Le géographe Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale Gaëlle Hallair

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Gaëlle Hallair. Le géographe Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale. UMR PRODIG, UMR Géographie-cités. UMR PRODIG, UMR Géographie-cités, pp.148, 2007, Grafigéo. Mémoires et doc- uments de l’UMR PRODIG, ISSN 1281-6477, Jean Marie Théodat. ￿hal-00282068￿

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■ La Francophonie au Vanuatu. Géographie d’un choc culturel ■ Le Nord de Grande-Terre, un paradis raté ? par Maud Lasseur (Grafigéo 1997-1) épuisé Espaces ruraux et mutations sociales en Guadeloupe par Marie Redon (Grafigéo 2002-18) ■ La géographie tropicale allemande par Hélène Sallard (Grafigéo 1997-2) épuisé ■ Risque et gestion cyclonique en Nouvelle-Calédonie par Fabrice Fussy (Grafigéo 2002-19) ■ Le repeuplement de la côte Est de Pentecôte. Territoires et mobilité au Vanuatu ■ Conflit pour l’usage de l’espace central. Le cas des par Patricia Siméoni (Grafigéo 1997-3) camelots de São Paulo par Céline Dernoncourt (Grafigéo 2002-20) ■ B. comme Big Man Hommage à Joël Bonnemaison (Grafigéo 1998-4, ) ■ Les rapports Ville/État en Mauritanie. Le cas de Nouakchott par Armelle Choplin (Grafigéo 2003-21) ■ Siem Reap – Angkor Une région du Nord-Cambodge en voie de mutation ■ Les enjeux d’un enrichissement pétrolier en Afrique centrale • Le par Christel Thibault (Grafigéo 1998-5) épuisé cas du Tchad par Géraud Magrin (Grafigéo 2003-22) ■ La colonisation mennonite en Bolivie Culture et agriculture dans l’Oriente ■ Analyse des formes d’occupation de l’espace autour des lacs Fitri par Gwenaëlle Pasco (Grafigéo 1999-6) et de Léré (Tchad) par Erwan Bibens (Grafigéo 2003-23) ■ Retour du refoulé et effet chef-lieu : analyse d’une refonte politico-administrative virtuelle au Niger ■ La Presqu’île et la Baie de Dakhla • Dynamique margi- par Frédéric Giraut (Grafigéo 1999-7) no-littorale et évolution du trait de côte par Karim Selouane (Grafigéo 2003-24) ■ Transition malienne, décentralisation, gestion communale bamakoise ■ De la mise en valeur des marais littoraux par Monique Bertrand (Grafigéo 1999-8) Les marais de Fialho entre activités et environnement (Ria Formosa, Portugal) ■ Le « Grand Mékong » : mirage ou futur miracle ? par Miguel Padeiro (Grafigéo 2003-25) par Sophie Adam (Grafigéo 2000-9) ■ La vigne et ses hommes • Trois exploitations viticole ■ Transformations environnementales dans le monde malais dans la région de Stellenbosch en Afrique du Sud par par François Spica (Grafigéo 2000-10) Amandine Menguy (Grafigéo 2004-26) ■ Quatre mille ans dhistoire hydrologique dans le delta du Rhône. ’ ■ Géographie d’une crise sanitaire. L’épidémie de choléra à De l’âge du bronze au siècle du nucléaire Madagascar. Le cas de Tuléar par Gilles Arnaud-Fassetta (Grafigéo 2000-11) par Johanna Lévy (Grafigéo 2004-27) ■ Littoral mauricien et tourisme • Quelles perspectives de ■ Les perceptions de l’environnement au Laos. développement et de gestion intégrée pour le sud-est de l’île Images comparées d’un projet de développement par Hélène Pébarthe (Grafigéo 2000-12) dans la province du Nord ■ Transactions et conflits fonciers dans l’Ouest du par Marianne Blache (Grafigéo 2004-28) Burkina Faso ■ Nouméa : creuset de la citoyenneté calédonienne par Juliane Baud (Grafigéo 2001-13) épuisé par Alice Loury (Grafigéo 2005-29) ■ Des inondations et des hommes • Le cas du Val de Loire ■ Le Brésil : géopolitique et environnement actuels par Sylvain Rode (Grafigéo 2001-14) sous la direction de Francisco Mendonça et ■ Visages de l’Ouest Burkinabé. Dynamiques socio-spa- Frédéric Bertrand (Grafigéo 2006-30) tiales d’un ancien front pionnier par Bernard Tallet (sous ■ Pouvoirs et dynamiques terrioriales la direction de)(Grafigéo 2001-15) épuisé Contributions de doctorants de PRODIG ■ Marchés et commerce des produits vivriers (Région de Coordination de Marie Morelle (Grafigéo 2006-31) Bouaké, Côte d’Ivoire) ■ Jaffna et le conflit intercomunautaire par Jean-Louis Chaléard (Grafigéo 2001-16) à Sri Lanka ■ Etude géographique d’un patrimoine urbain en Afrique par Delon Madovan (Grafigéo (2007-32) de l’Ouest Le cas de Saint-Louis du Sénégal par Céline Dufour (Grafigéo 2002-17) UMR 8504

LE GÉOGRAPHE EMMANUEL DE MARTONNE ET L’EUROPE CENTRALE Gaëlle HALLAIR

Version remaniée d’un mémoire de DEA effectué sous la direction de J. Le Rider (EPHE) • septembre 2005 •

Pôle de Recherche pour l’Organisation et la Diffusion de l’Information Géographique Géographie-cités UMR 8586 • CNRS, 1, Paris IV, Paris 7, ephe UMR 8504 • CNRS, Paris 1, Paris 7 2 rue Valette • 75005 Paris 13 rue du Four • 75006 Paris DIRECTEUR DE LA PUBLICATION

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Gérard Beltrando Frédéric Bessat Jean-Louis Chaléard Marie-Françoise Courel Christian Huetz de Lemps Roland Pourtier Thierry Sanjuan Jean Marie Théodat

Photographie de couverture Fonds privé de la famille Birot

Maquette et mise en page Maorie Seysset

Cartographie Geneviève Decroix

Traitement photographique Thierry Husberg

© PRODIG. 2007 ISBN 2 901560 73 3 ISSN 1281-6477 Préface

RÂCE À CET OUVRAGE sur Emmanuel sûrs d’eux car relativement dominants sur de Martonne et l’Europe centrale, la scène internationale durant les années G nous disposons désormais d’un trente ; ensuite en sortant de l’ombre les matériau de première main sur les relations marginaux et les oubliés. que les géographes français et allemands En premier lieu, Gaëlle Hallair s’engage ont entretenues durant l’entre-deux- dans un projet d’histoire croisée qui n’est guerres. Certes, la question n’est pas com- pas très fréquente dans notre domaine. Si le plètement neuve puisque plusieurs auteurs genre a été développé et s’il est encore dis- ont déjà analysé le contexte de ces relations cuté par des historiens, des philosophes et et les différends politiques et scientifiques des littéraires, et en particulier pour traiter qui ont dressé deux écoles de géographes des relations franco-allemandes et d’histoi- l’une contre l’autre, et plus précisément les re culturelle, il a suscité assez peu d’écrits conflits qui se sont noués autour de la figu- en géographie. Les tentatives de la commis- re d’Emmanuel de Martonne. Mais le sion d’histoire de la pensée géographique potentiel du thème et le contenu informatif de l’Union géographique internationale en du livre annoncent un nouveau souffle des direction d’un programme d’histoire inter- études sur les relations franco-allemandes nationale n’ont guère abouti. La récente en géographie. étude qu’Hugh Clout a consacrée à la pro- Avec ce travail en effet, ce sont trois duction « trans-Manche », c’est-à-dire dimensions de l’historiographie contempo- aux orientations de recherche des géo- raine qui sont prises en charge. Avec elles graphes britanniques travaillant sur la s’ouvrent des interrogations qui renouvel- France (et inversement), est originale, mais lent une histoire de la géographie long- elle n’aborde pas la question des transferts, temps limitée à l’école française au sens des traductions, des figures de passeurs strict, mais qui en a élargi depuis peu les entre traditions et écoles. Dans le cadre horizons en matière d’interprétation et de français, plusieurs pistes ont été suivies. contours : d’abord en mettant en cause Ainsi, on connaît de longue date les rela- l’isolement des géographes « classiques » tions franco-canadiennes et le rôle des dans leur tour d’ivoire de professeurs d’uni- pionniers de la diffusion de la géographie versité détachés du monde et de savants française, Pierre Deffontaines et Raoul

Grafigéo 2007-33 5 Préface

Blanchard ; mais on a aussi grâce à la les protagonistes eux-mêmes. Non contente thèse de Denise Pumain une étude qui de montrer l’omniprésence de De Martonne montre la complexité de la réception que les sur ce terrain, Gaëlle Hallair suit la cri- géographes québécois accordaient dans les tique, outre-Rhin, de ses options tout à la années soixante à cette science cousine. A la fois cartographiques et politiques. Surtout, suite des analyses de Christophe Charle sur elle analyse précisément les formes exa- le rôle politique des institutions culturelles à cerbées de cette critique qui ont accompa- l’étranger, on dispose grâce à Claire gné la sortie de l’Europe centrale, où De Delfosse notamment de bons aperçus sur les Martonne entérinait la nouvelle carte de relations franco-brésiliennes où Pierre l’Europe dans ce tome IV de la Géographie Deffontaines encore, et Pierre Monbeig, ont universelle. été particulièrement actifs. De même une La troisième dimension relève d’une tradition de discussion entre historiens de la réflexion sur la place de la géographie poli- géographie espagnols et français permet de tique et sur la vigilance des géographes cerner les figures marquantes des échanges français quant aux enjeux de la Geopolitik. entre géographes des deux versants des S’il est de bon ton aujourd’hui de stigmati- Pyrénées, et d’évaluer les échanges – plutôt ser les choix de l’après Seconde Guerre que les « influences » à sens unique – qui mondiale, où la géographie politique a été se sont produits au XXe siècle. Gaëlle mise à l’index par défiance à l’égard des Hallair rappelle d’emblée dans son livre les dérives de la géopolitique nazie, si les articles qui ont, de divers points de vue, figures des « marginaux » de l’école traité d’Emmanuel de Martonne dans son française de géographie qui s’étaient enga- activité de « tisseur de réseaux », de prota- gés ouvertement dans une géographie poli- goniste de recherches coordonnées ou de tique critique de cette géopolitique sont cible de controverses internationales. Ce maintenant réhabilitées (tel Jacques Ancel), champ des études croisées qu’elle amorce l’attitude des géographes français face aux ici en s’appuyant sur la réception de De développements de cette géopolitique n’est Martonne en Allemagne apparaît donc très peut-être pas appréciée à sa juste valeur. prometteur, au-delà de ces approches qui C’est l’un des mérites du travail de Gaëlle sont classiquement centrées sur le rôle de Hallair que de souligner comment plusieurs personnalités éminentes et fondées sur une géographes français, majeurs et mineurs, conception trop unilatérale des échanges. ont interpellé la Geopolitik dès le début des Le livre de Gaëlle Hallair alimente par années trente. Elle montre bien comment ailleurs la question de l’engagement des ces non-conformistes (Ancel, Goblet) et ces géographes hors de la chaire universitaire. patrons (Demangeon, De Martonne) Il rappelle, avec l’exemple de ce De s’entre-citent, découvrant par là qu’il y a Martonne « bâtisseur de nouvelles fron- une certaine solidarité entre eux, et une tières », l’ampleur de l’investissement conscience commune de l’enjeu. J’ajou- patriotique des « patrons » de l’école terais qu’il y a sans doute là une singularité française de géographie lors de la Première française, car il n’est pas du tout certain Guerre mondiale. Avec des travaux désor- que d’autres collectivités de géographes, mais nombreux sur le Comité d’études pour ailleurs, aux USA ou en Grande-Bretagne la Conférence de la Paix, des monographies par exemple, aient pareillement critiqué approfondies sur le rôle d’Isaiah Bowman à dans leurs propres cercles professionnels la l’Inquiry (Neil Smith) ou sur celui d’Albert « machine de guerre » que constituait la Demangeon au service de l’Etat-major Geopolitik ni alerté l’opinion publique à (thèse de Denis Wolff), des recherches com- travers la grande presse. parées sur la « culture de guerre » des Encore faut-il disposer de matériaux géographes (thèse de Nicolas Ginsburger), pour cette histoire renouvelée… Gaëlle c’est une formidable ouverture qui nous est Hallair construit pour ce faire une offerte sur ce qui avait longtemps été tu par recherche bibliométrique qui couvre les Préface périodes cruciales de 1915-1925 et de allemandes. Au sérieux et au systématisme 1930-1935, et elle mobilise une maîtrise de de la recherche s’ajoute donc une belle la langue allemande dont peu de géo- générosité à l’égard du lecteur. Nul doute graphes et d’historiens de la géographie que Gaëlle Hallair peut être l’une des che- français peuvent aujourd’hui se prévaloir. villes-ouvrières de ce groupe de jeunes his- Mieux, au prix d’un admirable effort de tra- toriens de la géographie curieux des rela- duction, elle nous donne accès directement tions culturelles croisées, notamment dans à tous les textes, notes et comptes rendus qui le cadre européen. accompagnent la réception des travaux de De Martonne dans les revues de géographie Marie-Claire Robic

Sommaire

Préface de Marie-Claire Robic ...... 5

Introduction ...... 13

Chapitre 1 • Sources et bibliographie sur Emmanuel de Martonne ...... 15

BIBLIOGRAPHIE D’EMMANUEL de MARTONNE ...... 15 ÉCRITS SUR EMMANUEL de MARTONNE ...... 25

Chapitre 2 • Emmanuel de Martonne (1873-1955), chef de l’École française de géographie ...... 27

UN « PATRON » DE LA GÉOGRAPHIE FRANÇAISE...... 27 ... DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL TENDU ...... 30 EXPERT-GÉOGRAPHE ET CARTOGRAPHE AU SERVICE DES TRAITÉS DE PAIX (1919-1920) ...... 34

Chapitre 3 • L’Europe centrale et sa réception en Allemagne ...... 47 LA GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE (GU) : LE COURONNEMENT D’UNE ŒUVRE UNIVERSITAIRE ...... 48 L’ ANALYSE THÉMATIQUE DU TOME 4 DE LA « GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE » ...... 50 LA RÉCEPTION DU TOME 4 DE LA GU EN ALLEMAGNE ...... 67

Conclusion ...... 95

Bibliographie ...... 97 Résumés ...... 101 Annexes ...... 105 Table des matières ...... 147

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Remerciements

Je tiens à remercier particulièrement les Messieurs Yann Richard et Jean-Louis personnes suivantes : Tissier pour leurs encouragements ainsi que leurs indications concernant la géographie Madame Marie-Claire Robic, qui non de l’Europe centrale, seulement m’a beaucoup encouragée et m’ a apporté de précieuses informations sur l’é- pistémologie de la géographie, mais a aussi Mesdames Bénédicte Ciolfi-Lebègue, accepté de relire le manuscrit en vue de sa Bernadette Joseph, Ute Wardenga, publication et m’a ainsi grandement aidée à Dorothee Zickwolff, Monsieur Heinz-Peter le remanier, Brogiato et le personnel des bibliothèques de géographie de Paris, Dresde et Leipzig, Monsieur Jacques Le Rider, qui a qui m’ont aidée dans la recherche docu- accepté de m’encadrer pour ce travail de mentaire, DEA et m’a permis d’être accueillie au sein Mes collègues et amis pour leur appui du « collège doctoral européen » de Dresde, technique et sympathique : Mesdames Marie-Madeleine Birot, Catherine Bousquet-Bressolier, Agathe Euzen, Juliette Madame Marie-Françoise Courel et Guilbaud et Messieurs Christian Denker, Monsieur Jean-Louis Chaléard, les direc- Thierry Husberg et Iwan Iwanof, teurs successifs de l’Unité Mixte de Recherche du CNRS (PRODIG) dans laquel- le je travaille comme ingénieure d’études, Danielle, Ludivine, Florent et Jean- qui m’ont soutenue dans cette entreprise, Marie Hallair.

Introduction

ANS L’INTRODUCTION de ses Titres et suis trouvé intimement associé au travail de travaux (p. IX), le géographe fran- la Conférence de la Paix comme principal Dçais Emmanuel de Martonne (1873- expert pour les questions territoriales ». E. de 1955) explique que les années 1925 à 1931 Martonne évoque cette activité au Comité ont été consacrées à l’ouvrage de géographie d’études mais ne mentionne pas l’ouvrage descriptive sur l’Europe centrale (Géogra- récapitulant les séances dudit comité. phie Universelle). Il ne s’y livre pas unique- ment à une étude de géographie physique Il a donc semblé intéressant d’étudier le comme on pourrait s’y attendre de la part géographe E. de Martonne, patron de la géo- d’un géomorphologue internationalement graphie de son temps, non pas du point de reconnu comme lui. Il précise en effet qu’il a vue du géomorphologue mais sous l’angle acquis des connaissances en géographie – apparemment plus marginal, mais néan- humaine lors de ses activités d’expert-géo- moins très riche pour comprendre l’histoire graphe au Comité d’études pour tracer les de la géographie –, du traceur de frontières nouvelles frontières de l’est de l’Europe à au Comité d’études et de l’homme de syn- l’issue de la Première Guerre mondiale : thèse élaborant pour la « Géographie « Si j’ai pu les traiter, quoique spécialisé Universelle » le tome 4 en deux volumes de dans la géographie physique, c’est en partie l’Europe centrale. par suite de l’activité que les circonstances m’ont imposée à la fin de la Grande guerre. L’épistémologie de la géographie de Attaché au service géographique de l’armée, cette première moitié du XXe siècle ne peut où le général Bourgeois m’avait confié se comprendre sans analyser les relations et divers travaux cartographiques en liaison les transferts entre l’École allemande et avec la confection des Notices, j’ai été mis à l’École française de géographie. E. de la disposition du “Comité d’études” chargé Martonne représente une des figures emblé- de préparer la documentation géographique matiques de cette période charnière qui voit pour les négociateurs des traités qui devaient l’émergence et le rayonnement de l’École suivre la fin des hostilités ; et après avoir française. A la naissance de E. de Martonne coordonné tout le travail de ce comité en en 1873, l’École allemande est dominante et qualité de secrétaire pendant deux ans, je me constitue un modèle pour toutes les autres.

