Observatoire du Patrimoine Maritime Culturel Institut des Sciences de l’Homme et de la Société - Université de Bretagne Occidentale.

Commune du Conquet Expertise sur le patrimoine maritime bâti

Novembre 2014

2 Expertise du patrimoine maritime bâti du Conquet – Observatoire du Patrimoine Maritime Culturel - 2014

Rapport final du Marché Prestation intellectuelle concernant la réalisation d’une étude appelée :

EXPERTISE SUR LE PATRIMOINE MARITIME BATI DE LA COMMUNE DU CONQUET

Réalisée par l’OPMC (UBO) :

Florence Despretz Laure Ozenfant Françoise Péron

Observatoire du Patrimoine Maritime Culturel (O.P.M.C.) Collaboration histoire locale : Vanessa Le Bris site web: http://www-tmp.univ-brest.fr/obspatmaritime/ Hubert Michéa Jean Pierre Clochon Faculté Victor Ségalen Université de Bretagne Occidentale 20, rue Duquesne - CS93837 29238 Brest Cedex 3 http:/univ-brest.fr

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Sommaire

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Sommaire ………………………….………………………………………………………………………………………………………………………………….……………… p.5 Introduction ………………………………..…………………………………………………………………………………………………………………………..……………… p.8 Cadre et périmètre retenu …………………….…………………………………………………………………………………………………………………….………….. p.8 De quoi parle-t-on ? ………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………..……….. p.9 Qu’est-ce qu’un héritage maritime bâti ? ...... p.10 Comment s’y prendre ? Les méthodes et les principes appliqués pour cette étude …………………………………………………………….……. p.12

Rapport Partie 1 : Analyse géographique, synthèse historique ………………………………………………………………………………………………………..…… p.15 , une terre « enclavée » à la pointe du Finistère sous l’influence du « maritime » ………………………………………………..……… p.17 Le Conquet, un port au carrefour des grandes routes maritimes européennes ……………………………………………………………………..……… p.29 Le Conquet, un espace habité qualifié « d’entre-deux » ……………………………………………………………………………………………………..……… p.38

Partie 2 : les héritages maritimes : le bâti à distinguer ……………………………………………………………..……………………………………………… p.55 L’activité portuaire, moteur d’une vie locale à la dynamique irrégulière : quatre systèmes terre-mer se succèdent dans le temps … p.57 Premier système du XIVème au XVIème siècle : Le Conquet, le port de l’abbaye de Saint Mathieu …………….……………………………… p.59 Deuxième système du XVIIIème à 1830 : Le Conquet, un port secondaire sous l’influence de Brest ……………………………………………… p.63 Troisième système de 1830 à 1945 : Le Conquet, un port de pêche en devenir ……………………………………………………………………………… p.69 Quatrième système de 1945 à nos jours : Le Conquet, une ville-port touristique du pays d’Iroise ……………………………………………… p.83

Partie 3 : les secteurs d’intérêt patrimonial maritime : leur organisation et les recommandations liées …………………………………… p.89 Deux secteurs d’intérêt patrimonial fort : espaces urbanisés de l’ancienne cité maritime et de « maison blanche- Le Cosquies » …… p.93 Deux secteurs d’intérêt patrimonial : espaces urbanisés de « Beauséjour-Croaé-Poul Conq » et de « Sainte Barbe-Portez-Les Renards » p.117

Conclusion ……………………………………………………………..……………………………………………………………………………………………………………… p.137 Bibliographie ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… p.143

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Cette étude a été réalisée dans le cadre d’une prestation intellectuelle visant à rendre compte d’un avis d’expert sur la question du patrimoine maritime bâti de la commune du Conquet. Le contrat a été passé entre l’Université de Bretagne Occidentale (équipe de recherche de l’Observatoire du Patrimoine Maritime Culturel) et la mairie du Conquet.

Périmètre de l’étude :

Le périmètre d’étude retenu correspond à la totalité de la surface communale et plus particulièrement l’espace urbain aggloméré de l’ancienne cité portuaire du Conquet et ses quartiers annexes.

Quelques idées encadrantes

Pourquoi préserver le patrimoine maritime de communes littorales comme Le Conquet?

Il y a un intérêt majeur à préserver et à valoriser, le patrimoine maritime bâti. Dans le cas du Conquet, il est important de conforter l’identité originale et singulière de cette cité maritime ancienne en prenant soin de comprendre chacun des lieux qui la compose et le bâti actuel, hérité des activités maritimes successives.

Préserver le bâti patrimonial, c’est conserver des repères dans un espace urbain en perpétuelle évolution ; dans une ville qui doit accorder de nouveaux lotissements aux quartiers plus anciens et qui s’équilibre entre résidents principaux, saisonniers et gens de passage. D’ailleurs la clientèle représentée par les plaisanciers et les gens de passage, demande de plus en plus à faire escale dans des lieux de vie identitaires. Il est important de tenir compte de cet aspect lorsque l’on réaménage des espaces portuaires afin d’éviter la standardisation des ports historiques et de leurs espaces urbains associés.

Valoriser le bâti patrimonial, c’est garantir une production de richesses culturelle, économique et sociable durables dans une ville où l’économie est marquée par la saisonnalité. Il existe notamment au Conquet de bons exemples d’entreprises qui valorisent ce patrimoine maritime bâti tout en excellant dans leur domaine (restauration, hôtellerie, …). Il ne faut cependant pas oublier le reste du bâti, celui des particuliers qui participe au cadre et à la dynamique de ces entreprises.

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Mais au fait, de quoi parle-t-on ?

Le patrimoine est souvent qualifié de « concept flou » (Choay, 1992). On peut cependant clarifier les choses en décidant, dans une optique d’aménagement de la ville portuaire de s’intéresser aux héritages historiques du patrimoine culturel bâti, existant aujourd’hui et dont l’origine est directement liée aux activités maritimes passées. Tout ce dont on hérite ne fait pas patrimoine.

Selon le dictionnaire, le patrimoine d’une famille, d’un groupe social, d’une nation est constitué par l’ensemble des biens considérés comme héritage commun et jugés dignes d’être transmis aux générations futures. Le patrimoine est donc subjectif car il est toujours le résultat d’une décision arbitraire. Le patrimoine fait appel à la mémoire, à l’identité, au tourisme, à l’économie, à l’environnement naturel et culturel de tous. C’est pourquoi il n’y a pas de véritable patrimoine sans dynamiques patrimoniales. Les constructions patrimoniales s’inscrivent toujours dans un rapport de force.

Décider de mettre en valeur le patrimoine maritime d’une commune est un acte politique visant à faire reconnaître les particularités d’une identité littorale et à l’affirmer par le biais d’un type d’espace auquel il faut conserver sa spécificité maritime. En résumé, le patrimoine est davantage une dynamique qu’un ensemble d’objets figés et les dynamiques patrimoniales actuelles se situent au cœur des reconstructions contemporaines.

A l’origine d’événements culturels ou d’animations de territoire, le patrimoine redonne un sens aux lieux bousculés par les récentes mutations des économies et des modes de vie. Au-delà de leur dimension historique, les éléments bâtis du patrimoine maritime configurent les territoires littoraux d’aujourd’hui et préfigurent ceux de demain. Au cours de cette étude, les éléments bâtis qui relèvent de l’histoire maritime héritée, seront détaillés et ceux qui constituent un patrimoine aujourd’hui, seront distingués.

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Qu’est-ce qu’un héritage maritime bâti ?

Dans ce rapport, héritage maritime bâti est défini de la façon suivante : c’est un bâti présent aujourd’hui sur le territoire de la ville et qui n’aurait pas été édifié à cet emplacement si la mer ne se trouvait pas à proximité. Un classement en dix catégories a été établi en tenant compte de la pluralité de ces bâtis, de leurs spécificités et surtout de leur fonction d’origine:

1. signalisation et surveillance des côtes (phares, feux, sémaphores, amers…).

2. défense militaire des côtes (fortifications, corps de garde, batteries de la côte, blockhaus…).

3. protection contre l’érosion côtière (digues, murs, murets…).

4. transit terre/mer (cales, quais, môles, terre-pleins…).

5. activités de conservation, de transformation et de commercialisation des produits de la mer (conserveries, fours à goémon, glacières, magasins de marée…).

6. activités maritimes liées à la construction, la navigation et l’avitaillement des bateaux (ateliers de chantier naval, fabrique de filets, voileries, magasins d’accastillage…).

