REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

1956 AVRIL N° 4 Dans ce numéro : P. GÉNY : Le passé de la région forestière du Donon. — R. JOLY: Invasion nocive d'un hyménoptère cynipidae. — H. MOREL: Y a-t-il des parcs nationaux en Grande-Bretagne? Création d'un paysage harmonieux et rationnel. — G. GRIVAZ : Résultats des grandes ventes de l'exercice 1955 dans les forêts soumises au Régime forestier. —• L. PERRAULT: Uri voyage d'études en Sardaigne. — L. BADRÉ et F. TASSEL: Des chamois dans les . LE PASSE DE LA RÉGION FORESTIÈRE DU DONON

Deux séries de documents conservés aux archives de - et- sous les références H. 1411 à H. 1415 et B. 9026 à B. 9128 donnent d'assez nombreux renseignements sur ce qu'étaient, au cours d'une époque s'étendant de 1566 jusqu'au milieu du dix- huitième siècle, les forêts appartenant à l'abbaye de Saint-Sauveur- Domèvre, au comté de Salm et aux Baronnies de Turquestein. Le domaine de l'abbaye de Saint-Sauveur-Domèvre s'étendait sur la totalité du territoire de Raon-les-Leau tel qu'il était avant le trai­ té de Francfort. Il comprenait les forêts qui, dans les vallées supérieures de la Plaine, rive droite, de la Vezouse de Châtillon et de la Sarre Blan­ che, rive gauche, dépendent maintenant de la commune de Grand- Fontaine et de l'Inspection de . Les bois du Comté de Salm comprenaient le haut de la vallée de la Blette, les Elieux (rive droite de la Plaine), la forêt domaniale actuelle de Celles et les Bois Sauvages (rive gauche de la Plaine), le Donon proprement dit, les bans de Salm et de Plaine sur le versant alsacien et la forêt domaniale actuelle de Senones. Ceux des baronnies de Turquestein se trouvaient dans les vallées des deux Vezouses et de la Sarre Blanche. Les documents font défaut en ce qui concerne la forêt domaniale actuelle de Bousson et le Ban le Moine qui couvrait le versant de la vallée de la Plaine, depuis la Chapelotte à l'Ouest jusqu'à la frontière de 1871 à l'Est. Il n'en existe pas non plus pour le vervant Est du Donon, alorë propriété de l'évêché de .

LES CHAUMES Un premier point à retenir est l'importance qu'avaient dans le passé les chaumes ou pâturages qui occupaient les parties supérieu­ res des nombreux chaînons qui se détachent du Donon. 23& REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

Les plus étendues et les plus intéressantes pour leur valeur écono­ mique s'étendaient sur la crête qui sépare la vallée de Senones du versant de la Bruche, depuis la Corbeille jusqu'au Palais (autrefois le Pesie du Xay) dominant le col du Hantz (du Han des Forges de Champenay). Le baron SEILLIÈRE (I) qui en possédait un plan ancien au 1/20 Ooo en évaluait la superficie à plus de 600 hectares. Il y en avait beaucoup d'autres: autour du sommet du Grand Donon « La pâture des Donnons » était louée en 1564; en 1614 toutefois, elle fut « mise en nature de bois à recréer, et interdite au bétail ». Une vaste chaume existait sur le chaînon qui sépare la Sarre Blanche et la Sarre Rouge, rappelée par le nom actuel de Marcai- rerie ou Meierei; elle s'étendait à l'Ouest jusque vers Malcôte et, d'après les cartes topographiques figurant aux pièces du procès qui opposa vers 1740 l'abbaye de Domèvre au prince de Beauvau possesseur des Baronîiies. elle descendait assez bas sur le versant du Blanc-Rupt et plus bas encore sur celui de la Sarre Rouge. C'est sur cette chaume que se trouvait et se trouve encore une¡ pierre milliaire romaine dite le Sac de Pierre, liée au souvenir d'un marché aux grains et aux bestiaux qui se serait tenu à cet endroit jusqu'à la guerre de Trente Ans. Les pâturages occupaient également la chaume actuelle de Requi- val (entre la Plaine et la Sarre) et, après une interruption à l'Ouest de la cote 790 du plan directeur, les sommets de la Large Pierre et de Martimont, descendant jusqu'à moins de cent mètres du cours supérieure de la Vezouse de Châtillon (basse Verdenal). L'abbaye de Domèvre possédait une autre chaume, encore louée comme telle en 1716, sur les croupes cotées 708,5 et 757,4 du plan directeur, dite de la Bellaine (Belle Ligne) et de la Charée (Cha- raille). Enfin, la crête Plaine-Rabodeau était jalonnée, à partir du Col Ferry à l'Ouest, par les chaumes de Jolie-Fontaine, du Croisé Sappe et des Bœufs, la Chalbe Biecque, les deux Chalbes et la chaume de Prayé. La superficie totale de cet ensemble ne devait pas être inférieure à 1 200 hectares. Or, il n'existe plus de ces chaumes que le souvenir ; la plupart de celles qui, à la Révolution, ont passé dans le domaine de l'Etat, ont été reboisées en épicéas, sans doute vers 1840; les au­ tres, surtout dans les forêts particulières, paraissent s'être repeu­ plées naturellement en sapins. Compte tenu de l'existence des chaumes et des reboisements assez étendus effectués depuis un siècle vers le bas des pentes, notam­ ment dans la vallée de la Plaine, la forêt n'en occupait pas moins, il y a quatre siècles, une superficie très importante, comparable en (1) Le partage de Salm en 1598. — Saint-Dié, 1894. LE PASSÉ DE LA kÉGION FORESTIÈRE DU DONON ¿39 à celle qu'elle couvre aujourd'hui. Mais ainsi que l'indiquent les renseignements malheureusement incomplets fournis par les tex­ tes, son peuplement et sa richesse paraissent avoir été très différents de ce qu'ils sont aujourd'hui.

