Il a été tiré de ce livre 1.530 exemplaires, dont 30 exemplaires numérotés, constituant l'édition originale : - de 1 à 15, réservés à l'Auteur. - de 16 à 30, réservés à l'Éditeur. JEAN ROYER 1974 :

OBJECTIF ÉLYSÉE !

Christian GARBAR

préface de Pierre AVRIL

le Clairmirouère du Temps i Ce livre est édité par l'Association Le Clairmirouère du Temps (B.P. 85 - 41004 Blois Cedex), Association régie par la loi de 1901 et dont l'objet est " l'étude et la diffusion de l'histoire et des cultures régionales Bureau de l'Association : Hugues de FROBER VILLE, Pierre LARMANDE. A VER TISSEMENT DE L'ÉDITEUR

La publication par LE CLAIRMIROUÈRE DU TEMPS de ce livre sur la campagne de Jean RO YER ne manquera pas de susciter étonnement et questions. Il est certain que les premiers ouvrages édités par notre Association ont un caractère très historique, qui ne disposait guère à prévoir un sujet aussi actuel que celui-ci.

Pourtant, ceux qui voudraient voir dans ce livre un geste de nature politique se trompent lourdement : le travail de Christian GARBAR est d'abord, comme se plaît à le souligner Pierre A VRIL, un travail scientifique. C'est une étude sociologique et psycholo- gique d'un événement politique récent : à ce titre, ce livre est une œuvre d'historien, même s'il s'agit ici d'histoire " à bout portant ". Il eût été sans doute plus confortable d'attendre que, le temps ayant fait son œuvre, cette étude perde de son caractère actuel. Mais c'eût été prendre le risque que disparaisse un document sur ce qui aura tout de même été un temps capital de la vie de notre ville. C'est pourquoi, fidèles à la vocation du CLAIRMIROUÈRE DU TEMPS, nous avons pris l'initiative d'éditer ce livre.

Et nous savons que les Tourangeaux sauront y trouver l'essentiel : des clefs pour comprendre des événements qu'ils ont vécus. Le livre de Christian GARBAR est donc, pour nous, une première pierre. Nous pensons qu'il sera suivi de beaucoup d'autres qui soient autant de témoignages sur la richesse de la vie en Touraine. Pierre LARMANDE Le Clairmirouère du Temps.

A Titou.

Ce livre n'aurait pu être écrit sans les entrevues accordées et les informations et documents fournis par de nombreuses personnes, acteurs ou simples observateurs de ces événements. Qu'elles en soient très sincèrement remerciées.

