Revue de recherche en civilisation américaine

7 | 2017 Les élections présidentielles de 2016: les enjeux d'un scrutin historique

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rrca/807 ISSN : 2101-048X

Éditeur David Diallo

Référence électronique Revue de recherche en civilisation américaine, 7 | 2017, « Les élections présidentielles de 2016: les enjeux d'un scrutin historique » [En ligne], mis en ligne le 11 décembre 2017, consulté le 15 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/rrca/807

Ce document a été généré automatiquement le 15 mars 2020.

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SOMMAIRE

Editorial Grégory Benedetti, Pierre-Alexandre Beylier et Gregory Albisson

1- Dynamiques électorales

De quoi l’irruption de candidats anti-système est-elle le nom ? Luc Benoit à La Guillaume

Bastions, swing states, blue wall states: éléments pour comprendre l’élection présidentielle de 2016 Frédéric Robert

The Latino Vote : Toward More Polarization? Olivier Richomme

Donald Trump et le vote évangélique Mokhtar Ben Barka

2- Enjeux

Le non-dit de l’éducation dans la campagne présidentielle américaine de 2016 Laurie Béreau

La fiscalité selon et Bernie Sanders dans la campagne présidentielle américaine de 2016 : le face-à-face manqué ? Christian Leblond

3- Politique étrangère

Capitalist transformation, social violence and transnational migration. The Obama-Clinton legacy in Central America in macro-sociological and strategic perspective James Cohen

La « relation spéciale » canado-américaine à l’épreuve du fossé idéologique entre Donald Trump et Justin Trudeau Frédérick Gagnon

Après Obama, quel héritage de politique étrangère pour Donald Trump? Célia Belin

Hors thème

Nations sans frontières : les Indiens d’Amérique du Nord face aux défis du terrorisme et des trafics internationaux Guy Clermont

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Editorial

Grégory Benedetti, Pierre-Alexandre Beylier et Gregory Albisson

1 Prenant le contre-pied de la majorité des analystes et spécialistes des questions politiques, Michael Moore fut l’un des rares commentateurs à prédire l’élection de Donald Trump. Alors qu’un an auparavant, la victoire de l’ex-businessman aux primaires du Parti républicain relevait presque de la science-fiction, sa victoire finale contre son adversaire démocrate, Hillary Clinton, a été accueillie avec surprise et incrédulité aux Etats-Unis mais également à travers le monde.

2 La surprise a été d’autant plus forte que, les jours et semaines conduisant à l’élection, il ne faisait aucun doute que Hilary Clinton allait devenir la première femme présidente des Etats-Unis tant pour la presse – américaine et internationale – que pour les instituts de sondage. Le 23 octobre, le New York Times titrait : « Hillary Clinton presses her advantage over a struggling Donald Trump1 ». De l’autre côté de l’Atlantique, le quotidien britannique The Guardian affirmait avec vigueur deux jours avant l’élection : « Hillary Clinton retains edge over Donald Trump in election's final sprint2 ». Enfin, de façon quasi-unanime, les enquêtes d’opinion prédisaient tous la défaite de Donald Trump et la victoire de sa rivale démocrate. La veille du scrutin, cette dernière était d’ailleurs créditée de plus de 85% de chances de victoire.

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Source : New York Times

3 Huit ans après avoir élu le premier Président afro noir de son histoire, les Etats-Unis se dirigeaient donc vers une élection tout aussi symbolique, malgré un engouement moindre pour l’ex-Première Dame. Toutefois, dans une campagne aussi décevante sur le fond qu’atypique sur la forme – prise entre attaques personnelles, scandales et rumeurs d’interférence russe – rien, au final, ne fonctionna comme prévu. Symptôme d’une « poussée populiste », signe d’une « colère contre les élites3 » ou bien encore rejet de la personnalité même d’Hillary Clinton, le résultat a été depuis soumis à de nombreuses interprétations a posteriori. Il convient toutefois de souligner que la victoire de Donald Trump a été portée par l’Amérique blanche, masculine, sous- diplômée, issue de la classe moyenne et frappée de plein fouet par la désindustrialisation4, les fameux « oubliés » de la mondialisation qui ont saisi l’occasion de ce scrutin pour faire entendre leur voix. Enfin, autre fait indéniable qui rend la campagne de 2016 d’autant plus particulière, cette dernière a été marquée par une polarisation de l’électorat5 comme en attestent l’émergence de candidats antisystème, à droite comme à gauche de l’échiquier politique, ainsi que l’accent mis, dans les débats, sur certains sujets, à l’instar de l’immigration, en premier lieu. Au final, rien ne laissait présager la convergence de ces tendances pour conduire le milliardaire à la victoire.

4 Ce numéro de la Revue de Recherche en Civilisation Américaine est donc l’occasion de revenir sur la campagne électorale de 2016 et de réfléchir sur les facteurs et les enjeux qui ont sous-tendu cette campagne que d’aucuns qualifieront d’abrasive6. Le débat ayant cruellement manqué de fond, il s’agira d’aller au-delà des sujets sur lesquels les médias se sont concentrés afin de comprendre comment et pourquoi l’impensable est arrivé, portant ainsi le candidat anti-système, Donald Trump, à la fonction suprême. Si les élections américaines sont « le lieu de construction autant de la légitimité d’un individu candidat à la présidence que du système7 », on essaiera de se demander ce que signifie la victoire de Donald Trump et quel prisme d’analyse cette dernière nous offre sur sa présidence. 5 L’analyse de la campagne et du contexte dans lequel celle-ci s’est déroulée sera observée à travers le prisme de trois volets différents, permettant ainsi de couvrir une variété de thématiques, dont la portée et l’impact participèrent au caractère unique d’un scrutin devenu historique, et qui aura rebattu certaines cartes du jeu politique américain. 6 Ce sont, dans un premier temps, les dynamiques électorales qui seront abordées afin de mieux comprendre le choix de certaines catégories d’électeurs, et de diverses communautés, dont les attentes, au cours de la campagne, présentaient des contours

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différents, voire divergents, ce qui se traduisit dans le vote, parfois surprenant, de quelques-unes d’entre elles. Ainsi, Luc Benoit à La Guillaume s’est tout d’abord intéressé à un phénomène politique qui aura cristallisé l’attention des observateurs, à savoir la montée en puissance de candidats dits populistes, en la personne de Donald Trump, le Républicain, et de Bernie Sanders, le Démocrate. Si ces deux « ovnis » dans le paysage politique américain ont connu un destin différent à l’issue de la campagne, leur candidature a, par de nombreux aspects, offert des angles d’approche similaires, mettant en lumière la relative faillite des caciques du Parti républicain et du Parti démocrate. L’émergence de Trump et de Sanders, initialement perçus comme des candidats marginaux, a souligné l’incertitude caractéristique des élections sans président sortant. Donald Trump aura su dompter une cohorte de prétendants républicains peu enclins à prendre au sérieux le businessman, alors que Bernie Sanders sembla prolonger le suspense, dans des primaires démocrates promises à Hillary Clinton. La poussée de Sanders, vainqueur dans quelques Etats du nord-est fut finalement prémonitoire, en regardant a posteriori l’issue du scrutin final du mois de novembre. Trump, comme Sanders, soulevèrent des points peu abordés par leurs rivaux, réussissant ainsi à mobiliser une nouvelle coalition d’électeurs. 7 Cela fut ainsi le cas dans les Etats du nord-est, souvent perçus comme des bastions démocrates, berceau d’une Rust Belt encore sous le choc d’une crise de 2008 qui mit à mal une région déjà partiellement dévastée sur le plan économique. Frédéric Robert revient ainsi sur le rôle crucial joué par les « Blue Wall States » dans une élection qui fut le témoin d’une percée significative du républicain Donald Trump dans des Etats où Hillary Clinton pensait pouvoir l’emporter de manière relativement aisée, comme en attestent ses déplacements peu fréquents, voire inexistants, dans le Wisconsin, par exemple. Trump sut déjouer toutes les prévisions des sondeurs, qui n’avaient pas envisagé la percée du républicain au sein de cet électorat. 8 Si les électeurs du nord-est furent au centre du jeu politique au cours de la campagne, la communauté hispanique attira également tous les regards, tant elle fut convoitée par Hillary Clinton et vilipendée par un Donald Trump désireux de stigmatiser les Latinos comme l’une des causes du déclin de l’Amérique blanche. Alors qu’un an après, le projet de mur entre le Mexique et les Etats-Unis figure toujours à l’agenda du nouveau président américain, Olivier Richomme s’interroge sur la stratégie des camps républicains et démocrates face à un électorat Latino qui peine encore à se mobiliser pour des raisons diverses, alors que cette communauté est devenue la plus grande minorité ethno-raciale du pays. Cette situation pose la question de la stratégie politique et électorale à court et moyen terme des deux partis majeurs, qui ne pourront pas, malgré l’attitude de Trump en 2016, s’aliéner un bloc amené à jouer un rôle crucial dans lors des prochaines échéances. 9 Enfin, cette première partie s’intéressera au cas du vote évangélique, peu mis en avant au cours de la campagne, notamment en raison de la présence d’un candidat républicain peu conventionnel, dont le parcours, le mode de vie, et même les idées, ne correspondaient pas, tout du moins initialement, aux attentes d’un électorat central pour le GOP. Mokhtar Ben Barka tente d’expliquer le ralliement des évangéliques à Donald Trump alors que les primaires républicaines avaient vu l’élimination successive de Ben Carson, Mike Huckabee, Larco Rubio ou Ted Cruz. Il s’agira alors d’explorer les contours du « paradoxe Trump » en relation avec le vote évangélique, afin de mieux

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comprendre l’enthousiasme des figures les plus emblématiques de cet électorat pour le candidat le moins religieux tout au long de la campagne. 10 Au-delà de ces dynamiques purement électorales, certains enjeux ont trouvé un écho plus ou moins grand auprès des candidats. En effet, au cours d’une campagne souvent polluée par les petites phrases et les coups bas, des thématiques majeures sur le plan socio-économique ont pu paraître délaissées. Ce fut notamment le cas des questions d’éducation et de fiscalité, passées sous silence par la plupart des candidats, que ce soit lors des primaires ou au cours de l’élection générale. Laurie Bereau s’intéresse ainsi de près à ce qu’elle qualifie de « non-dit de l’éducation », ce qui constitue une forme de paradoxe tant le gouvernement fédéral a pris une ampleur croissante dans ce domaine depuis quelques années désormais. Elle avancera particulièrement l’idée selon laquelle l’absence de débat autour de cette question s’explique par un consensus néolibéral qui tend à effacer les différences les plus importantes entre les deux grands partis politiques américains, bien que Républicains, comme Démocrates, soient divisés en interne sur ce sujet de société. 11 Au niveau économique, les candidats ont semblé reléguer au second plan les enjeux liés à la fiscalité et à la taxation, même si Donald Trump a attiré les lumières médiatiques en se targuant de refuser de publier sa déclaration d’impôts. Christian Leblond s’intéresse plus précisément aux programmes fiscaux de Donald Trump et de Bernie Sanders, les deux candidats les plus aux antipodes sur cette question, notamment de par leur rhétorique antagoniste : celle du businessman pour le républicain, contre celle du révolutionnaire social pour le démocrate. On analysera les propositions de réforme, et de non-réforme, de Trump et de Sanders, à travers le prisme des niches fiscales, dont l’impact sur les inégalités demeure un aspect central du débat économique aux Etats- Unis. 12 Enfin, le dernier volet de cette publication s’interrogera sur la place des Etats-Unis dans le monde à l’aune d’une campagne qui aura intrigué, à défaut de passionner, au-delà des frontières étatsuniennes. James Cohen s’est ainsi penché sur l’héritage de Hillary Clinton en tant que Secrétaire d’Etat, position qu’elle occupa durant le premier mandat d’Obama, et qui, pensa-t-elle devait lui conférer un avantage sur ses adversaires sur le plan de la légitimité à l’international. En marge de l’élection, cet article offrira un point de vue critique sur une politique américaine interventionniste en Amérique Centrale, et néanmoins perçue comme inefficace par l’auteur en raison d’une approche néolibérale démesurée. Le repli sur soi observé depuis l’élection de Trump marque peut-être un fléchissement de cette tendance, bien que les zones de tension demeurent nombreuses à travers le globe. 13 Frédérick Gagnon, quant à lui, pose la question d’une possible transformation de la « relation spéciale » canado-américaine alors que l’élection de Donald Trump a suscité de nombreuses interrogations dans un pays habitué à regarder les Etats-Unis comme un partenaire privilégié, notamment sur le plan économique. La victoire inattendue du milliardaire Trump a créé un fossé idéologique avec le voisin canadien, dont le Premier ministre Justin Trudeau n’a jamais caché sa préférence pour le Parti démocrate, et ce particulièrement lorsque Barack Obama était au pouvoir. L’article revisitera plusieurs épisodes du couple canado-américain à travers les relations souvent cordiales, mais parfois difficiles, entre les présidents américains et les Premiers ministres canadiens, au cours du 20ème siècle, afin de démontrer qu’un compromis devra nécessairement être trouvé sur certains dossiers entre Donald Trump et Justin Trudeau.

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14 Pour conclure, Célia Belin s’interrogera sur l’héritage laissé par Barack Obama à son successeur sur la scène internationale, exposant ainsi les grands enjeux planétaires que Donald Trump doit désormais traiter en tant que président des Etats-Unis. Elle reviendra ainsi sur les grands contours idéologiques tracés par le candidat républicain au cours de la campagne, décortiquant les contradictions et les complexités d’une vision de politique étrangère parfois peu lisible, mais dont l’impact pourrait transformer certains équilibres géopolitiques au cours des prochaines années, particulièrement si le nouveau président américain se laisse dicter son approche par une impulsivité à laquelle les instances diplomatiques étrangères sont peu habituées.

BIBLIOGRAPHIE

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Brown, Archie, ‘On Political Leadership’, in Journal of the American Academy of Arts & Sciences, Summer 2016

Burns, Alexander et Chozik, Amy, ‘Hillary Clinton Presses Her Advantage Over a Struggling Donald Trump’ in The New York Times, October 23, 2016

Gachon, Nicolas, ‘La Colère contre les élites’ in Le Midi Libre, 10 Novembre 2016

Katz, Josh, ‘Who Will Be President?’ in The New York Times, November 8, 2016

Michelot, Vincent. 1993. L’Empereur de la Maison Blanche (Paris: Armand Colin)

Smith, David et al, ‘Hillary Clinton retains edge over Donald Trump in election's final sprint’ in The Guardian, November 6, 2016.

Turney, Shad, ‘Waiting for Trump: The Move to the Right of White Working-Class Men’ in Institute of Governmental Studies, UC Berkeley, 1968-2016

NOTES

1. Burns, Alexander et Chozik, Amy, « Hillary Clinton Presses Her Advantage Over a Struggling Donald Trump », The New York Times, October 23, 2016. 2. Smith, David et al, « Hillary Clinton retains edge over Donald Trump in election's final sprint », The Guardian, November 6, 2016. 3. Gachon, Nicolas, « La Colère contre les élites », Midi Libre, 10 Novembre 2016. 4. Turney, Shad, « Waiting for Trump: The Move to the Right of White Working-Class Men », 1968-2016, Institute of Governmental Studies, UC Berkeley, 2017, p 2-3. 5. Bartels, Larry M., and Jacobson, Gary C., « Polarization, Gridlock, and Presidential Campaign Politics in 2016 », The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science, Vol 667, Issue 1, 2016, pp. 226 – 246.

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6. Brown, Archie, « On Political Leadership, Journal of the American Academy of Arts & Sciences », Summer 2016, 1. 7. Michelot, Vincent, L’Empereur de la Maison Blanche, Paris, Armand Colin, 2004, p 4.

AUTEURS

GRÉGORY BENEDETTI

Université Grenoble Alpes, ILCEA 4

PIERRE-ALEXANDRE BEYLIER

Université Grenoble Alpes, ILCEA 4

GREGORY ALBISSON

Université Grenoble Alpes, ILCEA 4

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1- Dynamiques électorales

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De quoi l’irruption de candidats anti-système est-elle le nom ?

Luc Benoit à La Guillaume

1 Pour tenter de comprendre la victoire inattendue de Donald Trump lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, il n’est pas inutile de revenir sur l’irruption de candidatures anti-système lors des primaires des partis républicain et démocrate. Dans le cadre des primaires du Parti républicain, la candidature de Donald Trump prétendait rendre sa grandeur à l’Amérique (make America great again) contre une classe politique censée l’avoir trahie tandis que chez les Démocrates celle de Bernie Sanders promettait une révolution politique contre un système accusé d’être inféodé à Wall Street. L’un comme l’autre s’est présenté contre les directions des partis dont ils briguaient l’investiture. Le succès électoral impressionnant de ces deux candidats a été l’événement majeur du printemps 2016 et pose de nombreuses questions. Certaines recoupent les débats sur la question sociale et la question raciale : si Trump mettait en avant la fracture raciale en faisant des immigrés mexicains les boucs émissaires des maux de l’Amérique, Sanders centrait sa campagne sur la fracture sociale en soulignant l’opposition entre le peuple américain et Wall Street. Afin de mieux comprendre le succès de ces deux campagnes, il faut d’abord revenir sur le sentiment de surprise qui a accompagné leur irruption sur le devant de la scène politique et a pris au dépourvu la plupart des analystes. L’analyse à chaud des campagnes électorales pose en effet la question du statut de ces interventions, à mi-chemin entre science politique et expertise ; elle pose également la question du risque qu’il y a à vouloir jouer les oracles. On s’interrogera ensuite sur la critique du système politique que ces deux candidatures ont exprimée chacune à leur manière en étudiant leur rapport au milieu politique : tandis que Bernie Sanders occupait une position d’extériorité relative au champ politique, Donald Trump y était entièrement étranger. Puis, l’analyse des causes des succès électoraux de Trump et de Sanders nous amènera à nous interroger sur les fractures sociales et raciales qu’ils révèlent et sur les conséquences possibles du rejet du système politique à court et à moyen terme.

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L’irruption de Donald Trump et de Bernie Sanders

2 Le succès électoral de Donald Trump et de Bernie Sanders peut être qualifié d’irruption au sens où il a pris par surprise la plupart des commentateurs et des spécialistes, experts, prévisionnistes (pundits) et politologues, depuis l’annonce des candidatures jusqu’à la victoire surprise de Donald Trump à la primaire républicaine puis à l’élection de novembre 2016. Aux États-Unis comme en France, au printemps 2015, les experts, les journalistes politiques et la plupart des politistes interrogés dans les médias tenaient pour acquise la victoire de Hillary Clinton contre Bernie Sanders et la défaite de Donald Trump face aux candidats républicains plus traditionnels. Chez les Démocrates, la déclaration de candidature de Bernie Sanders le 30 avril 2015 fut reléguée en page 21 du New York Times et accompagnée de commentaires défavorables, voire méprisants, dans la plupart des grands médias. Le Washington Post le qualifia de « candidat improbable » (Kane 2015). Il fallut attendre le début des primaires en janvier 2016 pour que le succès populaire de sa campagne force les médias à s’intéresser à un phénomène qu’ils avaient négligé pendant neuf mois (Byers 2016). Lors de l’annonce de la candidature de Donald Trump le 16 juin 2015, le Washington Post affirma qu’il aurait toutes les peines du monde à se faire prendre au sérieux par la classe politique, les spécialistes et les commentateurs (DelReal 2015). De fait la grande majorité d’entre eux sous-estima fortement ses chances. Comme l’indique le politiste Norm Ornstein, la perspective d’une victoire de Donald Trump lors des primaires était tout simplement impensable pour la plupart des spécialistes, notamment parce qu’aucun candidat aussi inhabituel n’avait jamais été désigné par l’un des deux grands partis (Prokop 2016). Les deux campagnes furent donc négligées par les spécialistes et par les journalistes en dépit de leur dynamisme, des 12 millions de voix réunies par Bernie Sanders et des 13,3 millions de voix recueillies par Donald Trump lors des primaires. Dans ce dernier cas, l’écart entre l’opinion des commentateurs et des spécialistes et la réalité est d’autant plus impressionnant qu’il a battu le record de voix lors d’une primaire républicaine et a fini par décrocher l’investiture, avant contre toute attente de remporter la victoire en novembre contre Hillary Clinton.

3 Il faut revenir sur cet aveuglement non pour stigmatiser les analystes mais pour tenter d’en comprendre les mécanismes. Dans Faire l’opinion, le nouveau jeu politique, Patrick Champagne analysait l’évolution du jeu politique en France au début des années 1990. Son livre montrait comment la généralisation des sondages d’opinion permettait aux journalistes et aux politologues de proposer « une fausse ouverture du champ politique vers la base » qui en réalité impose les problématiques des « différents clans d’un monde politique qui n’obéirait en fait qu’à la seule logique de ses luttes intestines » (Champagne 1990, p. 281-282). Et Champagne allait jusqu’à parler de « champ politico- journalistique » pour décrire l’imbrication entre les milieux de la politique et ceux des médias. Or la logique de fermeture du champ qui a tendance à aveugler les journalistes et les politologues s’est encore renforcée en 2016, puisque le consensus autorisé contre la candidature de Donald Trump a perduré en dépit des sondages qui le créditaient d’intentions de votes relativement élevées. Le champ politique ainsi que la plupart des commentateurs ont rejeté comme impossible une candidature qui était radicalement extérieure à leur milieu. Dans une moindre mesure, ce phénomène d’entre-soi a eu un impact sur le jugement porté sur la candidature de Bernie Sanders. Dans les deux cas, l’irruption de deux candidatures anti-système a pris les professionnels de la politique et

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les spécialistes de court. Le mépris à l’égard de la candidature de Donald Trump en dépit des sondages et du succès de sa campagne sur le terrain s’explique sans doute également par le rapport qu’entretiennent les analystes avec l’objet de leur analyse. Rappelons que selon Pierre Bourdieu, « une des principales sources d’erreurs dans les sciences sociales réside dans une relation incontrôlée à l’objet qui conduit à projeter cette relation non analysée dans l’objet de l’analyse ». Et Bourdieu de déplorer ces discours « qui parlent moins de leur objet que de leur relation à l’objet » (Bourdieu 1992, p. 48). Or le mépris qui transpirait de nombre de commentaires savants ne faisait que refléter le rapport que pouvaient entretenir des universitaires cultivés avec un milliardaire vulgaire vedette de la télé-réalité. Ce rapport était à l’inverse de celui que nombre d’universitaires entretenaient avec Barack Obama, dont le profil d’intellectuel ne pouvait que les séduire. La proximité, voire la connivence, d’une partie des politologues avec les élites politiques et médiatiques a renforcé le rejet des candidatures de Bernie Sanders et de Donald Trump, dans la mesure où ces candidatures se présentaient comme extérieures au système politique. L’irruption de deux candidatures anti-système pose également en creux la question difficile de l’indépendance des chercheurs et de leur bonne utilisation des médias : instruments utiles de vulgarisation des connaissances lorsque les spécialistes peuvent s’y exprimer de manière libre et indépendante, les médias peuvent parfois instrumentaliser les spécialistes et les utiliser comme simples faire-valoir (Bourdieu 1996). Mais dans quelle mesure ces candidatures peuvent-elles être qualifiées d’anti-système ? Le sont-elles de la même manière ou doivent-elles être distinguées ?

Sanders, Trump et le champ politique américain

4 Pour tenter de répondre à ces questions, il faut s’intéresser aux personnes et aux programmes, afin de mieux cerner les ressemblances et les différences entre Donald Trump et Bernie Sanders.

5 Les caractéristiques personnelles des deux candidats les placent dans une situation de marginalité plus ou moins grande par rapport au champ politique américain. Bernie Sanders est Sénateur indépendant du Vermont depuis 2007 après avoir été représentant de ce même État de 1991 à 1997 et maire de Burlington de 1981 à 1989. Il se situe donc à gauche par rapport au Parti démocrate. Toutefois, il participe aux travaux du groupe démocrate au Sénat et vote quasi-systématiquement avec les Démocrates. Ce qui le rend relativement atypique, c’est son discours de gauche clairement assumé. Sanders ne craint pas de revendiquer l’étiquette de socialiste démocratique. C’est un élu expérimenté qui se positionne un peu comme Eugene McCarthy en 1968 ou George McGovern en 1972, à la croisée du champ politique et des mouvements sociaux. Tandis que ces derniers avaient tenté de donner un débouché politique au puissant mouvement contre la guerre du Viêtnam, Sanders capte une partie du mécontentement des nouvelles générations contre les excès du capitalisme. La résurgence de ce type de candidature n’est étonnante que dans la mesure où le recentrage du Parti démocrate effectué du temps de Bill Clinton avait marginalisé son aile gauche. La candidature de Bernie Sanders remet en cause ce recentrage, d’autant que sa principale concurrente incarne cette ligne politique centriste. Hillary Clinton est une représentante de l’establishment politique démocrate qui se situe dans la continuité de la ligne imposée dans les années 1990.

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6 Le positionnement politique de Donald Trump le place également à la marge du Parti républicain, notamment sur la question du protectionnisme et du rejet agressif de l’immigration. Un tel positionnement n’est pas complètement sans précédent. Dans une certaine mesure, la campagne de l’indépendant George Wallace en 1968 se situait sur le même terrain, en appelait aux mêmes valeurs de patriotisme, d’autorité et d’ordre et s’opposait tout aussi bruyamment aux médias dominants (Elliott 2016). Ce qui fait avant tout la spécificité de Donald Trump, c’est son absence complète d’expérience ou de compétence politique. Il n’a jamais été élu et est connu en tant qu’héritier d’un empire immobilier et vedette de télévision, notamment dans le cadre de la série de téléréalité The Apprentice. Aucun candidat investi par l’un des deux grands partis depuis la Seconde Guerre mondiale ne ressemble à Donald Trump. Dwight Eisenhower, qui avait été élu président en 1952, n’avait certes jamais exercé de mandat électif auparavant mais avait une expérience militaire au plus haut niveau qui le plaçait au cœur de l’appareil d’État pendant la Seconde Guerre mondiale, en contact direct avec le président Roosevelt. De plus, la campagne de Donald Trump est marquée par une absence frappante de connaissance précise des dossiers de politique intérieure et extérieure. Ces caractéristiques le placent donc totalement en dehors du champ politique, qui est de nos jours principalement composé de professionnels. 7 La « révolution » de Bernie Sanders (Sanders 2016) et la révolte contre Washington de Donald Trump traduisent un rejet du système politique américain. Dans les deux cas, c’est la fermeture d’une élite qui est dénoncée, élite de l’argent ou élite de politiciens professionnels. La révolution démocratique de Bernie Sanders a mis en avant des sujets et des propositions peu souvent évoquées lors d’une campagne nationale. La proposition d’augmenter le salaire minimum à 15 dollars ainsi que la réforme visant à éliminer les niches fiscales et les paradis fiscaux offshore et à imposer les plus riches se situent clairement à gauche par rapport au consensus existant. De même, la proposition de démanteler les plus grandes banques s’attaque de manière frontale à Wall Street. L’opposition de Sanders aux accords de libéralisation des échanges, sa volonté d’étendre les droits des salariés aux congés ainsi que sa défense d’un système public d’assurance santé et de la gratuité de l’accès aux universités publiques tranchent avec les politiques menées ces dernières décennies. Quant à ses propositions en politique étrangère, elles rompent avec le consensus dominant sur la question du conflit israélo-palestinien et de l’interventionnisme militaire. Un tel programme n’est pas à proprement parler révolutionnaire mais relève bel et bien d’un réformisme radical que les États-Unis n’ont pas connu depuis le second New Deal. 8 Le programme de Donald Trump rompt de manière spectaculaire avec l’orthodoxie conservatrice. Son protectionnisme et son agressivité à l’encontre de la Chine, sa volonté affirmée de construire un mur à la frontière avec le Mexique et de le faire payer par les Mexicains, ainsi que sa volonté d’interdire aux musulmans d’entrer sur le territoire américain, en sont trois exemples frappants. Sur d’autres sujets, il a fait des déclarations parfois contradictoires, notamment en ce qui concerne le salaire minimum ou les droits des homosexuels. C’est surtout par le style provocateur qu’il a adopté qu’il a rompu avec les pratiques du Parti républicain. Sa campagne a en effet été marquée par une succession de provocations racistes et sexistes largement médiatisées, sous couvert de franchise et de rupture avec le parler aseptisé, « politiquement correct », de la classe politique. Ces provocations ont repoussé les limites de ce qui pouvait se dire en public pendant et après les primaires. La mise en cause d’une famille de soldats morts

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pour l’Amérique au mois d’août 2016 et les critiques sexistes à l’encontre d’une reine de beauté hispanique en septembre ont transformé la campagne en reality show de mauvais goût et ont conduit de nombreux élus républicains à prendre publiquement leurs distances avec un candidat devenu infréquentable. Les programmes et les styles politiques de ces deux candidats sont donc en réalité assez différents. Leurs électorats de prédilection diffèrent également : tandis que Donald Trump attire un électorat majoritairement blanc, Bernie Sanders séduit une partie de la jeunesse éduquée. 9 On voit qu’en dépit de certaines ressemblances finalement assez superficielles, il existe de nombreuses différences entre les deux candidatures. Il faut dès lors relativiser une lecture qui opposerait terme à terme le système politique à une contestation multiforme dans la mesure où les ressorts de cette contestation ne sont pas les mêmes. Ces candidatures anti-système ne doivent pas être confondues dans un ensemble « populiste » fourre-tout qui en ferait le simple envers de la défense du système existant1. Mais alors quelles fractures peuvent expliquer une défiance à l’égard du système politique qui s’exprime de manière différente par les phénomènes Trump et Sanders ?

Fracture sociale ou fracture raciale ?

10 Chacune de ces candidatures met en avant l’existence d’une fracture entre le peuple et les élites. Mais de quelle fracture s’agit-il ? En apparence, Bernie Sanders est le candidat de la fracture sociale tandis que Donald Trump est celui de la fracture raciale, comme semblent l’indiquer les figures auxquelles ils aiment s’opposer : Wall Street et l’immigré clandestin mexicain. Il faut cependant examiner la situation de plus près afin de vérifier la validité de cette opposition.

11 Pour Bernie Sanders, le problème de l’Amérique est clairement de nature sociale. Son programme s’attaque à la domination de Wall Street et propose une série de mesures qui cherchent à redonner du pouvoir et des ressources à la classe moyenne et à la classe ouvrière. L’électorat qui a soutenu Bernie Sanders est jeune, éduqué et plus blanc que celui qui a soutenu Hillary Clinton. Cela ne signifie pas pour autant que Sanders n’a pas été capable de s’adresser aux minorités. Selon Will Jordan de YouGov, tandis que Hillary Clinton a gardé le soutien des électeurs de couleur de plus de 45 ans pendant toute la période des primaires, Bernie Sanders est presque parvenu à rattraper son retard chez les électeurs non-blancs de moins de 45 ans (Jordan 2016). L’électorat blanc âgé de plus de 45 ans a constamment voté en faveur de Hillary Clinton, tandis que les blancs de moins de 45 ans ont préféré Bernie Sanders. L’échec de Bernie Sanders s’explique au moins partiellement par le fait que les plus de 45 ans représentaient 60% des électeurs des primaires démocrates. Les analystes se sont divisés au sujet du sens qu’il fallait donner au mouvement initié par Bernie Sanders. S’agissait-il de la renaissance d’une véritable gauche américaine, comme semblait l’indiquer son programme et le soutien de l’électorat le plus jeune ? Ou n’était-ce au contraire que l’expression passagère et peu idéologique de la colère de jeunes blancs ? La première thèse est défendue dans la revue Jacobin par Shawn Gude et Matt Karp (Gude 2016) tandis que la seconde est exposée dans le New York Times par Christopher H. Achen et Larry M. Bartels (Achen 2016b). Selon Achen et Bartels, les choix électoraux reflètent plus les attachements partisans et les identités sociales que les préférences idéologiques des électeurs, si bien que le succès de Bernie Sanders ne signifie pas qu’un tournant vers la gauche soit en

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cours (Achen 2016a). Les blancs, les jeunes et les indépendants formeraient donc le cœur de l’électorat de Bernie Sanders, qui ne serait pas plus libéral que celui de Hillary Clinton. L’orientation idéologique des électeurs de Sanders est l’objet d’un débat qui tourne autour de l’interprétation des chiffres utilisés par Achen et Bartels (Hare et Lupton 2016). Gude et Karp réfutent la thèse de Achen et Bartels et se félicitent au contraire de l’absence de racisme chez les électeurs de Bernie Sanders et dans le discours que ce dernier a utilisé. Le fait que, si l’on en croit YouGov, les jeunes aient été séduits par Bernie Sanders même lorsqu’ils n’étaient pas blancs semble indiquer qu’une partie non négligeable des nouvelles générations est à la recherche d’une nouvelle offre politique qui s’éloigne de la synthèse centriste élaborée par le Parti démocrate au cours des années 1990. Ce débat en apparence technique n’est pas politiquement neutre : l’interprétation de Jacobin est celle d’une partie de la gauche radicale tandis que celle de Achen et Bartels est favorable à la direction du Parti démocrate et rejoint l’opinion de ses soutiens politiques et médiatiques, dont celle de Paul Krugman (Krugman 2016). 12 Donald Trump, quant à lui, a fait de la haine de l’autre le signe distinctif de sa campagne, dès le début et de manière constante depuis. De la dénonciation de l’immigration clandestine mexicaine composée de « violeurs » jusqu’à l’appel à interdire aux musulmans l’entrée sur le territoire des Etats-Unis, en passant par la dénonciation de la concurrence chinoise et de la délinquance, Donald Trump a construit sa campagne autour de la désignation d’un bouc émissaire multiforme censé expliquer les malheurs de la classe ouvrière et moyenne blanche américaine. Rendre à l’Amérique sa grandeur (make America great again) passe donc par une fermeture des frontières commerciales et physiques du pays et par une restauration de l’ordre. Au racisme et à la xénophobie il a ajouté un sexisme dont la violence et le caractère obsessionnel sont sans précédent. Hillary Clinton a été accusée de ne pas satisfaire son mari et donc ne pouvoir prétendre satisfaire l’Amérique et d’avoir aidé son mari à abuser d’autres femmes. Le visage de la candidate républicaine aux primaires Carly Fiorina a été déclaré indigne de recevoir le soutien des électeurs. Et la journaliste Megyn Kelly de Fox News a été accusée d’avoir été trop agressive parce qu’elle avait ses règles (Cohen 2016). Loin de se recentrer après les primaires, Donald Trump a accentué ses remarques racistes, xénophobes et sexistes jusqu’à l’élection. Trump a donc poussé le rejet de l’autre à des sommets inégalés à l’époque actuelle. Sa candidature est-elle également symptomatique d’un malaise de la classe ouvrière blanche ? Comme d’autres pays occidentaux développés, les États-Unis ont connu une précarisation de leur classe ouvrière et moyenne et une montée des inégalités (Piketty 2013). Il y a toutefois aux États-Unis des spécificités qui ont pu contribuer au vote en faveur de Donald Trump. Contrairement aux Américains non blancs et aux habitants d’autres pays développés, les blancs d’âge moyen aux États-Unis subissent une hausse importante de la mortalité et de la morbidité depuis la fin des années 1990 (Case 2015). Or l’analyse des résultats des premières primaires républicaines a montré l’existence d’une corrélation statistique entre les taux de mortalité des blancs et le vote pour Donald Trump (Guo 2016). Pour autant, il est exagéré d’identifier le vote Trump à la classe ouvrière. S’il est vrai que les blancs peu éduqués votent plus pour Trump que pour Clinton et que les Républicains ont progressé dans cette partie de l’électorat par rapport à 2012 (Cohn 2016), cela ne signifie pas que Trump soit le candidat des plus pauvres, dans la mesure où dans les familles qui gagnent moins de 50000 dollars par an, Clinton a 6 points d’avance sur Trump (43% contre 37%) dans un sondage The Economist/YouGov du 7-8 octobre 20162. De plus, selon une étude publiée par l’institut Gallup, les électeurs de

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Donald Trump ne sont pas directement victimes de la concurrence internationale et des délocalisations et ne sont pas directement liés aux régions manufacturières. Ils sont blancs, plus conservateurs que la moyenne et vivent dans des enclaves blanches et peu éduquées situées loin de la frontière mexicaine (Rothwell 2016). 13 Tandis que le vote pour Bernie Sanders est plus clairement lié à l’âge qu’à la race et que sa campagne a cherché à mobiliser les électeurs sur une base de classe, la campagne de Donald Trump est raciste et sexiste, son électorat est surtout blanc et les ouvriers ne se sentent pas majoritairement représentés par son discours. Quelles conséquences politiques l’irruption de ces deux candidatures peut-elle avoir au-delà du scrutin du 8 novembre 2016 ?

Quelles conséquences pour le système politique ?

14 L’irruption de deux candidatures inhabituelles lors des élections présidentielles de 2016 est sans nul doute le signe d’une crise politique multiforme. Concerne-t-elle les deux partis américains et leur manière de représenter leurs électeurs ? Est-elle le signe d’un dysfonctionnement plus général du système politique américain ou signale-t-elle, d’une manière encore plus générale, une crise de la démocratie représentative qui affecte nombre de pays développés ? Et quelles conséquences cette crise pourrait-elle avoir à court et à moyen terme ?

15 Pour le Parti démocrate, le score élevé de Bernie Sanders chez les moins de 45 ans semble indiquer que le recentrage opéré dans les années 1990 par le Democratic Leadership Council et par Bill Clinton, dans la filiation duquel s’est inscrit Barack Obama, ne satisfait plus une partie grandissante de l’électorat. La reprise d’une partie des propositions de Bernie Sanders par Hillary Clinton lors de la convention du Parti démocrate, notamment en ce qui concerne la gratuité des études supérieures dans les universités d’État, montre que Hillary Clinton a ressenti le besoin de gauchiser son discours afin de séduire l’électorat de Sanders alors qu’on aurait pu assister à un recentrage afin de s’adresser aux indécis dans la perspective de l’élection de novembre. Certes, cet emprunt peut paraître opportuniste quand on connaît le soutien de Hillary Clinton aux politiques éducatives néolibérales, notamment la loi No Child Left Behind de 2001. Toutefois il n’est pas exclu que le mouvement que Sanders a initié parvienne à influencer le Parti démocrate. 16 L’influence de la campagne de Donald Trump sur le Parti républicain est difficile à évaluer. Le vote majoritaire pour Donald Trump lors des primaires a révélé une fracture profonde entre, d’une part, la direction du Parti républicain, les principaux donateurs, les élus, et plus généralement la classe politique républicaine, et d’autre part les électeurs républicains en colère. Les idées qu’il a véhiculées remettent en cause la synthèse idéologique reaganienne qui était jusqu’alors dominante au sein du Parti républicain et reste majoritaire au Congrès. Selon la sociologue Arlie Russel Hochschild, en Louisiane, le message de Trump séduit une fraction de la classe ouvrière blanche qui ne craint pas de demander de l’aide à l’État tandis que les Républicains encore membres de la classe moyenne restent attachés au message plus traditionnel qui prône le démantèlement de l’État providence et les baisses d’impôt (Hochschild 2016b). Concilier ces deux visions du conservatisme ne sera pas forcément aisé. A cet égard, il sera intéressant de scruter les rapports entre le président Trump et la majorité républicaine au Congrès. On peut d’ores et déjà noter que les six premiers mois de la présidence de

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Donald Trump semblent marquer un alignement progressif du président sur les positions conservatrices des Républicains du Congrès (Atkins 2017). La tentative avortée d’abrogation de la loi sur la santé et l’abandon des projets d’investissement en matière d’infrastructures vont dans le sens d’une diminution du rôle de l’État. Les sanctions contre la Russie et l’infléchissement de la présidence en ce qui concerne l’OTAN rapprochent la présidence Trump des positions conservatrices traditionnelles. 17 Plus généralement, l’irruption simultanée de ces deux candidatures anti-système est le signe d’une crise de la démocratie représentative aux États-Unis. La domination des puissances d’argent et le blocage du Congrès en sont deux des symptômes les plus flagrants. Les sondages indiquent notamment que 14,5% (contre 76,2%) des Américains sont satisfaits du fonctionnement du Congrès3. Comme l’ont montré Thomas E. Mann et Norman J. Ornstein, le blocage institutionnel s’est aggravé en raison de la polarisation qui a été alimentée par l’intransigeance des élus républicains pendant les deux mandats de Barack Obama (Mann 2012). Ce dysfonctionnement chronique alimente le rejet de Washington dont les candidatures anti-système se nourrissent. 18 À court terme, la prévalence du « pluralisme individualisé » qu’a décrit Samuel Kernell rend difficile la recherche de compromis ou l’imposition d’une discipline de parti, les élus n’ayant de comptes à rendre qu’à leurs électeurs et à leurs bailleurs de fond (Kernell 1986). La fracture entre les deux Amériques, rurale et urbaine, conservatrice et libérale est telle qu’il est difficile d’entrevoir une amélioration du fonctionnement des institutions. 19 À moyen terme, certains pensent que l’évolution démographique va forcer le Parti républicain à s’adapter afin de résister à l’émergence d’une majorité démocrate. Cette thèse a été énoncée par John B. Judis et Ruy Teixeira en 2002 dans The Emerging Democratic Majority (Judis 2002). La combinaison du vote des minorités, des blancs éduqués et d’une partie de la classe ouvrière blanche permettrait à terme aux Démocrates d’avoir le soutien de la majorité de l’électorat. De plus, le poids grandissant des minorités, qui deviendront majoritaires dans quelques décennies, accentuerait ce phénomène. Les deux victoires de Barack Obama en 2008 et en 2012 ont semblé confirmer cette évolution (Teixeira 2012). L’émergence de Donald Trump et la méfiance d’une grande partie de la classe ouvrière blanche à l’égard de la candidate démocrate doit nous conduire à la nuancer. L’un des deux auteurs, John Judis, a d’ailleurs abandonné cette thèse (Chait 2016).

Conclusion

20 L’irruption des candidatures de Bernie Sanders et de Donald Trump a pris les analystes à contre-pied. Elle oblige les chercheurs à remettre en cause un certain nombre de certitudes. Le verrouillage du système politique par les deux grands partis, les riches donateurs et les grands médias explique d’une part l’aveuglement d’une partie des analystes, qui ne pouvaient imaginer que des candidatures extérieures au système puissent prospérer, et, d’autre part, la réaction d’exaspération populaire face à des institutions incapables de fonctionner correctement et de répondre à la montée des inégalités et à la souffrance sociale. L’impact de ces deux campagnes au-delà de l’élection de 2016 est incertain. Les deux grands partis parviendront peut-être à reprendre une partie des idées véhiculées par Bernie Sanders et Donald Trump, comme ce fut le cas par le passé pour certains candidats comme George Wallace. Le reaganisme

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a ainsi réussi la synthèse entre le monétarisme élitiste de Milton Friedmann et la révolte des classes moyennes et populaires blanches de George Wallace. Le choc consécutif à la défaite de Hillary Clinton ainsi que l’intégration relative de Bernie Sanders au système politique et sa coopération avec les Démocrates pourraient faciliter la reprise d’une partie de ses idées. Bernie Sanders a d’ailleurs fondé une organisation, Our Revolution, qui cherche à peser sur le débat politique. Au contraire, l’extériorité de Donald Trump par rapport au champ politique rend peut-être plus délicate la prise en compte de ses thématiques par son parti, d’autant que le Congrès restera dominé par des élus républicains peu sensibles aux éléments de son message qui s’éloignent de l’orthodoxie conservatrice. Il n’en reste pas moins que, à l’instar de ce qui se passe dans certains pays d’Europe de l’Est, l’élection présidentielle américaine de 2016 pointe le risque d’une dérive du système politique américain d’une démocratie libérale respectueuse de l’État de droit vers une démocratie autoritaire qui pourrait le remettre en cause (Sintomer 2016).

