En couverture

Nom générique : MAROC CAMPS DE LAHMADA REPORTAGE-PHOTOS EXCLUSIF (160 000 habitants)

ALGÉRIE TAN TAN LAÂYOUNE 42 870 habitants

AWSSERD MAURITANIE 27 FÉVRIER 37 923 habitants AU CŒUR DU 5747 habitants MUR DE DÉFENSE 45 026 habitants

DAKHLA RABOUNI 26 435 habitants Centre TIFARITI administratif POLISARIO BIR LAHLOU

Pour la première fois depuis le déclenchement PAR LES ENVOYÉS SPÉCIAUX du conflit armé, en 1975, un journal marocain s'est rendu à Tindouf et a visité les camps de DE TELQUEL À TINDOUF Lahmada, QG du Polisario. Armée, propagande, AHMED R. BENCHEMSI institutions politiques, conditions de vie des ET MEHDI SEKKOURI ALAOUI populations… TelQuel révèle tout. Visite guidée, étape par étape. Bizarrement, le permis de conduire sahraoui EXCLUSIF AU CŒUR DU POLISARIO est une copie conforme du marocain. MERCREDI 11 JUIN MARDI 10 JUIN Une ferme et des poulets Il est 10 heures. En attendant que le programme Le dîner de l'ambassadeur de notre visite soit fixé (nous en avons discuté pen- Vu de Rabat, la République arabe sahraouie dé- dant le petit-déjeuner avec le “chef du protocole de mocratique (RASD) est un “Etat fantoche”. Vu la présidence”), nous visitons les lieux. La “ferme” d'Alger, la perception est radicalement différente. mérite son nom : une palmeraie luxuriante s'y “L'Etat sahraoui” n'a peut-être pas de territoire, épanouit, au milieu du désert de rocaille. Ici, on mais c'est bien la seule chose qui lui manque. Il cultive toutes sortes de fruits et légumes, destinés dispose d'une Constitution, d'un gouvernement, Nous à être distribués au peuple des camps. Des ca- d'un Parlement… et d'une représentation diplo- sommes mions frappés des logos de diverses organisations matique, une villa plutôt cossue, au cœur d'Alger. humanitaires européennes sont parqués ça et là. Il est 19h30, et nous y sommes. , ex- cinq et il y a Mais la principale attraction du lieu est une ministre de la Défense et actuel ambassadeur de la entreprise… avicole, financée par la coopération RASD en Algérie, a souhaité nous recevoir à dîner à manger espagnole. Dans un vaste hangar climatisé, avant que nous nous envolions pour Tindouf. 30 000 poulets en batterie produisent 900 000 Les salutations d'usage expédiées, il embraie pour vingt. Brahim Ghali, œufs par mois. “Pour couvrir nos frais, nous tout de suite, faussement innocent : “Où en est la l’ambassadeur de sommes obligés de vendre 70% de notre produc- situation, à Sidi Ifni ? Al Jazira a annoncé que les La légendaire la RASD à Alger. tion sur le marché algérien. Le reste est distri- émeutes ont fait une dizaine de morts”. Nos déné- bué gratuitement au peuple sahraoui, à raison gations (à notre connaissance, il n'y a eu que des hospitalité hospitalité sahraouie… Nous parlons de Manhas- de 4 œufs par mois pour chaque citoyen”,nous blessés) le laissent sceptique. Serions-nous de set, où Brahim Ghali était présent parmi les négo- explique, dans le vacarme des caquètements, le ceux qui relaient “la propagande du Makhzen” par sahraouie… ciateurs du Polisario. Il demande des nouvelles de maître des lieux. Agé de 42 ans, ce natif de réflexe et par principe ? M. Ghali précise sa pensée : “Taïeb” (Fassi Fihri, le ministre des Affaires étran- Laâyoune a étudié la gestion à l'université Cadi “C'est difficile, pour vous autres journalistes ma- gères) et de “Chakib” (Benmoussa, Intérieur), qui Ayad de Marrakech avant de rejoindre les camps rocains, de rapporter objectivement la situation faisaient partie de la délégation marocaine. Dans en 1991. Depuis, il n'a revu sa famille que deux au Sahara, non ?”. Le ton est donné. Nous ne cette banlieue de New York, quatre rounds de né- fois, en 1999 et en 2007. Il assure n'avoir aucun sommes pas encore à Tindouf, et déjà, la présomp- gociations ont déjà eu lieu. Sans aucun résultat. Tindouf est regret : “J'ai toujours su qu'après mes études, je tion de mauvaise foi nous colle à la peau… “Par la faute du Maroc”, précise l'ambassadeur viendrais ici, pour participer au combat de libé- Nous passons à table. Un chevreau grillé est em- comme si c'était une évidence. Il ajoute : “Ce que je une zone ration aux côtés de mes frères”. palé sur une broche en bois, accompagné de mul- ne comprends toujours pas, dans ce conflit, c'est Brahim nous rejoint et nous informe du pro- tiples plats de viande et de légumes. Nous sommes le silence du peuple marocain. Comment peut-il militaire. gramme. Notre première visite sera pour le Parle- cinq et il y a à manger pour vingt - la légendaire cautionner une telle injustice ?” Que répondre, fa- ment sahraoui. Nous embarquons dans le 4x4 ce à une certitude aussi profondément ancrée ? On nous dit sans plaques, suivis par un véhicule “jumeau”. Monsieur l’ambassadeur Nous complimentons l'ambassadeur sur le che- Tout au long de notre séjour, nous circulerons par a mis les petits plats vreau, vraiment excellent. que les trois convois de deux 4x4. “Au cas où l'un d'entre eux dans les grands… Il est temps de partir, notre avion décolle à 22h45. Brahim Kerdellas, un des conseillers de quarts de l'ambassadeur, nous accompagnera à Tindouf. Arrivés à l'aéroport, il demande nos passeports l’armée pour accomplir les formalités d'embarque- ment. Curieux, nous demandons aussi à voir le algérienne sien. C'est un passeport diplomatique vert, por- tant le sceau de la RASD. Il nous montre aussi y sont son permis de conduire sahraoui, réplique La RASD émet également exacte du permis rose marocain, en 3 volets des passeports. La police des stationnés. plastifiés. Leur république est peut-être “fan- frontières marocaine n’est toche”, mais elle est bien organisée… pas prête d’en voir… Après avoir franchi de multiples contrôles de sé- curité et subi autant de fouilles au corps, nous em- rement compatissant : “Ça va être difficile pour barquons dans un avion civil dont les sièges sont, vous d'écrire la vérité sur l'indépendance du Principale attraction de littéralement, rongés par les mites. Nous avons de peuple sahraoui”. Ben voyons… la ferme : une unité avicole financée par l’aide espagnole. la chance : le vol ralliera Tindouf directement, Un 4x4 blanc, sans plaques d'immatricula- sans l'habituelle escale à Bechar. tion, nous attend à la sortie de l'aéroport. Le ter- ritoire alloué aux Sahraouis commence une Tindouf n'est pas Tindouf trentaine de kilomètres - et deux barrages poli- La “ferme d’accueil” Il est deux heures du matin quand nous atter- ciers algériens - plus loin. D'ici-là, interdiction du Polisario, une oasis en plein rissons. Première surprise, et elle est de taille : de prendre des photos : la région, frontalière du désert algérien. ici, nulle trace de la République sahraouie. Tin- Maroc, est classée zone militaire - on nous dit douf et son aéroport, un petit bâtiment relative- que les trois-quarts de l'armée algérienne sont ment délabré, sont tout ce qu'il y a de plus stationnés ici. Voilà qui est rassurant… algérien. A commencer par la police dont le chef Pendant 15 minutes, nous roulons sur du bitu- local, dès qu'il découvre notre nationalité, se lan- me, puis notre véhicule s'engage sur une piste ce dans un discours enthousiaste sur les mérites sans panneau indicateur, dans la plus totale obs- comparés de nos équipes nationales de football. curité. Au bout d'un autre quart d'heure de rou- Il est, nous assure-t-il, un fan de Marouane Cha- te et de cahots, nous arrivons à ce qui sera notre makh. Apprenant, après un aparté avec Brahim, lieu de résidence pendant ces 4 jours : une “fer- Vu d’Alger, la RASD n’a pas La production atteint l’air d’une “entité fantoche”… que nous sommes des journalistes en passe de vi- me d'accueil”, nous dit-on. Nous sommes four- 900 000 œufs par mois. siter les camps du Polisario, il nous lance, sincè- bus. Demain sera un autre jour.