Grafigéo 2006-32 13 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

A la mort du géographe en 1955, l’École Après une première partie consacrée à la française a supplanté l’allemande, qui s’est présentation des différentes sources biblio- par ailleurs fourvoyée dans des impasses au graphiques utilisées pour ce mémoire, la per- cours de l’entre-deux-guerres et s’est isolée sonnalité et l’œuvre d’E. de Martonne, chef de la scène internationale à l’époque nazie. de file de l’École française de géographie, sont abordées dans la deuxième partie en Pour étudier les transferts, en continu ou trois points : sa biographie, les contextes his- en discontinu, entre les deux écoles, l’ana- torique et épistémologique dans lesquels il lyse de la réception en Allemagne de l’ou- s’inscrit et enfin son rôle politique de traceur vrage de synthèse sur l’Europe centrale est des nouvelles frontières de l’Est au Comité apparue comme un choix judicieux. Pour d’études préparant la Conférence de la Paix cela le dépouillement systématique d’un de 1919-1920. La troisième et dernière par- corpus de revues allemandes de géographie tie, la plus volumineuse, constitue le cœur du a permis d’extraire des données riches d’en- DEA : elle s’attache à l’œuvre majeure et seignements. synthétique que représente le tome 4 de la GU sur l’Europe centrale et à sa réception par les Le cadre géographique de l’étude est géographes allemands. L’analyse précise de élargi à l’Europe centrale tout en insistant la GU est menée à travers les concepts particulièrement sur la Roumanie. E. de d’Europe centrale, de frontière, de région, de Martonne est en effet chargé de rédiger le groupe ethnique, ainsi que par l’étude de la tome 4 de la Géographie Universelle (GU) cartographie, et pour finir en s’attachant tout sur l’Europe centrale. Il est par ailleurs le particulièrement au traitement de la spécialiste français de la Roumanie : ses Roumanie et de l’Allemagne. Enfin, l’étude deux thèses1 portent sur ce pays, il maîtrise la de la réception du tome 4 en Allemagne via langue roumaine aussi bien que l’allemande, une analyse bibliométrique permet de déga- et sa bibliographie montre l’abondance de ger des points de contacts et de frictions entre ses travaux sur cette partie de l’Europe qu’il les deux écoles géographiques française et ne cesse de parcourir tout au long de sa vie. allemande.

1. La thèse es lettres comporte une thèse principale de géographie et une thèse secondaire. De plus, E. de Martonne a réalisé une thèse de sciences Chapitre 1 • Sources et bibliographie sur Emmanuel de Martonne

EUX grandes catégories de sources type de classement : par types d’ouvrages Dsont ici présentées : ou dans l’ordre chronologique de parution ? La seconde solution a été retenue, car elle • La bibliographie d’E. de Martonne la plus permet de mieux se rendre compte de l’acti- exhaustive possible vité d’ E. de Martonne et de ses centres d’intérêt à telle ou telle période de sa vie. • Les écrits sur E. de Martonne par ses Cela explique aussi le parti pris d’exposer la contemporains et dans la recherche épisté- bibliographie d’ E. de Martonne comme lui- mologique actuelle en France et en même le fait dans ses Titres et travaux, Allemagne c’est-à-dire en commençant par la date de parution. Pour les autres références biblio- graphiques, une autre règle de présentation Bibliographie d’Emmanuel de sera adoptée. 1. 1896, « Dongola » in Annales de Géo- Martonne graphie, t. V, p. 436-438 2. 1896-1897, « La vie des peuples du Le recensement des travaux d’E. de Haut Nil, explication de trois cartes Martonne a été effectué à partir des diffé- anthropogéographiques » in Annales de rentes versions de ses Titres et travaux Géographie, t. V, p. 506-521, avec (1918, 1932 et 1935), complété par des 2 cartes ; t. VI, p. 61-70, avec 1 carte recherches sur le SUDOC (système univer- 3. 1897, « Le XIIe Congrès des Géographes sitaire de documentation dont l’adresse allemands » in Annales de Géographie, internet est : http://www.sudoc.abes.fr). Il t. VI, p. 276-280 est intéressant de noter qu’ E. de Martonne 4. 1897, « Die Hydrographie des oberen a omis de signaler certains titres. Ces Nilbeckens » in Zeitschrift der Gesell- « omissions » (qui datent évidemment schaft für Erdkunde zu Berlin, t. XXXII, d’avant 1935) sont suivies de la mention p. 303-342, (avec 4 planches, cartes et (NS) c’est-à-dire « non signalé » dans la coupes) liste qui suit. 5. 1897, « Etablissements humains dans la vallée ardennaise de la Meuse » in Une question s’est posée concernant le Annales de géographie, vol. VI, p. 363-365

Grafigéo 2007-33 15 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

6. 1898, « Contribution à l’étude des pluies méridionales » in Bulletin de la Société dans la région du Haut Nil » in Annales Géologique de France, 3e série, du Bureau central météorologique, t. XXVIII, p. 275-319, 3 figures Mémoires de 1896, B, p. 197-212, avec 18. 1900, « Un cas particulier de la marche 3 figures diurne de la température en haute mon- 7. 1898, « Notes sur l’enseignement de la tagne » in Bulletin de la société scienti- géographie dans les Universités alle- fique et médicale de l’Ouest, t. IX, p. 10, mandes » in Revue internationale de 2 figures l’enseignement, p. 251-262 19. 1900, « Le Traité de Météorologie de 8. 1898, « Problèmes de l’histoire des Mr Angot » in Annales de géographie, vallées Enns-Salzach » in Annales de vol. IX, p. 72-75, (NS) géographie, t. VII, p. 385-403, 4 figures 20. 1901, « Nouvelles observations sur la 9. 1899, « Sur un nouveau mode de repré- période glaciaire dans les Karpates méri- sentation du régime des pluies dans les dionales » in C.R. Académie des scien- contrées intertropicales » in Annales de ces, 11 février, t. CXXXII, p. 360-363 géographie, t. VIII, p. 84-87 21. 1901, « Sur les mouvements du sol et la 10. 1899, « Une excursion de Géographie formation des vallées en Valachie » in physique dans le Morvan et l’Auxois » C.R. Académie des Sciences, 6 mai, in Annales de géographie, t. VIII, p. t. CXXXII, p. 1141-1143 405-426, 5 pl. photographiques et 22. 1901, « Sur la formation des cirques » cartes in Annales de Géographie, t. X, p. 10- 11. 1899, « Lapiez dans des grès crétacés 16. (Massif de Bucegi, Roumanie) » in 23. 1901, « Sur la toponymie naturelle des Bulletin de la Société Géologique de régions de haute montagne, en particu- France, 3°série, t. XXVII, p. 28-32, lier dans les Karpates méridionales » in 1 figure Bulletin de Géographie historique et 12. 1899, « Sur la période glaciaire dans les descriptive, p. 83-91 Karpates méridionales » in Compte 24. 1901, « Fjords, cirques, vallées alpines rendu (C.R.) Académie des sciences, et lacs subalpins » in Annales de 27 novembre, t. CXXIX, p. 894-897 Géographie, t. X, p. 289-294 13. 1899 « Sur l’histoire de la vallée du Jiu 25. 1902, « Remarques sur le climat de la (Karpates méridionales) » in C.R. Aca- période glaciaire dans les Karpates démie des sciences, 4 décembre, méridionales » in Bulletin de la Société t. CXXIX p. 978-980 Géologique de France, 4e série, t. II, 14. 1900, « Le levé topographique des p. 330-332 cirques de Gauri et Gâlcescu (Massif du 26. 1902, La Valachie, essai de monogra- Paringu) » in Buletinul Societatii Inge- phie géographique, (Thèse de doctorat nerilor, Bucarest, t. IV, fascicule 1-2, ès lettres, Paris), 1 vol., in 8° de XV + 42 p., 3 planches, cartes 387 p., 48 figures, 5 cartes hors texte et 15. 1900, « Sondage et analyse des boues 12 planches photographiques, Rennes, du lac Gâlcescu », (en collaboration Paris, A. Colin. avec Munteanu Murgoci) in C.R. 27. 1903, Recherches sur la répartition géo- Académie des sciences, 2 avril, graphique de la population en Valachie t. CXXX, p. 932-935 avec une étude critique sur les procédés 16. 1900, « Recherches sur la période gla- de représentation de la répartition de la ciaire dans les Karpates méridionales » population, 1 vol., in-8°, 161 p., 2 cartes, in Bulletin de la société des sciences de Bucarest, J. V. socecu, A. Colin, Paris Bucarest, t. IX, n°4, 60 p., 5 pl. cartes et 28. 1903, « Étude sur la crue du Jiu au mois profils, 4 planches photographiques d’août 1900 » in Annales de l’Institut 17. 1900, « Contribution à l’étude de la météorologique de Roumanie, t. XVI, période glaciaire dans les Karpates p. 77-96, 21 figures.

16 Grafigéo 2007-33 Sources et bibliographie

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24 Grafigéo 2007-33 Sources et bibliographie

(française et allemande, ce qui est tout de – KREBS Norbert, 1931, « Literarische même notable pour une époque qui ne se Besprechungen » in Zeitschrift der souciait pas d’épistémologie), son rôle poli- Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin, tique au Comité d’études (ouvrages et p. 305-307 articles qu’il a en général « omis » de signa- – SCHMITTHENNER Heinrich, 1932, « Eine ler dans ses Titres et travaux, comme s’il französische Geographie von Deutsch- voulait gommer cette partie-là de son œuvre land » in Geographische Zeitschrift, ; en tout cas, le géographe ne tient pas à ce p. 22-29, (cf. annexe 6) que ses écrits relevant du Comité d’études – SÖLCH Johann, 1933, « Der zweite Band passent à la postérité. Enfin, ses ouvrage non von E. de Martonne’s Mitteleuropa » in géomorphologiques concernent les deux Geographische Zeitschrift, t. XXXIX, volumes du tome 4 sur L’Europe centrale de p. 235-242, (cf. annexe 7) la « Géographie Universelle ». – VOLZ Wilhelm, 1933, « E. de Martonne’s On peut s’interroger sur les raisons qui Nationalitätenkarte von Mitteleuropa » in ont poussé E. de Martonne à omettre cer- Geographische Wochenschrift, Leipzig, tains travaux dans la liste de ses Titres et p. 327-333 travaux. Les articles, conférences ou autres – ZIMMERMANN Maurice, 1931, « L’Eu- ouvrages concernés entretiennent pour un rope centrale d’après Mr Emmanuel de grand nombre d’entre eux des rapports avec Martonne » in Annales de géographie, la Roumanie et le Comité d’études. vol. 40, n° 227, p. 559-566

Ecrits sur E. de Martonne Dans la recherche actuelle Remarque : ici, le souci d’exhaustivité est moins aigu – BARIETY Jacques, 1997, « Le géographe que dans la partie précédente. Emmanuel de Martonne, médiateur entre la Roumanie et la France » in Étude Par ses contemporains en France et Danubiennes, XIII (2), p. 25-33 en Allemagne (1re moitié du XXe siècle) – BAUDELLE Guy, 2001, « L’assise breton- ne. Emmanuel de Martonne et la fonda- – CHABOT Georges, 1968, « L’oeuvre géo- tion du Laboratoire de géographie de graphique d’Emmanuel de Martonne : Rennes (1899-1905) » in Guy BEAUDEL- 1873-1955 » in Przeglad Geograficzny, LE, Marie-Vic OZOUF-MARIGNIER, t. 40, p. 719-723. Marie-Claire ROBIC (ed.), Géographes en – CHOLLEY André, 1956, Notice nécrolo- pratiques (1870-1945), le terrain, le livre, gique sur E. de Martonne in Annales de la cité, p. 37-54 géographie, n° 347, LXV, janv.-fév., p. 1- – BECK Hanno 1973, « Emmanuel de 14 Martonne, p. 344-347 in Geographie. – CHOLLEY André, 1957, « Tendances et Europäische Entwicklung in Texten und organisation de la géographie en France » Erläuterung, Orbis Academicus, Bd. in L’Information géographique, La géo- 11/16, 508 p. graphie française au milieu du XXe siècle, – BIROT Pierre, 1973, « Emmanuel de Paris, J.-B. Baillière et fils, p. 13-25 Martonne, précurseur de la géographie – DRESCH Jean, 1956, « Emmanuel de climatique » in Bulletin de l’association Martonne » in Bulletin de la Société géo- de géographes français, p. 551-554 logique de France, p. 626-642 – BOULINEAU Emmanuelle, 2001, « Un – FICHEUX Robert, 1952, « M. Emmanuel géographe traceur de frontières : de Martonne en Roumanie. Impressions Emmanuel de Martonne et la Roumanie » et souvenirs » in Cinquantième anniver- in L’Espace géographique, 4, 2001, saire du laboratoire de géographie (1902- p. 358-369 1952), volume jubilaire, Rennes, – BROC Numa, GIUSTI Christian, 2007, Imprimeries réunies « Autour du Traité de Géographie phy-

Grafigéo 2007-33 25 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

sique d'Emmanuel de Martonne : du voca- tiques (1870-1945), le terrain, le livre, la bulaire géographique aux théories en géo- cité, p. 175-187 morphologie » in Géomorphologie : – ORAIN Olivier, 2001. « Emmanuel de relief, processus, environnement, n° 2, Martonne, figure de l’orthodoxie épisté- p. 125-144 mologiquepostvidalienne ? » in Géogra- – BUIRETTE Olivier, 1998, « Géographes phes en pratique (1870-1945), le terrain, et frontières : le rôle d’Emmanuel de le livre, la cité, Presses universitaires de Martonne au sein du Comité d’études lors Rennes, p. 289-311 de la conférence de la paix (1919) » in – ORAIN Olivier, 2003, « Emmanuel de Géohistoire de l’Europe médiane ss dir Martonne ou l’acmé du réalisme clas- Béatrice Giblin et Yves Lacoste, La sique ? », chap II in Le plain-pied du Découverte/Livres Hérodote, p. 149-163. monde. Postures épistémologiques et pra- – CALVET Marc, GIUSTI Christian, GUN- tiques d’écriture dans la géographie NELL Yanni, 2007, « Regards croisés sur française au XXe siècle, thèse de doctorat, l'histoire et l'épistémologie de la géomor- Université de Paris 1, p. 70-88 phologie » in Géomorphologie : relief, – PALSKY Gilles, 2001, « Emmanuel de processus, environnement, n° 2, p. 107- Martonne et la cartographie ethnogra- 112 phique de l’Europe centrale (1917- – DELFOSSE Claire, 2001, « Emmanuel de 1920) » in Comité français de Carto- Martonne, tisseur de réseaux internatio- graphie, n° 169-170, septembre- naux de géographes » in Guy BEAUDEL- décembre , p. 76-85 LE, Marie-Vic OZOUF-MARIGNIER, – PALSKY Gilles, 2002, « Emmanuel de Marie-Claire ROBIC (ed.), Géographes en Martonne and the ethnological cartogra- pratiques (1870-1945), le terrain, le livre, phy of (1917-1920) in la cité, p. 189-206 Imago Mundi, vol. 54, London, p. 111- – DRESCH Jean, 1975, « Emmanuel de 119, Martonne (1873-1955) » in Les Géogra- – ROBIC Marie-Claire, JOSEPH Bernadette, phes français, Bulletin de la section de 1987, « Autour des papiers d’E. de géographie, LXXXI, Comité des travaux Martonne » in Acta geographica, n° 72, p. historiques et scientifiques, Paris, p. 35-48 37-65 – MORARIU Tiberiu, 1973, « Emmanuel de – TISSIER Jean-Louis, 2002, « Martonne Martonne et la géographie roumaine » in (Emmanuel de) » in WINOCK Michel, Bulletin de l’Association des géographes JULIARD Jacques, Dictionnaire des intel- français, p. 537-542 lectuels français, p. 758-759 – NICOLAS Gilbert, 2001, « Le modèle – TUFESCU V., 1985, « Emmanuel de d’Outre-Rhin ? Emmanuel de Martonne Martonne, fautitor al geografiei moderne et les universités allemandes à la fin du si rolul san in formarea geografici româ- XIXe siècle » in Guy BEAUDELLE, nesti » in Lucrari geografice despre româ- Marie-Vic OZOUF-MARIGNIER, Marie- nia, Bucaresti, Editura academiei republi- Claire ROBIC (ed.), Géographes en pra- cii socialiste românia, p. 7-26 Chapitre 2 • Emmanuel de Martonne (1873-1955), chef de file de l’École française de géographie