21 Achen, Christopher H. et Larry M. Bartels. 2016a. Democracy for Realists: Why Elections Do not Produce Responsive Government (Princeton : Princeton university Press) 22 Achen, Christopher H. et Larry M. Bartels. 2016b. “Do Sanders Supporters Favor His Policies ?”, The New York Times, 23 mai 2016, http://www.nytimes.com/2016/05/23/ opinion/campaign-stops/do-sanders-supporters-favor-his-policies.html?smid=tw- share&_r=0 , consulté le 14 octobre 2016 23 Atkins, David. 22 juillet 2017. “Could Republicans in Congress Actually Turn Against Trump ?”, Washington Monthly, http://washingtonmonthly.com/2017/07/22/could- republicans-in-congress-actually-turn-against-trump/ , consulté le 27 juillet 2017. 24 Bourdieu, Pierre avec Loïc Wacquant. 1992. Réponses (Paris : Seuil)

25 Bourdieu, Pierre. 1996. Sur la Télévision (Paris : Raisons d’agir)

26 Byers, Dylan. 18 janvier 2016. How the Médias Missed Bernie Sanders, CNN, http:// edition.cnn.com/2016/01/18/politics/bernie-sanders-médias/ , consulté le 26 septembre 2016 27 Case, Ann et Angus Deaton, novembre 2015. “Rising morbidity and mortality in midlife among white non-Hispanic Americans in the 21st century”. Proceedings of the National Academy of Science, vol 112, n° 49, http://www.pnas.org/content/112/49/15078.full#ref- list-1 , consulté le 15 octobre 2016 28 Chait, Jonathan. 16 février 2015. “Is the Emerging Democratic Majority Already Dead ?”, The Daily Intelligencer, http://nymag.com/daily/intelligencer/2015/02/the-emerging- democratic-majority-dead.html , consulté le 17 octobre 2016 29 Champagne, Patrick. 1990. Faire L’opinion. Le Nouveau jeu politique (Paris : Minuit)

30 Cohen, Claire. 8 octobre 2016. “Donald Trump Sexism Tracker : Every Offensive Comment in one Place”, The Daily Telegraph, http://www.telegraph.co.uk/women/ politics/donald-trump-sexism-tracker-every-offensive-comment-in-one-place/ , consulté le 15 octobre 2016 31 Cohn, Nate. 25 juillet 2016. « The One Demographic that is Hurting Hillary Clinton”, The New York Times, http://www.nytimes.com/2016/07/26/upshot/the-one-demographic- that-is-hurting-hillary-clinton.html , consulté le 15 octobre 2016 32 DelReal, Jose A. 16 juin 2015. “Donald Trump Announces Presidential Bid”, , https://www.washingtonpost.com/news/post-politics/wp/

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2015/06/16/donald-trump-to-announce-his-presidential-plans-today/ , consulté le 26 septembre 2016 33 Elliott, Debbie. 22 avril 2016. “Is Donald Trump A Modern-Day George Wallace ?”, National Public Radio, http://www.npr.org/2016/04/22/475172438/donald-trump-and- george-wallace-riding-the-rage , consulté le 26 juillet 2017 34 Gude, Shawn et Matt Karp. 1er juin 2016. “What Bernie Supporters Want. The Sanders Campaign has been driven by class politics, not white male angst”, https:// www.jacobinmag.com/2016/06/bernie-sanders-achen-bartels-white-men-krugman- election-clinton/ , consulté le 14 octobre 2016 35 Guo, Jeff. 4 mars 2016. « Death Predicts Whether People Vote for Donald Trump », The Washington Post, https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2016/03/04/ death-predicts-whether-people-vote-for-donald-trump/ , consulté le 15 octobre 2016 36 Hare, Christopher et Robert Lupton. 31 mai 2016. “No, Sanders voters aren’t more conservative than Clinton voters. Here’s the data”, The Washington Post, https:// www.washingtonpost.com/news/monkey-cage/wp/2016/05/31/no-sanders-voters- arent-more-conservative-than-clinton-voters-heres-the-data/ , consulté le 26 octobre 2016 37 Hochschild, Arlie Russel. 2016a. Strangers in Their Own Land: Anger and Mourning on the American Right. (New York: The New Press) 38 Hochschild, Arlie Russel. Septembre/Octobre 2016b. “I Spent 5 Years With Some of Trump's Biggest Fans. Here's What They Won't Tell You.”, Mother Jones, http:// www.motherjones.com/politics/2016/08/trump-white-blue-collar-supporters , consulté le 17 octobre 2016 39 Jordan, Will. 7 juin 2016. Age and Race in the 2016 Democratic Primary, https:// today.yougov.com/news/2016/06/07/age-and-race-democratic-primary/ , consulté le 14 octobre 2016 40 Judis, John B. et Ruy Teixeira. 2004 [2002]. The Emerging Democratic Majority (New York : Scribner) 41 Kane, Paul and Philip Rucker. 30 avril 2015. “An Unlikely Contender, Sanders Takes On ‘Billionaire Class’ in 2016 Bid”. The Washington Post, https://www.washingtonpost.com/ politics/sanders-takes-on-billionaire-class-in-launching-2016-bid-against-clinton/ 2015/04/30/4849fe32-ef3a-11e4-a55f-38924fca94f9_story.html , consulté le 26/09/2016 42 Kazin, Michael. 1995. The Populist Persuasion. An American History (New York : Basic Books) 43 Kernell, Samuel. 1986. Going Public: New Strategies of Presidential Leadership, (Washington : Congressional Quarterly Press) 44 Krugman, Paul. 23 mai 2016. « The Truth About the Sanders Movement », The New York Times, http://krugman.blogs.nytimes.com/2016/05/23/the-truth-about-the-sanders- movement/ , consulté le 15 octobre 2016 45 Mann, Thomas E. et Norman J. Ornstein. 2012. It's Even Worse Than It Looks: How the American Constitutional System Collided With the New Politics of Extremism (New York : Basic Books) 46 Piketty, Thomas. 2013. Le Capital au XXIè siècle (Paris : Seuil)

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47 Prokop, Andrew. 6 mai 2016. “The Political Scientist who Saw Trump’s Rise Coming”, Vox, http://www.vox.com/2016/5/6/11598838/donald-trump-predictions-norm- ornstein , consulté le 27 septembre 2016 48 Rothwell, Jonathan T. 4 septembre 2016. “Explaining Nationalist Political Views : the case of Donald Trump”, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm? abstract_id=2822059 , consulté le 15 octobre 2016 49 Sanders, Bernie, Our Revolution: A Future to Believe In, New York, St Martin’s Press, 2016

50 Sintomer, Yves. Juin 2016. « Démocratiser la démocratie ou céder aux tentations autoritaires », La Revue du Crieur, n°4. 51 Teixeira, Ruy et John Halpin. Décembre 2012. The Obama Coalition in the 2012 Election and Beyond, Center for American Progress, https://cdn.americanprogress.org/wp-content/ uploads/2012/12/ObamaCoalition-5.pdf , consulté le 17 octobre 2016

NOTES

1. Pour une histoire nuancée de la tradition populiste américaine aux antipodes des simplifications journalistiques, voir Kazin 1995. 2. https://today.yougov.com/news/2016/10/09/yougoveconomist-poll-october-7-8-2016/ , consulté le 15 octobre 2016. 3. Moyenne de plusieurs sondages publiés en septembre et en octobre 2016. http:// www.realclearpolitics.com/epolls/other/congressional_job_approval-903.html , consulté le 17 octobre 2016.

RÉSUMÉS

Avant la victoire surprise de Donald Trump en novembre 2016, les élections présidentielles américaines de 2016 ont été marquées par l’irruption de candidatures anti-système lors des élections primaires des partis républicain et démocrate. Chez les Républicains, la candidature de Donald Trump prétendait rendre sa grandeur à l’Amérique contre une classe politique censée l’avoir trahie tandis que chez les Démocrates celle de Bernie Sanders promettait une révolution politique contre un système inféodé à Wall Street. Cet article revient sur le sentiment de surprise qui a accompagné leur irruption sur le devant de la scène politique et qui a pris au dépourvu la plupart des analystes. Il s’interroge sur la critique du système politique que ces deux candidatures exprimaient chacune à leur manière en posant la question de leur rapport au champ politique. Il examine les fractures sociales et raciales que ces candidatures révèlent et sur les conséquences possibles du rejet du système politique à court et à moyen terme.

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Before Donald Trump’s unexpected victory in the November 2016 US presidential election, two anti-establishment candidates burst onto the political scene of the Democratic and Republican primaries. Donald Trump’s bid on the Republican side sought to “make America great again” against a political establishment which was accused of betrayal while Bernie Sanders promised the Democrats a political revolution against a system rigged by Wall Street. This article examines the disbelief with which these two bids were greeted and the failure of many commentators to analyse these movements correctly. It looks at the critique of the political system put forward by Donald Trump and Bernie Sanders and tries to relate it to their respective relations to the political field. It studies the social and racial divisions these two bids expose and the possible consequences of their rejection of the political system in the short and medium term.

INDEX

Mots-clés : politique américaine, champ politique, race, classe Keywords : American politics, political field, race, class

AUTEUR

LUC BENOIT À LA GUILLAUME

Université de Rouen, ERIAC (EA 4705)

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Bastions, swing states, blue wall states: éléments pour comprendre l’élection présidentielle de 2016

Frédéric Robert

1 Quel que soit le pays concerné, lors de référendums ou d’échéances électorales importantes, les instituts de sondage sont très souvent sévèrement critiqués pour avoir publié, au fil des mois, des semaines, voire des jours qui précèdent le scrutin, des estimations n’ayant nullement reflété la réalité des urnes. En France, en 2002, aucun sondage, même les plus pessimistes, n’avait imaginé la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle1. En 2015, 100% des instituts britanniques se sont lourdement trompés pour dresser les contours de ce qu’allait finalement être le 56 ème Parlement en mai de la même année2. L’exemple le plus récent et le plus flagrant est le Brexit, le 23 juin 2016. Comme le déclara le magazine Challenges dans son numéro du lendemain : « Brexit : Pourquoi les instituts de sondages se sont plantés », ces derniers n’avaient, en effet, pas prévu un tel résultat3. Les Américains considèrent également les estimations, les tendances et les sondages, avec beaucoup de circonspection, estimant que ces études sont trop souvent à la solde des candidats ou des partis et qu’elles ne reflètent pas fidèlement la réalité du terrain. Toutefois, il est à noter qu’à l’occasion d’élections présidentielles, ces instituts arrivent à déterminer avec une certaine précision les États où l’élection va se dessiner4, États qui selon eux, peuvent aussi bien basculer du côté démocrate que du côté républicain, d’où leur nom, « Swing States », contrairement à certains autres États comme la Californie ou le Texas qui, pour des raisons historiques, économiques, raciales, culturelles, voire conjoncturelles, sont promis à coup sûr à un parti plutôt qu’à l’autre. Pourquoi une élection qui implique 50 États se limite-t-elle donc au vote d’une petite dizaine d’entre eux ? (Schultz, Hunter, 2015). Pourquoi, d’une certaine manière, ces États décident-ils du sort de l’élection présidentielle ? En quoi contribuent-ils à un ancrage ou à un virage idéologique ? Trois éléments sont importants pour mieux comprendre les résultats du scrutin de novembre 2016 : le rôle des bastions sur l’échiquier politique américain, l’intérêt stratégique que jouent les Swing States et, compte tenu du fait que la Maison-Blanche était démocrate

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depuis 2008, l’intérêt croissant que nourrissaient les Républicains envers les « Blue Wall States ».

Les chasses gardées ou bastions

2 Tous les quatre ans, les principaux instituts de sondage américains (Gallup, Harris, Ipsos, Nielsen, Pew, Rasmussen, pour ne citer que les plus connus) dressent la liste des États qui sont cruciaux pour remporter l’investiture suprême, dans un jeu mesuré de prédictions qui n’est pas dénué d’intérêts financiers dans la mesure où ces études sont rémunérées et qu’une partie de la population achètent la presse qui divulgue ces estimations. Avant d’aborder la question des Swing States à proprement parler, nous allons tout d’abord nous intéresser aux bastions, qu’ils soient démocrates ou républicains, États qui ne réservent aucune surprise au moment de la divulgation des résultats. David Schultz et Stacey Hunter Hecht l’expliquent dans Presidential Swing States: Why Only 10 Matter? : The main reason or reasons why 80% of the presidential contests are uncontested or predictable has to do with several factors. One is party identification. Party identification remains a powerful predictor of voting (…). In many states one party or another has sufficient dominance that it is unlikely to lose a presidential race. Second, in some states one party might be sufficiently well organized or better organized and mobilized than another and that gives it a competitive advantage. Third, the policy preferences of the state, or even its ideological orientations vis-à- vis the rest of the nation, may make it more liberal or conservative than the rest of the country as a whole, thereby pushing the presidential race or electorate more firmly in the direction of one party as opposed to another (Schultz, pp. x-xi). 3 Par souci de simplification, le choix se limite volontairement à deux États, la Californie, le Golden State, pour les Démocrates et le Texas, le Lone Star State, pour les Républicains, car ils sont représentatifs de ce phénomène de bastions5. Il s’agit d’États importants compte tenu du nombre de Grands Électeurs qu’ils offrent au vainqueur : 55 pour la Californie et 38 pour le Texas en 2016.

4 La Californie a voté républicain de 1900 à 1908, démocrate en 1916, puis républicain de 1920 à 1928, démocrate à nouveau de 1932 à 1948, puis républicain de 1952 à 1960, démocrate en 1964, républicain de 1968 à 1988, puis démocrate depuis 19926. Le Golden State est donc véritablement devenu un bastion démocrate 7. De 1900 à 2012, la Californie a choisi le vainqueur de l’élection dans près de 83% des cas. Cet État a voté démocrate au cours des six dernières élections présidentielles. Il peut donc être considéré comme un bastion démocrate fort. Deux mois avant les élections, les sondages ne démentaient pas cette tendance, la candidate démocrate se voyant attribuer une avance confortable de près de 20 points (51% contre 31,3%)8. 5 Les raisons expliquant le passage d’un vote californien républicain à un vote démocrate au fil du temps sont assez diverses. Le New York Times du 8 octobre 2012 en cerne les principaux contours : Southern California was Republican-leaning, largely because the defense industry was a major economic engine [...]. In the early 1990s, defense spending began to fall, and numerous military bases in California were closed. This helped spark an out- migration of mostly white, affluent and Republican-leaning residents, including many former defense-industry workers.

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[...] The influx into California of Hispanics and Asians had an even larger effect. Between 1980 and 2000, California’s Hispanic and Asian communities each doubled as a share of the state’s population. [...] Its main economic drivers were changing. Although agriculture remains a major industry, defense faded and Hollywood and Silicon Valley grew. California saw an influx of highly educated young professionals9. 6 Le Texas est aux Républicains ce qu’est la Californie aux Démocrates : une chasse gardée10. L’État a tout d’abord été un bastion démocrate de 1848 à 1948, à l’exception de 1928, puis de 1932 à 1948. Il est passé sous contrôle républicain en 1952 et 1956 avant d’être conquis à nouveau par les Démocrates de 1960 à 1968. En 1972, il est redevenu républicain, puis démocrate en 1976. Depuis l’élection de en 1980, le Texas est devenu une place forte républicaine11. En septembre 2016, Donald Trump était donné largement gagnant avec une avance de près de 6 points par rapport à sa rivale démocrate (44% contre 38,3%)12.

7 Quelles sont les principales raisons qui font du Texas un État républicain ? Il s’agit d’un ancien État confédéré, zone tampon entre le Mexique et les États-Unis, confronté à de l’immigration clandestine, farouchement attaché à sa terre, à ses origines rurales, à ses traditions remontant à la période du Far West et profondément religieux, et par conséquent sensible au discours républicain très conservateur. En outre, l’influence de Karl Rove, ancien conseiller de George W. Bush, a grandement contribué à la popularité du Parti républicain au sein de la population texane et ce, dès la fin des années 1970, et à son repositionnement sur l’échiquier politique américain13. 8 Face à un tel constat, Trump était favori pour remporter le Texas et ses 38 Grands Électeurs. De même, Clinton savait pertinemment que, sauf accident majeur, la Californie et ses 55 Grands Électeurs allaient lui revenir. Dans un tel cas, pourquoi ces deux candidats devaient-ils consacrer du temps, de l’énergie et de l’argent à mener une campagne sur un terrain qui leur était promis ?14 Pour autant, cela ne signifie nullement qu’ils devaient négliger l’électorat californien et texan. Une telle stratégie serait contre-productive et pourrait avoir des conséquences fâcheuses en termes d’image et démobiliser les électeurs fidèles qui pourraient dès lors penser que leur vote ne changerait en rien les résultats et les inciterait, consciemment ou non, à ne pas se déplacer dans les bureaux de vote, ce qui explique les raisons pour lesquelles les équipes démocrates et républicaines occupaient ces bastions. Un tel investissement sur le terrain permettait de convertir les électeurs encore indécis à leur cause ou de conforter la position de leur champion. Cette présence dans ces États importants en termes de Grands Électeurs ne pouvait faire oublier aux stratèges démocrates et républicains que le combat était ailleurs.

La bataille des Swing States

9 Les Swing States sont également appelés « Battleground States » 15, « Toss-Up States », « Key States » ou « Purple States »16. Très convoités par les prétendants à la Maison-Blanche, car une victoire dans ces États décide, de manière quasi inéluctable, de l’issue du scrutin, ces États, et la réalité qu’ils englobent, ne trouvent guère de traduction satisfaisante en français. De nombreux journalistes ou politologues se cantonnent à l’expression américaine, d’autres se risquent à diverses traductions plus ou moins heureuses : États clés, États indécis, États incertains, États disputés, États pivots ou États en balance. Compte tenu du fait que la réalité culturelle américaine ne peut se

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transposer à la réalité française, des périphrases apparaissent également pour en rendre la complexité lexicale : « les États où va se jouer l’élection présidentielle », « les États dont le vote sera déterminant dans la course à la Maison-Blanche », ou « les États qui peuvent faire basculer le vote et le résultat de l’élection » (Schultz and Hecht, p. xiv). La journaliste Meghann Cuniff en donna une définition qui prenait bien en compte tous ces éléments dans le Daily Emerald du 4 octobre 2004 : « (…) a state where political affiliations are not distinctly cemented—they can swing from one candidate to another »17. Le Dictionary of American Government and Politics définit le terme de manière plus académique: Swing states are states in which no single party dominates, resulting in intense competition for victory in presidential and other elections. States such as New Jersey are liable to switch from one party to another and therefore have a significant role in determining the outcome of contests. When those states have a large population, they carry sizeable weight in the Electoral College. They are therefore the focus of strong campaigning for parties and their candidates, with heavy financial and personal resources being devoted to them18. 10 Lors de l’élection de 2000, les instituts de sondage avaient annoncé, à juste titre, que la Floride ferait basculer l’élection. Tel fut le cas avec la victoire pour le moins controversée de George W. Bush. Dans des conditions inédites qui avaient défrayé la chronique et secoué les institutions et la scène internationale pendant plusieurs semaines19, ce dernier fut crédité de 537 voix de plus qu’ dans le Sunshine State, ce qui lui permit d’empocher les 25 Grands Électeurs et de gagner ainsi l’élection de peu : 271 Grands Électeurs contre 266, en dépit d’un retard de plus de 540 000 « popular votes » au niveau national20. L’objectif est bien évidemment de ne pas remporter exclusivement des électeurs mais des États en raison du « Winner Takes All System ». En d’autres termes, la volonté institutionnelle est de rendre les États bien plus stratégiques que le vote populaire : il s’agit d’une partie de Scrabble politique où certaines cases (les États) comptent littéralement double ou triple.

11 Quatre ans plus tard, les instituts de sondage furent unanimes pour annoncer que l’Ohio allait être l’État qui déciderait du sort de l’élection. Le président sortant Bush rafla cet État et ses 20 Grands Électeurs pour l’emporter finalement avec 286 Grands Électeurs contre 251 face au Démocrate John Kerry. L’Ohio avait bel et bien fait basculer l’élection. Les élections de Barack Obama ont moins laissé la place au suspense et à l’attente fébrile de la décision des Swing States : en 2008, le candidat démocrate l’a emporté avec 365 Grands Électeurs contre 173 à John McCain et en 2012, avec 332 Grands Électeurs contre 206 à Mitt Romney, Obama remportant au passage l’Ohio avec 51,5% des suffrages en 2008 et 50,7% en 2012. 12 Le contexte de 2016 semble quelque peu différent. D’après la plupart des spécialistes, 11 États pouvaient déterminer le sort de l’élection car tous pouvaient basculer, en théorie, aussi bien du côté démocrate que républicain21 : Today, roughly two-thirds of the states are written off as the province of one party or the other before the first primary votes are even cast. The reason is simple: 33 states have voted for the same party in the past 5 presidential elections, and 40 of the 50 states have voted for the same party since 2000. So which ones will really decide whether Hillary Clinton or Donald Trump becomes the next president? POLITICO has identified 11 states where the 2016 election will be won and lost: Colorado (9), Florida (29), Iowa (6), Michigan (16), Nevada (6), New Hampshire (4), North Carolina (15), Ohio (18), Pennsylvania (20), Virginia (13) and Wisconsin (10)22.

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13 Les états-majors démocrates et républicains étaient naturellement conscients de la situation et suivaient en temps réel l’évolution des sondages dans ces États sensibles, allant même jusqu’à affiner leurs analyses au niveau de certains comtés, voire de certaines petites villes. Ils dépêchaient régulièrement des équipes dont le but était de mobiliser encore plus leurs militants, de convaincre les électeurs indécis en effectuant du porte à porte, en distribuant des tracts ou en diffusant des spots publicitaires vantant les mérites de leur candidat ou en dénigrant leur adversaire. Quelques semaines avant le scrutin, les sondages poussèrent les candidats à multiplier leurs déplacements dans ces États et à augmenter leurs frais de campagne pour tenter d’inverser ou de conforter les intentions de vote. À titre d’exemple, du 15 juin au 16 août, Clinton et Trump ont tenu 13 meetings dans l’Ohio et 10 en Pennsylvanie, comme si les deux candidats avaient suivi le tempo imposé par le camp adverse par souci de mimétisme électoraliste. Dans le même laps de temps, les deux candidats ont fait campagne en Floride à 4 reprises.

14 L’Ohio était un choix éminemment stratégique dans la mesure où il est considéré comme un « Bellwether State », un « État-baromètre », qui vote depuis 1896 systématiquement pour le candidat qui remporte l’élection, à l’exception des élections de 1944 et 196023. Ceci explique la célèbre formule attribuée à l’Ohio : « Where Ohio goes, so does the Nation »24. Henriët Hendriks et Bas van Doorn l’appellent d’ailleurs « The Battleground of Battlegrounds » (Schultz and Hecht, pp. 65-82). En 1992 et 1996, il choisit Clinton, en 2000 et 2004, Bush et en 2008 et 2012, Obama. 15 De même, comme nous l’avons vu, la Floride avait joué un rôle déterminant en l’an 2000 et elle joua un rôle capital en novembre 2016 (Trump remporta cet État avec 49% des suffrages contre 47,9%), car avec 29 Grands Électeurs, elle représente à elle seule près de 11% des votes nécessaires pour remporter l’élection. Il est à noter que la Floride est historiquement « bleue » : elle a voté à 25 reprises pour un candidat démocrate entre 1852 et 2012 et 15 fois républicains, dont 11 fois depuis 1952 et ce, sur 16 élections. Les Républicains la remportèrent de 1952 à 1960, de 1968 à 1972, de 1980 à 1992 et en 2000 et 2004. Obama la gagna à deux reprises : 51% contre 48,2% en 2008 et 50% contre 49,1% en 201225. Une telle alternance explique les raisons pour lesquelles Sean D. Foreman la surnomme « État pourpre » (Schultz and Hecht, pp. 83-110). 16 Quelles sont donc les caractéristiques des Swing States de 2016 ? Qu’en disent les sondages actuels ?26 17 Cinq de ces États appartiennent à la Sunbelt : le Colorado (qui appartient à la « New Sunbelt »), la Floride, le Nevada, la Caroline du Nord et la Virginie et représentent un total de 72 Grands Électeurs. Bien que ces cinq territoires soient géographiquement très éloignés les uns des autres, ils ont des caractéristiques communes. En effet, ils ont voté pour George W. Bush à deux reprises en 200027 et 200428 pour finalement passer du côté démocrate en soutenant Obama en 200829. Il est à noter qu’historiquement les États du Sud étaient démocrates. Le réalignement politique a débuté avec le déplacement vers la Sunbelt de foyers, généralement républicains et de la classe moyenne, jusqu’ici établis dans le Nord, grâce, même si cela peut paraître étonnant, à la démocratisation de la climatisation qui leur permettait de supporter les températures élevées. En d’autres termes, la climatisation contribua à l’essor du Parti républicain moderne !30 Il y eut également un désalignement des Démocrates sudistes, conservateurs, au profit des Républicains (plus connu sous le nom de « Southern Strategy »). Kevin P. Phillips alla

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d’ailleurs jusqu’à qualifier la Sunbelt de « Black Belt » à cette période-là dans son ouvrage intitulé The Emerging Republican Majority. 18 La Caroline du Nord fut le seul État en 2012 à changer de camp préférant de peu Romney à Obama31. En outre, quatre de ces États connaissent une plus grande diversité raciale que l’ensemble du pays : la population dite « non blanche » (« nonwhite ») représente environ 23% d’Américains au niveau national en 2015 et ce pourcentage est dépassé dans tous ces États, à l’exception du Colorado (18,7% en 2010 et 12,5% en 2015)32. L’électorat hispanique est relativement important : il représentait 19% de la population du Nevada en 2012, contre 15% lors des précédentes élections présidentielles, 17% en Floride en 2012 contre 14% et 14% dans le Colorado contre 13% en 2008. En Caroline du Nord et en Virginie, l’électorat noir représente environ 20% de l’ensemble de l’électorat. À cela s’ajoute l’arrivée régulière d’électeurs blancs ayant fait des études universitaires, catégorie socio-professionnelle plus encline à voter pour le Parti démocrate. Environ trois semaines avant le scrutin, Clinton était donnée gagnante en Floride (47,8% contre 43,8%), en Virginie (46,8% contre 36%), en Caroline du Nord (47% contre 44,2%), dans le Colorado (46% contre 38%) et dans le Nevada (46,5% contre 41,8%)33. Il est à noter que la course était plus serrée dans deux de ces États (Floride et Caroline du Nord). Nous verrons plus tard que la vérité des urnes était bien différente de celle des sondages. Les résultats des élections de 2008 et de 2012 confortaient malgré tout ce sentiment : Obama avait obtenu 50,91% des voix en Floride en 2008 (soit 2,81% de plus que McCain) et 49,03% en 2012 (soit seulement 0,87% de plus que Romney) ; en Caroline du Nord, Obama avait obtenu 49,70% des voix en 2008 (soit 0,32% de plus que McCain) et 50,39% en 2012 (soit 2,04% de plus que Romney). Par conséquent, ces deux États portaient bien leur appellation de Swing States car ils pouvaient effectivement être déterminants en novembre 2016. De manière générale, les Swing States sont des États susceptibles de se réaligner à chaque fois en raison des candidats en présence, des programmes qu’ils défendent et de la situation nationale et internationale. 19 Les 6 autres États (l’Iowa, le Michigan, le New Hampshire, l’Ohio, la Pennsylvanie et le Wisconsin) représentaient 74 Grands Électeurs. Nous reviendrons plus tard sur le cas du Michigan, de la Pennsylvanie et du Wisconsin, car ces 3 États sont à la limite entre Swing States et Blue Wall States. Deux semaines avant le scrutin, Trump était donné gagnant d’une courte tête dans l’Ohio (46,2% contre 45,8%) et plus nettement vainqueur dans l’Iowa (45% contre 41,7%), État historiquement républicain (républicain à 29 reprises sur 42 élections depuis 1848), mais qui avait voté démocrate 6 fois sur 7 au cours des dernières élections (sans interruption de 1988 à 2000, puis en 2008 et 2012 ; la seule exception étant 2004 avec une courte victoire de Bush sur Kerry 49,9% contre 49,3%). 20 En plus de ces Swing States, il existe une autre catégorie intermédiaire d’États qui peuvent faire basculer l’élection : les « Blue Wall States ».

« The Blue Wall States » : entre Swing States et terrains de chasse républicain

21 L’expression « Blue Wall States » fut lancée par Chris Ladd, républicain texan, créateur du blog « GOPLifer ». Il est à noter qu’il décida de quitter le Parti républicain suite à l’investiture de Trump. Ladd utilisa cette expression en 2014 pour qualifier les places fortes démocrates, la muraille bleue qui existe lors des scrutins présidentiels, États qu’il

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estime difficiles à reprendre par les Républicains34. Son expression fut ensuite employée le 17 novembre 2014 par Lawrence O’Donnell sur NBC, ce qui contribua à sa popularité35. Le Huffington Post en donna une définition dans son numéro du 4 août 2015 : The term is metaphorical. There is no big wall painted blue anywhere. It is a historical construct of the Electoral College, which is a fancy way of explaining that it’s a list or map of the states which are considered pretty much “in the bag” for Democrats in the upcoming election. The criteria for inclusion in the big blue wall is a consistent Democratic voting record. Every state in the big blue wall has voted for the Democratic candidate for president in each of the past six elections. A perfect record of Democratic voting, back to Bill Clinton’s first election, in other words36. 22 Ces États sont les suivants ; ils sont au nombre de 18 auxquels s’ajoute la capitale fédérale : la Californie (55), le Connecticut (7), le Delaware (3), Hawaï (4), l’Illinois (20), le Maine (4), le Maryland (10), le Massachusetts (11), le Michigan (16), le Minnesota (10), le New Jersey (14), New York (29), l’Oregon (7), la Pennsylvanie (20), Rhode Island (4), le Vermont (3), l’État du Washington (12), le Wisconsin (10), ainsi que Washington DC (3). Tous ces États ont voté pour les Démocrates sans interruption au moins depuis 199237. Tous représentaient 242 grands électeurs en novembre 2016.

23 Les instituts de sondage avaient estimé, dès le mois de juin 2016, que 3 « Blue Wall States » (le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin) étaient susceptibles de basculer ; ils représentaient 46 Grands Électeurs. D’une certaine manière, ces États se situaient à la limite entre Swing States et bastions démocrates convoités par les Républicains et que les partisans de Clinton souhaitaient défendre et garder à tout prix pour garder la Maison-Blanche pour un troisième mandat démocrate consécutif. 24 Le Michigan est historiquement un bastion républicain (il a voté pour le candidat républicain à 27 reprises sur 43 depuis 1836). Toutefois, une alternance s’est opérée au début des années 1930 : l’État a voté démocrate en 1932 et 1936, puis républicain en 1940, à nouveau démocrate en 1944, puis républicain à trois reprises (1948, 1952 et 1956), puis de nouveau démocrate en 1960, 1964 et 1968, pour changer à nouveau à l’occasion de cinq élections successives (1972, 1976, 1980, 1984 et 1988) pour basculer à nouveau dans le camp démocrate sans interruption depuis 1992, soit au cours des six dernières élections présidentielles. Compte tenu d’un vote régulièrement démocrate lors de plusieurs scrutins présidentiels et de pourcentages relativement peu tranchés depuis plusieurs années, les Républicains espéraient un basculement après 24 années de vote démocrate. Quant à la Pennsylvanie, elle a été confrontée à une situation quasi identique depuis 1912 : elle a choisi un candidat républicain à 12 reprises et un candidat démocrate à 13 reprises, cette alternance s’étant accélérée et systématisée depuis 1936. Depuis 1992, elle vote régulièrement démocrate et de manière assez nette : 54,7% contre 44,3% en 2008 et 52% contre 46,6% en 201238. La probabilité d’un basculement était par conséquent assez faible. Enfin, le Wisconsin est également un État pro- démocrate : il a choisi ce camp à 14 reprises sur 26 depuis 1912. On pourrait penser à un certain équilibre entre les deux partis, toutefois les écarts furent plus marqués lors des derniers scrutins en faveur des Démocrates : 56,2% contre 42,3% en 2008 et 52,8% contre 45,9% en 2012. Il est à noter que même si les scrutins de 2000 et 2004 ont vu une victoire démocrate, cette dernière était infime (respectivement 47,8% contre 47,6% et 49,7% contre 49,3%)39. Il s’agit donc d’un État que les Républicains espéraient faire basculer. De manière générale, l’état-major républicain estimait que compte tenu du

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fait que ces « Blue Wall States » avaient un pourcentage d’électeurs blancs supérieur à la moyenne nationale, cela pouvait annoncer une vague rouge dans la mesure où cet électorat était plus disposé à écouter attentivement le discours ultra-conservateur du candidat Trump et à y être réceptif. Mi-octobre, les projections des instituts de sondages donnaient Clinton vainqueur dans le Michigan (46,7% contre 35,3%), la Pennsylvanie (48,5% contre 41,8%) et le Wisconsin (45,4% contre 39%)40. Fin septembre, l’écart s’était déjà considérablement réduit dans ces États, le candidat républicain ayant repris en moyenne plus de 5 points à sa rivale démocrate. À titre d’exemple, d’après un sondage datant du mois d’août, Trump était en tête dans le Michigan (40% contre 39%), puis obtenait le même pourcentage que Clinton vers la mi-septembre (42% des intentions de vote), avant d’être distancé de 3 à 5 points. Les écarts se creusèrent considérablement à partir de fin septembre en raison des scandales qui éclaboussèrent le camp républicain41. La Pennsylvanie connut les mêmes tendances : courant juin, les deux candidats étaient à égalité (44%), puis Trump prit l’avantage fin juillet (43% contre 41%), tendance qui se confirma vers la fin septembre (45% contre 43%) avant que Clinton ne reprenne un avantage oscillant entre 1 et 5 points42. La situation fut quelque peu différente dans le Wisconsin, État dans lequel la candidate démocrate fut toujours donnée gagnante43.

8 novembre 2016 : coup de tonnerre et virage républicain

25 Une fois de plus, serait-on tenté de dire, les instituts de sondage se sont lourdement trompés. En effet, la Floride (29 Grands Électeurs) qu’ils avaient promise à Clinton vota pour Trump (49% contre 47,8%), la Caroline du Nord (15 Grands Électeurs) choisit également le candidat républicain (50,5% contre 46,8%) et les résultats de l’Iowa (6 Grands Électeurs) furent encore plus marqués sur le terrain que dans les sondages (Trump, longtemps crédité de 45%, en obtint finalement 51,7 contre 42,2%). L’état- baromètre qu’est l’Ohio remplit pleinement son rôle en apportant largement ses suffrages au camp républicain (51,8% contre 43,3%, soit 18 Grands Électeurs), et en envoyant de facto son candidat à la Maison-Blanche. En outre, le candidat républicain parvint à briser la muraille bleue et à ramener des États dans lesquels Clinton était très largement donnée favorite et ce, depuis bien longtemps, même à quelques jours de l’ouverture des bureaux de vote : Trump conquit en effet le Michigan d’une courte tête (47,6% contre 47,4%, soit une avance de 10 704 voix), suffisamment malgré tout pour lui octroyer les 16 Grands Électeurs, la Pennsylvanie et ses 20 Grands Électeurs (48,6% contre 47,9%, soit une avance de 44 292 voix) et le Wisconsin et ses 10 Grands Électeurs (47,8% contre 47, soit une différence de 22 748 voix). Ses victoires cruciales dans ces États éminemment stratégiques permirent donc à Donald Trump de récolter 306 Grands Électeurs contre 232 à Hillary Clinton. Maigre consolation : la candidate démocrate remporta la bataille des « popular votes » (48,5% contre 46,4%, soit 65,8 millions de voix contre 62,9), ce qui a conduit de nombreux journalistes et politologues à dire que le système des Grands Électeurs était peut-être à revoir44. Pour sa part, Trump déclara que les deux candidats connaissaient les règles du jeu du scrutin américain et qu’il leur appartenait de mener la campagne de leur choix, glissant au passage que si l’élection s’était jouée sur le terrain des « popular votes », il aurait mené une campagne dont la

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stratégie aurait été bien différente, sous-entendant que les Démocrates avaient mal cerné les enjeux de cette campagne45 : I would’ve won the popular vote if I was campaigning for the popular vote. I would’ve gone to California where I didn’t go at all. I would’ve gone to New York where I didn’t campaign at all. I would’ve gone to a couple of places that I didn’t go to. And I would’ve won that much easier than winning the electoral college. But as you know, the electoral college is all that matters. It doesn’t make any difference. So, I would’ve won very, very easily. But it’s a different form of winning. You would campaign much differently. You would have a totally different campaign46. 26 La surprise des résultats de novembre 2016 peut s’expliquer de différentes manières. Tout d’abord, les instituts de sondage ont mal appréhendé le mécontentement des Américains ainsi que l’attention et l’écho qu’ils trouvaient dans le discours populiste du candidat républicain. De plus, les méthodes employées pour sonder l’opinion publique se sont fortement diversifiées, ce qui a multiplié les possibilités d’erreurs dans les échantillons finalement retenus qui n’étaient pas forcément représentatifs de la population américaine dans son ensemble. Un autre élément très souvent invoqué est le fait que de nombreux citoyens ont eu des réticences à avouer qu’ils allaient voter pour Trump, d’où leur surnom « Shy Trumpers », préférant rester politiquement corrects pour se fondre dans la pensée dominante qui souhaitait voir la victoire de Clinton. En outre, les partisans de Trump, se rendant compte que les sondages leur étaient défavorables, ont peut-être décidé de voter massivement pour les faire mentir, contrairement aux Démocrates qui, estimant que la victoire était déjà acquise, se sont peut-être démobilisés le jour du scrutin47. Il n’en demeure pas moins que la Maison- Blanche est redevenue républicaine. Le retour de balancier a donc été brutal pour les Démocrates qui ont également vu leur muraille bleue se fissurer.

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NOTES

1. « 2002 : Une Crise de la démocratie électorale. Les enseignements de l’élection présidentielle », Fondation Robert Schuman, Le Centre de recherches et d’études sur l’Europe, http://www.robert- schuman.eu/fr/oee/0002-2002-une-crise-de-la-democratie-electorale-les-enseignements-de-l- election-presidentielle, site consulté le 1er septembre 2016. 2. Dan Healy, « The 2015 UK Elections: Why 100% of the Polls Were Wrong », FTI Journal, May 2015, http://www.ftijournal.com/article/the-2015-uk-elections-why-100-of-the-polls-were- wrong, site consulté le 1er septembre 2016. 3. Léa Lejeune, « Brexit : Pourquoi les instituts de sondages se sont plantés », Challenges, 24 juin 2016, http://www.challenges.fr/politique/20160624.CHA1084/brexit-pourquoi-les-instituts-de- sondages-se-sont-plantes.html, site consulté le 1er septembre 2016. 4. Il existe toutefois quelques exceptions. En 1948, Harry S. Truman remporta contre Thomas E. Dewey une élection qui aurait dû lui échapper. La célèbre photo du nouveau président, le sourire aux lèvres, qui tient une copie du Chicago Daily Tribune, paru le lendemain du scrutin, et dont le titre en première page est: « DEWEY DEFEATS TRUMAN », est des plus éloquentes. En 1960, le Démocrate John Fitzgerald Kennedy l’emporta de justesse contre l’ancien vice-président d’Eisenhower, Richard Nixon, ce qui constitua somme toute une surprise. En 1980, Ronald Reagan l’emporta facilement contre le président sortant, le Démocrate Jimmy Carter : 44 États tombèrent aux mains des Républicains (489 Grands Électeurs contre 49, soit une différence de près de 8,5 millions de suffrages). Toutefois, quelques jours avant le vote, la tendance était bien différente : Carter était crédité d’une avance oscillant entre 3 et 8 points au niveau national selon différents instituts de sondages, dont Gallup. Le débat télévisé du 28 octobre et les tensions en Iran changèrent radicalement la donne en faveur de l’ancien gouverneur de Californie.

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5. D’autres États auraient en effet pu être choisis pour illustrer cet aspect. Pour les Démocrates, l’État de l’Illinois, « bleu » depuis 1992 sans interruption, l’État de New York, « bleu » lors de 11 élections présidentielles sur 13 depuis 1960 et en particulier, sans interruption depuis 1988, ou la Pennsylvanie, « bleue » également à 10 reprises sur 14 depuis 1960 et en particulier, sans interruption depuis 1992. Pour les Républicains, on pourrait citer l’Alabama, « rouge » à 11 reprises depuis 1960 et sans interruption depuis 1980, l’Arizona, « rouge » à 12 reprises depuis 1960, la seule exception étant l’élection de 1996, la Géorgie, républicaine depuis 1996 sans interruption ou l’Indiana, 17 fois favorable au candidat républicain depuis 1940, les deux exceptions étant les élections de 1964 et de 2008. 6. « California Voting History », http://www.270towin.com/states/California, site consulté le 2 septembre 2016. 7. Arjun Subramaniam, « What Factors Make California such a Democratic Stronghold? », quora.com, March 31, 2013, https://www.quora.com/What-factors-make-California-such-a- democratic-stronghold, site consulté le 15 octobre 2016. 8. http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/ca/ california_trump_vs_clinton-5849.html, site consulté le 1er septembre 2016. Il est toutefois à noter que les élections des gouverneurs ne suivent pas toujours cette tendance. À titre d’exemple, la Californie fut dirigée par un gouverneur républicain, Arnold Schwarzenegger, de 2003 à 2011, alors qu’elle offrit ses suffrages au candidat démocrate lors des présidentielles de 2004 et de 2008. Le choix des électeurs est parfois différent lors de ces scrutins pour le poste de gouverneur dans la mesure où la personnalité et le programme politique du candidat l’emportent souvent sur l’appartenance politique initiale des votants. En outre, pour des raisons stratégiques évidentes, les candidats présentés, qu’ils soient républicains ou démocrates, s’efforcent de nuancer leurs programmes afin que ces derniers attirent un électorat plus large, dépassant leurs bases partisanes. Voir par exemple l’article de Kevin Deutsch : « Why Blue States Elect Red Governors », Washington University Political Review, November 11, 2014, http://www.wupr.org/ 2014/11/11/why-blue-states-elect-red-governors/, site consulté le 17 juin 2017. Lors des élections de gouverneur en novembre 2016 (12 États étaient en jeu), les Républicains remportèrent le Missouri, démocrate depuis 2008, le New Hampshire, démocrate depuis 2004 et le Vermont, fief généralement démocrate depuis les élections présidentielles de 1992. Les Démocrates qui comptaient 8 gouverneurs avant ce scrutin essuyèrent donc 3 défaites de candidats sortants ; ils purent toutefois s’enorgueillir de remporter la Caroline du Nord qui était républicaine. Voir l’article de Louis Jacobson « Republicans Make Gains in Governors’ Races », Governing, November 9, 2016, http://www.governing.com/topics/elections/gov-2016-governors- races-results.html, site consulté le 17 juin 2017. Suite aux élections de gouverneurs de 2016, les Républicains comptent désormais 33 gouverneurs. Voir l’article de Stephen Wolf « Republicans Now Dominate State Government with 32 Legislatures and 33 Governors », Dailykos, November 14, 2016, http://www.dailykos.com/ story/2016/11/14/1598918/-Republicans-now-dominate-state-government-with-32-legislatures- and-33-governors, site consulté le 16 juin 2017. 9. Micah Cohen, « In California Growing Diversity First Made Its Mark », The New York Times, October 8, 2012, http://fivethirtyeight.blogs.nytimes.com/2012/10/08/in-california-growing- diversity-first-made-its-mark/?_r=0, site consulté le 1er septembre 2016. 10. Brett Barrouquere, « How Texas Became a GOP Stronghold », September 6, 2016, http:// www.chron.com/news/politics/article/Turning-Red-How-Texas-became-a-GOP- stronghold-9205271.php, site consulté le 15 octobre 2016. Voir également Lauren Fox, « Why Texas Could Remain a Republican Stronghold for Another Generation », The Atlantic, November 12, 2014, http://www.theatlantic.com/politics/archive/2014/11/why-texas-could-remain-a- republican-stronghold-for-another-generation/445773/, site consulté le 15 octobre 2016.