42 TELQUEL 21 au 27 juin 2008 21 au 27 juin 2008 TELQUEL 43 EXCLUSIF AU CŒUR DU POLISARIO nous invite à le rejoindre dans une salle de récep- tion voisine, en compagnie d'une dizaine de dépu- tés. L'un d'entre eux nous explique, chemin faisant, qu'il est “élu du secteur militaire”.Il per- Le Parlement çoit, comme tous ses collègues, un salaire de 4000 sahraoui, une dinars algériens par mois (400 dirhams). “Com- bâtisse rudimentaire bien touchent les députés marocains ?”, nous de- plantée au milieu mande-t-il. Nous sommes presque gênés de lui de nulle part. répondre. Lui étouffe un petit rire… Nous croisons Dans la salle de réception, on remarque des pos- ters de manifestants à Laâyoune, et une grande des pick-up photo de Ali Salem Tamek. Vu d'ici, ce dissident sahraoui est un héros national. Le fait qu'il ait un chargés passeport marocain et qu'il étudie le journalisme à Dans un 4x4 ne semble déranger personne. Les reliant 2 camps. d’hommes verres de thé circulent et les députés nous posent On se croirait dans “Combien des questions sur… Fouad Ali El Himma ! “Alors tomberait en panne dans le désert”, nous explique- aux visages une salle de classe comme ça, il se dit démocrate et veut créer un t-on… Nous roulons pendant une bonne demi-heu- d’un collège de touchent les parti ?” Ces gens, manifestement, ne ratent pas re dans un vaste désert de rocaille. Ça et là, des enturbannés campagne… une miette de l'actualité politique marocaine… containers sont échoués à même le sol, sous un so- Entrée de l’Assemblée députés La discussion débouche sur Manhasset, où leil de plomb. De loin en loin, nous croisons des qui roulent à nationale sahraouie. Mahfoud Ali Beïba était présent. Pourquoi lui et jeeps couleur sable, ou des pick-up chargés marocains ?” les autres membres de la délégation sahraouie d'hommes aux visages enturbannés, qui roulent à tombeau bureau en kit. Toiture en tôle type “Dimatit”, avaient-ils refusé de serrer la main de Khelli tombeau ouvert au milieu de l'immensité déser- tables en bois alignées en rangs, sièges standard nous demande Henna Ould Errachid, président du Conseil tique. On se croirait en Afghanistan. Notre chauf- ouvert au dont la majorité sont encore recouverts de leurs royal consultatif pour les affaires sahariennes et feur, qui a planté un fanion sahraoui sur son tableau housses de plastique originelles… Une quaran- un député ardent défenseur de la marocanité du Sahara ? de bord, ne suit aucune piste. “Nous, les Sahraouis, milieu de taine de Sahraouis dont un gros quart de femmes La question énerve fortement nos interlocu- n'avons pas besoin de GPS, ni d'aucun instrument (et, curieusement, un enfant d'une dizaine d'an- sahraoui. teurs. “La présence de Sahraouis parmi les né- de navigation, lance Brahim, pas peu fier. Le jour, l’immensité nées) sont dispersés dans les rangées. Face à eux, gociateurs marocains était en soi une nous nous repérons grâce à la couleur de la terre et un mur recouvert de tentures vertes et de dra- blème, c'est avec leur régime”. Cette phrase, nous Nous sommes provocation”, lance, très remonté, un député ré- la forme des dunes. Et la nuit, nous nous fions aux désertique. peaux de la RASD, sous une grande inscription l'entendrons mille fois durant notre séjour… pondant au nom de Ahmed Omari. “Du reste, étoiles”. Pas de doute, ça impressionne. On se croirait en arabe et en espagnol : “Assemblée nationale Ordre du jour : l'élection démocratique et po- presque ajoute-t-il, Khelli Henna se contredit. Pas plus sahraouie”. Sur une estrade légèrement suréle- pulaire de deux membres de la Cour suprême tard qu'hier, il m'a appelé au téléphone pour me Parlement Dimatit en Afganistan. vée, d'autres hommes en darra'iya entourent sahraouie, “tel que prévu dans l'article 134 de la gênés de lui dire de ne pas lui en vouloir, qu'il était manipu- Le siège du Parlement sahraoui est un bâti- Mahfoud Ali Beïba, le président de l'Assemblée. Constitution”. Les procédures s'engagent, sous lé par les Marocains”. Le mensonge est grossier, ment isolé, planté au milieu de nulle part. Nous Qui prend le micro pour… souhaiter la bienvenue l'œil distrait de la plupart des députés. L'un répondre. personne ne fait mine d'y croire. Plusieurs dépu- traversons une courette en terre cernée de murs à la “délégation du peuple marocain” ! Avant que d'entre eux dort même franchement, la tête ren- tés fusillent leur collègue du regard, tout en décrépis, avant de pénétrer dans ce qui res- nous ayons eu le temps de protester, il ajoute : versée en arrière. Voilà au moins un point com- Lui étouffe nous décrochant des sourires gênés. semble à une salle de classe d'un collège de cam- “Nous n'avons aucun problème avec nos voisins mun avec le Parlement de Rabat… pagne, où on aurait disposé du matériel de marocains, qui sont un peuple frère. Notre pro- La séance terminée, le président de l'Assemblée un petit rire. “Nous sommes un virus” De retour à la ferme, nous déjeunons avec M'hammed Khaddad, un autre négociateur de SYSTÈME ÉCONOMIQUE Manhasset. Membre du secrétariat national du Polisario et coordinateur des relations avec la Entre communisme et zones d'ombre Minurso, l'homme est affable et intelligent. Il contre avec subtilité nos arguments en faveur du e système écono- distribuées varient en fonction Un système proche, population ? Et puis, qui l'étranger ? Le plus gros plan d'autonomie proposé par le Maroc, et re- mique en vigueur de nos interlocuteurs… Camp de Laâyoune. Epicier sahraoui donc, du communisme les achète, puisque la contingent de Sahraouis connaît de bonne grâce une certaine évolution “L dans les camps est Mais il y a aussi un ersatz au milieu de produits espagnols. (même si tous les offi- plupart des gens n'ont en dehors des camps vit démocratique du royaume, depuis une dizaine fondé sur la distribution gratui- d'économie privée, dans les ciels récusent ce terme) pas un centime en au Sahara sous adminis- d'années. Mais notre conversation est sans cesse te de denrées de première né- camps. Celle-ci ne s'est dévelop- - à ceci près que les poche ? Les réponses tration marocaine. On interrompue par un autre convive. Nous finis- cessité issues de l'aide pée que depuis le cessez-le-feu, gens sont extrêmement que nous avons pu obte- imagine mal l'argent ve- sons par nous taire pour le laisser dérouler une internationale”. C'est le “wali” en 1991. Elle consiste principa- pauvres, et que leur sur- nir ne sont guère nir de là, la loi marocai- interminable diatribe de laquelle il ressort, en de Laâyoune, le plus gros des 6 lement en la fabrication et com- vie dépend de l'aide in- convaincantes. Les ne l'interdit clairement. camps de Lahmada (44 000 mercialisation de produits ternationale. Que se clients des rares com- Pour le reste, il doit bien Mohamed Khaddad (d.) et habitants) qui parle. Ses ser- artisanaux, l'élevage de chèvres passe-t-il quand celle-ci merces, nous a-t-on dit, y avoir quelques Khalil Sid Mohamed, “ministre vices et ceux de ses collègues, et la tenue de quelques petits vient à manquer ? “Le sont en grande partie membres de la diaspora des Territoires occupés”. assure-t-il, distribuent une fois commerces et services de proxi- gouvernement algérien, ceux qui tiennent sahraouie en Algérie ou par mois à chaque citoyen 20 à mité (épiceries, garages, coif- que Dieu multiplie ses d'autres commerces. Les en Europe. Mais ils doi- 30 kilos de farine, huile, lait, feurs, fripiers…). Tout cela se bienfaits, nous compen- élites font des affaires vent être très riches et féculents, etc. “A chaque occa- paie en dinars algériens. “Mais se la différence”. Soit… avec les élites ? Pas très avoir des familles très sion exceptionnelle, ajoute-t-il l'économie marchande, estime le Mais ce système recèle socialiste, tout ça… nombreuses, alors. Par- (mariages, baptêmes, décès, vi- wali de Laâyoune, représente de nombreuses zones Autre explication : les ce que si on déduit les sites d'invités), le gouvernement tout au plus 20% de l'activité d'ombre. Que font des habitants des camps re- 7000 étudiants sah- fournit une aide supplémentai- des camps”. Autrement dit, la “l'Etat”, en remplissant diverses gratuitement. En échange, ils produits espagnols dans çoivent des aides finan- raouis à l'étranger (qui, re”. Ces informations sont plupart des gens vivent, en toute fonctions administratives… Sauf rendent service gratuitement à les épiceries des cières de la par définition, ont des justes, nous les avons recoupées simplicité, sans argent. Pourtant, qu'ils ne perçoivent aucun salai- l'Etat”, explique ce jeune Sah- camps ? N'étaient-ils communauté sahraouie ressources très limitées), auprès des habitants des la plupart des adultes travaillent, re en contrepartie ! “C'est nor- raoui qui travaille comme scribe pas censés être redistri- installée à l'étranger. il ne reste quasiment camps. Même si les quantités généralement au service de mal, l'Etat leur rend service à la wilaya de Dakhla. bués gratuitement à la D'accord mais où, à plus personne… G