A BIOGRAPHIE d’E. de Martonne per- d’études qui prépare la Conférence de la met d’aborder son bagage intellec- Paix à Paris en 1919-1920. Il est chargé de L tuel et sa formation auprès des participer à l’élaboration des nouvelles grands maîtres de l’École normale supé- frontières de l’est de l’Europe après la rieure de la rue d’Ulm. Gendre de Paul Première Guerre mondiale. La représenta- Vidal de la Blache, il s’impose à son tour à tion cartographique y joue un rôle majeur, la mort du fondateur de l’École française de car elle n’est pas dénuée d’arrière-plan géo- géographie en 1918, comme le « patron » politique et stratégique : la carte devient un de la géographie française. Menant une outil d’aide à la décision très puissant. brillante carrière universitaire, E. de Martonne joue par ailleurs un rôle pré- pondérant sur le plan institutionnel : cet UN « PATRON » DE organisateur hors pair travaille sans relâche LA GÉOGRAPHIE FRANÇAISE... pour assurer à la toute jeune discipline géo- graphique une place de choix en France dans l’enseignement supérieur comme « Patron » de la géographie française et dans la recherche. Elément moteur de donc porteur d’une certaine idéologie, il est l’Union géographique internationale, il l’expression de la société cultivée de contribue à assurer à l’École française de l’époque. géographie un éclat sans pareil sur la scène internationale de l’époque. Le contexte his- torique et épistémologique de la première Sa formation moitié du XXe siècle est marqué par la Louis Eugène Emmanuel de Martonne concurrence entre les écoles allemande et naît le 1er avril 1873 à Chabris dans l’Indre1 française de géographie. Bien introduit « 1er avril 1873 : naissance de Louis Eugène auprès du monde politique, E. de Martonne Emmanuel de Martonne fils de Louis est choisi comme expert au Comité Georges Alfred de Martonne et de Marie-

1. La thèse es lettres comporte une thèse principale de géographie et une thèse secondaire. De plus, E. de Martonne a réalisé une thèse de sciences

Grafigéo 2007-33 27 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Louise Caroline Cadaud » (Robic, 1987, Lyon jusqu’en 1909 où il devient en 1906 p. 39) professeur de géographie avant d’arriver à Il entre à l’Ecole normale de la rue Paris en 1909 à la faculté des lettres de l’uni- d’Ulm dans la section lettres en 1892 et il y versité de Paris pour occuper la chaire de suit les cours de . géographie laissée vacante par le congé de A sa sortie de Normale, il éprouve le P. Vidal de la Blache. Il est chargé de cours besoin de compléter sa formation avec de géographie de 1909 à 1919, puis profes- d’autres cours en sciences physiques et seur de géographie à la même faculté. Il y naturelles. Il passe ainsi sa licence ès reste trente-cinq ans jusqu’en 1944. Il occu- sciences en s’initiant à la météorologie et à pe par ailleurs à partir de 1927 le poste de la topographie. Il est reçu à l’agrégation directeur de l’Institut de géographie de d’histoire et géographie en 1895 et enseigne l’Université de Paris. En 1926, il fait partie à partir de 1900 dans les facultés de lettres. du directoire du laboratoire de Géographie Il soutient deux thèses : la première en générale de l’Ecole Pratique des Hautes 1902 à la faculté des lettres de Paris dont Études (section des sciences). une sur la Valachie : « La Valachie, essai de A chacun de ses différents postes, il crée monographie géographique ». Il soutient sa les mêmes structures, à savoir des labora- thèse de sciences en 1907. Elle porte sur la toires et des séminaires. Il s’inspire ainsi des géomorphologie des Alpes de Transylvanie méthodes allemandes d’enseignement qu’il en Roumanie : « Recherche sur l’évolution a pu admirer lors de ses séjours outre Rhin. morphologique des Alpes de Transylvanie En 1909, il publie son célèbre Traité de (Carpates méridionales) ». géographie physique, véritable bible pour Il reçoit une bourse après l’agrégation des générations d’étudiants. Très souvent pour aller étudier en Allemagne. Il y suit les réédité, cet ouvrage est considéré comme un cours des plus grands professeurs allemands acte constitutif de la géographie physique en de l’époque. E. de Martonne précise dans France. l’introduction de ses Titres et travaux de En outre, il utilise activement les 1918 qu’il va auprès des « professeurs de systèmes de représentations cartographiques géographie les plus réputés alors : F. von et réfléchit sur le mode de construction des Richthofen à Berlin et A. Penck à Vienne, cartes ethnographiques, comme l’a montré tout en fréquentant les laboratoires de G. Palsky. Dans ce domaine, il joue un rôle sciences physiques et naturelles de Berson, majeur au Comité d’études pour les traités Wahnschaffe et Engler à Berlin, de J. Hann de paix de 1919-1920 (Palsky, 2001, 2002). et Beck von Managetta à Vienne ». Il suit alors les cours sous une forme toute nouvel- le pour lui qui ne connaît que les confé- Ses terrains privilégiés de recherche : rences et cours magistraux dispensés dans Roumanie, Europe centrale les amphithéâtres français : les séminaires. Jeune normalien agrégé, E. de Martonne se prépare tout d’abord à une expédition scientifique en Afrique dans la région des Son enseignement : géomorphologie lacs du haut Nil pour étudier les problèmes et cartographie du climat et de l’hydrographie. Ce projet E. de Martonne débute son enseigne- n’ayant pas abouti, il se tourne vers l’Europe ment en 1898 lorsqu’il est chargé d’un cours centrale et en particulier la Roumanie. de météorologie auprès du laboratoire de Il parcourt sans cesse cette région. Il géographie physique de la faculté des parle l’allemand (comme tout bon étudiant sciences de Paris. de cette époque) et le roumain. Son abon- Il occupe son premier poste d’enseignant dante bibliographie sur la géomorphologie de géographie à la faculté des lettres de de l’Europe centrale et en particulier sur la Rennes de 1899 à 1905 où il devient profes- Roumanie l’atteste. seur adjoint en 1904. Puis il est nommé à Il s’est intéressé aux États-Unis, comme

28 Grafigéo 2007-33 Emmanuel de Martonne, Chef de file de l’Ecole française de géographie le montrent ses contacts géographico-diplo- De plus, il préside la Société de Géographie matiques avec l’Inquiry2 lors de la prépara- de Paris. En 1931, il devient secrétaire géné- tion des traités de paix de la Première ral du Congrès International de Géographie Guerre mondiale. de Paris. Il est membre d’honneur de plu- Plus tard, il a mené des recherches au sieurs grandes sociétés géographiques Brésil. étrangères (de Bucarest, Budapest, New York, Rome, Londres, Berlin, Stockholm, Copenhague), Docteur Honoris Causa des La « Géographie Universelle » : Universités de Cambridge et de Cluj en couronnement d’une carrière Roumanie. universitaire O. Orain considère la posture épistémo- Considéré comme le plus grand spécia- logique d’E. de Martonne comme un « liste français de la géographie de l’Europe patron » pour la géographie post-vidalienne, centrale, il est chargé par P. Vidal de la « d’autant plus opérant qu’il découlait d’une Blache et L. Gallois du tome 4 de la pratique normée mais implicite. C’est en Géographie Universelle portant sur cette professant – en chaire et en excursion autant région. Cette collection est publiée de 1927 que par écrit – que cet homme d’action a pu à 1948. Le tome 4, en deux volumes, rédigé construire et transmettre une posture disci- par E. de Martonne paraît en 1930-1931. plinaire qui va bien au-delà de la lettre d’un L’étude détaillée des deux volumes du discours » (Orain, 2003, p. 71). tome 4 est menée dans la troisième partie de ce mémoire. Son rôle politique de « géographe traceur de frontières » Son rôle institutionnel (Boulineau, 2001) E. de Martonne occupe des postes clés Ce rôle se manifeste essentiellement au au sein de l’enseignement supérieur et de la sein du Comité d’études. E. de Martonne y recherche française. C’est un homme de joue la courroie de transmission auprès commissions et d’appareil, bien intégré d’André Tardieu. Il est par ailleurs con- dans les réseaux de pouvoir. Professeur de seiller de . géographie à la Sorbonne, directeur de Une analyse poussée du rôle de E. de l’Institut de géographie, membre actif du Martonne au Comité d’études est menée Comité National de Géographie (il en est le dans les pages qui suivent. secrétaire général de 1920 à 1952) et de Il paraît intéressant de noter que l’é- l’Union Géographique Internationale, (il en poque d’E. de Martonne est peu propice aux est le secrétaire général de 1931 à 1938 puis réflexions épistémologiques poussées. président de 1938 à 1949) il structure la D’ailleurs, comme le remarque A. Cholley géographie française et lui donne un grand dans sa notice nécrologique des « Annales éclat sur la scène internationale. de Géographie » sur E. de Martonne : « On Par ailleurs, il organise pour la première peut s’étonner qu’il n’ait jamais songé à fois en 1906 les excursions interuniversi- donner, soit dans un article, soit dans une taires. Ses efforts pour créer une agrégation conférence, une définition de la géographie, de géographie sont récompensés en 1943. précisant sa position parmi les sciences. » Parmi ses nombreuses distinctions hono- Sa bibliographie montre qu’il a conscience rifiques3 et autres fonctions électives, on du problème. Il tente de plus dans un petit peut citer les suivantes : à partir de 1920, il ouvrage de préciser ce qu’est la science géo- est directeur de la revue des « Annales de graphique. A. Cholley y revient : « Il a géographie », fondée par Vidal de la Blache. retracé pourtant, dans un opuscule de

2. L’équivalent américain du Comité d’études. 3. En 1932, il est nommé au grade d’ « officier de la légion d’honneur ».

Grafigéo 2007-33 29 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

25 pages (La sciences géographique, col- « La géographie est pour lui une réflexion lection Larousse, 1915), qui a dû passer à sur la globalité du réel : elle a pour but de peu près inaperçu, étant donné les circons- saisir l’unité et la diversité de la Terre, dans tances de sa publication, les principales sa totalité, et souligne les liens multiples qui étapes de l’évolution de la géographie en s’y tissent entre les phénomènes les plus France. Cet exposé particulièrement sug- divers. » (Claval, 1998, p 70). gestif éclaire d’une façon singulière les pro- blèmes qui se sont posés vers la fin du XIXe siècle au sujet d’une discipline qui n’en était Le défi allemand qu’à ses débuts et permet de bien saisir la La concurrence entre géographes alle- place qu’il a tenue dans son organisation. » mands et français s’inscrit dans un cadre Pour tenter de mieux cerner la personna- plus large. Pour tous les intellectuels lité et le rôle de E. de Martonne comme français, le « défi allemand » est à relever « patron » de la géographie en cette premiè- (Berdoulay, 1991). re partie du XXe siècle, une étude du La défaite de 1871 humilie les Français contexte historique et épistémologique qui tiennent à relever le défi allemand dans s’impose maintenant. les domaines politique, intellectuel et éco- nomique. V. Berdoulay rappelle l’évolution des attitudes françaises par rapport à ... dans un contexte interna- l’Allemagne. Avant 1870, l’Allemagne est considérée tional tendu comme le pays des lettres, des arts et de la science. Sur le plan intellectuel, l’auteur Au sortir de la guerre franco-allemande note des divergences d’attitude par rapport à de 1870-1871, les savants français, toutes l’Allemagne entre les libéraux et les conser- disciplines confondues, éprouvent le besoin vateurs français, prémices des conflits idéo- de relever le défi allemand. La géographie logiques de la Troisième République. Les française, qui se constitue en « école » sous libéraux considèrent l’Allemagne comme la houlette de P. Vidal de la Blache (1845- un modèle de la science, des lettres et des 1918), s’inspire largement du modèle alle- arts ce qui leur permet de critiquer les équi- mand avant de le dépasser. E. de Martonne valents français considérés comme infé- s’inscrit dans cette époque charnière tout en rieurs. A l’opposé, les conservateurs (spiri- assurant, sans révolution, l’héritage vida- tuels éclectiques à la Victor Cousin et les lien. Les transferts entre les écoles alleman- catholiques) prennent l’Allemagne pour de et française s’effectuent au niveau des cible, ce qui leur permet de s’opposer aux institutions et des idées, non sans de nom- libéraux de l’époque. breux affrontements sémantiques. Après la Après 1870, l’Allemagne devient un Grande guerre s’installe sur le plan interna- objet de revanche et paradoxalement un tional un climat d’ostracisme envers l’école modèle. En effet, la défaite entraîne une allemande de géographie ; cette dernière recherche des causes et une remise en ques- perd son rôle moteur et dominant au profit tion des idées d’avant 1870. Cela se traduit de l’école française. par la perte de l’idéal d’une Europe en paix et unie. On assiste donc à un repli sur un nationalisme que nourrit un idéal de Deux écoles de géographie concur- « régénération nationale ». Apparaissent rentes : l’allemande et ainsi les thèmes de la « revanche » et de la française l’Allemagne comme modèle. En effet, deux En géographie, le modèle allemand est réactions s’expriment face à la prétendue dominant depuis Carl Ritter (1779-1859) et supériorité allemande : la gauche, partisane Alexander von Humboldt (1769-1859). A de la nouvelle république, pense que propos de C. Ritter, P. Claval explique que l’Allemagne devrait être un modèle pour le

30 Grafigéo 2007-33 Emmanuel de Martonne, Chef de file de l’Ecole française de géographie monde intellectuel. Il s’agit d’une imitation diants en stage dans une université alleman- critique et non d’une admiration aveugle. de. » (Digeon, 1959, 1992, p. 378). Il pour- Les conservateurs sont hostiles au modèle suit : « Les jeunes gens formés suivant les allemand et le rejettent. Ils sont aussi contre nouvelles idées, c’est-à-dire suivant la réorganisation de l’enseignement prônée l’exemple allemand, ont désormais l’ambi- par les républicains (Taine, Renan). Il est tion de faire aussi bien et mieux que les uni- cependant à noter que l’invocation de versitaires germaniques » (Digeon, 1959, l’avance allemande peut avoir un côté 1992, p. 378). C. Digeon mentionne les stratégique pour demander plus de crédits attraits de l’Allemagne à cette époque-là : pour la recherche et plus de postes. « Si on fait abstraction du problème poli- Enfin, la puissance allemande a été une tique, il est certain que l’Allemagne présen- obsession pour le nationalisme français, te aux jeunes gens nés aux alentours de 1870 d’où l’importance de la notion de « défi des trésors de philosophie et de poésie que allemand » dans des questions de société peu de pays peuvent offrir » (Digeon, comme le colonialisme, le régionalisme, 1959,1992, p. 391) . E. de Martonne bénéfi- l’instruction et la morale. cie lui aussi d’une bourse pour aller après Donc, sur le plan intérieur et internatio- l’agrégation enrichir sa formation auprès des nal, les intellectuels français se confrontent maîtres allemands. Il en profite aussi pour au modèle allemand. C’est particulièrement enquêter sur l’organisation de l’enseigne- vrai en géographie. Les étudiants français ment supérieur allemand. partent en Allemagne enrichir leur forma- C’est dans ce contexte national et inter- tion géographique auprès de maîtres recon- national que naît l’Ecole française de géo- nus internationalement. Ils sont soutenus en graphie. cela par le gouvernement français qui octroie des bourses d’études. M.-C. Robic nuance la thèse de V. Berdoulay selon La formation de l’École française laquelle la défaite de Sedan en 1870 aurait de géographie inscrit la géographie française dans un pro- Dans son ouvrage sur l’École française jet original, républicain et nationaliste. En de géographie, Vincent Berdoulay met en effet, dès le milieu du XIX ° siècle, la géo- relation la formation de cette école, qui se graphie a été introduite dans l’enseignement déroule entre les deux crises de 1870 et scolaire français. De plus la France ne 1914, avec la mise en place d’un nouveau constitue pas une exception dans la mesure système politique en France, la Troisième où l’Empire allemand, la Grande-Bretagne République. Cette période voit naître un fort ou encore les Etats-Unis ont aussi connu les intérêt géographique dans le public grâce mêmes élans nationalistes fin XIXe et début notamment au colonialisme et à l’implanta- XXe siècle et ont cherché à favoriser l’en- tion de la géographie à l’Université. Il s’agit seignement de la géographie dans ce sens. en effet de « mettre en rapport le phénomè- Enfin, la défaite de Sedan a certes été un ne de maturation et diffusion rapide de la choc, mais l’écrasement de la Commune a géographie avec la courte et homogène été un traumatisme (Robic, 2006, p. 19). période correspondante de l’histoire de Dans son ouvrage sur la crise allemande France » (Berdoulay, 1981, p. 7). de la pensée française entre 1870 et 1914 , C. Digeon précise : « Aller outre-Rhin suivre les cours d’une université, c’était sou- La place d’ E. de Martonne au sein vent, avant guerre, faire preuve d’une certai- de l’École française de géographie ne indépendance d’esprit, et parfois témoi- gner son mépris aux universités françaises. Il n’en est plus de même après 1870, puisque E. de Martonne appartient à la seconde l’état ou des organismes officiels, favorisent génération de Vidaliens (Berdoulay, 1981, les missions d’études et envoient des étu- p.178).

