IDENTITÉS ET POUVOIR LOCAL : LE CAS DE LA REVENDICATION D’UN DÉPARTEMENT PAYS BASQUE Barbara Loyer

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Barbara Loyer. IDENTITÉS ET POUVOIR LOCAL : LE CAS DE LA REVENDICATION D’UN DÉPARTEMENT PAYS BASQUE. Hérodote - Revue de géographie et de géopolitique, Elsevier Mas- son/La Découverte, 2003. ￿hal-02077675￿

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IDENTITÉS ET POUVOIR LOCAL : LE CAS DE LA REVENDICATION D'UN DÉPARTEMENT PAYS BASQUE Barbara Loyer

La Découverte | « Hérodote »

2003/3 N°110 | pages 103 à 128 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte ISSN 0338-487X ISBN 2707141410 Article disponible en ligne à l'adresse : ------https://www.cairn.info/revue-herodote-2003-3-page-103.htm ------

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Identités et pouvoir local : Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte le cas de la revendication d’un département Pays basque

Barbara Loyer*

Le Pays basque français est inclus dans le département des Pyrénées-Atlan- tiques. Depuis plus de trente ans, il existe une revendication pour que ce départe- ment soit divisé en deux, avec une partie béarnaise, dont la préfecture serait Pau, et une partie basque, dont la préfecture serait . Cette demande a d’abord été lancée lors de la création du mouvement nationaliste Enbata, en 1963, qui pro- posait au « peuple basque » la création d’un département dans lequel l’euskara (langue basque) aurait un statut particulier et qui, à terme, devait permettre l’unifi- cation des provinces basques de France et d’Espagne. Accusé de servir de relais à l’ETA, née en 1959 en Espagne, Enbata fut interdit par le gouvernement de Georges Pompidou en 1974, un an après le premier attentat commis par l’organi- sation terroriste basque de France, Iparretarrak (« Ceux du Nord »). À partir de 1975, la volonté d’obtenir la création d’un département Pays basque s’étendit à des milieux sociaux et politiques plus variés que le seul nationalisme, mais ce contexte explique qu’elle a dès le départ été liée à l’existence d’une revendication nationaliste basque incluant des territoires français. Aujourd’hui, cette dimension trimestre 2003.

e du problème reste entière. Il existe une communauté autonome d’Euskadi en Espagne, mais cela n’a pas abouti à la disparition de l’ETA. Depuis 1998, les nationalistes basques ont aussi réaffirmé leur volonté de construire un pays regroupant les provinces françaises et espagnoles 1 et ils ont à cet effet mis sur

, n° La Découverte, 3 110, * Géographe, Institut français de géopolitique, université Paris-VIII. 1. Déclaration de Lizarra, 12 septembre 1998, dont Abertzaleen Batasuna, parti nationaliste

Hérodote basque de France, est cosignataire : « Le contentieux basque est un conflit historique d’origine 103 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 104

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pied une assemblée 2 regroupant des élus nationalistes des deux États (rappelons que la nation basque revendiquée compterait 2,5 millions d’habitants du côté Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte espagnol et 260 000 du côté français). De ce point de vue, le contexte n’a donc pas changé. C’est la principale raison pour laquelle l’État bloque la constitution d’une assemblée dite basque qui pourrait être un marchepied pour des stratégies nationa- listes. En revanche, dans l’opinion française, la représentation d’un nouveau département fait son chemin. Si les porteurs de cette revendication sont restés très isolés pendant vingt ans, aujourd’hui les choses ont l’air de changer : l’intérêt pour les langues régionales, le principe européen de la subsidiarité des pouvoirs, l’ou- verture de la frontière, la monnaie unique, l’essor des relations transfrontalières, la décentralisation, sont autant d’éléments nouveaux ajoutés au débat. Les partisans du département Pays basque disent que ce territoire a une iden- tité. Mais que signifie l’expression « identité d’un territoire » ? S’agit-il de l’identité de la majorité des gens qui y habitent ou d’une identité qui s’imposerait aux per- sonnes y vivant ? Si l’idée fait son chemin que les territoires ont des « identités », et non plus seulement les individus, pourra-t-elle légitimer la mise en place de règlements ou libertés spécifiques qui y seraient liés, concernant notamment la langue locale ? Pour les uns, la création d’une assemblée départementale Pays basque serait une amélioration de la démocratie, pour les autres au contraire elle consacrerait l’imposition d’une conception communautariste de la politique. La controverse se cristallise en grande partie sur le cas de l’agglomération de Bayonne- -.

Bayonne, préfecture d’un département de l’Adour

Dès sa création, le département des Pyrénées-Atlantiques a soulevé des pro- blèmes de limites et créé une insatisfaction à Bayonne. En 1788, pour les états généraux, la sénéchaussée de Bayonne (38 paroisses, 9 420 feux) était convoquée avec Dax et Saint-Sever. « Prévoyant, sans doute, que Bayonne serait très large- trimestre 2003. e et de nature politiques dans lequel sont impliqués l’État espagnol et l’État français. Sa résolu- tion doit nécessairement être politique. » 2. Udalbitza, « institution nationale de communes et élus municipaux de Euskal Herria », créée en février 1999. Elle s’est depuis divisée en deux assemblées de partis nationalistes basques concurrents. Des élus de certains partis nationalistes basques de France (PNB et

Batasuna) participent à l’une ou l’autre. Celle qui était liée au parti interdit par la justice espa- , n° La Découverte, 3 110, gnole, Batasuna, a changé de nom. Pour l’instant, ces assemblées ne comptent guère dans le

débat politique. Hérodote 104 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 105

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ment minoritaire à l’assemblée de Dax (où, de fait, les 90 députés de Saint-Sever monopolisèrent toute la représentation), le sénéchal de Bayonne appela les habi- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte tants [de la province basque] du à l’assemblée de Bayonne » [Milhères, 1981-1982]. Mais le baillage du Labourd (36 paroisses, 45 000 âmes) se refusa à comparaître à la sénéchaussée de Bayonne ; les Labourdins se mobilisèrent au contraire pour obtenir du roi le privilège de la députation directe. Le département des Pyrénées-Atlantiques fut donc dessiné à Paris sans que Bayonne soit valable- ment représentée. Ce département fut pensé selon l’idéologie des frontières « naturelles », pour faire table rase du passé des provinces d’Ancien Régime ; la rive droite de l’Adour se trouva ainsi placée dans les Landes, et la rive gauche dans les Pyrénées- Atlantiques. C’était illogique car il existait déjà une agglomération regroupant Bayonne sur la rive gauche (au sud) et Saint-Esprit sur la rive droite. Cet ensemble urbain était le débouché du bassin de l’Adour, qui s’étend à la fois sur les Landes et les Pyrénées-Atlantiques. Enfin, non seulement Bayonne fut parta- gée en deux, mais c’est Pau, une ville moins grande à l’époque, qui fut choisie comme préfecture (c’était la ville d’Henri IV, roi populaire entre tous, et les Palois se sont sans doute mieux défendus que les Bayonnais). L’esprit d’indépendance du Labourd, l’absence des élus de Bayonne à Paris, l’aura particulière de Pau, font partie des éléments qui concoururent à créer une situation ignorante des réalités économiques et démographiques locales. Aussi absurde que cela puisse paraître, , village-capitale du Labourd, avait obtenu plus que Bayonne, qui ne récoltait aucun bénéfice institutionnel de la nou- velle donne. En 1836, les notables de Bayonne, de Dax et de Mauléon 3 signèrent une adresse au roi sollicitant le démantèlement du département des Pyrénées-Atlantiques et la création à sa place d’un département de l’Adour, dont Bayonne serait la préfecture et Dax une sous-préfecture ; ils y joignaient une carte du nouveau territoire pro- posé. « Les arrondissements de Bayonne et de Mauléon, attachés au département des Basses-Pyrénées » supplient le roi « de créer avec ces trois arrondissements, Bayonne, Mauléon, Dax, un département nouveau sous le nom de l’Adour, et d’en

trimestre 2003. fixer le chef-lieu à Bayonne ». Les rédacteurs de l’adresse soulignent la nécessité e de relations rapides pour la construction navale, la réaction aux événements de la côte, les apparitions qui y surviennent en temps de guerre, les opérations de douanes, la surveillance sanitaire, les difficultés qui surgissent lorsque surviennent , n° La Découverte, 3 110, 3. Environ 400 signataires de l’arrondissement de Bayonne (dont le président de la CCI),

Hérodote 344 de l’arrondissement de Dax, et 186 de Mauléon. 105 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 106

