des pionniers de la Préhistoire. Ces l’origine des espèces au de la sélec- rique trouvés àVerdun », Mémoiresdela derniersforment des binômesnature/ tion naturelle (Darwin 1859), une Sociétéphilomathique de Verdun,t.VIII, n° 1, archéologie :aunord de la région théorie sur la longue évolution des 1874, p. 45,Pl. VIII,1;Liénard Félix 1876, «Matériaux pourl’histoire de l’homme », in : lorraine, Jean-Jacques Holandre espèces. C’est àpartir de toutes ces Dictionnaire archéologique de la Gaule,1878, (1778-1857) naturaliste, est associé à découvertes qu’on admet l’existence de p. 736.Source gallica.bnf.fr/BnF.

Le Pays Lorrain ) 116e année ) Vol. 100 ) Mars 2019 ) N° 1 57 2. «L’abbé Friren adécouvert un outil préhistoriques pour la Lorraine et ou arme du type classique de Saint- entraîne au niveau régional la publi- Acheul,taillé àpetitséclatsdans un cation de plusieurs répertoires archéo- galet de quartziterougeâtre » logiques conçus par arrondissements et (Barthélemy 1878)9. par départements11. 3. «Dans le bassin français de la La Lorraine ne se contente pas d’in- Meuse, sur la rivedroite, station du ventaires, defouilles etderépertoires. À niveau de la Madeleine,avecosde Nancy, l’ardent foyer de scientifiques rennes et silex typiques, découverte par ayant accueilli des personnalités M. Mitour au pied de la roche plate qui émigrées d’Alsace et de Moselle (période forme un véritable abri. (G. de de l’Annexion) génère un dynamisme Mortillet.)»(Dictionnaire archéologique qui s’étend àl’Est de la France.Delà, de la Gaule, 1878, p. 556). naît la publication d’un document de Danslarégion, les découvertes méthodologieinédit en archéologie :le préhistoriquesduxixe et du début du Guide des recherches archéologiquesdans xxe siècle sont surtout néolithiques. Le l’Estdela France (Bleicher, Beaupré dir. Paléolithique et l’Épipaléolithique/ 1896)12.Cet ouvrage –oùlaPréhistoire Mésolithique seront révélés au siècle estsubdivisée endeux parties :«Âge le suivant. plus ancien de la pierre »;«Âge le plus récent de la pierre »–,pose les principes de la conduite àobserver face àdes Institutionnalisation Meisenthal (Moselle). „ découvertes archéologiques sur les des découvertes Pierre des douze apôtres (menhir christianisé). Aquarelle d’A. Douzats (1808-1868) planstechniques,éthiqueset L’intérêt pour les monuments et sites législatifs. de toutes les époques prend, au xixe siècle, une ampleurtelle qu’en mériteraient d’être protégés. Àtitre 1837, le ministre de l’Intérieur crée une d’exemple, V. Simon, qui est chargé de L’âge le plus récent de la pierre : commission nationale des monuments la missiond’inventaire pour la Moselle, le Néolithique historiques,relayée par les préfets,pour signaleununique monumentpréhis- Le Néolithique est la période qui évaluer les monuments qui torique, sur la commune de Meisenthal. succède aux sociétés de chasseurs-cueil- Il s’agit d’une «Pierre considérée leurs du Paléolithique et de l’Épipaléo- comme druidique [menhir d’époque lithique/Mésolithique, une société qui