Grafigéo 2007-33 31 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

La première génération de Vidaliens est de séminaires. Réciproquement, les géo- constituée par les plus anciens étudiants de graphes allemands reconnaissent l’impor- P. Vidal de la Blache, M. Dubois (1856- tance du géomorphologue, mais critiquent 1916), L. Gallois (1857-1941), J. Camena de façon virulente le traceur de frontières. d’Almeida (1865-1943), L. Raveneau Donc des transferts s’opèrent en pointillé ou (1865-1937). Ces derniers sont les témoins en continu entre les deux Écoles. de l’évolution de la géographie des études V. Berdoulay explique dans son ouvrage historiques ancien style vers les études phy- que les transferts entre les deux Écoles siques, humaines et régionales. Les thèses s’opèrent à deux échelons : celui des institu- dirigées par A. Himly procèdent de la géo- tions et celui des idées. graphie historique ou de l’histoire de la géo- Au niveau des institutions, un gros effort graphie. Philosophiquement, cette première est entrepris dans l’organisation du travail génération se rattache aux idées de la répu- pour améliorer la qualité de l’enseignement blique opportuniste et du néo-kantisme de J. de la géographie en France. Lachelier ou de E. Boutroux. L’importance des maisons d’édition La seconde génération regroupe des étu- privées joue un rôle décisif dans le prestige diants qui réalisent leur thèse sous la direction de la géographie allemande au XIXe siècle de P. Vidal de la Blache et sous forme de comme l’illustre par exemple l’institut géo- monographies régionales. Ces Vidaliens graphique de Justus Perthes à Gotha : ce deviennent les plus connus en France comme dernier produit aussi bien des atlas, que des à l’étranger : J. Brunhes (1869-1930), annuaires statistiques, des cartes murales, C. Vallaux (1870-1945), A. Demangeon des manuels scolaires ou encore des revues (1872-1940), A. Vacher (1873-1921), comme les « Petermanns Mitteilungen ». La R. Blanchard (1877-1965), J. Sion (1879- France fait en partie de même après 1870 1940) et M. Sorre (1880-1962). La majorité comme le montre l’exemple de Elisée d’entre eux accède à des postes universitaires. Reclus (1830-1905) chez Hachette. Cette génération, née après la guerre de 1870- En 1871, à la demande du ministre de 1871, prend part « au mouvement de pensée l’Instruction publique Jules Simon, Pierre lancé par P. Vidal de la Blache, mais est pro- Emile Levasseur et Auguste Himly visitent bablement sensible aux nouveaux développe- les écoles primaires et secondaires et propo- ments philosophiques (comme ceux de sent une réforme de l’enseignement de l’his- H. Bergson) qu’elle commence à assimiler » toire et de la géographie. A cette époque (V. Berdoulay, 1981, p. 178). n’existe qu’une seule chaire de géographie à On peut donc rattacher E. de Martonne à la faculté (Himly), donc les nouveaux ensei- une tradition géographique : l’Ecole françai- gnants, non-spécialistes, improvisent des se dirigée par les Vidaliens qui a dû surmon- cours comme P. Vidal de la Blache à Nancy ter le défi allemand. Cela montre par quoi E. en 1873. La gauche entreprend la réforme de Martonne est modelé et permet de voir ce des universités en s’inspirant du modèle alle- qu’il en garde et en quoi il innove. Qu’ap- mand. En effet, la plupart des universités porte-t-il par rapport à P. Vidal de la Blache prussiennes possèdent des chaires de géo- quand il devient le « patron » de la géogra- graphie à la fin des années 1870. phie française ? Comment cela se traduit-il dans la sémantique de l’Europe centrale ? Par ailleurs, deux des plus importantes innovations allemandes sont reprises en France, notamment par E. de Martonne qui a Transferts réciproques entre bien observé le système universitaire alle- les deux écoles de géographie mand et en a même tiré un rapport en 1898. E. de Martonne s’est inspiré des métho- Il s’agit du séminaire, c’est-à-dire le regrou- des universitaires utilisées par les géo- pement d’un petit nombre d’étudiants en graphes allemands en créant des labora- dehors du cours magistral, et des laboratoires toires et en dispensant des cours sous forme de géographie. E. de Martonne en crée un

32 Grafigéo 2007-33 Emmanuel de Martonne, Chef de file de l’Ecole française de géographie dès son premier poste à Rennes en 1899. En ce qui concerne la région, il est à Plusieurs autres géographes universitaires noter que le mouvement régionaliste en font des missions d’études en Allemagne, ce géographie permet l’essor d’une géogra- qui leur permet de nouer des contacts per- phie appliquée. P. Vidal de la Blache et sonnels avec le monde universitaire d’outre P. Foncin, membres de la Fédération Rhin. Régionaliste Française, travaillent sur le problème de l’identification et de la délimi- Les transferts entre les Écoles allemande tation des régions. et française de géographie ne se font pas uniquement au niveau des institutions mais également au niveau des idées. L’impact des guerres franco- allemandes de 1870-1871 et Les géographes déclarés comme tels ont 1914-1918 en général une formation historico-géogra- phique qui doit presque toujours quelque La guerre franco-allemande de 1870- chose à la géographie allemande. Tous 1871 a peu d’impact sur E. de Martonne, éprouvent le désir de se placer dans le cadre puisqu’il part étudier en Allemagne après défini par le grand géographe allemand Carl l’agrégation. Par contre, pour la société Ritter (1779-1859), qui influence de façon française et l’École française de géogra- notable l’enseignement et la recherche en phie, cette guerre constitue une remise en France. A la fois disciple de Vidal de la cause scientifique et intellectuelle de fond Blache et rittérien, E. de Martonne appro- en comble et tout est mis en œuvre pour fondit comme L. Gallois (1857-1941) et relever le défi allemand. J. Brunhes (1869-1932) la recherche en géo- graphie physique sans toutefois rejeter le La Première Guerre mondiale et les cadre fourni par C. Ritter. En outre, E. de traités de paix expriment une grande dureté Martonne, comme P. Vidal de la Blache et envers l’Allemagne et l’ex-Empire austro- comme les autres étudiants, estime particu- hongrois. Au même titre que l’opinion lièrement les travaux de F. Ratzel (1844- publique et les élites françaises conserva- 1904) portant sur l’anthropogéographie et trices, E. de Martonne affiche son antiger- étudie d’ailleurs avec lui en 1896. E. de Mar- manisme et son antibolchevisme. D’où le tonne écrit même un article en 1904 pour les tracé des nouvelles frontières de l’Europe mélanges à la mémoire de F. Ratzel. centrale.

Les transferts entre les Écoles allemande et française de géographie ne s’effectuent Le climat d’ostracisme par rapport pas sans quelques affrontements d’ordre aux géographes allemands sur sémantique. la scène géographique internationale dans l’entre-deux-guerres Après les Traités de paix de la Première Affrontement sémantique Guerre mondiale, un climat de plus en plus Les affrontements d’ordre sémantique tendu s’installe pendant l’entre-deux- s’opèrent notamment sur les concepts de guerres entre les deux écoles de géographie. « région », de « Mitteleuropa » (Europe cen- L’Union géographique internationale cons- trale), de « frontière » et de « Lebensraum » titue le lieu d’expression symptomatique (espace vital). Ce point sera particulière- des antagonismes croissants. C’est dans ce ment développé dans le troisième chapitre contexte d’animosité grandissante que E. de consacrée à l’analyse du tome 4 de la Martonne écrit les deux volumes du tome 4 « Géographie universelle » sur l’Europe de la Géographie universelle qui sont reçus centrale de E. de Martonne et de sa récep- de façon très critique par les géographes tion par les géographes allemands. allemands (cf. chapitre 3).

Grafigéo 2007-33 33 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Dans son ouvrage sur l’Union géo- gravement malade » (Robic, Rössler,1996, graphique internationale (UGI) et les congrès p. 249). A l’arrivée d’A. Hitler au pouvoir internationaux de géographie, M.-C. Robic en Allemagne, les liens sont donc complète- insiste dans le chapitre 9, écrit avec M. ment distendus entre les géographes d’une Rössler, sur l’UGI, comme « enjeu des rela- rive du Rhin à l’autre. tions internationales dans la première moitié du XXe siècle. » (Robic, 1996, p. 241). A ses débuts, l’École française de géogra- Dans le même ouvrage, on aprend que phie s’est structurée en s’inspirant largement dès le début des années trente du modèle allemand de référence. Un demi- A. Demangeon et Yves-Marie Goblet criti- siècle plus tard, on assiste à une rupture par- quent la Geopolitik allemande : « Il [Goblet] tiellement consommée entre les géographes appuie son argument non seulement sur les français et allemands : d’une part, l’École partis-pris de la géographie politique, mais française occupe le devant de la scène géo- surtout sur ce qu’il considère comme la graphique mondiale, et d’autre part, la Pre- campagne calomnieuse engagée contre mière Guerre mondiale et les Traités de paix L’Europe centrale d’E. de Martonne, ouvra- qui ont suivi, ont avivé les antagonismes ge publié en 1931 dans la nouvelle collec- entre géographes français et allemands. C’est tion de « Géographie Universelle » (Robic, ce que permet de situer l’activité du Comité Rössler, 1996, p. 246). d’études pour la Conférence de la Paix. Par ailleurs, c’est aussi l’occasion de comprendre On y découvre aussi que I. Bowmann le rôle du géographe expert E. de Martonne aurait attribué à une réaction négative à comme traceur des nouvelles frontières de l’ouvrage sur l’Europe centrale l’absence l’est de l’Europe. des Allemands au Congrès international de Paris en 1931. A travers les attaques orches- trées dont le livre fait l’objet, Y.-M. Goblet Expert-géographe et carto- diagnostique également les symptômes graphe au service des traités d’une crise de la géographie allemande mar- (1919-1920) quée par le développement d’une pseudo- de paix science de l’Etat, un asservissement de la géographie au politique, et des critiques ten- E. de Martonne est appelé au Comité d’é- dancieuses. tudes à titre d’expert avec d’autres géo- graphes et y joue le rôle particulier de cour- Une citation de Y.-M. Goblet de 1932 roie de transmission avec le monde montre l’évolution des attitudes françaises politique comme l’attestent ses nombreux par rapport au modèle allemand : « tout cela contacts avec A. Tardieu (1876-1945, délé- ne peut qu’attrister ceux qui se souviennent, gué à la conférence de la Paix et président de avec Demangeon, du temps où tous les géo- plusieurs commissions territoriales) et avec graphes d’Europe écoutaient ce qui leur G. Clemenceau (1841-1929, Premier Minis- venait d’Allemagne comme la voix même tre français). Géographe et cartographe, E. de de la science ; (or) ce temps est révolu s’il Martonne comprend et met en évidence l’im- est démontré que désormais la vérité varie portance décisive de la représentation carto- selon les patries. » graphique. Le cas de la Roumanie est ici par- Le climat d’animosité entre les Écoles ticulièrement développé. allemande et française de géographie culmi- ne en 1933 dans un échange épistolaire du 15-11-1933 entre E. de Martonne et E. de Martonne, expert-géographe S. Passargue. M.-C. Robic livre la réponse au Comité d’études de E. de Martonne : « votre lettre confirme encore l’impression que l’Allemagne est Qu’est-ce que le Comité d’études ? comme vous le dites vous-même une nation Dans le tome 2 des Travaux du Comité

34 Grafigéo 2007-33 Emmanuel de Martonne, Chef de file de l’Ecole française de géographie d’études sur « Questions européennes » gressiste de la Seine en 1915, est chargé (1919), les étapes de l’élaboration du comité d’en choisir les membres. sont explicitées en introduction : « A la suite En 1917, le noyau constitutif du comité de conversations répétées au cours des se compose de seize membres dont 11 uni- années 1915 et 1916, il a paru utile, pour versitaires : quatre géographes (P. Vidal de aider à préparer le dossier des futures négo- la Blache qui y fait entrer E. de Martonne et ciations, de réunir quelques-uns des L. Gallois, et le général Robert Bourgeois, hommes les plus qualifiés par leurs tra- directeur du Service Géographique de vaux….Comme il s’agissait surtout d’éta- l’Armée) et sept historiens (Ernest Lavisse, blir des faits et de grouper des informations, Antonin Debidour, professeur d’histoire on ne s’est guère adressé d’abord qu’à des contemporaine, Ernest Denis, spécialiste historiens et à des géographes, qui eux- des questions slaves, Camille Jullian et mêmes se réserveraient de prendre, en toute Christian Pfister, professeurs d’histoire matière à laquelle ils auraient à toucher ancienne, et enfin Alphonse Aulard et accessoirement, par exemple en matière Charles Seignobos, historiens classés « à économique, l’avis des personnes plus spé- gauche » car pacifistes en pleine guerre) et cialement compétentes. Un comité d’études de cinq personnes issues d’autres horizons a donc été formé le 17 février 1917… En (dont Ernest Babelon, professeur au Collège ouvrant la première séance le mercredi de France, Emile Bourgeois, professeur à 28 février 1917, M. Ernest Lavisse (prési- l’École libre des sciences politiques et à la dent) … définit en ces termes le but des tra- faculté de Lettres de l’université de Paris, vaux du Comité, suivant le but qui lui était Arthur Chuquet de l’Académie des sciences tracé : « il s’agit, non d’apporter des solu- morales et politiques). tions, mais de constituer une série de dos- O. Buirette propose un organigramme siers utiles à ceux qui auront la responsabi- pour comprendre comment fonctionne le lité de représenter la France au Congrès de Comité d’études (cf. annexe 2). la Paix. Toutes les questions touchant Les géographes s’investissent entière- l’Europe devront être examinées ». Le but ment dans cette action que M.-C. Robic qua- est de préparer les règlements territoriaux de lifie de « parenthèse patriotique ». En effet, la Première Guerre mondiale et de tracer les ils n’en font pas état par la suite (comme on frontières des nouveaux états issus du peut le voir dans les Titres et travaux de E. de démantèlement de l’empire austro-hongrois Martonne) alors qu’ils y ont passé un temps et du Reich allemand. et une énergie considérables. P. Vidal de la Les réunions du Comité d’études (de Blache est vice-président du Comité d’études février 1917 à juillet 1919) ont lieu à la et E. de Martonne, secrétaire. société de géographie dont la bibliothèque Il faut rappeler ici que E. de Martonne possède un fonds très riche et ensuite au participe à plusieurs comités et commis- Ministère des Affaires Etrangères au Quai sions de l’Etat-major. Comme l’explique d’Orsay où il semble d’ailleurs peu à peu J. Bariéty, les géographes français ont parti- « phagocyté ». E. Boulineau précise que la cipé pendant la Grande Guerre aux travaux conférence préliminaire a lieu dans la salle des trois principaux comités créés au servi- des cartes de l’Institut de Géographie de la ce géographique de l’armée, à la Société de Sorbonne (Boulineau, 2001, p. 359). géographie de Paris et au Comité d’études Ensuite elle précise que le Comité d’études du ministère des Affaires étrangères. Les s’est réuni dans un hôtel, rue de Cons- activités de ces trois instances se sont che- tantine, mis à sa disposition par le Ministère vauchées dans le temps entre 1914 et 1919 des Affaires Etrangères. (Bariéty, 2002). Le Comité d’études a été créé par le E. de Martonne participe tout d’abord gouvernement français par un décret avec d’autres géographes à la Commission du 17 février 1917. L’historien Charles de géographie du Service géographique de Benoist, également député républicain pro- l’Armée (Wolff, 2005, t. III, p. 469-506).