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11. « Texas Voting History », http://www.270towin.com/states/Texas, site consulté le 1er septembre 2016. Il est à noter que Reagan quitta officiellement le Parti démocrate en 1962, même si dès 1952 il se mit à soutenir la candidature d’Eisenhower, puis celle de Nixon en 1960, craignant que Kennedy ne favorise le développement d’idées communistes dans le pays. Reagan sera élu gouverneur de Californie le 8 novembre 1966 sous l’étiquette républicaine. De même, Hillary Clinton état une « Goldwater Girl » en 1964 avant de devenir démocrate après l’assassinat de Martin Luther King Jr. le 4 avril 1968. 12. http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/tx/ texas_trump_vs_clinton-5694.html, site consulté le 1er septembre 2016. 13. « How Texas Became a Red State », PBS, April 12, 2005. http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/architect/texas/realignment.html, site consulté le 2 septembre 2016. 14. Il est également à noter que certains États qui offrent peu de Grands Électeurs (Alaska, Dakota du Nord, Dakota du Sud, Delaware, Montana, Vermont, Wyoming) sont parfois quelque peu laissés de côté pour des raisons purement comptables, leur gain ou leur perte affectant peu le résultat final. À titre d’exemple, la Californie et ses 55 Grands Électeurs représente plus de 20% des Grands Électeurs requis (270) pour remporter l’élection. 15. Champs de bataille. 16. Comme l’État n’est pas encore attribué, il est « violet », soit le mélange du rouge républicain et du bleu démocrate. 17. « Portrait of a Swing State », http://www.dailyemerald.com/2004/10/04/portrait-of-a-swing- state/, site consulté le 8 octobre 2016. 18. Duncan Watts, Edinburgh University Press, Edinburgh, Scotland, 2010. Voir également William G. Mayer, The Swing Voter in American Politics, The Brookings Institution, Washington DC, 2008. 19. Pour plus d’informations sur l’élection présidentielle de 2000 en Floride, voir Jeffrey Toobin, Too Close to Call: The Thirty-Six Day Battle to Decide the 2000 Election, New York, Random House, 2002 ou Richard L. Hasen, The Voting Wars: From Florida 2000 to the New Election Meltdown, New Haven, Yale University Press, 2013. 20. « 2000 Popular Vote Totals », http://www.archives.gov/federal-register/electoral-college/2000/popular_vote.html, site consulté le 2 septembre 2016. 21. Alan Rappeport, Matt Flegenheimer, « With 100 Days to Go, Candidates Take Fight to Battleground States », The New York Times, July 29, 2016, http://www.nytimes.com/2016/07/30/ us/politics/democrats-campaign-hillary-clinton.html, site consulté le 2 septembre 2016 ; Amber Phillips, « Forget the Old Battleground Map—2016’s Is Brand New. And Republicans Aren’t Going to Like It », The Washington Post, August 12, 2016, https://www.washingtonpost.com/news/the- fix/wp/2016/08/12/forget-the-old-battleground-map-2016s-is-brand-new-and-republicans- arent-going-to-like-it/, site consulté le 2 septembre 2016 ; Tessa Berenson, « Clinton Surging Ahead of Trump in Battleground States, Polls Show », Time, August 12, 2016 ; Reuters, « Donald Trump Is Losing Key Swing States To Hillary Clinton », Newsweek, August 24, 2016, http:// europe.newsweek.com/clinton-trump-leads-swing-states-ohio-florida-virginia-polls-2016- election-493317?rm=eu, site consulté le 2 septembre 2016. 22. Charlie Mathesian, « What Are the Swing States in 2016? », Politico, June 15, 2016, http:// www.politico.com/blogs/swing-states-2016-election/2016/06/what-are-the-swing-states- in-2016-list-224327?lo=ap_e1, site consulté le 2 septembre 2016. Le nombre entre parenthèses représente le nombre de Grands Électeurs, soit 146 au total. 23. Eric Ostermeier, « Why Ohio? The Numbers Don’t Lie (Bellwether States Revisited »), Smart Politics, June 19, 2012,

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http://editions.lib.umn.edu/smartpolitics/2012/06/19/why-ohio-the-numbers-dont-lie/, site consulté le 2 septembre 2016. 24. http://www.georgetowner.com/articles/2016/sep/08/all-about-politics-ohio-goes-so-goes- nation/, site consulté le 15 octobre 2016. 25. « Florida Voting History », http://www.270towin.com/states/Florida, site consulté le 21 octobre 2016. 26. Soit à la date du 21 octobre 2016. 27. Colorado (50,75% pour Bush et 42,39% pour Gore ; Floride (48,85% pour Bush et 48,84% pour Gore) ; Nevada (49,52% pour Bush et 45,98% pour Gore) ; Caroline du Nord (56,03% pour Bush et 43,20% pour Gore) ; Virginie (52,47% pour Bush et 44,44% pour Gore). Voir http://uselectionatlas.org/RESULTS/national.php?year=2000, site consulté le 2 septembre 2016. 28. Colorado (51,69% pour Bush et 47,02% pour Kerry ; Floride (52,10% pour Bush et 47,09% pour Kerry) ; Nevada (50,47% pour Bush et 47,88% pour Kerry) ; Caroline du Nord (56,02% pour Bush et 43,58% pour Kerry) ; Virginie (53,68% pour Bush et 45,48% pour Gore). Voir http://uselectionatlas.org/RESULTS/national.php?year=2004, site consulté le 2 septembre 2016. 29. Colorado (53,66% pour Obama et 44,71% pour McCain ; Floride (50,91% pour Obama et 48,10% pour McCain) ; Nevada (55,15% pour Obama et 42,65% pour McCain) ; Caroline du Nord (49,70% pour Obama et 49,38% pour McCain) ; Virginie (52,63% pour Obama et 46,33% pour McCain). Voir http://uselectionatlas.org/RESULTS/national.php?year=2008, site consulté le 2 septembre 2016. 30. Nelson Polsby, « How Air Conditioning Created the Modern Republican Party », The Washington Post, January 19, 2010, http://voices.washingtonpost.com/ezra-klein/2010/01/ how_air_conditioning_created_t.html, site consulté le 15 octobre 2016. 31. 50,39% pour Romney contre 48,35% à Obama. Voir http://uselectionatlas.org/RESULTS/national.php?year=2012, site consulté le 2 septembre 2016. 32. En 2015, 25% en Floride ; 24,3% dans le Nevada ; 28,8% en Caroline du Nord et 31,4% en Virginie. Source : US Census Bureau, 2015. 33. http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president, site consulté le 19 octobre 2016. 34. « The Missing Story of the 2014 Election », Chris Ladd, GOPLifer, November 10, 2014, http:// blog.chron.com/goplifer/2014/11/the-missing-story-of-the-2014-election/, site consulté le 14 octobre 2016. 35. « The Last Word with Lawrence O’Donnell for Monday, November 17th, 2014 », http:// www.nbcnews.com/id/56449232/, site consulté le 14 octobre 2016. 36. Chris Weigant, « A Hard look at the Big Blue Wall ». Voir également Cliston Brown, « In 2016, GOP Faces Daunting Task of Breaching the ‘Blue Wall’ », The Observer, October 9, 2015, http:// observer.com/2015/09/in-2016-gop-faces-daunting-task-of-breaching-the-blue-wall/, site consulté le 19 octobre 2016, John Ibbitson, « The Wall in Trump’s Way: It’s Blue, and It Favours Democrats », The Globe and Mail, September 21, 2016, http://www.theglobeandmail.com/opinion/ the-wall-in-trumps-way-its-blue-and-it-always-votes-democrat/article31988032/, site consulté le 18 octobre 2016. Voir aussi Martin Schram, « Donald Trump May Topple ‘Blue Wall’ Before Building Border Wall, The Kansas City Star, July 9, 2016, http://www.kansascity.com/opinion/opn- columns-blogs/syndicated-columnists/article88694077.html, site consulté le 19 octobre 2016. 37. Parallèlement à cela, il existe les « Red Wall States » : l’Alabama (9), l’Alaska (3), l’Arizona (11), la Caroline du Nord (15), la Caroline du Sud (9), le Dakota du Nord (3), le Dakota du Sud (9), la Géorgie (16), l’Idaho (4), l’Indiana (11), le Kansas (6), le Montana (3), le Mississippi (6), le Nebraska (5), l’Oklahoma (7), le Texas (38), l’Utah (6) et le Wyoming (3). Ils représentent 164 grands

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électeurs. Voir Ed Morrissey, Going Red; The Two Million Voters Who Will Elect the Next President and How Conservatives Can Win Them, Crown Forum, New York, 2016. 38. « Pennsylvania Voting History », http://www.270towin.com/states/Pennsylvania, site consulté le 2 septembre 2016. 39. « Wisconsin Voting History », http://www.270towin.com/states/Wisconsin, site consulté le 2 septembre 2016. 40. http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president, site consulté le 19 octobre 2016. 41. http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/mi/ michigan_trump_vs_clinton-5533.html#polls, site consulté le 19 octobre 2016. 42. http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/pa/ pennsylvania_trump_vs_clinton-5633.html#polls, site consulté le 19 octobre 2016. 43. http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/wi/ wisconsin_trump_vs_clinton-5659.html#polls, site conulté le 19 octobre 2016. 44. Editorial Board, « Time to End the Electoral College », The New York Times, December 19, 2016, https://www.nytimes.com/2016/12/19/opinion/time-to-end-the-electoral-college.html?_r=0, site consulté le 17 juin 2017. Voir également Amy Sherman, « The Electoral College vs. The Popular Vote: Could States Do an End-Run Around the Current System », Politifact, November 17, 2016, http://www.politifact.com/florida/article/2016/nov/17/electoral-college-vs-popular-vote- could-states-a/, site consulté le 17 juin 2017. 45. Voir l’article de Louis Nelson : « Trump Claims He Could Also Have Won the Popular Vote, If He Wanted To », Politico, December 21, 2016, http://www.politico.com/story/2016/12/trump- electoral-college-win-tweets-232879, site consulté le 17 juin 2017. 46. Philip Bump, « Why Did Trump Lose the Popular Vote? Because He Didn’t Care About It. And Because They Cheated », The Washington Post, January 26, 2017, https:// www.washingtonpost.com/news/politics/wp/2017/01/26/why-did-trump-lose-the-popular- vote-because-he-didnt-care-about-it-and-because-they-cheated/?utm_term=.ac00d32e70fd, site consulté le 17 juin 2017. 47. Andrew Mercer, Claudia Deane, Kyley McGeeney, « Why 2016 Election Polls Missed their Mark », Pew Research Center, November 9, 2016, http://www.pewresearch.org/fact-tank/ 2016/11/09/why-2016-election-polls-missed-their-mark/, site consulté le 17 juin 2017. Voir également Steve Lohr, Natasha Singer, « How Data Failed Us in Calling an Election », The New York Times, November 10, 2016, https://www.nytimes.com/2016/11/10/technology/the-data-said- clinton-would-win-why-you-shouldnt-have-believed-it.html, site consulté le 17 juin 2017 ; Ashley Kirk, Patrick Scott, « How Wrong Were the Polls in Predicting the US Election and Why Did They Fail to See Trump’s Win? », The Telegraph, November 17, 2016, http://www.telegraph.co.uk/news/ 2016/11/09/how-wrong-were-the-polls-in-predicting-the-us-election/, site consulté le 17 juin 2017.

ABSTRACTS

Contrary to some States such as California or Texas where Democrats or Republicans usually win the election in terms of popular votes—the Golden State is traditionally a Democratic stronghold and the Lone Star State votes traditionally for the GOP—, the “Swing States” also known as “Battleground States” often vary from one presidential election to the other but play a key-role

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in choosing the new president. Florida in 2000 and Ohio in 2004 are cases in point. Just a few months before the general election of November 8, 2016, former Secretary of State Hillary Clinton and New York real estate magnate Donald Trump waged a fierce battle in 11 Swing States —in the Sunbelt and in the Blue Wall States—which were supposed to determine the election of the 45th President of the . Which are the 2016 Swing States? What are their features? Did they play a key-role during this election?

Contrairement à certains États comme la Californie ou le Texas dans lesquels les Démocrates ou les Républicains ont l’habitude de remporter l’élection en termes de voix (le Golden State vote traditionnellement démocrate et le Lone Star State vote pour le GOP), les « Swing States » ou « Battleground States » balancent entre Républicains et Démocrates d’une élection à l’autre et décident très souvent du nouveau président. La Floride en 2000 ou l’Ohio en 2004 en sont des exemples caractéristiques. Quelques mois avant l’élection présidentielle du 8 novembre 2016, Hillary Clinton et Donald Trump ont mené une bataille féroce dans 11 États cruciaux, ceux de la Sunbelt et certains du « Blue Wall States », censés faire basculer l’élection du 45 ème président des États-Unis. Quels étaient ces États ? Quelles sont leurs caractéristiques et ont-ils été déterminants lors de ce scrutin ?

INDEX

Mots-clés: Élection présidentielle 2016, Bastion ; « Swing States », « Battleground States », « Blue Wall States » Keywords: 2016 General Election; Stronghold; ‘Swing States, ’ ‘Battleground States, ’ ‘Blue Wall States.’

AUTHOR

FRÉDÉRIC ROBERT

Université Jean Moulin-Lyon III

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The Latino Vote : Toward More Polarization?

Olivier Richomme

AUTHOR'S NOTE

Parts of this article will be published as Olivier Richomme, “A Catholic Latino Vote?”, In Rozell, Mark J., Gayte, Marie, Cheleni-Pont, Blandine (eds.), Catholicism and US Politics After the 2016 election: Understanding the “Swing Vote”, Palgrave Macmillan, 2017, pp. 161-192.

Introduction

1 Ethno-racial categories are composed of many groups.1 That is why the Latino community has been described as heterogeneous. Yet, the Latino identity operates socially in a cohesive manner in the US because of internal and external factors. The internal factors are historical in the sense that people in Latin America have a common language that, in spite of national and regional differences, allows for the sharing of cultural goods, ideas and worldviews. They share this cultural heritage because they share a common history of colonization by Spain.2 Colonization and fights for independence, along with a complicated relationship with the US that has always perceived the western hemisphere as its zone of influence, have brought a sense of commonality in many Latin American countries.3 And in the US, as Douglas Massey and Magaly R. Sánchez have shown in their book Brokered Boundaries, people of Latin American origin have faced an external force in the form of an anti-immigration discourse that explains, in part, their sense of identity as a community: “For Latin American immigrants in the United States today, the processes of assimilation and identity formation are unfolding within a context characterized by an exceptional degree of anti-immigrant framing and immigrant-isolating boundary work. The tail wagging the dog is undocumented migration.” (Massey and Sanchez, 2010, p. 24)

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2 Therefore there is such a thing as a Latino community. And this community, at the mass level, has distinct policy concerns (Martinez-Ebers et al. 2000; Fraga et al., 2007). Immigration is only one of many issues but it carries “tremendous emotional weight and is inevitably tied to these other issues” (Rouse 2016, p. 45). That is why immigration remains a rallying cry for Latinos and crucial policies such as the Deferred Action for Childhood Arrivals (DACA) represent great mobilization tools (Barreto and Collinwood 2015). These internal and external factors help explain why scholars have identified a “Latino vote” (DeSipio 1996; Abrajano and Alvarez 2010; García 2012; Barreto and Segura 2014).

3 But while a lot has been written about the Latino community and its role in American politics there remain some misconceptions. Some of them are the idea that the Latino vote could be equated with a Catholic vote or that Latinos have reached such a demographic level that they have become an electoral giant. While this statement may be true locally, it is far from being the case nationally because of such factors as their geographical concentration, low citizenship rate and even lower turnout. Besides, important presidential election swing states, such as Florida, provide a contrasting picture. However, there appears to be a long-term trend in which Latino numbers are increasing in many parts of the country and help elect more Latinos into office. Moreover, Latinos are changing American politics because they tend to prefer the Democratic Party. Far from disproving the salience of the Latino vote, the election of Donald Trump might actually reinforce the confluence of racial and partisan polarization.

1 - The Potential Impact of the Latino Vote

4 A persistent misconception about Latinos is that they are an electoral giant. While this may be true locally in a city like Los Angeles, it is not the case nationally, at least not yet. The Latino community has become a demographic giant and at the same time, at the national level, it is still an electoral dwarf. While in 1980 the Latino population comprised only 14.5 millions, according to the census, in 2015 it represented almost 18% of the US total population.4 Estimates also indicated that of the 57 million Latinos in the US in 2016, 27 millions were of voting age, that is about 16% of the electorate (Griffin et al. 2015). Yet only about 17 million Latinos were estimated to register to vote and less than 14 million were actually expected to vote in 2016 (NALEO 2016). Actually, according to the Current Population Survey, a grand total of 12.7 million Hispanics (of any race) voted in 2016 out of 15.2 millions who registered, for total voting age population of 26.6 million.5 These were disappointing numbers for the community.

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Figure Estimate of total Latino electorate, NALEO

5 In 2016 the Latino Voting Age population was estimated to represent 12.5% of the total voting age population. But the registered number of Latinos only represented 10.4% of the total registered population and the number of Latinos projected to vote was only 10% of the American electorate going to the polls.

Figure Estimated Latino electorate impact as percentage of general electorate

6 To put it differently, projections estimated that about 12 million Latinos would not vote in 2016. This makes Latinos by far the largest reservoir of votes in the US that both major parties should try to tap into, especially since Latino numbers keep increasing in total numbers and as a share of the electorate. In that sense, Latinos represent the future of American politics. And the battle over this untapped potential should drive both major parties agenda for the foreseeable future. Over the past 20 years the GOP instrumentalized anti-immigrant, and anti-Latino sentiment for local electoral gains but demographics suggest that this strategy is becoming more dangerous and counterproductive with each election cycle (Robinson et al. 2016).

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Figure 3 Estimate of total number of Latinos not voting, in millions

7 Indeed this steady increase in the Latino vote has the potential to be very impactful in the context of other groups’ decrease in total votes. Except in 2016, for the first time since 1980, the Euro-American share of the electoral did not decrease (it remained at its 2012 level of 73%).6

Figure 4 Net Vote Evolution per Race/ethnicity, in thousands. Source: Community Survey Population

2 - The Structural Constraints of the Latino Vote

8 What are some of the reasons that explain the relative weakness of the Latino community as a voting group? First, to be eligible to vote, one needs to acquire US citizenship. Many Latinos were born abroad, even if that percentage is decreasing.7 In 2014, 27.7% of foreign- born Americans were born in Mexico. 35% of the Latino population (19 million people) were born outside the US while 65% were born in the US (36 million people). The foreign-born rates for other ethno-racial groups were 4% for Euro-Americans, 8.6% for African-Americans and 67% for Asian-Americans (Brown and Stepler 2016).

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Figure 5 Percentage of foreign-born Latinos, US Census

9 In 2015 74% of Latinos eligible to become US citizens decided to naturalize. That is the highest percentage of naturalization among Latinos in 2 decades. However, only 42% of Mexicans opted to do so. A historically high mark for that community but still very low to really have an impact on the electoral process (Gonzalez-Barrea, 2017). 10 The second reason for this low electoral impact is that one needs to be 18 years old to be eligible to vote in the US and the Latino community is on average much younger than the rest of the population or other ethno-racial groups (Patten 2016). Figure 8 shows the median age according to race/ethnicity.

Figure 6 Median age by racial/ethnic group

11 The fact the Latino population is on average younger than the rest of the country means that fewer people are over 18 years of age and therefore eligible to vote. However, when they are above 18 years old Latino minors are on average younger than minors in the rest of the population. According to the Pew Research Center the vast majority of Latino youths (93% of them) are U.S-born citizens and therefore will automatically become eligible to vote once they turn 18. It is estimated that every year about 800,000 Latinos turn 18. By 2030, this number could grow to 1 million per year,

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adding a potential electorate of more than 16 million new Latino voters to the rolls by 2030 (Taylor et al. 2016).

Figure 7 2016 estimate of generation percentage in electorate by

12 In 2016, however, millennials represented the single largest cohort of eligible voters for the Latino community (Krogstad 2016). This has important electoral consequences since young people register and turn out at much lower rates than older people. Voting rates have historically depended on an array of demographic factors, and age is one of them. In 2012, the overall population turnout rate of 18 to 24 year-olds was 34.5% while that of 65 to 75 year olds reached 60% (Current Population Survey 2013). As a result, an older community has an electoral built-in turnout advantage.

Figure 8 2012 registration and turnout rate by age group

13 As a consequence, the third reason that the Latino vote remains much weaker than its total population numbers might suggest is that registration rates, in spite of massive registration drive efforts on the part of activists over the years, have remained extremely low. Since 1992 it has hovered around 58% and never exceeded 60%, while Euro-Americans and African-Americans have registered at rates superior to 70%.

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Figure 9 Latino registration rate by presidential election year

14 This low registration rate is combined with an anemic turnout rate. The Latino turnout rate has never gone over 50%. Latinos and Asians are the two groups that lag consistently in turnout rate when compared to Anglos or African-Americans. Moreover, during midterm elections, all groups suffer from a 20 point drop, and Latino turnout rates can dip below 30%.

Figure 10 Turnout rate by racial/ethnic group

15 Combined, all these factors help explain why the Latino electorate is at a disadvantage compared to Euro-Americans and African-Americans. For instance, in 2012, Latinos lagged behind Euro-Americans and African-Americans in terms of both registration and turnout rate among registered voters and eligible voters.8

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Figure 11 2012 electoral participation per ethno-racial group

16 Finally, one of the main reasons why the Latino electorate has had a moderate impact on the presidential election is that Latino populations are highly concentrated in uncompetitive states such as California and Texas.

Figure 12 Latino population concentration per state, based on 2015 census estimates

17 This concentration has even more dire consequences in midterm elections. According to Nate Cohn, in 2014, Latinos represented less than 5% of eligible voters in nine of the 10 most competitive Senate states, and about 2.4% of the people who actually voted. The situation is almost as problematic in the House of Representatives where half of all Latinos live in just 65 of the nation’s 435 congressional districts. Cohn estimated the Latino population share of the eligible electorate in the 2014 House battlegrounds to be 7.4% (Cohn 2015). 18 Only a handful of swing states have Latino population that can have a real electoral impact during the presidential elections as the percentage of Latino voting age citizens is superior to 5% in only three traditional battleground states: Nevada, Colorado, and Florida.

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Figure13 Latino voting age population estimates in swing states, based on 2015 census estimates

3 - The Florida Exception

19 Nevada and Colorado have voted for the Democratic Party in each of the last three presidential cycles but their electoral college votes only amount to 15. On the other hand, Florida, with 29 Electoral College votes, is by far the largest swing state in which Latinos can impact the presidential election. But Florida is not representative of the Latino population in the rest of the nation. In 2016, the Latino population of the state was composed, roughly speaking, of 30% Cubans, 30% Porto Ricans and 30% other, with Mexican-Americans only accounting for about 10% (López and Stepler 2016).

Figure 14 Florida Latino population breakdown by national ancestry, 2016

20 The overall trend, however, shows a decrease of the share of the Cuban population in the Florida Latino population over the past 30 years.

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Figure 15 The changing composition of the Florida Latino population since 1990

21 This is important because Cubans and Puerto Ricans do not see immigration issues in the same light as Mexican Americans. Unlike foreign immigrants, Puerto Ricans arrive as citizens because of the island’s status as a US territory. As residents of the island, they cannot vote in the general election, but once they relocate to a US state they can establish residency and become registered to vote. Thanks to the 1966 Cuban Adjustment Act almost all Cuban migrants have been admitted under a special parole power exercised by the U.S. Attorney General that instantly grants them full legal status and puts them on a path to U.S. citizenship. And historically speaking Cubans have supported the Republican Party because of its tough position toward the Castro regime.9 For this reason the Florida legislature is an exception in the Union because its Latino caucus is mostly republican. 22 Moreover, Cubans have the highest turnout rate (67.1% in 2012) of all Latinos (Current Population Survey 2013). By comparison the Mexican American turnout rate was 44% that same year and 52.8% for Puerto Ricans. However, Cuban support for the Republican Party has eroded over the years (Krogstad 2014). According to the national exit polls in 2004, 78% of Cuban Americans voted for George W. Bush, while in 2012, the Cuban vote in Florida was split 49-47 between Barack Obama and Mitt Romney. In 2016 the split seemed to continue (Krogstad and Flores 2016). This drop in popularity can be seen in the evolution of partisan affiliation of registered Latinos.10

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Figure 16 Evolution of partisan affiliation of newly registered Latinos, 2006-2016

4 - Correlation Between Racial Polarization and Partisan Polarization

23 Exit polls consistently show the African American vote to be around 90% for the Democrats in presidential elections and the Latino Vote to hover around 70% for the same party. At the same time African American and Latino voters consistently prefer voting for a member of their own community. Because of the lack of diversity in the Republican candidate field in most states, this “identity vote” is de facto a Democratic vote. For this reason Bruce Cain declared that racial polarization and partisan polarization have become “two sides of the same coin” (Cain, 2013).

24 What characterizes the Florida Democratic coalition is that it has both a large Latino population and a large African American population. The following maps indicate that there was a strong correlation between the percentage of Euro-Americans in a county and Mitt Romney’s margin of victory in 2012. Obama won only one county in which the Anglo population was superior to 79%. But he only won Monroe County by less than 200 votes. The odds of Obama winning a county increased as the Anglo population got closer to 70%. Obama got 70% of the vote in Gadsden County, his best result in the state, in a county that was in 2010 36% Anglo.11

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Figure 17 Florida Anglo population concentration by county 2010 census

Figure 18 Florida presidential election results 2012 by county

25 Such obvious ethno-racial and partisan polarization has had tremendous consequences since GOP operatives have used ethno-racial affiliation as a proxy for partisan affiliation. As in other states controlled by Republicans, the decrease in the popularity of the Republican Party among Latinos in Florida has led the GOP to pass measures intended to discourage minorities to go to the polls, with seemingly significant results (Herron and Smith 2014). The correlation between partisan affiliation and ethnic/racial affiliation has led the GOP to conclude that it was in its electoral interest to demobilize segments of the electorate (Fox Piven et al. 2008; Haygood 2012; Levitt 2012; Gonzales 2012). On May 19, 2011, Florida Governor Rick Scott signed into law Florida’s notorious House Bill 1355 which prevented ex-felons from being able to cast a ballot after serving their time, cutting back early voting from fourteen to eight days, and severely restricting voter registration drives (Herron and Smith 2013). Meanwhile, the state conducted a controversial statewide voter purge that attempted to eliminate individuals not legally entitled to cast a ballot from voter rolls (Ellement 2014). These measures were added on top of a non-strict voter ID law on the books since 1977.12

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5 - 2016: The Actual Impact of the Latino Vote

26 In 2016, Hillary Clinton lost Florida by about 113,000 votes, that is 1.2% of state votes. However, Florida ended up not being the most crucial state since even without Florida, Donald Trump would still have reached 270 electoral votes because of his very narrow margins in Wisconsin, which he won by 22,748 votes (that is 0.77% of the votes), Michigan, which he won by 10,704 votes (that is 0.22% of the votes) and Pennsylvania which he won by 44,292 (that is 0.72% of the votes). In those states Latinos represented 3.6%, 3.1% and 4.5% of eligible voters. The Electoral College gives an enormous advantage to swing states and it so happened that in 2016 the most crucial swing states where states with small Latino populations. Hillary Clinton won the popular vote by almost 3 million votes but received 224 Electoral College votes. To say it differently, she received 48% of the vote but 42% of the Electoral College. On the other hand, Donald Trump received 46% of the votes but 56% of the Electoral College votes (307). In the most populous state, California, the state with the largest Latino population of the Union, she won by a whopping 30% and received 4.3 million votes more than her opponent. In a winner-take-all voting system, however, these votes do not count.

27 In 2016, the Republicans did not need the Latino vote to win.13 Yet, it was one of the closest elections in the history of the nation and it probably could not be replicated. First of all, because the margins in Wisconsin, Michigan and Pennsylvania were extremely narrow and represented a worst-case-scenario breakdown of the Democrats’ “blue wall”. Secondly, because the unpopularity of the Republican brand among Latinos is at an all-time low and may not improve during a Trump presidency (Sargent 2016). Finally, because the Latino population in the US keeps increasing and by 2020 their presence might shake up the electoral map. For instance, 31% of the population of Arizona was estimated to be Latino in 2016, representing 21.5% of the electorate. Hillary Clinton lost Arizona by 3.5% whereas Obama had lost it by almost 10% in 2012 and 2008. In the same vein, Clinton lost Texas, a non-competitive state where none of the candidates campaigned and a state in which 28.1% of eligible voters in 2016 were Latinos, by less than 10%. 10% is still a comfortable margin but an improvement from 2012 when Obama lost by 16%. Making Texas, and its 36 Electoral College votes, competitive again has been the Holy Grail for the Democratic Party for some time and it is not beyond the realms of possibility. Since 2000, the fastest-growing segment of the Latino population has been in southern metropolitan areas. When combined with the African-American vote, this growing Latino presence already helped flip Virginia and made North Carolina competitive. So the argument that this demographic evolution is bound to benefit the Democrats is still solid. It does not mean, however, that Democrats should take the Latino vote for granted or clear the field for a historically unpopular Washington insider again. 28 Exit polls estimated that 17% of voters in Florida in 2016 were Latinos, which of course is probably too high considering that they represented only 18% of eligible voters. The problem with exit polls is that they are notoriously unreliable when it comes to Latinos. As soon as the 2016 Exit Polls were released they were at the heart of a controversy because they estimated that Latinos voted for Donald Trump at a rate of 28% while 66% voted for Hillary Clinton.14 The polling firm Latino Decisions, co-founded by UCLA professor Matt Barreto, estimated that only 18% of Latino voters chose the GOP in 2016 (Sanchez and Barreto 2016). This was confirmed by another study by Francisco Pedraza

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and Bryan Wilcox Archuleta. Using Ecological Inference they estimated that 77% of Latinos in Texas voted for Hillary Clinton and 19% vote for Trump as opposed to the 61-34 split presented by Exit Polls in that state (Pedraza and Wilcox Archuleta 2016). Their study suggests that Latinos voted Democrat at a rate of 80% in Arizona, California and Nevada.15 29 Before the election a Pew Research Center polls also showed that the Republican candidate would receive less than 20% of the votes and that support number was actually a dreadful 15% among Latino Millennials (Lopez et al. 2016).

Figure 19 Pew Research Center Poll August-September 2016

30 What these numbers suggest is that the Republican brand, or at least the particular candidate in 2016, was especially unpopular among young Latinos. As a consequence the future of the GOP among the next generation of voters is rather bleak. Furthermore, this rejection of the GOP by Latino youth indicates that the pattern of partisan polarization among Latinos might actually increase. Latinos do not vote Democrats at rates close to that of the African Americans but these polls and 2016 voting pattern analyses, along with the overall tone of the message by Donald Trump towards the Latino community, suggest that Latinos might feel repulsed by the GOP at the national level, which should, but may not necessarily, benefit the Democrats.

Conclusion

31 In an extremely tight 2016 presidential election the Latino vote does not appear to have been determinant. Nonetheless, demographics indicate that while being limited by high geographic concentration, low citizenship rates and low registration and turnout rates, the potential of the Latino vote is as strong as ever. In some states the Latino electorate cannot be ignored. At the national level, courting the Latino vote is poised to extend the electoral map and is still the best long-term calculation for the major parties. Alienating them is getting riskier with each election cycle and political context will determine how long the current GOP can survive on an electoral base that has been dangerously reduced.16 If immigration reform is as central an issue as some scholars have observed, the very uncertainty surrounding the future of Deferred Action for Childhood Arrival (DACA) and Deferred Action for Parents of Americans and Lawful

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Permanent Residents (DAPA), coupled with the national outcry surrounding Donald Trump’s first executive order on immigration and his subsequent plummeting approval ratings so early in his presidency (Agiesta 2017), does not bode well for the Republican Party and may well undermine its hope to regain popularity among the fastest growing segment of the American electorate.

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NOTES

1. I give the word ethno-racial the same meaning as historian David Hollinger in his description of the ethno-racial pentagon. David Hollinger, Post-Ethnic America, New York: Basic Books, 1995. According to the Directive 15 of the Office of Management and Budget, the Hispanic/Latino census category is an ethnic and not a racial category. However, from a practical standpoint, this category works as a racial category, especially in the field of public policies aimed at monitoring and fighting discrimination. 2. It is more complicated to talk about an Asian community in the US because of this lack of internal unifying factors such as a common language or a common history of colonization. 3. The very expression Latin America conveys this sense of commonality. 4. https://www.census.gov/quickfacts/table/PST045216/00 5. Current Population Survey 2016, Table 4.b. “Reported Voting and Registration, by Sex, Race and Hispanic Origin, for States: November 2016”. The total Latino population was estimated to reach 39 million out of which 26.6 millions were citizens. 6. Voting and Registration in the Election of November 2016, Census Bureau, May 102017, https:// www.census.gov/newsroom/blogs/random-samplings/2017/05/voting_in_america.html 7. People born in Puerto Rico are not considered foreign-born. 8. Eligible voter population includes people over 18 years old but excludes felons barred from voting. 9. This is consistent over the years in opinion polls, Guillermo J. Grenier and Hugh Gladwin, 2016 FIU Cuba Poll, http://cri.fiu.edu/research/cuba-poll/2016-cuba-poll.pdf 10. Florida Department of State, Election Division, Bookclosing Report – Regular, http:// dos.myflorida.com/elections/data-statistics/voter-registration-statistics/bookclosing/ bookclosing-reports-regular/;The registration numbers for 2016 are as of October 18 2016, http://dos.myflorida.com/media/697212/2016general_partyrace.pdf 11. This correlation held in 2012 in other southern swing states such as Virginia or North Carolina where Obama polled lower among Euro-Americans than his national average of 39% but he won Florida, Virginia and made North Carolina competitive. 12. A recent working paper studied elections from 2008-2012 and found that Latino turnout was 10.3% lower in states with strict photo identification requirements than in other states. The authors also found that the participation gap between eligible Latino and white voters increased from 5.3% to 11.9% in states with strict photo identification requirements. Zoltan Hajnal, Nazita Lajevardi, and Lindsay Nielson, “Voter Identification Laws and the Suppression of Minority Voters, ” Working Paper, University of California, San Diego, 2015, http://pages.ucsd.edu/ ~zhajnal/page5/documents/voterIDhajnaletal.pdf 13. Some might argue that the Latino vote played a role locally because the election was so tight. For instance, in Michigan the Latino turnout rate was 70% in 2012 for a total of 158,000 votes while it dropped to 36% in 2016 for a total of 74,000 votes. Or in Florida where the Latino turnout rate reached 62% in 2012 but only 54% in 2016 (Current Population Survey, 2017). 14. http://edition.cnn.com/election/results/exit-polls 15. Even without using ecological reference one can be suspicious of exit polls number just by looking at homogeneous precincts, that is precincts that are at least 90% Latino, to get a rough estimation. 16. During the 1980 presidential elections, the share of the Anglo vote was 88%. In 2012 it was 72%.

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ABSTRACTS

Much has been written about the Latino community and its role in American politics. Yet there remain some misconceptions. While they have become the largest ethno-racial minority in the country their political impact has remained limited at the national level due to their geographical concentration, low rate of citizenship and registration and even lower turnout rates. Yet, demographics suggest they probably hold the key to the electoral future of the two major parties. In 2016 Donald Trump was elected president in spite of harsh anti-Latino rhetoric. However his election was exceptional on many levels. Alienating the Latino community remains a dangerous gamble for the GOP in the long term because it could lead to more ethno-racial and partisan polarization that may hamper its electoral prospects.

INDEX

Mots-clés: vote latino, électorat latino, polarisation partisane, polarisation raciale, élections présidentielles 2016, Floride Keywords: Latino vote, Latino electorate, racial polarization, partisan polarization, 2016 presidential elections, Florida

AUTHOR

OLIVIER RICHOMME

Université Lyon 2

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Donald Trump et le vote évangélique

Mokhtar Ben Barka

1 Après un demi-siècle de mutisme et de réticence à s’impliquer dans la vie publique, les protestants évangéliques nord-américains sont revenus en force sur la scène politique, en votant en 1976 pour l’un des leurs, le baptiste Jimmy Carter, ancien gouverneur de Géorgie. Déçus par sa politique qu’ils jugeaient laxiste, la plupart d’entre eux ont rallié, quatre ans plus tard, les rangs de la droite chrétienne pour apporter un soutien massif au candidat républicain Ronald Reagan. Depuis le début des années 1980, ces protestants conservateurs s’imposent comme une force incontournable avec laquelle les grandes formations politiques du pays doivent composer. Représentant un quart de l’électorat américain (Wilcox 2000, p. 19), ils constituent l’une des bases électorales les plus fidèles du Parti républicain, au point qu’il est aujourd’hui très difficile pour un candidat d’obtenir l’investiture républicaine sans leur soutien.

2 En 2000, les évangéliques ont soutenu l’ancien gouverneur du Texas, George W. Bush – un « chrétien né de nouveau » (born again Christian) conformément aux exigences de la foi évangélique –, dans lequel ils ont trouvé un garant de l’ordre moral et donc un allié fidèle et puissant. Suite à la double victoire de G. W. Bush aux élections de 2000 et 2004, dont ils étaient en partie les acteurs, les évangéliques ont acquis la visibilité et la crédibilité nécessaires pour se faire une place au cœur de l’échiquier politique, un statut qu’ils devaient à leur forte mobilisation et aux importants moyens financiers et technologiques dont ils disposaient. 3 Lors de l’élection présidentielle de 2016, les évangéliques nord-américains se sont distingués par le soutien apporté à Donald Trump, le candidat républicain, de mémoire récente, le moins religieux. Leur ralliement au magnat de l’immobilier s’est opéré très tôt, et ce malgré la présence dans la course de candidats évangéliques, comme Ted Cruz, Marco Rubio, Mike Huckabee ou encore Ben Carson. Après avoir voté pour Ted Cruz (avec 33 % des voix) lors du caucus de l’Iowa qui a eu lieu le 1er février 2016, les électeurs évangéliques ont, quelques jours plus tard, reporté leurs voix sur Donald Trump ; notamment en Caroline du Sud, où le milliardaire républicain a obtenu 34 % du vote évangélique, soit 8 points de plus que Ted Cruz. Les résultats des élections du

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« Super Tuesday » (1er mars 2016), qui ont eu lieu simultanément dans 12 Etats ont confirmé le rapprochement entre Donald Trump et les évangéliques, d’autant que dans la moitié des 12 Etats concernés, l’électorat républicain est constitué en grande majorité de protestants évangéliques. Au final, Donald Trump a remporté les primaires ainsi que l’investiture du Parti républicain. Au-delà des conservateurs, beaucoup d’électeurs américains, cherchaient à barrer la route à Hillary Clinton, en votant pour Donald Trump. Ses victoires sont dues, dans une large mesure, aux voix des évangéliques qui l’avaient énergiquement aidé à se hisser au sommet jusqu’à l’élection du 8 novembre 2016 qui le sacra président des Etats-Unis. 4 Tout au long des primaires et de la campagne électorale qui a opposé Donald Trump à Hillary Clinton, de nombreux pasteurs évangéliques et dirigeants de la droite chrétienne ont apporté publiquement leur soutien au milliardaire républicain. Parmi ces personnalités, on trouve James Dobson, Michelle Bachmann, Robert Jeffress, Franklin Graham, Ralph Reed, Pat Robertson, Gary Bauer, Penny Nance, Tony Perkins. Mais la première personnalité évangélique à se rallier à Trump est Jerry Falwell Jr., fils du célèbre télévangéliste et fondateur de Liberty University à Lynchburg, en Virginie – une université privée et bastion des protestants évangéliques. Selon Jerry Falwell Jr., Donald Trump « [is] a successful executive and entrepreneur, a wonderful father, and a man who I believe can lead our country to greatness again. » Et Falwell d’ajouter, « let’s stop trying to choose the political leaders who we believe are the most godly because, in reality, only God knows people’s hearts » (Eekhoff 2016). 5 Pour séduire la communauté évangélique, Donald Trump a fait le 18 janvier 2016, à deux semaines du début des primaires républicaines dans l’Iowa, un discours devant 13 000 chrétiens évangéliques réunis à la Liberty University à Lynchburg. Une semaine avant le caucus de l’Iowa, l’homme d’affaires s’est rendu à l’église, acte peu ordinaire pour un non pratiquant, mais politiquement indispensable. L’opération de séduction s’est poursuivie tout au long de la campagne par des appels on ne peut plus explicites : « I love the Evangelicals ». Le choix par Donald Trump de l’évangélique Mike Pence en tant que co-listier, et l’adoption par le Parti républicain d’un programme incluant plusieurs propositions de Trump, notamment la révision du code de l’exonération fiscale, n’ont fait que renforcer les liens des évangéliques avec Trump. Selon une enquête publiée quelques jours avant le scrutin du 8 novembre par le Pew Research Center, 78 % des évangéliques blancs se disaient prêts à voter pour Trump. Les résultats des sondages menés à la sortie des urnes l’ont confirmé : Donald Trump a obtenu le vote de 81 % des évangéliques blancs (contre 16 % pour Hillary Clinton, soutenue par les évangéliques noirs et hispaniques) (Bailey 2016 ; Shellnutt 2016). 6 Le ralliement des évangéliques au milliardaire new-yorkais a pris tout le monde par surprise. A aucun moment, les observateurs (politologues, journalistes, leaders politiques) n’ont imaginé que les évangéliques allaient se rallier à un personnage dont la mégalomanie, l’ostentation et la vulgarité sont les marques de fabrique (Gabriel 2016). En outre, la campagne électorale de 2016 a été marquée par le manque de visibilité de la religion et des valeurs morales et familiales traditionnelles. 7 Après avoir expliqué comment Donald Trump se situe aux antipodes des valeurs morales défendues par l’électorat évangélique, cet article s’intéressera aux raisons du soutien des évangéliques au candidat républicain.

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Donald Trump : aux antipodes de l’idéal évangélique

8 Personne ne s’attend à ce que les évangéliques soutiennent un homme avec lequel ils n’ont rien de commun. Nul ne comprend comment la communauté évangélique peut voter pour un candidat dont le mode de vie et la personnalité sont diamétralement opposés aux valeurs chrétiennes. Comme le souligne le journaliste Jonathan Merritt, « Donald Trump is the living embodiment of what many evangelicals have spent their careers warring against » Merritt 2016). On retrouve le même étonnement chez le journaliste du New York Times, Peter Wehner, qui souligne le contraste entre Donald Trump et les évangéliques en ces termes : « Mr. Trump’s character is antithetical to many of the qualities evangelicals should prize in a political leader: integrity, compassion and reasoned convictions, wisdom and prudence, trustworthiness, a commitment to the moral good » (Wehner 2016).

9 En effet, le passé de Donald Trump est loin d’attester un fort attachement à la foi. Presbytérien non pratiquant, sa relation à Dieu est jugée « superficielle ». Qui plus est, il se vante de ne pas vouloir se repentir de ses péchés (Merritt 2106). Contrairement à George W. Bush qui est disposé aux démonstrations publiques de la foi, Donald Trump est peu enclin à l’expression rhétorique religieuse. Il parle rarement de Dieu et de la foi de façon spontanée ; il doit pour cela être sollicité. Non seulement il ne fait pas la différence entre les deux Testaments, mais il est incapable de citer correctement la Bible. De surcroît, le mot « hell » revenait souvent dans ses déclarations publiques. Or, l’usage de ce mot est considéré comme blasphématoire par tous les chrétiens évangéliques. La faible religiosité de Donald Trump ne semble pas donc déranger ses pieux sympathisants. 10 Jusqu’à tout récemment, Donald Trump a longtemps défendu le droit à l’avortement. Dans le discours qu’il a prononcé lors de la Convention républicaine de Cleveland, le magnat de l’immobilier a passé sous silence la question de l’avortement. C’était la première fois depuis 36 ans que cette question n’avait pas été évoquée dans un discours d’investiture du Parti républicain. Contrairement à Ted Cruz, Donald Trump s’était déclaré favorable au financement public de , une agence du planning familial. 11 Alors qu’ils défendent la « sainteté du mariage » et se plaignent du taux de divorce très élevé aux Etats-Unis, les évangéliques ont accepté de soutenir quelqu’un qui a divorcé deux fois. Outre le fait qu’il ait admis avoir brutalisé son ancienne épouse Ivana, il s’est vanté dans ses livres de ses multiples conquêtes féminines et de ses aventures extraconjugales. De plus, il a défrayé la chronique par ses propos sexistes et misogynes. Ainsi au lendemain du premier débat télévisé de la campagne, retransmis le 6 août 2015 par Fox News, il a fait référence, sur CNN, au cycle menstruel de Megyn Kelly, l’animatrice du débat. Dans un meeting, il s’est moqué d’un journaliste handicapé du New York Times. Pendant la campagne, il a accumulé les gaffes, les provocations et les excès en tout genre. Si ses dérapages sont tolérés par la plupart de ses sympathisants évangéliques, ils n’en suscitent pas moins l’indignation d’autres personnalités religieuses, tels que Russell Moore, le président du comité d’éthique de la Convention baptiste du Sud (Southern Baptist Convention), qui a qualifié Trump de « so openly and cavalierly vulgar, cruel, bigoted, dishonest, narcissistic, xenophobic and misogynistic – not to mention a notorious philanderer » (Rubin 2016). D’autres voix évangéliques se sont levées pour dénoncer la mégalomanie, l’ostentation, l’agressivité, le racisme de

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Trump qu’ils jugent contraires à l’éthique chrétienne. Parmi ses nombreux détracteurs, il y avait Max Lucado, Kirsten Powers, Jim Wallis, Brian MacLaren, Ronald Sider, , Beth Moore. 12 Chez les évangéliques, les jeux de hasard sont interdits. Or, Trump a fait une partie de sa fortune en investissant dans les casinos. Dans les années 1980 et 1990, il gérait plusieurs casinos à Atlantic City. Il a racheté le concours de Miss America, puis celui de Miss Universe. 13 Sur le plan politique, le parcours de Donald Trump est pour le moins chaotique : d’abord démocrate, il rejoint le Parti républicain pour soutenir Ronald Reagan, puis George H. W. Bush (père) qui a failli le prendre comme Vice-président des Etats-Unis. En 1992, il a soutenu le candidat indépendant Ross Perot (autre candidat milliardaire), puis il est redevenu démocrate pour s’opposer à George W. Bush, avant de revenir en 2012 chez les Républicains. 14 Certains ont été surpris par le ralliement des évangéliques à Trump car l’homme d’affaires n’a absolument aucun argument à faire valoir. Il n’a, à l’évidence, aucune légitimité à se poser en défenseur de la foi et de la morale chrétienne. S’ils continuent d’accorder de l’importance aux valeurs morales et familiales traditionnelles, les électeurs religieux bousculent l’ordre des priorités, privilégiant les questions d’ordre purement socio-économique. Les qualités de leaders du milliardaire new-yorkais semblent bel et bien l’emporter sur les valeurs morales chères au cœur des évangéliques. 15 Mais au fond, si les évangéliques avaient accepté d’apporter leur soutien à quelqu’un qui, à première vue, n’avait pratiquement rien de commun avec eux, c’est qu’ils espéraient malgré tout qu’une fois élu Donald Trump tiendrait la promesse de désigner un juge conservateur à la Cour Suprême des Etats-Unis (en remplacement du juge Antonin Scalia décédé en février 2016), capable de changer pendant longtemps l’orientation même de la société américaine. Il s’agissait-là de l’un des principaux enjeux de cette élection. C’est d’ailleurs ce que fit le président Trump en nommant le juge Neil Gorsuch. 16 En dépit de l’incommensurable écart entre Trump et les électeurs religieux, les évangéliques voyaient en lui un homme providentiel ayant pour mission de rétablir le peuple de Dieu à sa grandeur d’antan. C’était d’ailleurs ce à quoi ils s’attendaient lorsqu’ils s’étaient massivement mobilisés pour élire Ronald Reagan (1980-1988), puis George W. Bush (2000-2008). Il apparaît, en définitive, qu’il y a une « cohérence » dans le comportement électoral des évangéliques.

