Maurice Maignen Apôtre Du Monde Ouvrier
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Maurice Maignen Apôtre du monde ouvrier par Richard Corbon s.v. 1 I D’UNE FAMILLE À L'AUTRE (1822 - 1845) Un lignage d'artistes Un jour, si d'aventure, il vous arrivait de flâner dans Paris près de la Gare ou de la Tour Montparnasse, et que vous désiriez vous éloigner un peu du bruit et de la foule, allez re- trouver, à quelque pas de là, le calme et la tranquillité d'une rue qui ne paie pas de mine: la rue Maurice-Maignen.1 Modeste et discrète, elle vous invitera à remonter le temps, en vous racontant qu'il y a 150 ans, dans ce quartier, celui à qui elle doit son nom, fut le fondateur, non moins modeste et discret, d'une Œuvre de jeunes ouvriers, auxquels il se donna corps et âme. Or, si à ce titre de "Directeur du Cercle Montparnasse" qui figure sur la plaque de sa rue, l'on avait pu ajouter "artiste, né à Paris", l'intéressé n'aurait rien trouvé à y redire, bien au contraire! Car tel est bien le premier héritage que Maurice Maignen aimera souvent revendi- quer: être né artiste et à Paris. "Le père de Lucien est parisien et fils de parisien, ce qui est rare, artiste et fils d'artiste, ce qui est plus fréquent" écrira-t-il plus tard dans ses souvenirs de famille, où il se cachera sous le pseudonyme de Lucien.2 Etre né parisien, et fils d'artiste explique toute son enfance, sinon toute sa vie. De même, sa vocation religieuse et son apostolat ne se comprennent pas en-dehors de leur cadre naturel, le Paris du XIXe siècle. Au lendemain de la Révolution Française, la capitale a vu triompher le nouveau pou- voir: l’argent, qui succède au privilège de la naissance et qui fait que Paris attire toutes les convoitises. Tous les talents s’y donnent rendez-vous, elle est la ville de toutes les promesses et de toutes les infortunes...Maurice Maignen y voit le jour, le 33 mars 1822, au 5, de la rue de la Ferronnerie, et il y est baptisé quelques jours plus tard. Cette rue de la Ferronnerie située au cœur de la capitale, près des Halles, et dont le nom évoque bien le Paris des artisans et des métiers, fut le théâtre, deux siècles plus tôt, en 1610, 1 Prononcer Mégnan. On trouve aussi, parfois, d’autres orthographes: Maignan, Meignen. 2 C'est dans son roman à caractère autobiographique, Les Sauveurs du Peuple, (1867), qu'il s’est choisi ce pseudonyme. 3 Ou le 4, selon son frère Louis-Eugène Maignen dans Portraits de Famille, 1759-1871, t.I, p.73. De même, l'extrait d'acte de baptême porte: "Le six mars 1822, a été baptisé Jules Charles Maurice, né d'avant-hier,..." 2 de l’assassinat d’Henri IV le plus populaire des rois de France. Quelques douze ans après cet événement, en 1622, était né, non loin de là, rue St-Honoré, le plus illustre des enfants de commerçants, Molière: on sait comment, destiné par son père, Jean Poquelin, maître-tapissier, à vendre comme lui des étoffes, le comédien préférera utiliser son génie à mettre en scène des "bourgeois" de Paris. Le quartier où va bientôt s’installer la famille Maignen, est donc comme marqué par ce qui va décider de la vie du jeune Maurice: la vocation d’artiste, le monde du travail, et l’histoire de France. Si la généalogie des Maignen ne remonte pas au-delà de la moitié du XVIIIe siècle, les quelques documents qui permettent de la reconstituer en attestent l’origine bourgeoise, celle d'une petite bourgeoisie parisienne d’avant la Révolution. On y apprend que la nature ne les a pas oubliés et les a faits artistes. C’est là leur unique "privilège" dans une période de grands bouleversements, car, pour la plupart de ses membres, cet avantage n’en est pas un et ne suffi- ra pas à les faire vivre. Seul, l’arrière-grand-père Maignen Louis-Joseph, qui avait épousé la belle-sœur d'un artiste-peintre, Ducreux, premier peintre de la reine Marie-Antoinette, avait pu vivre de son art, la peinture de portraits, sous l’Ancien Régime et sous la Révolution. Son fils Marie-Louis (1759-1820), né en région parisienne, était parti exercer le même métier à Cognac, mais était revenu à Paris en 1792, en "espérant y gagner beaucoup d'assi- gnats", selon ses propres confidences. Il s'y était établi comme peintre de miniatures et y fai- sait commerce de tableaux, gravures, estampes et dessins. Marié avec Adélaïde Sarrazin, de Barbezieux, il en aura trois enfants, dont Charles-Désiré, né en 1794, le père de Maurice, qui manifestera, à son tour, de belles dispositions pour le dessin et la peinture. Du côté maternel, le jeune Maurice est né aussi sous une bonne étoile. Sa mère, Cécile Chataigner