PRÉFACE

L'étude que Christian GARBAR consacre à la tentative de Monsieur Jean ROYER en 1974 présente un intérêt permanent, mais elle revêt une particulière actualité au moment où s'ouvre la nouvelle campagne présidentielle. Tout d'abord, le rappel de l'inquiétude que provoqua, chez les autres candidats et chez leurs partisans, l'initiative du maire de , n'est pas sans évoquer des réactions que l'on peut observer aujourd'hui ; il attire surtout notre attention sur la part d'inconnu qui est inhérente à une entreprise de ce type. Les sondages sont incapables d'en dissiper l'incertitude parce qu'une campagne - faut-il énoncer cette évidence ? sert à quelque chose : la conception et la réalisation d'une straté- gie constituent des facteurs au moins aussi importants que le capital de notoriété et le volume de suffrages potentiels dont un candidat dispose au départ. Il se trouve, l'auteur le souligne, que Monsieur Jean ROYER occupait à cet égard une position originale. Il se distinguait du ministre technicien, courant sous la Ve République, par sa dimension politique propre. N'avait-il pas été appelé au gouvernement pour remplir une mission de caractère politique, qui était de servir d" 'amortisseur" aux tensions provo- quées par l'aventure industrielle dans laquelle Georges POMPIDOU engageait la ? L'expression d"'amortisseur" est de Pierre GREMION qui l'applique à cet autre élément du dispositif alors mis en place : la politique menée par Monsieur MARCELLIN en matière de collectivités locales (1). Pour apaiser les alarmes que la modernisation rapide de l'appareil de distribution faisait naître dans un secteur névralgique de la clientèle majo- ritaire, et éviter que les grandes surfaces ne provoquent la répétition de l'explosion pouja- diste de 1956, il fallait jeter du lest en faveur des artisans et des commerçants. Le ministre s'acquitta de cette mission (trop bien, pensent certains), au point que, s'ajoutant à la répu- tation qu'il tenait déjà de sa croisade vertueuse, il y trouva l'espoir d'une " dimension nationale ". Peut-être ne voyait-il pas qu'il ne représentait qu'une seule des deux faces d'une poli- tique globale, la face traditionaliste, et que cette limitation classait du même coup sa can- didature dans une catégorie que l'on connaît bien désormais : celle des candidatures de témoignage. Il partait de ce fait avec un handicap que la campagne ne fit que creuser. Il ne faut pas oublier en effet que si le medium est évidemment nécessaire, il ne remplace pas le message. (1) Dans l'ouvrage collectif dirigé par H. MENDRAS, La Sagesse et le Désordre, Gallimard 1980. Reste la politique comme spectacle. Sous ce rapport, le maire de Tours ne fut pas heu- reux. Il ne faut pas s'hynoptiser sur les vices de marketing politique, qui ne fait après tout que systématiser et rationaliser des pratiques aussi vieilles que les élections elles-mêmes, mais il y avait ici une différence d'échelle qui lui fut fatale : il ne suffit pas de transposer, en plus grand, ce qui a réussi dans une circonscription ordinaire, car la circonscription qui se joue et où tout se joue, c'est ici la France entière. Comme l'observe l'auteur, Monsieur Jean ROYER a abordé cette compétition avec son expérience de notable bien implanté, alors qu'il ne se trouvait plus à l'échelle humaine de la ville de Tours ni à celle des réunions corporatives où il faisait merveille. Cette fois la communication personnelle ne passait plus car les techniques artisanales du député-maire n'étaient plus à la dimension de l'entreprise. Actuelle, cette étude l'est donc incontestablement, mais elle le doit sans doute à la démarche qui fut initialement la sienne : celle d'un travail universitaire qui, parce qu'il dépasse les préoccupations de l'instant, s'assure le bénéfice de la durée et peut prendre rendez-vous avec l'avenir.

Pierre AVRIL Professeur à l'Université de Paris X - Nanterre " Vous croyez que le bien, c'est la lumière et que l'ombre, c'est le mal. Mais où est l'ombre, où est la lumière Henri-Georges CLOUZOT Le Corbeau.