Pourquoi Trump séduit-il les électeurs évangéliques ?

17 Outre la promesse de nommer un juge conservateur à la Cour suprême, qu’est-ce qui a attiré les électeurs évangéliques chez Donald Trump ? Beaucoup sont séduits, non pas par son programme, mais plutôt par sa personnalité, et plus particulièrement par son audace, sa détermination et sa ténacité. Ils voient en lui un homme à poigne affranchi du politiquement correct, capable de défier les grandes puissances comme la Chine ou l’Iran. Ils apprécient tout particulièrement la volonté de Trump de restaurer la grandeur de l’Amérique d’antan, comme en témoigne l’un de ses slogans de campagne « Make America Great Again ». « Le rêve américain est mort, mais je vais le rendre

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meilleur, plus grand et plus fort qu’autrefois » répète-t-il. Pour ses partisans, la vanité et l’arrogance de Trump sont la preuve qu’il saura frapper fort, une fois président.

18 Tout comme les électeurs républicains les plus conservateurs, les évangéliques sont persuadés que la Chine, la Russie et bien d’autres pays ont profité du vide laissé par l’Amérique et que le président Obama a affaibli le pays en préférant la voie diplomatique à l’action militaire et en refusant de traiter les problèmes posés par les immigrants illégaux et les terroristes potentiels. Ils veulent, à la tête du pays, un homme conquérant qui défera le travail accompli par Barack Obama au lieu de chercher le consensus. C’est une aspiration que l’on peut comprendre dans une certaine mesure, à une époque où la capacité des Etats-Unis à régner à l’échelle mondiale n’est plus du tout ce qu’elle était il y a cinquante ans. A ce propos, Donald Trump avait promis de renforcer la sécurité américaine, pas nécessairement en déployant plus de troupes à l’étranger. 19 Dès le départ, Donald Trump s’est positionné comme le candidat « anti-système ». Il a construit sa campagne autour du rejet profond des élites au pouvoir et de leurs querelles d’appareil. « La candidature de D. Trump et son succès, note Anne-Lorraine Bijon, sont bâtis sur l’affirmation historique de son inexpérience totale en politique et le mépris dont il fait preuve à l’égard de tous les gouvernements précédents » (Bijon 2016, p. 89). Donald Trump attaque tout à la fois les gros bailleurs de fonds, les magazines conservateurs, Hollywood, le secteur financier et les lobbies – l’industrie pharmaceutique, l’industrie pétrochimique, l’agrobusiness. Ce sont eux, dit-il, et non le peuple, qui font et défont les lois du Congrès. D’où son appel vibrant à une refondation du corps politique débarrassé de l’influence des grands monopoles. Le schéma établi par D. Trump convient parfaitement aux classes populaires blanches qui se sentent méprisées et délaissées par l’Establishment. En outre, les conservateurs de tous bords détestent Barack Obama et voient chez Hillary Clinton une forme de continuité qu’ils rejettent. 20 La colère « anti-système » de Trump n’épargne pas l’Establishment républicain, notamment George W. Bush à qui il reproche de n’avoir pas protégé le pays, par exemple en empêchant les attentats du 11 septembre 2001 : « How did he keep us safe, when the World Trade Center, during his time in office, came down ». Concernant l’invasion de l’Irak qu’il a qualifiée de « big fat mistake », il a accusé le gouvernement Bush d’avoir menti : « They lied. They said there were weapons of mass destruction. There were none » (Donald Trump in Mehta 2016). Comme le note Anne-Lorraine Bijon, l’élection de 2016 « s’inscrit dans la continuité de plusieurs cycles électoraux qui portent la marque toujours plus visible d’un rejet massif de l’Establishment politique et médiatique » (Bijon 2016, p. 89). 21 Trump mise sur l’angoisse et la colère de la communauté évangélique et des classes moyennes blanches qui se sentent menacées par les évolutions du monde contemporain et dont la situation sociale ne cesse de se dégrader depuis les années 1990. Ces électeurs avec des revenus moyens, et parfois élevés, ont peur du terrorisme et sont intimement persuadés qu’Obama est trop laxiste à l’égard des étrangers – puisqu’il en est un. Ils sont persuadés que les Noirs jouissent d’avantages injustes dans l’Amérique d’Obama et que bientôt les Etats-Unis ne seront plus un pays de Blancs mais de métis. L’annonce de la montée du métissage entraîne immanquablement des crispations parmi ceux qui craignent la dissolution progressive de l’identité nationale. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent du déclin de la population blanche, jusqu’à

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présent majoritaire, d’autant que le bureau du recensement prévoit que d’ici à 2050 les Blancs non hispaniques représenteront moins de la moitié de la population du pays (Roberts 2009). 22 Donald Trump leur promet de mieux les traiter et de les protéger. Pour ce faire, il appelle à l’expulsion d’environ 12 millions de clandestins, et promet d’ériger un mur tout le long de la frontière mexicaine, se faisant même fort de le faire financer par les autorités de ce pays voisin. Il a également déclaré vouloir interdire aux musulmans l’entrée sur le territoire américain. Ses diatribes contre les immigrés mexicains, les réfugiés syriens, les musulmans, mais aussi le personnel politique, sont en réalité une mise en scène permanente des peurs et du ressentiment qui habitent une partie de l’électorat du pays. Ainsi que le dit le journaliste Jeet Heer, « Fear is the very essence of » (Heer 2016, p. 43) . 23 Cela dit, on remarque que ce n’est pas la première fois qu’un candidat que beaucoup considèrent comme populiste et démagogue se présente aux élections présidentielles. Il y a eu George Wallace, le gouverneur de l’Alabama, en 1968 ; Ross Perot, un homme d’affaires en 1992 et quatre ans plus tard, , un ex-conseiller du président Richard Nixon. Comme eux, Donald Trump a adopté une rhétorique incendiaire et un ton apocalyptique pour décrire une Amérique au bord du gouffre. Les discours axés sur le supposé « déclin » du pays, et les menaces que représentent l’immigration illégale, les traités de libre-échange, ou le terrorisme ont une résonance particulière chez les évangéliques (Posner 2017). Le ton adopté par Donald Trump cadre bien avec la vision eschatologique et apocalyptique qui caractérise la foi évangélique. En promettant de rendre aux Etats-Unis leur grandeur d’antan, il fait figure de « sauveur » (le messie). 24 Dans le même ordre d’idée, le mode binaire qui sous-tend la rhétorique et la vision du monde de Trump est en adéquation avec l’approche évangélique qui considère que le monde est un champ de bataille cosmique opposant les forces du Bien aux forces du Mal. Le monde de Trump est fait de gagnants et de perdants, de bons et de méchants. Les ennemis de l’Amérique sont clairement identifiés : à l’intérieur, c’est Obama ; à l’extérieur, ce sont la Chine, l’Iran, les migrants, les terroristes. 25 Les évangéliques sont séduits par le message de Donald Trump, qui a cette particularité d’être simple, clair et direct (Horsey 2016 ; Hurt 2016, p. 2). Il dit ce qu’il pense, se moque du « politiquement correct » et n’a peur de rien. Il ne fait aucune promesse et n’a aucune prétention d’expertise. Ses discours enflammés, ses dérapages et son égocentrisme orgueilleux sont perçus comme faisant partie de ce franc-parler qu’ils apprécient tout particulièrement. 26 Il est une autre particularité de Donald Trump : celle de fonctionner à l’instinct. De ce fait, il n’hésite pas à exalter ses propres mérites et à traiter d’« idiots » le reste de la planète. Son style à la fois improvisé et inimitable plaît beaucoup à ses partisans évangéliques. Donald Trump a montré sa capacité à dire tout et n’importe quoi sans que les critiques ne parviennent à le déstabiliser. Il balaie toutes les conventions, défend des positions hétérodoxes. Il a un vrai talent pour présenter ses échecs comme des victoires et semer le doute dans les esprits. Même s’il ne partage pas leurs convictions religieuses, beaucoup pensent qu’il est mieux à même de comprendre leurs soucis et leurs besoins et donc de compatir. A l’écouter, ils ont le sentiment de sortir de l’anonymat et d’être membres d’une équipe qui gagne. 27 Beaucoup d’évangéliques pensent que les hommes politiques mentent et que Trump est différent. Ils préfèrent soutenir quelqu’un comme Trump dont la religiosité est

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douteuse plutôt que d’être trahis par des candidats évangéliques affichés. Ils ont le sentiment d’avoir été utilisés par tous les candidats qu’ils avaient aidé à faire élire : de Reagan à George W. Bush. Tous ces candidats « chrétiens » ont fait des promesses à leurs électeurs religieux qu’ils n’ont jamais tenues. Que Trump et son équipe de campagne n’aient aucune expérience gouvernementale, que Trump n’ait pas de programme articulé et qu’il affiche des positions hétérodoxes, ils n’en ont cure. 28 La plupart des Américains (pas uniquement les évangéliques) soutiennent Donald Trump parce qu’il est riche et finance tout seul sa campagne (en fait, il a emprunté 1,8 million de dollars et a reçu près de 4 millions de dons). 324e fortune du monde en 2016 avec 4,5 milliards de dollars selon le magazine Forbes en octobre 2015, il a fait fortune dans les spéculations immobilières à New York. Ses électeurs voient dans sa réussite un signe de la bénédiction divine. L’un de ses atouts par rapport à ses adversaires gouverneurs ou sénateurs, c’est son expérience d’homme d’affaires. Ils pensent qu’il saura gérer un pays, dès lors qu’il a su gérer une entreprise et rebondir après ses faillites. 29 La réussite de Trump doit beaucoup à sa célébrité cathodique. Vedette de la télévision depuis des années, il a été l’animateur de « The Celebrity Apprentice », émission diffusée pendant les heures de grande écoute sur NBC qui en est à sa quatorzième saison. Il s’en sert comme d’un tremplin pour accroître sa célébrité et polir un peu son image. En vrai professionnel de la communication, il a compris qu’en multipliant les dérapages racistes ou sexistes, il monopolisait l’attention des médias, s’assurant ainsi une publicité gratuite. D’autre part, Trump a compris le pouvoir des réseaux sociaux – Twitter, Facebook, … – pour vendre directement son discours à ses partisans. C’est efficace, rapide, et les partisans ont ainsi l’impression d’entretenir avec le magnat des liens personnels. D’ailleurs, Trump aime se montrer en compagnie de télévangélistes, les grandes vedettes « chrétiennes » qui dominent les chaînes câblées, tels que Joel Osteen ou Jerry Falwell, Jr. 30 Dans le domaine de la politique étrangère, Donald Trump s’inscrit dans une approche isolationniste, nationaliste et unilatéraliste. Partisan des idéaux des années 1930, tels que America First et Fortress America, il se dit sceptique quant aux alliances internationales, d’autant que les alliés européens sont affaiblis. Pour lui, ces derniers doivent partager le fardeau pour assurer leur protection. En matière de libre échange, sujet central de sa campagne, il rejette les traités (y compris l’ALENA) négociés par ses prédécesseurs, républicains comme démocrates, et veut imposer des droits de douane aux entreprises américaines ayant délocalisé leurs activités. Tous ces traités sont, selon lui, responsables de la désindustrialisation des grandes villes américaines. Concernant les échanges commerciaux avec la Chine, il entend imposer un droit de douanes de 25 % sur tous les produits provenant de ce pays.

Conclusion

31 Bien que n’ayant rien d’un leader chrétien, Donald Trump a réussi à mobiliser l’écrasante majorité des évangéliques, et ce, jusque dans les tréfonds de la « Bible Belt ». Malgré la faible religiosité du magnat de l’immobilier, son offensive en terres évangéliques a porté ses fruits. Plutôt que d’axer sa campagne sur les questions de la foi et de la morale, il s’est présenté comme le porte-parole de cette tranche d’électeurs déçus, aigris et surtout en colère (Jones 2016). Donald Trump a ratissé large. Qui plus

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est, il a su tirer avantage du ressentiment culturel et racial qui se répand de plus en plus dans la population majoritaire blanche, un ressentiment contre une Amérique qui change constamment, contre les immigrés à la peau basanée, contre la connivence des élites, contre les homosexuels, contre le politiquement correct, contre les minorités « assistées ». Après huit ans de présidence Obama, les partisans de Trump considèrent certainement qu’un homme blanc fort est exactement ce qu’il faut pour remettre de l’ordre dans le pays.

32 Donald Trump a profité de la désorganisation des évangéliques, dont les leaders peinent publiquement à se choisir un candidat parmi les nombreux prétendants naturels (Ted Cruz, Ben Carson, Marco Rubio, le pasteur Mike Huckabee). Ils laissent ainsi la communauté évangélique, qui se sent oubliée par Washington, se diriger de plus en plus vers des arguments anti-establishment. En ce sens, l’élection a apporté une preuve supplémentaire de l’aggravation du fossé entre les responsables évangéliques et la majorité de leurs fidèles (Merritt 2016). Comme le titre très justement le journaliste Jack Jenkins, « Donald Trump made the religious Right implode in less than a week » (Jenkins 2016). Tout comme il a rendu le Tea Party quasiment obsolète. Le changement de priorités et la mise à l’écart des questions de foi et de salut n’ont pas manqué de révéler un profond malaise au sein de la communauté évangélique : le magazine évangélique de référence Christianity Today a estimé quant à lui que les positions de Donal Trump « menaçaient l’Evangile » (Galli 2016). 33 On assiste à une perte de terrain de l’influence politique de la droite religieuse. Son dernier champion, Ted Cruz, ne correspond pas à la jeune génération évangélique, qui ne se reconnaît pas dans ses positions dogmatiques. Celle-ci a conscience d’être une minorité dans la société, et n’idéalise plus la droite « classique ». L’illusion de la « majorité morale » chrétienne aux Etats-Unis n’est plus permise. Le mariage gay autorisé par la Cour suprême a été le révélateur pour les chrétiens qu’ils sont aujourd’hui en porte-à-faux avec la culture dominante (mainstream). 34 S’ils ont voté largement pour un candidat peu crédible sur le plan religieux, les évangéliques n’ont pas pour autant renoncé à leurs combats de toujours. Au-delà de la personnalité très controversée de Donald Trump, la nomination du juge Neil Gorsuch à la Cour suprême et la nomination de Jeff Sessions au poste de ministre de la justice annoncent, pour les évangéliques, des victoires en perspective. 35 On peut par ailleurs légitimement penser que Donald Trump est l’aboutissement logique de l’évolution imprimée au Parti républicain, évolution qui remonte aux présidences Clinton et Bush mais qui est devenue plus visible encore sous l’administration Obama. Il est le fruit d’une politique poursuivie depuis plusieurs décennies par la droite du Parti républicain, qui fait appel implicitement à la peur de l’autre, en la combinant à une nostalgie pour une Amérique pré-moderne. 36 Outre le ralliement des évangéliques à Donald Trump, la campagne de 2016 a été marquée par les critiques du Pape François à l’encontre de Donald Trump. Interrogé sur le souhait de Donald Trump de bâtir un mur à la frontière mexicaine, le pape François a déclaré le 18 février, que « celui qui v[oulait] construire des murs et non des ponts n’[était] pas chrétien ». Le pape a certes affirmé qu’il n’était évidemment pas question pour lui de s’ingérer dans la campagne présidentielle, mais la réaction de Trump a été immédiate. « Qu’un leader religieux mette en doute la foi d’une personne est honteux », a répondu Donald Trump dans un communiqué. « Aucun dirigeant, notamment un

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leader religieux, ne devrait avoir le droit de remettre en question la religion ou la foi d’un autre homme », a-t-il ajouté furieux (Paris 2016).

BIBLIOGRAPHY

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ABSTRACTS

Among the most confounding developments in the 2016 presidential election is the support that Donald Trump has drawn from white evangelical voters. Their support for the Republican candidate has flummoxed the experts. No one could understand how the Evangelicals have come to endorse a candidate, whose personality and message stand in stark opposition to Christian values. This article aims to explain why the Evangelical community voted for Donald Trump.

Parmi les événements les plus déconcertants de l’élection présidentielle de 2016, il y a le soutien apporté par les électeurs évangéliques blancs à Donald Trump. Leur ralliement au candidat républicain a pris les spécialistes par surprise. Nul ne comprenait comment les évangéliques puissent voter pour un candidat dont la personnalité et le discours sont diamétralement opposés aux valeurs chrétiennes. Le présent article a pour objectif d’expliquer les raisons du vote des évangéliques en faveur de Donald Trump.

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INDEX

Mots-clés: Trump, élection présidentielle, évangéliques, vote évangélique, candidat républicain Keywords: Trump, presidential election, Evangelicals, Evangelical vote, republican candidate

AUTHOR

MOKHTAR BEN BARKA

Université de Valenciennes, CALHISTE EA 4343

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2- Enjeux

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Le non-dit de l’éducation dans la campagne présidentielle américaine de 2016

Laurie Béreau

1 En février 2016, Joshua Florence constatait dans les pages de la Harvard Political Review l’absence totale de l’éducation dans les échanges et débats de la campagne présidentielle américaine : Despite the political mudslinging, record-setting debates, and pundit predictions, the current slate of candidates, on both sides of the aisle, have ignored a plethora of worthy discussions. Perhaps the most glaring example is one that affects every child in America: education policy. 2 Cette observation, formulée alors que s’ouvrait la saison des primaires, n’a pas été démentie par le reste de la campagne 2016. Certes, la question de la gratuité de l’enseignement supérieur a été abordée à l’occasion des primaires démocrates, sous l’impulsion de Bernie Sanders. La crainte d’une explosion de la bulle de la dette étudiante a transformé cette question en problématique économique majeure. Dans une campagne largement phagocytée par les questions de droiture morale, c’est aussi le spectre de la défunte Trump University qui est venu brièvement hanter le candidat républicain Donald Trump. Opérationnelle de 2005 à 2010, cette « université », qui n’avait jamais reçu d’accréditation de l’État de New York, s’est retrouvée au cœur de deux actions collectives en justice dénonçant l’établissement pour tentative d’extorsion.

3 Toutefois, ces deux éléments saillants de la campagne se rapportent à l’enseignement supérieur, domaine particulièrement décentralisé dans le système américain où les institutions post-secondaires jouissent d’une très grande autonomie. Mais l’éducation primaire et secondaire, elle, s’est bel et bien démarquée par son absence de la campagne, comme le remarquait Joshua Florence : nulle confrontation sur ce que l’on enseigne dans les écoles, nulle invective sur la panne de l’école comme ascenseur social. L’éducation semble être une des grandes oubliées. Or les silences ne sont pas dénués

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d’intérêt. Pour Marguerite Yourcenar, « tout silence n’est fait que de paroles qu’on n’a pas dites ». 4 La question de l’explication des comportements électoraux fait débat et de nombreux modèles coexistent (Mayer et Boy, 1997). L’élection présidentielle américaine de 2016, une campagne atypique au résultat que peu d’analystes politiques avaient envisagé, nourrira sans doute ce débat en forçant une réflexion renouvelée sur les modèles de prédiction de ces comportements. Un consensus semble s’être toutefois formé depuis le début des années 1980 autour de l’idée que, bien plus que par l’identification partisane, le choix des électeurs est largement façonné sur la base des réponses des candidats à des problèmes spécifiques, le phénomène de « vote sur enjeux », ou issue voting (Nie et al., 1979). Dans cette perspective, les candidats s’efforcent d’orienter leur campagne sur des enjeux susceptibles de mettre en avant leurs forces ou de souligner les faiblesses de l’adversaire, en évitant tout enjeu susceptible d’avoir un effet contraire (Damore, 2005, p.72). Force est de constater qu’aucun des candidats en 2016 n’a jugé sage d’attaquer sur l’enjeu de l’éducation. 5 Cet article se propose d’interroger les raisons pour lesquelles on a largement passé sous silence l’éducation dans cette campagne présidentielle. Se posera, dans un premier temps, la question de la pertinence d’un débat sur l’éducation dans le cadre d’une élection à des fonctions au sein du gouvernement fédéral. Nous arguerons ici que la situation institutionnelle de l’éducation dans le système fédéral étasunien ne suffit pas à en expliquer l’absence dans les débats et que cette omission relève également d’une stratégie d’évitement d’un terrain miné aussi bien pour les démocrates que pour les républicains. Cette réflexion fournira l’occasion d’un état des lieux succinct du débat contemporain sur l’éducation à l’échelon national.

1. Présidence américaine et éducation

6 L'éducation ne constitue pas un des champs d'action fédérale privilégiés dans le schéma vertical de séparation des pouvoirs étasunien. Elle n’est pas évoquée directement dans la Constitution américaine et relève donc, de facto, du domaine des pouvoirs réservés aux États en vertu du principe de subsidiarité. En effet, le dixième amendement établit que « les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis par la Constitution, ni refusés par elle aux États, sont conservés respectivement par les États ou par le peuple ». Du fait de cette division des pouvoirs et du mode de financement de l’éducation publique primaire et secondaire, l’éducation constitue à première vue un enjeu essentiellement local dans le contexte des États-Unis.1

7 Cependant, cette division théorique tranchée ne rend pas compte de l’interpénétration politique prévalant dans le modèle fédéral américain contemporain où la coopération entre les échelons brouille les frontières. D’autre part, elle tranche avec l’évolution des attentes de la population. Plusieurs sondages réalisés sur les préoccupations des Américains à la veille de l’élection présidentielle de 2016 ont fait apparaître qu’une majorité des électeurs inscrits considéraient les questions d’éducation comme très importantes à l’heure de voter. Même si l’économie et la sécurité nationale prévalaient largement, ils étaient par exemple 66% à signaler qu’ils accorderaient beaucoup d’importance à l’éducation2. Les considérations liées à la politique commerciale ou à l’environnement n’étaient citées que derrière l’éducation (Pew Research Center, 2016, p.31)3. Il n’en a pas toujours été ainsi : des années soixante à la fin des années quatre-

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vingt, l’éducation ne comptait jamais parmi les dix questions considérées comme les plus importantes par les électeurs en période de campagne présidentielle (Henig, 2009, p. 289). 8 Ces attentes significatives vis-à-vis de l’échelon fédéral en matière d’éducation témoignent d’un glissement toujours plus marqué depuis la seconde moitié du XXème siècle vers une intervention accrue du gouvernement central dans les politiques éducatives aux États-Unis. En dépit du cloisonnement institutionnel, a priori clair, du dixième amendement, l'école américaine a été profondément modelée au cours de la seconde moitié du XXème siècle par des textes de loi et des décisions de justice majeurs établis au niveau fédéral. La déségrégation, le développement de l'enseignement préélémentaire ou encore la promotion des écoles à charte (charter schools) comptent parmi les évolutions du système éducatif qui sont la conséquence d’incursions fédérales. Ces évolutions ont suscité des débats, tant sur le fond et le contenu des questions abordées que sur la forme qu'elles prenaient puisque symptomatiques d'une intervention fédérale accrue. Leur constitutionnalité, bien que remise en cause par certains défenseurs ardents de l'anti-fédéralisme adeptes d'une lecture textualiste pure de la Constitution (les strict constructionists), a toutefois été relativement bien acceptée par la société américaine dans son ensemble. 9 Les présidents successifs, figures de proue de l'échelon fédéral dans le système américain, ont multiplié, eux, depuis les années 1940, les incursions dans le champ éducatif. Cette intervention accrue s’est appuyée sur une lecture revue de la Constitution qui veut qu’en vertu de la clause de bien-être général (general welfare clause) du premier article de la Constitution, la responsabilité de l'éducation relève également du champ d’action de l'échelon fédéral. Les politiques éducatives ont progressivement été intégrées au champ de la politique générale, mettant fin à l’ « exceptionnalisme » de l’éducation et à son statut de chasse gardée des États et de l’échelon local (Henig, 2009). Au fil des décennies, les attentes quant au système éducatif se sont accrues, l’éducation étant perçue comme un levier majeur pour assurer prospérité et pérennité. A la fin des années 1950, l’onde de choc de Spoutnik a sensibilisé au besoin d’un système éducatif performant pour former des scientifiques et des ingénieurs à même de tenir la dragée haute à l’ennemi soviétique. Les dynamiques de la guerre froide, dont le volet de la course à l’espace, ont longtemps maintenu au premier plan cet impératif de compétitivité intellectuelle pour contrer la menace rouge. Il en allait alors de la sécurité nationale. Dans un contexte de concurrence économique internationale accrue dans les années 1980, on dénonce un système éducatif inapte à former des travailleurs capables de rivaliser avec les Japonais, les Coréens ou les Allemands. Les acteurs du monde économique américain s’inquiètent de ne pas disposer d’un capital humain adéquat dans une ère dominée par la technologie. Cette angoisse est au cœur d’un rapport largement commenté et commandé par le président Ronald Reagan en 1983 sur l’état de l’éducation, ‘A Nation at Risk’. Elle persiste à ce jour encore : éducation et sécurité nationale semblent aller de pair. Ainsi, un rapport de 2012 coécrit par Condoleezza Rice alertait à nouveau sur les risques encourus par les Etats-Unis en raison de la faiblesse de son système éducatif : Human capital will determine power in the current century, and the failure to produce that capital will undermine America's security. Large, undereducated swaths of the population damage the ability of the United States to physically defend itself, protect its secure information, conduct diplomacy, and grow its economy. (Klein, 2012)

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10 En d’autres termes, il y a eu un changement de paradigme au cours de la seconde moitié du XXème siècle, marqué par l’idée que la réussite du système éducatif était essentielle pour la réussite économique des individus et du pays (Mehta, 2013, p.286).

11 Dès lors que s’est établi le lien entre bien-être général et état de santé de l’école, la porte s’est ouverte à des initiatives fédérales portées par les présidents, qu’il s’agisse de Franklin Roosevelt, champion du G.I. Bill pour aider les vétérans à accéder à l’université, d’Eisenhower, soutien du National Defense Education Act pour promouvoir l’excellence et l’éducation scientifique afin de contrer l’ennemi soviétique, ou encore de Lyndon Johnson, adoubé président de l’éducation par les historiens pour sa volonté de mener la guerre contre la pauvreté sur le front du système éducatif. Il est devenu de bon ton pour les présidentiables et les présidents d’adopter la posture de défenseur de l’éducation. Lors de la campagne présidentielle de 1988, George H.W. Bush déclarait ainsi vouloir devenir « le président de l'éducation » lors du premier débat télévisé l'opposant à Michael Dukakis (Commission on Presidential Debates)4. Trois jours après sa prise de fonction en 2001, George W. Bush, qui présentait son projet de programme « Aucun enfant laissé pour compte » (No Child Left Behind), annonçait qu'il entendait faire de la réforme du système éducatif la « pierre angulaire de [son] administration »5. Quel que soit leur bord, les présidents récents ont eu à cœur de marquer l’éducation de leur patte, tant et si bien que le principal sondage sur la perception de l'éducation par le public, le PDK/Gallup Poll of the Public's Attitudes Toward the Public Schools, intègre depuis 2009 une question sur la perception du président et de son action pour les écoles publiques, suggérant que le public attend désormais du président une forme d'implication dans le domaine de l'éducation (Bushaw, 2010, p.11). 12 Les précédents existant pour des ambitions et des actions présidentielles fortes en matière d’éducation et l’intérêt de l’électorat pour cette question étant significatif, on peut s’interroger sur le peu d’empressement des candidats à l’élection présidentielle de 2016 pour amener le débat sur le terrain de l’éducation et évoquer leurs projets pour les écoles du pays. Si l’environnement politique et économique immédiat est pour beaucoup dans le choix des thèmes de campagne, ce silence pourrait relever également du statut paradoxal et ambivalent de l’éducation en politique américaine. Elle constitue dans une certaine mesure un terrain miné sur lequel il est devenu dangereux de s’aventurer. En effet, à ce jour, l’éducation rassemble tout autant qu’elle ne divise mais selon des lignes peu bienséantes dans le contexte d’une élection présidentielle. Et ce, en premier lieu, car elle constitue un des rares domaines qui, ces dernières décennies, n’a pas fait l’objet d’une polarisation marquée et d’une âpre confrontation partisane entre les deux grands partis.

2. L’éducation objet d’un consensus bipartisan: le virage néolibéral

13 Qu’en est-il du positionnement des deux candidats quant à l’éducation ? Chez le candidat Donald Trump, la ligne directrice est simple et lisible : le salut passe par le libre choix de l’école par les parents (le school choice). Le candidat déclare ainsi en septembre 2016 : « As your president, I will be the biggest cheerleader for school choice » (Trump). Ce libre choix ne se limiterait pas à la disparition de la carte scolaire (zoning) mais briserait le monopole d’État sur l’éducation financée publiquement. Les

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financements publics suivraient les familles dans l’établissement de leur choix, qu’il soit privé ou non. En cela Trump se pose en héritier de Ronald Reagan qui avait sans succès défendu les vouchers, des crédits d’impôts qui compenseraient, pour les familles, les frais d’inscription dans une institution privée6.

14 Chez la candidate Hillary Clinton, le programme reste plus mesuré et n’envisage pas une refonte fondamentale du système. Il s’agit essentiellement d’une modernisation logistique des locaux et du matériel mis à disposition, d’une revalorisation du métier d’enseignant et de la mise en œuvre d’une politique plus préventive et moins répressive en termes de discipline. A cela s’ajoute la volonté de garantir à tous l’accès à la maternelle dès 4 ans, une mesure tout à fait consensuelle puisqu’approuvée par 90% des électeurs, 97% des sympathisants pro-Clinton et 78% des sympathisants pro-Trump (First Five Years Fund, 2016). 15 Malgré une campagne âpre, aucune attaque en bonne et due forme entre les deux candidats n’est à déplorer sur le plan de l’éducation. En septembre 2016, Donald Trump fait dans une école de Cleveland un discours dédié à l’éducation. Plus de la première moitié du discours est en réalité consacrée à l’affaire des courriels et à l’incompétence flagrante de sa rivale en matière de sécurité nationale (Trump). Or, dès lors qu’il en vient à l’éducation, Donald Trump sort du discours polémique et du mode pamphlétaire de dénonciation de l’imposture de sa rivale. Nulle mention d’Hillary Clinton, nulle allusion à une menace gauchiste qui s’efforcerait de saper les fondements moraux du pays en se faufilant dans les écoles. La prose de Trump sur l’éducation constitue peut- être une des facettes les moins « rugueuses » de sa campagne. Le constat est identique chez son adversaire lors d’un discours à Durham en mars 2016, dans lequel même si Hillary Clinton dénonce les coupes budgétaires sur l’éducation effectuées par la législature républicaine à la tête de la Caroline du Nord, elle ne prend pas le contre- pied de Donald Trump et ne dénonce pas son programme en matière d’éducation et son ambition déclarée de faire entrer l’Amérique dans l’ère du vrai libre choix d’école (Clinton). 16 Une des explications les plus plausibles pour cette férocité moindre tient à l’existence d’un certain consensus sur l’éducation. Républicains et démocrates s’accordent sur le fait que du système éducatif dépend la santé du pays. Et qu’il est, de fait, normal que l’éducation représente un volet considérable du budget public. Tous conviennent également du fait que l’école doit constituer ce qu’Hillary Clinton appelle le « great door- opener », un grand ascenseur social, le moyen pour tout Américain de s’élever. Le consensus est que le bien commun passe par un système éducatif performant. 17 On observe cependant, plus particulièrement depuis les années 2000, l’émergence d’une forme d’alignement idéologique et d’une nouvelle doxa en matière de politiques éducatives chez les législateurs. Le vent du néolibéralisme a séduit aussi bien chez les républicains que chez les démocrates, et avec lui l’idée qu’une dérégulation du marché de l’éducation pourrait à terme rendre plus performant l’ensemble du système. Le monopole de l’État sur l’éducation publique est en cause. Les enfants américains sont captifs d’un système d’écoles publiques traditionnelles qui, puisqu’elles n’ont pas de réelle concurrence gratuite, manquent d’une saine émulation qui les pousserait à se dépasser pour exceller (Friedman, 1955). C’est la logique à l’œuvre dans le programme de Donald Trump : il s’agit de réinjecter de la concurrence en brisant le monopole de l’État sur l’éducation afin d’amener les écoles à se dépasser pour retenir leurs usagers. Or, il est impossible pour Hillary Clinton d’attaquer son adversaire puisque le bilan

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législatif de la candidate démocrate montre son soutien au principe de mise en concurrence des établissements, à une différence près : il s’agit de mettre en concurrence des établissements publics, là où Donald Trump ajouterait également la concurrence des écoles privées. Les deux candidats se retrouvent dans le soutien du modèle des écoles à charte (charter schools), qui scolarisent près de 5% des jeunes Américains et sont soutenues par 65% du public américain et par les deux principaux partis (NCES). Ce modèle permet de sous-traiter la gestion des écoles publiques : une entreprise ou une association peut prendre les commandes d’une école financée publiquement. En échange de contraintes moindres (notamment sur le recrutement des enseignants et les conventions collectives), l’opérateur s’engage à délivrer des résultats satisfaisants dans les années à venir. L’État est d’une certaine façon actionnaire de ces écoles publiques. 18 L’alignement des démocrates et des républicains derrière l’idée que les mécanismes de marché sont une planche de salut pour l’éducation américaine s’est matérialisé par une coopération des deux grands partis pour mettre en œuvre des programmes fédéraux facilitant et promouvant cette approche. Le site de campagne d’Hillary Clinton signale notamment qu’elle a collaboré à l’élaboration du No Child Left Behind Act porté par George W. Bush en 2001. Le texte sacralise les tests standardisés pour évaluer les performances des écoles et prévoit mise sous tutelle, transformation en école à charte ou fermeture pour les écoles dont les résultats ne sont pas à la hauteur. L’adoption de cette loi en 2001 est marquée par le sceau de la coopération : elle reçoit le soutien des 82% des représentants républicains à la Chambre et de 94% des représentants démocrates, ainsi que de 89% des sénateurs républicains et de 86% des sénateurs démocrates (U.S. Congress, 2001)7. Le No Child Left Behind Act n’est pas renouvelé à la fin du second mandat du président George W. Bush. Toutefois, il est rapidement remplacé sous l’impulsion du président Barack Obama par le programme Race to the Top, qui met en concurrence les États pour des subventions fédérales encourageant des pratiques similaires à celles favorisées par le No Child Left Behind Act. En décembre 2016, Barack Obama célèbre ce qu’il désigne comme « un miracle de Noël » : au terme de deux mandats marqués par un refus quasi systématique de collaboration de la part des élus républicains dans à peu près tous les domaines, le Every Student Succeeds Act est adopté avec 85% de voix au Sénat et l’appui de 72% des représentants républicains et 96% des représentants démocrates (U.S. Congress, 2015). Le principe de ce texte demeure similaire au No Child Left Behind Act, si ce n’est que les États retrouvent davantage de contrôle et sont libres de fixer les niveaux de performance académique attendus. L’éducation constitue donc un des rares domaines ayant bénéficié d’une coopération entre les partis ces dernières années, d’où la difficulté d’attaquer les programmes adversaires, au risque de se voir renvoyer à une trop grande proximité idéologique sur ce point. 19 L’émergence du libre choix et de la libéralisation comme nouvelle doxa en matière d’éducation est d’autant plus marquée qu’elle a fédéré, lors des élections présidentielles de 2016, jusqu’aux candidats des tiers partis, à une exception près. Ainsi, Gary Johnson pour le parti libertarien et Evan McMullin, qui s’est présenté en indépendant, ont affirmé par le passé leur soutien au principe du libre choix et à celui d’un système d’écoles à charte (Johnson, 2000 ; McMullin, 2016). Darrell Castle, qui représentait le parti de la Constitution, s’est montré très peu loquace sur l’éducation. Insistant sur le principe de subsidiarité du dixième amendement, il a rappelé combien l’intrusion fédérale dans le domaine de l’éducation violait la Constitution et donc estimé ne pas

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avoir à se positionner sur l’éducation en tant que candidat à une fonction fédérale. Son parti s’est toutefois déclaré favorable à l’existence d’un marché libre de l’éducation, avec déductions d’impôts pour les familles choisissant de retirer leurs enfants des écoles publiques (Constitution Party). La seule voix discordante sur la libéralisation de l’éducation a été celle du parti écologiste, représenté dans l’élection par Jill Stein, qui a appelé au démantèlement de toutes les initiatives permettant la gestion des écoles publiques par des entités privées (Green Party, 2014). 20 Depuis la campagne présidentielle de 2000, au cours de laquelle le candidat républicain George W. Bush avait accordé une large place à l’éducation, les campagnes présidentielles ne se sont que peu aventurées sur le terrain de l’éducation (Hess, 2016, pp.3-4). La campagne de 2000, qui s’inscrivait dans une période de paix et prospérité relatives, était plus favorable à l’émergence, sur l’avant-scène, de problématiques autres que la politique internationale et la relance économique (Hess, 2016, p.4). Il s’agissait par ailleurs d’une thématique de choix pour le candidat Bush, fort d’un bilan plutôt positif en matière d’éducation en tant que gouverneur du Texas (Henig, 2009, p. 293). La nouvelle doxa du libre choix en matière d’éducation a, au cours des deux dernières décennies, su séduire et remporter l’adhésion des deux grands partis, ouvrant la voie à une collaboration atypique dans une période de polarisation marquée en politique. Cet alignement a rendu caduque, lors des trois dernières campagnes pour l’élection présidentielle, l’émergence d’un débat franc et vif sur l’éducation. Impossible en effet d’adopter la posture antagoniste qui sied au contexte de confrontation d’idées lors d’une campagne alors que républicains et démocrates ont coopéré en la matière. La confrontation étant impossible, le silence prévaut. Or paradoxalement, si l’éducation a rassemblé par-delà les frontières partisanes, elle demeure un sujet qui divise en interne au sein des partis.

3. Un objet de discorde en interne

21 La phase des primaires, qui a précédé l’élection présidentielle générale de 2016 a, de façon prévisible, laissé transparaître les divisions internes au sein des deux grands partis. Cette première phase a vocation à confronter les différentes sensibilités qui coexistent au sein des partis. La configuration étasunienne, marquée par le bipartisme, exacerbe ces divisions. Afin de rassembler et de construire des coalitions solides, les deux grands partis doivent être inclusifs et fonctionnent donc comme de grands chapiteaux (les ‘big tents’) fédérant des factions diverses. L’éducation constitue une des sphères d’expression privilégiées pour ces dissonances internes.

22 Au sein du camp républicain, force est de constater que la discipline de parti s’est révélée plutôt faible, ces dernières années, lors des votes au Congrès sur des questions d’éducation. Ainsi, lors du vote sur le Every Student Succeeds Act mentionné précédemment, les candidats à la primaire républicaine ont opté pour des approches différentes : le soutien à la proposition de loi pour le sénateur Lindsey Graham, l’opposition pour le sénateur Rand Paul. Les sénateurs Marco Rubio et Ted Cruz étaient, eux, opportunément absents lors du vote mais leurs différentes déclarations sur l’éducation ont toujours souligné combien l’intervention fédérale en la matière leur semblait inappropriée8. Il s’agit là d’un premier point de dissension chez les républicains. Ronald Reagan avait fait vœu de démanteler le ministère de l’éducation, le Department of Education (Sniegosky, 1988). La question du degré d’intervention fédérale

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dans l’éducation continue à diviser au sein du parti où se côtoient fervents opposants aux politiques fédérales et adeptes d’un conservatisme compassionnel, à l’image de , qui croient en la possible influence positive du gouvernement fédéral (Aberbach et Peele, 2011). 23 Par ailleurs, l’éducation constitue depuis les années 1960 un terrain particulièrement fertile pour les guerres culturelles. Les questions de prière à l’école, d’enseignement de l’évolution ou encore d’éducation à la sexualité en milieu scolaire ont fait l’objet de contentieux. Les positions respectives des candidats à la primaire républicaine laissent à penser que les guerres culturelles ne sont pas totalement enterrées, même si elles sont soigneusement reléguées. L’adhésion à la promotion du school choice a permis de rallier aussi bien libertariens que néoconservateurs et chrétiens fondamentalistes. Or chacune de ces factions n’y voit qu’un moyen pour une fin, un véhicule susceptible de déverrouiller le système pour le refaçonner. Les libertariens comme Rand Paul voient dans le school choice le moyen de museler un gouvernement toujours plus intrusif, tandis que les néoconservateurs, représentés en 2016 par Marco Rubio, voient dans la casse du monopole d’État sur l’éducation publique le moyen d’ouvrir un nouveau marché. La droite religieuse, représentée dans les primaires par des figures telles que Ted Cruz et Mike Huckabee, entrevoit, elle, la possibilité à terme de rediriger des fonds vers les écoles religieuses grâce aux programmes de crédits d’impôt, une ambition peu susceptible de séduire les républicains modérés. L’union derrière le school choice est donc avant tout pragmatique. 24 L’éducation constitue également un facteur de division au sein du parti démocrate, selon une ligne de faille qui s’est incarnée dans la confrontation entre Hillary Clinton et Bernie Sanders dans les primaires. La percée du sénateur indépendant Bernie Sanders dans les primaires a été décrite à maintes reprises par les observateurs politiques comme une « insurrection » au sein du parti, symptomatique d’une incompréhension croissante vis-à-vis de la ligne molle du parti et de sa complaisance vis-à-vis du monde des affaires. La question de la libéralisation du système éducatif cristallise ces tensions. La ligne officielle du parti, illustrée par les prises de positions de Barack Obama et d’Hillary Clinton, va dans le sens d’une plus grande souplesse du marché de l’éducation publique. Hillary Clinton a compté parmi ses principaux donateurs Eli Broad et les époux Gates qui, aux côtés de de la famille Walton, se sont engagés et ont engagé des sommes colossales pour promouvoir le school choice et les écoles à charte (Schneider, 2016). Il semblerait toutefois que bon nombre d’enseignants américains n’ont pas trouvé leur compte dans la ligne adoptée par l’establishment démocrate. Une étude réalisée par le journal Politico à partir des déclarations faites à la Federal Election Commission a fait apparaître que le sénateur du Vermont avait reçu plus de 9 000 dons de personnes s’identifiant à la catégorie socio-professionnelle des enseignants, contre environ 4 500 de ce type pour Hillary Clinton (Severns, 2016). Et ce alors que les deux principaux syndicats de l’enseignement, la National Education Association et la American Federation of Teachers, se sont très tôt ralliés au camp de la candidate Clinton. Pour la présidente de la Badass Teachers Association, groupe activiste très présent sur les réseaux sociaux et opposé à la libéralisation de l’école publique, ce sont les liens de la candidate démocrate avec les grandes fortunes engagées dans le mouvement pour déréguler l’éducation qui lui ont valu la désaffection de la base enseignante (Severns, 2016). En parallèle, on a pu observer chez Sanders un discours plus prudent sur le libre choix avec notamment l’opposition à la gestion des écoles à charte par des entreprises et sociétés privées et des prises de positions fermes contre le No Child Left Behind Act et

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contre les menaces que les écoles à charte font peser sur les conventions collectives. Il s’est enfin illustré par une charge cinglante contre le maire démocrate de Chicago Rahm Emanuel, qui s’était fait remarquer par sa détermination à briser la grève des enseignants de Chicago en 2012 et par un bilan de fermeture de près de 70 écoles publiques jugées trop peu performantes, remplacées par des écoles à charte9. Bien que Bernie Sanders n’ait pas finalement remporté l’investiture, le candidat anti- establishment est, contre toute attente, parvenu à ressembler 43% des suffrages dans les primaires démocrates, un résultat suggérant que l’idée d’un virage à gauche pour le parti démocrate a interpellé et séduit une partie significative de l’électorat démocrate. Cette fracture s’est matérialisée, entre autres, dans le positionnement des deux candidats sur l’éducation et particulièrement dans leur rapport au lobby de la réforme de l’éducation par la libéralisation. 25 Le thème de l’éducation a bel et bien été un des grands oubliés de la campagne présidentielle de 2016, malgré des attentes croissantes vis-à-vis du gouvernement fédéral en la matière. Si cette campagne a défrayé la chronique par bien des aspects, parmi lesquels le caractère nauséabond de certaines attaques, le succès inattendu de candidats anti-système et une issue que peu d’observateurs politiques avaient envisagée, elle n’a toutefois pas revêtu un caractère atypique dans le domaine de l’éducation. Elle a, au contraire, confirmé une tendance de ces vingt dernières années, à savoir l’émergence du school choice comme nouvelle orthodoxie en matière d’éducation. Sur le front de l’éducation, il ne se jouait ni un ancrage démocrate, ni un tournant républicain avec cette élection, mais plutôt l’enracinement du virage néolibéral avec le quasi-consensus autour du school choice. Or, si ce principe fédère au-delà des lignes partisanes et a permis de poser les jalons pour des initiatives bipartisanes devenues bien rares, il dissimule toutefois la persistance de lignes de faille au sein des partis. 26 Si les candidats à la présidence ont jugé plus sage en 2016 de ne pas s’aventurer sur le terrain miné de l’éducation, on observe toutefois que les premiers pas du gouvernement Trump ont contraint les deux grands partis à se montrer plus incisifs et présents sur le terrain de l’éducation. La nomination à la tête du ministère de l’éducation de Betsy DeVos a été si chahutée que, pour la première fois dans l’histoire du pays, le vice-président a dû participer à un vote de confirmation pour un membre du cabinet. La mobilisation populaire contre cette nomination a souligné également combien les Américains étaient conscients du rôle crucial du gouvernement fédéral dans les années et décennies à venir en matière d’éducation. La ministre de l’éducation finalement confirmée représente, au sein du gouvernement, une approche favorable à une privatisation débridée de l’éducation publique par le biais du school choice et à un programme dominé par les intérêts de la droite chrétienne. Cette nouvelle donne contraindra sans aucun doute chacun des grands partis à clarifier sa position sur cette question et à définir les contours de ce qui constituera un school choice acceptable.