HÉRODOTE

LE PAYS BASQUE Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte

Vers Bordeaux

E5 - E70 MONT-DE-MARSAN

N 124

Capbreton DAX

Anglet BABAYONNEYONNE Biarritz

St-Jean-de-Luz SAN SEBASTIAN N 117

E5 - E70

PAU TARBES

PAMPLONA

Projet de département de l'Adour (1836) Département des Pyrénées Atlantiques (1790) trimestre 2003. Pays « Pays basque » (1997) 10 km e Frontière France-Espagne , n° La Découverte, 3 110, Hérodote 106 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 107

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des besoins d’argent imprévus alors que le receveur général dont la signature est requise se trouve à Pau. À l’éloignement de la préfecture sont imputés la « lenteur », Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte les « embarras », l’« entrave au commerce ». Le passeport nécessaire pour aller en Espagne doit se chercher à Pau : « Le commerce a besoin chaque jour de faire timbrer des comptes, les livres, papiers et autres documents [...] et c’est à Pau qu’est établi le bureau du timbre [...]. C’est à Pau que demeure l’ingénieur en chef des ponts et chaussées alors qu’il y a fort à faire pour la barre de Bayonne. » Au contraire, Dax, deux fois plus près, et située sur l’Adour à l’époque où l’on mise sur le développement des voies navigables, avant le chemin de fer, est décrite comme étroitement liée au bassin de vie bayonnais. « Beaucoup d’habitants de Bayonne ont une partie de leurs propriétés dans le département des Landes, sur- tout dans l’arrondissement de Dax et aux environs de Saint-Esprit. Il en était de même avant la création de ce département ; autrefois Dax et Bayonne apparte- naient à la même généralité. Aujourd’hui ces deux villes et leurs territoires sont sous deux administrations différentes, et il s’ensuit une gêne et des difficultés que le département de l’Adour peut seul faire disparaître. » L’arrondissement de Dax ne fait pas moins de vœux que Bayonne car « cette contrée n’a aucun rapport de localité qui l’attache à Mont-de-Marsan ». En outre, la division en deux de l’agglomération est présentée comme une ano- malie : les sources d’eau de Bayonne se trouvent à Saint-Esprit, « la plupart des magasins du commerce de Bayonne sont sur la rive droite de l’Adour, dans l’en- ceinte de la ville de Saint-Esprit et c’est là que se font presque tous les armements et les changements qui sortent du port de Bayonne [...]. La majeure partie des ouvriers employés aux constructions navales et autres ateliers viennent de Saint- Esprit où ils font leur demeure [...]. 1 000 à 1 200 individus industriels se rendent tous les jours sans exception de Saint-Esprit à Bayonne où ils se livrent à leurs opérations mercantiles, les uns dans leurs bureaux et boutiques, les autres en plein vent. Ce mouvement et ses rapports sont si actifs, qu’aux yeux des voyageurs ces deux villes semblent n’en faire qu’une ; cependant l’une appartient au département des Landes, l’autre à celui de Basses-Pyrénées ». En 1857, Napoléon III fit inclure dans le département des Pyrénées-Atlantiques le quartier de Saint-Esprit, la com- mune de (créée par détachement d’une partie de la commune de Tarnos trimestre 2003. e qui, elle, reste dans le département des Landes). Avec cette mesure, la sous-pré- fecture de Bayonne passa de 17 000 à 20 000 habitants, alors que Pau n’en avait que 15 000 4. La demande de 1836 ne reposait donc en rien sur des considérations identitaires. , n° La Découverte, 3 110,

Hérodote 4. Entretien avec Pierre Hourmat, historien de Bayonne, avril 2003. 107 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 108

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Les années suivant l’adresse au roi sont celles de la démarcation de la frontière entre la France et l’Espagne (elle s’est déroulée de 1851 à 1862 5). De 1836 aux Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte années 1960, la question des limites internes ne se pose pas, sauf durant la Seconde Guerre mondiale, car la ligne de démarcation passait au milieu des Pyrénées-Atlantiques, ce qui aboutit 6 à la création d’une chambre de commerce à Pau (1947), alors que celle de Bayonne (créée en 1726) avait étendu jusque-là ses compétences à l’ensemble du département. Lorsqu’en 1975 l’entrepreneur Jacques Saint-Martin prit la présidence de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Bayonne, il se mobilisa pour que la ville devienne une préfecture. La revendication repose sur des considérations semblables à celles de 1836 : jusqu’à la mise en service de l’autoroute, en 1990, il fallait deux heures pour aller à Pau. Dès 1976, Michel Poniatowski avait d’ailleurs donné les instructions d’« élargir la liste des délégations de pré-signature consen- ties aux sous-préfets [...] de réunir de façon plus systématique, à la sous-préfecture de Bayonne, les commissions départementales dont les attributions ne n’exercent que dans le cadre de l’arrondissement » (Le Monde, 1er avril 1976). Une première antenne du Conseil général y a été ouverte en 1982, puis, en 1994, la délégation du Conseil général à Bayonne (qui a intégré ses nouveaux locaux en 2000, avec 55 employés). Les chefs de service de la politique de l’eau, de l’aide aux communes, de la coopération transfrontalière s’y trouvent. Cependant, en 1975, le département dont on voulait que Bayonne soit la pré- fecture n’est plus celui de l’Adour mais celui du Pays basque. L’association créée par Jacques Saint-Martin et quelques autres étendit en effet la revendication au domaine culturel.

Bayonne préfecture d’un département Pays basque ?

On appelait historiquement « provinces basques 7 » trois provinces d’Ancien Régime : Labourd (capitale Ustaritz), Basse-Navarre (capitale Saint-Jean-Pied-de- Port ou Saint-Palais), Soule (capitale Mauléon). Bayonne était le siège d’un épis- copat qui s’étendait sur le Labourd et même sur le nord du Guipuscoa espagnol trimestre 2003. e

5. La frontière entre la France et l’Espagne a été fixée sur les Pyrénées par le traité du même nom, en 1659. À l’époque, son tracé n’a pas été défini sur le terrain. Entrer dans le détail eut été prendre le risque de rallumer les feux de la discorde, ce qui n’était pas l’intérêt des deux États. Ils sont convenus que la chaîne de montagne départageait leurs territoires, mais seuls deux

articles sur les 124 du traité de 1659 parlent des limites. , n° La Découverte, 3 110, 6. D’après Jacques Saint-Martin, entretien mai 2003. XIXe

7. On parle de « Pays basque » à partir du siècle. Hérodote 108 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 109

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jusqu’en 1566, mais elle faisait partie de l’ensemble linguistique gascon (jus- qu’en 1565 ses archives sont en gascon, après cette date les registres sont rédigés Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte en français), à l’instar d’Anglet et des communes du long de l’Adour. Lorsqu’en 1788 le sénéchal de Bayonne tenta de rattacher le Labourd à sa juridiction, ce dernier justifia son refus par « les rivalités et des inimitiés entre Labourdins et Bayonnais », par le fait que « le pays de Labourd n’a jamais reconnu Bayonne pour capitale », que « les Bayonnais ne parlent jamais le basque », et que « le Labourd est un véritable pays d’États, ayant ses chefs, une constitution, des assemblées régulières [...] il ne peut être confondu avec les pays d’élections ». En 1800, cette annexion administrative devint pourtant réalité avec la création de l’arrondissement de Bayonne englobant le Labourd. Au XIXe siècle, on enten- dait parler gascon et basque dans la capitale et à Anglet. Le XIXe siècle fut aussi l’époque de l’essor du tourisme sur la côte basque et du développement des études scientifiques locales [, 2001]. Une partie des notables de Bayonne se repré- sentait leur ville comme la capitale d’un Pays basque dont la langue et les tradi- tions suscitaient de l’intérêt et généraient une activité touristique. La « société des sciences et des arts », créée en 1921, fut à l’origine d’études savantes sur les Basques et la basquité. « Par sa notoriété et par son dynamisme, elle va contribuer à éveiller la sensibilité historique ou littéraire de nombre de professeurs agrégés du lycée de Bayonne, nommés là au gré de la mobilité de la Fonction publique et venant d’horizons géographiques divers, à l’égard de la basquité, jusqu’à en faire des spécialités. » L’un d’entre eux sera même « le premier titulaire de la chaire de langue et littérature basques créée en 1949 par l’Université de Bordeaux » [ibid.]. Elle est enfin chargée en 1922, par le conseil municipal de Bayonne, « de créer, d’organiser, d’administrer un musée basque à Bayonne ». Sur 211 donateurs ou prêteurs pour sa création, 109 sont des résidents de Bayonne. Cela provoqua néan- moins quelques résistances de la part de notables attachés à l’identité gasconne de la ville qui auraient préféré qu’on le situe à Ustaritz. L’intérêt touristique d’une telle initiative l’emporta, mais il fut baptisé : « musée basque et de la tradi- tion bayonnaise ». Lorsqu’en 1975 Jacques Saint-Martin prit la tête de la CCI de Bayonne, il constata néanmoins qu’on y trouvait surtout des « Bayonnais » et pratiquement trimestre 2003. e aucun « Basque 8 » et s’en inquiéta car il voulait dynamiser les liens économiques entre les entrepreneurs des deux côtés de la frontière. Jacques Saint-Martin a en effet une grande expérience de l’Espagne. Il a été PDG de l’entreprise de spiri- tueux Izarra, dont une usine se trouve en Navarre espagnole, à Vera de Bidasoa, et des bureaux au Guipuscoa, près de Saint-Sébastien. Il a donc fait l’expérience , n° La Découverte, 3 110,