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gros, que le régime de Mohammed VI est plus dictatorial encore que celui de Hassan II. Cet homme s'appelle Khalil Sid Mohamed et il occupe le poste de “ministre des Territoires occu- pés”. Sa mission : coordonner l'action du Polisa- rio avec celle de ses militants secrètement “Ici, les femmes parlent implantés au Sahara sous administration maro- Tout Les femmes sont politique librement”. caine. Voilà qui est très intéressant… Nous cher- très actives dans chons à en savoir plus, mais l'homme se contente Sahraoui les camps. d'elles… Ça a confirmé tout ce que nous pensions de répondre, sourire carnassier aux lèvres : “Mon sur le climat de dictature instauré par l'occupant Centre éducatif pour travail consiste à déstabiliser la monarchie ma- qui meurt ici, marocain. Ici, les femmes parlent librement, et ex- femmes sahraouies. rocaine”. Rien que ça ! Mais en a-t-il vraiment les priment toutes sortes d'opinions politiques”.Ah ? moyens ? Soudain grave, il réfléchit quelques se- exilé de Y compris, par exemple, un soutien au plan d'auto- condes, puis lâche : “Le Maroc est un grand pays, nomie proposé par le Maroc ? Chapelet de sourires “Dès qu’on un pays fort. Mais nous sommes un virus, et nous sa “patrie charmeurs : “Bien sûr, rien ne l'interdit ! Il se trou- faisons beaucoup de dégâts. Vous avez épuisé ve que personne n'est pour, voilà tout”.Hum… parle du tous les antibiotiques, aucun n'a marché. Et au- occupée”, Alors que nous sommes sur le point de prendre cun ne marchera jamais”. Près de lui, M'hammed congé, des sons de guitare et d'orgue électronique Sahara avec les Khaddad a un sourire un peu gêné. Comme s'il est considéré nous parviennent de la salle voisine. “C'est notre approuvait les propos de son collègue, mais qu'il groupe de musique, venez voir !”, lancent nos hô- Marocaines, trouvait inutile leur ton agressif… comme un tesses d'un ton enjoué. Nous découvrons une peti- martyr… Entrée du camps batisé te salle de spectacle rudimentaire, où un quatuor elles baissent “Najm Al Polisario” “27 février” en référence de musiciens est en train de répéter. Le groupe “Najm Al Polisario”, les Au programme cet après-midi, la visite d'un même s’il est à la date anniversaire de s'appelle “Najm al Polisario” (l'Etoile du Polisario) la voix, se Ghiwane de la RASD. centre médico-éducatif pour les femmes sah- la RASD en 1976. et spécialement pour nous, il va interpréter son cé- raouies. Surgi des sables il y a une dizaine d'années victime d’un lèbre tube “Attadhiat al Jissam” (Les Grands Sa- mettent fuse les solutions qu'ils t'imposent / nous tuerons grâce à l'argent de la coopération étrangère, ce objectivité, elles ont accompli un travail admi- crifices). La chanson est une ballade raï-rock, aux les rêves des envahisseurs / par le sacrifice des conglomérat de coopératives a été baptisé “27 fé- accident de rable. Au fil des pièces, on découvre une biblio- sonorités très années 80. Extraits des lyrics : “ô à regarder martyrs, les anciens et ceux à venir”. Tout au long vrier”, en référence à la date anniversaire de la thèque, des ateliers d'alphabétisation, de cours de peuple qui a consenti de grands sacrifices / de la chanson, nos hôtesses tapent des mains en proclamation de la RASD, en 1976. La directrice la route. langues, de couture, de cuisine, de conduite auto- prends soin de leur fruit, produit de mon sang autour cadence, et affichent un enthousiasme débordant. du centre nous accueille avec un sourire légère- mobile, d'initiation à Internet et aux technologies bouillant / continue de défier les forces obscures, Pour faire bonne mesure, l'une d'entre elles es- ment crispé. Avant de commencer la visite, elle de l'audiovisuel… Plus loin, un petit dispensaire par les gloires grandioses / exige le respect et re- d’elles…” quisse même un pas de danse. nous dit que les Marocains sont “un peuple frère, bien achalandé en médicaments et doté d'équipe- quoi qu'il en soit”. Nous réprimons un sourire. ments paramédicaux rudimentaires, mais jalouse- Ici, ce sont les femmes qui font tout. En toute ment entretenus, a été baptisé “Martyr Mohamed LA QUESTION QUI FÂCHE Lamine”. En hommage au premier médecin sah- raoui décédé en 1975… d'un accident de voiture ! “Séquestrés” ? Pas tout à fait… “Tout Sahraoui qui meurt ici, exilé de sa patrie oc- cupée, est considéré comme un martyr”, nous ex- est la grande question : léités de rejoindre le Maroc plique gravement la directrice du centre. les habitants des (rien ne se cache, dans une Dans une salle de réception adjacente, quelques C’ camps de Lahmada (ou société tribale comme celle-là) femmes sahraouies nous ont préparé du thé et des Tindouf, pour les non initiés) ne pourraient pas dépasser rafraîchissements. L'occasion de discuter du séjour sont-ils, oui ou non, “séques- Tindouf, car ils n'obtiendraient qu'elles ont accompli à Laâyoune l'année dernière, trés” par cet ogre totalitaire leur carte d'identité que très dans le cadre du programme d'échange de visites qu'on nomme Polisario ? Ris- difficilement. Mais combien y familiales de la Minurso. Sur leurs sœurs et cou- quent-ils de se faire tirer des- en a-t-il vraiment qui nourris- sines “de là-bas”, elles ont une vision attendrie… et sus s'ils quittent les camps sent un tel projet ? Rapporté à Les Sahraouis ne un poil condescendante. “Nous avons été étonnées sans autorisation ? C'est ce la population totale des sont pas du tout coupés du monde. de voir qu'elles avaient peur de tout, et qu'elles évi- qu'affirment les médias offi- camps, le nombre de ralliés au Leurs équipements taient à tout prix de parler de la situation au Sa- ciels marocains depuis 33 ans. Entrée du camp de Laâyoune, Maroc, depuis le déclenche- sont sommaires, hara. Dès que nous abordions avec elles des sujets Tous les habitants des camps gardée par un soldat seul, et sans armes. ment du conflit, est insigni- mais ils marchent. comme le référendum ou l'indépendance, elles à qui nous avons posé la ques- fiant. C'est aussi un fait qu'on baissaient la voix, se mettaient à regarder autour tion ont affirmé circuler le plus Et il est impossible, bien enten- Cela étant dit, si on arrive à ne peut pas nier. librement du monde. On pour- du, de s'aventurer dans le dé- Tindouf (à 30 km du camp le A supposer qu'ils en aient les rait penser, à l'extrême limite, sert à pied - sauf à risquer de plus proche), franchir le barrage moyens, prendre l'avion pour qu'ils ont peur et qu'ils mentent mourir de soif et de chaleur. La et pénétrer en Algérie ne re- l'étranger (à partir d'Alger ou tous. Mais c'est un fait : les vraie difficulté, pour ceux qui quiert qu'une chose : montrer sa d'un autre aéroport internatio- camps sont ouverts sur le dé- veulent sortir, c'est de trouver “carte d'identité sahraouie”. La nal algérien) est, en revanche, sert, leurs abords ne sont prati- une voiture. Hormis celles des plupart des habitants des plus problématique pour les quement pas gardés, et nous autorités, il y en a quelques- camps, semble-t-il, en ont une. habitants des camps. Il faut n'avons croisé aucune patrouille unes qui appartiennent à des Et une fois passé Tindouf, il pour cela disposer d'un passe- armée en 4 jours. Pourtant, particuliers. Ceux-là n'ont pas n'est pas très difficile, si on a un port. La RASD en émet, mais nous n'avons pas cessé de cir- de problème pour quitter les véhicule, de pénétrer en Mauri- seuls de rares privilégiés, liés à culer entre les camps. camps. Pour les autres, en re- tanie : la frontière est proche, et la direction du Front Polisario, Il n'y a, en revanche, aucun vanche, il faut trouver de l'ar- les contrôles d'identité y relè- en possèdent. Et encore, ils ne transport en commun qui gent pour louer un véhicule. Et vent souvent de la théorie. donnent le droit d'aller que Dispensaire batisé “Martyr Mohamed Une vue sur Lamine”, en hommage au premier médecin conduise à l'extérieur des comme la plupart des gens Il n'est pas interdit de penser dans les pays qui reconnais- la pharmacie G sahraoui, mort en 1975 dans les camps. du dispensaire. camps, vers Tindouf ou ailleurs. n'ont pas un centime… que ceux qui auraient des vel- sent la RASD…

