L'édifice Écroulé
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RABEH SEBAÂ, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE À L’UNIVERSITÉ D’ORAN “LA CRISE SANITAIRE A AGGRAVÉ LE PROCESSUS DE PRÉCARISATION”P.2 Archives Liberté Archives LIBERTELE DROIT DE SAVOIR, LE DEVOIR D’INFORMER AF AF QUOTIDIEN NATIONAL D’INFORMATION. 37, RUE LARBI BEN M’HIDI, ALGER - N° 8445 MARDI 28 AVRIL 2020 - ALGÉRIE 30 DA - FRANCE 1,30 € - GB 1£ 20 - ISSN 1111- 4290 LE MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION ET LES SYNDICATS VEULENT SAUVER L’ANNÉE SCOLAIRE DIFFICILE EXAMENP.3 Archives Liberté Archives LUTTE CONTRE LE CORONAVIRUS AMMI ABDELKADER, LE MAÇON FORCÉ Le dispositif de confinement DE DESCENDRE DE SON ÉCHAFAUDAGE prolongé jusqu’au 14 mai P.3 ELLES SONT À L’ARRÊT DEPUIS LA MI-MARS Ahmed Chenaoui/Liberté À CAUSE DE LA CRISE SANITAIRE Sale temps pour les agences de voyages P.4 L’ÉDIFICE ÉCROULÉ P.6 Mardi 28 avril 2020 LIBERTE 2 L’actualité en question RABEH SEBAÂ, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE À L’UNIVERSITÉ D’ORAN “La crise sanitaire a aggravé le processus de précarisation” Professeur de sociologie à l’université d’Oran et auteur de plusieurs essais, Rabeh Sebaâ nous livre son regard sur la crise sanitaire provoquée par le coronavirus. Il décrypte ses conséquences sur la société algérienne, notamment sur les franges sociales précaires. Il estime, s’agissant du confinement, qu’”il ne faut être ni laxiste ni alarmiste.” que des voix ont réclamé la transformation Propos recueillis pas : de la nouvelle Grande mosquée d’Alger en hô- SAMIR OULD ALI pital. C’est dire quand bien même ce qui était considéré comme sacré a été sacrément Liberté : L’Algérie, comme tous les pays du bousculé par cette crise. Il est à espérer que monde, vit depuis plusieurs semaines une cet assouplissement du confinement se situation de crise induite par l’apparition fonde sur des garanties médicales sérieuses du Covid-19. Quelles pourraient être les et non sur une pression sociale effarouchée. conséquences de ce profond bouleverse- Et surtout souhaiter que cette crise sanitai- ment sur la société ? re serve de leçon. Pour troquer la gestion ap- Rabeh Sebaâ : L’Algérie, comme beaucoup proximative du présent contre une vision d’autres pays, n’était guère préparée à cet- imaginative du futur. te situation insolite. Même les pays qui dis- posaient de moyens importants et de struc- La crise sanitaire a bousculé les habitu- tures plus conséquentes n’ont pu y faire face desndu mois sacré. Quel regard portez-vous avec rapidité et efficacité. Le cas de l’Italie et sur ce mois de jeûne très particulier ? de l’Espagne, notamment, est très significatif. L’essentiel du rituel est sauf. Le jeûne reste, Et les conséquences sur ces sociétés sont déjà dans l’ensemble, conforme à l’observance re- fort visibles. Un dérèglement notable des mé- quise. Deux dimensions sont nouvelles par canismes tant économiques que sociétaux. rapport à tous les mois de Ramadhan pas- Mais paradoxalement, la société algérienne sés. L’absence de prières surérogatoires, qui ne subit pas cette crise sanitaire de la même comme chacun sait ne sont pas obliga- manière pour au moins trois raisons. toires. Mais il s’agit de la disparition d’un re- D’abord, la vie économique est structurel- père bien établi depuis des lustres. Une lement déréglée. Les lois économiques qui sorte de balise sociale spécifique au Ra- ont été perturbées ailleurs, n’existent pas madhan régulant la temporalité. Les veillées dans la société algérienne. Une économie ren- nocturnes sont supposées commencer après tière, largement relayée par un secteur in- ces prières. Ensuite, et c’est la seconde di- formel, ne reçoit pas les dérégulations de la Liberté Archives mension, le confinement réduit ces veillées même façon. La panique qui a suivi la bais- ne, ni l’air à respirer tout simplement. La pol- D’abord, la vie à des soirées familiales. Ou de quartier. Car se drastique du prix du baril s’est vite es- lution qui a atteint des pics invraisem- il ne faut pas se voiler les yeux. Les bas des tompée et le secteur informel saisit cette au- blables n’a jamais constitué un objet d’in- économique est immeubles et les ruelles non fréquentées, baine pour se rebooster. Ensuite, sur le plan quiétude. Maintenant, de là à penser que structurellement sont pleins de jeunes et de moins jeunes. social, ce sont les catégories sociales précaires l’homme va changer de comportement déréglée. Les lois Mais les promenades et les déambulations qui en font les frais. Que ce soit le personnel après cette crise sanitaire, rien n’est moins nocturnes que certaines familles ou certaines du secteur public ou privé “mis en congé” for- sûr. Pour au moins deux raisons : d’abord, les économiques qui ont été femmes seules