Hérodote 8. Entretien, Jacques Saint-Martin, mai 2003. 109 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 110

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LA FRONTIÈRE LINGUISTIQUE DU BASQUE ET DU GASCON Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Capbreton

Labenne Orx St-Martin- de-Hinx

St-André- de-Seignaux

ANGLET BAYONNE Urcuit BIARRITZ

Ustaritz

St-Jean- de-Luz Cambo-les-Bains Hendaye

Ascain

Sare trimestre 2003. e

Limite de l'aire urbaine INSEE 1999 (40 communes) Limite départementale Pyrénées Atlantiques /Landes

Limite de l'unité urbaine INSEE 1999 (20 communes) , n° La Découverte, 3 110, 2,5 km Frontière France-Espagne Hérodote 110 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 111

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qu’une PME pouvait s’internationaliser à un niveau modeste et possède une connaissance très approfondie du Pays basque espagnol et de la Navarre. Il a été Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte non seulement administrateur de l’organisation patronale au Pays basque français, mais également membre de l’union patronale du Guipuscoa (Adegi) ainsi que de celle de Navarre ; il connaît bien l’ancien président de la CCI de Pampelune, Carlos Garaikoetxea, qu’il a rencontré avant que celui-ci ne devienne premier président (Partido Nacionalista Vasco, PNV) de la communauté autonome basque. Il fréquente aussi la CCI de Bilbao, et il a développé de nombreuses initiatives de coopération pour, dit-il, tirer un vrai parti de la proximité de ces deux économies, des faiblesses et des forces de l’une et de l’autre. Admiratif du fort sentiment basque des patrons du Sud, il a embauché à la CCI de Bayonne cinq cadres qui devaient être « bi-culturels », c’est-à-dire capables de passer sans peine de la France à l’Espagne tout en étant habités d’un sentiment d’appartenance commune, seul susceptible, aux yeux du président de la CCI de Bayonne, de dynamiser le patronat local. Toutes ces réalités expliquent que l’on entende si souvent dire que Bayonne est une ville basque. Mais elle n’est pas que cela. Dans son introduction à un ouvrage sur le département, Jean-Daniel Chaussier [Perrotin, 2002] écrit : « Enfin, il y a la question gasconne [...]. On oublie un peu vite que le territoire dessiné par l’ouest des Pyrénées-Atlantiques n’est pas basque uniformément. Sans évoquer l’intégrité basque de Bayonne ou d’Anglet, il demeure que Boucau (7 000 habitants) est bien sur la rive landaise de l’Adour [...]. Mieux organisés et plus pressants que par le passé, les Gascons s’immiscent désormais dans la problématique identitaire, de la même manière que le font peu à peu ceux qui ne se reconnaissent dans aucune de ces deux “communautés”. » C’est si vrai que le rapport du Conseil de dévelop- pement Pays basque de février 2003 a étendu son cadre d’étude aux communes faisant partie du périmètre du schéma de cohérence territorial élaboré par l’agence d’urbanisme Adour-Pyrénées, avec, au nord du fleuve, huit communes du canton de Saint-Martin-de-Seignanx 9 ainsi que Labenne, Capbreton et Hossegor. Cette partie landaise regroupe 33 779 habitants et se caractérise par la plus forte crois- sance démographique de la zone 10. Mais il faut à mon sens également évoquer à cet égard les villes de Bayonne (40 000 habitants) et d’Anglet (35 000 habitants). trimestre 2003. e Le site Internet de cette dernière, par exemple, présente « Anglet – côte basque » au « carrefour de deux cultures, de la Gascogne et du Pays basque ».

9. Biarotte, Biauos, Ondres, Saint-André-de-Seignanx, Saint-Barthélemy, Saint-Laurent-

, n° La Découverte, 3 110, de-Gosse et Tarnos. 10. Évolution de la population entre 1990 et 1999 : Pays basque : + 5,1 % ; Sud Landes :

Hérodote + 15,1 % ; Pyrénées-Atlantiques : + 3,7 % ; Aquitaine : + 4,0 %. 111 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 112

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C’est à cette autre réalité que fait allusion Maurice Garcia, conseiller général communiste de Bayonne nord (rive droite), lorsqu’il évoque à demi-mot les Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte « racines identitaires différentes dans le périmètre de ce qui pourrait préfigurer un département Pays basque », et conclut : « Faudrait-il alors envisager une nouvelle scission dans ce nouveau département ? » [Perrotin, 2002].

Langues et territoire

Fin 2002, diverses associations ont signé ensemble une « plate-forme de reven- dications pour le Pays basque : un département, une chambre d’agriculture, une université de plein exercice, et la co-officialisation de la langue ». Ce regroupement s’appelle Batera, ce qui signifie en basque : « tous ensemble ». Il paraît aller de soi que « la langue » est l’euskara, pour laquelle est demandé une « co-officialisation (outre la modification de l’article 2 de la Constitution par lequel « le français est la langue de la République », et la ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires). Batera se prononce donc « pour l’égalité de statut entre le français et le basque en Pays basque, pour l’obtention du droit d’apprendre et d’utiliser la langue basque pour tous les habitants du Pays basque, pour une poli- tique de réappropriation linguistique sérieuse et efficace ». La culture gasconne est mentionnée à part, dans le paragraphe sur le département, où l’on précise qu’« un département Pays basque apporterait », entre autres, « une aide mieux qualifiée aux cultures basque et gasconne 11 ». Cette institution, qui n’a pourtant pas de compétences particulières en matière linguistique, se trouve ainsi étroitement liée à une formule globale de reconnaissance identitaire. La relation entre identité basque et euskara est essentielle. Le conseiller géné- ral UDF de Bayonne, Bernard Gimenez, pense qu’il est « prouvé » qu’être basque c’est parler basque et non pas appartenir à une ethnie particulière [Perrotin, 2002]. Pour Jacques Saint-Martin, « sur les 260 000 habitants du Pays basque, il doit y avoir un quart de Basques, c’est-à-dire des gens qui parlent basque, un quart de filiation ou tradition basques, mais qui ne parlent pas le basque, une moitié non basque dont un pourcentage indéfini qui se sent attaché au Pays ». On comprend trimestre 2003. que la question de savoir si l’agglomération Bayonne-Anglet-Biarritz est essen- e tiellement basque ne relève pas seulement d’une querelle de clocher. De la réponse dépend en partie la légitimité d’une co-officialité de la langue basque sur un territoire qui porte le même nom et serait doté d’une personnalité politique s’il , n° La Découverte, 3 110, 11. La charte Batera, texte intégral et signataires, mardi 17 décembre 2002 sur le site du Journal du Pays basque

, www.jpb.com Hérodote 112 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 113

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était séparé du Béarn. Il y a cinquante ans, pour accueillir les voyageurs en gare de Bayonne, la SNCF faisait passer une chanson locale en gascon. Aujourd’hui, le Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte groupe des activistes abertzales appelés démos bloque des trains pour obtenir que soit assuré un accueil en langue basque à l’un des guichets, tente d’obtenir du Conseil régional le bilinguisme sur ses lignes ferroviaires, ou peint les boîtes aux lettres en noir pour que La Poste admette les noms des villes en euskara. Le volet linguistique de la convention Pays basque ne concerne que cet idiome ; il repré- sente 7,3 millions d’euros sur un total de 400 millions d’euros de crédit pour le total de la convention Pays basque. Les langue et culture gasconnes apparaissent dans le volet culture où 213 400 euros leur sont consacrés. Dans l’hypothèse de la division des Pyrénées-Atlantiques, le rapport de force, c’est-à-dire celui créé par la mobilisation des militants bascophones comparé à l’atonie des représentants de la culture gasconne, aboutira sans doute à une situation dans laquelle la langue régionale de toutes les communes du département Pays basque sera le basque ; les autres langues et cultures locales seront aidées et reconnues. Cette représentation de l’identité basque de l’agglomération fâche ou inquiète une partie de la population. « Je suis bayonnais, mais pas basque », répondait une personne interrogée dans La Semaine du Pays basque au sujet des manifestations pour le département : « Si c’est simplement une histoire d’identité, c’est un peu dommage. Même chose pour la langue : qu’est-ce qu’une officialisation peut apporter de plus ? Tous les enfants vont être obligés d’apprendre le basque ? » La question n’est pas absurde si l’on sait que dans un sondage de septembre 2000, 62 % des personnes interrogées au Pays basque se disaient favorables à un ensei- gnement obligatoire de l’euskara 12. Pour que la contrainte soit légitime il est nécessaire que le territoire soit sujet de droit, et que Bayonne soit essentiellement basque. Lorsque Jean-René Etchegaray, adjoint (UDF) au maire de Bayonne, écrit que « le secteur scolaire bilingue de l’enseignement public souffre de manque de moyens matériels et humains pour répondre aux besoins » [Perrotin, 2002], on ne sait pas s’il s’agit du besoin de « garantir le territoire » de la culture et de la langue basques 13, ou de celui des familles. En octobre 2001, Germaine Hacala, inspec- trice de l’Éducation nationale chargée de la coordination et de l’enseignement du basque, disait au contraire que « dans les faits, on a toujours satisfait toutes les trimestre 2003. e demandes » et déplorait qu’il n’y ait pas plus de 10 % des parents sollicitant un