7. vie des populations maritimes (abris du marin, maisons-abris du canot de sauvetage, maisons de pêcheur, demeures d’armateur, bars d’équipages…).

8. activités balnéaires, de loisirs et de santé (villas balnéaires, centres de thalassothérapie, cabines de plage, restaurants…).

9. pratiques religieuses, légendaires et mémorielles (édifices religieux comprenant des statues de saints navigateurs ou des ex-voto, rochers liés à des légendes maritimes, monuments de commémoration des marins morts en mer…).

10. activités scientifiques et muséales (stations de recherche, aquariums, musées de la pêche…).

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Un recensement des héritages maritimes pourquoi ?

Les héritages maritimes bâtis présentent des perspectives intéressantes d’aménagement des littoraux. Ils répondent aux besoins d’intégration de la culture du lieu et des paysages à l’espace urbain attractif qui subit des mutations perpétuelles. Le patrimoine distingué forme autant de repères de la vie maritime passée. Par sa présence et à travers la symbolique qu’il dégage, il construit l’identité portuaire du lieu.

Conserver et/ou protéger ce patrimoine spécifique dans un objectif de valorisation, c’est s’assurer de transmettre aux générations futures cette identité maritime. C’est également garantir dans les années à venir le maintien d’activités -culturelles, économiques ou de loisirs - liées au maritime grâce à la protection des accès publics à la mer.

Les vertus du patrimoine sont multiples.

Subjectif, identitaire et projectif, le patrimoine agit sur des valeurs collectives. Il génère du lien social, du lien intergénérationnel. Sa reconnaissance et sa mise ne valeur rassemblent à la fois les « anciens » habitants des lieux qui interprètent une partie de l’histoire maritime qu’ils ont vécu, les « jeunes » et « nouveaux » habitants qui connaissent les lieux sans trop connaître l’histoire maritime associée et les gens de passage qui découvrent ces lieux de vie et sont demandeurs d’informations et d’anecdotes relatives à la mémoire des lieux.

Au Conquet la démarche se concrétise. Les élus ont décidé d’adhérer à l’association « Port d’intérêt Patrimonial » au début de l’année 2012 et ont commandé une expertise de leur patrimoine maritime bâti à l’Observatoire du Patrimoine Maritime Culturel au cours de l’année 2013.

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Comment s’y prendre ? Les méthodes et les principes appliqués pour cette étude.

Pour élaborer cette expertise, l’équipe de l’Observatoire du Patrimoine Maritime Culturel a consulté de nombreux ouvrages, des documents cartographiques et photographiques et des archives -publiques ou privées- afin d’obtenir une bonne base de travail. Une partie de ces documents a été trouvée dans les rayons des bibliothèques – Bibliothèque Universitaire, Bibliothèque des archives à Brest. D’autres ont été glanés au gré des rencontres ou lors de rendez-vous avec des personnalités locales de la commune reconnues pour leur connaissance du maritime et du patrimoine local –blogs et Bulletins municipaux.

D’ailleurs nous tenons à remercier chaleureusement pour leur disponibilité et leur générosité Jean Pierre Clochon, Hubert Michéa et Vanessa Le Bris qui ont su nous guider et nous apporter, grâce à leurs récits, des informations utiles à une bonne analyse de terrain.

De nombreuses visites de terrain ont permis d’élaborer un inventaire détaillé, base indispensable de travail pour identifier les ensembles et sous-ensembles bâtis les plus spécifiquement liés aux activités maritimes passées et à alimenter l’étude en photographies. Une immersion dans l’histoire des lieux de 1558 à 1970 a été nécessaire pour comprendre par quelles étapes successives de développement urbain l’agglomération est passée et comprendre quelles logiques ont permis d’aboutir à la forme d’urbanisation existant aujourd’hui sur les deux rives. Finalement l’expertise fournit un diagnostic du patrimoine urbain maritime de ce territoire du bas Léon intimement lié à la mer d’Iroise.

Le document se compose de trois parties: analyse géographique, synthèse historique: analyse de l’espace communal dans son ensemble et plus finement de ses particularités. Les héritages maritimes bâtis : quatre système terre-mer ses succèdent dans le temps engendrant un bâti maritime présent encore aujourd’hui. Les espaces d’intérêt patrimonial maritime : leur organisation et les recommandations liées.

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La portée de cet inventaire. Appréhender la richesse et la diversité des éléments qui composent ce patrimoine si spécifique, en les repérant et en les identifiant. Comprendre la singularité de la trame urbaine actuelle et l’identité des quartiers d’aujourd’hui à travers la genèse de ces espaces marqués par les activités maritimes. Se doter d’un outil d’aide à la réflexion utile lors de l’élaboration de projets d’aménagement urbain.

Plusieurs niveaux de lecture :

Dans l’optique d’une mise en valeur du patrimoine maritime bâti de l’agglomération urbaine formée de part et d’autre des rives de la ria du Conquet, a été réalisé : L’analyse thématique, permet des recoupements thématiques à différentes échelles de territoire en fonction des champs auxquels ils se rapportent. L’analyse spatiale, donne une vue d’ensemble et une vue hiérarchisée de la distribution et de l’organisation des héritages historiques et culturels. Elle permet l’identification d’un élément dans un sous-ensemble donné et facilite les comparaisons d’organisations spatiales pour des espaces portuaires de même type (ex : port de fond d’estuaire, port de cabotage et de transport de marchandise, port de pêche artisanale des XIXème et XXème siècles,…). L’identification des points forts, des secteurs à enjeux, complétée par des recommandations, ouvre les possibilités d’une application concrète de cette expertise pour une politique de conservation et de protection du patrimoine maritime bâti visant la valorisation de l’ensemble de ce site portuaire.

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PARTIE 1 : analyse géographique, synthèse historique

Le Conquet

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Le Conquet, une terre « enclavée » à la pointe du Finistère sous l’influence du « maritime ».

La pointe Saint Mathieu et la commune du Conquet bien que formant un territoire situé à l’extrémité ouest de la continentale -ce fameux « Penn Ar Bed » (bout du monde) tant dépeint- ne peuvent pas en réalité être dissociées des îles et récifs de l’archipel de Molène. Ces dernières constituent un prolongement direct du continent bien qu’émergeant de la mer d’Iroise.

D’ailleurs administrativement, la commune du Conquet qui s’étend sur environ 8.5km², comprend une partie continentale et un ensemble d’îlots associés. Hormis les îlots au contexte bien particulier et l’isthme de Kermorvan, rattaché à la commune depuis 1961, le territoire communal du Conquet se présente en situation de presqu’île isolée dans le sud du bas Léon avec, au nord une côte relativement basse délimitée par la ria de Poulconq, à l’ouest une côte surélevée baignée par la mer d’Iroise, et au sud par le ru du Goazel.

Situé en contrebas du plateau granitique du Léon entre deux chevauchements géologiques, le sous-sol du Conquet est composé principalement de micaschistes. La carte géologique simplifiée du Léon permet de souligner l’originalité du Conquet. De la nature tendre de ces roches et en raison de l’érosion induite à la fois par l’écoulement des eaux de surfaces, par les attaques répétées des éléments (mer, vent…) et, dans une moindre mesure, par la main de l’homme qui en exploita la ressource (pavés et dalles de schistes), le relief s’est modelé au fil du temps avec des formes bien caractéristiques. La presqu’île de Kermorvan, la ria du Conquet et de nombreuses grèves de la côte ouest (Pors Pabu, Portez, Pors Liogan, Porz Doun, etc.) se distinguent de l’ensemble du plateau.

Carte géologique simplifiée du domaine du Léon et coupe associée.