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NOTES

1. La part fédérale dans le financement de l’éducation primaire et secondaire est inférieure à 10%, l’essentiel de l’argent provenant à parts quasi égales des États et de l’échelon local. 2. En revanche, à la question « quel est selon vous la question la plus importante à laquelle le futur président devra faire face ? », les Américains sont entre 4% et 6%, au gré des sondages, à choisir l’éducation (Hess, 2016, p.2). 3. Respectivement 84% et 81% pour l’économie et le terrorisme, 70% pour l’immigration, 52% pour l’environnement.

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4. “I want to be the education president because I want to see us do better”. 5. “Bispartisan education reform will be the cornerstone of my Administration”. 6. La faisabilité de ces crédits d’impôts a longtemps semblé pour le moins incertaine. En effet, on voit difficilement comment elle pourrait contourner la clause d’établissement des religions du premier amendement. Pourtant, en 2002, l’arrêté Selman vs. Simmons-Harris a permis le maintien d’un programme de l’État de l’Ohio avec lequel des familles pouvaient bénéficier d’un crédit d’impôts pour inscrire leur enfant dans des écoles privées, religieuses ou non. La Cour Suprême a estimé que le programme était constitutionnel tant que cette aide financière publique n’était pas spécifiquement destinée à des établissements religieux et qu’elle arrivait de facto car une famille avait privilégié ce choix et non de jure, de plein droit. 7. Paradoxalement, ce texte de loi porté par les républicains rencontre davantage de succès chez les démocrates à la Chambre des représentants. C’est que pour certains représentants républicains, ce programme participe à l’érosion du contrôle local sur l’éducation. 8. “Even more broadly, we need to get the federal government out of education altogether. The Department of Education has the third largest discretionary budget in the federal government, and it provides 10 percent of funding for K-12 education. Yet, with that 10 percent share, it imposes significant requirements on states and schools, forcing them to submit to federal bureaucrats. Education has traditionally been a state matter; the people closest to students know them best – parents and teachers know far more than Washington bureaucrats – and we are already witnessing remarkable reforms by state and local governments to increase school choice and resist Common Core standards. We need to restore parent and student choice and remove federal barriers to children’s success” (Cruz, 2016). 9. “Hillary Clinton proudly lists Rahm Emanuel as one of her leading mayoral endorsers. Well let me be as clear as I can be: based on his disastrous record as mayor of the city of Chicago, I do not want Mayor Emanuel’s endorsement if I win the Democratic nomination” (Alcindor, 2016).

ABSTRACTS

This article deals with the theme of education in the 2016 presidential election in the United States. The issue of education was remarkably absent in this campaign. This silence is not justified by the status of education in government, considering that the federal government has been increasingly involved in educational matters since the middle of the 20th century. We argue here that the absence of education in the campaign is tied to its inconvenient status in American politics. The current neoliberal consensus in education tends to blur the differences between the two big parties, making education irrelevant and useless when it comes to trying to stand out from the opposing party. In the meantime, education remains a divisive issue within parties along other fault lines. As a result, education has turned into a minefield quite tricky to navigate in times of elections.

Cet article se propose d’aborder la campagne présidentielle américaine de 2016 sous l’angle de l’éducation, thème remarquablement absent des débats et des discours de campagne. Il s’agira, ici, de s’interroger sur les raisons de ce passage sous silence, qui ne se justifie pas sur le plan institutionnel tant le niveau fédéral est devenu partie prenante dans les affaires éducatives depuis le milieu du XXème siècle. Nous arguons ici que cette absence est à mettre au compte du statut actuellement problématique des questions d’éducation en politique américaine. En effet, le

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consensus néolibéral dans le domaine tend à gommer les différences entre les deux grands partis, rendant la thématique inutilisable pour se démarquer. Or, dans le même temps, l’éducation constitue un sujet de tensions internes au sein des partis selon d’autres lignes de faille. L’éducation constituerait donc un des terrains les plus minés en temps de campagne.

INDEX

Mots-clés: élections, présidents, éducation, partis, néolibéralisme, écoles à charte, libre choix d’école Keywords: elections, presidents, education, parties, neoliberalism, charter schools, school choice

AUTHOR

LAURIE BÉREAU

Université Rennes 2, équipe ACE (Anglophonie : communautés, écriture)

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La fiscalité selon Donald Trump et Bernie Sanders dans la campagne présidentielle américaine de 2016 : le face-à-face manqué ?

Christian Leblond

1 La campagne présidentielle aura été riche en rebondissements et en affrontements, et le public se souviendra des passes d'armes entre Bernie Sanders et Hillary Clinton, puis entre la candidate démocrate et Donald Trump. Mais la victoire de Hillary Clinton dans les primaires démocrates qui a fait sortir Bernie Sanders de la course à la présidentielle nous a peut-être privés du duel le plus pertinent de l'élection présidentielle américaine. En définitive, la personnalité clivante de Hillary Clinton n'a pas suffisamment mobilisé le camp démocrate pour transformer l'avance donnée par les électeurs en une victoire chez les grands électeurs. Le combat indécis se solde par l'élection du challenger Donald Trump contre la candidate du « système » qui était donnée favorite dans les medias et sur laquelle les milieux d'affaires avaient misé massivement. Pourtant, quelques semaines avant la victoire de Trump, le Parti Républicain, paniqué par des sondages d'opinion catastrophiques, songeait même à lui retirer l'investiture. Au-delà de la violence des échanges, c'est l'extrême volatilité de la cote des candidats –surtout dans la dernière ligne droite– qui devrait retenir notre attention et fournir l'amorce de notre analyse. Pour une fraction décisive de l'électorat, la rudesse des coups échangés n'est pas apparue comme la manifestation d'une différentiation idéologique et programmatique radicale, mais plus probablement comme un jeu de positionnement devant les caméras dans lequel le talk-show host Donald Trump a fait preuve d'une aisance et d'un aplomb indéniable malgré l'expérience et la combativité de son adversaire.

2 Souvent plus conforme aux canons de la télé-réalité qu'à ceux de la communication politique classique, cette campagne n'a peut-être pas convaincu l'électorat américain que les options de Trump en matière de protectionnisme, d'isolationnisme voire de repli allaient plus loin qu'une posture. Ne pouvant imposer leur différence par des

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projets, les candidats semblent avoir misé sur des styles très contrastés ; d'un côté le bateleur politiquement incorrect, de l'autre l'expérience, les appuis influents et le bon ton. De manière assez prévisible, le style le plus percutant, le plus novateur et le plus transgressif a remporté les suffrages 3 Si les Américains avaient souhaité choisir entre deux visions politiques et deux programmes économiques, c'est un débat entre Bernie Sanders et Donald Trump qui aurait été à la hauteur des exigences de la démocratie américaine. La victoire prévisible de Trump sur Sanders dans un tel affrontement n'aurait certes pas ouvert un futur différent, mais elle aurait au moins signifié assez clairement un choix de société – et le vote aurait été politique au sens plein du terme. 4 Par-delà les postures et la rhétorique qui font partie intégrante du jeu politique et qui consistent à séduire l'électorat par une stratégie de communication, la fiscalité constitue un indicateur objectif et en partie quantifiable des choix de société. Le sujet est tellement aride qu'il est rarement sur le devant de la scène – mais il réserve des perspectives intéressantes et quelquefois surprenantes. 5 Cet article entend se concentrer sur les projets de réforme –ou de non-réforme— du code des impôts chez Trump et Sanders, et en particulier sur certaines niches fiscales qui ont un impact déterminant sur les inégalités croissantes qui caractérisent les États- Unis depuis des décennies.

Qui veut euthanasier les rentiers ?

6 Keynes prétendait non sans humour défendre ce moyen radical d'en finir avec la rente. Ni Sanders, ni bien sûr Trump n'envisageaient une telle méthode, mais un observateur politique qui aurait de la mémoire, ou du moins des archives bien tenues, pourrait surprendre le lecteur. Par exemple en lui proposant d'identifier l'homme politique qui inscrit à son programme des solutions d'une grande radicalité. Pour combler le déficit fédéral il suggère de lever un impôt exceptionnel non reconductible sur les sociétés et les personnes physiques dont le patrimoine s'élève à 10 millions de dollars ou plus : ''A 14.25 percent levy on such net worth would raise $5.7 trillion and wipe out the debt in one fell swoop'' (Langley et McKinnon).

7 Cette mesure cible très précisément ceux que l'on a pris l'habitude d'appeler les ''super-riches'', c'est-à-dire le centile le plus fortuné de la population américaine : ''By my calculations, 1 percent of Americans, who control 90 percent of the wealth in this country, would be affected by my plan'' (ibid.) 8 Et la contrepartie envisagée est de nature redistributive : ''The other 99 percent of the people would get deep reductions in their federal income taxes'' (ibid.) 9 Remarquons que l'auteur de ces propositions se démarque –au moins par le style– des politiciens de Washington D.C. dont il égratigne au passage la duplicité et les manipulations : ''The plan I am proposing today does not involve smoke and mirrors, phony numbers, financial gimmicks, or the usual economic chicanery you usually find in Disneyland-on-the-Potomac''. 10 L'auteur de ces propositions se décerne un brevet de courage et d'originalité : ''It is a win-win for the American people, an idea no conventional politician would have the guts to put forward'' (ibid.)

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11 Enfin, dernier indice, ce candidat fait passer l'intérêt de la nation avant ses intérêts personnels, mais on devine facilement qu'il n'est pas dans la misère : ''Personally this plan would cost me hundreds of millions of dollars, but in all honesty, it's worth it'' (ibid.) 12 Ces déclarations sont de Donald Trump, le 9 novembre 1999, au moment où il briguait l'investiture du Reform Party (Hirschkorn). Le positionnement d'outsider expert en questions fiscales, le style incisif et la haute idée de soi-même sont reconnaissables. En revanche, en dix-sept années, l'abnégation fiscale de Donald Trump n'est plus aussi ardente. Et la réforme des impôts proposée en 2016 n'est plus du tout redistributive (Haughton) mais pénalise lourdement les Américains moyens (Batchelder), surtout les familles avec enfants (Elliot). Gageons qu'un débat entre le candidat républicain et un adversaire démocrate suffisamment radical pour le mettre face à ses contradictions n'aurait pas manqué de piquant. Ironie de l'histoire, cette proposition est maintenant défendue par le milliardaire démocrate Warren Buffet, soutien indéfectible d'Hillary Clinton. Celui-ci explique qu'il entend être imposé au même taux que sa secrétaire (voir les commentaires dubitatifs de Paul Roderick Gregory) –façon détournée d'admettre que les super-riches échappent largement à l'impôt contrairement aux classes moyennes.

Deux candidats anti-establishment ?

13 A priori, Donald Trump représente les intérêts des milieux d'affaires dont il est lui- même issu. La fortune colossale de Trump s'est construite dans l'immobilier, et lui a ensuite permis de jouer au play-boy milliardaire dans la télé-réalité, en faisant régulièrement la une des magazines. Incarnation de la réussite matérielle décomplexée, Trump se pose en homme d'affaires avisé et riche, donc désintéressé, qui incarne la relève d'une classe politique corrompue et impuissante. L'expertise managériale sert de caution à son programme de relance de l'économie et des emplois américains qui permet de faire l'impasse sur la redistribution du pouvoir d'achat par la fiscalité. Quand Sanders recourt aux recettes de l'économie sociale de marché, Trump se rallie à l'idée montante du protectionnisme (voir l'argumentaire de Grove rédigé en 2010), contre la ligne libre-échangiste traditionnelle de la droite libérale américaine représentée par le Cato Institute (Grisworld décrit le consensus représentatif des années 2000). Pour reprendre le bon mot d'Edward McCaffery, Tax et Trade sont ainsi substituables dans le discours du candidat républicain.

14 Bien que célèbre, Trump n'a jamais détenu de mandat électif. Ce handicap face à Hillary Clinton, qui est une politique chevronnée, se transforme en atout dans une démarche de renouvellement de la classe politique. Le personnage fascine y compris l'homme de la rue par son franc-parler iconoclaste qui contraste avec le langage formaté, politiquement correct, des élites politiques, intellectuelles et médiatiques. 15 Loin des séductions du populisme, Bernie Sanders est perçu comme un homme de gauche, voire un socialiste dont le bureau est orné d'un portrait du marxiste Eugene V. Debs (Sunkara). Ce démocrate du Vermont, blanchi sous le harnais n'est pas sans rappeler le leader travailliste Jeremy Corbyn. C'est lui aussi un candidat anti- establishment qui milite pour le renouvellement de la vie politique en mettant l'accent sur les inégalités à l'instar de mouvements tels que Podemos ou Occupy Wall Street.

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16 Comme Trump, Bernie Sanders n'hésite pas à bousculer les codes. Le 10 décembre 2010 il bat un record en matière d'obstruction parlementaire en prononçant au Congrès un discours de plus de huit heures qui tenait de l'exploit physique. Toutefois contrairement à Trump, ses diatribes ne sont pas dirigées contre la classe politique mais contre les milliardaires et les grandes entreprises : « Special tax breaks and loopholes in a corrupt tax code enable billionaires and powerful corporations to avoid paying their fair share of taxes while sticking the burden on the middle class » (Zornick) - formule utilisée à Dearborn Michigan et reprise très fréquemment). 17 Dès qu'il en a l'occasion, Donald Trump dénonce de manière lapidaire tous les éléments de l'État-Providence, tout particulièrement la réforme du système de santé sous Obama : « Obamacare is a disaster […] we have to repeal it » (Second débat, 27 minutes 46 secondes) 18 Au contraire, le candidat à l'investiture démocrate détaille avec précision ses propositions sur les sites web (sites bernie.sanders.com ou ontheissue.org) : éducation supérieure gratuite, Medicare pour tous et dépenses d'infrastructure d'inspiration keynésienne –pour ne citer que les mesures qui auraient une incidence financière et donc fiscale majeure.

Illustration 1 Bernie Sanders platform

19 Bernie Sanders utilise un raisonnement qui n'a rien de révolutionnaire puisqu'il prône un retour au statu quo ante. Sur son site, malicieusement appelé Feel the Bern, il est rappelé dans la rubrique sur l'égalité que le taux d'imposition pour la tranche la plus élevée était de plus de 90% entre 1944 et 1964, y compris sous le président Eisenhower, puis de 70% jusqu'aux années Reagan (voir graphique). Son analyse montre qu'il s'est opéré un transfert des classes moyennes vers les riches qui ont ainsi pu constituer la classe des super-riches. Sanders demande que cette dérive soit stoppée, et qu'un

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nouveau barème d'imposition rétablisse la justice fiscale qui avait cours dans le passé. Au sens le plus littéral, Sanders est don rétrograde, et s’il a flirté avec les idéologies plus radicales dans sa jeunesse, force est de constater qu’il est un candidat présidentiel très mesuré en 2015-2016.

Illustration 2 : Taux maximum d'imposition sur le revenu aux États Unis 1950-2015

20 En fait, si l'on passe au crible les propositions des deux candidats, il existe un seul point d'accord incontestable : la dénonciation du libre-échange, qu'il soit pris comme un phénomène global, c'est-à -dire la mondialisation, ou régional, comme l'accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA – négocié sous Bush père et ratifié laborieusement au début du mandat de Bill Clinton grâce aux Républicains. Si l'on cherche des comparaisons sur ce dossier, il est tentant de rapprocher Trump de Ross Perot. Cet homme d'affaires à la forte personnalité s'était violemment opposé à l'ALENA, mobilisant autour du thème du Giant Sucking Sound, le bruit produit par les emplois américains aspirés par les maquiladoras mexicaines. Perot, pourtant très conservateur, faisait alors cause commune avec les syndicats et l'extrême-gauche américaine menée par Noam Chomsky, dans une coalition jugée hétéroclite et sans lendemain mais qui préfigurait sans doute en partie la composition de l'électorat qui allait donner la victoire à Donald Trump.

Tax cuts for all ? Deux programmes fiscaux divergents

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Illustration 3 Tax cuts for all, Medicare for all

21 La lecture des programmes dans les grandes lignes permet d'avoir une idée des options fiscales divergentes de Donald Trump et de Bernie Sanders malgré la thématique commune des allègements fiscaux. Sanders entend certes alléger l'impôt de la classe moyenne mais alourdir la fiscalité du centile supérieur (voir sa proposition 8). Donald Trump, dans son grand discours sur les impôts le 8 août 2016 à Detroit –dans le rustbelt désindustrialisé et paupérisé– lance une fois de plus une promesse séduisante à un électorat ouvrier déçu par le Parti Démocrate : des allègements fiscaux pour tous. Dans un pays dont le récit national commence par une révolte fiscale qui tourne à la révolution politique, ce thème fait en général recette. Mais ces considérations générales ne suffisent pas à caractériser les solutions mises en avant par les deux candidats. Pour aller plus loin que les rumeurs et les promesses électorales, nous allons nous appuyer sur des tableaux comparatifs détaillés établis par Anthony Nitti (site Forbes).

22 Ils présentent les taux marginaux d'imposition fédéraux pour un célibataire –le système du quotient familier aux habitants de l'hexagone ayant un modeste équivalent aux États-Unis. Dans le projet de Bernie Sanders, les tranches d'imposition passent de 7 (sous Obama) à 9, donc le barème est rendu plus progressif, mais le taux maximal est de 54%, donc très loin des 90% que ses adversaires l'avaient accusé de vouloir introduire. Notons que ce taux maximum ne frappe que les revenus annuels de plus de 10 millions de dollars, très au-dessus des revenus de la classe moyenne.

BERNIE SANDERS (source : Nitti)

Revenu (célibataire) Taux d'imposition Taux d'imposition en dollars des revenus du travail sur les plus-values en capital

0 - 9 275 12,2 % 2,2 %

9 275 - 37 650 17,2 % 2,2 %

37 650 - 91 150 27,2 % 17,2 %

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91 150 - 190 150 30,2 % 17,2 %

190 150 - 250 000 35,2 % 17,2 %

250 000 - 500 000 39,2 % 39,2 %

500 000 - 2 000 000 45,2 % 45,2 %

2 000 000 - 10 000 000 50,2 % 50,2 %

10 000 000 et plus 54,2 % 54,2 %

23 La colonne de droite donne les taux d'imposition sur les plus-values mobilières. Notons que ces taux sont faibles dans les premières tranches, en tout cas bien en dessous du taux des revenus du travail avant de s'aligner sur ces derniers au-dessus de 250 000 dollars par an. On connaît l'argument qui consiste à défendre une faible imposition des revenus d'un petit capital en considérant qu'il est un produit de l'épargne du travailleur, et donc a déjà supporté une ponction fiscale sous la forme de revenu du travail. Loin du « matraquage fiscal », progressivité et modération caractérisent donc l'impôt sur le revenu des personnes physiques dans le plan Sanders, qui joue son rôle de champion des classes moyennes.

24 Le projet de réforme fiscale de Donald Trump présente astucieusement des taux très bas partout, et une exonération totale pour les revenus salariés inférieurs à 25 000 dollars Annuels. Trump, en bon tacticien, sait qu'il ne peut pas se permettre de « désespérer Detroit » qui n'est plus depuis longtemps la capitale mondiale de l'automobile. Il est vrai qu'un col bleu américain qui se bornerait à comparer dans le haut du tableau les taux proposés par Sanders et par Trump, ou qui consulterait le calculateur en ligne du site Vox, ne verrait pas nécessairement son intérêt du côté démocrate. Pourtant, le plan Trump est d'inspiration libérale. Tout d'abord il est plus « plat » que le barème sous Obama avec 3 tranches (4 si on compte la tranche à taux zéro) au lieu de 7, sans aller jusqu’à la flat tax discutée dans les années Reagan. Ces chiffres sont ceux de la première mouture du plan Trump, tel qu’il est repris par le Wall Street Journal du 28 septembre 2015 (Langley). En se rapprochant de l’échéance, le candidat républicain fait quelques concessions à la progressivité et le taux maximum de 33% se rapproche du chiffre sous Obama qui est de 39,6% (Site Ballotpedia)

DONALD TRUMP plan n°1 (source : Nitti) et n°2 (site Ballotpedia)

Revenu (célibataire) Taux d'imposition Taux d'imposition en dollars des revenus du travail sur les plus-values en capital

0 – 25 000 0 % 0 %

25 000 – 50 000 10 % (plan 2 : 12 %) 0 %

50 000 - 150 000 20 % (plan 2 : 25 %) 15 %

150 000 et plus 25 % (plan 2 : 33 %) 20 %

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Impôt sur les sociétés : passe de 35% à 15%.

Impôt sur le patrimoine : suppression

25 À moyen terme, du point de vue des grands équilibres, Anthony Nitti de Forbes calcule que sur une décennie le plan Sanders génère 13,6 milliards de dollars de recettes de plus par rapport à la fiscalité Obama, tandis que le plan Trump fait baisser ces recettes de 12 milliards de dollars. Au total, un peu plus de 25 milliards séparent les deux plans, mais quand on considère que le déficit fédéral cumulé s'élève à environ 500 milliards en 2016, l'impact apparaît presque négligeable.

26 Pourtant, il serait faux d'en conclure que Sanders et Trump sont fiscalement équivalents. En effet, tous les chiffres analysés jusqu'ici concernent les revenus des personnes physiques. Si l'on examine la fiscalité des sociétés et plus encore la fiscalité non pas des revenus (les flux) mais des patrimoines (les stocks), deux modèles de société se dessinent nettement. 27 Trump fait passer l'impôt sur les sociétés de 35%, valeur proche de la moyenne européenne, à 15%, taux qui confine au dumping fiscal. Pour Sanders, la pression fiscale sur les entreprises demeure largement inchangée mais une capitation de 84$ par employé est introduite pour financer des congés rémunérés pouvant aller jusqu'à 12 semaines. Cette proposition sera reprise dans le programme Clinton (site Bankrate) de même qu'une proposition pour alléger la fiscalité des plus-values en appliquant un taux dégressif sur les placements à long terme et donc pénaliser les « spéculateurs » mais pas les épargnants. 28 Sur le front des patrimoines, Donald Trump propose de supprimer purement et simplement l'impôt sur la fortune ainsi que les droits de succession, mesure favorable aux grandes fortunes. Son colistier, Mike Pence, avait annoncé la couleur par une gestion très conservatrice pendant son mandat de gouverneur de l'Indiana en baissant l'impôt local sur les sociétés et le foncier des entreprises, et en abolissant les droits de succession. Mike Pence avait été distingué en 2014 dans le classement de gouverneurs par le Cato Institute qui lui décernait la quatrième place de son palmarès et la note A – tous les F revenant à des gouverneurs démocrates. Trump projette donc de transposer à l’échelon national un certain nombre d’expériences locales de libéralisation et de privatisation dont le bilan est éminemment contestable (voir Pouzoulet) 29 De son côté, Sanders proposait d'abaisser le seuil d'exonération de 5,4 millions de dollars à 3,5 millions de dollars, patrimoine confortable, ce qui confirme le fait que Sanders se posait en défenseur de la classe moyenne américaine (voir site Feel the Bern, rubrique equality). 30 Le débat sur la fiscalité aurait pu avoir lieu entre Trump et Hillary Clinton, mais force est de constater que la question fut assez rapidement évacuée.

Hillary Clinton contre le contribuable Trump

31 Le 3 octobre 2016, Donald Trump déclarait « fixing the tax code is one of the main reasons I'm running for President » (Zornick). Si l'on regarde attentivement le deuxième débat présidentiel contre Hillary Clinton, on constate que c'est le

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contribuable Trump qui est attaqué avec virulence, mais pas vraiment les dispositifs fiscaux dont il a – en toute légalité – bénéficié. Sur la fiscalité, la passe d'armes entre Trump et Clinton est un modèle du genre. Le téléspectateur a compris que Trump refusait de publier sa déclaration de revenus (second débat 46:00), mais Hillary Clinton opère une diversion sur la politique étrangère. Elle reprend les accusations contre Vladimir Poutine et les services secrets russes qui auraient lancé des cyber-attaques pour déstabiliser le camp démocrate, dans le droit-fil des hackers de Wikileaks. Ce qu'elle sous-entend, c'est que Trump a partie liée avec la Russie à cause de ses investissements, ce qui serait flagrant sur sa feuille d'impôts. Trump tente d'esquiver l'accusation avant de lancer : « I pay hundreds of millions of dollars in taxes » (48:04). Mais il ne peut pas nier qu'il n'a pas payé d'impôt fédéral sur le revenu depuis 18 ans (51:20). Cet élément embarrassant est public depuis un article du New York Times, et Hillary Clinton ne parviendra pas à porter le coup de grâce qu'elle escomptait en le livrant au grand public. En effet, Donald Trump n'a pas fraudé, il a simplement utilisé toutes les ressources du code des impôts pour ne pas être imposable. Le débat aurait pu prendre un tour polémique et se concentrer sur les niches fiscales, mais la brèche va se refermer très rapidement, pour une raison bien simple : Trump a eu recours aux mêmes outils d'optimisation fiscale que les grands contributeurs démocrates. Il va donc se faire un malin plaisir de citer nommément Gorge Soros et Warren Buffet, pour contraindre Hillary Clinton au silence et pousser son avantage. Avec un sourire ambigu, il lance : « I understand the tax code better than anybody that has ever run for president » (second débat, 54:09) et conclut non sans forfanterie : « and it's very complex » (54:12). Les niches fiscales ont été évoquées, le terme carried interest a été cité du bout des lèvres par les deux candidats dans un rare moment de connivence, mais de manière presque subliminale. Pour la plupart des téléspectateurs, l'échange est passé inaperçu. L'incident est clos.

Grandes manœuvres sur les niches fiscales

32 Le mécanisme utilisé par Trump et son équipe d'avocats fiscalistes se base sur une perte colossale de 916 millions de dollars dans un projet immobilier en 1995, et l'étalement sur plusieurs années de ce déficit antérieur vient en déduction des revenus du magnat de l'immobilier. Cette clause dite passive loss qui permet de déclarer une perte supérieure à l'investissement fait partie du code des impôts américains depuis Reagan en 1986. Mais cette disposition est couplée avec l'autre mécanisme mentionné par Hillary Clinton, connu sous le nom de carried interest provisions. La définition est complexe, mais le principe est simple : Carried interest is a rule in the tax code that lets the managers of some types of private investment funds—hedge, private equity, venture capital, real estate and other types of vehicles—pay a lower rate than most individuals. More specifically, the "general partner" who manages money on behalf of "limited partner" clients receives a share of profits from any investment gain on stocks, bonds, real estate or other securities held for more than a year. A hedge fund manager, for example, usually takes 20 percent of all gains on the fund's investments. The tax code treats that income as a "long-term capital gain," which is taxed at a lower rate than ordinary income (currently maximums of 20 percent versus 39.6 percent). (CNBC)

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33 Une définition remarquablement claire en français existe sur le site du magazine Les Echos. Les dirigeants d'un fond d'investissement perçoivent typiquement 20 % de la plus-value annuelle, sous certaines conditions, à titre d'intéressement à la performance et donc, à ce titre, ils sont soumis à un taux préférentiel d'imposition car ils ne sont pas considérés comme des investisseurs mais comme des managers. Le taux qui leur est appliqué est celui des plus-values réalisées sur un placement à long terme, à savoir 20 %, qui est plus avantageux que le taux habituel de 39,6 %.

34 Autrement dit, pour résumer, les carried interest provisions permettent à celui qui est reconnu comme general partner non seulement de ne pas être imposé comme un spéculateur mais bien moins qu'un salarié sur des revenus qui sont pourtant générés par un portefeuille mobilier. Nous renvoyons notre lecteur aux dernières lignes du tableau du plan Trump (seconde version) que nous reproduisons pour plus de clarté :

Taux d'impôt Taux d'impôt sur le revenu sur les plus-values

12 % 0 %

25 % 15 %

33 % 20 %

35 Les concessions de dernière minute par l'équipe Trump qui accepte d'augmenter le taux de l'impôt sur le revenu des personnes physiques sont peut-être dictées par le réalisme budgétaire. Mais on ne peut s'empêcher de penser que plus le taux d'imposition sur le revenu augmente, plus le mécanisme de carried interest est rentable. De plus, au niveau choisi pour l'imposition des plus-values dans le tableau ci-dessus, on comprend aisément pourquoi Trump, dans le débat contre Hillary Clinton, concède à mi-voix qu'il faut supprimer le carried interest. Même imposé au taux des plus-values, sa rémunération en tant que general partner de son fond de placement reste fiscalisé à 20%. Malgré un discours et un positionnement anti-establishment, Trump aborde le dossier de la réforme fiscale avec une grande subtilité qui lui permet de ne rien promettre qui soit préjudiciable aux classes les plus aisées dont il fait partie.

36 Cependant, Trump n'a pas le monopole de l'expertise fiscale. Quand celui-ci propose de supprimer une niche fiscale sans impact négatif sur ceux qui en ont bénéficié, Sanders suggère uune modification d'apparence anodine des règles en vigueur. Il appelle à un alignement des taux de l'impôt sur le revenu et des plus-values mais cette modification technique change fondamentalement la donne. Nous reproduisons les dernières lignes du tableau présentant la réforme de Bernie Sanders :

Taux d'impôt Taux d'impôt sur le revenu sur les plus-values

39,2 % 39,2 %

45,2 % 45,2 %

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50,2 % 50,2 %

54,2 % 54,2 %

37 A partir des tranches les plus hautes, les revenus du capital et du travail auraient été imposés à l'identique, et toutes les manœuvres pour choisir le meilleur régime fiscal auraient perdu leur intérêt. Très économe en moyens, le projet de Sanders aurait rétabli la justice fiscale sans supprimer les niches fiscales mais en les rendant inopérantes. Ainsi, sous des dehors anodins, cet ajustement des taux constituait une attaque frontale contre les privilèges fiscaux du centile supérieur. Plus précisément, le lecteur pourra se reporter à la description par George Zornick de quatre propositions de Sanders visant à réformer la fiscalité souvent dérogatoire du secteur de l'immobilier pour se convaincre que le candidat à l'investiture démocrate menaçait directement les intérêts de Donald Trump.

Conclusion : deux formes de radicalité ?

38 Certains regretteront que le débat entre Sanders et Trump n'ait pas eu lieu, imaginant un affrontement spectaculaire entre un grand patron défenseur des super-riches et un révolutionnaire pourfendeur des privilégiés. Mais rien ne dit que le choc entre les candidats ''anti-Clinton'' donc ''anti-système'' aurait tenu ses promesses.

39 Donald Trump est un personnage assez insaisissable car sa communication –au moins pendant la campagne– déconcertait aussi bien ses partisans que ses adversaires par ses outrances et ses contradictions. Dans une certaine mesure, son positionnement est radical car en se déclarant hostile au libre-échange, il se place en marge du monde des grandes entreprises transnationales qui profitent de la mondialisation. Une partie du succès du président américain repose sans doute en partie sur le fait qu'il est relativement crédible dans le rôle du bâtisseur de tours contre les financiers - ''these are guys that shift paper and get lucky''(Yates et Maxwell). Trump dit tout haut ce que pensent beaucoup d'Américains de base en affirmant que ''the hedge fund guys didn't build this country'' (ibid). Il est parfaitement conscient que la défense du verre et du béton contre l'économie-casino éveille dans l'opinion populaire des échos favorables, en lui permettant au passage de régler quelques comptes avec George Soros et Warren Buffet dont l'engagement dans la campagne démocrate est bien connue. Il semblerait que les rivalités personnelles entre milliardaires dotés d'un ego de bonnes dimensions et d'un narcissisme encombrant n'aient rien à envier en virulence à la lutte des classes. 40 Cependant, malgré un discours apparemment imprévisible, fantasque et dicté par l'inspiration du moment, le candidat républicain ne dévie jamais d'une ligne fiscale qui correspond aux intérêts bien compris des milieux d'affaires. Par conséquent, Trump a joué avec talent la partition du candidat anti-système qui lui a permis de remporter une surprenante victoire électorale, mais sa radicalité nous semble toute relative. 41 Face à lui, se posant en défenseur de la classe moyenne et pas du lumpen prolétariat, Sanders montre son visage modéré et réformiste en ne proposant pas un bouleversement du code des impôts mais un infléchissement bien calculé. Adepte du fine tuning fiscal, il manifeste un talent indéniable pour faire coïncider son exigence de justice sociale avec le réalisme d'un homme politique expérimenté qui a la sagesse de

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ne pas s'engager dans des combats incertains. Sur le front de la fiscalité, comme sur d'autres, Sanders possède en définitive un profil social-démocrate qui passerait pour assez conventionnel en Europe du Nord.

BIBLIOGRAPHY

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ILLUSTRATIONS

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1- 'Bernie Sanders platform' (Site Mountaineers for Bernie Sanders : https:// mountaineersforberniesanders.files.wordpress.com/2015/08/47c1119ff5 44bbf562678f9a7690050d.jpg)

2- 'Taux maximum d'imposition sur le revenu aux Etats Unis 1950-2015' (Site du Tax Policy Center : http://www.taxpolicycenter.org/sites/default/files/wp-content/uploads/2016/01/ Bernie-top-tax-rate-1-19-16.png)

3- 'Tax cuts for all Medicare for all' ( Site Turner : http://i2.cdn.turner.com/money/dam/assets/ 160115103423-trump-sanders-debate-780x439.jpg)

ABSTRACTS

The gap between Bernie Sanders' and Donald Trump platform in the 2016 US presidential election can be estimated concretely — beyond rhetorics — by comparing the candidates' tax plans. This papers discusses the extent to which Sanders' tax vision contrasts with Trump's, deserves to be called social-démocratic and could have provided the American voter with a genuine alternative in terms of social model.

L'écart entre le programme de Bernie Sanders et celui de Donald Trump dans la campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis, peut se mesurer concrètement --au-delà de la rhétorique-- en opposant les projets de réforme fiscale des candidats. Cet article examine dans quelle mesure la fiscalité de Sanders contraste avec celle de Trump, mérite le qualificatif de social-démocrate et aurait pu offrir à l'électeur américain un véritable choix de société.

INDEX

Mots-clés: États-Unis, élections présidentielles 2016, Sanders, Trump, fiscalité, carried interest Keywords: United States, presidential elections 2016, Sanders Trump, taxation, carried interst

AUTHOR

CHRISTIAN LEBLOND

ILCEA4 (Institut des Langues et Cultures d'Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie) Université Grenoble-Alpes

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3- Politique étrangère

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Capitalist transformation, social violence and transnational migration. The Obama-Clinton legacy in Central America in macro- sociological and strategic perspective

James Cohen

1 Only one of the two major candidates in the 2016 presidential election had an established record in foreign policy while the other most decidedly did not. For that reason, among many others, it was assumed throughout most of the campaign that Hillary Clinton would soon be taking charge of the presidency. Although she did not achieve that goal, it remains important to understand her strategic orientation and her legacy as Secretary of State of the U.S. (2009-2013) because in this position she, and the president she was serving, did leave an intelligible legacy, the study of which can contribute to our understanding of the contemporary world order.

2 This article draws attention to U.S. policy in a group of countries that are not usually considered to be of great strategic importance: the republics of Guatemala, Honduras and El Salvador, which make up the so-called “Northern Triangle” of Central America. However insignificant they might seem at first glance in a strategic perspective, it can be argued that U.S. policy in these countries over the past few decades, including the Obama era, provides important clues about how the U.S. exercises power in the international political and economic system, whether Democrats or Republicans are in power. 3 Obama and Clinton have left two parallel legacies in Central America: the first has to do with a major political event and the second takes the form of an ongoing, ordinary pattern of relations. The political event was the military coup d’Etat in Honduras in late June 2009 against elected president Manuel Zelaya. It was staged by a group of military

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officers and businessmen who removed him from his house at night, flew him out of the country, and declared that political life in Honduras would proceed without him. He was accused of trying to organize a referendum to extend his term of office, but such a move was impossible. The authors of the coup were mainly concerned about the defense of dominant class interests which they saw as threatened. Although Zelaya was himself a member of the landed elite, he began during his term of office to move in a direction that could be described as “slightly leftward”. According to a Foreign Policy in Focus analysis: Venezuelan President Hugo Chávez offered discounted oil to Honduras and Zelaya accepted. He developed modest but real new domestic initiatives, including raising the minimum wage, which infuriated the business community. And he began to collaborate with the foreign policy initiatives of the Bolivarian Alternative for the Americas, the Venezuelan-led political alliance. His leftist rhetoric and populist programs won him a degree of domestic political support from organized campesino groups and some trade unions (…). At the same time, his increasingly radical rhetoric infuriated sections of the traditional elite, and the political class began to turn away from Zelaya. He lost the support of his own political party in the Congress (Thale 2009). 4 The coup against Zelaya was condemned by the UN, the European Union, the Organization of American States (from which Honduras was suspended), and even, initially, by the Obama administration, but Secretary of State Hillary Clinton was less determined to see the constitutional order restored in Honduras than she claimed. There is much investigative research showing how Hillary Clinton supported Zelaya’s overthrow once it occurred (for example, Joyce 2010; Weisbrot 2009, 2014; Shorrock 2016). Despite numerous public declarations and diplomatic gestures intending to convey the impression that the U.S. was attached to restoring democracy, in practice she allowed those seeking to keep Zelaya from resuming his term of office to gain time and took an active role in promoting the idea of post-coup elections that did not include Zelaya but opened the way for the civilian promoters of the coup to assume power. Such elections did take place in November 2009, when interim coup president Roberto Micheletti was replaced by “legally” elected president Porfirio Lobo. The military coup was relayed into a civilian one.

5 Hillary Clinton mentions these events briefly in her book Hard Choices (2014), a 500-page memoir about her four years as Secretary of State1. However, in the paperback version of the book she removed the sentences, included in the hardcover edition, in which she explicitly admits her objective of making the return of Zelaya impossible: In the subsequent days [after the coup] I spoke with my counterparts around the hemisphere, including Secretary Espinosa in Mexico. We strategized on a plan to restore order in Honduras and ensure that free and fair elections could be held quickly and legitimately, which would render the question of Zelaya moot and give the Honduran people a chance to choose their own future (quoted in Beeton and Tang 2016). 6 As a result of the coup and the post-coup regime, dozens of social activists have been assassinated, including a very prominent one, Berta Cáceres, 44, renowned leader of indigenous struggles against the construction of dams and other projects on the lands of the Lenca people. Before being cut down on March 3, 2016, Berta Cáceres spoke out about the role of the U.S in upholding the coup and the danger this policy represented for movements like hers. Since 2009, assassinations of activist leaders have continued

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on a regular basis (Weisbrot 2016) and social movements have been forced to operate with extreme caution under threat of physical risk.

7 Although the record shows that Hillary Clinton took the lead in handling this matter in 2009, Barack Obama, as president, was also called to account for the coup. He did first condemn it as illegal, but he was content at the North American Leaders’ Summit a few days after the coup, to make the following statement: The same critics who say that the United States has not intervened enough in Honduras, are the same people who say that we're always intervening and that Yankees need to get out of Latin America. You can't have it both ways. (CNN politicalticker, August 10, 2009) 8 To this statement, John Ackerman, Mexican legal scholar and political commentator, has replied: The idea that the the U.S. can “not intervene” in Latin America is a fantasy. It is always present. The question is not whether they intervene but how they do so. Is it in favor of authoritarian regimes, or in favor of democratic social movements? (Ackerman 2015, p. 70) 9 In the meantime, Honduras’ social and economic situation has deteriorated greatly. Already before the coup, Honduras suffered from high levels of chronic social violence and deep social inequalities; those conditions have only deteriorated in recent years. According to estimates from 2010 and 2011, about 60% of the population of Honduras lived in poverty as well as 37% of the population of El Salvador and 54% of that of Guatemala (CIA World Factbook, quoted in Rosenblum and Ball 2016). A Migration Policy Institute Report states that “all three Northern Triangle countries continue to experience high levels of violence, food insecurity and poverty, the primary push factors, contributing to migration outflows from the region” (Rosenblum and Ball 2016, p. 3).

Macro-sociological and systemic mapping

10 Although the U.S. role – and that of Hillary Clinton in particular – may be considered open to criticism by any standards of “democracy promotion”, the objective of this paper is not simply to criticize this episode in U.S. policy, but above all to examine it as symptomatic of broader and deeper tendencies in U.S.-Central American relations, and U.S.-Latin American relations more broadly, over the past several decades. The forms of endemic social and paramilitary violence spoken of here will seem familiar to anyone who has observed Colombia or Mexico, but contextualizing and explaining the Central American situation requires specific attention to conditions in these countries. How can different forms of endemic violence be seen not only as feeding into each other, but as products or symptoms of the more systemic logics of neoliberalism as it has taken form over the past 3-4 decades. The following is an initial attempt to map out the field in a way that shows how these locally observable trends reflect deeper regional and systemic ones.

11 Immigration is a convenient and revealing starting point for this investigation. Much attention is currently being paid to what has caused so many Central Americans, women and minors in particular, to flee their countries and attempt to reach the United States these past several years. In the summer of 2014, a crisis was declared on the U.S.-Mexican border when a surge in the number of arriving women and minors

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took place. In May and June of that year alone, about 20,000 Central American children arrived at the southern border, mostly in Texas. For fiscal year 2014, a record of over 65,000 apprehensions of minors and children were recorded at the border (Meyer et. al. 2016, p. 1). These flows have fallen and risen various times since then, but they have not ceased. As the director of a child protection agency in Honduras has declared, “Central America has become a factory of migrants. There is no access to resources, to economic or educational opportunities and no trust in government actors… These people are not chasing the American dream – they’re fleeing a Central American nightmare” (García 2015). 12 Much has been written about the conditions under which these migrants have been received in the U.S., their conditions of detention, their difficult battle to be recognized as refugees (for example, Meyer et. al.; Hiskey et. al., 2016; Chishti and Hipsman, 2016). There is also a growing body of research about the current U.S. policy of prevailing on Mexico to capture and deport back to Central America as many of these migrants as possible before they reach the U.S., too often with disastrous results for those forcibly returned to the environments they were fleeing (Domínguez Villegas and Rietig, 2015). These are important subjects in themselves, but they are mostly symptoms of the broader dynamics mentioned above. 13 Starting with these flows which have elicited a strong security-oriented response from the U.S., we may then ask, in a sociological perspective, about the “push” factors – the social and economic conditions of life – that have driven so many Central Americans, including many women and minors, to migrate in spite of all the risks. This in turn leads to questions about the transformations of capitalism in Central America over the past 20 to 30 years since the end of the civil wars in El Salvador and Guatemala, and about the implications of these transformations for political institutions – in other words, how has neoliberalism affected the democratic transitions in each country? 14 Sociologist William I. Robinson has carried out his well-known theoretical work on transnational capitalism against the empirical backdrop of Central America, in particular in the book Transnational Conflicts: Central America, Social Change and Globalization (2003). In the chapters of this work focusing on the recent history of several Central American countries, he shows how U.S. policy during the civil wars in Guatemala and El Salvador, under Reagan, was not just about defeating revolutionary movements (unlike the one which had triumphed in Nicaragua in 1979) by supplying weapons and training to the local armies and paramilitary groups; it was also, and simultaneously, about imposing on governments, in the midst of civil wars, via USAID, programs to reorganize their private sector and reconfigure the state in ways compatible with neoliberal social and economic policies. While it is not possible here to examine in detail his account of the transformations undertaken, it is important to stress the correlation he establishes between neoliberal capitalist transformation and a given type of political regime characterized as polyarchy: When US policy makers and transnational elites talk about democracy promotion, what they really mean is the promotion of polyarchy. This refers to a system in which a small group actually rules, and mass participation and decision-making are confined to choosing leaders in elections that are carefully managed by competing elites. ln the age of globalization, polyarchy is generally a more reliable political system for containing and defusing mass pressure for popular social change (Robinson 2007, p. 33).

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15 There has indeed been a form of transition to democratic rule since the 1980s but the notion of polyarchy marks the limits of democracy under neoliberal conditions: At the level of the dominant project, the old authoritarian regimes have crumbled through transitions to polyarchy, and leftist movements that in the 1980s posed an anti-systemic alternative to integration in the emergent global order have been defeated or transformed. In each Central American country, a transnationalized, “technocratic” or New Right fraction gained hegemony within the dominant classes and pushed the transnational agenda of neoliberalism and the consolidation of polyarchies (Robinson 2003, p. 65). 16 In the Central American regimes established after the civil wars, democracy has progressed in some respects but it is combined with a top-down diffusion of neoliberal norms and mechanisms. The exercise of rights by ordinary citizens has been plagued by endemic social violence and continuing selective violence against activists of the left (see Moodie, 2010, for an excellent study of the Salvadoran case that illustrates these points).With such regimes, regression toward authoritarian rule is a possibility; the coup in Honduras is the one most obvious case of such regression.