AVANT-PROPOS

Ce livre n'est ni une apologie ni un pamphlet. Une apologie supposerait une adhésion aux idées de Jean ROYER. Or la vision du monde de celui-ci, du moins telle qu'elle apparaît dans le programme de l'ancien candidat de 1974, est totalement étrangère à la mienne. On le constatera en lisant cet ouvrage, consacré à un homme qui croit à la collaboration har- monieuse des classes sociales et au juste milieu, notions que je considère comme totale- ment illusoires. Mes références sont davantage à rechercher du côté de ceux qui dénoncent justement de tels mythes. Le pamphlet excluerait toute sympathie pour l'homme. Or il est difficile, pour qui connaît Jean ROYER, même s'il se situe aux antipodes de sa pensée, de ne pas éprouver un tel sentiment en sa présence. La passion qu'il met en toute chose, sa sincérité, qui tend vers une naïveté souvent fatale dans la vie publique où même les petits politiciens de pro- vince s'essaient à singer Machiavel, sont deux qualités qui le rendent attachant. Elles font passer à l'arrière plan ses tendances plus connues à l'intransigeance et à l'autoritarisme. On comprend pourqùoi je ne distille ni le fiel ni le miel. Mais si louanges et invectives sont exclues de ce livre, c'est aussi et surtout parce qu'il a été écrit d'après un travail de recherche universitaire. Il reprend les conclusions d'un mémoire de Diplôme d'Études Approfondis (D.E.A.) de Science Politique, soutenu en 1978 à l'Université de Paris X, sous la direction de Pierre AVRIL. Or la loi du genre est connue : elle ignore les outrances, dans l'éloge comme dans la critique. Elle exige que l'auteur rapporte des faits et en donne une interprétation. En l'espèce il s'agissait de reconstituer le plus fidèlement possible la campagne présidentielle de Jean ROYER, à par- tir de documents - rares - et de témoignages - nombreux, mais plus fragiles. Il fallait ensuite vérifier une hypothèse : on ne s'improvise pas candidat à l'élection présidentielle, surtout lorsqu'on n'est pas soutenu par un parti politique d'envergure nationale. Cette idée paraît banale, mais sa banalité ne ressort qu'après l'élection : au début de la campa- gne Jean ROYER ne faisait-il pas figure d'outsider ? Il était donc tentant de choisir le maire de Tours, candidat isolé s'il en est, pour démontrer ce théorème politique. Il faut se garder toutefois d'attribuer à mes conclusions une trop grande portée. En matière de sciences humaines , une loi n'a jamais la précision d'une loi scientifique et 1'"épopée" malheureuse de Jean ROYER n'est pas un modèle indéfiniment valable. Ainsi la télévision - cette drogue des temps modernes - ne transformera-t-elle pas dans l'avenir les conditions de réussite, en réduisant le rôle des partis et en redonnant une chance aux candidats "indépendants" ? Encore faudrait-il maîtriser parfaitement ce mode d'expression, ce que Jean ROYER n'a pas su faire en 1 9 7 4 Pour l'heure, à moins de 6 mois de l'échéance de 1981, on peut effectivement affir- mer, avec les nuances nécessaires, que les règles actuelles d'organisation de l'élection prési- dentielle, plus sévères encore qu'en 1974, ainsi que les conditions générales de notre vie politique, ôtent toute chance de réussite aux candidats marginaux... et les condamnent donc à rester enfermés dans leur marginalité. Est-ce un progrès ou une régression de la démocratie ? Telle est bien en effet l'interrogation capitale que doit poser l'élection présidentielle et ce livre aurait atteint son but s'il contribuait modestement à la susciter. C. G. L'AVENTURE COMMENCE