9. Barthélémy, Assos.Franç, Limoges, in : néolithique], haute de plusieurs mètres, bascule progressivementdans une Dictionnaire archéologique de la Gaule,1878, large d’environ un mètreetdemi,en phase de sédentarisation (– 6000) grâce p. 245. Source gallica.bnf.fr/BnF. grès du pays ;elle est surmontée d’une àlamaîtrise de la domestication des 10.SimonVictor,«Rapport sur les monuments anciens du département de la Moselle », croix et ornée au sommet de sculptures espèces animales et végétales. Nous Mémoires de l’Académie de Metz,1837, p. 322- représentant des sujets chrétiens; le assistons au développement de 332. Source gallica.bnf.fr/BnF. tout aété taillé dans cette même hameaux et, en conséquence, au défri- 11.Liénard Félix 1881, 1884 et 1885, Archéologie 10 de la Meuse ;Barthélémy 1889 et 1890, pierre »(Simon1837, p. 328) .Ce chage des forêts qui se sont formées Matériaux pour servir àl’étude des tempspré- menhir doit sa conservation au fait depuislafin de la dernièreglaciation romains en Lorraine ;BeaupréJules (Cte)1897, qu’il aété christianisé ;bien d’autres (–10000). Les témoins matériels de ces Répertoire archéologique pour le département de la Moselle,Nancy,Crépin-Leblond. Source n’ont pas eu cette chance. défrichages sont les nombreuseshaches gallica.bnf.fr/BnF. Ensuite, Napoléon III instaureen polies inventoriés au xixe siècle. Les 12.Bleicher Dr,BeaupréJules (Cte), Guide pour les 1858 une commission pour dresser une cabinets de curiositépuisles Musées recherches archéologiques dans l’Est de la e France, Crépin-Leblond, Nancy, 1896, 118 p. «Carte des Gaules ». Celle-ci évolue en (fondés au xix siècle) regorgent de ces 13.Pétrequin Pierre, Gauthier Estelle, Pétrequin un véritable Dictionnairearchéologique restes-témoins, surtout des haches en Anne-Mariedir., «Jade. Objets-signes et inter- de la Gaule. Époqueceltique (1858-1923), jade.D’origines éloignées et rares, on prétations socialesdes jades alpins dans l’Eu- rope néolithique », Besançon,Presses univer- édité àpartir de 1875. La commission peut aujourd’hui avec certitude déter- sitaires de Franche-Comté, Centre de est présidée initialement par Félicien de miner l’origine de ces jades. Les plus recherches archéologique de la vallée de Saulcy (1807-1880), diplômé de l’École proches proviennentdegisements l’Ain, Cahiers de la MSHE Ledoux,n°27, Série «Dynamiques territoriales »n°10, t. 3. ill., polytechnique de Metz. Le Dictionnaire alpins localisésaumontVisoetaumont 2017, 751 p. mentionne quarante-quatre sites Bégua, en Italie (Pétrequin et al. 2017)13,

58 Le Pays Lorrain ) 116e année ) Vol. 100 ) Mars 2019 ) N° 1 àplus de 700 kilomètres de la Lorraine. Ces objetsprouvent que l’homme exploite depuis très longtemps certaines ressources àgrande échelle. En même temps,nous observonsle développement du mégalithisme (exempledumonument de Meisenthal) et des sites àenceinte (ou retranche- ment). Les sites àenceinte, connus depuis le xixe siècle, sont installés en hauteursur des collines. Certains conti- nuentàêtre occupés au-delà de la Préhistoire, qui s’achève entre –3000 et –2200, une époque où nos ancêtres remplacent progressivement les arma- „ Vase en céramique. „ Vase en pierre. tures en pierre (haches, flèches) par les ©Palais des Ducs de Lorraine –Musée lorrain, ©Palais des Ducs de Lorraine –Musée lorrain, Nancy /Photo J.-Y.Lacôte Nancy /Photo J.-Y.Lacôte premières armes en cuivre.