1: micaschistes du Conquet et de Penzé et roches basiques associées, 2: amphibolites de , 3: gneiss de et noyaux éclogitiques, 4: orthogneiss de Plounévez-Lochrist et Tréglonou, 5: migmatites de , 6: micaschistes de l'Elorn, 7: orthogneiss de Brest, 8: formations paléozoïques (Dévonien inclus), 9: formations carbonifères (bassin de ), 10: granites varisques, 11: failles majeures, 12: chevauchements majeurs (d’après Rolet et al, 1994)

Le Conquet

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Une autre des spécificités de ce sous-sol tient en la présence de nombreuses fractures existantes dans la roche et qui, par endroit, font affleurer des sources à proximité du rivage dans les grèves. Ces sources « de bord de mer » qualifiées d’aiguades, ont depuis longtemps été recensées par les marins, transmises par le « bouche à oreilles » puis relevées sur les cartes pour approvisionner en eau douce les équipages au cours de leur voyage : aod ar feunteun, feunteun portez, porz ar feunteun, feunteun an aod sabl, aod feunteun ar gourin… Les capitaines de navires, suivant les vents et les courants, s’abritaient de la côte et envoyaient des matelots à bord de canots remplir des tonneaux à la source. Par la suite des lavoirs, grands bassins en pierres réservés à l’usage des « lavandières » du Conquet et alimentés en eau par ces sources (ex : lavoirs de Prat ar C’Halvez, de Pors Doun, de Portez), ont été aménagés pour des raisons d’hygiène au cours du XVIIIème siècle. La plupart de ces sources ont perdu leur usage. Actuellement, le manque d’entretien de ces points d’eau et des parcelles alentour engendre une pollution par filtration des sols et rend ces sources impropres à la consommation. Dans certains cas, l’accès à l’emplacement est difficile. Parfois la source n’affleure même plus.

Carte postale du début du XXème siècle montrant une vue sur le lavoir situé au lieu-dit Aod Ar Feuteun sur la presqu’île de Kermorvan. Prat Ar C’halvez, non loin de la ria de Poul Conq. Source : JP Clochon Crédit photo OPMC.

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Toutes ces entités expliquent la diversité des milieux et des formes (estran sableux, platiers rocheux, vasières, falaises…). La richesse des noms établis par la tradition orale en différents lieux du domaine maritime en apporte la preuve.

Aux cours de leur travail de recensement des lieux-dits relatifs au domaine maritime, Mikael Madeg et Yann Riou ont réalisé une carte toponymique du Conquet dans laquelle on distingue une variété de noms pour décrire précisément:

- les abris côtiers et zones de mouillage des navires (An Aod Wenn, la grève blanche), (Porz Padell, la grève du rocher plat qui donne aujourd’hui la grève bleue), (Porz Pabu, lieu où aurait accosté Saint Pabu), (An Trêz bian, la petite plage), (Pors ar Feunteun, la plage de la fontaine), (Poull Konk, site d’échouage dans l’anse…)…

- les zones de dangers et/ou repères de la côte pour la navigation (Bazenn Lochrist, platiers rocheux toujours dans l’eau en face de Lochrist), (Bougou ar Saout, la grotte marine des bovins), (Ar Garreg vraz, la grande roche), (Karreg Hanter Vare, roche de mi marée), (An Inizigou, les petites îles)…

- ainsi que les points de vue en hauteur (Beg Penn Zer, pointe à l’extrémité), (Beg Al Louarn, pointe des renards),

Et bien d’autres significations encore dont certaines désignant du bâti (Kal Sant Kristof, la cale Saint Christophe), (Tour tan Beg an Enez, le phare de Kermorvan).

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Le(s) site(s) portuaire(s) originel(s) du Conquet (Drellac’h, Croaé et Poull Konk) ont été établis sur la rive sud de l’anse dans la partie la moins exposée au vent d’ouest afin de protéger les embarcations des tempêtes. L’ensemble restait cependant difficile d’accès par la terre car la ria du Conquet faisait office de barrière naturelle et se posait comme un obstacle au franchissement à pieds. D’ailleurs aucune voie romaine existante dans la pointe du sud- ouest du Léon (bas Léon maritime), ne desservait directement le port du Conquet (voir fig 2- H.Kerebel).

Pour atteindre Le Conquet par la route, il fallait aller à Saint Mathieu puis passer par le village de Lochrist. A défaut de voies romaines carrossables bien établies, il existait -et il existe toujours- sur le territoire du Conquet un réseau dense de chemins reliant le village de Lochrist ainsi que les hameaux agricoles alentours, au port du Conquet (voir ci-dessus le plan d’assemblage du cadastre napoléonien datant de 1841).

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Aujourd’hui de nombreux chemins d’axe nord-ouest/sud-est retranscrivent encore les déplacements historiques réguliers entre Le Conquet et le village de Lochrist dans l’espace communal.

Ces chemins empruntés quotidiennement à l’exemple des enfants pour aller à l’école au Conquet ou des habitants du Conquet pour se rendre à l’église de Lochrist (jusqu’en 1850), correspondent à d’anciennes voies charretières bordées par des talus en terre et matérialisés parfois par des murets de pierres plates, très caractéristiques, à l’entrée des propriétés. Les parcours se faisaient en fonction de la destination souhaitée mais aussi de la direction, de la force du vent et de l’état des chemins parfois impraticables par temps de pluie.

Deux routes vicinales apparaissent également sur la carte de 1841 :

- la première d’axe est-ouest relie Le Conquet à Saint Renan en franchissant la ria par le pont et en empruntant l’ancienne voie romaine sur Trébabu. - la seconde d’axe sud-ouest/nord-est relie Le Conquet à par l’intérieur des terres.

Ces routes facilitaient les échanges commerciaux entre les villages du bas Léon. Conquétois et habitants des alentours y compris ceux des îles (Trébabu, Plougonvelin, Ouessant, Molène...) se retrouvaient au marché installé au croisement de la « grand’rue » (actuelle rue lieutenant Jourden), de la route de Lochrist (actuelle « rue Poncelin») et de la rue du port (actuelle rue de la rampe Lombard). Quantité de marchandises provenant des villages voisins mais aussi des îles, étaient ainsi présentées et vendues sur le marché du Conquet (poisson, crustacés, moutons, chevaux, blé, cochon, tissu).

La Grand’rue pendant le jour du marché qui a toujours eu lieu le mardi. Deux vues de cartes postales datant du début du XXème siècle (1910).

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Enfin des chemins à la logique très particulière établissaient une sorte d’ancrage entre le domaine rural et le domaine maritime en reliant les terres aux grèves des deux façades maritimes –mer d’Iroise à l’ouest, et ria de Poulconq au nord. De nombreuses activités nécessaires à l’équilibre de vie se pratiquent sur cette frange de bord de mer comme la récolte du goémon, la pratique d’une petite pêche côtière et les déplacements journaliers à la source d’eau potable ou au lavoir pour laver le linge. Le milieu marin apporte des richesses complémentaires non négligeables pour les habitants de ce territoire rural excentré.

Ainsi ces voies adaptées aux charrettes traversaient les champs pour acheminer l’amendement marin récolté comme engrais. Près de la côte (bande des 0 à 500m de la façade littorale ouest) des murets en pierres étaient élevés pour protéger les récoltes du vent marin chargé de sel, sécher le goémon et délimiter la propriété des champs. « C’est l’Armor ! Au-delà, dans l’Argoat, les talus sont en terre ». " Ceux qui aiment le plus les cailloux c’est les gens de la mer, les gens de la côte!" dit-on encore aujourd’hui.

Sur cette côte surélevée par endroits, des édifices maçonnés ont été érigés et équipés d’un système appelé « davier » afin de remonter plus facilement le goémon. Ce système se compose d’une pierre (ar mean daviet) percée d’un trou dans lequel vient se loger un espar en bois d’orme (ar c’hoad daviet). A l’extrémité de l’espar situé en surplomb de falaise, le réa permet le relevage de la charge de goémon par le passage d’une corde tirée par un cheval.

↑Croquis réalisé à partir du profil de falaise parue dans l’article d’André Guilcher et Thierry Simon en 1984. Source Rémy le Martret.

Davier sur la falaise non loin de Pors Liogan- Crédit photo OPMC

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Ce dispositif adapté à la côte ouest dont la morphologie est plus haute que celle des rives de la ria de Poul Conq, permettait aux fermes voisines de profiter de cette manne apportée par la mer. Cependant à défaut d’usage et d’entretien, de nombreux chemins, murets et daviers ont aujourd’hui disparu.

C’est la logique touristique et résidentielle qui bouleversa petit à petit l’ensemble du réseau de chemins en place au cours du XXème siècle.

Les déplacements touristiques s’amplifiant, ils déterminent une logique totalement nouvelle : celle de la vue sur mer pour le plaisir.

Le phénomène commence avec l’installation et la mise en service entre 1902 et 1932 de la ligne de tramway Brest-Le Conquet. Avec 23 kms de ligne, le tramway électrique opère un véritable bouleversement dans ces paysages du bas Léon. Pour permettre le raccord de la ligne aux routes existantes (principalement la RN789 et la Grand’rue), une portion de route sur la rive sud de la ria a été aménagée pour l’occasion (au niveau de la station de tramway « Kerjean ». Voir photo ci-dessous).