Le 2 avril 1974, la mort du Président POMPIDOU survient dans un climat de fin de règne : depuis longtemps déjà, " les candidats à la succession se bousculent sans discrétion autour du grand personnage fatigué " (1). Ceux-là sont prêts : leur décision est prise, le risque mesuré, la stratégie envisagée. Entrer dans la course au moment opportun demeure leur seul souci majeur. Pour Jean ROYER, l'échéance vient trop tôt. Sa notoriété nationale est trop récente pour qu'il désire en tirer immédiatement parti. Pour comprendre, il faut revenir en arrière. Hier encore simple notable local, maire de TOURS et député d'Indre-et-Loire, il n'est devenu ministre que depuis le 3 avril 1973 lorsque lui confie le Commerce et l'Artisanat (2), puis un an plus tard, les Postes et Télécommunications (3). Mais cette carrière politique à l'allure traditionnelle ne suffit pas à expliquer que depuis peu, Jean ROYER ait songé, sans le dire, à un destin national. Il faut y ajouter la popula- rité dont il jouit dans certains milieux : celui des traditionalistes qui ont été sensibles en 1971 à la campagne contre la pornographie du maire de Tours, mais surtout celui des commerçants, mobilisés par l'action du ministre du Commerce et de l'Artisanat. Jean ROYER se comporte alors dans cette fonction davantage en leader politique qu'en ministre technicien. Celà lui vaut, à l'occasion du remaniement de mars 1974, de se voir retirer un poste dont il semble se servir pour mener une précampagne électorale prési- dentielle, ce qui suscite l'inquiétude de la majorité. Jean ROYER hésite à accepter ces nouvelles fonctions de ministre des P.T.T. qui lui font perdre contact avec la plus grande partie de sa clientèle. Mais comme il y voit finale- ment un autre moyen de gagner des soutiens dans une large partie de la population, celle notamment des usagers du téléphone, il accepte et entreprend de vastes réformes. C'est alors que s'ouvre la succession à l'Élysée. Jean ROYER se pose inévitablement une lancinante question : " Être ou ne pas être candidat " ? Faut-il attendre la prochaine échéance ou forçant le destin, tenter le tout pour le tout ? Il faut choisir vite, car la course est ouverte. Dès le 3 avril, Christian FOUCHET, Jean-Marie LE PEN et font connaître leur candidature (4). Le len demain, alors que le Président défunt vient à peine d'être inhumé, Jacques CHABAN- DELMAS et Edgar FAURE (5) se mettent à leur tour sur les rangs, tandis que le 5 avril le Comité de Liaison des partis signataires du programme commun déclare que François MITTERRAND sera le candidat de la gauche (6). Enfin le 8, depuis la mairie de CHA- MALIÈRES, le Ministre des Finances, Valéry GISCARD D'ESTAING annonce qu'il est lui aussi candidat à la Présidence de la République (7). Jusque-là Jean ROYER ne semble pas disposé à tenter l'aventure. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été sollicité. Dès l'annonce de la mort du Président POMPIDOU, le Ministre des Postes et Télécommunications a reçu des lettres qui l'encouragent à se présen- ter à l'élection présidentielle. Le dirigeant d'un mouvement de catholiques traditionalistes, M. Michel de PENFENTENYO fait une démarche personnelle auprès de lui pour lui demander de se porter candidat et l'assurer de son soutien. Le 4 avril, un numéro spécial de France Moderne, l'organe de la F.N.R.I. fait figurer la photo de Jean ROYER à côté de celle de Valéry GISCARD D'ESTAING qui n'a encore pas annoncé sa candidature. Désire-t-on ainsi présenter les deux futurs candidats de la droite non gaulliste ? C'est le 6 avril qu'un tournant est annoncé. L'Espoir, le journal de Jean ROYER, dont le rédacteur en chef est Gérard ROYER, le propre fils du Maire de TOURS, publie un article décisif. Son titre " QUI ? " suggère sans équivoque la candidature de Jean ROYER. L'auteur, Michel PORTAIX, critique les prétendants - réels ou supposés - à la succession (" Cet ancien ministre de la IVe République éclaboussé par trop de relations ", " Ce technocrate plus à l'aise dans la bonne société des safaris que sur un marché de vil- lage ") et examine les qualités idéales du Président de la République : la liberté vis-à-vis des puissances d'argent, des groupes d'intérêt et des partis et l'autorité pour promouvoir des réformes. " Je ne reconnais pas dans les silhouettes qui s'agitent au devant de la scène politique, l'homme rassemblant ces qualités là. Et pourtant, il en existe certainement. Au moins un. " (8). Le 9 avril, Le Parisien Libéré reprend l'idée. Jean ROYER sera-t-il candidat ?