VALLÉE DU BLANC-RUPT Suivons par exemple le Gruyer de Nancy, chargé par Mgr de Vaudémont, futur duc de , de· l'estimation d'une partie des bois des Baronnies que celui-ci se proposait d'acquérir. Le 16 décembre 1598, il quitte le château de Turquestein, descend le Rupt des Dames, traverse la Sarre Blanche, alors Glassonière, çt remonte son cours. A sa gauche, il longe le Gemeinwaldt ou Communval ainsi nom­ mé parce que la forêt était indivise entre le Prieuré de Saint-Quirin pour trois quarts et les baronnies pour un quart. Il n'y voit « rien dont on puisse faire état, spécialement du bois qu'est en pendant, pour être fort stérile, partout couvert de grosses roches puissantes et ne présentant que de petits vieux arbres de chêne arrêtés ». Seulement au fond de la vallée « sur la largeur d'un coup d'ar­ quebuse » et à partir du chemin de Halmoze (route de Bourgui­ gnon à Saint-Quirin) règne une bande étroite « peuplée de beaux et puissants chênes, fougs (1) et sapins ». Aujourd'hui, le chêne a pour ainsi dire disparu, ne laissant que de rares et bien médiocres témoins vers le haut des pentes ; le sapin est nettement dominant quoique accompagné du pin sylvestre dans îa partie aval de la vallée. A sa droite, l'estimateur examine les bois des Baronnies; il y re­ marque de part et d'autre de la Grande Basse Simon (sans doute la basse Houzard actuelle) et au delà jusqu'à la Basse Léonard, des « pendants de montagnes assez bien peuplés et revêtus de puissants arbres chênes, fougs, boulles (2) et de quelques sapins ». Après avoir reconnu encore divers cantons « peuplés de beaux chênes, fougs et charmines », il renonce, à cause de l'abondance des neiges à poursuivre la visite du Communval et entre au Fey du Do- non (partie supérieure de la vallée, rive gauche) n'ayant vu sur le versant Sud que quelques sapins, alors qu'il en est aujourd'hui à peu près uniquement peuplé. Du fond de la vallée au Janceux (3) qui domine Raon-sur-Plaine, le Gruyer traverse une région « peuplée de très hauts et puissants arbres de sapins et fougs et telle que malaisément on en pourrait trouver de plus belle ». C'est donc seulement tout à fait à l'extrémité supérieure de la (1) fougs: hêtre. (2) boulles: bouleaux. (3) Lane eux: crête d'où les tronces étaient évacuées par lançage, par oppo­ sition au rouleux d'où* elles pouvaient être descendues par route. ¿40 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE vallée que nous trouvons une forêt comparable à celle d'aujourd'hui, encore que le hêtre y ait en grande partie disparu. Quelques jours après l'expert résumait son estimation en indi­ quant que « les bois du plat pays préférés de moitié à ceux des montagnes, il n'en voudrait avoir payé, les uns parmi les autres, savoir du plat pays et montagne, le bon parmi le pire outre la somme de huit francs par arpent » (soit environ quarante francs à l'hec­ tare). Les bois de montagne paraissent donc avoir été estimés à 25. F l'hectare et le Communval à moins encore. Même en admettant que le franc d'alors équivalût à cinq cents des nôtres, on n'arirve qu'à un chiffre bien ,minime.