12. Réalisé par CSA pour La Semaine du Pays basque avec le français, pendant l’horaire normal des cours sauf demande contraire des parents. C’est vrai aussi pour 59 % des personnes

, n° La Découverte, 3 110, interrogées au sujet de la langue catalane. 13. L’expression est du président du Conseil de développement (La Semaine du Pays basque

Hérodote , 21 mars 2003). 113 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 114

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enseignement en basque sur l’agglomération Bayonne-Anglet-Biarritz. Elle parlait d’une « éventuelle demande sociale » que ses services avaient été chargés par le Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Conseil de développement d’évaluer dans ces communes, qualifiées de « maillon faible » de l’euskara. « La moitié de la population du BAB n’est pas originaire de là, ce qui peut expliquer la faiblesse de la demande en matière d’enseignement du basque », poursuivait l’inspectrice. Le sondage auprès des parents d’enfants de moins de deux ans avait donc comme objectif de les informer et de faire « émerger une vraie demande ». « J’espère, poursuivait-elle, qu’on décollera des 10 % habi- tuels » (Sud-Ouest, 19 septembre 2001). Cette politique volontariste concerne l’euskara. Il n’y a pas eu de questionnaire comparable au sujet du gascon à Anglet ou à Bayonne (alors que l’Éducation nationale a ouvert une classe bilingue fran- çais-gascon dans le département des Landes). Dans le sondage, réalisé auprès de 500 parents d’enfants de moins de deux ans, 19 % répondaient souhaiter « tout à fait » et 37 % « plutôt » que leur enfant apprenne l’euskara, soit 56 % de réponses positives (64 % chez les parents âgés de moins de trente ans) à condition (pour plus de 80 % d’entre eux) que ce soit avec un système bilingue et non pas d’im- mersion complète en basque, afin d’assurer une parfaite maîtrise du français 14. Au total, aujourd’hui, environ 21 % des élèves du primaire du Pays basque bénéfi- cient de l’enseignement en euskara (tous systèmes confondus : bilinguisme à parité horaire, public ou privé, et immersion). Sur le site du projet d’euro-cité Bayonne-Saint-Sébastien, on peut lire que « les habitants de part et d’autre de l’ancienne frontière partagent l’appartenance cultu- relle à un des plus vieux peuples d’Europe : les Basques ». Lorsque l’on demande à M. Lamassoure (initiateur de l’euro-cité) s’il faut prendre en compte l’histoire gasconne, il balaye la remarque d’un geste agacé : « Bayonne est basque 15.»Pour lui, « le dossier le plus urgent [est] celui de la langue » (Le Journal du Pays basque, 1er février 2003) et cette controverse, semble-t-il, devrait se clore. « Le moment est venu pour que le gouvernement reconnaisse l’identité du Pays basque de France » (Le Journal du Pays basque, 1er février 2003).

Le Pays basque serait-il une personne ? trimestre 2003. e Ce qui pouvait apparaître comme du folklore devient donc aujourd’hui une question de principe car sur ce petit espace de Bayonne-Anglet-Biarritz (BAB), où vivent 40 % des habitants du Pays basque, se concrétisent des idéologies

14. Sondage CSA, à la demande du Conseil de développement, piloté par l’Éducation natio- , n° La Découverte, 3 110, nale, financé par le Conseil général. er

15. Entretien 1 avril 2003. Hérodote 114 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 115

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contradictoires. Les partisans du département sont persuadés que l’identité collec- tive est, soit un droit « naturel » (conception nationaliste), soit un moteur essentiel Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte pour mobiliser la société et améliorer ses capacités de développement. Nombre d’entre eux affichent un souci de défendre une conception de l’identité basque qui n’est pas liée à la filiation, et sont donc convaincus de ne pas avoir une conception ethnique de l’identité 16. Ils insistent sur le fait qu’il s’agit d’une question de représentation politique et de démocratie, car au sein du département les élus des cantons basques ne représentent que 21 conseillers généraux contre 31 dans les cantons béarnais 17. Mais le rapport entre identité et territoire va au-delà de l’arithmétique électorale. Pour défendre la reconnaissance du Pays basque tout en assurant à ses habitants d’être libres d’attaches généalogiques, il faut que le territoire devienne sujet de droit (un maire, départementaliste, m’a dit que le « droit du sol » c’était le droit d’un territoire de se voir reconnaître son identité). Or il y existe une certaine confusion entre le droit entendu comme un droit de l’homme et le droit entendu comme ensemble de règles communes qui pourraient s’appliquer à un espace en raison d’une identité spécifique. Ce point est la pierre d’achoppement de la question. Les opposants au département rejettent en effet le principe même de l’identité politique différenciée d’un territoire au sein de la France, ouvrant des droits spéci- fiques, qu’il soit basque, gascon ou béarnais. Dans un numéro de la brochure de l’association Citoyen Adour-Pyrénées Vivre Ensemble (CAP Vivre Ensemble) 18, on peut lire : « Nous laisserons aux Gascons le soin d’affirmer que Bayonne reste encore le fiertat gascoune. Nous nous plaçons sur un autre point de vue : pour nous, l’agglomération bayonnaise est à l’image de la France dans son entier, multi- culturelle par l’origine de sa population. » J’ai trouvé aussi par hasard, sur un site Internet, la carte du département de l’Adour de 1836 accompagnant un petit texte intitulé : Les Gascons et le dévelop- pement économique de leur parçan (en gascon le pays des alentours, la petite patrie). Elle est comparée à la carte du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme et à celle de la zone d’influence de Bayonne. L’auteur note que la plupart des administrations ont « étendu leurs circonscriptions sur le bassin de vie trimestre 2003. e 16. C’est pourquoi la revendication porte sur un département appelé « Pays basque » en référence au territoire et non sur un « département basque » (référence ethnique). 17. La représentation cantonale ne se fait pas au prorata de la population. Du point de vue démographique la population du Pays basque représente 43 % de celle des Pyrénées-Atlantiques. 18. CAP Vivre ensemble, bulletin n° 5, octobre 2000. L’association a été créée en 1999, pour

, n° La Découverte, 3 110, s’opposer à la division du département des Pyrénées-Atlantiques, rendre visible la pluralité des opinions politiques au Pays basque en intervenant dans le débat politique local pour dénoncer les

Hérodote glissements vers le communautarisme ou les manifestations d’un nationalisme de dissociation. 115 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 116

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sans se limiter à l’Adour. [...] On peut s’occuper de culture sans s’assujettir à la politique ou à une idéologie, dit le texte, mais le développement culturel doit aller Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte de pair avec le développement économique et la notion de bassin de vie trans- cende les positions partisanes 19 ». Face à ce qu’ils considèrent comme une stratégie de conquête territoriale de la part des tenants de l’identité politique basque, des citoyens résistent donc non pas au nom de la Gascogne (il n’y a pas d’équivalent de la bascophilie côté gascon), mais au nom de la nation française comprise comme un concept politique ayant dépassé le stade de la personnification du territoire.

La France : une idée ?