Gugney-sous-Vaudémont (54) : De multiples objetstémoignent d’une niveau d’uneextrémité du caisson, une une histoire exemplaire occupationdès le Néolithique, entre sorte de niche àl’intérieur de laquelle pour une médiation Vaudémont et Saxon-Sion. Mais ce qui sont déposés deux vases ,« un vase en vers le grand public intéresse dansunpremier temps les terre, àanses perforées »et«un vase archéologuesauxixe et au début du en pierre polie », une serpentinite xxe siècle, ce n’est pas le Néolithique. (roche cousine du jade). Voisines, les communes de Gugney- J. Beaupré16 décide en effet de J. Beaupré reconnaît immédiatement sous-Vaudémont et Saxon-Sion sont programmer une campagne de fouilles l’importance du vase, pensant qu’il toutes deux installées en hauteur sur sur la colline de Gugney-sous- s’agit «d’un exemplaire uniqueence deux promontoires distincts. Sur le Vaudémont en 1908, danslesecteur du qui concerne la Gaule et les pays territoire de la première commune, la retranchement, en souhaitant d’abord septentrionaux »(Beaupré 1909, 1910). colline est protégée par un retranche- recueillir des informations au sujet Il cite John Evans19 qui signale ce type ment rectiligne situé dans sa partie la d’une épée de l’âge du Bronze, décou- de vase dans des niveaux plus étroite :«Àl’extrémité sud du verte en 1850,àproximité du site17. plateau(…),éperonétroit coupé par Mais cette fouille ne donne rien. un retranchement rectiligne sans J. Beaupré persévère et organise une 14. «Saxon-Sion »et«Vaudémont », Dictionnaire fossé,de2mètres de hauteur » seconde opération en 1909. Il fait alors archéologique de la Gaule. Époque celtique, (Barthélemy in :Beaupré 1897, p. 71). unedécouverte inattendue, s’agissant 1875-1878, p. 619 et 726. Source gallica.bnf. fr/BnF. Sur la colline du territoire de la seconde d’une tombe en «caisson long de 15.Beaupré Jules (Cte), Répertoire archéologique commune ont étérecueillis de 1,50 msur 0,80mde large, forméde pourledépartement de la Moselle,Nancy, nombreux artéfacts attestant d’une pierres plates poséesdechamp ;lefond Crépin-Leblond. 1897, Source gallica.bnf.fr/ 14 BnF. très longue occupation :«Àl’extré- était pavé de petites dalles plates, de la 16.Beaupré Jules (1859-1923) :archéologue, mité septentrionale du plateau, autour longueurdelamain. Deux grandes conservateur de la section archéologie au de l’église de Notre-Dame de Sion, pierres, également plates, recouvraient Musée lorrain (à partir de 1908). 18 17.https://musee-lorrain.nancy.fr/fr/collections/ dont le culteparaît avoir succédéà le tout» (Beaupré 1910, p. 93) .À les-œuvres-majeures/epee-32. celui de la divinité gauloise Rosmerta, l’intérieur,«ilyavait deux corps, (…). 18.Beaupré Jules, «Une enceinte de l’âge du on trouve des silex taillés,des haches Couchés l’unsur le côté gauche, l’autre Bronze, Gugney-sous-Vaudémont (Meurthe- et-Moselle).Fouillesde1908et1909par leCte polies (…). Il yavait àcet endroit une surlecôté droit, les morts avaientles J. Beaupré », Nancy, Mémoires de la Société enceinte datantsans doute des temps genoux et les avant-bras ramenés sous d’archéologie lorraine et du Musée historique lor- préhistoriques. C’est là quefut le menton, la tête au nord, les pieds au rain,1909, p. 426-446. Source gallica.bnf.fr/ BnF. construite la ville gallo-romaine (…) » sud»(id.). J. Beaupré mentionne égale- 19.Evans John (1823-1908) :archéologue et géo- (Beaupré 1897, p. 129) 15. ment le reste d’un foyer,etpuis,au logue anglais.