La ligne de tramway entre Brest et Le Conquet avec ses arrêts.

L’exploitation de la ligne par la société anonyme des tramways électriques du Finistère ne dura que 30 ans mais les habitudes de déplacements entre Brest et les communes de ce « bord de mer » sont prises. Désormais, on se donne rendez-vous sur la côte pour les plaisirs de la baignade et de la pêche. Dans les années 1960 l’automobile dont l’usage se généralise influence énormément les plans d’aménagement. Une nouvelle route touristique est entreprise pour relier entre eux les points de vue remarquables de la côte.

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La route littorale entre Le Conquet et la pointe Saint Mathieu (D85)

Crédit photo : OPMC

Une des grandes décisions du Plan directeur de la commune du Conquet approuvé en 1960 fut l’aménagement d’une route touristique reliant le Conquet à Saint Mathieu dans l’objectif de dynamiser l’économie touristique et d’augmenter l’attractivité de ce panorama du « bout du monde » tant apprécié. Avec un tracé choisi au plus près de la côte, l’opération d’aménagement a nécessité un remembrement des parcelles agricoles et une réorganisation de l’ensemble des chemins d’exploitation.

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De ce fait, de nombreux champs ont été scindés en deux. Ceux de la partie « terre » ont continué à 'être exploités tandis que les parcelles du rivage devenues trop petites furent laissées en friches. De nombreux fours à goémon (fours à soude) ont été ensevelis sous la route et de nouveaux murets ont été édifiés par la Direction Départementale de l’Equipement. Pour cette route située en contre bas, il a fallu construire par endroits un mur de soutènement, creuser de nouveaux fossés et talus pour contenir l’écoulement des eaux de ruissellement. La route touristique CD85 reliant Le Conquet (au débouché de la rue Sainte Geneviève) au site de la pointe Saint Mathieu, a transformé brutalement les pratiques agricoles de ce bord de mer ainsi que le paysage d’autrefois.

Dans le rapport de présentation du Plan directeur de 1969, il est fait état sur la commune du Conquet d’une contrainte majeure liée à la fois à l’enclavement de la ville-port mais également du réseau routier hérité (« l’étroitesse des rues rend la traversée de l’agglomération particulièrement difficile surtout en période estivale ») qui ne s’adapte pas aux déplacements touristiques saisonniers. « Le plan doit résoudre le problème de la circulation dans le centre de l’agglomération notamment en été en créant une nouvelle voie de liaison. Il doit aussi structurer l’extension du tourisme par la localisation des possibilités de création de campings et de parkings tout en protégeant les sites. »

Sur la carte ci-contre extraite du plan directeur de 1969, l’emplacement n°3 destiné à l’aménagement d’une voie de liaison raccordant la CD789 à la CD85 est tracé. Il correspond en partie à l’actuelle rue John Fitzgerald Kennedy qui dessert bon nombre de résidences. Pour autant l’accès du port par la route reste un problème au cours de la période estivale et le gabarit des voies ne peut être seul mis en cause.

Au cours de ces trente dernières années l’accroissement du nombre de maisons individuelles a engendré une utilisation plus intense du réseau routier existant tout au long de l’année et a augmenté les besoins en stationnements sur la voie publique.

La notion d’enclavement pour la ville-port du Conquet relève davantage d’une inadéquation du réseau de routes existantes quant aux logiques en place, que d’un réel isolement géographique.

Pour sortir de ce dilemme il faudrait encourager l’utilisation raisonnée de l’ensemble des chemins hérités qui participent dans leur forme à l’identité du territoire du Conquet (chemins creux bordés de talus et de murets de pierres) et qui continuent d’offrir une diversité de parcours possibles pour les déplacements résidentiels au quotidien.

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Le Conquet, un port au carrefour des grandes routes maritimes européennes.

La mer d’Iroise : une route vélique commerciale, longtemps incontournable mais risquée.

La mer, depuis fort longtemps, a été un moyen évident d’échanger pour les peuples éloignés géographiquement. Depuis l’antiquité, les populations maritimes n’ont cessé de construire des bateaux à voiles suffisamment robustes pour commercer sur la base des richesses produites localement ou de celles qui transitaient par leur territoire. Les routes véliques de la façade atlantique sont à distinguer de celles de la méditerranée. La force des vents, les courants spécifiques par endroits et les mouvements de marées qui varient en fonction de l’attraction combinée de la lune et du soleil sur les océans, sont autant de facteurs qu’il faut intégrer pour naviguer sur ces côtes.

La mer d’Iroise qui baigne les côtes à l’ouest du Finistère est réputée pour être une des plus dangereuses d’Europe. Continuellement animée par de forts courants que l’on nomme « passage du Four », « passage du Fromveur » ou « raz de Sein », cette mer exige d’avoir une bonne connaissance des lieux et un sens aigu de l’observation pour en distinguer les nombreux récifs et écueils émergés à marée basse et se repérer sans s’échouer sur les rochers, îlots et îles telles que l'île de Sein ou l'archipel de Molène.

De profondeurs variables et située à l'entrée de la Manche, la mer d’Iroise expose les navigateurs à des courants intenses à chaque cycle de marée. Ainsi, durant le flot, de forts courants portent au nord-est « en remplissant » la Manche et avec le jusant, ils s‘inversent, laissant la Manche se « vider ». Plus localement, dans le goulet de Brest, la rade se « vide » et se « remplit » produisant un effet comparable.

Les navires qui servent au cabotage, plutôt « ronds », trapus et robustes, ne sont mus que par leur voile et ne tiennent pas très bien la mer. La navigation forcément difficile, se fait « à vue », de caps en grève, en promontoires. La chaussée de Sein mais aussi l’archipel de Molène et ses nombreux écueils représentent alors un danger potentiel. Les bateaux naviguent donc plutôt de jour et se rapprochent au maximum de la côte pour en distinguer les amers (clochers d’église, tourelle, mât, maison, rochers peints…), observer la couleur des fonds, remarquer la présence d’oiseaux marins ou de poissons connus dans les parages. Les outils à bord sont rudimentaires. La sonde sert à mesurer la profondeur de l’eau et le Loch mesure approximativement la vitesse du bateau.

Avant les « Grandes Découvertes » et leurs retombées scientifiques en matière de cartographie et de navigation, tout ce qui se trouve à l’ouest, au-delà de l’horizon, représente l’inconnu. A cette époque la propulsion vélique des bateaux nécessite donc de prendre son temps et de suivre au plus près la côte pour éventuellement s’y abriter.

Depuis l’époque romaine, les petits ports de la pointe du Finistère tel que Penmarc’h, , Camaret, Le Conquet, , l’Aber Wrac’h (…) s’imposent comme des escales utiles voire nécessaires pour bon nombre d’hommes et de marchandises engagés dans la mer d’Iroise.

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L’ère des « Grandes découvertes » entraine les ports d’escale comme Le Conquet dans un lent déclin économique.

À partir de 1350, le trafic maritime entre le sud et le nord de l’Europe se développe rapidement sous l’influence du réseau hanséatique d’Europe du Nord et de la Baltique. Pour répondre aux besoins, sans cesse croissants, de commercer les charpentiers de marines innovent et font évoluer les navires en conséquence. Leur taille, leur volume et leur tirant d’eau augmentent. Et en parallèle, les armateurs encouragent le développement d’une « science » de la navigation afin de sécuriser au maximum leur flotte et les marchandises qu’elle transporte. Des guides nautiques donnant des indications très précises des côtes européennes voire au-delà (Océan indien, mer de Chine) sont imprimés et diffusés à travers l’Europe dès 1520 (cf. grand routier, pilotage et ancrage de la mer de Pierre Gracié.).

La Hanse constitue une communauté économique forte de près de 130 villes (Dortmund, Riga, Lübeck Königsberg, Dantzig, Stettin, Rostock, Hambourg, Brême) qui fait circuler des produits du nord,

de l’est (bois, fourrures, poissons…), de l’ouest (draps, sel, vin) et du sud (soie et épices d’Orient).