Au cours des siècles passés, la nation française, dans son émergence et son affirmation, a également connu, on le sait, un processus idéologique la personni- fiant. Aujourd’hui, on entend souvent dire que la construction de l’ensemble insti- tutionnel européen met à mal cette individualité, et la nation est alors décrite comme une réalité usée. Les Verts parlent de «vieille république essoufflée » (La Semaine du Pays basque, 24 janvier 2003). Mais, dans le même temps, on assiste à la personnification de petits territoires qui devraient, aux yeux d’une partie de la population, prendre le relais de la grande nation pour rassembler et tendre les énergies vers des projets d’avenir. Le petit territoire et son drapeau (qui peut être régional, pas forcément séparatiste) seraient nécessaires pour forger le sentiment de faire partie d’une équipe capable de gagner sa place dans le jeu difficile de l’économie mondialisée. Au sein de la CCI, la France est perçue par certains comme un État, un outil politique et administratif nécessaire, mais pas comme une idée mobilisatrice. C’est la raison pour laquelle il peut y avoir convergence de vue entre des activistes associatifs et des cadres de la CCI, entre des élus socialistes, UDF, RPR et nationalistes basques, sur l’objectif d’améliorer la visibilité, l’identi- fication du Pays basque, au moins au niveau européen, dans le magma indifféren- cié d’un capital international qui serait aveugle aux réalités proches. trimestre 2003.

Les opposants au département Pays basque parlent plutôt de la France comme e d’une idée : elle ne serait plus aimée comme une personne, mais cette capacité d’une part importante des citoyens à relativiser ce « personnage » des premiers manuels scolaires apparaît comme un progrès par rapport à la conception politique superposant les identités des individus et l’identité des territoires. , n° La Découverte, 3 110,

19. http ://bernatjd.chez.tiscali.fr/Lopaisgascon/lpg5909.htm Hérodote 116 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 117

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Le terme de réparation historique utilisé pour justifier la nécessité de créer un département (par exemple par Jean-René Etchegaray) signifie que le processus Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte historique de formation de la France (une langue, un peuple, un territoire) est dans le fond illégitime parce qu’il est fait de batailles et des victoires de certaines idées sur d’autres. Or, la crainte des opposants au département est symétrique de cette conviction ; ils pensent que le processus de personnification d’un territoire essen- tiellement basque, contraignant les élus à rivaliser de promesses pour mieux défendre des intérêts définis comme « basques », risque d’aboutir à un conflit entre identités basque et française afin d’imposer la victoire d’une représentation sur l’autre. Car ce rapport de force, au sein d’une assemblée, entre des représenta- tions géopolitiques contradictoires peut amener une partie des citoyens à réaffir- mer la suprématie d’une identité française reflet de la basquité militante.

Le Pays basque : une démarche

En 1992, à l’initiative du sous-préfet de Bayonne, des représentants des milieux politiques, économiques, et associatifs ont travaillé à établir un diagnostic intitulé « Pays basque 2010 », et esquissé des scénarios d’évolution à cet horizon. Suite à cette démarche, et sous la pression de la revendication départementaliste, deux conseils ont été créés en 1994 et 1995 pour mettre en œuvre les recomman- dations de ce « club prospective Pays basque 2010 ». D’abord un conseil de développement, puis le conseil des élus. Le premier est un organe de propositions de développement, aménagement du territoire, et coopération transfrontalière. Son conseil d’administration regroupe des élus, les trois chambres consulaires (CCI, chambre des métiers, chambre d’agriculture), l’Institut culturel basque, l’université de Pau et des pays de l’Adour, les syndicats, des associations, des représentants de l’enseignement et de la presse, des représentants de l’État. Le conseil des élus doit négocier les financements pour la réalisation des orientations choisies 20. C’est à sa demande qu’en 1997 le pays « Pays basque 21 »a été créé, pour lequel une convention spécifique a ensuite été élaborée dans le cadre du contrat de plan État-région, en décembre 2000. Cette convention alloue aux deux trimestre 2003. e conseils la somme de 400 millions d’euros (2,6 milliards de francs), dont 124 viennent du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques. Le rapport de mi-parcours entre 1992 et 2010, publié en février 2003, fait le point sur le développement économique et social actuel et sur la démarche nova- trice de ces conseils, « un mode d’animation territorial » dont les auteurs sont , n° La Découverte, 3 110, 20. Voir sa composition sur le site www.lurraldea.net

Hérodote 21. « Pays » de la loi Pasqua. 117 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 118

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extrêmement fiers. « L’originalité du Conseil de développement tient à sa compo- sition : des élus, des représentants des administrations, des structures écono- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte miques, sociales, culturelles et de formation et des personnalités qualifiées. » Cette composition est garante de son efficacité. « Quel que soit le sujet traité, le Conseil réunit en commission les personnes qui ont quelque chose à dire autour du sujet en question. » S’il n’existait pas, explique le directeur général de la CCI de Bayonne, Bernard Darretche, « je me demande où et comment certaines questions seraient traitées et qui pourrait prendre la parole et donner son avis [...] c’est un travail de fond pour fabriquer du consensus » (La Semaine du Pays basque, 14 mars 2003). Le rapport conclut : « Fort de ces acquis, et quelle que soit l’évolu- tion institutionnelle de ce territoire, il paraît essentiel que l’esprit et la méthode de travail des dix dernières années soient sauvegardés dans le futur. » Bernard Darretche, actuel président du Conseil de développement, a sans doute pesé sur la rédaction de ce paragraphe. Il a en effet mesuré les avantages d’une démarche politique plus technicienne que symbolique par le témoignage de Savoyards qui ont tenté, en s’inspirant de l’exemple basque, de dessiner une pros- pective pour le développement local. Ils n’ont pas réussi, explique-t-il 22, parce que « l’objectif des élus est la réélection trois ans après, associé aux compétences et budget limité du département ; ils hésitaient à réfléchir ». L’expérience de « Pays basque 2010 » a, au contraire, permis de travailler sans être « enfermés dans les contraintes d’une institution puisque cela ne s’est pas fait dans le cadre du département ». « Il y a eu de nombreuses élections au cours du processus Pays basque 2010 qui n’ont pas perturbé notre réflexion. » Enfin, le panachage de responsabilités de tous niveaux depuis la commune jusqu’au Parlement européen, des acteurs économiques et associatifs, à l’administration, est plus adapté au travail de diagnostic que le cadre départemental. La conclusion du rapport de février 2003 rappelle pourtant que « le Conseil de développement a adopté en octobre 1999 un avis favorable à la création d’un département Pays basque. Il est souhaitable que dans le cadre du débat engagé sur la décentralisation, ces questions soient mises à l’ordre du jour et que soient préci- sées à cette occasion les formes que peut prendre dans la France et l’Europe du XXIe siècle une demande de reconnaissance territoriale. À défaut, le processus de trimestre 2003. concertation engagé en Pays basque perdant toute perspective institutionnelle, ris- e quera de s’affaiblir ». En mars 2003, des tensions se sont fait jour au sein du Conseil de dévelop- pement au sujet de la décentralisation actuelle. Certains ont voulu faire voter une motion mettant en jeu l’existence même du Conseil si le gouvernement refusait de , n° La Découverte, 3 110,

22. Entretien, avril 2003. Hérodote 118 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 119

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créer le département. En tant que président, Bernard Darretche a répondu qu’il fal- lait protéger les institutions du débat politique et s’est opposé à la motion qui a été Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte rejetée après un vote à bulletin secret. Ne pas « tout politiser » signifie ne pas traduire symboliquement chaque décision, même les plus techniques. Si demain il y a un département, dit Bernard Darretche, il faudrait conserver le Conseil de développement. Comme s’il craignait maintenant que l’institution départementale affaiblisse cet esprit de travail collectif et de concertation qu’il apprécie tant.

Département et nationalisme

Pour les nationalistes basques la création d’une chambre seulement basque serait au contraire un symbole et c’est pour cela que c’est un de leurs premiers objectifs. C’est pourquoi on distingue au Pays basque les partisans du « départe- ment, point », qui ne pensent rien demander de plus que cette assemblée, et ceux du « département, point virgule », entendu comme une étape vers l’indépendance des Basques. Aujourd’hui, c’est un nationaliste, porte-parole d’Abertzaleen Batasuna, qui coordonne la plate-forme de revendications (« Batera ») incluant la création d’une assemblée départementale dans une demande globale de reconnaissance. Le vote en faveur des nationalistes basques est en progression : ils ont obtenu, aux régionales de 1986, 4,6 % des suffrages exprimés dans le Pays basque ; 8 % aux élections de mars 1992 ; 12 % en 1998 23. Aux cantonales de 2001, ils recueillent 11,6 % des suffrages exprimés (6,7 % des inscrits) contre 9,31 % en 1994 (5,5 % des inscrits) et un élu, Jean-Michel Galant, au Conseil général des Pyrénées-Atlantiques. Sans rentrer dans le détail de l’analyse électorale, on peut souligner que le vote abertzale est une réalité rurale autant qu’urbaine : Peio Claverie réalise 14,17 % sur le canton de Biarritz Est (J. Abebery avait obtenu 11,4 % des voix en 1994) et Xabi Larralde, 10 % à Bayonne (34 % dans le quartier du Petit Bayonne). Ils sont donc minoritaires, mais leurs électeurs commencent à être suffisamment nombreux pour être courtisés, et leurs élus peuvent faire ou

trimestre 2003. défaire certaines assemblées locales. La controverse au sujet du département porte e donc aussi sur la question de savoir à quel point il renforcera l’option indépendan- tiste, d’une part, et, d’autre part, si cette éventualité est dangereuse. Pourquoi ne pas faire confiance, disent les partisans du département, à l’attachement de la population et des élus pour République et la démocratie ? , n° La Découverte, 3 110, 23. 8 % pour Abertzaleen Batasuna, 4 % pour la coalition Union pour le Pays basque réunis-