46 TELQUEL 21 au 27 juin 2008 21 au 27 juin 2008 TELQUEL 47 EXCLUSIF AU CŒUR DU POLISARIO crètes et bulletins de liaison militaires (certains si- Carte en relief mettant gnés de la main de Hassan II !), carnets médicaux, L'heure est venue de prendre congé. En en évidence le mur fiches de toutes sortes… Dans une autre armoire, signe d'amitié, la directrice du centre offre aux de défense marocain des insignes de soldats marocains par centaines. représentants des “forces obscures” que nous (lampions rouges). Sur un mur, une collection de photos, saisies lors sommes une paire de châles noirs sahraouis. de raids contre des casernes, montrent la vie de Un cadeau très utile, alors qu'une petite tem- soldats marocains souriants, posant lors de leurs Rabouni est pête de sable se lève… Dans la cour moments de repos. Tous allaient être tués ou cap- turés dans les jours suivants. une grosse Le musée de l'armée centrale En sortant du musée, nos visages tendus parlent Station d’essence de Après une bonne heure de route dans un paysa- pour nous. Un brin sadique, le conservateur/com- agglomération fortune à Rabouni. ge quasi-lunaire, nous atteignons l'étape suivante du “musée missaire politique (on comprend mieux, mainte- de notre périple. Le “musée de l'armée” est une en- nant) nous propose de signer le “livre d'or” du de baraques filade de grandes salles rectangulaires peintes à la de l’armée” musée, “comme le font tous les visiteurs”. Non chaux et éclairées au néon. Le conservateur du merci, vraiment. La neutralité journalistique a qui évoque, musée (“et commissaire politique”, ajoute-t-il cu- gisent des tout de même des limites. Brahim vient nous cher- rieusement) nous accueille avec le désormais clas- cher. Une bonne heure de route nous attend avant au choix, une sique “nous n'avons rien contre le peuple débris de notre prochaine étape. marocain frère ; notre problème est avec le régi- fourrière me royal colonisateur et expansionniste”. Voilà trois avions Mad Max du désert qui est dit. La visite peut commencer. Nous sommes à Rabouni, la “capitale adminis- municipale ou A l'entrée du musée, la première chose qu'on des Forces trative” du gouvernement sahraoui. C'est une voit est un grand tableau reprenant les paroles de grosse agglomération de baraques qui évoque, au une décharge l'hymne national sahraoui intitulé “le langage du Royales Air. choix, une fourrière municipale ou une décharge fer et du feu”. Puis de salle en salle, les tableaux se de ferraille à même le sable. Rabouni est mani- de ferraille succèdent. Ici, le récit de l'histoire du peuple sah- festement un centre logistique : des 4x4 et des La misère est visible raoui “qui a toujours farouchement résisté aux Liste de quelques pays reconnaissant la RASD. pick-up y stationnent par dizaines, près de gros à même sur les camps. envahisseurs” (y compris au Sultan marocain bidons rouges percés de tuyaux, qui font office de Hassan Ier, en 1882 !). Là, le texte de “l'accord vo- aux faits de guerre de l'Armée de libération popu- pompes à essence. Le décor évoque furieusement le sable. Mais nous sommes ici pour parler droits de leur de Madrid” de 1975, qui a partagé le Sahara laire sahraouie (contre le Maroc, principalement) Mad Max : des machines non identifiées et des l'homme, nous rappelle Brahim. Nous avons en ef- entre le Maroc et la Mauritanie. Puis une salle en- que le malaise commence à nous prendre à la gor- pièces détachées de toutes sortes gisent sur le sol fet rendez-vous avec les responsables de l'Associa- tièrement dédiée à la vie du héros national et pre- ge. Dans la cour centrale du musée, gisent les dé- par centaines, entre des flaques noirâtres et des tion des parents des prisonniers et disparus mier des martyrs : El Ouali Mostafa Sayed, bris de 3 avions des Forces Royales Air. Sur un traînées d'huile de moteur. Au milieu de ce fa- sahraouis. Dans une baraque à l'entrée discrète, fondateur du Polisario, tombé au combat en 1976. morceau de tôle cabossée, on voit clairement le tras, des hommes aux visages recouverts de deux hommes à l'apparence d'intellectuels nous C'est au sortir d'une salle entièrement dédiée blason de la monarchie. Puis des épaves de jeeps châles noirs s'activent, démontent des pièces, en accueillent sous une inscription murale géante : militaires marocaines, de camions, et même bidouillent d'autres… En temps de guerre, ce doit “Nous exigeons le démontage du mur de la hon- quelques tanks. Nous prenons quelques photos être une véritable ruche, ici. te”. Ce qui, vu du Maroc, est un rempart de défen- mais savons déjà, instinctivement, que nous n'al- lons pas les publier. On ne peut s'empêcher de penser aux soldats qui conduisaient ces véhicules, RENCONTRE et qui se sont retrouvés prisonniers ici pendant plus de 20 ans… Dans une salle adjacente, deux L’énigmatique M. Bachir grandes armoires contenant des centaines de do- cuments saisis au combat : correspondances se- epuis les négociations di- Que lui est-il arrivé en 2000, et affable, même s'il a essayé, rectes entre le Maroc et après Londres ? Très peu de au début, de se dérober à l'en- Dle Polisario, tenues à gens le savent. Même s'il n'a ja- tretien. Mais dès que nous Les figures emblétiques du Polisario Londres en mai 2000 sous les mais cessé de défendre le droit avons sorti nos calepins pour peintes sur un mur du musée de l’armée. auspices de James Baker, on du peuple sahraoui à l'autodé- démarrer, un de ses accompa- De g. à d. : Mohamed Abdelaziz, El Ouali n'avait plus entendu parler de termination, un désaccord gnateurs a posé un appareil Mustapha Sayed et Mohamed Bassiri. Bachir Mustapha Sayed. Cer- fondamental l'oppose manifeste- enregistreur sur la table. Cela tains le disaient aux Canaries, ment à Mohamed Abdelaziz, le ne s'était produit avec aucun d'autres en Mauritanie. D'autres chef du Polisario. Depuis 8 autre de nos interlocuteurs. encore disaient qu'il s'était reti- ans, il n'est plus impliqué dans Un peu plus tard, nous lui ré de la vie politique, et qu'il aucune activité diplomatique avons clairement posé la ques- élevait des chameaux quelque d’envergure. Lui même déclare tion : “Est-ce librement et de part dans le nord du Mali… La vivre une “traversée du désert”. votre plein gré que vous n'avez vérité, c'est que le frère d'El TelQuel a rencontré Bachir pas quitté Tindouf depuis 8 Ouali Mustapha Sayed, le “Che Mustapha Sayed. ans ?”. Sa réponse a été : “Oui Guevara sahraoui”, n'a tout sim- Dès notre arrivée dans les et non. C'est de mon plein gré plement plus quitté Tindouf de- camps, nous avions demandé à parce que j'estime n'avoir rien à puis près de 8 ans. Etonnant, de le voir. Pendant 3 jours, notre dire, vu l'évolution de la situa- la part d'un homme qui a été nu- requête était restée sans répon- tion ; et ce n'est pas de mon méro 2 du Polisario, qui a dirigé se. Puis le dernier jour, miracu- plein gré à cause, disons, des l'armée sahraouie à l'époque où leusement, le cabinet de pesanteurs politiques du mo- les FAR subissaient leurs plus Abdelaziz a accepté. C'est Ba- ment”. Une réponse bien énig- lourdes pertes… et qui a rencon- chir qui est venu à notre ren- matique. Bachir Mustapha A l’entrée du musée de l’armée, tré Hassan II plus d'une fois, contre, escorté par 4 hommes, Sayed serait-il en résidence Entrée du musée de l’armée sahraouie, une affiche reproduit l’hymne dans les années qui ont précédé dans un climat tendu que nous Bachir surveillée ? Rien ne permet de national sahraoui : “le language où sont entreposées les prises de guerre Mustapha du fer et du feu”. (sur l’armée marocaine). le cessez-le-feu. Un personnage n'avions pas ressenti depuis Sayed. l'affirmer avec certitude. Mais d'envergure, ce Bachir… notre arrivée. Lui était courtois ça y ressemble beaucoup… G