Grafigéo 2007-33 35 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

D. Wolff en rappelle la constitution : sous la Le Comité d’études n’est pas le seul à direction du Général Robert Bourgeois, réfléchir sur la paix, comme le montrent directeur du Service géographique de d’autres organismes des pays alliés comme l’armée depuis 1911, se met en place dès par exemple l’Inquiry des Américains janvier 1915 la commission de géographie. I. Bowman et D. W. Johnson. Par ailleurs, le Elle comprend P. Vidal de la Blache, E. de Comité d’études subit la concurrence d’une Martonne, L. Gallois, A. Demangeon, E. de Commission de géographie interalliée Margerie, L. Raveneau et ultérieurement B. fondée en février 1919 et présidée par le Auerbach, J. Sion, A. Vacher et deux géo- Général Robert Bourgeois. Enfin, à partir de logues (A. Briquet et P. Jodot). E. de décembre 1918, A. Tardieu organise des Martonne rédige des notices sur l’Europe réunions en dehors du Comité d’études et en occidentale, le Grand-Duché de Bade, la partenariat avec des membres du province rhénane, le Grand-Duché de Commissariat général des affaires de guerre Hesse, la province de Hesse-Nassau, la américaines pour fixer les propositions Westphalie et le Hanovre méridional (1er françaises à la Conférence de la Paix. volume), le Wurtemberg et la Bavière sep- E. de Martonne est plus fréquemment tentrionale (1er volume), la Suisse (1er volu- entendu que ses collègues géographes pen- me), les Alpes centrales (1er et 3e volume), dant les réunions organisées par Tardieu sur la Vénétie, la péninsule balkanique, avec les Américains. Par ailleurs, « à partir l’Albanie et le Monténégro, la Turquie de 1919, E. de Martonne obtient du ministè- d’Europe et d’Asie et la Syrie (Wolff, 2005, re des Affaires étrangères la création d’un t. III, p. 479-480). secrétariat dont il a la direction ; installé rue J. Bariéty explique que la Société de géo- de Constantine, il est chargé de fournir des graphie de Paris, la seule grande association renseignements à la délégation française de de géographie en France à cette époque là, a la Conférence de la paix (Wolff, 2005, t. III, créé pendant la guerre des commissions p. 469-506). pour préparer des propositions en vue de futurs traités de paix. Emmanuel de Martonne en fait également partie. Les tra- vaux ont en particulier porté sur l’Afrique et Le rôle d’ E. de Martonne au sein le partage entre alliés des colonies alle- du Comité d’études mandes ainsi que sur le sort à réserver à E. de Martonne exerce un ascendant l’Allemagne, à la future frontière franco- notable sur le Comité d’études. Les résultats allemande et aux problèmes de la Rhénanie. que cette équipe fournit sous forme de syn- « Au début de 1917, ces activités de la thèses, de rapports et de cartes représentent Société de géographie prirent fin, sans doute un travail impressionnant. pour la même raison que celle du Service Un travail colossal est réalisé par E. de géographique de l’Armée : l’entrée en fonc- Martonne au sein du Comité d’études : il tion du Comité d’études du ministère des propose aux conseillers et membres de la Affaires étrangères ; ce dernier, à la diffé- Conférence de la paix des synthèses des rap- rence des commissions de la Société de géo- ports envoyés par les pays concernés par les graphie ne comprendra que des universi- changements de frontières. Il propose aussi taires, mais qui traiteront souvent des des tracés ou des rectifications de tracés de thèmes dont on avait déjà traité à la Société frontières en s’appuyant sur une analyse de de géographie. » (Bariéty, 2002, p. 13-14) la documentation disponible (comme par Donc, à partir de 1917 est constitué un exemple les statistiques des recensements Comité d’études chargé de préparer la paix. de populations). Au Comité d’études, E. de Il a été créé par Charles Benoist et a été bien Martonne, secrétaire, présente les rapports mieux analysé et étudié que la commission suivants : le 18 juin 1917 sur « Conditions de géographie du Service géographique de physiques et économiques de la navigation l’Armée. rhénane » (267 p.), le 25 février 1918 sur

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« Conditions physiques et économiques de concernée, car la Pologne et le corridor de la question adriatique » (459 p.), le 3 février Dantzig le sont aussi. 1919 sur « La question du Banat » (553 p.), O. Buirette affirme : « En créant la Polo- le 22 mai 1918 sur « La Transylvanie » gne et la Tchécoslovaquie, il s’agit donc de (579 p.), sur « La Bessarabie » (625 p.) et le dresser un rempart à la fois contre le germa- 6 mai 1918 sur « La Dobroudja » (643 p.) nisme et le bolchevisme » (1998, p. 155). Le tracé des frontières proposé résulte de Par ailleurs, les relations de E. de plusieurs facteurs. Martonne avec le monde politique sont de « Ainsi ce géographe remodèle avec le plus en plus étroites. Quelle part reste-t-il à Comité une partie de la carte de l’Europe l’objectivité scientifique dans ces questions orientale. Cependant, bien des choix qui épineuses de tracé de frontières ? Si E. de vont être pris seront partiaux, en fonction Martonne exerce son travail de géographe, des intérêts des États vainqueurs, mais aussi il n’est pas exempt d’a priori plus ou moins des préférences personnelles du conseiller inconscient et baigne dans un climat d’anti- géographe » (O. Buirette, 1998, p. 154). germanisme et d’anti-bolchevisme. Le E. de Martonne semble lié au monde choix des tracés de frontières n’est pas uni- politique et notamment aux intérêts des quement guidé par les Quatorze points de Etats vainqueurs et en particulier de la Wilson, loin de là : l’économique prime France, quitte à rester vigilant sur les propo- souvent le principe des nationalités et sitions américaines plutôt bulgarophiles : l’idéologie politique des vainqueurs est clai- « On doit s’attendre à voir poser la question rement affichée. E. de Martonne est en de l’indépendance de la Macédoine, de la contact avec A. Tardieu, ministre plénipo- confédération balkanique. On peut prévoir tentiaire et président de plusieurs commis- une sympathie déguisée pour la Bulgarie » sions territoriales sur l’Europe centrale. Le (de Martonne, 1919, p. 154). géographe est aussi le conseiller de G. Clemenceau pour les frontières de l’est De plus, ses préférences personnelles de l’Europe. Il faut rappeler que la France exercent une influence dans la mesure où il dispose de cinq sièges à la Conférence de la apparaît donc plutôt roumanophile et ainsi Paix dont G. Clemenceau, S. Pichon, L.L. moins favorable aux Bulgares et aux Klotz, A. Tardieu. Hongrois. De plus, E. de Martonne entretient des Les relations d’ E. de Martonne avec les liens avec l’armée : il a donné des cours à futurs pays vainqueurs commencent tôt, l’Ecole de guerre, a des contacts avec le comme le montre l’exemple des missions Service Géographique de l’Armée et épou- du géographe français aux Etats-Unis. A se les idées du lobby militaire français favo- propos de la correspondance d’E. de rable à une option « grande Roumanie » Martonne, M.-C. Robic rappelle dans la (Ter Minassian, 1997). rubrique « dossier de guerre 1914-1918 » ses interventions dans les relations franco- Donc le rôle de « liaison » que joue de américaines et les négociations de paix. Martonne avec les milieux politiques et Elles concernent d’abord la mission effec- militaires est essentiel. tuée en 1916-1917 comme « French visiting professor » à l’Université Columbia de New York (Ter Minassian, 1997, p. 40). « Un La méthode de travail d’ Emmanuel deuxième ensemble de documents date de de Martonne novembre 1918. E. de Martonne, alors L’anti-germanisme et l’anti-bolchevisme secrétaire du Comité d’études comme l’in- ont guidé les décisions du Comité d’études. dique une recommandation, est chargé de Ces deux présupposés constituent le cadre mission, “officiellement chargé de confé- général impératif des travaux rendus par rences aux Etats-Unis” et « un échange de ledit comité. La Roumanie n’est pas la seule lettres, datées de novembre 1918, avec des

Grafigéo 2007-33 37 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale universitaires américains, indique qu’E. de encore là un exemple de l’émergence d’un Martonne leur confie des exemplaires du travail géographique qui s’inscrit dans une premier ouvrage du Comité d’Etudes action politique : E. de Martonne ne parle-t- accompagné de l’atlas correspondant » (Ter il pas dans cet extrait de l’avantage écono- Minassian, 1997, p. 41). mique et même peut-être stratégique que la Pologne trouverait dans un contact géogra- Concrètement, E. de Martonne joue par phique avec la Roumanie ? Ici encore, le tra- exemple un rôle important dans l’élabora- vail géographique s’inscrit dans une pers- tion du corridor de Dantzig. Le géographe pective politique et militaire. On peut sans français a participé aux conférences portant doute y voir une allusion à la volonté déjà sur les questions territoriales établissant les sensible en Mai 1919 d’établir entre la grands axes géographiques de la Pologne. Pologne et la Roumanie deux points d’an- La conférence du 29 janvier 19194 montre crage pro-occidental face à la Russie com- l’état d’esprit qui anime les membres du muniste. » (Buirette, 1998, p. 162). Comité d’études (p. 156). Deux objectifs principaux sont poursuivis : respecter autant C’est au cours des réunions du Comité que possible les limites ethnographiques et d’études que s’exprime toute l’importance organiser une Pologne qui forme à la fois un des représentations cartographiques. La contrepoids à la poussée allemande (égale carte, par son élaboration et les choix qu’el- nécessité pour la Société des Nations d’une le implique, devient un « outil de l’aide à la Pologne forte sur l’Oder et d’une France décision » ( Boulineau, 2001). forte sur le Rhin), un écran entre Russie et Allemagne et une cloison contre le Bolchevisme. En conséquence, il faut pre- La cartographie au service de mièrement assurer à la Pologne un débou- la politique ché sur la mer (article 13 du président Wilson) qui soit assez large pour installer La cartographie se veut scientifique mais sur la Baltique un riverain anti-allemand, n’est en réalité pas neutre : en effet, l’anti- fournir un débouché suffisant à une popula- germanisme et l’anti-bolchevisme s’y expri- tion de quelques trente-cinq millions d’habi- ment fortement. tants, avec cent kilomètres de front de Comme l’analyse G. H. Herb dans le chaque côté de Dantzig et permettre la chapitre 1 “Nationalism, territory, maps and défense du couloir en cas d’attaques conver- propaganda” de l’ouvrage issu de sa thèse gentes menées de Prusse orientale et de « Under the map of Germany. Nationalism Prusse occidentale. Deuxièmement, il faut and Propaganda 1918-1945 », la carte n’est chercher des positions défensives (rivières, jamais neutre et exprime des états et des montagnes) pour appuyer les frontières de la enjeux de pouvoir : “ It presumes that car- Pologne, difficile à défendre sur 4 400 km tography is a neutral science which de développement, troisièmement assurer le constantly seeks to make representations voisinage de la Pologne avec la Roumanie more and more accurate, to bring them et enfin arbitrer au plus juste les différends more and more in line with reality. However, frontaliers entre la Pologne et ses voisins the production of maps cannot be separated Tchéco-Slovaques, Ruthènes, Lituaniens, from the societal context in which it occurs. afin qu’elle puisse ramasser ses forces Even the seemingly most accurate map is contre le Deutschtum. still a transformed and thus an interpreted O. Buirette en déduit : « Nous avons picture of reality 5”

4. Cf. archives diplomatiques PA-AP 166 Tardieu, volume 360, questions territoriales 12/1918-06/1919. 5. On présuppose que la cartographie est une science neutre qui recherche constamment à rendre les représentations les plus compréhensibles possible, les plus conformes possible à la réalité. Cependant, l’élaboration des cartes est inséparable du contexte social dans lequel elle se produit. Même la carte la plus objective reste toujours une représentation transformée et interprétée de la réalité.

38 Grafigéo 2007-33 Emmanuel de Martonne, Chef de file de l’Ecole française de géographie

“Like all knowledge, maps are expres- net de travail » (E. de Martonne, 1920, sions of power ; they are inherently rhetori- p. 90). cal. Thus, to understand the role of maps in O. Buirette utilise les procès-verbaux des the construction of a national territorial réunions de la commission des affaires identity, maps have to be deconstructed and polonaises des archives Tardieu7. La séance analyzed in their “layers of textuality”: the n°2 (24 mars 1919) est consacrée à l’étude cartographic image itself, the material it de la frontière orientale de la Pologne : E. de accompanies, and the larger social Martonne cartographe intervient pour pro- context 6” (Herb, 1997, p. 7). poser des cartes ethnographiques de cette Les réflexions du Comité d’études, la zone. Le choix de la légende n’est pas inno- critique des cartes plus ou moins falsifiées cent : les Polonais sont représentés en tache reçues des différentes délégations et la pro- rouge (comme les Roumains sur la carte de duction de cartes visant à l’objectivité la la Roumanie, cf. aussi l’analyse de plus grande incitent E. de Martonne à éla- G. Palsky, 2001). borer un nouveau système de représentation Les propos de E. de Martonne sont rap- cartographique. Il est vrai qu’à l’époque, les portés : « On peut modifier cette carte de la critères de la représentation cartographique façon suivante pour la rendre plus acces- sont encore balbutiants. Pour sa carte des sible. On peut grouper tous les signes Roumains, E. de Martonne combine plu- rouges et mettre à part les signes qui sont sieurs procédés connus, comme il l’ex- au-dessous de 50 % ; on peut arriver ainsi à plique lui-même dans un article de 1920 des un coloris de surface qui rendra très frap- Annales de Géographie : « En essayant de pante la répartition des Polonais et des représenter moi-même les conditions ethno- Ruthènes ». graphiques d’une des régions les plus Autour de ce débat de carte, on cherche mêlées de l’Europe orientale, j’ai été amené avant tout à mettre en évidence l’importan- à une étude critique des essais antérieurs, et ce des populations polonaises « en rouge », il a paru que les conclusions de cet examen cela, comme nous l’avons déjà vu, dans le préliminaire pourraient être utilement pré- but de « reconstruire une Pologne la plus sentées au public » (de Martonne, 1920, grande possible, comme auparavant cela p. 81). avait été fait pour la Roumanie. » L’argument économique est mis en La carte est un outil d’aide à la décision avant pour soutenir cette idée : le chemin pour des hommes politiques qui ont besoin de fer est stratégique pour la Pologne. Le des géographes afin de se représenter la principe des nationalités ne constitue donc situation. Comme l’explique G. Palsky pas l’unique critère pour tracer les fron- (1996), l’importance des cartes thématiques tières. Le concept de région au sens vida- est nouvelle : cartes de flux, cartes histo- lien du terme sous-tend la notion de viabi- riques, économiques, religieuses et surtout lité économique. ethnographiques. La carte, affichée au mur, doit faire sens Les conceptions cartographiques mises en rapidement et avec quelques mètres de recul. place au Comité d’études par les géographes D’où l’importance du choix des couleurs et français diffèrent de celles des Allemands. des procédés de représentation : « L’image G.H. Herb explique dans le chapitre 4 de son aura sa valeur exacte fixée au mur d’un cabi- ouvrage intitulé New concepts of national

6. Comme tout savoir, les cartes sont l’expression du pouvoir : elles sont essentiellement rhétoriques. Ainsi pour comprendre le rôle des cartes dans la construction de l’identité territoriale nationale, les cartes doivent être déconstruites et analysées dans leur « intertextualité »: l’image cartographique elle-même, le matériau qui l’accompagne et le contexte social le plus large. 7. Quai d’Orsay volume 361, sous-commission chargée d’étudier la frontière orientale de la Pologne ; archives diplomatiques, dossiers généraux sur la Pologne 331 et 332 ; archives diplomatiques PA- AP 166 – Tardieu volume 359, commission chargée des questions territoriales avec la Pologne (mars avril 1919).

Grafigéo 2007-33 39 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale territory que face à l’injustice ressentie à la dans un but de propagande avoué : « Karl C. suite de la perte des territoires allemands, les von Loesch, a member of the neo-conserva- géographes d’outre-Rhin produisent à leur tive circle in Berlin who headed the tour, mais plus tardivement, des cartes ethno- Deutscher Schutzbund, argued in his propo- graphiques, comme par exemple pour le plé- sal for the creation of an institution which biscite en Haute-Silésie. Les Allemands éla- would unify and direct scientific research to borent des cartes historiques (se référant help in the revision of the treaties. The goal parfois au Saint Empire Romain Germa- was to show that the Paris peace treaties nique) ; or les traités de la Première Guerre were based on false material – in particular mondiale ne prétendent reposer que sur le cartographic representations – and to pre- principe des nationalités. Cela ne peut mar- sent improved versions. The false material cher que si les territoires revendiqués sont included not only foreign maps but also ethniquement entièrement allemands. Or la domestic cartographic products whose colonisation allemande en Europe centrale a shortcoming was mainly to equate language fonctionné depuis le Moyen âge en and nationality. German science had the « poches » de population. task of contradicting these maps with more Par conséquent émergent en Allemagne accurate and more sophisticated methods of un nouveau concept de territoire national representation.9 » (Herb, 1997, p. 66) ainsi qu’une école géographique de « géopo- Lors d’une rencontre à la Gesellschaft litique » [reprenant en les déformant les für Erdkunde zu Berlin du 3 au 5 janvier idées de Friedrich Ratzel ainsi que celles du 1922 pour établir l’Austauchzentrale, on suédois Rudolf Kjellen (1864-1922)]. discute de l’importance du choix des coloris Influencées par des considérations écono- de la légende et en particulier de la couleur miques, militaires et völkisch 8 (nationalistes rouge : « This sparked general discussions et racistes), les académies allemandes déve- on methods of cartographic representation loppent alors de nouveaux concepts qui ser- and their political effects. The participants vent de fondement à la cartographie, et agreed that in the future, the german seetle- notamment le concept d’unité organique et ment and language area should always be celui de Volks- und Kulturboden (Herb, 1997, depicted with the most visible color : bright p. 53). red. In addition, the development of carto- graphic representations using black and Les cartes réalisées par le Comité white was recommended. This was a reflec- d’études et pour les traités de paix engen- tion of the general post-war trend in drent une vive réaction du côté allemand. A Germany to pay closer attention to persua- partir de là, les géographes allemands tentent sive cartographic techniques 10 » (p. 68). d’améliorer leur représentation cartogra- Ces réflexions sur la couleur rouge sont à phique et de l’orienter vers la géopolitique comparer avec les analyses de G. Palsky sur

8.cf. RAFFESTIN, 1995, p. 17 : « La traduction du terme völkisch est problématique. Nous proposons de le comprendre dans le double sens de populiste et national-populaire avec une connotation impli- cite plus ou moins nationaliste dans l'aspect national et plus ou moins raciale dans l'aspect populai- re, les contenus nationaliste et raciste croissant au fil du temps pour prévaloir avec le nazisme. » 9. Karl C. von Loesch, un membre du cercle néo-conservateur à Berlin qui dirige la Deutscher Schutzbund, propose la création d’une institution qui unifierait et dirigerait la recherche scientifique pour aider à la révision des traités. Le but était de montrer que les traités de Paix de Paris étaient basés sur du matériel erroné – en particulier les représentations cartographiques – et de présenter des versions améliorées. Le materiel erroné n’inclut pas seulement les cartes étrangères mais aussi la production cartographique nationale dont le défaut était principalement de mettre en parallèle la langue et la nationalité. La science allemande a le devoir de contredire ces cartes avec des méthodes de représentation précises et plus sophistiquées. 10 Ceci a suscité des discussions générales sur les méthodes de représentations cartographiques et leurs effets politiques. Les participants ont été d’accord pour que dans le futur, l’installation de populations germaniques et le langage soient toujours décrits avec la couleur la plus visible : rouge vif. A cela, le développement des représentations cartographiques en noir et blanc est recommandé. C’était une réflexion sur les tendances d’après guerre en Allemagne de porter la plus grande atten- tion aux techniques cartographiques.