17 Another important ingredient of this socio-historical configuration is the politics of free trade. The Dominican Republic-Central America Free Trade Agreement, referred to in short as CAFTA-DR, which covers the region’s economic dealings with the U.S., took effect in 2004. It includes all the Central American countries except Panama. Whatever its advantages for some sectors of industry, there is ample documentation to the effect that the agreement has resulted in the displacement of many farmers from their land; in the maintaining of poor wage standards and labor conditions, especially in export- related industries; in the opening, of large quantities of land for mining, thanks to environmental deregulation; in major obstacles to the passage, in any of these countries, of any regulatory legislation, because of investor state dispute-settlement mechanisms which allow the corporations, almost always, to prevail (Pérez-Rocha 2014; Public Citizen 2014). Much more research needs to be done on the effects of this agreement on living standards for Central American workers, and on environmental standards in those countries.

The roots of local and transnationalized and social violence

18 In 2012 the rate of murder per 100,000 people in the population was over 90 in El Salvador, and over 85 in Honduras, as compared to 53 in Venezuela, 33.8 in Colombia, 4.7 in the US and 1.0 in the UK (Igarape Institute, quoted in The Guardian 22 August 2015).

19 The high levels of violence in these countries today clearly has several different but inter-related sources. The heritage of the civil wars and the counter-revolutionary paramilitary groups and death squads from the 1980s and early 90s is not to be minimized (Dudley 2012, p. 7-8). Guatemala has a specific heritage of genocidal violence against indigenous peoples during an extended period of civil war (1960-1996). However, these periods of prolonged conflict cannot alone explain today’s high levels of social violence. 20 The status of Central American states in the regional and international order – that is, their status of dependent state formations in historic situations of dependent

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capitalism, may be said to have already “predisposed” these societies to high levels of social violence, because these state formations were among the most oligarchically- controlled, despotic and violent as anywhere in Latin America (Munck 1984). These were indeed the state formations and national spaces which, along with Nicaragua, gave rise to what historian Walter LaFeber characterized as “inevitable revolutions” (LaFeber 1993). While the Cold War, that is, Soviet and Cuban influence real or imagined, served as a the lens through which the Reagan administration claimed to read events in Central America in the 1980s, LaFeber shows clearly that the roots of revolutionary movements in all these countries were “endogenous”, that is, not explainable as pure proxy wars between superpowers, but rather as uprisings against durably inegalitarian and despotic forms of rule resulting from a long heritage of colonial and capitalist dependency. 21 From a more immediate and contemporary perspective, the social violence with which the countries of the Northern Triangle are rife has a strong transnational dimension, not just because of transnationalizing capitalism and its overall socio-economic effects, but also because of a particular category of actors who are a product of this configuration: young deportees from the U.S. back to Central America, among whom are many transnationalized youth gang members. These gangs, which originated in the U.S., principally in the Los Angeles area, were transplanted to El Salvador, Guatemala and other places via the deportation of gang members. Their activity has contributed greatly to the already-endemic social violence that has plagued the cities of Central America, especially its northern tier. Salvadoran historian Joaquín M. Chávez writes: The appalling social impacts of the neoliberal reform implemented by ARENA2 governments in urban and rural communities, and the institutional weaknesses of the country’s judicial system, its National Civilian Police and other state agencies that were created as a result of the peace accords – as well as the endemic lack of public services and labor and educational opportunities in urban communities like San Salvador – have all enabled the rapid expansion of gang networks among socially marginalized Salvadoran youth (Chávez 2016, p. 211). 22 The U.S. has contributed powerfully to this problem by deporting to Northern Triangle Countries large numbers of convicted gang members. Between 2001 and 2010, the U.S. deported 129,726 convicted criminals to Central America, over 90% of whom went to the Northern Triangle. With these deportations the two most important gangs of Los Angeles, Mara Salvatrucha 13 and Barrio 18, have also become the two most important gangs of the Northern Triangle region, with anywhere between 60,000 and 95,000 members active depending on estimates (Dudley 2012, p. 8-9; see also Zilberg, 2011).

23 Drug cartels, usually associated with Colombia and Mexico, are of growing importance in the Northern Triangle as well. The authors of a Migration Policy Institute study write: Over the past two decades, organized crime has taken control of critical economic activities in Mexico and the Northern Triangle. Non-institutional actors – particular drug cartels – have overrun and transformed the social landscape, challenging the government’s monopoly on the use of force, while corruption has spread and taken deeper root at various levels of government and law enforcement. (Papademetriou et. al. 2013, p. 17). 24 There are clear indications of a correlation between the coup in Honduras and the appearance of cartels which have found safe havens in portions of the Honduran territory, in particular near the border with Guatemala. Today certain cartels are acquiring land on which to develop safe havens, and they are doing so by forcing

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people off that land by threatening them with death if they do not sell or simply cede their property. The majority of the targeted populations are communities of indigenous people living in the area near the northern coast of Honduras (McSweeney and Pearson, 2013).

25 What is taking shape in such regions has been described by Canadian researcher and investigative journalist Dawn Paley as a form of drug war capitalism, that is, a form of accumulation of capital that involves much violence and dispossession exercised by the cartels while complicit politicians look on (Paley, 2014). Honduras is relatively new to this type of scenario, in part because cartels based in Mexico have developed bases outside that country to escape the heat of military pursuit there. Drug war capitalism, argues Dawn Paley, needs to be understood in its systemic dimension, that is, as part of the regional and world system of transnational capitalism. Here is a brief summary of her analysis: The war on drugs is a long-term fix to capitalism’s woes, combining terror with policymaking in a seasoned neoliberal mix, cracking open social worlds and territories once unavailable to globalized capitalism. (…) The notion that there is a clear division between state forces and crime groups – that corruption and collaboration are the work of a few bad apples – is a hegemonic idea promoted by nation-states and the mainstream media. Undoing this binary means learning from the people whose lives have been directly affected by armed groups whose activity is carried out with impunity. Impunity is not the result of a weak or deficient state, but rather it is actively provided to the gamut of armed groups who commit crimes and acts of terror against citizens, migrants and the poor. The provision of impunity to armed actors who are politically aligned with capitalism is part of a modern nation state’s raison d’être (Paley 2014, p. 16-17). 26 Paley’s claim that drug war violence is a “fix”, that is, functionally necessary for capitalism, is very bold but highly debatable and has generated much debate. Her observation that state forces and crime groups are often impossible to tell apart is verified in several case studies that she has carried out in Mexico, Colombia and the Northern Triangle.

U.S. responsibilities and policy choices

27 The overall picture of Central American societies as modeled by neoliberally-inflected capitalism since the mid-1980s needs of course to be completed but in terms of general levels of well-being and security, the record is rather dismal and the problems posed to these societies appear intractable. As we begin to establish connections and map out the field of class relations, power relations, and international and transnational relations in which these countries are situated, it is necessary to understand the precise role of the U.S. as a power and of U.S.-based corporations in contributing to such a dire situation. The problems of social violence we are foregrounding here are chronic and could also be called systemic, but that does not mean they are generated automatically, or “functionally”, by a transnational capitalist system independently of the will of powerful political actors. Political choices do count a great deal, as the discussion of the Honduran coup was indeed meant to suggest.

28 The dimension of choice may be in part obscured because of the high degree of continuity between Democratic and Republican administrations in Central American policy since the 1990s. Whoever has been in government since the 1990s, the U.S. as a

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power has allowed the situation in these countries to degenerate to the point where there is now an immigration “boomerang effect” which calls Washington’s attention to the situation in these countries in a way that poverty and endemic violence alone would not.. The Democratic Obama administration proved no exception. Far from making serious efforts to favor economic and social development in these countries, it continued to treat violence and migration at best as security issues, that is, at the level of symptoms. Regarding migration, the policy has been to try to diminish the number of arrivals from Central America by prevailing on Mexico to arrest as many of the migrants as possible and deport them to their home countries, where they return to the same dismal conditions as before and are often exposed to the very violence they were trying to escape (Dominguez Villegas and Rietig 2015). 29 The U.S. has established programs with El Salvador and other countries to coordinate the surveillance and the policing of gang members. At the same time it has remained U.S. policy to deport as many “criminal aliens” as possible back to their home countries since it is taken for granted that that is where they belong. Efforts to actually transform the social environment in which crime and violence flourish have not amounted to much. The relevant U.S. program, known as CARSI (Central America Regional Security Initiative), has existed since 2008, under Bush, and has been financed at the rate of roughly a billion dollars to date. Its mission is defined as follows: • Assist law enforcement and security forces to confront narcotics and arms trafficking, gangs, organized crime, and border security deficiencies, as well as to disrupt criminal infrastructure, routes, and networks; • Build the capacity of law enforcement and the justice sector to serve citizens and to address regional threats; • Advance community policing, gang prevention, and economic and social programming for at-risk youth and communities disproportionately affected by crime. (source : http:// www.state.gov/p/wha/rt/carsi/)

30 From this mission statement it is clear that nothing is envisioned to deal with the problems at their socio-economic roots. The prevailing policy framework, not surprisingly, is geared to the needs of U.S. society and fails to take a regional view.

31 Few people anywhere in the federal government have been thinking about alternative approaches to these problems. However, a few members of Congress have showed signs of broadening their view and taking into account regional dynamics and not just national ones. Among them are Senator Bernie Sanders of Vermont and Representative Raúl Grijalva of Arizona, who have made an effort to understand the social conditions from which many migrants are fleeing. In July 2015, Grijalva organized hearings in Congress on the question of unaccompanied minors (Hendley, 2015). Sanders’ program for immigration, as elaborated on his 2016 presidential campaign website, was the only program of any candidate to address immigration as a transnational question and not just of narrow national interest. The program reads in part: Inequality across the world is universally acknowledged as the driving force behind migration. (…) For example, the ill-conceived NAFTA devastated local economies and pushed millions to migrate. (…) Not only have our trade policies with Mexico, Central America, and led to the loss of millions of decent-paying jobs and thousands of factories, but they have led to destitution for local communities around the world. Accordingly, our nation must level the playing field for workers everywhere. Those who wish to remain in their home country should be able to earn livable wages and not [have to] migrate for economic survival. (…) Multi-

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faceted policies that look beyond our borders are critical to addressing the root causes of migration and economic inequality (from “A Fair and Humane Immigration Policy” on the website “Bernie 2016”). 32 There is little use discussing today the approach of Hillary Clinton, but there is little reason to believe that she might, as president, have undertaken bold action to change the prevailing pattern of relations. As for Donald Trump, there is less reason still to believe that his administration will do anything to remedy these problems, and much reason to believe things will only be made worse, since one of his main campaign commitments, confirmed in the first few months of his administration, was to accelerate the apprehensions and deportations of undocumented migrants. His narrowly nationalistic and xenophobic approach to migration is a way of simply denying any U.S. responsibility for the grim situation in the Northern Triangle, or anywhere else. As was predictable, his budgetary proposal for 2018 calls for less aid to Central America overall, and more measures in the name of “security” (Hiemstra 2017). The goal of promoting “prosperity” exclusively by encouraging more capital investment under existing social conditions is certain to continue generating more insecurity and contributing to the spiral of social violence.

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NOTES

1. The paperback edition, with this sentence expurgated, was published by Simon & Schuster in 2014. 2. ARENA: Alianza Republicana Nacionalista, a right-wing political party founded by Roberto D’Aubisson in 1982 in the middle of the civil war. D’Aubuisson was known for his role in organizing death squads. ARENA presidents were victorious in four straight elections from 1989 to 2004 and governed the country for two decades.

ABSTRACTS

Whichever party has been in office, the U.S. since the 1980s has strongly promoted the adoption in Central America of neoliberal policies and mechanisms of government while taking no effective measures to combat at its roots the tide of social violence that such policies have helped to engender. The policy of deporting migrants, including many gang members, back to their countries of birth has only further caused violence to spiral as recently established democratic regimes struggle with issues of basic civil order. The coup d’Etat in Honduras in June 2009, which the Obama administration first condemned but then upheld, serves as an extreme example of how such policies can undermine the social order and open the door to authoritarian regression. The purpose of this article is to begin to account for prevalent forms of social violence in the Northern Triangle of Central America (Guatemala, Honduras, El Salvador) macro-sociologically, taking transnational migration into account, but also strategically, that is, by examining U.S. policy orientations.

Quel que soit le parti au pouvoir, les Etats-Unis, depuis les 1980, promeuvent en Amérique centrale l’adoption de politiques et de mécanismes de gouvernement néolibéraux sans pour autant prendre de mesures efficaces contre la montée de la violence sociale que de telles politiques ont contribué à engendrer. La politique consistant à expulser de nombreux membres de gangs vers leur pays de naissance n’a fait qu’aggraver les violences chroniques, pendant que des régimes démocratiques peinent à établir l’ordre civil. Le coup d’Etat au Honduras en juin 2009, d’abord condamné par l’administration Obama, puis défendu, constitue un exemple extrême de la manière dont de telles politiques peuvent miner l’ordre social et ouvrir la porte à des régressions autoritaires. L’article vise à rendre compte des formes courantes de violence sociale dans le Triangle Nord de l’Amérique centrale (Guatemala, Honduras, Salvador) dans une

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perspective macro-sociologique, en prenant en compte les migrations transnationales, mais aussi de façon stratégique, en examinant les orientations de la politique étatsunienne.

INDEX

Keywords: Central America (Northern Triangle), Barack Obama, Hillary Clinton, social violence, neoliberalism, migration, transnational gangs, drug wars Mots-clés: Amérique centrale (Triangle du Nord), Hillary Clinton, Barack Obama, violence sociale, néolibéralisme, migrations, gangs transnationaux, guerres contre les narcotrafiquants

AUTHOR

JAMES COHEN

Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, CREW (EA 4399)

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La « relation spéciale » canado- américaine à l’épreuve du fossé idéologique entre Donald Trump et Justin Trudeau

Frédérick Gagnon

1 Le Canada est rarement un enjeu central des élections américaines et les Canadiens se désolent souvent du faible intérêt dont ils font l’objet aux États-Unis (Biette 2006; Balthazar et Hero 1999). Tant mieux diraient certains, car cela illustre que le Canada et les États-Unis sont deux alliés indéfectibles, partageant la plus longue frontière non militarisée du monde et entretenant une relation des plus cordiales (Brooks 2014, p. 24). D’autres estiment cependant que le faible intérêt des Américains pour le Canada a pour conséquence une méconnaissance des réalités canadiennes à Washington (Robertson 2005). Après le 11 septembre 2001 par exemple, les diplomates canadiens ont eu du mal à briser le mythe selon lequel certains terroristes avaient transité aux États-Unis par la frontière canadienne.

2 Lors du duel présidentiel de 2016 opposant Donald Trump à Hillary Clinton, le Canada a davantage été dans la mire des Américains qu’à l’habitude. Qualifiant l’Accord de libre- échange nord-américain (ALÉNA) de « pire accord de commerce jamais signé par les États-Unis » (Gandel 2016), Trump a promis de renégocier avec le Canada et le Mexique ce traité de 1994 qui avait permis de créer la plus grande zone de commerce du monde. Trump a également affirmé que les alliés de l’OTAN, dont le Canada, devraient augmenter leurs dépenses militaires pour continuer à profiter de la protection américaine en cas de besoin. 3 Alors que la plupart des observateurs prédisaient la victoire d’Hillary Clinton le 8 novembre 2016, l’élection de Trump a suscité maintes inquiétudes au Canada. Quelle serait la politique étrangère du milliardaire? Jusqu’à quel point romprait-il avec l’héritage d’Obama, dont la parenté idéologique avec le premier ministre du Canada Justin Trudeau était si forte que l’on n’hésitait pas à parler d’une véritable bromance1 pour décrire leur relation?

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4 Grâce à un examen des trois principaux domaines des relations canado-américaines ayant retenu l’attention de Washington et d’Ottawa depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, le commerce, l’environnement/énergie et la sécurité (Robertson 2017), cet article soutient que le Canada et les États-Unis ont amorcé, en janvier 2017, une période d’incertitude rarement vue dans leur histoire, et que l’ampleur du fossé idéologique entre les gouvernements Trudeau et Trump a exposé les deux pays à des risques de désaccords susceptibles d’ébranler la « relation spéciale » canado- américaine. Cette thèse est toutefois nuancée à deux titres : d’une part, malgré le fossé idéologique entre Trudeau et Trump et le style parfois « anti-diplomatique » de ce dernier, il existe des zones de compromis possibles qui, sur certains dossiers, pourraient même donner lieu à une amélioration des relations canado-américaines par rapport aux années Obama. D’autre part, lorsqu’il y aura désaccord entre Ottawa et Washington, le Canada pourra parfois compter sur la décentralisation du pouvoir ainsi que sur les mécanismes de poids et contrepoids propres au système politique américain pour préserver ses intérêts.

De la « relation spéciale » à l’imprévisibilité de Trump

5 La littérature théorique sur les relations entre le Canada et les États-Unis est presque unanime : voilà deux pays dont l’intégration et les interactions figurent parmi les plus importantes du monde. La guerre anglo-américaine de 1812 opposant les États-Unis à l’Empire britannique rappelle qu’il y a eu d’importants affrontements entre les Américains et leurs voisins du nord (la ville de Washington fut même incendiée pendant ce conflit). Cela dit, la force et la multiplicité des liens canado-américains de la naissance du Canada en 1867 à aujourd’hui portent plusieurs observateurs à croire à l’existence d’une véritable « relation spéciale » entre les deux pays (Morici 1991; Haglund 2009)2. Pour Haglund, cette relation est « spéciale » à au moins deux titres. D’une part, d’un point de vue strictement empirique, les données quantitatives et statistiques témoignent du caractère pour le moins unique de l’interrelation entre le Canada et les États-Unis. 400 000 Canadiens et Américains traversent la frontière canado-américaine chaque jour, pour des raisons personnelles, touristiques ou professionnelles. Qui plus est, 75% des Canadiens vivent à moins de 160 kilomètres de cette même frontière, dans des villes comme Montréal, Windsor ou Vancouver. Les trois quarts des exportations canadiennes vont aux États-Unis et les deux pays échangent près de 700 milliards de dollars en biens et services annuellement (Gagnon 2017).

6 D’autre part, Haglund écrit que la relation canado-américaine peut être qualifiée de « spéciale » pour des raisons plus subjectives, liées aux perceptions mutuelles généralement positives et amicales qui existent entre les Américains et les Canadiens. Trois remarques s’imposent ici. D’abord, il existe certes des différences notables entre les cultures politiques américaines et canadiennes. Seymour Martin Lipset (1995) note par exemple que l’individualisme et la méritocratie sont des valeurs plus profondément ancrées aux États-Unis qu’au Canada. Il n’en demeure pas moins que les Américains et les Canadiens s’entendent généralement sur un certain nombre de grands principes, dont ceux consistant à dire que la démocratie représentative et l’économie de marché sont d’excellents modes d’organisation des sociétés modernes. Ensuite, si l’on fait abstraction du Québec, seule province canadienne à majorité francophone, le Canada

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est composé de citoyens qui ont, pour la plupart, la même langue maternelle que les Américains ainsi qu’un héritage commun (britannique). Enfin, une troisième donnée témoignant des perceptions mutuelles positives et amicales entre les Américains et les Canadiens est que les cultures populaires des deux pays s’entremêlent à ce point qu’il est parfois difficile de voir ce qui distingue les Canadiens et les Américains, ou encore leurs habitudes de consommation3. Après avoir vu les acteurs Jim Carrey et Mike Myers dans les plus récentes productions hollywoodiennes, on peut ainsi oublier qu’ils sont originaires de la province canadienne d’Ontario – et non de la Californie, de l’Illinois ou du Michigan. Le Québec fait encore là figure d’exception, car il possède une culture populaire à prédominance francophone, plus distincte de celle des États-Unis. Les Américains reconnaissent facilement l’identité québécoise de la chanteuse Céline Dion par exemple, le prénom et le nom aidant. Or, les Québécois sont souvent tout aussi avides que les autres Canadiens des séries et films américains : ils n’échappent pas à l’influence des produits culturels de masse américains même si le Québec se laisse un peu moins « engloutir par les valeurs et la culture de son puissant voisin » que les autres provinces canadiennes (Prémont 2010, p. 136). La « relation spéciale » entre le Canada et les États-Unis n’est toutefois pas immuable ni inébranlable. Au cours des dernières décennies, elle a parfois été marquée par des refroidissements évidents. Au moins deux facteurs ont mené à ces périodes plus sombres. 7 D’une part, des événements internationaux suscitent parfois la crispation ou la méfiance d’une société à l’égard de l’autre. Deux exemples viennent à l’esprit. Au début de la crise économique des années 1930, les autorités américaines décident de fermer les frontières aux travailleurs étrangers pour protéger les emplois américains. Cette décision représente un tournant dans les liens migratoires canado-américains, car elle interrompt, entre autres, une vague d’immigration qui avait débuté durant les années 1840 et pendant laquelle 900 000 Canadiens français s’étaient installés aux États-Unis pour occuper des emplois manufacturiers dans des villes comme Lowell au Massachusetts (Roby 2007). Un peu de la même manière, les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont convaincu Washington et les États frontaliers du Canada de l’importance de renforcer les mesures de sécurité à la frontière, pour prévenir l’arrivée de terroristes sur le sol américain. 8 D’autre part, les fossés idéologiques qui existent parfois entre Ottawa et Washington (engendrés par des alternances au pouvoir par exemple) sont un deuxième facteur pouvant refroidir les relations canado-américaines. Ces fossés sont plus fréquents quand des premiers ministres issus du Parti libéral du Canada doivent entretenir des relations avec des présidents du Parti Républicain, ou lorsque des premiers ministres issus du Parti conservateur du Canada (appelé Parti progressiste-conservateur du Canada jusqu’en 2003) sont au pouvoir pendant des présidences démocrates. En effet, bien que le centre de gravité politique soit généralement plus à gauche au Canada qu’aux États-Unis, les conservateurs au Canada promeuvent, un peu comme les Républicains aux États-Unis, des politiques visant la réduction du rôle de l’État dans l’économie, l’équilibre fiscal et les réductions d’impôts pour les particuliers et les entreprises, un certain nationalisme en politique étrangère et une prudence à l’égard des engagements internationaux trop contraignants au sein des institutions multilatérales internationales (l’ONU par exemple), des mesures environnementales minimales ou, du moins, qui ne ralentissent pas indument le développement économique, ou encore le libre-échange en matière de commerce. Le mariage gay et l’avortement ne sont pas autant à l’avant-scène des débats politiques au Canada qu’ils

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le sont aux États-Unis, mais parmi les principales formations politiques canadiennes, le Parti conservateur est celui dont les positions se rapprochent le plus de celles des Républicains aux États-Unis sur de telles questions. 9 De leur côté, le Parti libéral du Canada et le Parti Démocrate ont souvent des programmes électoraux similaires : vision optimiste de l’apport des minorités ethniques au développement des sociétés, croyance dans les bienfaits de l’intervention de l’État pour rétablir les injustices économiques et sociales, valorisation du multilatéralisme en politique étrangère, progressisme sur les enjeux moraux comme l’avortement et le mariage gay, etc. Il existe certes des différences entre les deux partis. Par exemple, durant les élections américaines de 2008 et de 2016, des candidats présidentiels comme Hillary Clinton, Barack Obama et Bernie Sanders ont adopté une attitude protectionniste en matière de commerce, promettant de renégocier l’ALÉNA, un accord cher au Parti libéral du Canada. Il reste que durant la présidence Obama, la parenté idéologique canado-américaine a été plus nette avec Justin Trudeau qu’avec Stephen Harper. 10 Depuis 1945, les parentés idéologiques entre les chefs d’État canadiens et américains se sont souvent accompagnées de compatibilités sur le plan des personnalités. À cet égard, on parlait certes de bromance entre Trudeau et Obama parce que les deux avaient des visions similaires sur plusieurs enjeux (environnement, mariage gay, avortement, etc.), mais il y a plus. Trudeau et Obama avaient beaucoup en commun sur le plan personnel : jeunes pères de famille plutôt associés à la génération X qu’à celle des baby-boomers, ils incarnaient chacun le renouveau et l’avenir de leurs partis politiques. Ils rompaient avec le conservatisme de leurs prédécesseurs (George W. Bush et Stephen Harper), utilisaient les nouveaux médias (Facebook, Twitter, etc.) pour s’adresser directement à leurs partisans, les jeunes surtout, et figuraient parmi les politiciens les plus télégéniques de leurs générations. Ce n’était pas la première fois que les chefs d’État canadiens et américains avaient de réels atomes crochus (Globensky 2017; Dion 2017). Le conservateur Brian Mulroney et le républicain Ronald Reagan avaient entretenu une relation des plus cordiales dès leurs premières rencontres : ils s’appelaient par leurs prénoms et étaient tous deux de descendance irlandaise. Le libéral Jean Chrétien et le démocrate Bill Clinton entretenaient eux aussi des rapports chaleureux, marqués par des parties de golf pendant lesquelles Chrétien aurait convaincu Clinton d’appuyer ouvertement le camp fédéraliste dans le débat sur la souveraineté du Québec. Les affinités entre le conservateur Stephen Harper et le républicain George W. Bush étaient également évidentes : pratiquants et conservateurs moraux, ils croyaient aux valeurs familiales traditionnelles et Harper a même conclu son discours de victoire électorale de 2006 sur une phrase que W. Bush aurait sans doute employée s’il avait été premier ministre du Canada : « God Bless Canada » (Chapman 2011). 11 D’autres premiers ministres du Canada et présidents américains ont toutefois eu des rapports plus tendus. Le conservateur John Diefenbaker, qui avait vingt-trois ans de plus que le démocrate John F. Kennedy, n’a jamais été à l’aise avec le jeune couple Kennedy-Onassis, issu d’une autre génération que la sienne. Lors d’une rencontre entre les deux hommes à Ottawa, l’unilingue anglophone Diefenbaker a prononcé quelques mots dans un français laborieux, et Kennedy a confié à l’auditoire, à la blague, qu’il était plus à l’aise de s’exprimer en français à son tour après avoir entendu le premier ministre (Dion 2017). La relation toxique entre les deux hommes était également due au fait que Kennedy avait, lors d’une visite à Ottawa, malencontreusement perdu une note

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manuscrite, tombée sous la main de Diefenbaker, dans laquelle le président américain qualifiait son homologue de « fils de pute » (Boyko 2016). Le libéral Pierre-Elliott Trudeau et le républicain Richard Nixon ne s’entendaient guère mieux : les décisions d’Ottawa de réduire la contribution canadienne à la défense de l’Europe et de reconnaître officiellement la République populaire de Chine avaient poussé Nixon à qualifier le père de Justin Trudeau de « trou de cul » (Globensky 2017). 12 Avec l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, on était ainsi en droit de se demander si les incompatibilités personnelles entre « The Donald » et Justin Trudeau ne mèneraient pas au type de refroidissement déjà vu dans l’histoire des relations canado-américaines. Durant la présidentielle américaine de 2016 et les premières semaines de la présidence Trump, la « prudence » a été le maître-mot de l’attitude de Trudeau à l’égard de la nouvelle administration américaine. L’ambassadeur du Canada à Washington, David MacNaughton, a multiplié les interventions publiques, aux États-Unis et au Canada, signalant qu’Ottawa était prête à collaborer avec le nouveau président. Même son de cloche du côté du premier ministre, qui, au lieu d’adopter une attitude de confrontation à l’égard de Trump, a entre autres indiqué que le Canada renégocierait l’ALÉNA si c’était le souhait du nouveau locataire de la Maison-Blanche (Zimonjic 2016). 13 Trudeau a réaffirmé sa bonne foi lors de sa première rencontre officielle avec Trump, à Washington, le 13 février 2017. Trois traits de la personnalité du 45e président témoignaient alors de l’ampleur du défi auquel le premier ministre du Canada était confronté (Gagnon 2017). Ces traits de caractère, perceptibles durant l’élection présidentielle de 2016 et après l’arrivée de Trump au pouvoir, étaient déjà mis en exergue dans le livre The Art of the Deal publié par le milliardaire en 1987 (Trump et Schwartz 1987). 14 D’abord, le parcours d’homme d’affaires de Trump l’a incité à voir les relations avec autrui avant tout à travers le prisme de la compétition. Dans The Art of the Deal, le 45 e président expose une vision pessimiste de la nature humaine et souligne que les relations interpersonnelles prennent tôt ou tard la forme de rivalités faisant des vainqueurs et des perdants, et où l’on doit viser les gains personnels avant tout. Même si Trump ne fait pas le parallèle entre sa vision et les théories des relations internationales, The Art of the Deal n’est pas sans rappeler les instincts les plus crus d’auteurs réalistes comme John Mearsheimer, dont le livre The Tragedy of Great Power Politics relate une vision sombre de la politique internationale et suppose que « l’homme est un loup pour l’homme » (selon les termes de Mearsheimer 2001, p. 31 : « for every neck, there are two hands to choke it »). Un examen de la personnalité de Trump réalisé par le professeur de psychologie Dan McAdams confirme nos observations (McAdams 2016). Selon McAdams, Trump a peu confiance en ceux et celles qui l’entourent; il est toujours aux aguets, persuadé que la plupart des gens lui veulent du mal, complotent contre lui ou souhaitent profiter de lui. Trump reprend d’ailleurs cette même vision pour décrire le sort qui aurait été réservé aux États-Unis au sein du système international au cours des dernières décennies, énonçant ceci dans son discours d’investiture du 20 janvier 2017 : 15 Des décennies durant, nous avons enrichi les industries étrangères aux dépens de l’industrie américaine (…) Une à une, les usines ont fermé, sans une seule pensée pour des milliers de travailleurs américains laissés pour compte. La richesse de notre classe moyenne a été arrachée des foyers et a été redistribuée au monde entier (Trump 2017a)

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16 Pour Justin Trudeau, le défi a donc consisté à éviter que le Canada ne soit perçu de manière aussi péjorative par Trump (Gagnon 2017). 17 Un deuxième trait de la personnalité du 45e président illustre que l’un des moyens d’y parvenir consistait peut-être à éviter de critiquer trop directement ou vivement celui- ci ainsi que ses idées. Dans The Art of the Deal, Trump dévoile son caractère impulsif lorsqu’il admet ne pas pouvoir s’empêcher de sauter à la jugulaire de ceux qui le fustigent ou qui remettent ses idées en question. Le président du Mexique, Enrique Peña Nieto, l’a constaté à peine quelques jours après l’entrée en fonction de Trump : réitérant que Mexico ne paierait pas pour la construction du mur entre les États-Unis et le Mexique, Nieto a vu Trump lui suggérer, sur Twitter, d’annuler sa première visite à Washington, demande à laquelle le président mexicain a acquiescé (Diaz 2017). Il y a fort à parier que le président n’épargnerait pas Justin Trudeau si celui-ci ou encore un membre de son cabinet succombaient à la tentation de pourfendre Trump et son programme politique. Durant la présidence de George W. Bush, on se souvient de l’émoi qu’avait causé la députée libérale Carolyn Parrish, membre du gouvernement de Paul Martin, lorsqu’elle avait piétiné une figurine à l’effigie du 43e président à l’émission humoristique This Hour Has 22 Minutes. On peut imaginer les tweets colériques de Trump si un incident semblable se produisait aujourd’hui – et l’effet néfaste que cela pourrait avoir sur les relations canado-américaines. 18 Enfin, un troisième trait de la personnalité de Trump représentant un écueil pour Justin Trudeau est que le compromis et la modération feraient visiblement moins partie du modus operandi de la Maison-Blanche qu’avec Barack Obama. Dans The Art of the Deal, Trump indique que sa méthode de négociation a toujours reposé sur trois piliers : placer la barre le plus haut possible même si le but peut parfois sembler exagéré ou irréaliste (think big), se battre jusqu’au bout pour atteindre l’objectif désiré (push and push and push), et ne pas déroger des promesses faites à ceux qui nous appuient (deliver the goods).

Les grands dossiers des relations canado-américaines sous Trump

19 Appliquée aux grands dossiers des relations canado-américains, une telle méthode de négociation risque donc d’engendrer de profonds désaccords entre Washington et Ottawa, dans les domaines du commerce, de l’environnement/énergie et de la sécurité (Robertson 2017).

Le commerce canado-américain aux temps de « l’Amérique d’abord! »

20 La victoire de Trump à la présidentielle de 2016 est due à plusieurs facteurs, mais son programme électoral à saveur protectionniste a peut-être été le plus saillant. S’appuyant sur les thèmes « L’Amérique d’abord! » (America First) et « Redonnons sa grandeur à l’Amérique » (Make America Great Again), Trump a promis de renégocier, d’abroger ou de rejeter les accords de commerce néfastes pour les emplois américains, d’augmenter les tarifs douaniers sur les importations américaines, et de punir les entreprises américaines et étrangères qui délocalisent leurs activités productives

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ailleurs qu’aux États-Unis. Fidèle à sa tendance à voir les relations avec autrui selon une logique de compétition (décrite plus haut), Trump estime que les partenaires commerciaux des États-Unis ont floué les Américains au moyen d’ententes commerciales préjudiciables pour la classe moyenne et les travailleurs (bad deals). Ne voulant pas répéter les erreurs de ses prédécesseurs, il a signé, dès son arrivée au pouvoir, un décret présidentiel annonçant le retrait des États-Unis du Partenariat transpacifique (PTP), accord de commerce négocié par l’administration Obama et qui visait à établir une zone de libre-échange avec des pays comme le Japon, la Chine et le Canada.

21 Favorable au PTP, Justin Trudeau a ainsi constaté, dès les premiers jours de la présidence Trump, à quel point le nouveau locataire de la Maison-Blanche était déterminé à donner suite aux promesses protectionnistes faites durant sa campagne électorale. Au nombre des ententes commerciales prises pour cibles par la nouvelle administration américaine, l’ALÉNA (entre les États-Unis, le Canada et le Mexique) a été qualifié, par Trump, de « pire accord de commerce jamais signé par les États-Unis ». Entré en vigueur en 1994, cet accord a fortement contribué au développement de l’économie canadienne : en vingt ans, la valeur des investissements américains dans l’économie canadienne est passée de 70 à 368 milliards de dollars alors que celle des exportations du Canada vers le marché américain de 110 à 346 milliards (Gagné et Viau 2010; McBride et Aly Sergie 2017). Modifier, voire abroger l’accord était donc susceptible de perturber l’économie canadienne et d’avoir un effet néfaste sur les emplois au nord de la frontière américaine. Lors de la première rencontre officielle entre Trudeau et Trump le 13 février 2017, le président américain a précisé ses intentions à propos de l’ALÉNA : le Mexique serait le principal visé par les modifications à l’entente et la relation commerciale avec le Canada ferait seulement l’objet « d’ajustements mineurs » (tweaking). Des pourparlers subséquents entre les officiels canadiens et américains ont par ailleurs permis d’apprendre que Washington envisageait de constituer des comités de négociation distincts pour mener les pourparlers avec le Canada et le Mexique à propos de l’ALÉNA – autre signe que le Mexique était peut-être le principal visé par le protectionnisme nord-américain de Trump (Fife 2017a). 22 Selon l’ancien premier ministre du Canada Brian Mulroney, mobilisé par Justin Trudeau pour établir des ponts avec l’administration Trump, au moins deux priorités étaient alors au cœur des demandes américaines à l’égard du Canada en février 2017 (Fife 2017b). D’une part, le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, ainsi que le gendre et conseiller de Trump, Jared Kushner, ont indiqué que la Maison-Blanche voudrait peut-être abolir le mécanisme de règlement des différends en matière de droits compensateurs et de dumping, prévu au chapitre 19 de l’ALÉNA (Fife 2017a). Comme l’explique le professeur de l’Université Laval Luc Bouthillier, le chapitre 19 prévoit : 23 la constitution d’un groupe spécial binational, en substitution d’un organisme national, pour des révisions judiciaires dans les décisions d’ordre national ayant trait à des questions liées à des mesures antidumping et aux droits compensateurs dans les flux commerciaux entre les trois pays visés par l’ALENA. Ce chapitre 19 est donc applicable dès qu’on tente de contraindre un flux commercial pour un produit ou un service qu’il soit couvert ou non par l’ALENA (cité par Fillion 2017)

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24 En abolissant ce mécanisme, les États-Unis pourraient par exemple confier à des cours américaines la responsabilité de procéder aux examens judiciaires nécessaires en cas de conflit commercial avec le Canada et le Mexique. L’enjeu pour Ottawa est considérable, car on peut se demander si les décisions rendues par les cours américaines n’avantageraient pas indument les intérêts commerciaux des États-Unis au détriment des intérêts canadiens. 25 Le dossier du bois d’œuvre illustre que les États-Unis ne traiteraient peut-être pas le Canada avec ménagement si les différends commerciaux entre les deux pays étaient traités en dehors du cadre du chapitre 19 de l’ALÉNA. Le bois d’œuvre, utilisé dans les domaines de la construction et de la rénovation résidentielles, pour construire les maisons par exemple, fait l’objet d’un conflit entre les États-Unis et le Canada depuis 1982 (Jasmin et Gagné 2008). Selon les autorités américaines, la compétition de l’industrie forestière canadienne à l’égard des États-Unis est déloyale pour deux raisons : d’une part, elle est injustement subventionnée par les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada, « à travers un système de redevances payables aux gouvernements provinciaux pour la récolte du bois sur les terres publiques » (Ibid., p. 3), et, d’autre part, le Canada vend « son bois d’œuvre à des prix inférieurs à ce qu’il en coûte réellement pour le produire, ce qui constitue du dumping » (Ibid., p. 4). Pour contrer de telles pratiques, les États-Unis ont tenu à ce que le dossier du bois d’œuvre fasse l’objet d’ententes exceptionnelles, et ce, même si l’ALÉNA prévoit l’établissement d’une zone de libre-échange en Amérique du Nord (Fillion 2017). Dans le cadre d’un accord signé en 2006 par exemple, le Canada s’était engagé à appliquer des taxes et des quotas sur ses exportations de bois d’œuvre destinées au marché américain (Gouvernement du Québec 2015). Cet accord venu à échéance fin octobre 2013, a été prolongé de deux ans, mais devait être renégocié lorsque Trump a pris le pouvoir en janvier 2017. Pour Justin Trudeau et l’industrie forestière canadienne, la grande question était donc de savoir si la nouvelle administration n’adopterait pas une attitude encore plus ferme que les précédentes dans ce dossier. Désireux de protéger les emplois américains à tout prix, Trump ferait-il écho aux demandes des producteurs de bois d’œuvre américains et à la U.S. Lumber Coalition qui, dans une requête datée du 25 novembre 2016, ont exigé l’imposition de droits compensatoires plus importants qu’auparavant sur les exportations canadiennes (Tchandem Kamgang 2017 et Fournier 2017, p. 31)? Les Canadiens ont reçu une première réponse à cette question en avril 2017, lorsque le département américain du Commerce a imposé une taxe de 19,88% sur les exportations canadiennes de bois d’œuvre aux États-Unis ainsi qu’une taxe additionnelle de 6,87% quelques semaines plus tard (Hasselback 2017), obligeant les gouvernements du Canada et de certaines provinces canadiennes (le Québec au premier chef) à offrir une aide financière d’urgence pour protéger l’industrie forestière (Bennett 2017; Shingler et Smith 2017). 26 D’autre part, une deuxième priorité de l’administration Trump en matière de commerce avec le Canada concerne l’étiquetage indiquant le pays d’origine des produits traversant la frontière canado-américaine (United States Country-of-Origin Labeling ou COOL). En 2002, dans sa loi Farm Security and Rural Investment Act, le Congrès obligeait les producteurs canadiens de bœuf, veau, agneau, porc, poisson, mollusques, crustacés, fruits, légumes et arachides vendus dans certains points de vente aux États- Unis à indiquer l’origine canadienne de leurs produits (Gouvernement du Canada 2015). Si la mesure permettait aux Américains de disposer de plus d’information à propos des

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produits qu’ils consomment, le système COOL représentait un casse-tête pour les producteurs, transformateurs, distributeurs et détaillants, car ceux-ci devaient, par exemple, « ségréguer les animaux canadiens des animaux américains – ainsi que leur viande – à toutes les étapes de la production, alors que les acteurs qui ne font affaire qu’avec des [produits] américains [n’avaient] pas à payer ces coûts additionnels » (Ibid.). En décembre 2015, après s’être penchée sur le dossier pendant quelques années, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait conclu que le système COOL était discriminatoire à l’égard de l’industrie bovine et porcine canadienne, et autorisé le Canada à imposer des taxes punitives sur diverses importations américaines. Pour éviter de telles représailles, le Congrès des États-Unis avait alors décidé d’abroger la mesure, mais la popularité du slogan « L’Amérique d’abord ! » de Trump indique qu’il y avait encore un appétit pour le système COOL aux États-Unis au lendemain de la présidentielle de 2016. À titre indicatif, au Wyoming et au Dakota du Sud, des législateurs d’État ont proposé, au début 2017, des lois visant à réintroduire le système COOL sur le territoire de ces États (Flynn 2017). Les mesures ont été rejetées, mais des efforts similaires étaient à prévoir dans d’autres États du pays, suivant la volonté de certains élus locaux d’inciter Trump et le Congrès des États-Unis à réintroduire le système COOL à l’aide d’une loi fédérale (Ibid.). Considérant que le système COOL causait, selon l’OMC, 1 milliard de dollars en dommage commercial à l’industrie du bœuf et du porc canadienne chaque année, Justin Trudeau et les premiers ministres provinciaux du Canada avaient tout à craindre d’un retour du protectionnisme dans ce dossier.

L’incompatibilité entre Trudeau et Trump en matière d’environnement et d’énergie

27 Le fossé idéologique entre Trudeau et Trump était également évident sur les questions environnementales et énergétiques. Lors de leurs rencontres à Washington (mars 2016) et à Ottawa (juin 2016), Justin Trudeau et Barack Obama avaient exposé des visions similaires sur ces enjeux, promettant de lutter contre le réchauffement climatique à l’aide d’une transition vers les énergies propres (McGregor 2016). Les deux chefs d’État avaient établi à 2025 l’année où 50% de l’électricité consommée au Canada et aux États- Unis devaient provenir d’énergie solaire, éolienne ou encore d’hydro-électricité. Trudeau et Obama appuyaient en outre l’accord de Paris sur le climat approuvé par près de 200 pays en décembre 2015 et entré en vigueur le 4 novembre 2016. En vertu de cet accord, les États-Unis et le Canada s’étaient respectivement engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 26% à 28% d’ici 2025, et de 30% d’ici 2030, par rapport à 2005 (Losson 2015; Pélouas 2016). En décembre 2016, Justin Trudeau et les premiers ministres de toutes les provinces du Canada à l’exception du Manitoba et de la Saskatchewan (qui étaient contre l’idée d’une taxe sur le carbone) avaient d’ailleurs rendu public un « Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques ». Ce plan faisait état des politiques que le Canada et ses provinces mettraient en œuvre pour respecter les accords de Paris (élimination progressive de l’utilisation du charbon, norme fédérale sur les carburants propres, etc.) (Gouvernement du Canada 2016).

28 L’annonce du « Cadre pancanadien » intervenait cependant dans un contexte de forte incertitude quant aux intentions de Trump en matière d’environnement et d’énergie. Prenant le contrepied de Barack Obama et donc de Justin Trudeau, Trump se disait

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« climatosceptique », affirmant que le concept de changement climatique a été inventé par la Chine pour gagner la compétition économique contre les États-Unis pendant que Washington impose à ses entreprises des normes environnementales nuisibles pour la productivité et l’emploi (Roger 2016). Signe que Trump accorderait peu d’importance à la lutte aux changements climatiques, il a non seulement annoncé le retrait des États- Unis des accords de Paris sur le climat, mais a également nommé un autre climatosceptique, Scott Pruitt, à la tête de l’Environmental Protection Agency (EPA). À titre de secrétaire à la Justice de l’Oklahoma de 2011 à 2017, Pruitt avait déjà fait partie d’une coalition d’officiels gouvernementaux ayant intenté des poursuites contre l’administration Obama et demandé aux cours d’invalider le Clean Power Plan du président démocrate, qui visait entre autres à imposer à l’industrie du pétrole et du gaz naturel des limites à l’émission de méthane (Mooney, Dennis et Mufson 2016). Pruitt et Trump n’ont pas perdu de temps avant de commencer à torpiller l’héritage d’Obama en matière d’environnement : quelques heures après l’entrée en poste du nouveau président, les pages du site Internet de la Maison-Blanche à propos des changements climatiques avaient disparu de la toile (Hudes 2017). 29 Fidèle à ses promesses électorales, Trump a laissé entendre à plusieurs reprises, après son investiture le 20 janvier 2017, que l’exploitation des combustibles fossiles sur le territoire américain prendrait le pas sur la volonté de son prédécesseur d’investir dans les énergies renouvelables. Réitérant son désir de redonner de bons emplois aux Américains, Trump a annoncé, dans son premier discours devant les membres du Congrès le 28 février 2017, qu’il rejetterait les réglementations environnementales qui menacent les emplois dans les mines de charbon d’États comme le Wyoming, la Virginie-Occidentale, le Kentucky et la Pennsylvanie (Trump 2017b). N’hésitant pas à nommer Rex Tillerson, ancien chef de la pétrolière ExxonMobil, au poste de secrétaire d’État, Trump n’a cessé de répéter qu’il garantirait l’indépendance énergétique des États-Unis en maximisant l’exploitation et les approvisionnements pétrolifères et gaziers sur le territoire américain ou encore dans des régions plus sûres que le Moyen- Orient. Dans un mémorandum présidentiel rendu public le 24 janvier 2017, Trump rompait d’ailleurs avec l’une des politiques d’Obama qui avaient suscité le plus de frustration au Canada, dans la province de l’Alberta pour être plus précis, soit le refus américain d’autoriser la construction de l’oléoduc Keystone XL (Maison-Blanche 2017a). L’oléoduc Keystone XL est un projet de la pétrolière canadienne TransCanada en discussion depuis 2008, devant relier la ville de Hardisty, en Alberta, au village de Steele City, au Nebraska. Une fois construit, l’oléoduc d’une longueur de 1900 kilomètres traversant la frontière américaine permettrait de transporter 830 000 barils de pétrole des sables bitumineux albertains vers les États-Unis (Lee 2015). Obama et le département d’État américain avaient refusé d’émettre le permis du gouvernement fédéral américain nécessaire à la construction de cette infrastructure énergétique, au prétexte qu’elle allait à l’encontre de la lutte aux changements climatiques. Trump voyait toutefois la chose différemment : non seulement Keystone XL permettrait-il de se procurer du pétrole auprès d’un partenaire fiable, mais la phase de construction du projet garantirait de créer des emplois de qualité aux États-Unis, fait qu’un rapport du gouvernement Obama avait même mis en évidence (selon les estimations, près de 2000 emplois dans le secteur de la construction découleraient de la réalisation du projet, à chaque année pendant deux ans) (Neuhauser 2015). À plusieurs moments durant et après la présidentielle de 2016, Trump a même lié le projet Keystone XL à sa vision « L’Amérique d’abord! » de deux manières. D’une part, l’acier utilisé pour construire

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l’oléoduc serait américain et ne proviendrait donc pas de l’étranger. D’autre part, l’entente négociée avec TransCanada permettrait aux États-Unis de toucher une partie des profits réalisés grâce à la vente de pétrole canadien en sol américain.