48 TELQUEL 21 au 27 juin 2008 21 au 27 juin 2008 TELQUEL 49 EXCLUSIF AU CŒUR DU POLISARIO recevons un invité, nous lui donnons tout ce que nous avons, quitte à ce que nos enfants restent sans manger. En revanche, si on nous fait violen- “Dès que ce, nous sommes prêts à mourir pour une goutte d'eau. Les Marocains, hélas, n'ont rien compris à nous aurons notre culture. Si on le traite dignement, on peut tout obtenir d'un Sahraoui”. Les téléboutiques pullulent dans les récupéré Alors que le dîner touche à sa fin, la conversation camps. Celle-ci fait aussi restaurant. roule sur l’hypothèse de l'indépendance. “Nous notre pays, sommes conscients que l'époque n'est pas aux na- tions atomisées mais aux regroupements régio- nous naux, lance un des ministres. C'est pourquoi, dès que nous aurons récupéré notre pays, nous œu- Vue de la “capitale œuvrerons vrerons activement à l'unité du Maghreb arabe”. Commerces de pièces détachées, administrative” de la RASD. Nous faisons remarquer la disproportion entre le principale activité de Rabouni. Derrière, un relais GSM activement Maroc et l'Algérie, qui comptent 30 millions d'ha- flambant neuf. bitants chacun, et un potentiel Etat sahraoui, qui à l’unité du n'en compterait que 300 000. “Et alors ? L'Alle- magne siège bien aux côtés du Luxembourg au Maghreb Conseil de l'Europe”. Certes, mais le Luxembourg a une superficie en rapport avec sa population, alors La folie des téléphonnes arabe”. que le Sahara indépendant disposerait d'un terri- “Le portables a rattrapé les camps. toire équivalent à ce qui resterait du Maroc. Ça fe- rait quoi, un habitant tous les 3 kilomètres carrés ? détournement suspendu ses dons humanitaires après avoir dé- Dans l'assistance, les rires de commisération fu- couvert qu'une partie était détournée par les diri- sent. Faut-il que notre argument soit saugrenu… d’aides geants du Polisario ? “Mensonges et manipulation commandités par le Maroc !”, dénoncent-ils Brocante à Rabouni. Le Premier ministre Abdelakader humanitaires ? d'une seule voix - avant que l'un d'entre eux Taleb Omar (d.) aux côtés du Secrétaire n'ajoute, candidement : “Et puis, ça ne portait que général du gouvernement de la RASD. se contre des agressions militaires extérieures est Un tissu de Un décor à la “Mad Max”… sur 6000 euros, alors franchement…” considéré, vu d'ici, comme une muraille qui sépa- re un peuple opprimé de sa nation spoliée. Même mensonges emprisonnements, les passages à tabac… Dès L'Allemagne et le Luxembourg dans le drame, tout est question de point de vue. qu'un coup de matraque est donné à Laâyoune ou La nuit est tombée. Notre dernière activité est “Nous suivons au jour le jour les atteintes aux commandité à Smara, c'est de cette pièce que partent les com- un “dîner-débat” chez le Premier ministre de la droits de l'homme que ne cessent de subir nos conci- muniqués enflammés et les montages vidéo qui RASD… en présence de la moitié du gouverne- toyens au Sahara occupé”, nous déclarent d'emblée par le inondent les rédactions de la planète. ment ! Notre visite est manifestement vécue com- les responsables de l'“ONG”, qui nient toute relation Qu'en est-il de la situation des droits de l'hom- me un évènement considérable. Abdelkader Taleb avec les autorités de Rabouni. Depuis que l'expres- Maroc !” me dans les camps ? La question est accueillie avec Omar, homme calme et souriant, nous accueille sion indépendantiste est tolérée au Sahara sous ad- placidité par nos interlocuteurs. “Il y a eu des ar- dans un bâtiment sinistre dont on n'a pas pris la ministration marocaine, des échauffourées restations arbitraires dans les années 70 et 80, peine de peindre tous les murs. Comme à chaque opposent régulièrement des jeunes Sahraouis et des concèdent-ils. Mais la direction du Front les a re- fois depuis notre arrivée, le menu est pléthorique, policiers, mais cela tourne rarement à l'émeute. Vu connues et s'en est excusée. Pour le reste, notre as- et comporte plusieurs plats de viande. “La généro- d'ici, ce sont autant de “soulèvements populaires sociation n'a reçu aucune plainte depuis 1990”.Et sité est un trait culturel fondamental des Sah- noyés dans le sang par l'occupant”. Et de lister les le fameux rapport de l'ONG France Libertés, qui a raouis, explique le Premier ministre. Quand nous RASD Une autocratie déguisée en démocratie DIPLOMATIE GOUVERNEMENT Le président est aussi part qu'elle est fondée sur Mohamed Abdelaziz, continuel- Sauf que si le Parlement vote dans les appareils de l'Etat, du Le président nomme le ministre des Affaires JUSTICE Premier ministre et les étrangères. Il nomme (et le système du parti lement réélu secrétaire général contre le gouvernement, c'est Polisario, ou de l'armée. Et Le président ministres de son choix, qui remplace) les ambassadeurs A unique, et que le parti du Polisario depuis 32 ans et au président de décider quoi comme seul le président a le nomme les juges et ne rendent compte qu'à lui. Le et les chefs de mission, tous unique en question - le Front à ce titre (art. 51 de la Constitu- faire. Et la Constitution lui don- pouvoir (art. 58) de nommer les procureurs, sur Parlement peut les censurer, cruciaux pour maintenir proposition du ministre Polisario - est particulièrement tion), président de la république. ne le droit de… dissoudre le des gens à ces fonctions-là… mais il doit d'abord deman- C'est lui les aides internationales de la Justice. Qui est der l'avis du président. Et dont dépend la opaque, la République arabe Commençons par le gouverne- Parlement ! (art. 114). Quant à la justice, “indépen- lui-même nommé par s'il refuse… c'est le survie du régime. sahraouie démocratique (RASD), ment : le président nomme le Parlons-en d'ailleurs, de ce dante” à en croire l'article 124, le président. Parlement qui est le chef ! proclamée en 1976, a toutes Premier ministre (art. 53) et sur Parlement. Oui, ses membres on va vous la faire courte : à la dissous ! SÉCURITÉ les apparences d'une démocra- proposition de ce dernier, les sont élus à bulletins secrets base, tous les juges sont nom- Le président nom- me les responsables tie. Un chef de l'Etat élu, un membres du gouvernement (art. par la population (art. 79), et més par le président. des services de sécurité, gouvernement contrôlé par un 64). Mais le gouvernement ne personne n'a contesté un scru- C'est clair : le système poli- qui ne répondent qu'à Parlement (lui aussi élu), une prend ses fonctions qu'après un tin jusqu'à présent. Mais le tique de la RASD est une gros- ADMINISTRATION PARLEMENT lui. Et il peut créer les justice indépendante… vote de confiance du Parlement contrôle intervient bien avant sière autocratie. Les Sahraouis Nommés (et démis) Ses membres sont services de sécurité ARMÉE élus par le peuple… à qu'il veut. Sauf qu'à bien lire la Constitu- (art. 76). Et ce même Parle- les élections. Pour prétendre les plus lucides avancent une par le président, les Le président, walis décident de MOHAMED ABDELAZIZ condition d'avoir déjà été tion de la RASD (elle-même ré- ment contrôle le gouvernement, siéger au Parlement sahraoui, excuse : c'est nécessaire en chef suprême de nommés à d'autres tout dans les camps : l'armée, nomme Secrétaire général du digée par le Polisario), on puisqu'il peut lui retirer sa l'article 80 de la Constitution temps de guerre, pour ne pas distribution de vivres, Front Polisario et fonctions par le président. tous les officiers. Donc d'être ses clients. découvre un système extrême- confiance à tout moment (art. pose une condition : que le disperser l'attention du peuple sécurité, activités Jusqu'au président de la république sociales… depuis 1976. Par ailleurs, le président ment centralisé, gravitant tout 95). Pas de problème, tout cela candidat ait déjà occupé aupa- combattant. Sauf que la guerre dernier. peut promulguer des entier autour d'une personne : est valablement démocratique. ravant de hautes fonctions est finie depuis 17 ans… G lois tout seul.