Le Pays Lorrain ) 116e année ) Vol. 100 ) Mars 2019 ) N° 1 59 archéologiques «prémycéniens »de dynasties »autroisièmemillénaire LaurentOlivier (Olivier 2002)27 pour Crète, au milieu du deuxième millé- avant Jésus-Christ. En 1909, l’auteur préciser le contexte de fouille des épées naireavant Jésus-Christ. Il s’agirait suppose qu’il s’agit «une imitation ou de l’âge du Bronze découvertes entre d’un type de vase venu d’Égypte, «où [d’]une importation d’un produit d’ori- 1850 et 191828.Une tranchée est alors l’on en fabriquait pendantles premières gine lointaine »(Beaupré 1909,p.445). réalisée àtravers l’enceinte pouren En 1910, J. Beaupré publie les résul- étudiersastratigraphie. L. Olivier tats de la fouille dans le Bulletindela observeainsi quatre phasesd’aména- Société préhistorique de France20,ainsi gements dont la seconde apuêtre 20.Beaupré Jules, «Fouilles de 1909 », In : 21 BulletindelaSociété préhistorique de France, que dans L’Anthropologie .Levase est estimée entre –3030 et –2950, soit, de tome7,n°2,1910. p. 92-93 ;https://doi. également présenté au Comité national la fin du Néolithique récent ou du org/10.3406/bspf.1910.11726 https://www. des travaux historiques et scientifiques, début du Néolithique final29.Grâce à persee.fr/doc/bspf_0249-7638_1910_ 22 num_7_2_11726 dans la sectiond’archéologie ,puis ce résultat, on peut affirmer que la 21.Beaupré Jules, «Importantes découvertes en dans un article du Journal des débats première phase d’édification de l’en- Meurthe-et-Moselle. Matériaux pour l’his- politiques et littéraires.Lamême année, ceinte est antérieure àcette date :elle toire de l’homme », Revue d’anthropologie- 23 Revue d’éthnographie réunies :L’anthropologie, Joseph Déchelette présente àson tour est bien du Néolithique récent. Paris, MassonetCie,1910, tome xxI,n°1, le vase dans un chapitre qu’il intitule : Un siècle après sa découverte, le vase p. 119. «Extrême rareté des vases en pierre ». de Gugney-sous-Vaudémont reste une 22.«Procès-verbaux des séances de la section d’archéologie et de la commissionde L’auteur amène quelques précisions, pièce exceptionnelle, dans un contexte l’Afrique du Nord ». Ministère de l’Instruction notamment sur l’usage de vases en trèsparticulier.Levasetriconiqueà publiqueetdes beaux-arts. Bulletin archéolo- roches dures (diorites, porphyres) fond plat en céramique ne l’estpas gique du Comité des travaux historiques et re scientifiques, Paris, Imprimerie nationale, accompagnantles rois de la I dynastie moins, car ce modèle est rare (Laurelut MDCCCCx, 1910. Source gallica.bnf.fr/BnF. dans l’Égypteancienne,une pratique 1989,p.134)30 et attribué àune origine 23.Déchelette Joseph (1862-1914) :archéologue- quidisparaîtratotalementavec la xviiie septentrionaleéloignée (Lefranc, Félieu conservateur. 31 24.Millotte Jean-Pierre(1920-2002):archéo- dynastie. Il conclut sur le fait qu’aucun 2015,p.428) .Laforme du vaseà logue protohistorien. autre récipientenpierre n’a étésignalé profil segmenté (vaseenserpentinite) 25.Millotte Jean-Pierre, Cartearchéologiquedela en Gaule àsaconnaissance,hormis est plus fréquente au niveau de la Lorraine :âges du Bronze et du Fer,Les Belles Lettres,1965, p. 82. quelques vases en pierre ollaire appar- granderégion.Maiscesontdes vases 26.Guillaume Christine, Coudrot Jean-Louis, tenantàune phase encore mal définie. en terre cuite. DeyberAlain, Les Temps anciens :delapierre Au moment de sa découverte, le vase La présence de jadéite dans une au fer, in Cabourdin (dir.), Encyclopédie illustrée de la Lorraine,Metz, éd. Serpenoise Nancy, sollicitelacontribution des plus grandes tombe est considérée commeunfait Presses universitaires de Nancy,1992, 167 p. personnalités de la communauté scien- «hors du commun »car peu de 27.Olivier Laurent, Princesses celtes en Lorraine. tifique. Le vase de Gugney-sous- personnagessont enterrés avec des Sion, trois millénairesd’archéologie d’unterri- toire,Jarville-la-Malgrange, Musée de l’His- Vaudémont reste cependant une jades. Il s’agit d’ailleurs exclusivement toire du Fer –CCSTIduFer et de la énigme au sujet de laquelle l’archéo- de hachesoude bracelets (Pétrequin et Métallurgie,2002, p. 26-31. logue Jean-Pierre Millotte24 écrira plus al. 2017, p. 22). Au moment de la 28.https://www.musee-lorrain.nancy.fr/fr/col- lections/les-œuvres-majeures/epee-32. tard :«Nous ne pouvonsrienajouter fouille,J.Beaupré avaitobservé deux 29.4405±85 BP (ly-5952) 95 %deprobabilité ; aujourd’hui sur l’origine de ce curieux choses :unpetit foyer dans la tombe, 3348-2880 av.J.