Hérodote sant les antennes françaises des partis du sud : PNB et EA. 119 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 120

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Le 9 janvier 2002, Allande Socarros, journaliste nationaliste basque, écrit 24 : «L’intrusion, en juin 2001, sur la scène abertzale du mouvement Batasuna 25 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte (Unité), clairement téléguidée depuis le Pays basque sud, a sensiblement modifié la donne politique en Pays basque nord. Depuis cet événement, aux allures de passage en force, les lignes de fracture qui prévalaient ces dernières années, voire même depuis deux bonnes décennies, ont connu une modification notable. Batasuna [...] a l’ambition d’être un mouvement politique agissant sur les sept provinces basques, en faisant abstraction de la frontière érigée par les États espa- gnol et français. Le credo de Batasuna pourrait donc se résumer ainsi : un seul pays, une seule stratégie, un seul mouvement politique abertzale de gauche. » Allande Socarros critique « ce monde », qui « se nourrit de ses seules certitudes et où la moindre discordance interne est bannie. On n’est vraiment pas loin des schémas de pensée sectaires ». Ce jour-là, quatre-vingts personnes se sont oppo- sées à Batasuna et leur motion a recueilli une majorité du plus des deux tiers des votes. L’auteur de l’article rapporte l’événement comme un changement dans le mouvement abertzale « où, ces dernières années, la confrontation d’idées a été paralysée, la réflexion politique sclérosée, le débat confisqué, le travail politique abandonné, le niveau de revendication altéré, la démocratie interne bafouée ». La révolte contre « le travail de sape effectué durant de longs mois par les relais politiques pro-ETA au sein d’Abertzaleen Batasuna et la tentative de passer en force » est à ses yeux fort importante, mais « il ne faut pas toutefois écarter complètement l’hypothèse d’une stratégie à double facette, l’une défendant la ligne pure et dure représentée par Batasuna, l’autre s’intégrant dans les axes poli- tiques d’Abertzaleen Batasuna pour jouer une carte plus “soft” et être dans la place au cas où cette démarche prospérerait. Mettre deux fers au feux n’a jamais gêné ETA et je sais l’organisation clandestine capable de calculs aussi retors. S’il y a bien une ligne de fracture qui s’est opérée dans les soutiens traditionnels à ETA en Pays basque nord, il n’est pas dit qu’elle soit aussi nette que le laisserait supposer le résultat de l’Assemblée générale d’Abertzaleen Batasuna ». Autant que les idées, ce sont certaines pratiques politiques au sein du mouve- ment « point virgule », telles qu’elles sont décrites ici, que craignent les adver- saires d’une assemblée départementale basque dans laquelle, avec le même trimestre 2003. e

24. « Les nouvelles lignes de fracture du mouvement abertzale en Pays basque nord », sur le site : www.amnistia.net 25. Batasuna est le parti soutenant l’ETA et qui a, pour cette raison, été interdit en Espagne

et vient d’être mis par l’Union européenne sur la liste des organisations terroristes. Cette déci- , n° La Découverte, 3 110, sion n’est pas contraignante pour le gouvernement français qui n’en a pas tiré de conséquences

pour Batasuna France. Hérodote 120 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 121

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nombre de voix, les nationalistes pèseront deux fois plus puisqu’il n’y aurait plus les trente et un conseillers du Béarn. C’est aussi la volonté de vaincre associée à Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte un réel savoir-faire (acquis depuis trente ans en Espagne dans le cas de Batasuna) pour séduire, être présent et se mobiliser afin d’obtenir des décisions ou capter des subventions, qui effraie 26. La pluralité de l’assemblée actuelle constitue de fait une résistance passive à tant de conviction. Malgré le refus des nationalistes basques de France (Abertzaleen Batasuna) d’être absorbés par ceux du sud (Batasuna), la dynamique d’une stratégie territo- riale des nationalistes basques du sud vers le nord ne semble en effet pas bloquée (d’autant moins que la justice espagnole a interdit nombre d’associations liées à Batasuna, qui n’ont donc plus d’existence légale qu’en France), même si ce contrôle ne s’exerce sans doute que sur de faibles effectifs. L’union nord-sud des associations de jeunes patriotes et de soutien aux prisonniers est faite. Le 10 février 2003, Le Journal du Pays basque informait qu’un collectif des maisons de jeunes nationalistes (Gaztetxe) entendait « organiser », « fédérer », « soutenir » et « dynamiser » les « maisons des jeunes », virtuelles ou pas. « Herri bat ! Gaztetxe bat ! » (Un seul peuple, une seule maison des jeunes), le collectif des Gaztetxe entend voir fleurir dans « chaque commune un Gaztetxe », c’est-à-dire un local « pour créer une dynamique » pour « fédérer les jeunes autour de thèmes communs afin d’y accorder une plus grande résonance, organiser des actions d’ampleur pour des sujets communs à toutes les structures, comme la défense de la langue basque, le problème du logement ou de la drogue [...] le déséquilibre entre la côte et l’inté- rieur, etc. ». Pour reprendre les termes de Jean-Daniel Chaussier [Perrotin, 2003], qualifiant la cartographie départementale de 1790 « d’emblème de l’arraisonnement égalita- riste et normalisateur du territoire français », on peut dire que, du point de vue des partisans du statu quo actuel, c’est le département Pays basque qui sera « normali- sateur », et « arraisonnera » la société politique locale 27. Cette conviction est renforcée par la situation du Pays basque espagnol où l’autonomie depuis vingt ans n’a pas empêché la perpétuation du terrorisme. La société y est même beaucoup plus profondément divisée aujourd’hui qu’à la sortie

trimestre 2003. du franquisme, bien que toutes les demandes les plus importantes concernant e

26. Le coordinateur de Batera, Jean-Noël Etcheverry, dit « Txetx », est par exemple égale- ment membre de l’association pour un nouveau département, membre du bureau de AB, fonda- teur des démos et s’investit dans le développement du rock basque.

, n° La Découverte, 3 110, 27. « Arraisonner un navire : procéder à un interrogatoire ou à une visite pour vérifier la nationalité du navire, sa provenance, sa destination, son chargement, l’état sanitaire de ses pas- (Le Robert)

Hérodote sagers » . 121 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 122

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l’identité basque aient été accordées, notamment pour les bascophones qui bénéfi- cient d’une discrimination positive remarquable 28. La confrontation n’oppose Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte plus seulement des nationalistes basques au gouvernement de Madrid, elle s’est inscrite au sein de la société et met aux prises des nationalistes basques, qui récla- ment un référendum sur un statut d’État libre associé à l’Espagne, et des constitu- tionnalistes, qui défendent l’autonomie au sein de l’Espagne. Outre le fait que pour des milliers de personnes la vie est maintenant un enfer, le débat politique est très pauvre, l’ensemble des formations défendant la liberté, les droits de l’homme et la démocratie avec des propositions radicalement contradictoires, et les opi- nions se forgent dans l’émotion. La controverse actuelle, très virulente du côté espagnol, porte sur la distance entre la fin et les moyens. Les nationalistes qui condamnent l’ETA sont en effet accusés par les constitutionnalistes de contribuer dans les faits à la survie de l’ETA en disant qu’ils partagent ses objectifs mais pas ses méthodes, et en soutenant Batasuna ou ses organisations associées. Côté fran- çais, la suspicion puise aux mêmes sources.