50 TELQUEL 21 au 27 juin 2008 21 au 27 juin 2008 TELQUEL 51 EXCLUSIF AU CŒUR DU POLISARIO des internats. Le reste étant réparti entre les “pays amis”, principalement Cuba et la Libye. Dès le dé- Le terrain de foot du camp de Laâyoune. but de notre visite, nous avions demandé à voir les JEUDI 12 JUIN manuels scolaires sahraouis, principalement ceux d'histoire contemporaine et d'éducation ci- “N'degdeg lik rassek !” vique. La ministre en a ramené un exemplaire. Ce matin, nous allons enfin rencontrer la po- Magasin de Vêtements On y trouve deux chapitres intitulés “le hold-up pulation. Cap sur le camp de Laâyoune, un im- et chaussures. Petite fille surprise de des accords de Madrid” et “la perpétuation de la Quand nous voir “l’ennemi” de si près. mense bidonville posé sur le sable qui s'étend à lutte armée contre les envahisseurs”. Mais ce perte de vue. Nous avons exigé d'être seuls, de annonçons manuel, nous explique la ministre, est déjà dé- pouvoir parler aux gens sans Brahim, ni aucun tions de paix. Tous sont d'accord sur leur inutilité : passé. Depuis au moins 5 ans, les élèves en utili- des 4 chaperons qui nous suivent pas à pas de- notre “Ce qui est enlevé par la force doit être repris par la sent un nouveau, dont elle n'a “pas pu trouver puis le début de cette visite. A notre grande sur- force. Ce qu'il faut, c'est reprendre les armes !”. d'exemplaire”. Hum… Devant notre mine suspi- prise, notre requête est acceptée… mais à nationalité, Niant la pauvreté flagrante qui règne dans le camp, cieuse, la ministre nous lâche tranquillement : plusieurs reprises, alors que nous déambulons ils disent vivre dans de bonnes conditions, “ne “Tant qu’un “De toute façon, notre politique pédagogique est dans les ruelles, nous verrons les 4x4 blancs pas- les enfants manquer de rien”. Ils disent aussi que les médias claire : le but premier de notre système éducatif ser lentement dans notre champ de vision. marocains ne cessent de mentir à leur sujet. drapeau est de former de nouvelles générations de guer- nous Jeunes scouts sahraouis La conversation s'achève dans une minuscule gar- marocain riers”. Les scènes de la matinée nous reviennent scandant des chants patriotiques. gote, où quelques jeunes suivent la Coupe d'Europe à l'esprit. Le but semble d'ores et déjà atteint… regardent, sur un écran de télé antédiluvien et crachotant. Ils flottera au Nous nous enfonçons dans les entrailles du abandonnent vite le match, nous offrent une bou- “Le Maroc, un pays effrayant” stupéfaits. camp. Baraques en terre et en torchis, linge accro- teille d'eau relativement fraîche, et la discussion re- Sahara, nous Après une heure de 4x4 dans le désert, nous ché sur les toits en zinc… La misère suinte de par- prend. Nous leur demandons ce qu'ils pensent du voilà dans “l'école militaire du martyr El Ouali”. Le C’est la tout. Il est midi, le soleil tape fort et il n'y a projet marocain d'autonomie. Manifestement, ils n’accepterons ministre de la Défense, nous assure-t-on, va nous quasiment personne dehors. Au détour d'un sen- n'en connaissent le contenu que très vaguement. rejoindre plus tard pour prendre le thé. En atten- première tier, un jeune homme lave ses vêtements dans une Nous leur apprenons qu'il propose aux Sahraouis un jamais de dant, le directeur de l'école nous accueille à sa ma- flaque d'eau croupie. Derrière lui, une poignée gouvernement autonome, un Parlement autonome, nière : “Alors, il paraît que votre armée récupère Entrée du camp de Laâyoune, un fois qu’ils d'enfants de 5-6 ans, aux habits rapiécés, nous lan- et même une police autonome. Mais ces détails ne rentrer”. du matériel de la ferraille espagnole ?” De l'hu- immense bidonville posé sur le sable. cent des “hola, como esta” joyeux. Nous leur ré- les intéressent pas. “Il y aura toujours un drapeau mour militaire, sans doute… L'école consiste en voient pondons en arabe. Ils s'approchent, ravis de marocain qui flottera au-dessus de tout ça, et on ne une cour centrale, entourée par une quinzaine de bavarder avec des étrangers. l'acceptera jamais”. “Et puis, ajoute le plus “raison- baraquements sommaires. La moitié sont des “l’ennemi” - Ntouma dzaïr ? (vous êtes des Algériens ?), nable” de la bande, qui nous garantit que nous n'au- salles de classe, le reste, des dortoirs. Comme par nous demandent-ils en gloussant. rons pas de problèmes, même ‘autonomes’, avec les en chair - Lla, hna mgharba (non, nous sommes des autorités marocaines ? Regardez ce qui se passe à Des élèves de Marocains). Laâyoune et à Sidi Ifni !”. Nous répondons qu'en ef- l’Ecole militaire au et en os. A ces mots, les gamins se pétrifient. Quelques se- fet, tout est encore loin d'être parfait au Maroc, mais garde-à-vous. condes de silence stupéfait, puis l'un d'eux répète, que le pays a quand même beaucoup changé depuis incrédule : “Mgharba ? Ntouma mgharba ?”.Ma- une dizaine d'années. Bordée de sourires gogue- nifestement, c'est la première fois que ces bambins nards. Même si ce conflit s'achève un jour, la propa- voient “l'ennemi” en chair et en os. Nous cherchons gande laissera des traces durables dans les esprits. Camp Laâyoune, à les rassurer, tandis que le groupe recule prudem- C'est à ce moment que Brahim et ses acolytes vue générale. ment. Le plus hardi se redresse soudain et crie nous retrouvent. Ils nous avaient manqués… d'une voix fluette, en nous pointant du doigt : “N'degdeg lik rassek !” (je vais te casser la tête !). “Notre but : former des guerriers” Nous esquissons un pas vers eux, tout sourires, les Aujourd'hui, nous déjeunons avec la ministre bras ouverts. Pfuit ! Les gamins s'égaillent dans sahraouie de l'Education. “100% des 28 000 en- toutes les directions. Quelques secondes encore, fants des camps sont scolarisés dans nos 34 écoles puis des adultes commencent à sortir des baraques primaires, par nos 2700 instituteurs”, nous ex- et à nous toiser, visages fermés. Tandis que nous plique-t-elle avec fierté. Pour le secondaire, puis accélérons le pas, les enfants, enhardis, nous sui- l'université, il faut aller en Algérie. 85% des 7000 vent à bonne distance en criant “n'degdeg lik ras- étudiants sahraouis issus des camps y vivent dans Livre de sek” et “Polisario !”. L'un d'eux lance un pétard qui géographie Les habitants des camps vivent dans Jeune sahraoui explose non loin de nous, au ravissement de ses pe- des maisons en terre ou des tentes. faisant sa lessive. tits camarades. Pour une fois qu'ils jouent à la guer- re avec de vrais Marocains ! Nous débouchons sur un terre-plein. Deux “Par le fusil, on Commerce équipes d'adolescents disputent un match de foot, obtient la liberté”. de produits la plupart pieds nus. Nous nous approchons des cosmétiques joueurs remplaçants, assis en groupe sur un petit talus de sable. Quand ils apprennent que nous Instructeurs apportant leur sommes marocains, ils froncent le sourcil, Manuels scolaires savoir aux jeunes soldats. quelques-uns nous tournent ostensiblement le dos. de la RASD. Le gardien de but, oubliant son match, crie rageu- sement “n'degdeg lik rassek !” derrière ses bois. La ministre Mais quelques-uns restent, désireux de nouer le de l’Education dialogue. “Il ne faut pas lui en vouloir, disent-ils en nationale. hochant la tête vers le gardien. De nombreux Intitulé du cours d’Histoire de 5ème année jeunes, ici, sont des fils de martyrs qui ont perdu primaire : “La perpétuation de la lutte leur père ou leur grand-père à la guerre. C'est dur, armée contre les envahisseurs”. pour eux”. La discussion s'anime. Ils parlent com- bat pour l'indépendance, nous répondons négocia-

52 TELQUEL 21 au 27 juin 2008 21 au 27 juin 2008 TELQUEL 53 EXCLUSIF AU CŒUR DU POLISARIO INTERVIEW EXCLUSIVE MOHAMED ABDELAZIZ “Nous“Nous sommessommes dansdans uneune situationsituation trèstrès confortable”confortable” L'entretien se déroule au siège du secrétariat général du Front Quatre rounds de négociations voulait régler ce conflit militai- rappeler, qu'un avis personnel, ma, le Costa Rica, la Chine ou la Polisario, dans le camp de Rabouni, “capitale administrative” de la à Manhasset et toujours aucune rement. Ce n'est pas du tout son sont pleins de contradictions. Russie qui ont eux aussi leur RASD. On nous a installés dans une grande salle de réception spar- avancée entre le Maroc et le Po- ambition. Le peuple sahraoui D'une part, il dit que la lutte du mot à dire dans cette histoire. tiate, éclairée au néon, garnie d'une vingtaine de fauteuils. Pour lisario… Sommes-nous dans préfère la voie de la paix, c'est- peuple sahraoui est légitime, et Donc, je ne suis pas d'accord seul décor, quelques plantes et des drapeaux sahraouis. Alors que une impasse ? à-dire des négociations. Mais si d'autre part qu'elle est irréaliste. avec ceux qui disent que le nous nous attendons à une entrevue restreinte, où Mohamed Ab- Non, je ne dirais pas cela. Les par malheur l'autre partie nous C'est insensé. Avec cette sortie, peuple sahraoui est isolé. Il est delaziz serait assisté, au mieux, par un ou deux conseillers… c'est pourparlers sont toujours en mettait devant le fait accompli, Walsum a perdu toute crédibilité au contraire dans une situation une bonne vingtaine de personnes qui entrent avec lui dans la sal- cours, et les différentes parties comme elle l'a déjà fait par le en tant que médiateur, il s'est confortable, très confortable. le, à notre grande surprise ! Il nous les présente un à un, et insiste sont d'accord pour continuer le passé, nous serions obligés de lui-même exclu du processus de Ne pensez-vous pas qu'en pro- sur la présence de journalistes sahraouis parmi eux. processus. En soi, c'est une répliquer avec les armes pour négociations. Pour ce qui est du posant l'autonomie, le Maroc a Mohamed Abdelaziz nous demande des nouvelles du Maroc, bonne chose. Ces négociations, défendre notre droit à l'autodé- Conseil de sécurité, il a toujours fait un pas en avant ? qu'il n'a plus revu depuis le début des années 70. Il veut savoir j'insiste là-dessus, sont très im- termination. Un droit qui, je le affirmé trois choses essentielles, Suite à cette proposition, le combien d'habitants compte Casablanca aujourd'hui, si le déve- portantes. Un conflit de ce gen- rappelle, nous est reconnu par dans ses rapports : primo, le Conseil de sécurité a appelé à des “Le Front Polisario n’a loppement urbain lui a fait rattraper Mohammedia ou pas enco- re, ayant duré tant d'années, ne la communauté internationale. conflit du Sahara occidental est négociations sans conditions jamais dit qu’il voulait régler re… La conversation roule sur l'année agricole puis, peut être réglé qu'autour Peter Van Walsum, l'envoyé une affaire de décolonisation. pour arriver à une solution poli- ce conflit militairement” littéralement, sur la pluie et le beau temps. d'une table de négociations. personnel du Secrétaire général Secundo, les deux parties tique garantissant le droit à l'au- Au moment où nous sortons nos calepins et notre appareil en- En tout cas, au sein du Polisa- de l'ONU, a déclaré que l'indé- concernées sont le Maroc et le todétermination du peuple Supposons que le référendum mocratique, le Front Polisario registreur pour démarrer l'interview, Mohamed Abdelaziz nous rio, nous sommes convaincus pendance du Sahara était “hors Front Polisario. Et tertio, tout sahraoui. Le projet marocain est se tienne un jour, et que le Maroc suivra le choix de la majorité. dit préférer un entretien ouvert, auquel participeraient tous les qu'il ne peut y avoir d'issue d'atteinte” et que le Polisario dénouement doit garantir au en contradiction avec cette re- l'emporte. Accepteriez-vous de Que pensez-vous des Sahraouis présents. Puis sans nous laisser le temps de réagir… il donne la militaire à ce conflit, que ce “devrait devenir réaliste”.Le peuple sahraoui le droit à l'auto- quête de la communauté interna- vous y installer ? qui ont choisi de rallier le Maroc ? parole à un des journalistes qui l'accompagnent ! soit en faveur des Marocains Conseil de sécurité, tout comme détermination. Ces rapports ont tionale. En exigeant une solution La question ne devrait pas Je ne veux pas m'étaler sur Le journaliste veut savoir si nous n'aurons pas de “pro- ou des Sahraouis. les Etats-Unis, la France et l'Es- été adoptés par l'ensemble des dans le cadre de l'autonomie, le m'être posée à moi, mais plutôt cette question. Par rapport à blèmes”, une fois de retour au Maroc, pour avoir visité les Pourtant, vous avez menacé pagne, ont salué le plan d'auto- membres du Conseil de sécurité Maroc ne nous laisse pas le au peuple sahraoui. Si l'option nous, le royaume du Maroc a camps du Polisario et rencontré M. le président. Nous répon- plus d'une fois de reprendre nomie marocain et l'ont jugé dont la France, l'Espagne et les choix, et cherche à nous imposer de l'intégration ou de l'autono- des moyens considérables, dons que, tant qu'à risquer des “problèmes”, autant y aller la guerre. Vous avez changé “sérieux et crédible”. Sur le Etats-Unis qui, d'ailleurs, ne re- ses conditions. De notre côté, mie passe, cela voudra dire que que ce soit sur le plan finan- franchement en interviewant M. le président, comme c'était de position ? plan diplomatique, vous êtes de présentent aucunement la com- nous laissons la porte ouverte à la majorité des Sahraouis l'au- cier, militaire, humain, psy- prévu. Deux autres journalistes nous posent des questions du Nous n'avons pas changé plus en plus isolés… munauté internationale. Il y a l'autonomie, à l'intégration et à ront choisie. Dans ce cas de figu- chologique… Il les utilise même acabit. Deux fois encore, nous revenons vers Mohamed d'avis à ce sujet. Mais le Front Pas du tout. Les propos de également des pays importants l'indépendance. Libre aux Sah- re, si bien sûr le référendum se comme bon lui semble et c'est Abdelaziz. Enfin, l'entretien commence… Polisario n'a jamais dit qu'il Walsum qui ne sont, il faut le comme l'Afrique du Sud, Pana- raouis de choisir. déroule de manière libre et dé- tant mieux pour lui. …