Peinture murale Portrait par Hans Holbein le Jeune symbolisant de Georg Giese de Danzig, le réseau de La marchand allemand de 34 ans au Hanse- comptoir londonien de la Hanse (le A Tullin (Estonie) Steelyard)

Les cartographes-géographes orchestrent avec beaucoup d’ingéniosité le passage de l’oralité au papier en prenant appui sur un outil stratégique : la carte. De nombreuses écoles et ateliers se spécialisent ainsi à travers l’Europe (cf. école d’hydrographie de Dieppe) afin de rassembler de précieuses informations et de les retranscrire sur le papier. Un ingénieur cartographe nommé Guillaume Brouscon s’installe au Conquet à cette époque. Il y rédige deux manuscrits intitulés « Traité de navigation » datant de 1543 et « Manuel de pilotage à l'usage des pilotes bretons » datant de 1548 et conçoit des

Almanachs qui sont vendus aux marins en escale. (Voir les travaux de Hubert Michéa sur la question).

Les travaux de Brouscon furent poursuivis au Conquet par ce que l’on appelle communément « l’école de cartographie du Conquet ». Mais à défaut d’école officielle comme celle de Dieppe, G. Brouscon transmet simplement de nombreux savoir-faire à ses successeurs (Katherine sa fille, Yann Le Béchec, Yann Troadec, Alain Lestobec et Christophe Troadec, géographe du roi en 1650. (BLN) …). D’ailleurs ces connaissances contribuent un temps au rayonnement de l’abbaye de Saint Mathieu et du port du Conquet.

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Sur cette carte du Havre à Mores, les rumbs (cf. Secteur d'1/32e de la rose des vents) n’apparaissent pas.

Des lignes sinueuses relient les ports à ces roses.

A l’exemple du port du Conquet qui est relié à la rose en sud-ouest. Cela signifie que si la mer est pleine le premier,

alors le quinzième jour du mois la lune brille au sud-ouest.

Carte extraite du manuel

de pilotage à l'usage des pilotes bretons de G.Brouscon.1548.

Collection de la Bibliothèque Nationale Taolénnou « la carte du miroir du monde » et de France. une statuette de Dom dans la chapelle du même nom au Conquet.

Cet art de la gravure et du dessin cartographié a inspiré de nombreuses personnes à cette époque dont Michel Le Nobletz qui par le biais de sa sœur commença à utiliser des cartes peintes pour évangéliser les populations. Ces fameuses cartes appelées Taolennoù mêlant science et religion, amenaient les ignorants à la catéchèse par le biais de la géographie.

Dom Michel Le Nobletz finit sa vie au Conquet après avoir œuvré auprès de nombreuses communautés maritimes (, Sein, Ouessant). Inhumé en 1652 dans l’église de Lochrist, ses reliques ont été transférées par la suite à l’église Sainte Croix du Conquet en 1858.

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Sur l’ensemble des façades maritimes européennes, la pratique du petit cabotage dès le Moyen Age a permis d’accumuler de nombreuses connaissances issues de la solide expérience des communautés de marins en place sur ces côtes depuis des temps ancestraux, et d’en faire les fondements de cette « nouvelle science» cartographique.

Cette « révolution maritime » aura pour conséquence fâcheuse, à terme, de limiter les escales de ces bateaux marchands sur la façade atlantique puisque remplis de marchandises ils peuvent atteindre, non sans difficultés mais plus directement, leur destination, d’un port marchand à l’autre. Quelques petits ports bretons dont celui du Conquet, après avoir connu une intense activité maritime et faute de marchandises à exporter, retombent à la fin du XVIIème dans une certaine léthargie.

La mer d’Iroise, un plan d’eau stratégique qu’il faut sécuriser.

Fut un temps, l’ennemi arrivait par la mer pour piller et envahir les terres d’un royaume émietté, difficile à contenir. Avec l’ère des « Grandes découvertes » qui augurent de fabuleux voyages et une multitude de richesses rapportée de ces « nouvelles indes » d’Amérique, les frontières des royaumes européens se sont étendues par de-là les océans, et le recours à des stratégies de conquête maritime est devenu primordial. La mer devient un espace à part entière sur lequel l’autorité doit veiller.

La sécurité des navires aux abords de la mer d’Iroise reste problématique. Il faut attendre 1661 pour qu’un premier feu soit érigé au sommet du clocher de l’abbaye de Saint-Mathieu. A cette époque la dynamique militaire prend le pas sur celle du commerce. Colbert et Vauban engagent la France dans un vaste chantier d’éclairage des côtes. Ce balisage, complété par un deuxième feu situé au Stiff à Ouessant (1699), améliore un peu les conditions de navigation dans la zone et surtout facilite l’accès au port militaire de Brest par le goulet.

Le feu en haut de la tour de l’abbaye Saint Mathieu. Gravure de P. Ozanne (XVIIIème siècle) - Musée de la Marine, Paris Dessin du Sir De La Belle Veuve-Dumains, 1691 (Musée de la Marine, Paris)

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Cette première tentative d’éclairage des côtes finistériennes ouvre un nouveau chapitre – que nous n’aborderons pas ici- celui de la mise en place d’un véritable service de balisage et de surveillance ainsi que la construction d’édifices monumentaux, les phares (1789-1825-1880). L’éclairage et le balisage des dangers (hauts fonds, roches) deviennent une priorité pour réduire les naufrages de bateaux engagés en mer d’Iroise. De nombreux points stratégiques ont été choisis sur la côte ou sur des roches en mer afin d’y implanter ces sentinelles et quadriller le secteur.

Aujourd’hui sur cette extrémité ouest du bas Léon se dressent à terre le phare de la pointe Saint Mathieu (1835) dont le signal lumineux porte à plus de 50kms, le feu directionnel blanc à occultations de Lochrist (1939) dont le signal porte à environ 22kms et qui indique le chenal de la Helle, et le phare de Kermorvan (1849) dont le signal porte à 22km et qui, aligné avec Saint Mathieu, indique le chenal du Four. Sur ce territoire qualifié de « maritime », les phares érigés sur la côte évoquent dorénavant des routes océanes bien établies. Les navires y transitent de l’océan atlantique à la Manche pour relier à la fois les ports du sud et du nord de l’Europe mais également les ports du continent avec les ports des îles situées plus à l’Ouest.

Ci-dessus croquis non légendé tiré de la plaquette de l’office de tourisme du Conquet.

Photos actuelles du phare de Kermorvan, du phare de Saint Mathieu, du feu de Lochrist Crédit photos : OPMC

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Pour compléter ce dispositif, des bâtiments spécifiques et du matériel innovants ont été construits successivement pour surveiller la côte et communiquer avec les bateaux (mâts sémaphoriques, postes électro-sémaphoriques, cabane de télécommunication hautes fréquences dite des « OTC », bâtiments de Radio Conquet) mais également pour sauver et soigner les équipages (abris du canot de sauvetage). Sur cette terre de la pointe du Finistère « on est les yeux, les oreilles, de ce qui se passe en mer ! »

Lever de côte de Beautemps-Beaupré 1817. Sur ce croquis on aperçoit le sémaphore du Cruguel avec son mât Dupillon qui n’existe plus aujourd’hui.↑ Croquis mât Dupillon.

Cabane des OTC à la pointe des ←Renards.

Troisième abri du canot de sauvetage sur le terre-plein du port.

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GRANDE VINOTIERE

PHARE DE KERMORVAN

TOURELLE DEUX PYLONES DES RENARDS

BASSE AUX RENARDS

FEU ISOBASE DE LA ROCHE DE FEU DE LOCHRIST EPAVE LOCHRIST

PIGNONS DE KERAVEL

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Commentaires sur la signalisation maritime extraits de la carte marine du SHOM de 1944:

Phare de Kermorvan: il s'agit d'un feu à éclat blanc (période de lumière plus courte que la période d'obscurité) toutes les 5 secondes, hauteur du phare 20 mètres et visibilité du feu à 14 milles en 1944 (portée aujourd'hui à 23 milles). Il s'agit d'un phare d'alignement d'entrée au port du Conquet venant de la direction N-W, de jour comme de nuit, pour les navires empruntant le chenal de la Helle. Venant du sud, il sert également d'alignement d'entrée au Conquet avec le phare de Trézien.

Feu de Lochrist : c'est un feu directionnel à 2 occultations (période de lumière plus longue que la période d'obscurité, toutes les 12 secondes. La hauteur du phare est de 49 mètres, visibilité à 19 milles en 1944 (portée aujourd'hui à 22 milles).Navigation de jour et de nuit. Ce feu sert d'alignement d'entrée avec le feu de Kermorvan pour les navires empruntant le chenal de La Helle pour entrer au port du Conquet venant du NW.