Terrorisme

Au Pays basque français, on ne parle pas de terrorisme quand on défend la création du département, alors que c’est le problème principalement soulevé par ses adversaires. Iparretarrak a commis 106 attentats entre 1973 et 1988, jusqu’à l’arrestation de son dirigeant Philippe Bidart en 1988 et 155 entre 1989 et 2000 29, mais n’a plus fait parler d’elle depuis. En octobre 2000, le quotidien Gara, qui a pris la suite de Egin (fermé pour collaboration avec ETA), publiait un communiqué d’Iparretarrak dont les points principaux étaient la co-officialité de l’euskara et la nécessité d’organiser une mobilisation supérieure à celle du département basque, celui-ci étant qualifié de « pas tactique », vers la souveraineté. L’exemple corse est pour nous, écrit Iparretarrak, « synonyme d’une utopie qui peut se convertir en réalité ». Iparretarrak a jusqu’ici toujours refusé d’être inféodée à l’ETA et s’en différencie par le fait qu’elle ne s’est jamais constituée comme « l’avant-garde », c’est-à-dire trimestre 2003. le commissaire politique, de l’ensemble du mouvement abertzale (patriote basque) e

28. Diario Vasco, 8 mars 2003 : pour passer le concours de professeur il faut d’abord être

reçu à un examen de basque. Sur les 3 978 qui se sont présentés, 1 666 ont réussi et ont pu pour- , n° La Découverte, 3 110, suivre les épreuves de leur spécialité.

29. Chiffres du ministère de l’Intérieur. Hérodote 122 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 123

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et qu’en outre, ses militants étaient très hostiles à une mainmise des Basques du sud sur leur territoire 30. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Pour l’instant le nationalisme basque français semble bien s’être éloigné de la lutte armée et les militants attirés par la revendication violente sont passés sous contrôle basque espagnol. La politique interne française étant sans doute le cadet des soucis de l’ETA, la création d’un Conseil général basque ne garantirait en rien que cette organisation n’ouvre un front en France, si c’était son intérêt et si elle en avait les moyens. Il est vrai que l’ETA paraît très affaiblie, mais on a telle- ment souvent prédit sa fin qu’il vaut mieux rester prudent sur la date de sa dispa- rition. Les vingt dernières années ont en tout cas amplement démontré que les terroristes n’ont que faire de la bonne volonté des uns et des autres, ou plutôt qu’ils l’ont abondamment utilisée à leur profit. Le département n’est pas une cause nationaliste, il n’y a pas de raison qu’il empêche un petit groupe de semer la peur pour prendre plus de pouvoir qu’il n’en a réellement en éclaircissant les rangs de ceux qui osent dire ce qu’ils pensent. Les bombes et les assassinats ne sont pas des moyens d’expression mais de domination. L’ETA a ses réseaux en France. Elle a pu entre 1995 et 2001 commettre cinq vols d’explosifs. La préfec- ture fait état d’une cinquantaine de Français prêts à passer l’action si elle le déci- dait, sur le demi-millier que surveille la police. Je ne les imagine pas anxieux d’un geste de bonne volonté de la part du gouvernement français pour se réinves- tir sagement dans leur travail ou leurs études. La création d’un département les amènerait tout au plus à changer de tactique pour susciter de nouveaux refus des autorités françaises justifiant une « violence symétrique » si, pour des raisons internes au mouvement, l’ETA décidait d’agir au nord de la frontière (par exemple pour dynamiser le soutien aux prisonniers basques. En mai 2003, sur les cent vingt et un membres de l’ETA écroués dans l’Hexagone, la majorité (cent trois) est de nationalité espagnole et n’a sans doute pas ou peu de liens familiaux et sociaux en France, dix-sept sont de nationalité française, un a la double nationalité. Nombre de personnalités locales sont au contraire persuadées que la société basque française est fondamentalement pacifique et ne laissera pas s’enraciner en son sein la violence politique. Iparretarak n’a-t-elle pas quasiment disparu ? Mais trimestre 2003. e y a-t-il accord sur ce qu’on appelle « violence » ? Commence-t-elle lorsqu’un homme est tué dans un attentat, ou bien les actes d’intimidation seront-ils aussi

30. Dans la revue Zutabe, de décembre 2000, ETA critiquait Iparretarrak : « On voit claire-

, n° La Découverte, 3 110, ment que IK et certains abertzale prétendent lancer un processus de construction nationale avec droit de véto pour Labourd, Basse-Navarre et la Soule [...] Il s’agit d’une grande erreur [...]. »

Hérodote Cité dans Barberia et Unzueta [2003, p. 245]. 123 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 124

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jugés intolérables parce qu’ils sont une atteinte directe et discrète à la liberté d’expression de l’adversaire 31? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte La question d’une définition commune de la violence est très importante. L’opinion selon laquelle on est « opposé à toutes les violences » mais que « c’est une violence que de ne pas faire un département Pays basque ou que la langue basque ne soit pas reconnue » 32 permet en effet de désigner comme violents tous ceux qui ne sont pas favorables au département et de mettre dans le grand sac confus des violences soi-disant « symétriques » tous les actes et toutes les opinions. Les opposants à la division départementale y voient précisément l’instrument qui favorisera l’hégémonie d’une seule façon d’être basque, après quoi tout acte contraire à la représentation dominante pourrait être qualifié de violence étatique, jacobine, etc., chaque citoyen se trouvant de facto placé dans un camp ou dans un autre. Il est significatif à cet égard que de part et d’autre de la frontière hispano- française, des convergences idéologiques soient en train de se dessiner dans ce sens. Fernando Savater, philosophe basque espagnol, auteur du slogan : « Contre le nationalisme obligatoire », conteste aussi qu’un territoire puisse être sujet de droit (il a écrit que les nationalistes ont le droit d’avoir des objectifs, mais que le projet politique nationaliste n’est pas un droit dans ce territoire) et il tend à opposer aux idées qui donnent un contenu politique aux différences celle d’un rassem- blement des citoyens européens transcendant au contraire les différences.

Nationalisme régional ?

« Quand je dis que je me sens nationaliste basque, certains, et non des moindres, imaginent que je suis un séparatiste, un indépendantiste. C’EST GROTESQUE », écrit en 1985 André Luberriaga, le seul conseiller général (canton d’Ustaritz) qui a soutenu à ses débuts la revendication départementaliste. « Un amalgame inac- ceptable est fait entre le mot autonomisme et le mot indépendantisme [...] l’auto- nomie se manifeste à l’intérieur d’un pays. L’indépendance signifie la sortie de ce trimestre 2003. 31. Au Pays basque espagnol les nationalistes disent volontiers qu’ils se sentent persécutés e par leurs adversaires. Je tiens ici pour intimidations les paroles ou les actes qui sont accompa- gnés d’une menace physique incarnée par l’ETA. Les intimidations côté espagnol consistent, par exemple, à envoyer à la personne visée une copie de sa clé, brûler sa voiture ou celle d’un de ses proches, attaquer le commerce de son conjoint, mettre une pancarte devant son domicile, un animal égorgé sur le pare-brise (ou dans le casier du professeur), chanter des menaces sous la

fenêtre le soir de Noël, envoyer une lettre anonyme montrant que l’on connaît les horaires des , n° La Découverte, 3 110, enfants, etc. (Gesto Por La Paz, Diario Vasco, 21 mai 2003). La Semaine du Pays basque

32. Gorka Torre, membre d’AB, du 21 décembre 2001. Hérodote 124 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 125

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pays, la rupture. La différence n’est pas de degré, elle est de nature [...]. Je suis de nationalité basque, de citoyenneté française » [Luberriaga, 1985]. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte La volonté d’une reconnaissance institutionnelle de la différence associée au refus de la séparation revient très souvent dans les discours. Quasiment tout le monde au Pays basque français souligne et se félicite du haut degré de convivialité de la société locale. C’est ce qui explique que, au-delà des tactiques conjonctu- relles qui font varier l’opinion des candidats, depuis vingt-cinq ans les positions favorables ou défavorables au département traversent l’ensemble des partis poli- tiques. L’Association pour un nouveau département, créée en 1975, regroupait des personnalités de tous les bords. La nouvelle association, constituée en 2001, rassemble aussi des élus nationalistes basques, de l’UDF, des Verts, du PS. Le PS a porté cette revendication depuis la fin des années 1970, dans la foulée de la décentralisation promise par le programme commun. François Maitia, maire d’une petite commune de l’intérieur, Ispourre, porte-parole du PS local et conseiller régional, fait partie de l’association des élus pour le département. Nicole Péry a été élue députée d’Anglet en tenant un discours départementaliste, contre Alain Lamassoure qui s’y opposait. Le suppléant de Nicole Péry, Jean Espilondo, conseiller général d’Anglet, est au contraire un adversaire déclaré du département. Mme Capdevieille, conseillère générale de Bayonne, y est favorable. Le maire de Tardets (Soule), Pierre Erbin, ancien conseiller général du canton, est contre, à l’instar du maire de Mauléon, M. Barbe-Labarthe, et de la tête de liste du PS à Biarritz, M. Labéguerie. À l’UDF, Jean-Jacques Lasserre, actuel président du Conseil général, s’y oppose, M. Lamassoure demande une reconnaissance du Pays basque, sans pro- noncer le mot département, M. Jean-René Etchegaray, adjoint au maire de Bayonne, est pour, M. Borotra, sénateur-maire de Biarritz, est contre, mais il s’est attiré les foudres d’une partie de la classe politique locale en prenant des nationa- listes basques dans son équipe municipale. C’est le même cas pour Robert Villenave, maire d’Anglet, qui est contre même s’il a pris des nationalistes basques sur sa liste (Ramuntxo Camblong, président du PNB et deux autres). L’ancien maire UDF de Saint-Jean-de-Luz est pour. Bernard Gimenez, conseiller général d’Anglet, tient des propos que ne renieraient pas les nationalistes basques. trimestre 2003. e L’UMP a récemment remis un peu d’ordre dans ses rangs derrière la décision du Premier ministre refusant la division des Pyrénées-Atlantiques. Sous la direc- tion de Mme Alliot-Marie, ses élus ont accordé leurs violons contre le département, alors que certains d’entre eux, comme Daniel Poulou (suppléant de Mme Alliot- Marie), ou le maire de Bayonne, par exemple, s’étaient prononcés pour.