Pendant ce temps le Maire de TOURS observe la loi du silence. Le 5 avril il a rendu hommage au Président défunt (9), le 8 il a présidé la réunion du Conseil Municipal comme à l'ordinaire et n'a fait aucune déclaration (10). Le 9 il soutient l'ephémère initiative du Premier Ministre Pierre MESSMER qui veut susciter une candidature unique de la majo- rité et annonce qu'il sera candidat si les autres se retirent. L'échec de cette tentative convainc-t-il Jean ROYER ? Il est vraisemblable que c'est de cette époque que date sa décision (11). Mais il attend encore. Déjà, la rumeur se propage. Le quotidien local, La Nouvelle République du Centre- Ouest, titre le 10 avril : " M. ROYER, candidat surprise ? " (12). Ce n'est pourtant que le lendemain que Jean ROYER se déclare. Le 11 avril, à 18 heures, il rend visite au Premier Ministre pour lui annoncer sa déci- sion de se présenter à l'élection présidentielle et lui remettre sa démission de Ministre des Postes et Télécommunications (13). A 18 h. 50, un communiqué est publié par le Cabinet du Premier Ministre (14) et à 19 h. 15, Jean ROYER remet à la presse sa déclaration de candidature : Je suis candidat à la Présidence de la République. Je suis décidé à servir la République et la France dans le respect des institutions, du bien commun et de l'intérêt supérieur de notre pays. Homme libre, totalement indépendant des partis et des groupes d'intérêt, je propose aujourd'hui au peuple français un nouveau style d'action dont j'ai déjà en d'autres cir..." constances, défini les principes et démontré l'efficacité. La politique n'est pas uniquement le moyen de diriger les hommes à travers la seule administration des choses. Elle est aussi la manière de les respecter, de les entendre, de les encourager et de les aider à progresser en les considérant comme des personnes libres et responsables douées d'une vie spirituelle et morale. La France a besoin aujourd'hui de réformes audacieuses. Je les définirai, ainsi que les moyens de les réaliser, au cours de ma campagne et notamment lors d'une prochaine conférence de presse. Je respecterai, en effet, scrupuleusement les règles constitutionnelles et ne ferai aucune déclaration de fond avant que la campagne ne soit officiellement engagée. Appliquant les principes de rigueur et d'indépendance qui m'animent, j'ai également décidé de donner ma démission du gouvernement. Je l'ai remise tout à l'heure, à Monsieur le Premier Ministre qui l'a acceptée. Je retourne maintenant en Touraine d'où s'organisera ma campagne, une campagne vigoureuse et ardente. " (15). Pour les uns, cette candidature est apparue " comme l'aboutissement inattendu, déri- soire et redoutable à la fois, des incroyables machinations menées par le trio des pompido- liens fanatiques (Jacques CHIRAC, Pierre JUILLET et Marie-France GARAUD) qui a conduit l'ex-majorité au bord de la folie... Acharnés à abattre leur ennemi intime, CHABAN-DELMAS, ils ont contribué à faire surgir de leur infernale marmite ce SAVO- NAROLE des boutiques... " (16). En réalité, Jacques CHIRAC et Valéry GISCARD D'ESTAING conjuguent leurs efforts pour faire renoncer à son projet le Ministre des Postes et Télécommunications : " Un certain nombre de personnalités politiques ont tenté de me dissuader de me présen- ter, au nom de la sacro-sainte unité de la majorité, alors même que celle-ci se présentait en ordre dispersé devant l'unité de l'opposition " (17). Mais ils se heurtent à une volonté inflexible. " Le Maire de TOURS n'est pas entré en scène pour jouer les acteurs de complément ou les matamores éphémères comme M. Christian FOUCHET " (18). Pour- tant les mêmes hommes changeront ultérieurement de tactique, comme le reconnaît lui- même Jean ROYER : " On s'était aperçu que je prenais des voix dans tous les milieux et comme était grande la peur du passage du candidat de la gauche, un certain nombre de hiérarques m'encourageaient à me maintenir. C'était là un encouragement inutile d'ail- leurs et futile car je n'avais aucune raison de me retirer. J'aime bien la lutte et je devais aller par devoir jusqu'au bout de la mienne. " (19). Pour cela, il faut d'abord que le Conseil Constitutionnel retienne sa candidature. Les dispositions légales exigent en effet qu'un candidat soit présenté par 100 parlementaires, conseillers généraux et maires ou membres du Conseil Économique et Social, représentant au moins 10 départements (20). Entre le 11 et le 16 avril, Monsieur CHASSAGNE, sup- pléant de Jean ROYER à l'Assemblée Nationale et alors député d'Indre-et-Loire, est chargé de collecter les signatures. Le 16, il en a réuni 130 (21).