était l’une des trois filles d’un célèbre graveur de Nantes, Dominique Chataigner, membre de la société des Sciences et des arts de cette ville, qui résidait alors à Paris. Comme ses deux sœurs, Cécile héritera de sa famille des dons pour la gravure et le dessin. L’un de ses neveux, Jules Dauban avec qui le jeune Maurice entretiendra longtemps les meilleures rela- tions, mènera une belle carrière d’artiste-peintre, se présentera même au concours du Prix de Rome et deviendra professeur à l’Ecole des Beaux-Arts d’Angers. Malgré la conjoncture défavorable, car le commerce et l’artisanat sont presque paralysés et le chômage important, les activités du grand-père Maignen se développent et lui permettent de vivre dans une certaine aisance. Y contribuent notamment deux fameuses estampes, conservées jalousement par la famille, La marchande de gâteaux et La marchande d’amadou, reproduites d’après ses propres toiles de 1802. Peu de temps avant, cependant, les Maignen ont failli voir compromise une situation qui s’annonçait prometteuse. L’incident survint en 1798. On était alors en pleine réaction révolutionnaire. Après le coup d'Etat du 18-Fructidor, le Directoire était revenu à une politique religieuse de persécution anti-catholique, avec le culte décadaire et les nombreux emprisonnements et déportations de prêtres. Or, au mois de mars 1798, la grand-mère Adélaïde Maignen, qui donc tenait boutique avec son époux, au 86 de la rue St-Denis, expose, entre autres gravures, une image représentant l'athéisme cherchant à renverser la croix de Jésus-Christ. La composition et le dessin étaient de son mari, et la gra- vure de Chataigner. Traduits devant le tribunal, on reprocha à "la citoyenne Maignen et à son mari d'avoir exposé aux yeux du public un signe de culte". Deux motifs de contravention fu- rent relevés: la légende: "sujet utile à l'édification de la jeunesse", et le fait que ce dessin contenait des "allégories capables de troubler la tranquillité publique". Marie-Louis Maignen fut condamné à une forte amende et à un mois d'emprisonnement à la prison Ste-Pélagie où étaient détenus les opposants politiques et les débiteurs insolvables. Bien que d'autres estam- 3 pes leur furent confisquées, l'aventure n'eut pas d’autres conséquences fâcheuses pour les Maignen. De cet épisode malheureux, on ne peut rien dire des convictions profondément chrétiennes des grands-parents Maignen. Comme beaucoup de familles bourgeoises de l’époque, la famille Maignen est d’éducation libérale, croyante, mais non-pratiquante. Si le grand-père Marie-Louis fait baptiser son fils Charles-Désiré, ce ne sera que deux ans après sa naissance, en 1796 et l’enfant ne sera pas éduqué dans la piété, mais dans l’amour de l’art et de la poésie. La jeunesse de Désiré est des plus heureuses, insouciante même, car son avenir semble placé sous les meilleurs auspices: il sera poète ou peintre. Ses parents s’enrichissent suffi- samment pour devenir propriétaires d’une maison de campagne, à Alluyes-Bonneval, en Eu- re-et-Loir4. Il racontera plus tard à ses deux fils qu’il y a vécu les heures les plus douces de sa vie, car, étant petit, il se faisait toujours fête de s'y rendre et de l’écrire en chansons: "Enfin, j'allons partir/pour nous divertir/ à notre campagne/ j'allons pêcher,/ chasser, sauter/ et danser/ et nous balancer,/ je mangerons du pain bis/ que maman aura cui/ et puis de la galette/". Le père de Maurice: peintre ou militaire? En 1810, Charles-Désiré Maignen a seize ans et s'il fait toute la fierté de son père, tel- lement il excelle dans la peinture et dans l’art poétique, l'adolescent le lui rend bien: lorsque l’empereur Napoléon annonce son prochain mariage avec Marie-Louise, l'adolescent s’en réjouit pour son père, car, lui écrit-il, "les fêtes qui vont être organisées pour l'arrivée de la nouvelle impératrice, t’amèneront beaucoup d'étrangères, qui, j'espère, te feront faire beau- coup de portraits. Il suit assidûment les cours donnés par des maîtres comme Lebel et Gros, qui se montrent très élogieux sur ses capacités. Mais nous sommes à l’apogée de l’Empire et, déjà, sous l’artiste et le poète, pointe le futur soldat, séduit par l’épopée de l’armée impériale. Il a été touché par la fibre militaire: lorsqu’il taquine la muse, c’est en l'honneur du maréchal Lannes, qui vient de mourir en héros à Essling, en mai 1809, qu’il compose un long poème le Passage du Danube, qu’il adresse à sa veuve, la duchesse de Montebello. Et son père est si heureux des vers de son fils, qu'il n'hésitera pas à les faire imprimer sur du papier de luxe..