En ce qui concerne les 2 pylônes rouge et blanc, leurs feux rouges servent pour la navigation aérienne de nuit pour indiquer les pylônes de la station du radio Conquet-.

La tourelle des Renards est peinte en rouge sert au balisage latéral de jour. Une bouée de couleur noire et rouge surmontée de deux boules noires, indique la "Basse aux Renards" c’est-à-dire un haut fond. Il s'agit d'une bouée de danger isolé qui sert à la navigation de jour uniquement.

Les pignons de Kéravel (bas de la carte), par le phare de Kermorvan à 142°30'sert d'alignement d'entrée au port du Conquet, uniquement de jour. Cet alignement permet d'entrer en toute sécurité au port en passant au N-E de la Basse St Pierre, qui délimite un haut-fond.

La tourelle rouge de la Grande Vinotière (15 mètres de haut) sert à signaler un haut fond. Cette tourelle sert à la navigation de jour et de nuit avec un feu à occultations rouge (6 secondes) portée 5 milles, elle avait une portée de 9 milles en 1944.

La roche de Lochrist (indiquée sur la carte de Lochrist) avec une bouée rouge (feu isophase rouge 4 sec) positionnée à l'ouest de cette roche et passant près de l'alignement de la tourelle du Faix par la balise du Grand Courleau. Par ailleurs, il est indiqué également près de la bouée '' Tournant et Lochrist".

Les mâts Dupillon et de pavillon autrefois en service au niveau de l'ancien sémaphore, servant à la signalisation de jour ne sont plus en service actuellement.

Une épave au sud de la basse aux renards est également indiquée.

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Le Conquet, un espace habité qualifié « d’entre-deux ».

Quels rapports entretient la commune la plus occidentale de la France continentale avec cette mer si particulière? Et à quel point l’aspect maritime a-t-il influencé les modes de vie d’une population aux ressources restées pendant longtemps principalement agricoles ?

Sur cette commune, l’espace dans lequel chacun se plait à vivre s’appréhende de plusieurs façons.

La frange littorale a longtemps été perçue comme une frontière où s’affrontaient, dans la dualité, la mer et la terre. Pourtant le bas Léon maritime présente aujourd’hui les caractéristiques d’un espace de transition « terre-mer ».

Plusieurs territoires de vie sont à distinguer socialement. Ils relèvent d’une construction mentale fondée sur des rituels et des habitudes de vie liées à l’environnement : Tud ar vor ceux qui sont de la mer et qui fréquentent les quais de la ville-port du Conquet, les ports d’escales (Bordeaux, La Rochelle, Sein, Molène, Ouessant, Le Palais à Belle-Ile) et les lieux de pêche (plateau de Rochebonne, les basses connues, les Berlingues…). An Arvor ceux qui sont de la côte (terrains compris entre 0 et 500m à vol d’oiseau de la côte). Tud Ar Menez ceux qui sont plus dans les terres (terrains au-delà de 500m de la côte mais toujours sur la commune).

Il est fréquent d’entendre les anciens distinguer les caractéristiques de ces territoires liés aux Tud ar Menez et aux An Arvor:

« Ici, ce n'est pas l’Argoat, c’est l’Armor! Quand vous allez dans les terres, même celle de la commune, c’est le Menez! An Armor, c’est le (Témoignages long de la côte. Tud an Armor, c’est ceux de la mer et tud ar Menez, les gens du Menez ». extraits de l’étude de « Il y a l’Armor et l’Argoat. Ici, c’est l’Armor, la côte. Et l’Argoat, c’est beaucoup plus bocageux. C'est à quelques kilomètres. Par l’éthologue exemple, quand on arrive à Plouguerneau ou à Plouzané, on voit des bois. Au Conquet, à Kerjean, il y a un petit bois, le bois de pins. Par Vanessa Le Bris contre le long de la route de Plougonvelin, il n’y a pas de bois, c’est juste quelques plants dans les jardins et quelques arbres ». sur les murets de pierres de « L’espace côtier n’a donc pas d’arbres et sa végétation est rase. Elle comprend des espèces caractéristiques du littoral comme l’arméria, la pointe la carotte à gomme, la piloselle et la silène maritime ». Saint-Mathieu et de ses « Partout sur la côte, il y a des pierres. Tu peux compter 3-400 mètres (à l’intérieur des terres), il y a des pierres. Les talus de la côte, environs). viennent des pierres de la terre (Douar) de la grève (Aod) et des rochers, (Reier) aussi ! Lochrist, Saint-Mathieu, il y a des pierres de la côte dans les murets. Et on voit de la pierre sur tout le bord! A l’intérieur du Conquet, bon par exemple à 5-600 mètres de la côte, ce sont des talus en terre. Ça devient des talus de champs, faits avec de la terre et quelques pierres pour faire tenir».

Belle façon de définir la ligne de partage entre la terre et la mer à partir de la nature des clôtures des champs et fondée sur des distances approximatives issues de la réalité du quotidien (plantes et espèces récoltées, présence de petits bois le long de la route de la côte..).

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Mer d’Iroise

↑Carte aux limites approximatives qui tentent de retranscrire les territoires de vie décrits par oralité.

Carte postale du Conquet au début du XXème qui montre bien qu’il n’existe pas de limite franche entre la ville-port et l’espace rural ; seuls les chemins bordés parfois de murets de pierre forment des ancrages.

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Qualifié « d’entre-deux » il désigne à la fois le lieu d’accueil temporaire des évènements mais également le mouvement de va-et-vient entre deux places, entre deux lieux. Ainsi :

1. Le quai AVISO Vauquois (quai qui porte le nom d’un navire militaire qui a sauté sur une mine le 18 juin 1940 non loin du Conquet, près de la tourelle de la Vinotière) et le bâtiment de la gare maritime évoquent la traversée en bateau depuis le continent vers les îles et le voyage à Molène et Ouessant.

2. Le môle saint Christophe et son ancien abri du canot de sauvetage transformé en magasin de marée, matérialisent le port de pêche où fileyeurs et caseyeurs débarquent leurs pêches au gré des marées et des saisons.

3. Le quai du Drellac’h avec son bâti hérité de l’époque ancienne, rappelle l’époque des invasions anglo-normandes et des guerres de courses. Il préfigure à la fois un lieu d’espoir et de désespoir, à la croisée des chemins entre ce que l’on est en train d’acquérir c’est-à-dire le savoir maritime et les richesses apportées par le commerce qui lui est lié, et ce qui est simultanément perdu lors des épisodes d’attaques et de pillages ennemis. Il est d’ailleurs fréquent d’entendre dans le récit légendé des anciens du Conquet, de Lochrist ou de Saint-Mathieu que « tout a toujours été détruit par les Anglais. Les anciens, ils reconstruisaient et les Anglais revenaient tout détruire ! «

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Crédit photos : OPMC

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Dans son étude, portant sur les murets en pierre de la pointe Saint Mathieu à Lochrist, Vanessa Le Bris a travaillé sur la perception que les habitants avaient de leur environnement. Ces murets maçonnés à l’ancienne que l’on retrouve principalement érigés sur la côte ouest entre Le Conquet et Saint Mathieu, matérialisaient à l’origine une sorte de frontière entre le monde « sauvage » et le monde « civilisé ». Or, parce qu’ils ont évolué durablement dans le temps et qu’ils portent en eux des traces du passé (pierres sculptées provenant de l’abbaye Saint Mathieu ou de maisons marchandes du Conquet), ces bâtis patrimoniaux sont devenus aujourd’hui « des objets de transmission culturelle ». (Extraits de l’étude) : Les pierres sont une ressource réutilisable qui ne se jette pas (et qui) sont soumises à des mobilités spatiales au cours du temps. C’est un matériau qui circule entre les individus » (dans) la logique du « ça peut toujours servir !» Dans les murs du Conquet, il y a des traces d'écussons mais ce sont des récupérations de démolition des guerres anglaises.

Comme relevant d’un rituel de passage à la fois entre le monde maritime et le monde rural mais aussi entre les « anciens » et les « jeunes » résidents, ces murets encourageaient l’entraide et organisaient un peu la vie de « quartiers ». « On est du même quartier quand on se donne un coup de main pour l’entretien des murets ». De nouveaux résidents entretiennent les murets parce qu’ils voient en eux le signe d’une reconnaissance sociale et culturelle.