Aurait-il pu en rassembler davantage ou s'est-on borné, faute de temps, à solliciter le nombre minimum de parrains exigé ? La question à laquelle malheureusement on ne peut répondre, le candidat s'étant montré discret sur ce chapitre, prend aujourd'hui un sens nouveau depuis que, sensible aux nombreuses critiques émises sur la prétendue insuffi- sance du parrainage, le Parlement a voté la loi organique du 18 juin 1976. Celle-ci élève à 500 le nombre des présentateurs, qui sont désormais nécessairement tous détenteurs d'un mandat électif (députés, sénateurs, conseillers généraux et maires) et qui doivent représen- ter au moins 30 départements ou territoires d'outre-mer, sans que plus d'un dixième d'entre eux soient des élus du même département ou territoire d'outre-mer (22). Parmi les 130 signataires, figurent trois parlementaires dont M. CHASSAGNE lui- même et deux députés de la Manche, MM. BIZET et GODEFROY qui soutiendront le candidat pendant sa campagne et des maires des départements voisins où s'exerce l'influence du Maire de TOURS. Le 18 avril, le Conseil Constitutionnel accepte la candidature de Jean ROYER, parmi les douze retenues (23).

La campagne va donc s'engager. Est-ce un mauvais présage ? L'horoscope de Jean ROYER (qui est du signe du scorpion) annonce le 10 avril, jour de la déclaration de candi- dature : " Les circonstances ne sont pas favorables à vos projets, prenez patience et ne commettez pas l'erreur de forcer les événements " (24). Mais le candidat ne croit pas aux signes. Désormais convaincu qu'il peut compter sur les clientèles qu'il s'est constituées, il se lance dans la bataille dès l'ouverture de la campagne officielle, le 19 avril. Le monde politique estime alors qu'il peut déjouer tous les calculs : " Qui ne sait et qui ne voit qu'au fond, il n'y a que quatre hommes qui ont réellement des chances ? M. MITTERRAND représente la gauche. La majorité actuelle ou élargie se retrouve avec deux candidats, attendus depuis longtemps, MM. CHABAN-DELMAS et GISCARD D'ESTAING et, un outsider, M. ROYER " (25). Mais les premiers sondages vont démen- tir ce pronostic. Le 11 avril, seulement 5 070 des personnes interrrogées se prononcent pour Jean ROYER. Par la suite, la courbe ne s'élèvera à 7 % le 19 avril que pour retomber très vite au niveau de 3 % où elle se stabilise, à l'exception d'un bref sursaut à 3,5 % à la veille du scrutin. Le 5 mai, Jean ROYER obtient 3,17 % des suffrages exprimés. L'intérêt de cette campagne réside donc dans la disproportion entre les ambitions qui motivent la candidature et la faible ampleur du résultat. Pourquoi Jean ROYER n'a-t-il pas pu bénéficier du capital de crédibilité dont on le dotait au début de la campagne ? C'est la question à laquelle on s'efforcera de répondre. Pour cela, on fera appel à une notion empruntée à la science politique américaine, celle de " ressource politique " dégagée par R. DAHL. Selon ce dernier, " une ressource politique est un moyen par lequel une personne peut influencer le comportement d'autrui ; les ressources politiques comprennent donc l'argent, l'information, la nourriture, la menace de la force physique, les emplois, l'amitié, le rang social, le droit de légiférer, les votes et toute une variété d'autres phénomènes (26). Si l'on dotait Jean ROYER d'un certain potentiel de crédibilité, c'est qu'il possédait des ressources politiques susceptibles d'influencer les comportements électoraux. Le pre- mier moment de la recherche consiste donc à identifier les ressources et à en mesurer la fia- bilité dans une campagne de cette nature, sans poser à priori le principe de leur faiblesse ou de leur inadéquation à la dimension de la compétition. Il s'agit donc d'évaluer le poids du passé. Mais aucune ressource n'a de signification en elle-même. Elle ne vaut que par l'usage qui en est fait, la manière dont on en tire parti. Ainsi, l'étude de l'utilisation des ressources doit-elle compléter celle de leur nature en décrivant la campagne et ses péripéties. Cette analyse à deux dimensions - l'une statique, l'autre dynamique - devrait permet- tre de contribuer à éclairer l'échec de Jean ROYER et peut-être par antithèse, à esquisser les facteurs qui conditionnent, sans le garantir, le succès à une élection présidentielle.