-C. ;étape moyenne àrécente récipient dont il serait intéressant de et le vase en pierre qui était,selon lui, de la culture Michelsberg MKIII /MKIV (sud des Pays-Bas, Allemagne de l’ouest,Belgique, posséderune diagnose pétrogra- cassé en deux intentionnellement Luxembourg, nord-estdelaFrance). phique »(Millotte 1965, p. 82)25. (Beaupré 1909, p. 444). Ces observa- 30. Laurelut Christophe,«Étude de la céramique. En 1992,l’Encyclopédie illustrée de la tions, outre la singularitédes vases, Le village Michelsberg des Hautes Chanvières àMairy(Ardennes) », in : Gallia préhistoire, Lorraine consacreune mention et une évoquentàlafois un dépôt funéraire tome 31, 1989, p. 127-137 ;consulter égale- illustration du vase classé parmi les et un rituelsacré. Nous pensonsàun ment: LaurelutChristophe 2010, Le cinquante-cinq œuvres majeures du banquetdefunérailles ou/et àun Michelsberg et ses marges occidentales :une réé- valuation,Doctorat de l’Univ.de Musée lorrain (Guillaume et al 1992 viatique pour accompagnerles défunts Paris I-Panthéon-Sorbonne, 2vol. p. 77)26,sans plus d’informations. dans l’au-delà. Pour pousser la symbo- 31.Lefranc Philippe et Féliu Clément, «Undépôt Àlafin des années 1990,près d’un liqueplus loin,oserions-nousavancer de céramiques Michelsberg àObernai «Parc d’activités économiques intercommunal » siècle après la fouilledeJ.Beaupré, une que, s’il est admisque la hache en jade (Bas-Rhin) », Revue archéologiquedel’Est [en intervention archéologique sur le soit un attribut de virilité masculin, le ligne], tome 64 I2015, mis en ligne le retranchement de Gugney-sous- vase en serpentine,dans ce cas, ne 17 novembre 2016,consultéle 9novembre 2017. URL :http://rae.revues. Vaudémont est entreprise sous la direc- pourrait-il pas représenter celui de la org/8317 tiondel’archéologue-conservateur féminité ?

60 Le Pays Lorrain ) 116e année ) Vol. 100 ) Mars 2019 ) N° 1 Conclusion :lamédiation «une logique basée sur les valeurs factuelle) et la confrontation àla de la Préhistoire axiologiquesdel’héritage, de l’histoire, réalité. L’archéologie offreuncontact dans le continuum du présent et de la postérité. » instantané, présent et permetdelégi- (Mouchtouris 2003, p. 43)33. timer l’histoire. Quand c’est vrai, on de l’histoire L’exemple de Gugney réunit ces peut toucher.Lesite de Gugney et ses Pourquoi la médiation ?Elle s’est axiomes et prouve qu’en archéologie, vestiges matériels ont été conservés. développée pour répondre àundevoir surtout pour la Préhistoire, il faut, en Ainsi, le lien entre le passé et le présent de démocratisation culturelledansles outre, tenir compte àlafois d’une ne sont pas rompus. La médiationpeut années 1990pourlepartage etladiffu- évolution de la réception de l’œuvre et amener le public àseréjouir de la possi- sion de la connaissance. Or l’archéo- de l’histoire, en fonction des décou- bilité de satisfaire sa curiosité, de «son logie répond àlacuriosité des faits vertes et de de la sensibilité et de la envie d’apprendre et de connaître des passés reliés au présent. L’archéologie formation des publics face aux œuvres. choses nouvelles »35 entre musée et site. propose également un «ailleurs »32 Celles-ci évoluent de la même manière Du siècledes Lumières ànos jours, les (Amand-Chamousset, Bonnefille et que les découvertesselonles connais- explorations des sociétés premières ont al., àparaître), un lieud’échange et sances propres àchacun, via,démocra- été confrontées àcelles de nos propres d’expression pour toutes les cultures. tiquement, la médiation (exposition, origines, c’est la raison pour laquelle Les musées offrent dans le présent la présentation, publication, films