40 Grafigéo 2007-33 Emmanuel de Martonne, Chef de file de l’Ecole française de géographie le choix de cette couleur chez E. de du diplomate roumain Ion I.C. Bratianu et Martonne. de la Roumanie : « To France, Romania could be a bulwark against the German moves11 » (Spector, 1995, p. 36) La Roumanie et ses frontières Les sympathies françaises pour la S.D. Spector insiste sur les relations plutôt Roumanie ne relèvent pas uniquement de la tièdes entre G. Clemenceau et la Roumanie : roumanophilie connue d’ E. de Martonne. « French minister Saint-Aulaire expressed Certes ce dernier a réalisé ses deux thèses his inability to obtain anything more than sur le pays, parle le roumain et connaît par- verbal assurances from the new premier of ticulièrement bien la région pour y avoir France, Georges Clemenceau, whose esteem séjourné à plusieurs reprises. Mais la for Romania had never been high ». Roumanie est aussi considérée comme un pays latin de langue romane. La roumano- On trouve de plus en note : philie française s’inscrit dans un héritage de « Clemenceau’s antipathy toward Romania politique étrangère depuis Napoléon III qui was not secret. His newspaper, ‘L’Homme a commencé l’unification des Roumains en enchainé’, had criticized Bratianu for bad constituant un noyau roumain formé par la faith and dishonesty before and after inter- réunion de la Valachie et de la Moldavie. vention.12 » (Spector, 1995, p. 41) Le but poursuivi à l’époque était d’affaiblir l’empire austro-hongrois. Cette stratégie La méfiance de G. Clemenceau vis-à-vis géopolitique perdure encore. C’est ainsi de la Roumanie et en particulier de que s’exprime au Comité d’études la sym- I. Bratianu s’explique par les soubressauts pathie française pour la Roumanie : « On de l’histoire politico-militaire de la fait ressortir la situation délicate de la Roumanie. En effet, en 1914, le roi de Roumanie, pays latin perdu à la lisière de Roumanie et son entourage germanophile l’Europe orientale, au milieu du monde se sont engagés auprès des Puissan- slave, privé du contact avec ses alliés occi- ces centrales. Paradoxalement, l’opinion dentaux, exposé, comme la guerre actuelle publique roumaine est favorable à une l’a montré, à être écrasé par un mouvement entrée en guerre aux côtés de l’Entente. convergent de ses ennemis » (De I. Bratianu, Premier ministre en 1915, tient Martonne, 1919). à maintenir la neutralité de son pays, du fait des échecs allemands sur le front français et Cependant, des considérations purement du fait de l’incertitude politique en stratégiques et idéologiques sont aussi Roumanie. Par ailleurs, il ne veut pas enga- venues appuyer l’idée d’une Roumanie ger son pays dans une guerre pour laquelle forte, capable de résister au communisme. il n’a pas été consulté, selon les clauses de G. Clemenceau n’est pas roumanophile ; au 1883. Afin d’encourager la Roumanie à se contraire, il n’estime guère le diplomate joindre au conflit, les Alliés lui promettent la roumain I.C. Bratianu (premier ministre Bucovine et la Transylvanie comme gage appartenant au Parti National Libéral) qui territorial. La Roumanie perçoit ainsi l’op- cherche par tous les moyens à assurer à son portunité de faire la guerre afin d’assouvir pays les tracés frontaliers les plus avanta- de vieux intérêts nationaux, et se joint à geux possibles. S.D. Spector écrit à propos l’Entente en juin 191613.

11. Pour la France, la Roumanie peut constituer un rempart contre les mouvements germaniques. 12. Le ministre français Saint-Aulaire exprime son incapacité à obtenir plus que des assurances ver- bales de la part du Premier ministre français Georges Clemenceau, dont l’estime pour la Roumanie n’a jamais été bien haute.” En note (p. 71) : « l’antipathie de Clemenceau à l’égard de la Roumanie n’avait rien de secret. Son journal, L’Homme enchaîné, a critique Bratianu pour sa mauvaise foi et son manque d’honnêteté avant et après l’intervention. » 13. DUROSELLE Jean-Baptiste, L’Europe de 1815 à nos jours, Nouvelle Clio, PUF, reed. 1995, p. 181.

Grafigéo 2007-33 41 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Donc, l’action est vraiment dirigée contre centers necessary for Romanian prospe- l’Allemagne et le bolchevisme et beaucoup rity 15 ”. (Spector, 1995, p. 129) moins pour la Roumanie en tant que telle. Grâce à l’action du Comité d’études et sur- Les analyses de O. Buirette (1998) et tout à E. de Martonne et à A. Tardieu, la E. Boulineau (2001) concernant le Banat de Roumanie double sa superficie et gagne huit Temesvar (sud-est de la Roumanie) donnent millions d’habitants d’ailleurs pas tous un exemple très précis de la méthode uti- Roumains. S.D. Spector conclut son livre lisée par E. de Martonne : « Nous savons page 298 sur la hantise de l’extension du bol- par les archives qu’il s’agit sans doute de la chevisme qui joue en faveur de la question qui fut la plus précisément traitée Roumanie : « Closely related to Russia’s par le géographe [E. de Martonne], en rela- disappearance from the European concert tion étroite avec A. Tardieu ». was the very real panic Bolshevism inspired Tardieu a présidé la commission de jan- in the West. Bratianu’s manipulation of this vier à août 1919 qui a concerné les fear assisted his campaign most effectively. règlements territoriaux de la Hongrie, As a result, Romania’s increase in size was Yougoslavie, Roumanie et Bulgarie16. due as much to Lenin as to the French and Americans14. » (Spector, 1995, p. 298) Avant 1914, le Banat était hongrois. En A. Tardieu suit les consignes d’E. de 1919, la région est partagée entre la Martonne et insiste sur l’importance de la Roumanie et la future Yougoslavie (royau- viabilité économique et notamment du me des Serbes, Croates et Slovènes). réseau ferroviaire. S.D. Spector en donne un La question du Banat fait l’objet d’un exemple avec la question de la Buco- rapport présenté à la séance du 3 février vine :“A. Tardieu, chairman of the Commis- 1919 par E. de Martonne. Le plan de sa pré- sion, relied implicitly upon the validity of the sentation est le suivant : I La thèse serbe, II 1916 Alliance, a conviction he shared with La thèse roumaine, III Géographie physique the Italians. In fact, the Italians had become IV Les conditions ethniques, V-Solutions most philanthropic, proposing on February diverses du problème. E. de Martonne utili- 11 to award Romania a frontier along the se les statistiques démographiques hon- Tisa River even though Bratianu had never groises les plus récentes. Il compare de claimed so much purely Magyar territory. façon neutre les revendications serbes et Vannutelli-Rey admitted his line did not roumaines et leurs conséquences avant de represent the best ethnic frontier, but it was proposer un compromis. Cependant il Romania, not Hungary, who was the allied influence son rapport du côté roumain en state. The French did not go as far, recom- rappelant l’historique du Banat et en insis- mending that two predominantly Magyar tant sur son actuel peuplement roumain. Il cities, Satu Mare and Oradea, be awarded ne va pas dans le sens de la thèse serbe. to Romania because both were vital railway « Ainsi sous l’influence de A. Tardieu et de

14. « En étroite relation avec la disparition de la Russie de la scène européenne s’est développée à l’Ouest une réelle panique face au bolchevisme. En manipulant cette peur, Bratianu a rendu son action plus efficace. Au total, l’accroissement de la superficie de la Roumanie doit plus à Lénine qu’aux Français et aux Américains. » 15. Tardieu, le président de la commission, se fiait implicitement à la validité de l’Alliance de 1916, une conviction partagée avec les Italiens. En fait, les Italiens sont devenus plus philanthropes en proposant le 11 février de donner à la Roumanie une frontière le long de la rivière Tisa même si Bratianu n’a jamais reclamé autant de territoires purement Magyars. Vannutelli-Rey a admis que cette ligne ne représentait pas la meilleure frontière ethnique, mais que c’était la Roumanie et non la Hongrie, qui était le pays allié. Le Français n’est pas allé si loin, recommandant seulement que deux villes à prédominance magyare, Statu Mare et Oradea, soient données à la Roumanie parce qu’elles représentent des centres ferroviaires vitaux nécessaires à la prospérité roumaine. 16. Les archives diplomatiques du Quai d’Orsay se trouvent à la cote PA-AP 166-Tardieu, sur la ques- tion du Banat, volumes 373, 374, 375 et 378

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E. de Martonne, la Roumanie reçut une très « L’idée est d’offrir une “image géogra- large partie du Banat, mais elle obtint égale- phique d’ensemble” (E. de Martonne, ment gain de cause dans l’évacuation par les 1920). La précision statistique est sacrifiée Serbes de la partie qu’ils occupaient. » au profit d’une illustration qui “montre au (Buirette, 1998, p. 158) premier coup d’œil les régions homogènes et les caractères des régions mixtes” » (E. de G. Palsky (2001) analyse l’orien- Martonne, 1920). tation inconsciente de E. de Martonne qui Comme le souligne G. Palsky « dans choisit la couleur rouge pour représenter les le cas d’E. de Martonne, l’expertise se Roumains dans sa carte ethnographique des conforme clairement aux intérêts français » Roumains intitulée « Carte des pays où (Palsky, 2001, p. 78). G. Palsky analyse de dominent les Roumains » publiée en 1919 plus près les parti pris graphiques et les par le Service Géographique de l’Armée critères retenus par le géographe pour éla- dans l’Atlas du Comité de diffusion res- borer sa carte intitulée : « Répartition des treinte et en 1920 dans un article de E. de nationalités dans les pays où dominent les Martonne dans Les Annales de Géographie. Roumains ». Le titre porte en lui une signi- Critiquant les différents types de représenta- fication qui oriente vers un jugement pro- tions cartographiques existantes, E. de Mar- roumain. Par ailleurs, l’utilisation de la cou- tonne propose sa propre méthode de repré- leur rouge pour la représentation des sentation des données ethniques. Tout Roumains dénote une connaissance de l’im- d’abord, E. de Martonne choisit de mêler le pact visuel et donc mental que peut exercer système des cartes ethnographiques et celui cette couleur sur l’œil humain. « Le choix des cartes de densité. Chaque nationalité est du rouge pour les territoires de nationalité représentée par une couleur dégradée en roumaine les privilégie sur le plan visuel. » trois tons correspondant aux intervalles sta- De plus, le choix opéré par E. de Martonne tistiques suivants : inférieur à 25 habitants de représenter de façon séparée les villes et au km2, entre 25 et 75 et supérieur à 75. Ce les campagnes permet de rendre plus visible procédé a déjà été utilisé dans la revue alle- sur la carte les populations rurales au détri- mande Petermann’s Geographische Mit- ment des populations urbaines qui sont teilungen (on peut ici encore apprécier les dominées par les Allemands et les Magyars. transferts entre l’Allemagne et la France). La haute considération accordée au peuple- Ensuite E. de Martonne applique un traite- ment rural, enraciné depuis longtemps dans ment spécifique aux villes : des cercles pro- un territoire, s’inscrit dans la logique de la portionnels correspondent à l’importance pensée vidalienne et de l’École française de des différentes nationalités vivant en ville. géographie régionale. Enfin, E. de Mar- Donc les nationalités des espaces ruraux tonne privilégie la continuité du peuple- sont représentées par des teintes plates et ment, en l’occurrence celui des Roumains, celles des espaces urbains par des secteurs au détriment du peuplement en îlots, en de cercles. Enfin, les traitements statistiques poches discontinues caractéristique du peu- sont assez radicaux : si une nationalité plement allemand et magyar. domine avec une proportion égale ou supé- Trois points permettent de conclure cette rieure à 75 pour cent, elle est représentée deuxième partie consacrée à E. de seule, les minorités n’étant alors pas prises Martonne, chef de file de l’École française en compte. Si la nationalité dominante de géographie dans la première moitié du représente moins de 75 pour cent, les mino- XXe siècle. rités qui ont des proportions voisines sont Tout d’abord, son rôle au Comité d’é- représentées par des bandes de couleur tudes a été pendant longtemps peu connu alternées d’égale largeur. Si une nationalité car il n’en a pas fait de publicité, au contrai- approche ou excède la majorité absolue, ses re. Rétrospectivement, il reste sceptique ou bandes colorées ont une largeur double. du moins dubitatif sur le rôle des géo-

Grafigéo 2007-33 43 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale graphes comme traceurs de frontières17. 1984, p. 118). « Lorsque les géographes se G. Palsky note que lorsque E. de Martonne sont engagés dans le champ du politique, présente sa carte ethnographique sur les ce fut presque exclusivement pour traiter Roumains lors de conférences sur « la nou- de problèmes de frontières. » (Foucher, velle Roumanie », il n’insiste pas sur son 1984, p. 124) rôle personnel (Palsky, 2001, p. 78). Ensuite, une question se pose : quel a été « Il convient aussi de mentionner des l’impact réel de l’immense travail de ouvrages consacrés à des questions de géo- recherche et de construction de cartes réalisé graphie politique, qui ne sont pas des par les membres du Comité d’études ? Les manuels, mais des analyses précises de répercussions immédiates sont ténues. configurations géopolitiques à un moment Comme le rappelle G. Palsky « les experts donné de l’histoire : Demangeon, De ne jouèrent pas le rôle principal dans les Martonne, Ancel, Siegfried, Bowman. » négociations. Il a même été dit en France (Foucher, 1984, p. 124) que ceux du Comité d’études avaient tra- M. Foucher insiste sur les présupposés et vaillé en vain ». Cette dernière assertion doit les méthodes des géographes : « Or, malgré être nuancée avec J. Bariéty18 par le fait que la diversité de l’engagement pratique des le comité d’études a produit une documen- géographes, on peut souligner une constan- tation permettant une meilleure information. te : les géographes qui étudient les questions En outre, les réflexions sur la cartographie, de frontières en affichant leur grand souci notamment la cartographie ethnographique, d’une démarche strictement scientifique, ont à plus long terme renouvelé la discipline avancent en fait masqués, puisque, en fin de et approfondi le débat sur la géographie compte, il leur faut bien trancher dans le vif, appliquée. sur la carte, en fonction de tel ou tel intérêt, Enfin, le rôle des géographes comme selon leur appartenance nationale. Quant à bâtisseurs de frontières suscite des interro- ceux qui participèrent explicitement, publi- gations comme l’analyse M. Foucher qui quement, à des entreprises de remodelage explique l’ancienneté de l’implication de la carte politique du monde, ils affirmè- politique du géographe traceur de frontiè- rent rechercher des frontières idéales, scien- re : « En effet, la question des frontières tifiques, stables et porteuses de paix, alors n’est pas un champ neuf en géographie : que, sauf exceptions (Jovan Cvijic pour la ce sont les géographes qui, dans le passé, Yougoslavie, par exemple), il ne s’agissait ont, le plus écrit, aux côtés des juristes et que de consolider sur le terrain un rapport de des stratèges, sur les questions de fron- forces ; ultérieurement, ce type d’engage- tières. Le thème des frontières est l’un des ment des géographes a été oublié. » rares où les géographes aient abordé « de (Foucher, 1984, p. 125) front » le champ du politique. Des géo- graphes, experts scientifiques et carto- M. Foucher analyse en particulier la graphes, ont paticipé activement et partici- situation de E. de Martonne et des nouvelles pent encore aujourd’hui à la réflexion sur frontières de l’est de l’Europe après la des tracés concrets de frontières. » Première Guerre mondiale. Le géographe (Foucher, 1984, p. 118). Le problème des s’inscrit dans un projet politique et géopoli- frontières a toujours été essentiel : « Les tique en fonction de sa nationalité. On frontières ont été et restent encore la forme retrouve la notion de « parenthèse patrio- majeure de l’organisation politique – réel- tique » utilisée par M.-C. Robic pour expli- le et symbolique – du monde. » (Foucher, quer l’état d’esprit des géographes.

17. Cf. préface d’Yves LACOSTE au Tableau de la France de l’Est (Lorraine-Alsace) 1917, Editions La Découverte, « Livres Hérodote », Paris 1994, p. 5-38. 18. BARIETY Jacques, « la France et la naissance du royaume des Serbes, Croates et Slovènes, 1914- 1919 », Relations internationales 103, 2000, p. 307-327.