Trudeau et la politique « forteresse Amérique » de Trump en matière de sécurité

30 Alors que Trudeau et Trump ont peu mis l’accent sur les questions environnementales et énergétiques lors de leur première rencontre officielle le 13 février 2017, les questions de sécurité ont peut-être autant retenu l’attention des deux chefs d’État que les questions commerciales. Pendant et après les présidentielles américaines de 2016, Trump a encore une fois placé le slogan « L’Amérique d’abord! » au cœur de ses politiques, affirmant que les membres de l’OTAN devraient, à l’avenir, hausser leurs budgets de défense et contribuer plus activement à la protection de la sécurité collective s’ils souhaitent que les États-Unis en fassent autant qu’avant sur ce plan (Robertson 2017). Le Canada était l’un des pays visés par ce commentaire du nouveau président : en 2014, les pays de l’OTAN s’étaient engagés à investir au moins 2% de leur produit intérieur brut en défense. Le Canada n’a pas rempli cette promesse et arrivait au 23e rang parmi les vingt-huit membres de l’OTAN pour l’importance des dépenses militaires par pays (Berthiaume 2017). Lors de la première rencontre officielle entre le secrétaire à la Défense de Trump, James Mattis, et le ministre de la Défense de Trudeau, Harjit Sajjan, cette question sensible n’a pas été abordée de front durant les apparitions publiques des deux hommes, la porte-parole de Sajjan esquivant les questions des journalistes à propos d’éventuelles demandes de Trump pour que le Canada augmente ses dépenses militaires (Morrow 2017). Il n’en demeure pas moins que Justin Trudeau a annoncé, en juin 2017, une hausse du budget de défense canadien de près de 33 milliards de dollars sur une période de dix ans, illustrant le désir d’Ottawa de satisfaire aux demandes de Trump sur cette question (Manchester 2017).

31 Un autre sujet sensible en matière de sécurité abordé lors de la première rencontre officielle entre Trudeau et Trump du 13 février 2017 a été l’accueil des réfugiés syriens en sol nord-américain. Sur ce thème, le gouffre idéologique entre Trudeau et Trump ne pourrait être plus grand, le premier ministre canadien estimant que le Canada et les États-Unis ont le devoir d’ouvrir leurs frontières aux réfugiés fuyant leurs pays pour des raisons de sécurité. Au cours des premières années du gouvernement Trudeau, le conflit syrien a fortement retenu l’attention d’Ottawa. En date du 29 janvier 2017, plus de 40 000 réfugiés syriens s’étaient réinstallés au Canada après avoir fui leur pays d’origine. Alors que le président Obama avait mené une politique similaire, promettant d’accueillir 110 000 Syriens pour l’année fiscale 2017, Trump a pris le contrepied de son prédécesseur, signant, dès son arrivée en poste, un décret fermant indéfiniment les frontières à tout Syrien souhaitant s’installer aux États-Unis (Krogstad et Radford 2017; Shear et Cooper 2017). Selon Trump, des pays comme l’Allemagne d’Angela Merkel ont fait une « erreur catastrophique » en ouvrant leurs frontières aux réfugiés du Moyen- Orient, car plusieurs d’entre eux sont de potentiels terroristes risquant de commettre des attentats comme ceux de novembre 2015 à Paris, décembre 2015 à San Bernardino ou décembre 2016 à Berlin (Nienaber 2017). 32 Malgré la fermeté de Trump sur cette question, le président a fait preuve de plus de retenue à l’égard de Trudeau qu’à l’égard de Merkel. Lors d’une conférence de presse

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suivant la rencontre Trudeau-Trump du 13 février 2017, la journaliste du Toronto Star Tonda MacCharles a posé la question suivante à Trump : « Monsieur le président, vous semblez croire que les réfugiés syriens représentent un cheval de Troie et une menace terroriste alors que monsieur Trudeau les accueille à bras ouverts au Canada. Dans ces circonstances, croyez-vous que la frontière entre le Canada et les États-Unis est sécuritaire? ». Caitlin Collins, une autre journaliste, a poursuivi sur le même thème en sondant Trudeau et Trump sur leurs divergences d’opinions à propos des réfugiés syriens (Maison-Blanche 2017b). Au lieu d’attaquer Trudeau de front, Trump a affirmé qu’il est possible d’ouvrir les frontières nord-américaines aux individus bien intentionnés tout en empêchant les criminels (barons de la drogue, gangsters, terroristes, etc.) de s’installer aux États-Unis ou au Canada. 33 De tels propos illustraient la tendance de Trump à traiter le Canada et le Mexique, et les frontières canado-américaine et américano-mexicaine, de façon distincte. Pas question donc d’employer la rhétorique du mur et de la « forteresse Amérique » pour décrire les politiques que la Maison-Blanche devrait mettre en œuvre à la frontière avec le Canada. Cela dit, l’arrivée de Trump à la présidence n’effaçait en rien le risque d’une nouvelle crispation sécuritaire de Washington à l’égard du Canada, semblable à celle que l’on a pu observer après le 11 septembre 2001. À l’époque, des membres du Congrès comme le représentant Peter King (républicain – New York) et la sénatrice Hillary Clinton (démocrate – New York) étaient convaincus que certains terroristes ayant commis les attaques de New York et de Washington étaient arrivés en sol américain en passant par la frontière canadienne (Gagnon 2016). Le « Rapport final de la commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis » (9/11 Commission Report) avait démontré que cela n’était pas le cas. Or, les diplomates canadiens de l’époque, dont le ministre de la Défense Bill Graham, avaient dû mener des efforts considérables pour déconstruire le mythe selon lequel le Canada était laxiste en matière de sécurité frontalière et incapable de détecter les terroristes tentant de traverser la frontière canado-américaine (Ibid.). 34 Il y a fort à parier que Trump n’hésiterait pas à renouer avec un tel discours si un attentat terroriste majeur sur le sol américain était commis par des individus faisant leur entrée aux États-Unis à partir du Canada. Le 45e président trouverait d’ailleurs une oreille attentive auprès de certains membres du Congrès qui estimaient déjà, avant la présidentielle de 2016, que les politiques migratoires et frontalières du Canada devaient faire l’objet de réformes. Parmi eux, le sénateur Ron Johnson (républicain – Wisconsin), président de la commission du Sénat sur la sécurité du territoire intérieur (U.S. Senate Committee on Homeland Security & Governmental Affairs), a organisé des audiences publiques au sein de cette commission, le 3 février 2016, à propos des implications pour les États-Unis du plan d’accueil des réfugiés syriens de Justin Trudeau (Sénat des États- Unis 2016). Lors de ces audiences, le sénateur Johnson a exprimé des réserves et des craintes à propos du Canada, rappelant que la fluidité de la frontière canado- américaine peut représenter un risque à l’heure du terrorisme radical représenté par Daech. Lors des élections législatives américaines de 2014, des attaques terroristes survenues à Saint-Jean-sur-Richelieu au Québec, et à Ottawa en Ontario, où des « loups solitaires » ont attaqué des représentants des forces armées canadiennes, ont été matière à discussion dans certaines courses électorales se déroulant à proximité de la frontière canadienne. Lors d’un débat télévisé opposant la sénatrice républicaine du Maine, Susan Collins, à son adversaire démocrate Shenna Bellows, l’hôte du débat (Paul Merrill du réseau WMTW) a demandé aux candidates si elles avaient confiance aux

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mesures de sécurité à la frontière canado-américaine. Collins avait répondu qu’elle était nettement plus inquiète que des terroristes traversent cette frontière plutôt que celle entre les États-Unis et le Mexique, et que des mesures de contrôle additionnelles devraient être adoptées par le Canada et les États-Unis (Gagnon 2016, p. 98). De tels propos faisaient écho à ceux de commentateurs conservateurs qui, comme Michèle Malkin, jugent que l’accueil de réfugiés syriens au Canada transforme des villes comme Montréal et Vancouver en tanières terroristes situées à quelques minutes des États- Unis en voiture, et contre lesquelles les Américains devront peut-être un jour se protéger à l’aide d’un mur canado-américain (Malkin 2016).

Scénario pessimiste ou optimiste?

35 Comme on a pu le voir dans cet article, l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche a donc marqué le début d’une période d’incertitude rarement vue dans l’histoire de la « relation spéciale » entre le Canada et les États-Unis. Protectionniste commercial, « climatosceptique » en matière d’environnement, promoteur des combustibles fossiles dans le domaine de l’énergie, et partisan d’une politique de sécurité fondée sur l’emmurement des États-Unis et la lutte sans merci contre le terrorisme, Trump a emprunté une trajectoire à maints égards incompatible avec la vision de Justin Trudeau. Selon le scénario le plus pessimiste, on assistera ainsi à un refroidissement des liens entre le Canada et les États-Unis au cours des prochaines années, prenant, entre autres, la forme de querelles commerciales sur des produits comme le bois d’œuvre ou le bœuf, ou d’un rétrécissement plus généralisé de l’accès du Canada au marché américain, résultant par exemple de taxes sur les exportations canadiennes aux États-Unis ou d’une renégociation de l’ALÉNA. Parmi les autres causes d’un possible refroidissement des relations canado-américaines, un incident terroriste aux États-Unis attribuable à la politique d’accueil de réfugiés syriens de Trudeau, engendrerait une crispation sécuritaire peut-être encore plus lourde de conséquences pour l’économie canadienne et la mobilité des personnes que celle observée après le 11 septembre 2001.

36 Les premiers mois de la présidence Trump ont toutefois prouvé qu’un scénario plus optimiste est également possible. Les sondages d’opinion ont certes témoigné de l’inquiétude des Canadiens à l’égard du président Trump : à la fin janvier 2017, deux tiers d’entre eux prédisaient que le 45e président aurait un impact négatif sur le Canada (Yuen 2017). Il n’en demeure pas moins que Justin Trudeau et le Canada avaient, jusque-là, été épargnés des principales salves de Trump lancées à l’international. Les raisons pour lesquelles Trump qualifiait l’accueil de réfugiés syriens d’Angela Merkel de « catastrophique », mais pas celui de Trudeau, n’avaient alors pas été révélées publiquement par le 45e président des États-Unis. L’importance des liens canado- américains pour les États-Unis en est certainement une : le Canada est le premier marché d’exportation pour trente-cinq des cinquante États américains et 9 millions d’emplois aux États-Unis dépendent du commerce et des investissements au Canada (Gouvernement du Canada 2017). Or, la décision de Trudeau de faire profil bas plutôt que de critiquer publiquement les décisions de Trump, comme l’a fait Angela Merkel à propos du décret anti-immigration du 45e président (Troyanovski et Douglas 2017), pourrait en être une deuxième. Avec le recul, on conclura peut-être qu’il s’agissait de la meilleure stratégie à adopter au lendemain de la présidentielle américaine de 2016, considérant les traits de caractère de Trump et son allergie à ceux qui le critiquent

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directement. Trudeau prenait alors un risque politique évident, car une majorité de Canadiens souhaitait qu’il tienne tête à Trump et affirme la différence et les intérêts canadiens avec vigueur (Fife et Morrow 2017). Cela dit, la politique de la main tendue de Trudeau semble avoir permis d’établir un certain lien de confiance avec Trump, essentiel pour prémunir le Canada contre le style parfois « anti-diplomatique » et abrasif de ce dernier, et susceptible de favoriser un dialogue constructif entre Washington et Ottawa, malgré le fossé idéologique qui sépare les deux chefs d’État. 37 Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce même dialogue constructif permettra peut-être d’établir, sur certains enjeux, une relation plus cordiale avec Trump que celle qui existait auparavant avec Obama. Le cas de Keystone XL, discuté dans cet article, illustre que la présidence Trump pourrait marquer une rupture avec le refus d’Obama d’aller de l’avant avec ce projet cher en Alberta. Qui plus est, la décision de Trudeau et de Trump de créer un conseil canado-américain de promotion des femmes entrepreneures et de confier les rênes de cette organisation à Ivanka Trump, prouve que le premier ministre canadien sera parfois en mesure d’inciter le 45e président à valoriser des thèmes qui, à priori, pouvaient lui sembler moins chers qu’à Barack Obama. 38 Le Canada ne sera bien entendu pas totalement à l’abri des effets des politiques de Trump sur les enjeux traités dans cet article, c’est-à-dire le commerce, l’environnement/énergie et la sécurité. Or, encore là, un scénario optimiste permet de croire que la décentralisation du pouvoir et les mécanismes de poids et contrepoids propres au système politique des États-Unis avantageront parfois Justin Trudeau. Deux exemples viennent ici à l’esprit. D’une part, sur le commerce, plusieurs élus républicains du Congrès ne sont pas aussi protectionnistes que Trump, et sont susceptibles de résister à des mesures pouvant nuire à l’emploi dans leurs circonscriptions ou États. Le cas d’Elise Stefanik pourrait être cité à ce titre : représentante républicaine de la 21e circonscription de l’État de New York, celle-ci s’est opposée au discours alarmiste de Trump dans le dossier de l’ALÉNA, car ses électeurs savent que le libre-échange avec le Canada et le Québec a fortement contribué à la santé économique de la circonscription en question, qui inclut la ville de Plattsburgh, située à 45 minutes de Montréal en voiture (Hirsch 2017). D’autre part, sur les questions environnementales et climatiques, il est vrai que l’insistance de Trump sur les combustibles fossiles ne cadre pas à première vue avec la volonté de Trudeau de miser sur les énergies propres. Or, plusieurs gouverneurs et maires de grandes villes américaines persistent à croire que la transition vers ces types d’énergie est essentielle pour lutter contre la pollution et le smog (Schlossberg 2016). De plus, l’offre canadienne en matière d’énergie propre plait à plusieurs élus américains, qui y voient non seulement un atout dans la lutte aux changements climatiques, mais également une manière de réduire la facture d’électricité des contribuables et des entreprises. Lors d’une rencontre bilatérale entre le premier ministre du Québec Philippe Couillard et le gouverneur de New Hampshire Chris Sununu, tenue à Montréal le 20 mars 2017, ce dernier a, même s’il est un partisan convaincu de Trump, réitéré son appui aux importations québécoises d’hydro-électricité en sol américain (Tuohy 2017). En somme, il existe certes un fossé idéologique entre Trudeau et Trump, susceptible d’ébranler la « relation spéciale » canado-américaine, mais les six premiers mois du 45e président ont illustré que le Canada est peut-être l’un des pays les mieux outillés pour affronter la tempête.

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Zimonjic, Peter. ‘Liberal Government ‘Happy’ to Renegotiate NAFTA, says Canada’s Ambassador to U.S.’ in CBC News, 9 novembre 2016 : http://www.cbc.ca/news/politics/macnaughton-nafta- trade-softwood-1.3844460

NOTES

1. Le terme bromance signifie une relation d’amitié profonde entre deux hommes, qui se rapproche de l’amour, mais qui ne comporte pas d’attirance sexuelle. Stéphane Baillargeon utilisait l’expression « amitié homosociale forte » pour exprimer l’idée qu’Obama et Trudeau ont plusieurs points en commun (ils partagent la même idéologie politique, sont de la même génération, sont jeunes pères de famille, etc.) et éprouvent une admiration mutuelle évidente qui les prédispose à bien s’entendre (Baillargeon 2017). 2. Il est à noter que certains observateurs remettent en question l’idée qu’il existe une « relation spéciale » canado-américaine, dont Macdonald 2015 qui souligne par exemple que le premier ministre du Canada Stephen Harper ne faisait pas l’objet d’un traitement privilégié à Washington comparativement à d’autres leaders mondiaux durant la présidence Obama. 3. La culture populaire étant ici définie comme une forme de culture produite en masse et appréciée par un grand nombre. Aux États-Unis comme dans plusieurs autres démocraties occidentales, les principaux objets/véhicules/produits de la culture populaire sont les films, les séries télévisées, les dessins animés, les jeux vidéo, etc. (Storey 2006).

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ABSTRACTS

This article evaluates the impact of Donald Trump’s election to the U.S. presidency on Canada- U.S. relations on three issues : trade, environment/energy and security. It argues that January 2017 has marked the beginning of a period of rare uncertainty in the history of Canada-U.S. links, and that the ideological gap between Trump and Justin Trudeau has exposed both countries to high risks of disagreements that could damage the « special relationship » between Washington and Ottawa. Paradoxically, we also argue that some issues could lead to an improvement of Canada-U.S. relations compared to the Obama years, and that Canada will sometimes be able to take advantage of the decentralization of power and of the system of checks and balances that exist in the United States to preserve its interests.

Cet article évalue l’impact de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis sur les relations canado-américaines, à travers un examen des enjeux du commerce, de l’environnement/énergie et de la sécurité. Il soutient que le Canada et les États-Unis ont amorcé, en janvier 2017, une période d’incertitude rarement vue dans leur histoire, et que l’ampleur du fossé idéologique entre Trump et Justin Trudeau a exposé les deux pays à des risques de désaccords susceptibles d’ébranler la « relation spéciale » canado-américaine. Cette thèse est toutefois nuancée à deux titres : d’une part, malgré le fossé idéologique entre Trudeau et Trump, des zones de compromis pourraient, sur certains dossiers, mener à une amélioration des relations canado-américaines par rapport aux années Obama. D’autre part, le Canada pourra parfois compter sur la décentralisation du pouvoir ainsi que sur les mécanismes de poids et contrepoids propres au système politique américain pour préserver ses intérêts.

INDEX

Keywords: Justin Trudeau, Donald Trump, Canada, United States, trade, environment, energy, security, U.S. presidential elections Mots-clés: Justin Trudeau, Donald Trump, Canada, États-Unis, commerce, environnement, énergie, sécurité, élections présidentielles américaines

AUTHOR

FRÉDÉRICK GAGNON

Professeur au département de science politique et titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

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Après Obama, quel héritage de politique étrangère pour Donald Trump?

Célia Belin

« Don’t do stupid stuff » Barack Obama1 1 Alors que Donald Trump, businessman milliardaire sans expérience de gouvernement, est devenu le 45ème président de l’histoire américaine au terme d’une campagne démagogique, violente, imprévisible et entachée de soupçons d’influence étrangère, il est légitime de s’interroger sur l’avenir de la politique étrangère américaine, et plus largement sur celui du leadership des Etats-Unis dans le monde.

2 Choc des personnalités plus que choc des programmes, la campagne n’a pas permis de dégager des options politiques claires en politique étrangère pour les deux candidats, et aucun des deux candidats n’a pris la peine de réellement défendre des positions politiques. A ce titre, l’opposition entre Clinton et Trump en politique étrangère ressemblait davantage à celle entre Al Gore et George W. Bush en 2000, qu’à celle de John McCain et Barack Obama, en 2008, où le choix était plus que limpide pour les électeurs, entre l’intensification de la guerre en Irak ou le retrait des troupes. 3 De même, les premiers discours, les premières nominations, les premières décisions n’ont pas permis d’identifier précisément ce que sera la politique étrangère de l’administration Trump. Beaucoup ont tenté d’identifier les ressorts idéologiques de l’étonnant candidat et ont identifié avec justesse plusieurs des points saillants de son approche : une « diplomatie du 19ème siècle » 2, « jacksonien »3, « nationaliste »4, aux antipodes du « wilsonisme botté » d’une Hillary Clinton qui croit en l’exceptionnalisme américain, et le rôle central de l’Amérique dans l’ordre international5. 4 Donald Trump, lui, propose une lecture caricaturale du monde où les rapports de puissance dominent dans tous les champs internationaux et où la diplomatie est nécessairement un jeu à somme nulle. Elle s’accompagne d’une vision décliniste et obsidionale de la trajectoire actuelle des Etats-Unis, et prône l’unilatéralisme et le repli

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(Fortress America), ainsi que la défense stricte des intérêts étroits américains, privilégiant le gain immédiat et national (America First) à la collaboration internationale à long terme, la tactique à la stratégie. La politique étrangère de Donald Trump s’articule autour de quelques grandes idées : une opposition au libre-échange et à la globalisation ; un scepticisme envers les alliés et partenaires, perçus comme des encombrants qui coûtent cher ; un certain respect pour les hommes forts et les régimes autoritaires ; une méfiance des étrangers, en particulier immigrés et réfugiés, accusés de voler l’emploi des Américains ou soupçonnés de terrorisme6. 5 De bien des manières, Donald Trump n’est pas représentant de l’orthodoxie républicaine : ses affinités pro-russes ou encore son rejet des accords de libre-échange l’éloignent du centre de gravité de son parti. Un des grands paradoxes de l’élection de 2016 était que la candidate Hillary Clinton était une interventionniste favorite d’un camp plutôt isolationniste, tandis que Donald Trump un isolationniste favori d’un camp plutôt interventionniste (en décembre 2015, 66% des républicains soutenaient une intervention au sol contre Daech et 64% des démocrates s’y opposaient)7. Cela étant, Trump trouve des relais intellectuels dans la droite dure américaine, héritière du Tea Party, ou du Freedom Caucus, proche de ses options viscéralement anti- internationalistes. 6 Au-delà de son ancrage doctrinal, la politique étrangère de Trump dépendra largement de l’attitude du président lui-même, dont on ne sait s’il est un pur pragmatique transactionnel ou s’il obéit à des approches idéologiques, de l’attitude du Congrès, qui exercera ou pas son rôle de contrepouvoir, et de l’attitude des acteurs internationaux qui pourront être tentés de tester l’épine dorsale du nouveau leader. Des scénarios divers peuvent s’imaginer, entre une politique étrangère nationaliste et musclée, qui réinstaure les jeux de puissance entre grands de ce monde, et une politique étrangère chaotique et illisible, qui rende plus probable les dérapages incontrôlés dans la violence8. 7 Quelles que soient les préférences de Donald Trump et de ceux qui l’entourent, la politique étrangère du prochain président américain sera fortement contrainte par le monde que lui laisse son prédécesseur, comme les autres avant lui. Barack Obama héritait en 2008 de deux bourbiers irakien et afghan et d’une crise économique mondiale. Le legs de George W. Bush a fortement conditionné l’action du président Obama : il fallait d’abord trouver une issue à la « guerre de choix » en Irak et décider de la stratégie à suivre pour la « guerre de nécessité » en Afghanistan. Puis les évènements internationaux majeurs non hérités qui sont venus construire la présidence Obama : les printemps arabes, la guerre en Syrie, Daech. C’est à l’aune de ces crises que l’on mesure les choix diplomatiques propres du président, qui commence alors à façonner une politique étrangère à son image jusqu’au moment de passer la main. 8 Quel monde Barack Obama a-t-il laissé en héritage à Donald Trump ? Sera-t-il possible de sortir de son héritage ? Assistera-t-on à un réengagement ou à une poursuite de la politique du retrait du président Obama ?

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Obama, président transformateur en politique étrangère

9 Pour tenter d’imaginer l’avenir du leadership international des Etats-Unis, il faut déjà réfléchir aux évolutions fondamentales qui ont eu lieu pendant l’Administration Obama : quel monde le président Obama a-t-il laissé en héritage ?

10 La « doctrine Obama » de politique étrangère n’a jamais été entièrement identifiée ; au cours de ses huit années à la tête des Etats-Unis, le président américain a été qualifié tour à tour d’idéaliste, de réaliste, de pragmatique, de « conséquentialiste »9, d’internationaliste ou d’isolationniste. 11 Pourtant, il existe bien un « logiciel Obama », un ensemble de règles et de processus mentaux qui amène le président à traiter les situations internationales dans un sens donné et qui obéit à deux grandes idées10. D’une part, pour le président de 2016 comme pour le candidat de 2008, il n’existe pas de solution militaire à la plupart des problèmes qui affectent le Moyen-Orient et l’Asie centrale, et l’Amérique doit se dégager de l’emprise de ces régions pour se tourner vers le monde émergent, en particulier l’Asie. D’autre part, les Etats-Unis n’ont plus vocation à être les gendarmes du monde, et les alliés et les grands émergents doivent désormais prendre leurs responsabilités pour gérer eux-mêmes l’instabilité dans leurs voisinages. 12 Ainsi, traduit dans la pratique diplomatique internationale, ce logiciel aura fait de Barack Obama le président du « retrait » américain ou de la « retenue stratégique », bien que lui aurait certainement préféré être le président de la « patience stratégique ». L’expression triviale de son logiciel s’est incarnée dans la phrase « don’t do stupid stuff », qui résume à elle seule l’approche attentiste, méfiante et finalement passive du président. 13 Le retrait stratégique américain a eu diverses incarnations. La plus visible et la plus immédiate, car engagée sur le fondement d’une promesse de campagne, a été le retrait des troupes américaines d’Irak, engagé à partir de 2008 et finalisé en décembre 2011. Accompagné par le Discours du Caire, un développement des hydrocarbures de schiste nord-américains et une posture de distanciation très nette par rapport aux problématiques du Moyen-Orient, le retrait d’Irak a voulu signifier une nouvelle ère dans les relations américaines avec la région. Cela s’est accompagné d’un refroidissement des relations avec les principaux alliés de la région, avec Israël, fruit d’une méfiance réciproque croissante entre la gauche américaine et la droite israélienne, avec l’Egypte, où les Américains ont eu du mal à gérer les soubresauts révolutionnaires et contre-révolutionnaires, ou encore avec l’Arabie Saoudite et la Turquie, aliénées par la passivité américaine en Syrie et les compromissions avec l’Iran, à travers la négociation de l’accord sur le nucléaire iranien. 14 Ensuite, ce retrait s’est incarné dans une évolution des moyens, au détriment du militaire et au profit du diplomatique, mais aussi des services de renseignements. Critique acerbe de la Guerre globale contre la terreur, Barack Obama a cherché à abandonner les interventions au sol massives et les efforts de contre-insurrection développés dans la seconde moitié des années 2000 (COIN). Il a, en revanche, poursuivi le développement des moyens dits d’empreinte légère (light footprint) visant à mener des opérations furtives, relevant davantage d’une gestion « policière » que militaire de la menace11. En huit années d’administration, il a accru considérablement le recours

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aux drones, aux écoutes, aux forces spéciales12 ; il a transformé les bases militaires en développant le stationnement rotationnel. Toujours avec le même objectif de se dégager des marges de manœuvre financières et diplomatiques, l’Administration Obama a fait un usage accru des moyens militaires du hard power, telles que les sanctions économiques (à l’encontre de l’Iran, ou de la Russie) et la puissance géoéconomique, à travers la négociation de traités régionaux de libre-échange, ou encore de l’usage extraterritorial de son droit des affaires13. Au cours du premier mandat Obama, avec Hillary Clinton au Département d’Etat, l’Administration mise sur le smart power, combinaison « intelligente » de l’ensemble des outils diplomatiques et militaires, pour créer un continuum d’efficacité et d’influence14. 15 De manière plus générale, le président Obama a envoyé de nombreux signaux visant à signaler son intention de déplacer le centre de gravité de la politique étrangère et de défense américaine. Misant sur une doctrine de la responsabilité, il a signalé très tôt son intention de partager le fardeau avec les Européens, voire avec de grands partenaires émergents, pour avoir les mains libres pour entreprendre le grand chantier considéré fondamental pour l’avenir de l’Amérique : le pivot vers l’Asie, qui sera selon Obama le creuset de la prospérité et des enjeux de sécurité des États-Unis pour le siècle qui commence. 16 Enfin, le legs d’Obama s’est aussi incarné dans des décisions qui ont eu une résonnance mondiale, tant elles sont venues remettre en cause des aspects jugés immuables ou toxiques de la politique étrangère américaine. Le président a lancé des processus d’ouverture et parfois de soldes de tout compte, ou presque, envers les ennemis ou rivaux historiques de l’Amérique : le Myanmar, le Vietnam, mais aussi, et surtout, l’Iran, à travers l’aboutissement d’un accord sur le nucléaire iranien, mettant un terme à l’isolement diplomatique de la République islamique, et l’ouverture à Cuba, alors que celle-ci était réputée impossible politiquement.

Le monde que le président Obama laisse en héritage

17 Les décisions de l’Administration Obama, à la tête de la seule superpuissance mondiale, ont eu une influence cruciale sur l’évolution des relations internationales au cours des années 2008-2016. Le temps Obama, symbolisé par le réinvestissement diplomatique incarné par les incessants voyages de ses Secrétaires d’Etat et les grands accords internationaux (climat, nucléaire iranien), aura aussi été marqué par le retour du risque géopolitique15 et la remise en cause des positions américaines, voire occidentales à travers le monde.

18 Toutefois, Barack Obama, le président du « pivot plus »16, déterminé à tourner la page de l’interventionnisme et de l’ingérence au Moyen-Orient, n’aura que partiellement réussi à se dégager de l’emprise de la région sur la politique étrangère américaine. Ses décisions de prise de distance, dont il se dit fier17, ont eu des conséquences inattendues. Obama a été critiqué pour son retrait jugé trop rapide et trop brutal d’Irak, qui a préparé le terrain pour l’expansion territoriale de l’Etat islamique, ou pour son refus d’intervenir militairement dans la crise syrienne, poussant d’autres acteurs (Iran, Russie, Arabie Saoudite, Turquie) à s’engager dans le conflit18. 19 Plus généralement, le sentiment par les acteurs internationaux d’un vide de pouvoir américain19, que ce vide ait été réel ou en partie fantasmé, a été un élément structurant du réalignement géopolitique qui a eu lieu pendant l’Administration Obama, en

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particulier lors du second mandat. Cette perception aiguë que les Américains ne seraient plus nécessairement les gendarmes du monde a encouragé les puissances révisionnistes20 (Russie, Iran) à se réaffirmer fortement dans leur voisinage et leurs sphères d’influence respectives et croisées. Les alliés de l’Amérique, en particulier Israël et l’Arabie Saoudite, ont pris leurs distances vis-à-vis des exigences américaines (poursuite de la colonisation) ou se sont lancés dans leurs propres aventures militaires (Yémen). L’apparente faiblesse américaine au Moyen-Orient a nourri le doute sur la force des garanties américaines de sécurité, en particulier en Asie, dans le contexte d’un « pivot » seulement partiellement réalisé. L’avènement d’un monde bipolaire, multipolaire ou apolaire ne relève plus du fantasme, mais apparaît comme la suite probable de la fin de la « parenthèse unipolaire »21. 20 Toutes les évolutions géopolitiques de ces huit à dix dernières années ne peuvent pas être attribuées aux seuls choix, aussi structurants soient-ils, de Barack Obama. Sous l’effet de la mondialisation, de la crise économique, des alliances mouvantes, des trajectoires propres des Etats, de la démocratisation des technologies numériques, ou encore des offres politiques populistes, plusieurs équilibres politiques mondiaux ont été fondamentalement altérés depuis 2008. En particulier, l’époque est marquée par une érosion des piliers de la croissance, de la démocratie et de la justice qui soutenaient le système international. 21 Les grands émergents démocratiques – Inde, Brésil, Afrique du Sud – sont englués dans leurs problèmes économiques, sociaux et politiques et se sont effacés au profit du « R » et du « C »22 qui composent le mot BRICS. Leur voix reste inaudible sur la scène internationale ; et leurs sujets de préoccupation majeurs (développement économique, justice climatique, migrations) restent trop souvent des problématiques de seconde zone à l’échelle mondiale. Leur absence favorise l’ancrage d’une opposition entre Occidentaux et Chine/Russie, rivalité qui se matérialise dans les blocages du Conseil de sécurité, symbole d’un multilatéralisme en panne (ou les Occidentaux se déchirent même entre eux désormais, comme sur le front des négociations climatiques). De manière générale, au cours de la dernière décennie, les principes et les normes promus par les Occidentaux depuis 70 ans (liberté, démocratie, Etat de droit, justice internationale, normes et standards économiques et commerciaux) ont perdu du terrain, tandis que les modèles autocratiques se trouvent confortés. Selon Freedom House, en 2016, la liberté a reculé dans le monde pour la 11ème année consécutive sous l’effet des forces populistes et nationalistes23.

Le chemin qu’empruntera Donald Trump

22 C’est un monde plus incertain, plus hobbesien, plus autocratique avec lequel le nouveau président américain devra composer24. D’autant plus qu’avec ses options nationalistes et militaristes, Donald Trump participe de l’avènement de ce monde nouveau de sphères géopolitiques d’influence, où les alliances sont plus fluides et les normes plus souples.

23 Toutefois, qu’il le veuille ou non, le monde viendra frapper à la porte du nouveau président américain, comme il l’a fait pour le président Obama. Il lui faudra donc prendre la décision de se réengager ou pas, de se positionner par rapport à l’héritage Obama, un peu comme il l’a fait pour Obamacare : faut-il faire table rase du passé, comme le suggère sa rhétorique de campagne basée sur l’idée de la rupture ?

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24 Or, comme son prédécesseur, Donald Trump sera tiraillé entre deux forces opposées. Certains éléments tirent en effet en faveur de la poursuite du retrait ou de la prudence : il n’existe aucune volonté politique de mettre massivement des soldats américains sur le sol syrien ou irakien, en dehors de tout événement majeur et catastrophique ; les menaces sont désormais diffuses, infra-étatiques, multi-factorielles (terrorisme, guerre informationnelle, cyberconflits), et les réponses classiques fonctionnent rarement ; l’indépendance énergétique croissante des Etats-Unis leur offre le luxe du choix. Mais d’autres éléments poussent clairement en faveur d’une projection de puissance à l’extérieur : un sentiment d’humiliation autour du bilan d’Obama, relayé par la campagne Trump, qui contraint le nouveau président à se démarquer de son prédécesseur ; des alliés affaiblis, en particulier l’Europe, qui pourront avoir besoin d’aide ou du moins ne pourront partager le fardeau ; une Russie qui va continuer de tester la résistance américaine ; une Chine qui pourrait être tentée de faire de même ; une crise nord-coréenne à l’issue incertaine. 25 Le grand paradoxe de la politique étrangère américaine provient de la dualité même des Américains, qui souhaitent à la fois que leur gouvernement privilégie le repli stratégique afin de faire du nation-building at home, et que dans le même temps, il redonne sa grandeur à l’Amérique à l’extérieur. En somme, ils restent profondément inquiets et insatisfaits tant par l’interventionnisme de Bush que par la prudence d’Obama. 26 La trajectoire que choisira de suivre Donald Trump, si tant est qu’il arrive à apporter de la cohérence à ses choix de politique étrangère, aura une influence cruciale sur les relations transatlantiques. Tout comme les Américains, les Européens sont ambivalents à l’égard de la retenue stratégique des années Obama, qui pourrait se poursuivre sous Trump : ils se méfient de l’aventurisme militaire des Américains, mais s’inquiètent d’un départ trop marqué qui les laisserait seuls face à la Russie ou réveillerait les passions des révisionnistes du monde entier. Dans le doute, l’Europe devra s’adapter. Même rassurés sur la continuation des garanties otaniennes de sécurité américaine, les Européens devront composer avec la poursuite de la contraction des intérêts américains dans le monde et, peut-être, aller à la recherche d’autres partenaires capables de reprendre en partie le flambeau.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. Cité dans l’article Mark Landlermay, “Obama Warns U.S. Faces Diffuse Terrorism Threats”, New York Times, 28 mai 2014. 2. Thomas Wright, “Trump’s 19th Century Foreign Policy”, Politico Magazine, 20 janvier 2016; “Donald Trump wants America to withdraw from the world”, Financial Times, 23 mars 2016. 3. Walter Russell Mead “The Jacksonian Revolt, American Populism and the Liberal Order”, Foreign Affairs, Mars/Avril 2017. 4. Colin Dueck, “Donald Trump, American Nationalist”, The National Interest, 3 novembre 2015. 5. Voir l’ouvrage d’Hillary Clinton, Hard Choices, Simon&Schuster, 2014, dans lequel elle développe son approche de la politique étrangère et sa vision du monde. 6. Thomas Wright, “Trump’s 19th Century Foreign Policy”, Politico Magazine, 20 janvier 2016. 7. Rapport “Views of Government’s Handling of Terrorism Fall to Post-9/11 Low”, Pew Research Center, 15 décembre 2015.

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8. Célia Belin, « Comment anticiper la politique étrangère de Donald Trump ? », Esprit, n°431, janvier 2017. 9. Cf. Ryan Lizza, “The Consequentialist: How the Arab Spring remade Obama’s foreign policy,” The New Yorker, May 2, 2011. 10. Célia Belin, « L’héritage Obama », in Pascal Boniface (dir.), L’Année stratégique 2017, Armand Colin/IRIS, 2016. 11. Guillaume de Rougé, « La puissance américaine entre rapatriement et redéploiement », AFRI, Vol. XV, 2014. 12. Maya Kandel, « La lutte contre le terrorisme sous Obama, le volet militaire », AFRI, Vol. XVIII, 2017 (à paraitre). 13. Voir l’ouvrage de Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber, Deals de justice - Le marché américain de l'obéissance mondialisée, PUF, 2013. 14. Maya Kandel et Maud Quessard-Salvaing (dirs), Les stratégies du Smart Power américain, Etudes de l'IRSEM n°32, 2014. 15. Thomas Gomart, « Le retour du risque géopolitique - le triangle stratégique Russie, Chine, Etats-Unis,», Note de l'Institut de l'entreprise, janvier 2016. 16. Cf. Justin Vaïsse, Barack Obama et sa politique étrangère, Odile Jacob, 2012. 17. Jeffrey Goldberg, « The Obama Doctrine », The Atlantic, avril 2016. 18. Voir la critique de Tamara Cofman Wittes, “The Slipperiest Slope of Them All”, The Atlantic, 12 mars 2016. 19. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères français, a été l’un des premiers à exprimer son inquiétude au sujet d’un « retrait américain » : « Les Etats-Unis semblent ne plus vouloir se laisser absorber par des crises qui ne correspondent plus à leur vision nouvelle de leurs intérêts nationaux. A Washington, les partisans d’un retrait des zones considérées comme 'non stratégiques' impriment leur marque. » (cf. discours à l’occasion du 40e anniversaire du Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie, BNF, 13 novembre 2013). 20. On appelle ‘puissances révisionnistes’ les Etats qui remettent en question le statu quo international, en l’occurrence un ordre international largement occidentalo-centré, articulé autour d’institutions multilatérales et organisé par les règles du droit international. 21. Sur l’évolution de la polarité du monde, voir le livre de Ian Bremmer, Every Nation for Itself Winners and Losers in a G-Zero World, New York, Portfolio/Penguin, 2012. 22. Pour rappel, dans l’acronyme BRICS, le R évoque la Russie et le C la Chine 23. Voir le rapport « Freedom in the World 2017 - Populists and Autocrats: The Dual Threat to Global Democracy », Freedom House. 24. Cf. Justin Vaïsse, « Trump’s International System: A Speculative Interpretation », War on the Rocks, 29/12/2016.

ABSTRACTS

The world of 2017 has been shaped by president Obama’s eight years in power during which the US leadership has been remodeled. Determined to “pivot” the US from the Atlantic to the Pacific, from territorial wars to global challenges, President Obama has adopted a posture of strategic restraint, which encouraged US allies and partners to take care of their own defense and security. Rival powers seized the opportunity of a power vacuum to advance their interests and

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the American order has rescinded over the past eight years, under the effect of the financial crisis, the crisis of Western democracies, and dysfunctional multilateralism. President Trump inherits a situation of heightened geopolitical competition, in which he will have to manoeuver between restraint and engagement.

Le monde de 2017 a été façonné par les huit de présidence Obama au cours desquelles le leadership américain a été remodelé. Décidé à faire « pivoter » les Etats-Unis de l’Atlantique vers le Pacifique, des guerres territoriales vers les enjeux globaux, le président Obama a adopté une posture de retenue stratégique, incitant les alliés et partenaires de l’Amérique à prendre soin de leur propre défense. Les puissances rivales ont saisi l’occasion de ce vide de pouvoir pour avancer leurs intérêts, et l’ordre américain a reculé au cours de ses huit ans, sous l’effet de la crise financière, de la crise des démocraties occidentales, d’un multilatéralisme dysfonctionnel. Le président Trump hérite d’une situation de compétition géopolitique accrue, dans laquelle il devra manœuvrer entre retrait et engagement.

INDEX

Keywords: Obama, Trump, US leadership, legacy, foreign policy, Obama’s software, strategic patience, strategic restraint, light footprint, responsibility doctrine, pivot, geopolitical risk, unilateralism, transatlantic relations Mots-clés: Obama, Trump, leadership américain, legs, héritage, politique étrangère, logiciel Obama, patience stratégique, retenue stratégique, empreinte légère, doctrine de la responsabilité, pivot, risque géopolitique, unilatéralisme, relations transatlantiques

Revue de recherche en civilisation américaine, 7 | 2017 137

Hors thème

Revue de recherche en civilisation américaine, 7 | 2017 138

Nations sans frontières : les Indiens d’Amérique du Nord face aux défis du terrorisme et des trafics internationaux

Guy Clermont

1 Les livres d’histoire nous apprennent généralement que la frontière entre les Etats-Unis et le Canada fut établie par une série de traités dont les principaux furent le traité de Paris de 1783 pour la partie orientale, la Convention de 1818 qui fixa la frontière le long du 49ème parallèle des Grands Lacs aux Rocheuses, le traité Webster-Ashberton de 1842 dans le cas du Maine, le traité de l’Oregon de 1846, la convention de 1892 et le tribunal d’arbitrage de 1903 pour l’Alaska. La frontière séparant les Etats-Unis du Mexique fut définitivement fixée par le traité de Guadalupe Hidalgo en 1848 et par l’achat du territoire de Gadsden en 1853. Bien qu’elles fussent directement concernées, les nations amérindiennes ne furent pas invitées aux négociations et, dans certains cas, ce n’est que bien des années plus tard qu’elles découvrirent la réalité et la signification de cette ligne invisible, que les Indiens des Plaines appelaient « medicine line », car elle stoppait net, comme par magie, la course des forces armées lancées à leur poursuite. La matérialisation du tracé ne se fit en effet que plusieurs décennies après la conclusion des négociations (O’Brien 1984).

2 Parallèlement à ce processus de délimitation du territoire, l’expansion des nations étatsunienne et canadienne se faisait par un contrôle accru des nations amérindiennes et généralement par une politique de confinement à l’intérieur de zones qui leur étaient réservées. Ce double enfermement était le symbole de l’affaiblissement de leur pouvoir et de leur liberté. Mais, aujourd’hui, c’est au nom d’une souveraineté toujours affirmée que les Amérindiens revendiquent le droit de franchir en toute liberté la frontière qui leur a été imposée, alors que, de façon paradoxale, aux Etats-Unis, certaines tribus sont chargées d’assurer la sécurité de zones frontalières en collaboration avec les autorités fédérales1. En effet, sur les 8.900 kilomètres de frontière que les Etats-Unis partagent avec le Canada et 3.100 avec le Mexique, 420 sont sous le

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contrôle direct de tribus amérindiennes. Ces dernières sont également responsables de la sécurité dans les réserves, souvent situées à proximité des frontières, où ont été construites de nombreuses infrastructures névralgiques (silos lance-missiles, barrages, centrales hydroélectriques et nucléaires, voies de communication…). Au moins une trentaine de tribus sont concernées, comme le précise le projet de loi présenté au sénat en mars 2005 (Senate 2005 ; Starks 2011 : p.6). 3 Les droits de libre circulation dont bénéficient les Amérindiens sont ancrés dans l’histoire et ont été en partie confirmés par les tribunaux américains et, dans une moindre mesure, canadiens. Mais ils semblent aujourd’hui contraires aux impératifs de sécurité nationale qui sont devenus une priorité pour les gouvernements d’Amérique du Nord. Les mesures qui sont adoptées, en particulier sous la pression du gouvernement américain, n’affectent pas seulement le droit de passage transfrontalier, elles menacent certains droits fondamentaux des nations amérindiennes touchant à leur souveraineté politique mais aussi à leur survie économique, sociale et culturelle, ainsi que l’équilibre écologique des régions concernées. 4 L’objectif de cet article, qui s’inscrit dans la lignée des études sur les territoires frontaliers, les « borderlands », est de replacer la question de la sécurité des frontières et de la liberté de circulation des Amérindiens dans son contexte historique et juridique afin de mieux évaluer les enjeux et les ressources légales dont disposent les tribus concernées pour défendre leurs intérêts. 5 Les nations amérindiennes sont confrontées à un double défi : elles doivent, d’une part, répondre aux exigences des Etats qui mènent une politique de renforcement des contrôles aux frontières tout en préservant leurs droits de passage et, d’autre part, jouer leur rôle en tant que gardiens d’une frontière qu’ils n’ont pas voulue tout en tentant de renforcer leurs compétences de souveraineté sur le territoire tribal. Ces objectifs semblent contradictoires, mais la tâche des gouvernements centraux, en particulier celle du gouvernement des Etats-Unis, n’est pas simple non plus car la diversité statutaire et géographique des tribus concernées rend la mise en application des mesures gouvernementales particulièrement complexe. De façon plus pragmatique, la surveillance des frontières ne peut être efficace sans la participation des tribus frontalières, ces dernières ne sont donc pas totalement désemparées face à ces nouveaux assauts contre leurs droits souverains, ce qui laisse la porte ouverte aux négociations.