VALLÉE DE LA PLAINE La forêt actuelle des Elieux comprenait des bois de chambre ap­ partenant exclusivement aux comtes de Salm et des bois commu­ naux où les habitants de , Sainte-Pole, , Fenne- viller, Pierre-Percée et Celles avaient des droits d'usage. Voici ce qu'en dit le rapport annuel de Gruerie pour 1595 : « Les bois de chambre sont peuplés de gros chênes fructueux sinon quel­ ques vieux chênes couronnés et non fructueux qui sont en partie pour bolée (1) ; il y a aussi suffisamment de gros arbres de Faux »

Quant aux bois communaux, ils sont pour la plus grande partie « peuplés tant chênes et arbres de gros Faux avec semis arbres de fagnes, charmes et autres rapailles ». Il n'est pas question de sapins alors que cette essence est mainte­ nant dominante au moins sur les pentes du versant de la Plaine. La forêt domaniale actuelle de Celles, sur l'autre rive de la Plaine, comprenait : Le bois de chambre de Derrière Ougney (Derzogier) qui était « sapineux avec quelques chênes et bouleaux » (1595) et était ex­ ploité par la scierie de Port d'Ougney (Lajus) ; Les bois communaux, desservis par la scie de Bénameix et par celle de Grand Roué pour partie. Le fait même de l'existence det ces deux scies indique que le peuplement de cette région comprenait une certaine proportion de sapins, le sciage du chêne et du hêtre constituant une exception; A l'extrémité Nord-Est, la côte de la Halière qui était en 1595 un bois de bolles, semis divers et quelques sapins en une contrée et le bois de Herry (les Herr ins et la tête du Gros Cobas actuels) « peuplé de bois de chênes et ». (1) bois de bolée: bois feuillus, notamment bouleaux (bolles exploités pour les salines de Rozières. (2) faux: hêtre. LE PASSÉ DE LA REGION FORESTIÈRE DU DONON 24I

Les bois sauvages. — Au delà du Moine Pont (pont de la route de Badonviller), le bois communal actuel d' était à la même époque « assez peuplé de gros chênes fructueux et quelques autres chênes couronnés et infructueux que Ton marque à faire bo­ lée pour la saline de Rozière ». Plus à l'Est, les basses de la Sciotte, de Ménombru, de la Maix étaient en 1598 « fort éclaircies de sapins, singulièrement aux en­ virons des scies » ; on faisait de la bolée d'arbres de faulx « dont les sommets et assez des montagnes es environs d'iceux! se trou­ vent peuplés en assez bonne quantité. » Il existait dans cette région neuf scieries, ce qui indique un débit de sapin relativement considérable. Il n'en est pas moins vrai que cette essence était loin d'être dominante ainsi qu'elle Test au­ jourd'hui et que son exploitation intensive ne pouvait que réduire son importance relative. Extrémité supérieure de la vallée. — Dans cette partie des Bois Sauvages située sur le territoire de Raon-sur-Plaine (Goutte Guyot et basse de la Plaine, rive gauche), d'une superficie restreinte, il, n'existait en 1566 pas moins de treize scies et il est évident qÎie le sapin tenait une place importante dans le peuplement. Le fait est confirmé par un rapport de visite dés bois du Comté de Salm, daté de 1577, d'après lequel le vallon de la Plaine, de la basse de Rozière au Petit Donon était « bien peuplé de bois, notamment de sapins les plus hauts qu'en s'en puisse trouver ». Mais cette situa­ tion ne s'est pas maintenue lontemps : dès la fin du seizième siècle, plusieur des scies de la Plaine devaient chercher leurs bois au Fey du Donon, c'est-à-dire dans la partie supérieure du Blanc-Rupt, et en 1605 une seule scierie restait en activité, faute de bois pour ali­ menter les douze autres. En résumé, on peut indiquer que le sapin occupait une place no­ table dans les Bois Sauvages, d'autant plus notable qu'on remontait vers le Donon; mais n'avait pas l'importance qu'il présente aujour­ d'hui. Le chêne, à peu près disparu maintenant, était fréquent : ainsi l'indique le prix de location de la glandée en 1566: 152 francs, som­ me considérable pour l'époque, sensiblement équivalente au prix de vente de 300 mètres cubes de gros bois sur pied.