Tête sculptée provenant de l’abbaye Saint Mathieu Muret de pierres marquant l’entrée d’une propriété Bâti ancien qui, s’il n’est pas restauré, pourrait être et rajoutée au porche d’entrée d’une maison de recyclé en vue de la restauration de maisons ou de de Lochrist. Petit bémol pour la poubelle qui, pourrait Lochrist. murets anciens. être intégrée à l’ensemble voir masquée par l’édifice.

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Entre le formel et l’informel, « l’entre deux » laisse entrevoir le temps de la transformation parfois silencieuse, parfois brutale, des saisons et du temps qui passe. Il symbolise le travail de la mer qui défait et refait les faciès du littoral conquétois et celui des hommes qui cherchent constamment à la défier ou à s’en protéger en érigeant des infrastructures portuaires (môle, digue, jetée, quai).

Le littoral bouge, vit et les populations littorales doivent anticiper plus qu’ailleurs l’action d’aménager et se poser la question de son intérêt dans le long terme. La transmission des connaissances de ces mouvements, acquises par l’observation et le savoir-faire, doit pour cela être maintenue entre les générations dans le cas où une restauration s’imposerait.

Un entretien régulier de ces infrastructures soumises aux attaques répétées de la mer et du vent, est fortement conseillé pour éviter que les travaux ne soient décidés dans l’urgence et supposent des dépenses plus onéreuses.

La cale du Drellac’h, plusieurs fois remaniée, a été une Bâtiment dont les murs présentent un bel appareillage de Pierres percées qui servent toujours d’amarrage pour les nouvelle fois fragilisée par les tempêtes de l’hiver 2013- pierres et sa cale attenante, composée de dalles taillées annexes du port et une cale attenante en moellons de 2014. Cela ne l’empêche pas de durer dans le temps. Crédit dans la pierre. A noter les bornes de protection insérées pierres. Crédit photo OPMC photo : J.P.Clochon dans la cale pour protéger le mur attenant. Crédit photo OPMC.

L’atout des petits ports historiques qui présentent un intérêt patrimonial réside dans la variété des héritages maritimes dont ils disposent. A l’instar d’un site archéologique ou d’un milieu naturel d’une grande biodiversité, ce bâti maritime encore visible et non enfoui dans le béton, présente, certes, un intérêt historique fort mais il continue d’être utilisé pour sa fonction première (exemple des pierres percées utilisées encore comme amarres).

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L’espace « d’entre deux » se présente également comme un espace réflectif entre ordre et désordre, favorable à la méditation, à la créativité et à la liberté de pensée.

Sur ces territoires « du bout du monde », il n’est pas rare de voir des gens en quête de sens ou à la recherche des origines du passé comme pour mieux se raccrocher à un avenir. L’implantation de l’abbaye de Saint Mathieu en est un bel exemple. Le choix du lieu d’implantation d’une abbaye découle d’une logique très précise. Il répond en premier lieu à une volonté d’isolement. Les paysages doivent traduire une certaine force car la nature doit être source de recueillement, de méditation, d’enseignement, pour justifier la devise des moines « Ora et labora » : Prier et travailler. Enfin le lieu doit permettre l’acquisition de terres nécessaires à la subsistance de la communauté et dans le cas de Saint Mathieu cela sous-entend aussi la capacité de surveiller le trafic maritime pour en tirer profit.

Encore aujourd’hui, et malgré l’usage de l’automobile, les résidents du Conquet reconnaissaient vivre sur un territoire relativement isolé et ont le sentiment d’habiter un lieu où les gens ne font que passer. « Ils viennent pour la nature et les beaux paysages ».

L’essor du balnéaire a eu lieu au Conquet car la « Nature y est grandiose » mais aussi parce qu’à travers elle, les estivants touchent du doigt une certaine forme de liberté. La beauté et la diversité des paysages ajoutées à la quiétude de ce bord de mer, à la belle saison, incitent à la détente et à l’évasion. Avec le temps des vacances viennent également les pratiques sportives et ludiques (baignades, surf, pêche, promenades) avec leurs rituels qui mettent en éveil nos sens. Le Conquet se présente alors comme un lieu d’inspiration, certes, mais aussi d’expériences. L’artiste, amateur ou professionnel, qu’il soit peintre, poète, écrivains ou photographe, tente alors à sa façon de retranscrire dans l’instant ces éléments de vie. Exemples

d’activités saisonnières au

Conquet :

les bains de mer au début du

XXème siècle.

la pêche à pied

telle qu’on la pratique

aujourd’hui Croquis du Conquet réalisé par Hubert Michéa (en photo ci-contre) avec au

premier plan la maison des seigneurs et au fond le port.

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Depuis 2006, l’association « la mer en livre » cherche à promouvoir sous toutes ses formes la littérature maritime (concours de nouvelles, dictée de la mer, poésie) et organise annuellement un salon qui met en avant le travail d’auteurs devant un large public. En privilégiant dans ses actions le lien intergénérationnel, elle sensibilise tous les publics et leurs transmet le « goût du maritime ». Cette démarche prend tout son sens dans la ville du Conquet dont le territoire offre une belle parenthèse, entre le monde de la terre et celui de la mer.

Le Conquet©( Konk Leon ) Un poème de Josette TOURNERIE. A nos pieds s'étirent la ville, Viens avec moi courir la dune Brune cité que Rome prit, Au vieux pays des feux follets, 1 Et la digue d'un flot tranquille Où les diauls cherchent fortune Où le bateau trouve un abri. Quand le vent fou hurle aux genêts. Le goéland jette sa plainte, Nul Christ ne veille sur la lande Un pêcheur lève ses casiers, Le diable seul s'y risque au soir, 2 Sa barque au plein roule sans crainte Un viltansou , dit la légende, Tandis que grincent les osiers. Rôde, agitant son encensoir.

Le ciel, la mer, les bouées dansantes Aux Blancs Sablons laissons la trace Offrent aux yeux mille couleurs, ↑Affiche du salon 2014 De nos deux pas entremêlés, Tableau naïf d'ombres mouvantes Lorsqu'au lointain l'eau se prélasse, Né dans un cadre ensorceleur. Pieds nus, courons échevelés. Ici naît l'océan sublime... Viens, je te conterai l'histoire Article du Télégramme

Il gronde fort, mais son courroux De ce berceau que j'ai quitté, du 09-02-2014 portant Berce des chants nés de l'abîme Où je grandis, fier territoire sur la dictée océane Pour apaiser le Loup-garou. Symbole de sérénité.

Viens au sentier sur la falaise Nous attendrons le crépuscule Qui domine l'antique port, Quand le soleil noie ses rayons, Où l'ajonc garde, à Dieu ne plaise, Que l'homme se sent minuscule, Sauvage son païen décor. Qu'il lui reste un seul mot: prions !

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Le Conquet, un territoire partagé entre deux populations : une population à dominante rurale bien ancrée et une population maritime sans cesse renouvelée.

Après la Révolution Française, Le Conquet devient une commune à part entière et Lochrist en tant qu’ancienne trève de Plougonvelin, perd ainsi l’autorité de gestion (comptage des naissances et des décès, récolte de l’impôt pour l’église…) de ce territoire au profit de la ville-port. Quoi qu’il en soit, Le Conquet et Lochrist appartiennent à un même territoire bien que les intérêts et les modes de vie des populations soient nettement différents.

Alors que les habitants de Lochrist et des hameaux environnant ont calqué leurs habitudes de vie sur des rituels agricoles saisonniers bien précis, les populations issues du monde maritime au Conquet n’ont cessé d’évoluer dans leurs activités (commerce maritime avec les régions de Saintonge et de Bordeaux, guerres de courses, pêche, surveillance des côtes et sauvetage maritime, construction et réparation navales…) et de ce fait, de s’adapter à de nouvelles logiques de vie.

Un évènement marque la scission de cette population en deux communautés bien distinctes. Vers1850, les habitants des deux entités urbaines se disputent l’emplacement d’une nouvelle église car celle de Lochrist présente des signes inquiétants de vétusté. Pour les ruraux, Lochrist est le lieu de vie principal et l’église doit rester dans le bourg. Pour les habitants de la ville-port parcourir à pieds ou en charrette les deux kilomètres qui les séparent de Lochrist est pénible à la longue, surtout pour les personnes âgées et les jeunes enfants. Ils préfèrent construire une nouvelle église au Conquet. Le dilemme va agiter les séances du conseil municipal pendant cinq ans et avec l’appui de Monsieur Tissier, industriel ayant fait fortune dans l’iode, le nouvel édifice sera finalement érigé au cœur de la ville-port. C’est la raison pour laquelle, les populations issues du milieu rural et du monde maritime ne se sont pas mélangées lorsqu’il s’est agi de trouver sa place dans cette église. Cette tradition perdure par habitude si bien qu’aujourd’hui encore les personnes appartenant à une des deux « communautés » conservent implicitement « leur coin de banc ».