1. Un droit ancestral et historique

6 Les nations amérindiennes ont toujours clamé leur souveraineté qui fut au moins implicitement reconnue par les colonisateurs européens ainsi que par les Etats-Unis et le Canada qui ont conclu de nombreux traités avec elles. Mais, depuis le 19ème siècle, cette souveraineté a été considérablement réduite et limitée à sa dimension domestique tant aux Etats-Unis qu’au Canada (Deloria 1999 ; Wilkins 2002). Les Amérindiens ont néanmoins réussi à préserver en partie le droit de franchir les frontières américano- canadiennes et, dans une moindre mesure, les frontières américano-mexicaines.

7 Ce droit fut explicitement reconnu dans le Traité d’amitié, de commerce et de navigation, plus communément dénommé « traité Jay », qui fut conclu le 19 novembre 1794 entre le Royaume Uni et les Etats-Unis. L’article 3 du traité stipule :

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« Il est convenu qu’il sera en tout temps libre … aux sauvages résidens (sic) sur l’un ou l’autre côté des frontières, de passer et repasser librement par terre ou par la navigation intérieure dans les territoires et pays des deux parties respectivement, sur le continent de l’Amérique… et d’avoir un commerce libre les uns avec les autres. »2 8 En outre, l’article 28 apporte une précision supplémentaire : « les sauvages passant ou repassant leurs propres effets et marchandises, de quelque nature qu’ils soient ne seront sujets pour iceux à aucun droit ou impôt quelconque. »

9 Cette clause était « permanente » (article 28) et elle fut confirmée de façon encore plus explicite deux ans plus tard par l’ajout d’un article explicatif3. La guerre de 1812 invalida l’application du traité Jay, mais le Traité de paix et d’amitié conclu à Gand le 24 décembre 1814, qui mettait un terme à ce conflit, confirma l’accord conclu en 1794 en rétablissant au profit des nations amérindiennes « tous les droits et privilèges dont elles jouissaient ou auxquels elles avaient droit en 1811, avant les hostilités » (article 9)4. Ce droit ne fut pas remis en question durant la plus grande partie du 19ème siècle et les Amérindiens en firent ample usage que ce soit pour chasser, commercer, rendre visite à leurs parents ou alliés, participer à des cérémonies, ou fuir les confrontations avec l’armée américaine et, plus rarement, avec la police montée canadienne. 10 Cependant, à partir de la fin du 19ème siècle, la politique des autorités américaines et canadiennes commença à évoluer et les dispositions qui furent adoptées de part et d’autre de la frontière affectèrent différemment la capacité des Amérindiens à commercer et à transporter des marchandises d’un pays à l’autre, ainsi que leur liberté de circulation, en fonction de leur lieu de résidence.

1.1 Le transport de marchandises entre les Etats-Unis et le Canada

11 Petit à petit, Ottawa introduisit des droits de douanes sur les produits importés par les Amérindiens, de l’Atlantique à l’Alaska, tout en recommandant la plus grande tolérance. En conséquence, dans la plupart des cas, les biens à usage personnel et domestique furent admis sans droit de douane jusque dans les années 1960, car les agents des douanes fermaient souvent les yeux sur ce qui était pour l’administration fédérale canadienne une activité illégale, mais pour les Amérindiens un droit souverain qu’ils n’avaient cessé d’exercer (Homes 1990). En 1956 la Cour suprême du Canada confirma la position du gouvernement en déclarant, dans l’arrêt Francis5, que le traité Jay ne saurait s’appliquer aux Amérindiens dans la mesure où ces derniers ne faisaient pas partie des signataires ; mais ce n’est qu’à la fin des années 1960 que le gouvernement rendit cette décision véritablement effective, provoquant des manifestations de protestation de la part des Mohawks et des Micmacs (O’Brien 1984, pp. 334-335). Le débat fut relancé à partir de 1982 suite à l’adoption de la Loi constitutionnelle qui reconnaît que « les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés6 ». Mais, en 2001, l’arrêt Mitchell de la Cour suprême du Canada7 reconnaissait au gouvernement le droit de taxer les produits importés des Etats-Unis par les Amérindiens, ouvrant à nouveau la voie à des mouvements de protestation régulièrement programmés et à des négociations ponctuelles pour tenter de neutraliser les effets de la réglementation (Barnsley 2003, p. 12).

12 De leur côté, les autorités américaines mirent fin au droit dont bénéficiaient les Amérindiens d’importer des biens en franchise dès 18978. Une disposition qui fut

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appliquée de façon relativement souple mais confirmée par plusieurs juridictions américaines, malgré une certaine incohérence, qui estimaient que la guerre de 1812 avait mis fin à ce droit9. Ces dispositions sont encore aujourd’hui contestées par les Amérindiens et en particulier par les Mohawks (O’Brien 1984, pp. 332-336).

1.2. La circulation des personnes entre les Etats-Unis et le Canada

13 Le franchissement de la frontière par les Amérindiens ne fut pas entravé jusqu’à la fin du 19ème siècle, lorsque les incursions répétées des Indiens cris et des Métis en provenance du Canada entraînèrent de vives tensions avec les colons blancs du Montana. Les autorités américaines entreprirent alors de refouler les autochtones vers le nord. Mais c’est surtout la disparition des bisons et des modes de vie traditionnels, ainsi que l’établissement de réserves de part et d’autre de la frontière, qui réduisirent le nombre de passages transfrontaliers.

14 Ce n’est véritablement qu’à partir du début du 20ème siècle que les autorités canadiennes et américaines entreprirent de réguler le franchissement de leur frontière commune par les populations autochtones. 15 Ainsi, en 1910, le Canada interdit le libre accès à son territoire à partir de l’Alaska (Holmes 1990, p. 10). En fait, la réglementation canadienne, telle qu’elle est définie par la loi sur les Indiens et la législation fédérale sur l’immigration, considère que les Indiens américains, s’ils ne bénéficient pas également du statut d’Indien au Canada –ce qui est possible- sont des étrangers et doivent être traités comme tels par les agents d’immigration. 16 En 1924, l’octroi de la citoyenneté américaine à tous les Indiens des Etats-Unis (Indian Citizenship Act, Public Law 68-175) et l’adoption, la même année, d’une loi d’immigration restrictive (Immigration Act, Public Law 68-139) eurent pour conséquence l’assimilation des Indiens canadiens à des étrangers soumis aux règlements d’immigration au même titre que n’importe quel étranger souhaitant se rendre aux Etats-Unis. Cependant la validité de la loi fut très rapidement contestée et portée devant les tribunaux suite à l’arrestation en 1925 de Paul Diabo, un Indien mohawk canadien, qui travaillait depuis plusieurs années sur le territoire américain. Cet événement et l’émoi qui s’en suivit dans la communauté amérindienne allaient donner naissance, en décembre 1926, à l’Indian Defense League of America, une organisation qui s’est donnée pour mission la défense du droit de passage entre les Etats-Unis et le Canada. Dans son arrêt, une cour fédérale régionale reconnut la validité du traité Jay et statua en faveur de la libre circulation des Amérindiens, présentée comme un droit inhérent10. Cette décision entraîna, dès 1928, la révision de la législation américaine et l’adoption d’une clause d’exemption pour les Indiens en provenance du Canada qui ont depuis cette date libre accès au territoire des Etats-Unis. Mais la loi sur l’immigration et la nationalité de 1952 (Immigration and Nationality Act, P.L. 82-414)11 introduisit une restriction importante en spécifiant que les Amérindiens concernés devaient être, au moins, à 50% de sang indien12. 17 La liberté de circulation des Indiens des Etats-Unis vers le Canada ne fut portée devant les tribunaux canadiens qu’au milieu des années 1950 avec l’arrêt Francis qui, nous l’avons vu, ne reconnaît pas le traité Jay, validant ainsi la position du gouvernement canadien. Cette position fut confirmée par plusieurs arrêts ultérieurs, tel que l’arrêt Vincent13, l’arrêt Watt14, ou l’arrêt Mitchell15 qui furent prononcés après l’entrée en

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application de la loi constitutionnelle de 1982. Selon la cour, « un droit ancestral d’entrée dans un Etat souverain, droit qui ne serait pas fondé sur la citoyenneté, ne peut se concilier avec le droit de cet Etat de se protéger par le contrôle nécessaire de ses frontières16 ». Cependant, ces deux derniers arrêts reconnaissent aux Amérindiens le droit de circuler dans « un territoire spécifique » s’ils peuvent prouver l’existence d’un lien particulier avec « une région géographique précise17 » située au Canada, conformément à la Loi constitutionnelle de 1982 qui protége les droits ancestraux existants. Ainsi la cour a établi une distinction entre un droit particulier géographiquement limité, qui est reconnu, et un droit général, qui est rejeté. Ces derniers arrêts n’en constituent pas moins une avancée sensible pour la défense des droits des Amérindiens suite à la modification constitutionnelle de 1982.

1.3. La frontière américano-mexicaine

18 La situation sur la frontière sud des Etats-Unis se prête moins à la controverse dans la mesure où les tribus amérindiennes ne bénéficient d’aucune protection juridique particulière, que ce soit de la part du Mexique ou des Etats-Unis, à l’exception des Kickapoos qui bénéficient d’une mesure adoptée par le Congrès américain. Mais les effets négatifs d’une frontière qui partage les territoires et sépare des communautés jadis unies sont tout aussi néfastes que dans le nord et les tribus demandent à pouvoir bénéficier de la libre circulation des biens et des personnes entre le Mexique et les Etats-Unis au nom de leur souveraineté ancestrale (carte 1).

19 Carte 1 : Principales réserves indiennes du Sud-Ouest des Etats-Unis

20 La plupart des tribus concernées vivant dans des zones isolées et quasi désertiques, cette liberté de mouvement ne fut pas véritablement entravée jusqu’à une période récente. Cependant, les Cocopahs furent séparés en deux groupes distincts dès la fin des années 1930, en raison de leur localisation sur les rives du fleuve Colorado, en un lieu

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de passage très prisé entre les deux pays. Par la suite, ils purent conclure un accord avec les services d’immigration leur permettant de franchir la frontière sans difficulté. Des accords similaires furent conclus par les Yaquis et les Kumeyaays (Luna-Firebaugh 2002, pp. 166-168 ; Arieta 2004). Quant aux Tohono O’odhams, dont le territoire est scindé en deux par 120 kilomètres de frontière, soit la plus longue section de la frontière américaine en territoire tribal, ils ont obtenu le droit d’inscrire les membres de la tribu résidant en territoire mexicain dans les registres tribaux aux Etats-Unis, ce qui leur donne accès à divers services sociaux et médicaux situés en territoire américain. Une approche similaire a été entreprise par les Kumeyaays (Luna-Firebaugh 2002, p. 166). 21 La situation des Kickapoos est exceptionnelle à bien des égards. Les Kickapoos sont originaires de la région des Grands Lacs, mais les aléas de l’histoire et leur soif de liberté les ont poussés à se replier vers le sud, jusqu’au Mexique pour certains d’entre eux, tandis que d’autres se sont implantés au Kansas, en Oklahoma et au Texas (Luna- Firebaugh 2002, p. 166). En 1952, les Kickapoos installés au Mexique obtinrent un statut particulier leur permettant de se rendre aux Etats-Unis pour travailler ou pour rendre visite à leurs parents américains. En janvier 1983, le Congrès adopta une loi leur permettant de franchir librement la frontière et d’obtenir, s’ils le souhaitaient, la nationalité américaine (Texas Band of Kickapoo Act, Public Law 97-429). Cette situation exceptionnelle a été maintenue par la réglementation récente concernant le contrôle des frontières (Homeland Security, 2007).

2. Une situation propice aux trafics illégaux

22 L’appartenance tribale, reconnue par le gouvernement tribal, ou l’obtention du statut d’Indien, délivrée par le gouvernement fédéral, constituent donc des conditions essentielles de l’exercice de ces droits, or les réglementations appliquées par les trois Etats sont très différentes. Par ailleurs, l’appartenance tribale n’implique pas automatiquement une reconnaissance du statut d’Indien par le gouvernement fédéral, et inversement. De la même manière, certaines personnes peuvent avoir le statut d’Indien dans un pays mais pas dans l’autre, avec toutes les conséquences que cela implique lorsqu’elles souhaitent franchir la frontière et bénéficier des avantages accordés par le traité Jay ou par d’autres mesures particulières (Nickels 2001, pp. 320-322). En fait, ces différences de traitement rendent impossible un contrôle effectif des frontières dans le respect des droits accordés aux Amérindiens. Par ailleurs, elles exacerbent les tensions entre, d’une part, les Indiens qui revendiquent la liberté de circulation et refusent habituellement de déclamer une nationalité autre que leur appartenance tribale et, d’autre part, les officiers d’immigration qui ont parfois du mal à accepter ou à comprendre la situation particulière de ces fiers voyageurs (Simpson 2007).

23 Sur la frontière nord des Etats-Unis, la clause des 50% adoptée par les autorités américaines est un véritable casse-tête et pratiquement inapplicable dans la mesure où les autorités canadiennes ne pratiquent pas une telle classification. Les personnes qui souhaitent en bénéficier doivent donc faire des démarches supplémentaires afin de se procurer les documents prouvant qu’ils sont de sang indien à plus de 50%, ce qui ouvre la porte à des discussions animées en cas de contestation par les agents d’immigration les plus sourcilleux. Malgré les assurances reçues par le Ministère des affaires

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autochtones et du Nord Canada de la part des autorités américaines (Assembly of First Nations 2012, p. 107), qui ont déclaré être disposées à accepter les documents existants, y compris les cartes d’identité non-sécurisées, les Amérindiens qui souhaitent franchir la frontière restent soumis au bon vouloir des officiers d’immigration. Les refus de passage sont nombreux et concernent, en particulier les Ainés qui sont souvent incapables de fournir certaines informations, telles que la date de naissance, pour obtenir les documents exigés, alors que leur rôle dans la communauté en tant que porteurs de mémoire et guides spirituels rend leurs déplacements nécessaires pour accomplir certaines cérémonies18. 24 Les cartes tribales sont, en effet, à l’origine de nombreux trafics, car ce sont souvent des modèles anciens facilement falsifiables. Les faussaires s’en servent pour tirer avantage des services sociaux et médicaux dont bénéficient les membres des tribus, détournant ainsi des millions de dollars, mais aussi pour franchir la frontière en toute illégalité (Samyn 2007). Les gouvernements fédéraux font donc pression pour que les autorités tribales émettent des cartes sécurisées, dans le cadre de leurs compétences. 25 Les particularités géographiques des territoires tribaux rendent les contrôles particulièrement difficiles. Il s’agit en effet de territoires situés, pour la plupart, dans des zones isolées et peu peuplées où les contrôles n’ont été effectués que de façon très relâchée jusqu’à une période récente, ou au contraire de territoires situés dans des zones de passage mais dont les particularités rendent tout contrôle problématique. C’est le cas de certaines tribus situées sur les rives du Puget Sound (carte 2), où l’accès par voie d’eau est aisé, et surtout de la tribu mohawk de St Régis qui, pour les trafiquants, est un « trou noir » dans la frontière américaine (Kershaw 2006). En effet, cette dernière est située sur les bords du fleuve Saint-Laurent et comprend, en outre, plusieurs îles situées de part et d’autre de la frontière (carte 3). Il n’est pas inhabituel pour certains résidants de la réserve de franchir la frontière quatre ou cinq fois par jour pour vaquer à leurs occupations quotidiennes. En outre, la tribu est soumise à cinq administrations différentes (américaine, canadienne, québécoise, ontarienne et new yorkaise) en plus des différents conseils tribaux qui la gouvernent. Quant à la pointe Saint Régis, elle est située en territoire canadien mais est accessible par terre seulement à partir du territoire américain.

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26 Carte 2 : Principales réserves indiennes du Nord-Ouest américain

27 Carte 3 : Réserve indienne Mohawk/Akwesasme

28 Ces situations particulières ont de tout temps attiré les trafiquants en tous genres et même suscité des vocations. En effet, pour certains membres de la tribu mohawk, la contrebande est une activité légitime. Le trafic d’alcool via la réserve mohawk durant la période de la Prohibition est bien connu, mais toutes les réserves à proximité des frontières nord et sud sont aujourd’hui concernées. Le trafic d’alcool ne constitue plus qu’une petite partie des marchandises passées en contrebande; désormais, il s’agit de

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tabac, de médicaments, de drogue, d’armes et même de trafic humain (Chen 1998 ; Zielbauer 1999). La police tribale est incapable de faire face à cette invasion, et les gardes fédéraux sont également trop peu nombreux pour les soutenir efficacement, malgré la création d’une unité spéciale, les Shadow Wolves, constituée exclusivement d’Amérindiens spécialisés dans la traque des migrants illégaux (Archibold 2007 ; Brass 2006). 29 Jadis, les passages en contrebande étaient effectués par des Amérindiens à la solde de gangs externes à la réserve. Mais aujourd’hui les autorités judiciaires et policières constatent que deux nouveaux types de criminels sont actifs dans ce trafic. En effet, de nombreux Indiens ont monté leur propre organisation afin de s’approprier les énormes profits qui étaient auparavant réalisés par d’autres, ce qui entraîne une augmentation de la criminalité et de la corruption dans les réserves. Mais l’esprit de solidarité qui unit les membres de la tribu rend la poursuite des contrevenants extrêmement difficile, surtout si des familles influentes sont impliquées, d’autant plus que la suspicion à l’égard du système judiciaire et policier américain est toujours très vive (Hill 2001, p. 64). 30 Plus grave pour la cohésion des tribus, de puissants réseaux, souvent contrôlés par des cartels de la drogue mexicains, se sont infiltrés dans les réserves allant jusqu’ à s’allier par le mariage aux membres de la tribu. On les retrouve jusque dans les réserves du Nord des Etats-Unis où ils contrôlent le trafic de drogue. Sans foi ni loi, ces gangsters extrêmement violents échappent au contrôle des tribus et constituent donc une menace sérieuse à la fois pour la sécurité des Etats-Unis et pour les communautés tribales (Levin 2003). 31 En effet, les tribus sont les premières à subir les conséquences de ces évolutions, car les communautés tribales connaissent des taux de chômage souvent supérieurs à 50% qui les fragilisent et les exposent encore plus aux ravages de la drogue et de la criminalité. Les problèmes de toxicomanie sont de plus en plus fréquents, la violence s’étend, ainsi que la peur. Par ailleurs, l’image et la réputation des tribus souffrent des reportages qui sont publiés dans les médias et qui les présentent comme le maillon faible de la lutte contre les trafics internationaux et le terrorisme. Or, l’hostilité de l’opinion publique pourrait, à terme, entraîner une remise en cause des droits ancestraux que les Amérindiens ont pu préserver jusqu’à aujourd’hui (Kershaw 2006). 32 Les forces de police sont incapables de faire face à l’augmentation de ces trafics et à leurs conséquences. Les polices tribales n’ont ni la formation, ni l’équipement nécessaire à la lutte contre le grand banditisme et le terrorisme. En outre, leurs effectifs sont nettement insuffisants pour accomplir les tâches qui leur incombent désormais. Les agents fédéraux détachés auprès des autorités tribales sont également en sous-effectifs chroniques alors que les mesures mises en place par le gouvernement américain depuis le milieu des années 1990 pour lutter contre l’immigration illégale et, depuis le 11 septembre 2001, contre le terrorisme ont, en fait, aggravé la situation suite à la militarisation de la frontière.

3. La militarisation des frontières et ses conséquences

33 C’est vers la fin des années 1980 que le gouvernement américain renforça ses moyens de surveillance et de contrôle des frontières pour tenter de contenir l’immigration clandestine et le trafic de drogue. Parmi les mesures les plus spectaculaires, on peut

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citer l’augmentation des effectifs de surveillance, l’appel à l’armée, l’installation d’appareils de détection électroniques et la construction de murs de séparation dans les secteurs les plus sensibles. Les événements du 11 septembre 2001 ont tout naturellement entraîné un renforcement de ces dispositions et un intérêt nouveau pour les questions de sécurité des frontières non seulement de la part des autorités américaines, mais aussi de la part des gouvernements canadien et mexicain, en grande partie sous la pression américaine (Ceylan 2004). Mais, contrairement à ce que l’on aurait pu espérer, ces mesures ont entraîné une augmentation des trafics à travers les territoires tribaux et considérablement aggravé la situation des communautés amérindiennes en portant atteinte à leur souveraineté et aux libertés individuelles de leurs membres.

34 Depuis le renforcement des contrôles, il est, en effet, de plus en plus difficile pour les Amérindiens de franchir la frontière au titre des droits garantis par le traité Jay ou au nom des pratiques ancestrales. Les patrouilles sont plus nombreuses, la vérification des documents nécessaires plus minutieuse, les interrogations plus longues et rigoureuses et les véhicules et les bagages sont plus souvent fouillés. Ces nouvelles procédures augmentent le nombre de conflits et l’amertume des Indiens, pour qui ces contrôles sont une forme de harcèlement, portent atteinte à leur honneur et les privent de la liberté de circuler librement dans leurs territoires ancestraux. Ceux qui ne parlent pas anglais et qui ne peuvent expliquer leur situation –essentiellement sur la frontière américano-mexicaine- sont souvent suspectés d’être des migrants illégaux et sont parfois reconduits de l’autre côté de la frontière. D’autres ont du mal à obtenir les documents nécessaires, que ce soit parce qu’ils n’ont pas de certificats de naissance, ou, de façon plus anecdotique, parce qu’ils ne peuvent obtenir les photos requises par l’administration en raison de leur isolement près de la frontière de l’Alaska (Querengesser 2007 ; Wilken-Robertson 1999). 35 Face à ces difficultés, certains ne franchissent plus la frontière perdant ainsi des opportunités de commercer ou se privant de soins, comme dans le cas des membres de la tribu des Tohono O’odhams résidant au Mexique qui ont normalement accès au centre de soin situé de l’autre côté de la frontière. Les réunions familiales, tout comme les fêtes communautaires et religieuses, sont moins nombreuses, car les cultures amérindiennes sont parfois inconciliables avec les contrôles rigoureux que pratiquent les agents des douanes à la recherche de drogue, rendant impossible les voyages transfrontaliers. Ainsi, les Amérindiens ne peuvent accepter que les objets sacrés soient ouverts, confisqués, touchés ou tout simplement vus par des non-initiés, des étrangers, ou parfois des femmes, car cela les désacralise et constitue une menace pour leur propriétaire ou pour la communauté. C’est par exemple le cas des volumineux masques sacrés des Salish qui ne peuvent être touchés par des non-initiés, des bourses cérémoniales des Blackfoot/Blackfeet19, des têtes de cerfs des Yaquis ou des objets sacrés de nombreuses tribus ornés de plumes d’aigle dont l’importation est interdite aux Etats-Unis. La taxation des marchandises complique également la participation des Amérindiens de la côte pacifique aux cérémonies traditionnelles du potlatch durant lesquelles d’importantes quantités de cadeaux sont échangées (Miller 1996, p. 69 ; Arieta 2004 ; Luna-Firebaugh 2002, p. 165). 36 Par ailleurs, les gouvernements tribaux sont contraints de consacrer des sommes de plus en plus importantes à la sécurité sur leur territoire aux dépens d’autres secteurs pourtant essentiels au progrès de la tribu tels que l’éducation, la protection sociale ou

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l’économie. Ainsi, de 2001 à juin 2004, les Tohono O’odhams ont dû investir 7 millions de dollars dans la protection de leur territoire (Brass 2006) et les Mohawks dépensent 2 millions de dollars par an dans le même but (Kershaw 2006). 37 Les tribus reçoivent des fonds du département américain de la Sécurité Intérieure (Department of Homeland Security), mais les sommes en question restent marginales et insuffisantes. A titre d’exemple, sur les 9 millions de dollars reçus par l’Etat du Dakota du Nord en 2003, 75.000 dollars seulement étaient destinés aux réserves situées sur son territoire, dont les importantes réserves Sioux et Chippewa. Par ailleurs, ce mode d’affectation des fonds sous la responsabilité des Etats soulève une question fondamentale car les affaires indiennes relèvent de la compétence de l’Etat fédéral ; or cette pratique semble placer les tribus sous la supervision des Etats individuels, au même titre que les autres gouvernements locaux, et donc remettre en question leur souveraineté telle qu’elle est définie par la constitution des Etats-Unis et la Cour suprême (Butts 2003, pp. 388-389). 38 En outre, les forces de police tribales ne sont pas juridiquement compétentes pour traiter d’affaires concernant des personnes d’origine non-indienne . D’un point de vue strictement légal, ces forces sont donc dans l’incapacité d’exercer un contrôle efficace sur les trafiquants non-indiens bien qu’elles soient en première ligne. Pour palier les contradictions qui sont apparues dans la mise en place des mesures prévues par le Homeland Security Act, les tribus ont demandé que les fonds leur soient directement attribués par le gouvernement fédéral et que les compétences des forces de police tribales soient élargies. Elles espèrent ainsi renforcer leur souveraineté et établir une véritable relation de gouvernement à gouvernement avec Washington dans leur mission de surveillance des frontières. Cependant un projet de loi déposé en 2003 et repris en 2005 qui aurait permis de résoudre ces contradictions n’a pas franchi le cap de la commission parlementaire chargée de l’examiner, car, aux yeux de ses détracteurs, il donnait trop de pouvoir aux gouvernements tribaux. 39 En 2005, le Congrès de l’Etat de New York a cependant adopté une loi qui accorde à la police mohawk les mêmes pouvoirs que ceux de la police de l’Etat. Elle est devenue effective en mai 2007 (DeMare 2007). Même si cette loi a été accueillie avec soulagement par le gouvernement tribal, car elle lui permet de lutter plus efficacement contre la grande criminalité, elle montre que le lien privilégié qui lie les tribus au gouvernement fédéral, et qui est le garant de la souveraineté des nations indiennes, est exposé aux exigences du terrain qui, en l’occurrence, ne laissent que peu de choix aux gouvernements tribaux et les obligent à coopérer avec les autorités gouvernementales, y compris au niveau local, afin de mieux contrôler le franchissement des frontières nationales. En cas de refus, les droits qui ont pu être préservés jusqu’à aujourd’hui pourraient être sacrifiés par les gouvernements centraux sur l’autel de la sécurité nationale. 40 Les droits fondamentaux de ces communautés, touchant à la liberté individuelle, à la santé, au bien être économique et à la vie culturelle et spirituelle sont donc bafoués, menaçant leur cohésion et leur développement. Les conséquences sociales et économiques sont catastrophiques pour les communautés tribales. En outre, les incursions des trafiquants sur les réserves et leurs conséquences portent atteinte à leur souveraineté.

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4. Sécurité et souveraineté

41 En effet, la souveraineté des tribus est remise en cause par l’envahissement de leur territoire par les migrants illégaux et les trafiquants qui franchissent de plus en plus la frontière en passant par les territoires tribaux et les forces de police tribales ne peuvent plus assurer la sécurité des personnes et des biens par manque de moyens face à l’ampleur de la tâche, alors que les services fédéraux chargés de la sécurité des frontières interviennent de plus en plus fréquemment sur les territoires tribaux. En 2001, un jeune garçon Tohono fut écrasé par un véhicule de la patrouille des frontières (border patrol) qui, pour certains, n’est rien d’autre qu’une force d’occupation (Norrell 2007). En outre, il n’est pas rare que des groupes de vigilantes armés, à la recherche de trafiquants, fassent des incursions musclées dans les réserves contre l’avis des autorités tribales, ajoutant au sentiment d’insécurité et de dépossession (Gautreaux 2005). Les gouvernements tribaux souhaiteraient pouvoir exercer leur souveraineté et assurer la sécurité dans les réserves sans intervention extérieure mais ils ne sont plus en mesure de le faire, ce qui rend l’intervention des forces fédérales nécessaire et laisse la porte ouverte à l’incursion de groupes para-militaires.

42 Face à l’incapacité des autorités à contrôler la frontière américano-mexicaine par des moyens traditionnels et électroniques de surveillance, le président Bush a signé, en octobre 2006, une loi qui donne le feu vert à l’extension du mur frontalier sur une distance de 1.100 kilomètres (Secure Fence Act, PL 109-367). De façon plus alarmante pour les tribus concernées, le président Trump a promis durant sa campagne électorale de construire « un mur impénétrable, physique, haut, solide et beau » sur toute la longueur de la frontière américano-mexicaine avec, en complément des moyens technologiques et humains accrus (McCaskill 2016). Quelques jours après sa prise de fonction, il a signé un ordre exécutif pour la « construction immédiate » du mur20. S’il est achevé comme prévu, ce mur et les infrastructures de surveillance qui en feront partie seront une atteinte supplémentaire à leur souveraineté et un obstacle à la libre circulation des Amérindiens sur leurs territoires traditionnels. Le mur, par exemple, scindera en deux le territoire des Tohono O’odhams. Ces derniers sont fortement opposés à ce projet qui a été adopté sans consultation avec les tribus concernées et ils entendent bien s’y opposer par tous les moyens (Levin 2017). 43 Les autorités tribales ont néanmoins accepté qu’une barrière anti-véhicule soit construite sur leur territoire pour tenter d’endiguer une véritable invasion motorisée de trafiquants peu respectueux des populations tribales et de leur mode de vie. Les travaux ayant mis à jour d’anciennes tombes, des voix s’élèvent, cependant, contre la désacralisation des sites qui se trouvent sur le tracé de l’ouvrage et contre le non- respect des fragiles équilibres écologiques et biologiques (Gaynor 2007). 44 Lors d’un sommet des peuples indigènes frontaliers qui s’est tenu sur le territoire des Tohono O’odhams du 29 septembre au 1er octobre 2006, les participants ont unanimement condamné la construction du mur en estimant qu’il s’agissait d’une forme de « terrorisme et d’oppression psychologique » (Norrell 2006) qui violait non seulement de nombreuses lois fédérales, dont la Native American Graves Protection and Repatriation Act, mais aussi la Déclaration sur les droits des peuples autochtones qui était alors en discussion à l’ONU. 45 Aujourd’hui, cependant, les Amérindiens qui franchissent la frontière ne peuvent guère échapper aux contrôles frontaliers, et les gouvernements tribaux ont décidé de

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coopérer avec les autorités à la fois pour protéger leurs communautés contre les ravages engendrés par les trafiquants et pour sauvegarder leur souveraineté en se montrant attentifs aux exigences de sécurité énoncées par leurs puissants protecteurs. Cependant, les autorités tribales n’en condamnent pas moins les incursions parfois musclées des autorités fédérales sur leur territoire21. 46 Afin de préserver un degré de liberté auquel les autres voyageurs ne peuvent prétendre, les organisations pan-indiennes et les représentants des tribus demandent la mise en place de postes de passage qui leur seraient exclusivement réservés et où les contrôles pourraient se faire dans le respect des cultures et des droits particuliers de chaque tribu. 47 Par ailleurs, un contrôle plus strict de l’identité des migrants grâce à des documents sécurisés étant « un impératif national » aux yeux de l’administration (Homeland Security 2007), les responsables amérindiens sont prêts à tirer les conséquences de cette exigence. Mais ils restent opposés à l’obligation de présenter un passeport, en raison des difficultés économiques et administratives que cela engendrerait pour certains d’entre eux, mais aussi et surtout parce que cela diluerait leur souveraineté en les obligeant à se déclarer de nationalité américaine ou canadienne. Prenant exemple sur la situation exceptionnelle des Kickapoos qui se voient dispensés de présenter un passeport (Homeland Security 2007), les dirigeants amérindiens ne sont généralement pas hostiles à ce que les cartes d’identité émises par les tribus soient sécurisées et servent de laisser-passer pour le franchissement des frontières. Ils demandent que les autorités fédérales entrent en négociation avec eux pour adopter des mesures acceptables par tous qui faciliteraient la circulation des Amérindiens sur leurs territoires traditionnels en Amérique du Nord (Norrell 2006). 48 Sur toutes ces questions, les négociations progressent lentement alors que les autorités tribales revendiquent le droit de définir les informations devant figurer sur les cartes d’identité sécurisées. Les autres sources de conflit concernent la localisation des points de passage ainsi que les protocoles de transport et d’inspection des objets sacrés et culturels (Kaniethonkie 2014). Face à la difficulté d’établir des cartes d’identité tribales sécurisées pour tous les Amérindiens, les administrations américaine et canadienne sont disposées à accepter les cartes actuelles et à se montrer compréhensives, mais, sans disposition réglementaire claire, le dernier mot appartient souvent aux fonctionnaires d’immigration présents lors du franchissement de la frontière et les conflits sont nombreux (Marchbanks 2015). En outre, de telles dispositions sont impossibles pour les nations qui ne sont pas officiellement reconnues par le gouvernement fédéral, comme c’est le cas des Coahuiltecan au Texas, par exemple (Amnesty International 2012, p. 90). 49 Les nations amérindiennes situées à proximité de la frontière mexicaine qui ne bénéficient pas de la protection du traité Jay sont en outre confrontées aux mesures adoptées par le Mexique. Ainsi, depuis 2010, les autorités mexicaines exigent de tout citoyen américain qu’il soit muni d’un passeport pour pénétrer sur le territoire mexicain au-delà de 20 kilomètres. Cette disposition ne permet pas aux O’odham de participer au pèlerinage annuel de Magdalena dans la province de Sonora au Mexique. Et, en mars 2016, un particulier, propriétaire des terres sur le territoire mexicain, a implanté une barrière en face de la porte San Miguel qui, en accord avec les autorités américaines, permettait aux O’odham de se rendre au Mexique. Les autorités de la nation O’odham ne savent comment résoudre ce conflit avec un particulier sur le

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territoire mexicain dans la mesure où ce droit de passage ne repose sur aucun accord entre les gouvernements américain et mexicain (Marizco 2016). 50 Mais les Amérindiens tentent également de faire avancer leurs revendications en s’appuyant sur le droit international récent. En effet, les difficultés concernant les droits de passage aux frontières des Etats-Unis se sont multipliés alors que la Déclaration sur les droits des peuples autochtones était en discussion à l’ONU durant les années 1990, et les Amérindiens n’ont eu de cesse de réclamer l’application de l’article 36 qui stipule que : 51 « les peuples autochtones, en particulier ceux qui vivent de part et d’autre de frontières internationales, ont le droit d’entretenir et de développer, à travers ces frontières, des contacts, des relations et des liens de coopération avec leurs propres membres ainsi qu’avec les autres peuples, notamment des activités ayant des buts spirituels, culturels, politiques, économiques et sociaux22 ». 52 La Déclaration sur les droits des peuples autochtones a été adoptée par l’assemblée générale de l’ONU en septembre 2007 malgré l’opposition des Etats Unis et du Canada, ainsi que l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Cependant les gouvernements canadien et américain ont finalement accepté la Déclaration respectivement en novembre et décembre 2010 tout en émettant des réserves. Le Canada a réitéré son adhésion au texte de la Déclaration de façon plus engagée en mai 2016 23. Bien que le Déclaration n’ait aucune valeur juridique contraignante, elle garde une forte valeur « politique et morale », selon les termes du Département d’Etat américain24. 53 Par ailleurs, une Déclaration interaméricaine relative aux droits des peuples autochtones25 est également en discussion à l’Organisation des Etats Américains (OEA) depuis 1997. Bien que moins explicite que le texte de l’ONU, ce texte reconnaît également aux peuples autochtones le droit « à maintenir un plein contact avec des secteurs et membres de leurs ethnies qui habitent sur le territoire des Etats voisins et avoir avec eux des activités communes. » (article 14) 54 Les discussions qui entourent ces diverses négociations internationales nourrissent l’activisme des tribus concernées qui commencent à s’organiser au niveau international pour faire avancer leurs revendications communes dans ce domaine. C’est ainsi que l’ Alianza Indigena Sin Fronteras/Indigenous Alliance Without Borders fut créée en 1997 lors d’un sommet qui s’est tenu sur les terres des Tohono O’odhams. Depuis lors, d’autres sommets similaires ont eu lieu. 55 Malgré ces revendications, la position respective des autorités américaines et canadiennes n’a pas évolué sur le fond, que ce soit sur le traité Jay ou sur les critères à appliquer pour définir le statut d’Indien et il est peu vraisemblable qu’une mesure générale autorisant la libre circulation des Amérindiens sur leurs territoires traditionnels soit adoptée à moyen terme.

Conclusion

56 Les préoccupations sécuritaires l’emportent aujourd’hui sur la volonté de répondre aux revendications des Amérindiens. Ces derniers ne pourront plus circuler aussi librement qu’ils ont pu le faire jusqu’à une période récente car les contrôles frontaliers vont s’intensifier, en particulier sur la frontière américano-mexicaine qui enregistre un nombre de passages illégaux largement supérieur à la frontière américano-canadienne.

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L’intégration des forces de police tribales dans le système de surveillance des frontières va se poursuivre. Elles y perdront probablement une partie de leur autonomie, mais verront leurs compétences accrues. C’est également l’intérêt des gouvernements tribaux car la situation actuelle facilite certains abus qui nuisent au bien-être des communautés amérindiennes.

57 La vigilance des responsables amérindiens est donc plus que jamais nécessaire s’ils souhaitent préserver certains avantages lors du franchissement des frontières, l’un des derniers vestiges de leur souveraineté internationale, face à l’énorme pression imposée par les gouvernements centraux qui souhaitent mettre un terme à une situation qui perdure depuis l’établissement des frontières au XXème siècle et qui a permis aux communautés tribales de continuer à jouir d’un certain degré de liberté de circulation dans leurs territoires ancestraux. On assiste, en fait, au dernier acte d’un long processus de remodelage des frontières en Amérique du Nord qui a commencé par la signature des traités entre colonisateurs fixant les frontières sur le papier, qui s’est poursuivi par la matérialisation des frontières sur le terrain et qui consiste également aujourd’hui à imposer la présentation de documents d’identité à tous ceux qui franchissent la ligne… ou le mur. La magie de la « medicine line » n’est plus qu’un souvenir. 58 Cependant, et de façon quelque peu paradoxale, les gouvernements tribaux ont un rôle à jouer dans la lutte contre le terrorisme et les trafics internationaux, cela leur impose de nouvelles contraintes, mais cela les investit également d’une certaine influence. Reste à savoir s’ils seront en mesure d’obtenir des concessions suffisantes pour préserver leur souveraineté en contrepartie de leur coopération dans la surveillance des frontières. 59 La détermination des responsables amérindiens permettra peut-être d’éviter les formes les plus extrêmes de contrôle comme l’introduction de tests DNA pour déterminer le degré d’indianité des personnes qui souhaitent bénéficier du statut d’Indien, la construction du mur sur la réserve des Tohono O’odhams, ou l’obligation de présenter un passeport à l’entrée sur le territoire des Etats-Unis en provenance du Canada. Mais les enjeux dépassent largement la question du contrôle des frontières, ils portent sur la place que les Amérindiens entendent occuper dans l’espace international nord- américain au nom de leur souveraineté tribale et, au-delà, le rôle que les peuples autochtones entendent jouer sur la scène internationale, un combat dont les indiens d’Amérique du Nord furent les « hérauts » (Rostkowski 1998).

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NOTES

1. Au Canada et au Mexique, le contrôle des frontières est assuré par les autorités centrales, y compris en territoire autochtone. 2. Traité d’amitié, de commerce et de navigation Site du ministère des affaires étrangères et du commerce international du Canada, http://www.dfait-maeci.gc.ca/department/ history/keydocs/keydocs_details-fr.asp?intDocumentId=2, 19 septembre 2009. 3. Explanatory Article to Article 3 of the Jay Treaty, May 5, 1796, http://avalon.yale.edu/ 18th_century/jayex1.asp, 10 septembre 2016. 4. Site du ministère des affaires étrangères et du commerce international du Canada, http:// www.dfait-maeci.gc.ca/department/history/keydocs/keydocs_details-fr.asp?intDocumentId=3, 10 septembre 2009. 5. Louis Francis and Her Majesty the Queen, 1956, R.C.S., 618. 6. Loi constitutionnelle de 1982, Partie 2, paragraphe 35. 7. Mitchell c. M.R.N., 2001, R.C.S. 911. 8. Tariff Act Revision, ch. 11, 30 stat. 151. 9. Karnuth v. US ex rel. Albro, 279 US 231, 1929 ; U.S. v. Garrow, 88 F.2d 318, Court of Customs and Patent Appeals, 1937 ; U.S. ex rel. Goodwin v. Karnuth, 74 F Supp. 660, 1947; Akins v. U.S., 551 F.2d 1222, CCPA, 1977. 10. McCandless v. US ex rel. Diabo, 25 F. 2d 71, 3d Cir., 1928. 11. Egalement connue sous le nom de loi McCarren-Walter. 12. Il s’agit donc d’un critère purement racial qui ne coïncide pas nécessairement avec le statut d’Indien au Canada qui est régi par des considérations politiques. En conséquence, des individus qui ne bénéficient pas du statut d’Indien au Canada, mais qui peuvent démontrer qu’ils sont « indiens à 50% », sont admis en toute liberté aux Etats-Unis. 13. Regina v.Vincent, Ontario Court of Appeal, 12 OR (3rd), 1993, 427. 14. Watt c. Liebelt, Court of Appeal, 2 CF, 1999, 455. 15. Mitchell c. M.R.N., op. cit. 16. Idem. 17. Idem. 18. Message électronique de Donald Stevens, chef Abenaki, 7 juin 2016. 19. Le nom de cette tribu illustre de façon symbolique les divisions créées par la frontière puisque ses membres, qui sont établis aux Etats-Unis et au Canada, sont dénommés « Blackfoot » au Canada et « Blackfeet » aux Etats-Unis. 20. https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2017/01/25/executive-order-border-security- and-immigration-enforcement-improvements. 10 février 2017. 21. « US Border Patrol Violates O’odham Rights », communiqué de presse, 30 juillet 2013. 22. Site des Nations Unies : www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf, 08 avril 2016. 23. « Canada officially adopts UN declaration on rights of Indigenous Peoples », CBCNews, 10 mai 2016, www.cbc.ca/news/aboriginal/canada-adopting-implementing-un-rights- declaration-1.3575272, 10 juin 2016. 24. « Announcement of US Support for the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples », State Department, Washington, D.C., 16 décembre 2010. www.state.gov/ documents/organization/184099.pdf, 15 mars 2016. 25. Site de l’Organisation des Etats Américains : http://www.cidh.oas.org/ProjetDeclartion.htm, 10 mars 2016.

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ABSTRACTS

Native Americans claim that their right to travel freely across international borders which often cut their communities and their territories in two have not been extinguished, and are protected by the Jay treaty signed in 1794. But the determination of the United States to secure their borders in the face of increased terrorist threats and smuggling activities is compromising their freedom, and forces them to be the instruments of this policy since hundreds of miles of the American border are under their direct control. Moreover, hastily adopted measures are ignoring their sovereign and constitutional rights. Today, their primary concern is to negotiate solutions that strike a balance between aboriginal sovereignty and national security both in the United States and in Canada

Depuis l’établissement des frontières nord-américaines, lesquelles ont parfois scindé en deux les tribus et leurs territoires, les Amérindiens situés sur la frontière américano-canadienne revendiquent le droit de libre circulation conformément au traité Jay conclu en 1794 et au nom de leurs droits ancestraux. Face à la menace terroriste et à la montée en puissance des trafics internationaux, ils sont désormais confrontés à la volonté des Etats-Unis de sécuriser leurs frontières, ce qui risque de remettre en cause leur liberté de passage et les oblige à devenir les agents de cette politique dans la mesure où plusieurs centaines de kilomètres de frontière sont sous leur responsabilité directe. Par ailleurs, leur souveraineté est menacée par la mise en place de mesures adoptées à la hâte qui bafouent leurs droits légitimes. Face à ces contradictions, il s’agit désormais pour eux de tenter de faire valoir des solutions qui concilient sécurité nationale et souveraineté amérindienne à la fois aux Etats-Unis et au Canada

INDEX

Keywords: American Indians, United States, Canada, Mexico, border, terrorism, smuggling, international law Mots-clés: Amérindiens, Etats-Unis, Canada, Mexique, frontières, terrorisme, trafics illégaux, droit international

AUTHOR

GUY CLERMONT

Université de Limoges, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, laboratoire « Espaces Humains et Interactions Culturelles », (EHIC, EA 1087)

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