DOMAINE DE L'ABBAYE DE SAINT-SAUVEUR-DOMÈVRE Nous n'avons rien de précis sur ce qu'était la forêt au seizième siècle. Il est probable que, dans la vallée de la Plaine, les feuillus étaient dominants. Au dix-huitième siècle, en tout cas, l'abbaye fai­ sait avec les salines de Rozières des ventes importantes de bois de bolée: en 1726, deux mille cordes, soit six mille stères sur le versant Sud de la Côte de l'Eglise (120 hectares environ) ; en 1745, six mille cordes, soit dix-huit mille stères de hêtre, chêne et boule sur la 242 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE côte s'étendant de la Charaille au Rouleux Bacon (350 hectares en­ viron). Sur le versant Sud de la vallée de Châtillon, la sapinière devait être plus étendue, car Domèvre y avait trois scies très rapprochées, à l'amont de la scierie actuelle du Rein des Boules : le nom de celle- ci, déjà usité en 1698, indique toutefois que la croupe qui la domine était peuplée de feuillus. BAN DE SALM Il ne comprenait, comme bois de chambre que le Bambois du châ­ teau de Salm, actuellement la Tête Pelée, qui en 1598 était « gran­ dement fourragé, par spécial du côté du château ». Les bois communaux occupaient les croupes dominant le ruisseau de Vacquenoux et la rivière de la Bruxine (Bruche). Ils devaient comporter une certaine proportion de sapin, probable­ ment assez faible, car ils n'étaient exploités que par deux scieries, celles de Grandfontaine et de Lambermouïin. Entouré par les Bois Sauvages au Nord, la ceinture des bois com­ munaux à l'Est, la limite du Ban de Plaine (basse d'Albet et Chatte Pendue) au Midi, les Hautes chaumes à l'Ouest, s'étendait sur 11 355 arpents, soit 2 270 hectares environ qui comprenaient les pentes du Donon, le Han des Eorges de Framont fondées vers la fin du treizième siècle. Les environs de ces forges et le bas des montagnes qui en étaient plus éloignées étaient occupés par les « Ordons » périodiquement exploités par les bocquillons ou charbonniers : ce nom indique l'exis­ tence d'une sorte d'aménagement dont le règlement de gruerie de 1596 ne nous donne pas le détail; mais nous savons qu'aux Elieux la périodicité des coupes de taillis était de quarante ans, et il est^ probable que le régime du Han des Forges était analogue. La quantité annuelle de charbon que l'admodiateur des Forges avait le droit de fabriquer était, en 1630, de quatre mille bennes de chacune douze cuveaux; nous ignorons malheureusement la conte­ nance de la benne et du cuveau mais le chiffre de quatre mille ben­ nes implique évidemment une consommation élevée de bois sur pied. La situation de cette région forestière était décrite ainsi qu'il suit par les commissaires chargés en 1598 du partage du comté: « partie dudit Han des Forges charbonnée en plusieurs endroits récentement et n'ayant grande apparence de réserves, notamment aux environs, desdites forges, sauf aux extrémités en approchant les chaumes où il y a quantité de vieil bois ». A l'exception de cette marge supérieure, le peuplement était donc assez pauvre; cette surface de plus de deux mille hectares ne com­ portait d'ailleurs qu'une scierie, celle de Salm à l'emplacement ou au voisinage de l'actuelle série Kukuk. LE PASSÉ DE LA RÉGION FORESTIERE DU DONON 243