hasard, nous arrivons pile quand la compagnie celles que nous avons déjà, qui proviennent de Hasta Siempre, Comandante ! faits de tôle et de fil de fer, dans lesquels sont enfer- achève un salut du drapeau. A 17 h 15… 400 élèves l'ancien bloc de l'Est”. On n'est pas obligé de croi- La route pour le camp de Dakhla est longue, au mées quelques chèvres faméliques. Un vieil homme soldats, tous maigres et très jeunes, mal sanglés re M. le ministre sur parole, même s’il a une bonne moins deux heures de traversée du désert. Quand le s'approche de nous. Il nous a entendu parler et dans des uniformes trop grands pour eux, sont de- tête. L'air navré, il nous explique que le Maroc a convoi de 4x4 arrive, la nuit est déjà tombée. Ce soir, notre accent lui évoque quelque chose. Quand nous bout, au garde-à-vous. Au signal du directeur, ils toujours été, pour les Sahraouis, un “pays ef- nous dormons chez l'habitant, sous la tente. Une oc- avouons notre nationalité, il a un sourire qui signifie se dispersent par petits groupes et rejoignent leurs frayant”. “Vous avez fait la guerre à l'Algérie un casion de discuter librement, en partageant le repas “Votre armée quelque chose comme “je le savais”. instructeurs en sautillant, tout en scandant des an après son indépendance pour une question de d'une famille ? Notre enthousiasme retombe vite. - Il faut aller voir l'administration tout de suite, slogans guerriers en cadence. La tracé des frontières, puis vous avez fortement L'“habitant” sélectionné par Brahim et ses amis a compte dix nous dit-il. scène est censée impressionner, combattu l'indépendance de la Mauritanie, avant choisi, par hospitalité… de vider sa tente pour nous elle fait plutôt sourire. L'armée d'y fomenter des coups d'Etat… Les Marocains la laisser ! Nous sommes trop fatigués pour protes- fois plus sahraouie, nous explique le di- ont toujours eu des velléités expansionnistes. Tout ter. Un dernier petit tour dans le camp nous permet recteur, ne distribue pas de au long de votre histoire, vous n'avez pas cessé de constater que les jeunes sahraouis “sortent” le d’hommes grades à ses soldats, juste des d'agresser vos voisins pour conquérir de nou- soir - en fait, ils se réunissent par sexe et par tranche fonctions : chef de groupe, chef veaux territoires”. Nous lui faisons remarquer que d'âge et papotent, assis sur le sable en tailleur, à la que la nôtre, de section, chef de zone… la période de l'Histoire durant laquelle l'empire du belle étoile. Un groupe de jeunes filles fredonne Le ministre de la Défense est Maroc était le plus étendu correspond au règne “Hasta Siempre, Comandante”, le fameux hymne à mais ce n’est arrivé. Après l'inévitable couplet des Almoravides, de farouches guerriers venus… la gloire de Che Guevara. Ne manquent plus que les L’entrée de l’“école pas la sur la fraternité des peuples sah- du martyr El Ouali”. du Sahara ! Le ministre réprime un petit rire em- guitares et les feux de camp… Hammam dans le raoui et marocain, il déclare barrassé. Doit-il prendre cela comme un compli- quantité camp de Dakhla. compter sur une armée de 15 000 ment ou une insulte ? Un bref instant, il ne semble VENDREDI 13 JUIN hommes, extensible à 25 000 en plus si sûr que “l'expansionnisme” soit une tare… qui fait la cas de mobilisation générale. Le vieux corbeau “Nous savons que votre armée , nous échappons de justesse à une différence. compte 10 fois plus d'hommes, et D’après le ministre énième cérémonie officielle (le Polisario fête l'arri- une aviation de combat. Mais ce de la Défense, le vée d'une promotion d'infirmières formées en Al- C’est la n'est pas la quantité qui fait la Maroc est pays gérie). Nous nous esquivons comme des voleurs et différence, c'est la bravoure”. “effrayant”. déambulons dans les ruelles désertes du camp, tôt bravoure”. Eux n'ont pas d'avions et, nous le matin, de nouveau seuls. dit notre interlocuteur, n'ont pas Dans le camp de Dakhla comme dans celui de acheté de nouvelles armes depuis , on trouve les mêmes baraques misé- Enclos de chèvres en le cessez-le-feu de 1991. “Nous reuses en terre. Mais il y a ici plus de tentes et plus tôle et fil de fer barbelé. nous contentons d'entretenir Ces jeunes ont d'enclos - si on peut appeler ainsi ces étranges cônes choisi l’armée.

54 TELQUEL 21 au 27 juin 2008 21 au 27 juin 2008 TELQUEL 55 EXCLUSIF AU CŒUR DU POLISARIO INTERVIEW EXCLUSIVE MOHAMED ABDELAZIZ