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Sur l’idéalisme de la « bonne » frontière, Wilson lui-même, pointée par Jean M. Foucher ajoute : « Ainsi, la frontière est Gottman) vers l’ouest, et les risques d’une promue acteur de la vie politique, selon la alliance Allemagne-URSS, si redoutée alors croyance (acte de foi) que seule une « bonne par un autre géographe et géopoliticien frontière » définitivement arrêtée et claire- fameux, Mackinder, soient rendus impos- ment démarquée, pourrait assurer la paix. Ce sibles. Il y avait là un projet géopolitique présupposé géographico-politique semble parfaitement conscient de la part des Alliés, inspiré par une approche idéaliste (au sens correspondant à des intérêts bien réels (que de recherche de l’idéal) ou mieux “wilso- nous n’avons pas à juger) et non à un idéal nienne” des phénomènes politiques. » universel et abstrait. » (Foucher, 1984, (Foucher, 1984, p. 129). Mais l’idéalisme se p. 129) heurte rapidement à la réalité : « Mais dans le même temps, le tracé de ces frontières M. Foucher conclut sur le relativisme de ‘idéales’ fut décidé de façon singulièrement la « bonne » frontière : « Il faudrait donc se unilatérale : en 1919 comme en 1945-1947, convaincre qu’il n’y a pas de bonne frontiè- il ne s’agissait pas, en vérité, de tracer des re dans l’absolu, mais des frontières réelles frontières idéales, c’est-à-dire symétrique- présentant plus d’avantages politiques, ment avantageuses pour tous, mais d’opérer stratégiques, économiques, pour les uns que un découpage de l’Europe tel que l’expan- pour les autres, à un moment historique sion « bolchevique » (selon l’expression de donné » (Foucher, 1984, p. 129).

E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale)

Chapitre 3 • L’Europe centrale et sa réception en Allemagne

A PRODUCTION des deux volumes du « Géographie universelles ». Certaines ont tome 4 correspond au couronnement été « oubliées » (Clout, 2003) alors que L de la carrière universitaire du géo- quatre d’entre elles sont restées à la postérité. graphe. Il faut préciser que E. de Martonne Dans sa thèse sur , Denis assure aussi, à soixante-quinze ans, en 1948, Wolff livre les préparatifs de la « Géographie la rédaction du volume de géographie phy- universelle » de P. Vidal de la Blache et sique du tome 6 sur la France. Les ouvrages L. Gallois (Wolff, 2005, t. 2, p. 433-445). de la collection « Géographie Universelle » (GU) élaborés sous la direction de P. Vidal La GU est l’expression d’un état de la de la Blache et L. Gallois marquent leur géographie française et d’une idéologie. époque. La collection la plus marquante – et Quelques axes ont été choisis pour l’étudier : pour l’instant la dernière en date – est celle les quatre concepts d’« Europe Centrale », de de R. Brunet. Le tome sur l’Allemagne et « frontière », de « région », de « groupe eth- l’Europe centrale a été rédigé par P. Riquet. nique », la cartographie et enfin le traitement L’Europe centrale de E. de Martonne date de deux pays : la Roumanie et l’Allemagne. de 1930-1931. La précédente GU de Par ailleurs, quelques points de la structure de E. Reclus (1830-1906) s’est échelonnée l’ouvrage sont plus précisément analysés de 1876 à 1893. La première GU, publiée en comme la bibliographie utilisée qui permet 1810, est celle de C. Malte-Brun (1775- de voir si le géographe parisien s’appuie ou 1826). non sur la bibliographie allemande ainsi que le sommaire, les figures et textes. L’étude de La « Géographie universelle » est « une la réception de cette œuvre en Allemagne clôt forme de géographie dont la vocation est ce mémoire : les sept revues allemandes les d’offrir non pas l’analyse détaillée d’un espa- plus représentatives sont analysées de 1915 à ce restreint, mais un tableau géographique de 1925 et de 1930 à 1935 en insistant sur les l’ensemble du monde » (Robic, Mendibil et points de contacts et les points de conflits al., 2006, p. 152). Entre 1876 et 1996, on entre les géographes allemands et les géo- compte en France environ une douzaine de graphes français.

Grafigéo 2007-33 47 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

La Géographie Universelle : classique (1918-1968) que l’élaboration de le couronnement d’une la totalité de la GU a duré plus de vingt ans œuvre universitaire puisque les vingt-trois volumes qui la constituent ont été édités de 1927 à 1948. Dans le cadre de ce mémoire, l’analyse L’œuvre, décidée par P. Vidal de la Blache du livre 1 (Généralités sur l’Europe centra- avant la Première Guerre mondiale a été le-Allemagne) est menée dans sa totalité. retardée par le conflit lui-même, par la mort Par contre, l’analyse du livre 2 est circons- de Vidal en 1918 et surtout par le fait que la crite à la Roumanie, car l’étude intégrale des guerre et les traités de paix ont complète- deux livres, très intéressante pour com- ment remanié les espaces (espace européen, prendre comment un géographe français espace colonial…). conçoit l’Europe centrale, correspondrait à Mais P. Vidal de la Blache a organisé et une autre recherche. planifié le travail : seize collaborateurs ont Après un rappel de la genèse du été chargés d’office de s’occuper de telle ou tome 4 de la GU et de son architecture géné- telle partie du monde. C’est ainsi qu’ E. de rale sont abordés les impacts de cette GU, et Martonne s’est vu chargé de l’Europe cen- du tome 4 en particulier, dans les années trale, en tant qu’expert de cet espace 1920 à 1940 et dans la recherche actuelle. européen (tome 4 en deux livres). A la mort de Vidal en 1918, l’entreprise est poursuivie par L. Gallois. La genèse et la structure de la GU L. Gallois écrit dans l’avant-propos de la P. Pinchemel insiste sur le contexte de GU en 1927 : « L’œuvre qui commence l’époque : « Le texte de l’avant-propos avec ce volume était en préparation avant la exprime bien la situation de cette école, guerre. Vidal de la Blache en avait établi le encore toute imprégnée de la pensée vida- plan, choisi les collaborateurs, tracé les lienne, au lendemain de la Première Guerre directives. Déjà plusieurs manuscrits étaient mondiale. L. Gallois souligne l’achèvement prêts pour l’impression lorsque la guerre est récent de la découverte du globe, les progrès venue tout interrompre. » également récents des sciences de la nature permettant “aujourd’hui une géographie Il ajoute : « Dans les instructions qu’il physique générale”, l’importance de la car- [Vidal de la Blache] avait adressées à ses tographie et celle, toute neuve, de la photo- collaborateurs, il insistait pour qu’on ne graphie. » (Pinchemel, 1984, p. 138) perdît jamais de vue les ensembles […]. C’est en s’inspirant de ces idées qu’on a fixé Cinq concepts fondamentaux de P. Vidal l’ordre adopté dans la suite de cet ouvrage de la Blache ont été repris dans la GU : den- […] De même pour l’Europe centrale, dont sité, région, milieu, genre de vie, paysage l’étude d’ensemble s’impose avant qu’on ne (Claval, Sanguin, 1996, p. 9). passe en revue les Etats qui s’en partagent l’étendue, sans rapport souvent avec les Les auteurs de la GU expriment leur limites physiques. » volonté de comprendre le monde et d’œu- vrer pour la paix. Pour Lucien Gallois, Ceci explique que E. de Martonne ait les buts de la GU sont les sui- suivi le plan suivant : livre 1 : généralités vants : « Mettre à la portée de tout homme (sur l’Europe centrale puis étude de cultivé des résultats qui sont restés trop sou- l’Allemagne et livre 2 : les autres pays de vent réservés aux travailleurs spécialisés, l’Europe centrale (la Suisse, l’Autriche, la montrer l’aide précieuse qu’apporte la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie et connaissance approfondie du monde phy- la Roumanie). sique à l’étude des questions qui relèvent de P. Claval et A.-L. Sanguin rappellent la géographie humaine : répartitions des dans La géographie française à l’époque populations, modes de groupement, genres

48 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) de vie, habitat, et tout particulièrement des dépouiller les revues de géographie comme questions économiques qui prennent les « Annales de géographie », « Historiens aujourd’hui une place de plus en plus gran- et géographes » ainsi que les revues régio- de dans la vie des peuples et les relations nales souvent nouvelles et très prospères à internationales, tel est le but que nous nous l’époque comme celles de l’Est, de Lyon, de sommes proposé ». Grenoble et du Languedoc. Par ailleurs, la notion de paix apparaît Ces ouvrages intéressent actuellement importante dans l’entre-deux-guerre : « Et tout particulièrement ceux qui travaillent sur jamais n’est apparue plus impérieuse la l’épistémologie de la géographie et sur nécessité d’étudier dans leur réalité des pro- l’Europe centrale. Les commentaires lauda- blèmes dont dépend en partie la paix du tifs qui y font référence émanent des plus monde », ajoute-t-il. grands spécialistes actuels.

Concernant l’analyse du sommaire des Sur l’ensemble des volumes de la GU de deux volumes du tome 4, on insistera sur la Vidal et Gallois, les quatre commentaires prédominance de l’étude géomorpholo- proposés ici insistent sur son caractère gique et l’inspiration vidalienne, chaque monumental. « pays » ou « petite région » étant minu- Dans l’ouvrage déjà cité sur la géogra- tieusement détaillé. phie française à l’époque classique (1918- 1968), on trouve : Une œuvre très bien reçue en France « En effet, le plus beau monument post- mortem offert au fondateur de la géographie Cet ouvrage apparaît comme un monu- française fut l’extraordinaire « Géographie ment que la communauté des géographes de universelle (1927-1948) » (Claval, Sanguin, l’époque salue avec respect et fierté. La GU 1996, p. 8). est l’expression de la pensée géographique française des années 1920 aux années 1940. Dans le même ouvrage collectif, Elle est la référence pour tous les géo- M.-C. Robic, dans le chapitre consacré à graphes français19 pendant presque un demi- « des vertus de la chaire à la tentation de siècle, puisque la dernière GU est celle de l’action » évoque « la réalisation des grands R. Brunet prévue pour 1989 (Ferras, 1989) monuments de l’entre-deux-guerres, et éditée à partir de 1990. La GU de Vidal et « Géographie universelle » et « Atlas de Gallois exprime les idées et l’état d’esprit de France » (p. 8). Plus loin, M. Chevalier, dans l’École française de géographie, comme le son chapitre sur « Les géographes français montre L. Gallois dans son avant-propos : dans l’entre-deux-guerres » loue la GU : « Nous présentons avec confiance au public « quadrillée par la géographie française, l’œuvre d’une école qu’on a bien voulu comme le prouvent les ouvrages excellents appeler l’école française de géographie, et de la « Géographie universelle » (p. 21). qui reste fidèle aux enseignements du maître dont elle se réclame ». Enfin, P. Pinchemel reconnaît l’ampleur Ces propos s’appliquent aussi bien pour et l’importance de la GU : « On connaît le fond que pour la forme de la GU. l’importance et l’influence de cette Géographie Universelle, consécration et Pour analyser la réception de l’ouvrage monument de l’école française » en France lors de sa parution, il faudrait (Pinchemel, Tissier, Robic, 1984, p. 138 ).

19. « troisième du nom et pour le moment avant-dernière de cette production si typiquement françai- se. » et « La Géographie Universelle de Vidal et Gallois offrait une présentation compréhensive du monde tel qu’il apparaissait dans les années 1920 et 1930. Cette collection qui avait commencé en 1927 sous la bannière de la géographie régionale se termina en 1948 sous l’éclairage de la géo- graphie générale avec des approches systémiques et thématiques. » (Claval, Sanguin, 1996, p. 8).

Grafigéo 2007-33 49 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Sur le tome 4 de la GU, trois commen- régionale » (p. 157-202), P. Claval affirme : taires laudatifs peuvent être relevés. « Tous les auteurs ne vont pas aussi loin Pour Y. Lacoste, le tome 4 de la GU est qu’Henri Baulig ou Pierre Denis. Le pano- un des plus réussis. Il loue le géographe rama régional que de Martonne offre de E. de Martonne de la façon suivante : « Bon l’Allemagne (1930) est passionnant, mais connaisseur de ces contrées, il avait publié les raisons du découpage en grands en 1930 dans la « Géographie Universelle » ensembles qu’il adopte ne sont nulle part (Armand Colin) lancée par son beau-père justifiées par leur rôle dans l’économie Vidal de La Blache, un des meilleurs tomes nationale. Lorsque celle-ci est analysée, en de la collection, intitulé L’Europe centrale. fin d’ouvrage, le cadre régional est oublié. Il y englobait dans un même ensemble, tout C’est le plan général adopté par la collection en les différenciant ensuite, l’Allemagne, la de la “Géographie universelle” qui explique Suisse, l’Autriche, la Pologne, la Tché- la part réduite faite aux principes de l’orga- coslovaquie, la Hongrie et la Roumanie. » nisation de l’espace des nations. La genèse historique des pays est présentée dans la Dans l’ouvrage déjà cité La Géographie première partie des ouvrages, cependant que française à l’époque classique, P. Riquet le fonctionnement de l’économie vient cou- dans son chapitre sur « Les Géographes ronner l’évocation des composantes régio- français face à l’Allemagne et aux géo- nales. » (Claval, Sanguin, 1996, p. 177). graphes allemands entre 1918 et 1960 » écrit à propos du tome 4 : « Malgré l’impor- tance du volume de la “Géographie univer- L’analyse thématique selle” écrite par de Martonne sur l’Europe centrale, essai tout à fait neuf sur un espace du tome 4 de la GU totalement refondu après les Traités, l’ou- vrage ne fut pas traduit en allemand » Avec l’analyse précise du tome 4 (le (Claval, Sanguin, 1996, p. 72). livre 1 en entier et le chapitre sur la Roumanie dans le livre 2), l’objectif est d’é- Mais cela n’empêche pas que les géo- tudier en quoi il exprime les idées d’E. de graphes allemands l’ont lu et l’ont critiqué. Martonne et plus largement celles de l’Éco- P. Riquet poursuit sur le travail des géo- le française de géographie. graphes français sur l’espace allemand, limité par plusieurs facteurs : « Le premier résidait dans l’achèvement même de la Le concept d’Europe centrale monumentale Europe centrale de E. de Cinq points méritent d’être analysés en Martonne parue en 1930. On peut regretter détail : l’absence de définition précise aujourd’hui que l’Europe centrale y soit d’ E. de Martonne, l’absence de réflexion définie comme un espace de transition cli- épistémologique, la liste des pays apparte- matique et que les questions de circulation nant à l’Europe centrale dans les différentes et de situation y fussent si peu analysées. GU, le problème toujours actuel d’une défi- Mais l’œuvre était cependant très accom- nition de l’Europe centrale, et enfin la plie, répondant indiscutablement à la conscience qu’a E. de Martonne de l’impor- demande et décourageait d’une certaine tance de l’Europe centrale pour la paix en façon toute autre entreprise » (p. 75). Europe.

Une pointe de critique se mêle ici aux compliments. L’absence de définition d’ E. de Martonne : Enfin, toujours dans le même ouvrage, entre l’Est et l’Ouest une rare critique française sur l’architecture Comment E. de Martonne définit-il sa de la GU ne doit pas être occultée. Dans la zone d’étude ? Le plus succinctement pos- partie III sur « le temps de la géographie sible : entre l’ouest et l’est de l’Europe, com-

50 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) me le montre le tableau récapitulatif, élaboré peuplement de l’Europe centrale. Origine et d’après l’introduction d’E. de Martonne évolution » à propos des contrastes de den- (cf. annexe 1). Comment E. de Martonne sités et de genres de vie : « contrastes, c’est définit-il le concept d’Europe centrale ? un des caractères essentiels de cette partie Quelles frontières donne-t-il à cet espace ? de l’Europe, moins évoluée du point de vue Fait-il une différenciation entre l’Europe de humain que l’Europe péninsulaire, plus l’Est, l’Europe occidentale et l’Europe directement soumise aux remous partis des orientale ? confins de l’Asie » (p. 97). Malgré de réelles difficultés de défini- Il ressort du tableau quelques traits d’une tion, toujours appuyée sur le terme de définition de l’Europe centrale par le géo- « moyen », ou d’« entre-deux », E. de graphe parisien : l’Europe centrale est Martonne affirme dans son introduction : considérée par rapport à deux ensembles « l’Europe centrale n’est pas un mot » (p. 3). nettement différenciés : « la situation Il ne la considère pas uniquement comme moyenne qu’occupent les pays considérés, une construction artificielle. Ce problème entre l’Europe occidentale plus articulée et de définition se double d’un problème de l’Europe orientale plus compacte » (p. 1). délimitation des frontières de l’Europe cen- Pour lui, l’Europe orientale, c’est la Russie. trale : « ses limites géographiques ne peu- Il emploie l’expression « plus articulée » vent être tracées avec une précision abso- dans le sens d’une géographie de côtes lue » (p. 3). E. de Martonne reconnaît la découpées en péninsules (Italie, Espagne, difficulté inhérente à cet espace. D’où le Portugal), en îles (Grande Bretagne, choix d’y inclure « les états qui y sont Irlande) et où « aucun point » ne se trouve incontestablement centrés : l’Allemagne et « à plus de 500 km de la mer ». Par ailleurs, la Pologne, la Suisse, l’Autriche, la il fait référence dans son introduction au Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Rouma- concept allemand de Mitte (milieu), de nie » (p. 3). Il ne comprend pas dans cet Mitteleuropa. Le plus marquant peut-être ensemble les états ayant des attaches plus est qu’il donne une définition de l’Europe méridionales comme la Bulgarie, la centrale par la négative comme ce qui reste Yougoslavie, l’Italie. entre deux blocs bien définis, comme un espace de transition, un espace de l’entre- deux. Un problème de définition, de délimi- Une absence de réflexion épistémologique tation et donc de frontière se pose. E. de Cette absence de souci épistémo- Martonne ne donne pas de définition géo- logique reflète l’état d’esprit des géographes graphique stricte, univoque mais fait de l’époque qui s’ancrent dans le concret de dépendre l’Europe centrale de ce qui se trou- la géomorphologie. ve plus à l’ouest et plus à l’est : l’« Europe L’absence de définition de l’Europe cen- centrale apparaît comme une région de tran- trale par E. de Martonne est donc à relier à sition, tenant le milieu entre les extrêmes ». l’absence de réflexion épistémologique et Cette définition de l’Europe centrale sémantique. Les géomorphologues ne se comme un espace de transition est accen- soucient absolument pas de réflexions sur la tuée par la notion de gradation sur le plan de sémantique comme sur la conceptualisa- la géographie physique. tion. Par ailleurs, la géographie de cette époque reste encore très littéraire et n’appa- En géographie humaine, l’Europe cen- raît pas aussi scientifique et catégorisante trale est caractérisée par E. de Martonne qu’aujourd’hui. M.-C. Robic le souligne comme un espace dont les populations sont dans « Les Géographes français face à moins développées qu’à l’ouest. C’est ce l’Allemagne et aux géographes allemands qui est exprimé au chapitre VIII intitulé « Le entre 1918 et 1960 »20 à propos de la GU :

20. in CLAVAL et SANGUIN, La Géographie française à l’époque classique, ouvrage déjà cité.