PREMIÈRE PARTIE

LE POIDS DU PASSÉ Pour tout candidat, les ressources ne sont pas un donné : elles se constituent peu à peu, soit selon un plan préétabli et contrôlé, soit spontanément et au hasard des circons- tances au cours de sa carrière politique. Celle de Jean ROYER est, avec des nuances, très classique. La façon dont les ressources se sont formées contribue à éclairer leur nature et permet d'avoir certains éléments de réponse à la question : le candidat est-il crédible ? CHAPITRE 1 UNE CARRIÈRE POLITIQUE CLASSIQUE

Un candidat à l'élection présidentielle se constitue des ressources pendant sa carrière poli- tique. Si celle des grands candidats ou candidats de série A pour reprendre l'expression de J.-P. GOUREVITCH, est très connue et a fait l'objet de nombreuses études (27), celle de l'outsider Jean ROYER mérite d'être retracée dans ses étapes esentielles. Aussi convient-il d'étudier l'itinéraire politique, c'est-à-dire l'accession aux fonctions ainsi que l'exercice de celles-ci. L'ascension : de l'instituteur au ministre Rien ne prédisposait Jean ROYER à devenir un homme public. On ne peut dire de lui, comme de son rival chanceux à l'élection présidentielle, qu'il a " bénéficié, dès sa venue au monde, de quelques uns de ces atouts qui, s'ils ne suffisent pas à déterminer les carriè- res exceptionnelles, les favorisent singulièrement " (28). Nulle trace dans son ascendance de grands commis de l'État ou de gens de Cour, de sénateurs ou de pairs de France, mais des ouvriers agricoles puis des artisans et employés de commerce : le grand-père paternel est ouvrier forgeron et serrurier, ancien compagnon du devoir, le grand-père maternel employé dans un grand magasin, un oncle exerce la profession de cordonnier, le père celle d'employé de banque. C'est donc dans une famille appartenant à ces classes moyennes (29), laborieuses et économes, croyant à " la nécessité de la lutte et de l'effort, des valeurs qui chez les pauvres ont un cours forcé " (30), que nait Jean ROYER, à , le 31 octobre 1920. Le foyer paternel dont il est l'ainé communie aux valeurs traditionnelles de la France : on y est catholique, mais avec mesure : seule la mère est prati- quante ; on ne s'y intéresse guère à la politique qui se confond avec les combines et les tractations électorales, les marchandages et les compromis : on y vote car il s'agit d'un " devoir civique et politique " (30) mais on n'y milite pas, même dans un syndicat. Est-il dès lors surprenant que Jean ROYER ne prenne pas position pendant la guerre ? N'appartenant pas aux classes mobilisables, lui qui souhaitait être sous- officier ou officier dans l'artillerie, il ne prend de lui-même aucun engagement et adopte une attitude de " stricte neutralité " à l'égard du régime du Maréchal PÉTAIN ou de la résistance. C'est un attentiste, sans doute, mais comme sa famille, comme nombre de Français (31) ; et pas des moindres : pour Georges POMPIDOU par exem- ple, l'un des modèles de Jean ROYER, " la guerre, passée dans un régiment d'infan- terie alpine, n'est guère qu'un entracte qui remplace exactement l'année scolaire 1939-40 ; après quoi, le professeur retrouve Henri IV et ses élèves. " (32). 1940 : c'est justement l'année où Jean ROYER entre dans l'enseignement. Mais la comparaison doit s'apprécier à sa juste mesure : ce n'est pas au lycée, mais à l'école pri- maire supérieure que ses études commencent, et non rue d'Ulm, mais à l'école normale d'Indre-et-Loire qu'elles s'achèvent, bien malgré lui d'ailleurs puisqu'il préparait l'entrée à l'École Normale de SAINT-CLOUD. La guerre met fin à ses études et l'oriente donc vers le métier d'instituteur. Mais n'est-ce pas son rêve depuis qu'il a dix ans et qu'il admire " ses maîtres " ? De plus la profession est encore prestigieuse pour un " intelléctuel " des classes moyennes qui doit très vite gagner sa vie.