, n° La Découverte, 3 110, La plupart des Verts veulent le département. Pour être dans le vent, sans être nationalistes basques, ils sont même favorables à une région très improbable qui

Hérodote irait de Santander à Bayonne. 125 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 126

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Les nationalistes basques ont, de leur côté, fait le pari de s’adapter à la situa- tion française, plus consensuelle, allant jusqu’à constituer eux aussi des listes plu- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte rielles regroupant nationalistes et non-nationalistes (comme à la mairie de Saint- Pierre-d’Irube). Les exemples montrant que l’on ne peut pas parler d’une société scindée en deux camps irréductibles sont très nombreux. Pour les uns, ce savoir vivre ensemble constitue une protection quasi absolue contre toute dérive conflictuelle. Pour les autres, l’institutionnalisation du sentiment identitaire est le dissolvant qui fera craquer ce vernis. La configuration très plurielle de la revendication d’auto- nomie par rapport au Béarn aboutira peut-être à l’apparition d’un parti nationaliste régional, suivant des convictions comme celle d’André Luberriaga, c’est-à-dire bataillant sur le terrain d’abord de la création d’une assemblée territoriale puis, si elle était créée, sur celui de ses compétences, sans forcément parler de sépara- tion parce que « l’autonomie c’est vivre ensemble, mais de façon différente » [Luberriaga, 1979], mais d’Europe fédérale ou d’Europe des régions, étant entendu que la région basque serait une euro-région bi-nationale. « Aujourd’hui, dit M. Luberriaga, qui n’a plus de responsabilité politique, il faut une région basque. Il faut demander plus ; le département ce n’est pas assez 33.» Rappelons la conclusion du Conseil de développement : « Il est souhaitable [...] que soient précisées à cette occasion les formes que peut prendre dans la France et l’Europe du XXIe siècle une demande de reconnaissance territoriale. » Peu à peu, en effet, les départementalistes ont fait admettre l’idée que l’identité locale ne peut exister que par la « reconnaissance territoriale ». Alors que depuis 1975 toutes les tentatives d’intéresser la classe politique locale au département Pays basque avaient échoué [Chaussier, 1996], en 1999 une consultation organisée par l’assem- blée des maires (appelée Biltzar) auprès des conseils municipaux donnait deux tiers de « oui » au département, pour 101 réponses sur 158 communes. Un sondage commandé en 1997 par La Semaine du Pays basque révélait aussi la même pro- portion de réponses positives. Deux autres sondages commandés par Sud-Ouest en 1999 et 2000 révélaient encore une majorité d’opinions favorables, et une cer- taine lassitude des Béarnais qui commencent apparemment à vouloir en finir. En 1999, 47 % étaient favorables à la division (15 % tout à fait, 32 % plutôt), trimestre 2003. 16 % ne se prononçaient pas. En 2000, l’indécision semble se décanter en faveur e de la division puisqu’il n’y a plus que 5 % d’indécis et 56 % des personnes interro- gées se disent favorables (17 % tout à fait, 39 % plutôt). Cette augmentation concerne autant la partie béarnaise (10 % tout à fait et 37 % « plutôt », ce qui fait 47 % de réponses favorables côté Béarn en 2000 contre 39 % en 1999) que la partie basque (25 % tout à fait, 41 % plutôt, soit 66 %). , n° La Découverte, 3 110,

33. Entretien, mai 2003. Hérodote 126 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 127

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Cependant, au-delà du recensement des deux équipes, pour ou contre le dépar- tement, d’autres questions laissent entrevoir une réalité plus subtile. Il n’y a, Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte semble-t-il, pas de liaison automatique entre le sentiment identitaire et la volonté de superposer cette identité à un territoire politique : en septembre 2000, 30 % des personnes interrogées en Béarn répondaient qu’elles se sentaient d’abord béar- naises avant d’être françaises ; côté basque, seulement 22 % des personnes se disaient d’abord basques. Un plus grand nombre des personnes interrogées au Pays basque se disent d’abord françaises (49 %) que du côté béarnais (44 %). Cela explique peut-être aussi que l’approbation d’une éventuelle création du département Pays basque soit apparemment politiquement neutre : en 1999, 52 % des personnes interrogées répondent que la division apporterait une plus grande efficacité administrative (55 % au Pays basque, 50 % au Béarn), 48 % qu’elle amé- liorerait les politiques d’aménagement du territoire, 57 % au Pays basque, 42 % au Béarn. Ce qui amène à se demander si le fait de se dire favorable au département signifie de facto que l’on souhaite une « reconnaissance territoriale ». Il est intéressant de noter aussi le décalage entre l’activisme des associations pour les langue et culture basques, qui lient étroitement langue et territoire, et la perception des personnes sondées. À la question de savoir si l’« organisation actuelle permet déjà de prendre en compte la diversité culturelle et linguistique des Basques et des Béarnais », 71 % répondaient positivement sur l’ensemble des Pyrénées-Atlantiques (69 % au Pays basque, 73 % en Béarn). Il ne va donc pas de soi que la défense d’un patrimoine linguistique doive être associée à une représen- tation territoriale identitaire. Dans l’enquête effectuée sur le BAB en 2001, parmi les motivations des parents qui répondent souhaiter l’enseignement de l’euskara, l’attachement aux traditions, au patrimoine, aux racines n’est choisi que par 17 % des sondés (dont 20 % des parents nés au Pays basque) ; 37 % des interviewés qui voudraient bien que leur enfant apprenne le basque à l’école invoquent comme raison le fait de vivre au Pays basque. La culture, l’ouverture d’esprit et l’enrichis- sement sont mentionnés par 24 % d’entre eux. Concernant les 44 % qui ne veulent pas que leur enfant apprenne la langue basque à l’école, l’hostilité de principe à fondement idéologique ne se manifeste pas dans les réponses spontanées des interviewés : seuls 4 % d’entre eux évoquent un enseignement trop « politisé ». trimestre 2003. e C’est peut-être ce détachement entre langue et politique qui explique aussi que les personnes interrogées semblent plutôt confiantes sur la solidité de l’ensemble français. En 1999, à la question : Croyez-vous que la création de deux départe- ments nuirait à l’unité de la République ? 59 % répondent « pas d’accord » sur l’ensemble des Pyrénées-Atlantiques (64 % au Pays basque, 55 % au Béarn).

, n° La Découverte, 3 110, Les sondages ne sont que l’image d’une réponse sans conséquences que l’on donne à un enquêteur, mais l’impression générale que je retire de ceux-ci est que,

Hérodote pour des raisons sans doute complexes (parmi lesquelles il faut probablement 127 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte Hérodote 110 10/05/05 16:18 Page 128

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compter la tradition de l’assimilation d’étrangers venus de très loin), et parce que le temps fait son ouvrage, l’identité de la France est à la fois restée et devenue plu- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 193.54.174.3 23/03/2019 14h59. © La Découverte rielle. La persistance des sentiments locaux d’appartenance qui ne font pas parler d’eux, comme au Béarn, et l’ouverture d’esprit vers les cultures régionales de la part des habitants venus d’autres régions de France ne sont pas liées à l’existence institutionnelle de la différence. Il n’en reste pas moins que se diffuse aussi la conviction que seule une légiti- mité territoriale des pouvoirs locaux (régional ou départemental, c’est selon) ouvrirait la porte à une politique plus volontariste, notamment en matière linguis- tique où l’on veut forger le maillon manquant dans la chaîne interrompue de la transmission des langues régionales depuis les années cinquante. Dans l’hypothèse de la consolidation de nationalismes régionaux en France, et s’ils se définissent en opposition à une idéologie qui défend un modèle non identitaire de démocratie locale, on peut souhaiter que se dégage tout de même un consensus sur ce qui fait vivre la diversité plutôt que vaincre une différence.

Bibliographie

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