ne s’autorisent qu’à l’occasion cé ou le secteur des services, vivant au jour craintes et les peurs n’ont jamais été de perturbées ailleurs, du Ramadhan ne font pas partie du décor cet- le jour, tous ont été encore plus exposés par bonnes maîtresses. Encore moins d’excel- “ te année. Les rues étant désertes. Mais de n’existent pas dans la la brutalité de l’advenue de cette crise sa- lentes éducatrices. mon point de vue, cette situation peut être nitaire. Beaucoup de familles se sont re- Or, le changement de comportement à une société algérienne. Une porteuse de nombre de positivités. Comme trouvées du jour au lendemain sans la aussi grande échelle, à l’échelle planétaire, économie rentière, le resserrement du lien familial de différentes moindre ressource et, bien entendu, sans le demande du temps et surtout des moyens largement relayée par un manières. Sous forme de conversations, de moindre recours à un filet quelconque. D’où matériels et moraux qu’aucun pays, ni per- secteur informel, ne reçoit chants, de danse ou d’écoute de contes. Nos la troisième dimension, enfin, l’absence sonne, ne veut mettre en œuvre. Ensuite, c’est familles sont pleines de ressources. C’est l’oc- draconienne de dispositifs prévus pour ce compter sans la férocité et la voracité des in- pas les dérégulations de la casion de les voir s’objectiver. type de crise. Cette crise sanitaire a montré térêts économiques et financiers qui gou- même façon. La panique l’ampleur du dénuement de la société al- vernent le monde. Ces mêmes intérêts qui qui a suivi la baisse Quel impact psychologique peut-il avoir ce gérienne en matière de prise en charge de ont ruiné la qualité de la vie à l’échelle pla- Ramadhan “amputé” sur la société ? larges franges de la population en situation nétaire au nom d’une brumeuse globalisa- drastique du prix du baril À mon avis, tout changement dans les ha- de détresse. La distribution de quelques tion ou sous la bannière d’une nébuleuse s’est vite estompée et le bitudes et le quotidien des personnes peut sacs de semoule ou d’une somme maigre- mondialisation. Ces intérêts ne s’arrêteront secteur informel saisit amener à un changement partiel des com- lette, nécessitant des chaînes interminables pas. Ils reprendront de plus belle. La polé- portements. Je dis partiel car ce qui est le plus devant les APC en sont l’illustration la plus mique présente, au cœur de la fournaise de cette aubaine pour se difficile à changer c’est justement cet aspect caricaturale. L’une des conséquences de cet- la crise même, sur les intentions ou les pré- rebooster.” de la personnalité d’un individu. En psy- te crise est, précisément, l’aggravation du pro- tentions de l’industrie médicamenteuse et chologie, on affirme souvent que face à cessus de précarisation déjà fort prégnant. pharmaceutique, en est une excellente illus- nouissement. C’est pour cela que le mode une situation qu’on ne peut changer, il tration. Il n’y a aucune illusion à se faire, à d’appréhension du confinement et, de façon s’agit de changer notre perception de cette D’aucuns attribuent cette crise à l’arrogance mon avis, sur un comportement “réfléchi” de générale, de la crise sanitaire n’est pas le réalité pour s’y adapter. de l’homme qui ne s’est jamais soucié de l’homme à l’issue de cette calamité. même chez la communauté scientifique On a bien vu un début de prière collective sur la préservation de l’environnement. Sous- ou les autorités politiques. Pour ces dernières, les terrasses de certains immeubles, des crivez-vous à cette thèse et pensez-vous pos- Le gouvernement vient d’assouplir le les priorités ne sont pas les mêmes. La paix cérémonies d’enterrement totalement dif- sible que l’être humain puisse adopter couvre-feu et d’autoriser de nombreux sociale prime la santé publique. Et c’est férentes de ce qu’on a vécu jusqu’à présent. un autre comportement ? commerces à rouvrir alors que la commu- précisément le problème. Si la présente cri- Un autre phénomène passé presque in- Il est de l’ordre du banal de dire que l’hom- nauté scientifique continue à appeler au se sanitaire a connu nombre de couacs, aperçu est la fermeture des cimetières, pour me a largement contribué au saccage de la confinement. Comment analysez-vous la c’est parce que les autorités politiques n’y les visites, qui semble être accepté par la po- nature et à la généralisation de l’approfon- gestion de la crise socio-sanitaire suivie par étaient pas préparées avec une ligne et une pulation. Mais il est encore trop tôt pour ti- dissement des déséquilibres écologiques les autorités ? vision sanitaires globales, claires. Avec des rer des conclusions. Il s’agit pour les spé- environnementaux, au sens très large du ter- Je pense qu’il ne faut être ni laxiste ni alar- dispositifs et une méthodologie éprouvée.