d’ani- nous sommes liés ànotre histoire. Les garantie d’aller et venir entre le passé mations, docufictions), qu’elle s’adresse va-et-vient entre passé, présent et futur et l’avenir.Lamédiation, c’est le temps au jeune public scolaire et àses ensei- sont inhérents ànotrenature, tout présent, une pause temporelle pour gnants «captifs»ou au public, averti comme la mobilité dans l’espace, d’où observer ce que nous sommes dans un ou non. l’utilité de la médiation vers les publics. monde où toutsefait très vite. Le public Ce vase en pierre est un cas exem- Aussi, nous finirons sur deuxtémoi- apprécieles musées et les considère plaire, unique, sur la base duquel on gnages de visiteursqui montrent àquel comme «des espaces intermédiaires»; peut imaginer et proposer pour l’insti- point l’archéologie est essentielle. «des espaces-temps informels »;«une tution muséale contemporaine une –«L’archéologie représente la sauve- parenthèse spatio-temporelle »(id.). présentation dynamiqueauprès du garde de la vie de l’homme [grâce à Qui aujourd’hui se souvient du vase public (dans les murs et hors les murs) laquelle] on peut remonter des années de Gugney exposé au Muséelorrain et parlà-même, lui redonnerdusens de tout en bas jusquetoutenhaut (…) » jusqu’en 2014 ?Qu’a-t-on pu éprouver en tenant compte du contexte géogra- (agent de production, 58 ans)* ; àsavue ?Nous en avons au mieux un phique et sociétal de sa découverte, et –«On ne peut pas aller sur une vague souvenir.Cela montre que la de sa fonction sociale et sacrée. Cet machine àremonter le temps. médiationenPréhistoire ne consiste exemple régional (il en existe d’autres) Actuellement, il n’y en apas une pour pas uniquement àprésenter des objets montre que les découverteseffectuées aller en avant ;par contre il yenaune (choseimpossible,vuleur nombre), dans notre région sont aussi impor- pourallerenarrière ;c’est l’archéo- mais àles mettre en contexte par le tantes que les découvertes au retentis- logie »(garde forestier,61ans)*. biais d’un récit et d’une reconstitution sement national et international car visuelle. Or,latransmissiondefaits liés tout est reliéàlagrande histoirede àl’histoire ancienne est particulière- l’humanité. 32.Amand-ChamoussetChristelle,Bonnefille mentdifficile,car le support littéraire Parmi les différentes démarches de Élise, MartiniChiara,Vial Éloïse, Strippoli n’existe pas et les supports matériels médiations proposées actuellement, Laurent, Vergo-Rozan Geneviève (à paraître ont disparu en grande partie et de nous avonsopté, en sociologiedes en 2019), «Lamédiationenarchéologie, un enjeu de société ?»In :«L’archéologie au ser- façon irrémédiable. Il reste parfois peu publics, pour le recueil de témoignages vice des publics.Usages et partages du patri- de choses :des traces subtilesdans le des visiteurs, comme base d’expertise. moine. xIes Journées de l’Anact en partena- sol, quelquesobjets. Rares sont les Les premiers résultats montrent que les riat avec RAMantique,21-23novembre 2018, Charleville-Mézières, àparaître en 2019, architectures conservées en dehors des publics sont guidés par la curiosité, Bulletin de la société archéologique champenoise. vestiges mégalithiques et abris ou danslesensoùils ontbesoin de «voir» 33.Moutchtouris Antigone, Sociologie du public faillesrocheuses dans nosrégions le passé, de préférence expliqué in situ dans le champ culturel et artistique,éd. L’Harmattan, collection Logiques sociales, septentrionales. Dans ce cas particulier pour le comprendre, car,siimaginer Paris, 2003, 130 p. de Gugney,comme observé dans toute c’est bien,«voir c’est mieux »(employée 34.Galland Sophie, Enquête sur les publics du site action culturelle, «lamédiation a des Postes, 42 ans)34.Ilexisteune paléolithique de Mutzig (67), août 2018, recherches personnelles, inédit. besoin de davantage de temps », la margeentre l’abstrait,l’imaginaire 35.«Curiosité»:http://www.cnrtl.fr/definition/ transmission est exigeante car elle suit (dont la reconstitutionvirtuelleou curiosit %C3 %A9.

Le Pays Lorrain ) 116e année ) Vol. 100 ) Mars 2019 ) N° 1 61