Carte postale représentant l’église Sainte croix. Tombeau de Dom Michel transféré de Intérieur de l’église présentant les bancs dans la nef et (non datée). l’église de Lochrist à celle du Conquet. un vitrail. Crédit photo : OPMC. Crédit photo : OPMC

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Concernant le monde rural, les fermes sur ce territoire du Bas-Léon maritime sont petites (2 à 5ha) et « l’entre aide » se pratique par « quartier ». Les propriétaires terriens érigent des talus et des murets de pierres pour délimiter leurs propriétés mais aussi pour protéger leurs champs des animaux errants et des vents salés. De nombreux pardons ou cérémonies religieuses rythment les saisons à l’exemple des pèlerinages de Trézien et du Folgoët qui ont lieu au mois de septembre, après les moissons. Mais les fêtes de « quartiers » viennent également récompenser le travail besogneux de la journée comme le KOAN Person (variété de Kig Ha Farz), du nom du plat que l’on partage après une journée de moisson. Jusqu’au XIXème siècle, les mariages sont arrangés pour faire perdurer la ferme. Les parents négocient le contrat de mariage durant de longues semaines en se retrouvant sur le champ de foire ou chez le notaire pour étudier scrupuleusement les titres de propriété. Yann Brekilien dans « La vie quotidienne des paysans bretons au XIXe siècle » reprend un texte de 1840 qui illustre bien ce propos : « Le paysan devient amoureux pour tout de bon, c’est à dire pour se marier ; un champ, un pré, une vache, de plus ou de moins dans la balance, voilà qui suffit pour le séduire. Le plus gros fumier lui porte au cœur et s’il a la perspective de pouvoir élever un cochon de plus chaque année, il se fixe sans retour ». Bien évidement à partir du XXème, cette logique prend fin. Petit à petit, les jeunes gens se croiseront au cours des pardons, des pèlerinages voisins et des fêtes plus populaires, élargissant un peu plus leur horizon géographique et amoureux.

Concernant le monde maritime, l’activité maritime du Conquet, jusqu’au XIXème siècle, est liée au commerce et à la « guerre de course ». Le commerce enrichit la ville qui se développe et devient alors plus attractive en termes de population. Ainsi naît la ville-port, où les intérêts des marins, des charpentiers, des cartographes, (etc.) coïncident avec ceux des négociants-armateurs. Mais par temps de conflits (invasions anglo-normandes, guerres de sept ans…), les populations maritimes sont les premières victimes des invasions ou des batailles navales (inscrits maritimes enrôlés). La ville-port retombe alors régulièrement en déclin. Au début du XIXème, « Le Conquet est une ville triste, qui ne s’est pas relevée des guerres de la Révolution et de l’Empire et dont la flottille de commerce florissante jusqu’aux années 1770, n’a pas trouvé de second souffle, une fois la paix revenue. Le recensement de 1851 dénombre 1370 habitants dont 22 militaires et marins et 43 mendiants. Le chiffre de la population tient compte des nombreux ouvriers qui travaillent à la construction des forts entre les Blancs-Sablons et Saint-Mathieu et dont plusieurs résident temporairement au Conquet. » (Extrait de l’article de J.P.Clochon Vers 1850, les "paimpolais" importent au Conquet la pêche aux crustacés). L’activité maritime en cette période de disette est un peu maintenue grâce au transport du goémon jusqu’à l’usine d’iode de Poul Conq. Mais le ramassage du goémon est effectué par des fermiers sur les îles de , Trièlen et Quéménes.

←scène de brûlage de goémon dans les fours de Toul Ar Blantoc (« le château ») du côté de Kermorvan. Au fond on

aperçoit l’usine d’iode de Poul Conq.

Vue d’un débarquement de goémon du

côté de Poul Conq (non loin de l’usine d’iode) avec au fond une vue du « château » de Toul Ar Blantoc.

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Or, à partir de 1850, les pêcheurs de Loguivy-de-la-mer (appelés aussi Paimpolais du fait de leur quartier maritime d’appartenance), après avoir écumé et épuisé les fonds marins de leur territoire de pêche côtière entre le sillon du Talbert, l'archipel de Bréhat et l'entrée de la baie de Saint-Brieuc, migrent vers de nouvelles côtes - dont celles du Conquet, de l’île de Sein, d’Ouessant- à la recherche de crustacés. Après quelques campagnes saisonnières au Conquet, de nombreuses familles de pêcheurs originaires de Loguivy-de-la-mer, se sédentarisent au Conquet et constituent une nouvelle communauté de pêcheurs de 12 familles soit 66 personnes (1856-1860). Installés sur le quai du Drellac’h dans les maisons vides de location ou dans les rues avoisinantes (rue Saint Christophe, rue Dom Michel, rue Poncelin, rue Marie Lagadec), ils amènent avec eux un savoir-faire et ouvrent des comptoirs et des viviers au Conquet. La ressource, pêchée et débarquée dans les viviers, est par la suite acheminée en direction des ports de la Manche par des gabares « Paimpolaises ».Les femmes continuent à porter la coiffe paimpolaise, marquant ainsi leurs origines.

← Petites marchandes de poisson : Jeanne et Clémentine Lucas.

↑dame du Conquet avec sa coiffe d’origine « paimpolaise ». Fabrication de casiers de pêche sur le quai du Drellac’h ↑

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Mais cette nouvelle communauté n’aura aucun mal à se mêler rapidement à la population locale et à créer avec elle de nouveaux rituels. Les fêtes maritimes et la bénédiction des bateaux apparaissent en 1900, à la fois pour conjurer le sort des mauvaises saisons de pêche dans le raz de Sein entre 1898 et 1899 mais aussi pour plaire aux visiteurs venus en tramway faire leur promenade dominicale. La première bénédiction de la mer, organisée par les pêcheurs, a lieu le lundi de Pâques avant que la flottille ne parte en pêche. Le spectacle des grands sloups pavoisés et des chants qui les accompagnent sont beaux et ravissent le public de citadins non-initiés. Les résidents occasionnels, propriétaires de maisons au Conquet, s’enthousiasment pour ces manifestations et prennent goût à la pratique de la voile jusqu’à devenir eux même les organisateurs des fêtes maritimes qui vont suivre.

Le matin avant la cérémonie de

bénédiction de Régate de la flottille, bateaux de quatre grands pêche dans les sloups pavoisés années 1930, au sec sur avant la béquilles devant motorisation. le quai du

Drellac'h.

« L’été, ce sont les fêtes nautiques qui attirent les foules. Les premières régates du Conquet sont dues à une initiative de monsieur Desparmet (propriétaire de la maison des Seigneurs), et de monsieur Casanove, administrateur de la Marine. La première manifestation a eu lieu le dimanche 24 septembre 1905. Les participants sur l’eau sont nombreux, tous les patrons conquétois aiment s’affronter dans ces joutes où chacun veut prouver que son navire est le meilleur et qu’il est le plus fin barreur » (Extraits de l’article de J.P.Clochon fêtes maritimes - bénédictions de la mer).

En deux ou trois générations, la communauté « des Paimpolais » s’accroît et redynamise la ville-port en allant pêcher au-delà de la mer d’Iroise : le long des côtes anglaises, espagnoles ou portugaises et ce, jusqu’à la guerre de 1914-18. La première guerre mondiale donne un premier coup d’arrêt à l’expansion de cette flottille de pêche. De nombreux langoustiers, non entretenus au cours de ces années de guerre, sont désarmés. De plus la « Marine d’état» ou la « Marine marchande » concurrencent directement la pêche en offrant de belles opportunités de carrière aux jeunes Conquétois. La pêche côtière se maintient tout de même entre les deux-guerres mais de nouvelles activités maritimes sont en plein essor: la surveillance des côtes et la radiocommunication. Qu’il soit gardien de phare ou technicien radio de formation, une nouvelle « population maritime » qualifiée pour scruter la mer et entrer en contact avec les marins, s’installe au Conquet. C’est à la pointe des Renards ou au-dessus de la plage de Portez que logeront les familles de ces techniciens de la mer, dans des sites adaptés à la fonction.

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