BAN DE PLAINE Il comprenait, comme celui de Salm, des bois de chambre : « la grande Côte de Plaine, les Evaux et Houdimont (l'actuel Boudi- mont) alors peuplé de « hauts et puissants Faulx », des bois com­ munaux et le Han, des Forges de Champenay. La situation devait y être sensiblement la même que dans le ban de Salm sauf que l'absence de toute scierie paraît indiquer la rareté du sapin. Il n'existe pas de renseignements plus précis sur le peuplement do cette région non plus que sur celui de la forêt domaniale actuelle de Senones où les noms de certains lieux dits paraissent indiquer la présence du sapin en quantité notable. De l'enseirible des renseignements qui précèdent, on peut tirer les conclusions suivantes, au moins pour les régions où ils sont suffi­ samment précis : Le chêne qui avait à la fin du seizième siècle une importance très grande, prépondérante même sur bien des points, a disparu de façon à peu près complète; le hêtre a également reculé quoique dans une moindre mesure ; le sapin a pris la place de Vnn et de l'autre, devenant l'essence dominante à peu près partout, l'es­ sence unique sur bien des points. Il serait bien intéressant de savoir de quelle manière cette trans­ formation s'est opérée en l'espace de trois siècles. Il paraît assez vraisemblable qu'elle n'a réellement commencé qu'assez tardivement ; voici les raisons qui permettent de le supposer. A la fin du seizième siècle, les délits forestiers étaient constants; les seigneurs s'en défendaient, il est vrai, et la liste des ¡amendes relevées par les rapports de gruerie dQnnent à penser que le mon­ tant de celles-ci constituait un élément important du revenu des forêts. Le,règlement de gruerie de 1596, pris, « sur l'avertissement cer­ tain de l'apparence qu'il y a de la ruine de nos bois si de bref il n'y est par nous pouvu » paraît avoir été une tentative sérieuse des comtes de Salm pour protéger les bois de chambre, régulariser l'ex­ ploitation des bois communaux et des Hans des Forges, allant jus­ qu'à réduire à quatre feux la population de Fréconrupt et celle des Quevelles dans le ban de Salm reconnus comme « retraites de gens malvivants et n'ayant aucun qui se sont licenses à dépopu- ler et fourrager les bois ». Nous pouvons admettre que ces mesures d'ordre et de rigueur eurent certains résultats , favorables, mais il restait à protéger les forêts contre leurs propriétaires eux-mêmes. Or, nous avons vu qu'au début du dix-septième siècle certains des districts· de Salm, les plus riches en sapins, étaient à peu près dépourvus d'arbres exploi­ tables. De même, en 1631, le contrôle de la gruerie des baronnies indique_quç le bois de la Bergerie (Guindimont sur la Vezouse de 244 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

Châtillon), le Petit Rougimont, la Côte de Martimont du côté de la basse Léonard dans la vallée de la Sarre Blanche étaient coupés à blanc étoc sans réserve d'aucun bois. La guerre de Trente Ans et les guerres de Lorraine qui durèrent de 1635 à 1665 dépeuplèrent presque totalement le pays; il ne se remit que très lentement et ce n'est qu'au début du dix-huitième siè­ cle que reprit quelque activité: cette période de plus d'un demi- siècle constitua sans doute un répit pour la forêt. Mais il est vraisemblable que les abus d'exploitation reprirent en­ suite avec la remise en activité des forges de Framont et la con­ sommation toujours croissante de bois de bolée. Les renseignements qui nous sont parvenus sur cette période sont malheureusement très fragmentaires. Les pièces du procès entre l'abbaye de Domèvre et le marquis du Châtillon nous apprennent toutefois qu'une partie des bois que celui-ci possédait au fond de la basse Verdenal'avaient été, en 1736, coupés depuis peu à blanc étoc. Et nous avons vu quelle quantité de bois de bolée, en 1745 encore, fournissaient les propriétés de l'abbaye de Domèvre. On ne peut évidemment tirer de ces quelques données des con­ clusions formelles, mais il est permis de supposer avec quelque vrai­ semblance que la transformation des forêts de la région étudiée s'est en grande partie opérée au cours du siècle dernier. Il serait intéressant de le vérifier, ce qui doit être possible en se servant de documents administratifs relativement récents, et dans le cas où cette opinion se révélerait fondée au moins en partie, de rechercher les causes de cette transformation et d'en apprécier l'im­ portance relative sur le résultat final. L'action de l'homme a très probablement exercé une influence prépondérante. La Révolution, en effet, a fait passer la plus grande partie des forêts dans le domaine de l'Etat et il n'est pas douteux qu'une exploitation réglée et des soins culturaux bien étudiés n'aient amené des résultats favorables, de même que les efforts parallèles de la plupart des propriétaires privés. C'est ainsi que, de mémoire d'homme, la plupart des versants exposés au midi et qui ont gardé jusqu'à présent la dénomination de chaumes, ont été systématiquement transformés en forêts de sa­ pin, tout en conservant sur des surfaces restreintes des peuplements témoins de la situation antérieure. Mais on peut se demander si la nature elle-même n'a pas joué un certain rôle et si une modification climatique dans le sens du refroidissement et d'une humidité plus grande, intervenue au cours de la première moitié du dix-neuvième siècle, n'a pas été pour quelque chose dans l'envahissement très général des peuplements par le sapin. Et n'assistons-nous pas depuis plusieurs décades, à une fluctuation en sens inverse qui pourrait rendre difficile le maintien de certaines des positions conquises par cette essence ? P. GÉNY.