… Des voix au sein même du Front institutions, nos programmes… cratiquement élus. Alors, ceux ment, il est contrôlé par les parle- Quand nous avons été chassés de frères. Nous ne pouvions pas morts dans les camps pendant rait nos combattants vivants, Polisario, comme le mouvement Pourtant, la Constitution de la qui disent que nos congrès sont mentaires qui peuvent le faire notre terre, l'Algérie nous a ac- les traiter autrement, nous leur emprisonnement. Leurs fa- les brûlait vifs… Nous n'étions Khat Achahid, se sont élevées ré- RASD vous octroie des préroga- des mascarades sont des men- tomber à tout moment. C'est cueillis et pour cela, nous lui se- sommes des musulmans, cela milles réclament leurs dépouilles. pas du tout prêts à ce genre de cemment pour dénoncer l'absen- tives quasi-absolues. Vous nom- teurs. Ensuite, le Secrétaire géné- d'ailleurs ce qui nous est arrivé rons toujours redevables. Mais aurait été contre nos valeurs. Seriez-vous prêt à les rendre ? choses. Nous nous adaptions ce de démocratie au sein de votre mez les juges, si le Parlement ral ne nomme pas les juges, il en 1999, une situation qu'on n'a contrairement à l'idée que véhi- Ils avaient même des avantages Ces dépouilles sont enterrées comme nous pouvions pour mouvement. Qu'avez-vous à ré- n'est pas d'accord avec le gou- signe leurs décrets de nomina- jamais vue au Maroc, ni dans au- culent certains, l'Algérie ne nous que le peuple sahraoui n'avait dans un cimetière qui leur est assurer la sécurité de notre pondre ? Surtout que votre vernement, vous pouvez dis- tion, ce qui est normal, comme cun pays de la région. a jamais rien imposé, ni rien pas. Ils mangeaient à leur faim spécialement dédié. Toutes les peuple. Il est vrai que parfois, Constitution stipule que le Front soudre le Parlement… dans beaucoup de pays du mon- Mais pour devenir parlementai- demandé. Quand nous récupé- alors que nous n'avions rien à tombes sont identifiées, et gar- nous nous sommes trompés, Polisario est le seul cadre dans D'abord, le Secrétaire général de. Pour ce qui est du gouverne- re, il faut d'abord avoir été nom- rerons notre terre, vous verrez nous mettre sous la dent, ils dées vingt-quatre heures sur mais n'est-ce pas dans la na- lequel le peuple sahraoui a le comme le Secrétariat général, qui mé à un poste de responsabilité que l'Algérie n'aura aucune vue étaient bien habillés alors que vingt-quatre. Si les autorités ture humaine de se tromper droit de s'exprimer… est composé de 29 membres et public. Par vous… sur le Sahara, ni sur aucun pas- nous ne portions quasiment marocaines souhaitent les ré- de temps en temps ? A la fin Aujourd'hui dans les camps, il qui est la direction collégiale du Cette mesure a pour seul but de sage vers l'Atlantique. Si elle le rien sur le dos… Tous ceux qui cupérer, nous n'y voyons aucun des années 80, nous avons dé- n'y a pas une seule personne qui Front Polisario, sont démocrati- nous donner des parlementaires voulait vraiment, elle l'aurait disent aujourd'hui le contraire inconvénient. Il suffirait d'en cidé de tourner cette page en vous dira qu'elle a été empêchée quement élus tous les trois ou d'un certain niveau. demandé au Maroc, qui ne le lui sont manipulés par les autori- référer au Comité international assumant nos responsabilités. à un moment ou un autre de s'ex- quatre ans par un congrès popu- Depuis le début du conflit, l'Al- aurait certainement pas refusé. tés marocaines. de la croix rouge qui est habili- Nous avons créé des commis- primer. Le mouvement Khat laire, auquel participent 2000 gérie vous soutient. N'avez-vous D'ailleurs, le Maroc le fait déjà, Que faites-vous du rapport de la té à traiter ces questions. sions d'enquête, nous nous Achahid auquel vous faites réfé- congressistes, eux aussi démo- pas l'impression d'être une carte en permettant au gaz algérien Fondation France Libertés qui a Dans son dernier rapport, Am- sommes excusés auprès des rence n'existe tout simplement qu'elle utilise contre le Maroc, de traverser son territoire. accusé le Polisario, en 2003, nesty International a demandé victimes, et nous les avons in- pas. Vous pouvez le vérifier par dans le cadre d'un conflit pour le Les anciens prisonniers mili- d'atteintes aux droits humains la fin de l'impunité dont bénéfi- demnisées pour clore définiti- vous-mêmes auprès de la popu- “Si le Maroc leadership régional ? taires marocains demandent des des prisonniers ? cient encore les responsables vement ce dossier. Il y a eu un lation sahraouie. Le Front Polisa- Sincèrement, je ne le pense pas. excuses au Front Polisario pour ce Ce rapport a tout simplement du Polisario accusés d'atteintes consensus national autour de rio, depuis sa création, est un remporte le Du temps du protectorat espa- qu'ils ont subi dans les camps. été commandé par le Makhzen, aux droits humains dans les an- cette question. mouvement populaire et démo- gnol, l'Algérie a refusé d'être as- Seriez-vous prêt à les faire ? comme celui qu'avait fait Claude nées 70 et 80. Répondrez-vous Votre propre père est proche du cratique. Preuve en est nos référendum, le sociée à la division du Sahara Je ne vois pas pourquoi on le Moniquet. Cette ONG a profité à cette demande ? régime marocain, et il a publi- congrès, qui ont lieu tous les trois Front Polisario occidental. Elle a préféré se ran- ferait. Alors qu'ils se dirigeaient de notre naïveté, nous lui avions Durant cette période, il est quement renié votre cause. Qu'en ou quatre ans, et qui sont une oc- “Ceux qui disent que ger du côté de la légalité interna- vers nous pour tuer nos enfants ouvert toutes les portes, et au fi- vrai qu'il y a eu des dépasse- pensez-vous ? Souhaiteriez-vous casion pour chacun de dire libre- nos congrès sont des tionale en prônant notre droit à avec leurs avions et leurs tanks, nal, elle a produit un document ments. Nous étions en guerre suivra le choix mascarades sont le rencontrer, en parler avec lui ? ment ce qu'il pense de notre des menteurs”. l'autodétermination, et elle n'a nous avons quand même traité totalement mensonger. contre un ennemi qui utilisait Chacun a le droit d'avoir les mouvement, de contester nos de la majorité”. jamais changé d'avis à ce sujet. ces personnes comme des Des militaires marocains sont des méthodes barbares, enter- idées qu'il veut. G

- Ah bon, pourquoi ? Cannavaro et Jil Jilala … et Sakharov ? - Pour rien, parce que c'est la tradition, pour Nous avons bien fait de suivre notre sympa- De retour à la ferme, nous rencontrons une lé- boire un verre de thé… thique délateur, parce qu'il nous a menés dans ce gende vivante : Bachir Mustapha Sayed, le frère Amusés par cet acte de délation spontanée, qui ressemble à un souk : quelques épiceries, des d'El Ouali (voir encadré p. 51). Ancien numéro 2 nous suivons le vieil homme, histoire de voir ce qui Des cassettes fripiers, un mécanicien, un coiffeur… et une du Polisario, il a été un commandant redoutable, va se passer. Chemin faisant, il nous raconte que échoppe de musique ! A l'intérieur, personne, au plus fort de l'affrontement militaire avec le Ma- du temps de sa jeunesse, des tribus sahraouies en- de Daoudi, mais des posters de Kadem Saher et de la pulpeu- roc, à la fin des années 70. Depuis la rencontre de tières sillonnaient encore le désert à dos de se Elissa, très dénudée, recouvrent un papier peint Londres en 2000, il effectue - l'expression est de chameau, avec un minimum de bagages. “Aujour- Jil Jilala et à fleurs particulièrement criard. Alignées sur des lui - une traversée du désert. Au Polisario, il n'oc- d'hui, déplore-t-il, nous sommes devenus séden- étagères, des cassettes pirates de raï et - surprise - Si El Ouali cupe plus qu'un poste discret, et à contrecœur. taires, nous avons plus de besoins, et plus de Abdelhadi de musique marocaine ! Sur le minuscule étal, Mais il reste alerte et pénétrant, défendant la difficultés à les satisfaire”. Nous demandons de Daoudi et Abdelhadi Belkhayat côtoient Jil Jilala. Mustapha cause sahraouie avec conviction mais lucidité. En Belkhayat Il y a même une échoppe de quoi manquent les habitants du camp, au juste. Le vendeur sait-il que ce groupe est l'auteur du musique dans les camps. début de soirée, quelques heures à peine avant de Mais l'ancêtre réalise soudain en avoir trop dit, et mythique “Laâyoune, âyniya” (Laâyoune, prunelle Sayed est prendre la route pour Tindouf, où notre avion de à des Marocains de surcroît. “Grâce à notre gou- sont en vente de mes yeux), hymne vibrant à la marocanité du retour nous attend, nous rencontrerons - enfin - vernement, nous ne manquons de rien, ham- Sahara ? Probablement pas, et on ne va pas le lui le Che Mohamed Abdelaziz (voir interview p. 56). Le doullah”, assure-t-il sans crainte de la dans les dire. Le voilà d'ailleurs qui surgit dans la boutique. n°1 du Polisario et chef de l'Etat est plutôt dans le contradiction. Nous sommes arrivés devant le C'est un jeune d'une vingtaine d'années, ar- Guevara des genre idéologue. Sa vérité, il la martèle d'autant siège de “l'administration”, une baraque en tor- camps du borant un maillot du Real de Madrid au nom plus fort qu'elle est difficilement soutenable. chis un peu plus grande que les autres, avec un du défenseur italien Cannavaro. Il est sympa- Sahraouis, Une pensée nous vient : si El Ouali Mustapha grand vantail de fer rouillé. Mais il n'y a person- Polisario. thique et accueillant, et tique à peine quand il Sayed est le Che des Sahraouis, Abdelaziz est leur ne. Le vieil homme semble désemparé. Nous le apprend que nous sommes marocains. Le désir Mohamed Castro. Et Bachir ferait un bon Sakharov… saluons, nous excusant presque, et nous esqui- de discuter l'emporte. Non, il n'ira pas au Saha- vons par un passage entre deux maisons. ra tant que le Maroc l'occupera. Non, il ne veut Abdelaziz “C'est le Maghreb” pas entendre parler d'autonomie, c'est le réfé- Minuit, aéroport de Tindouf. Au retour pas plus Le désert, un bac à sable rendum d'indépendance ou rien. Et si le Maroc est leur qu'à l'aller, nous ne pourrons prendre de photos de géant pour les enfants. l'emporte ? Alors il prendra les armes et se per- Tindouf, ni même de la plaque signalant l'aéroport dra dans le désert avec ses amis, qui ont tous Jil Jilala, Daoudi et même Abdelhadi Fidel Castro. de la bourgade. Nous faisons nos adieux à Brahim et envisagé cette hypothèse… Belkhayat ont des fans chez l’ennemi. à nos accompagnateurs du Polisario. Notre avion Notre discussion est tout à coup interrompue pour Alger décolle à deux heures du matin. Dans la par deux membres de la “gendarmerie nationale” temps de faire crachoter leurs talkies-walkies, et salle d'embarquement, nous retrouvons notre ami (c'est ce qui est inscrit sur leur jeep) qui passent c'est avec de grands sourires qu'ils nous font signe de la police algérienne fan de Chamakh, toujours leur tête dans la minuscule boutique. On leur a si- d'oublier ce malentendu… Que se serait-il passé, si aussi jovial. “Alors, les camps, ça a été, vous allez gnalé des étrangers dans le coin (bravo papy, tu y nous étions venus ici sans aviser personne ? Can- écrire la vérité ? Aala balek, vous allez avoir des Théâtre en es arrivé !), et ils viennent demander nos papiers. navaro nous donne l'accolade devant son étal de problèmes”. Ah oui, et pourquoi ? Il réfléchit un ins- plein air. Ils n'ont pas l'air de plaisanter, aussi, nous annon- cassettes marocaines. “L'art, nous dit-il en guise tant, puis répond en haussant les épaules : “aya, çons prudemment être les invités des autorités. Le d'adieu, n'a pas de frontières !” c'est normal. C'est le Maghreb…”. G

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