Se succèdent alors les postes dans les petites communes de Touraine (33), cette région où se sont établis ses parents à la faveur d'une mutation du père en 1926. L'avenir assuré, Jean ROYER se marie en 1944 avec une institutrice. Le couple, qui aura cinq enfants, mène alors une vie calme, malgré le conflit mondial. Le jeune instituteur fait l'expérience de son métier. On l'imagine dans une petite école de campagne aux âcres senteurs d'encre et de craie, debout, un peu raide, près d'un tableau noir où sont tracés d'une belle ronde appliquée des mots un peu désuets : "Calcul", "Dictée", "Leçon de choses", commen- tant d'une voix grave et assurée quelque maxime, quelque sentence morale à des enfants vêtus de ces austères blouses grises d'écolier et assis sagement sur des bancs de bois der- rière leur pupitre, tandis qu'au dehors le vent d'automne fait frissonner les tilleuls qui ombragent la cour. Caricature, image d'Épinal ? On se demande si le destin de Jean ROYER n'est pas de les attirer l'une et l'autre. En tous cas c'est dans ces classes sévères qu'il transmet les valeurs qui lui ont été inculquées dans sa famille et son milieu social : droiture, respect d'autrui, effort, travail dans l'émulation et la compétition, et qu'il défi- nit et expérimente ses méthodes : "L'éducation, c'est du dressage plus de la générosité" (34). Cette formule, cent fois citée, résume pourtant assez bien les conceptions pédagogi- ques de Jean ROYER, cet instituteur d'antan qui se targue de n'avoir jamais été syndiqué et de n'avoir jamais fait une heure de grève malgré les critiques qu'il émet contre la condi- tion des instituteurs (35).

Le désir de s'élever dans l'échelle sociale et la croyance que la promotion indivi- duelle est toujours possible grâce au travail, trait dominant de la petite bourgeoisie traditionnelle à laquelle il appartient (36), la volonté de prendre sa revanche contre la guerre qui J'a contraint L interrompre ses études le conduisent à s'inscrire, en 1946, à la Faculté de Lettres de Poitiers où il obtient, trois ans plus tard, une licence d'His- toire. Le voici devenu professeur dans un Collège d'Enseignement Général (C.E.G.) de Tours où il enseignera, outre l'Histoire, les Lettres et la Géographie (37). 1974. A la mort de Georges POMPIDOU, Jean ROYER, maire, député, ministre apprécié, se lance dans la campagne présidentielle. Une candidature qui étonne et inquiète : les premiers sondages créditent le Maire de TOURS de près de 12 % des intentions de vote. Mais, au fur et à mesure que la campagne avance, peu à peu, Jean ROYER va sombrer dans le lot des candidats marginaux : homme seul, sans parti politique derrière lui, aidé par des sympathisants souvent maladroits, peu préparé à user des moyens modernes de propagande, il finira par se faire imposer une image de marque passéiste et conservatrice. Ainsi cette campagne qui était apparue comme différente, originale, finira-t-elle dans l'indiffé- rence d'une opinion qui délaissera le jour du scrutin les bulletins de vote au nom de Jean ROYER. La préparation de Jean ROYER, le début prometteur de sa campagne et la dérive de celle-ci sont ici analysés avec précision et objectivité. Ce travail de Christian GARBAR passionnera tous les Tourangeaux qui ont vécu cette période, et tous les Français amateurs d'histoire récente. Christian GARBAR, 33 ans, diplômé d'études supérieures de droit public, diplômé d'études approfondies de Science Politique, assistant à la Faculté de Droit de Tours.

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