Grafigéo 2007-33 51 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

« La réalisation des grands monuments de P. Riquet : quelle définition donne t-il ? l’entre-deux-guerres, “Géographie univer- Quelle différence existe-t-il par rapport à E. selle” et “Atlas de France”, est aussi de de Martonne ? P. Riquet parle d’Europe cen- l’ordre de l’application d’une science déjà trale et par glissement sémantique d’Europe là, que l’on en juge par l’absence de tout médiane. éclaircissement liminaire ou par le senti- Le livre 1 est intitulé « Europe du Nord ment déclaré que ces œuvres sont l’accom- et Europe médiane » alors qu’en introduc- plissement d’un progrès conceptuel et tion, l’auteur parle d’« Europe médiane, méthodologique acquis au début du siècle » Europe centrale ». P. Riquet inclut l’Alle- (Claval, Sanguin, 1996, p. 28). magne, la Suisse, l’Autriche, le Bénélux J. Dresch dit à propos de E. de (contrairement à E. de Martonne qui met ce Martonne : « Son enseignement ne compor- dernier dans l’Europe occidentale), le tait pas de philosophie, d’épistémologie. Il Liechenstein. L’auteur retient comme était sans angoisse et comportait à peine, en Europe médiane un ensemble d’états introduction, une définition de la géogra- « incontestablement dominés par l’Alle- phie » (Dresch, 1978, p. 16). magne, rangée il n’y a guère plus d’un demi-siècle dans une “Europe centrale” d’un tout autre contour » (p. 234). Le livre 2 Quels pays appartiennent à porte sur « Europes orientales, Russie, Asie l’Europe centrale ? centrale ». A propos de l’Europe centrale, Les quatre cartes présentes en annexe 4 P. Riquet dit : « L’expression “Europe cen- permettent de visualiser, selon les quatre trale” avait cours très usuellement dans la principales GU, les pays considérés comme première moitié du 20es », « Son acception appartenant à l’Europe centrale. ne diffère pas de la Mitteleuropa des géo- Pour E. de Martonne, l’Europe centrale graphes allemands et Autrichiens », recoupe l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, « ...l’Europe centrale, germanique pour l’es- la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Pologne sentiel, est le milieu géométrique du conti- et la Roumanie. nent et se définit comme la transition entre Pour C. Malte-Brun, le titre est l’Europe occidentale, maritime et l’orienta- « Géographie universelle ». Elle compte le, engoncée dans son épaisseur continenta- plusieurs volumes dont le III qui englobe la le » (p. 234). Confédération helvétique, l’Italie, l’Allema- Il est dommage que P. Riquet ne définis- gne, l’Empire d’Autriche, la Confédération se pas plus ce qu’il entend par Mitteleuropa. germanique, le Royaume de Prusse. En effet ce terme n’est pas neutre comme le Pour E. Reclus, le titre de chaque volume montre le paragraphe suivant. commence par « Nouvelle géographie uni- verselle : la terre et les hommes ». Le volu- me III s’intitule « L’Europe centrale » et La définition d’Europe centrale pose regroupe la Suisse, l’Austro-Hongrie21 et toujours problème l’Allemagne. Chez E. Reclus, la Roumanie Les réflexions des spécialistes actuels de se trouve dans le volume I consacré à géographie et d’histoire n’ont pas fini d’ex- « L’Europe méridionale » et qui comprend plorer ce champ d’investigations que repré- la Grèce, la Turquie, la Roumanie, la Serbie, sente le concept d’Europe centrale, comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal ». le montrent les analyses de Jacques Le Pour R. Brunet, le tome sur « Europe du Rider, Michel Espagne, F.E. Schrader et Nord-Europe médiane » a été réalisé par J.- Krzysztof Pomian. P. Marchand et P. Riquet et publié en 1996. « La notion historique et géopolitique de La partie sur l’Allemagne a été rédigée par Mitteleuropa ne correspond pas à une réalité

21. L’expression utilisée par E. Reclus peut paraître inhabituelle, car le terme actuellement consacré est celui d’Autriche-Hongrie.

52 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) géographique clairement définissable » Europe byzantine et une Europe centrale. commence J. Le Rider. Il souligne la diffé- Quelle place occupent les pays germaniques rence entre la Mitteleuropa incluant la ? Font-ils partie de l’Europe centrale ou de Prusse centrale et orientale ou les territoires l’Europe occidentale ? Ou des deux ? Ou slaves du sud et l’Europe du milieu de l’es- comme pour K. Pomian « tantôt à l’une, pace danubien. Par exemple pour le chance- tantôt à l’autre ». En effet, avant 1949, on lier Metternich, le Reich idéal est l’Europe parlait d’un axe Berlin-Prague-Vienne, puis centrale d’influence germanique (Nord de maintenant d’un axe Rotterdam-Milan. l’Italie, les territoires historiques de la mai- Avec l’extension vers l’est de l’Espace son Habsbourg et la Confédération germa- européen, un nouvel axe va-t-il se dessiner ? nique) sans expansion territoriale à l’Est (Le Dans leur essai de sémantique histo- Rider, 1994, p. 3). rique, K. Pomian, M. Espagne, J. Le Rider On ne peut employer le mot et F. E. Schrader proposent une définition de Mitteleuropa qu’à partir de l’ouvrage de l’Europe centrale. La frontière entre Friedrich Naumann22 paru en 1915. Il a l’Europe centrale et l’Europe de l’Est est reconstitué une généalogie historique de une frontière religieuse et culturelle. l’idée germanique d’Europe centrale en par- L’Europe centrale se caractérise par plu- tant de l’Ostsiedlung (premiers peuple- sieurs traits : le christianisme latin, le rôle de ments à l’Est), au Saint Empire Romain la papauté dans le jeu diplomatique né de la Germanique, à la monarchie habsbourgeoi- nécessité de se substituer aux cadres éta- se et à la rivalité austro-prussienne des tiques en déliquescence, l’absence de que- XVIIIe et XIXe siècles. relles iconoclastes, l’absence de place Le contenu géopolitique du concept de accordée aux langues vernaculaires. Mitteleuropa varie à chaque fois que les Historiquement, l’Europe centrale est pays de langue allemande connaissent une mieux protégée des invasions, la constitu- crise identitaire et on se rappelle le Saint tion de l’Europe moderne s’y est réalisée Empire Romain Germanique, première beaucoup plus tôt : les universités de la forme historique de « l’Europe du milieu » Sorbonne et de Bologne sont créées au et « utopie d’harmonie restaurée en XIe siècle, celles de Prague et Cracovie au Europe » (J. Le Rider, 1994, p. 6-7). A XIVe. Les institutions de l’Etat moderne se chaque crise européenne, les interrogations créent également plus tôt. sont relancées sur la définition, le contour et L’Europe de l’Est apparaît marquée par les frontières de l’Europe centrale. Le terme l’empire byzantin, l’absence de rôle diplo- de Mitte (milieu) présent dans Mitteleuropa matique de la part du patriarcat de Constan- indique l’idée d’être au centre du continent tinople, une place importante laissée aux européen, d’être au milieu de l’Europe, le langues vernaculaires (comme chez les point de contact entre l’Ouest et l’Est et Slaves de l’espace grec) et enfin l’épisode ainsi d’occuper une position médiane en iconoclaste qui s’exprime particulièrement appartenant à la fois à l’Est et à l’Ouest. Le dans les arts plastiques. L’histoire de peuple allemand serait-il le seul à assurer la l’Europe de l’Est connaît les invasions des stabilité au centre de l’Europe ? La question barbares venus de l’Est (par exemple, matérielle et commerciale d’un grand mar- l’Ukraine est conquise par les Mongols ché centre-européen pour les marchandises entre les XIIIe et le XVIe siècle). Le sud-est allemandes sous-tend la définition de cette balkanique est incorporé dans l’Empire partie de l’Europe. ottoman (en Grèce jusqu’en 1820, en Quelle est l’identité de ce « centre Albanie jusque dans les années 1910). En européen » ? M. Espagne, J. Le Rider et outre, les universités sont créées plus tard : F. E. Schrader (1994) distinguent une les russes au XVIIIe siècle, les serbes, les

22. NAUMANN Friedrich, Mitteleuropa, Berlin, Georg Reimer, 1915 ; L’Europe centrale (Mitteleuropa), traduit de l’allemand par l’Argus suisse de la presse à Genève, Neuchâtel, Delachaux &Niestlé, Paris, Payot, 1916

Grafigéo 2007-33 53 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale néo-grecques, les bulgares et les roumaines Vienne en son coeur et Budapest en appendi- au XIXe siècle. Enfin, les institutions d’un ce. La seule idée qui ait été vraiment déve- Etat moderne se réalisent plus tard. loppée est celle de Mitteleuropa surtout après le livre de F. Naumann. Ce terme peut avoir La frontière religieuse et culturelle entre des connotations négatives, car il renvoie à l’Europe centrale et l’Europe de l’Est est une idée d’Europe centrale allemande, moins restée fixe à peu près depuis sa constitution : en termes ethnico-culturels qu’en termes au sud, à partir du IX-Xe siècle et au nord à économiques où la Mitteleuropa constitue partir du XIVe siècle. l’hinterland de l’économie allemande et sur- K. Pomian ne pense pas que les Eglises tout renvoie au nazisme et à l’idéologie du aient joué un grand rôle dans la définition « Lebensraum » (espace vital). des frontières en Europe centrale. Peut-on donner une définition écono- mique de l’Europe centrale ? Pomian pense La définition des frontières occidentales que l’Europe centrale n’a jamais constitué de l’Europe centrale dépend de la définition un espace économique homogène. Pour lui, qu’on donne à l’Europe centrale. Pour « l’Europe centrale n’est définissable en tant K. Pomian, « appartiennent à l’Europe cen- que telle qu’en termes historico-culturels, en trale les pays qui sont immédiatement termes de destin historique, largement déter- exposés au contact de l’Europe de l’Est, miné par le voisinage de l’Est » (Espagne et prise en l’occurrence non seulement en un al., 1994, p. 15). De même, « il n’y a pas sens religieux et culturel, mais aussi et sur- d’unité culturelle, car il n’y a pas de tout en un sens politique. » (Espagne et al., conscience d’appartenance à une Europe 1994, p. 14). Du fait de l’extension et de la centrale » (contrairement à la conscience contraction de l’espace russe au cours de d’appartenir à l’Europe occidentale). Pour l’histoire, l’espace politique de l’Europe de Pomian, l’Europe centrale avant 1989 com- l’Est a beaucoup varié et par voie de consé- prend les pays baltes, la Finlande, la quence la frontière entre Europe centrale et Slovénie, la Croatie, l’Autriche et l’Alle- occidentale aussi. Par exemple, l’Allema- magne. L’idée partagée par J. Le Rider, gne fait partie de l’Europe centrale tant M. Espagne, F.E. Schrader et K. Pomian est qu’elle a une frontière commune avec la celle d’une identité d’Europe centrale Russie (à savoir quand la Pologne n’existe causée par la menace, qu’elle soit alleman- pas comme Etat ou quand les troupes russes de ou russe. Pour K. Pomian, « l’Europe stationnent en ex-RDA). Donc « l’Europe centrale est la région des Etats à éclipses ». centrale est une entité dont la géographie Différentes références culturelles se croisent varie en fonction de l’histoire » (p. 14). Une dans l’espace de l’Europe centrale avec des nouvelle Europe centrale est née des boule- apports de la culture latine, allemande, ita- versements de 1989 ; entre 1945 et 1989, il lienne et française. On y distingue en outre y avait une autre Europe centrale encore différentes cultures d’usage. différente de celle d’avant 1914. Par exemple, les Allemands, maintenant séparés Le géographe Y. Lacoste cherche à défi- de l’Europe de l’Est par la Pologne, la nir l’Europe médiane (Giblin, Lacoste, République tchèque et la Slovaquie, fai- 1998, p. 5-18). Il fait référence à la géo-his- saient partie de l’Europe centrale et se toire et place cette partie de l’Europe à l’in- retrouvent maintenant « déplacés » vers tersection d’ensembles spatiaux. l’Ouest dans la définition. Il revient sur les différents concepts de Quelle définition donnent les spécialistes Zentraleuropa, Mitteleuropa et Europe de la notion allemande de Mitteleuropa ? médiane. (Ce dernier terme a actuellement Pour les Polonais, les Tchèques et les vieilli et ne semble plus usité par les géo- Hongrois, l’Europe centrale n’est pas une graphes) : « Bien qu’ils [les géographes idée-force. Il y a eu l’idée panslave. Il y a eu géopoliticiens allemands] ne parlassent pas l’idéologie de l’Empire austro-hongrois : exactement d’Europe centrale (Zentral-

54 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) europa), mais de Mitteleuropa – l’Europe existe au-delà de la diversité des peuples, du milieu –, ils considéraient que les pays des langues, des religions est ce qu’il appel- situés à l’est de l’Allemagne faisaient partie le la géo-histoire. C’est dans et pour cet de sa « zone d’influence », ne serait-ce espace que quatre empires se sont affron- qu’en raison des très nombreuses « colo- tés pour gagner des territoires et des zones nies » allemandes (urbaines pour la plupart) d’influences : l’Empire ottoman (qui qui étaient implantées depuis des siècles conquiert le sud est de l’Europe au XVe et dans les pays baltes, les plaines de Pologne, XVIe siècles), l’Empire d’Autriche (qui de Hongrie ou d’Ukraine. Cette conception après le siège de Vienne par les Turcs au d’une Europe centrale, s’étendant de la XVIIe siècle lance une contre-offenssive vallée du Rhin jusqu’au delta du Danube et dans les plaines de Hongrie jusqu’au aux plaines polonaises situées à l’est de la Danube), l’Empire russe (au début du Vistule, était aussi celle du célèbre géo- XVIIIe siècle parvient à conquérir l’Ukraine graphe français Emmanuel de Martonne et un débouché sur la Baltique avant de (Giblin, Lacoste, 1998, p. 6). s’emparer d’une grande partie de la Il poursuit : « …le terme d’Europe cen- Pologne) et enfin au XIXe siècle l’Empire trale », très connoté “entre-deux-guerres” allemand organisé par la Prusse). Il en résul- et “rôle dominant de l’Allemagne”, n’est te une grande instabilité des frontières. Pour guère repris (celui de Mitteleuropa, très lié à Y. Lacoste, la géo-histoire de cette partie de l’expansionnisme allemand, est encore l’Europe s’avère très exceptionnelle par ses tabou en RFA).Voilà pourquoi on lui préfère complications et par les héritages qui pèsent le thème nouveau d’ “Europe médiane” » encore lourd aujourd’hui. Entre Baltique et (Giblin, Lacoste, 1998, p. 7). Méditerranée, c’est-à-dire en Europe média- Il passe en revue les différentes accep- ne, le rôle et l’imbrication des conditions tions possibles du terme d’ « Europe média- naturelles, des grandes formations végé- ne » : « Résumons-nous : l’expression tales, des données climatiques, des facteurs « Europe médiane » fait l’objet d’acceptions culturels, politiques, démographiques et des plus ou moins différentes. La majorité rivalités entrecroisées de ces quatre empires d’entre elles incluent l’Allemagne ; cer- sur cette partie de l’Europe où se trouvait taines, comme celle de P. Riquet, s’y canton- déjà un très grand nombre de peuples plus nent avec l’addition surprenante du ou moins différents, sont très importants. Benelux ; d’autres, qui apparaissent comme Même si ces quatre empires n’existent plus héritières de l’« Europe centrale » de l’entre- aujourd’hui, cet espace reste marqué par deux-guerres, ajoutent à l’Allemagne les leurs rivalités. Contrairement à l’Europe États situés à l’ouest de la Russie, à l’exclu- occidentale, « les cultures, langues et reli- sion des pays balkaniques ; d’autres encore, gions se présentent sur la carte de façon comme celle de M. Foucher, excluent enchevêtrée : elles recoupent l’actuel tracé l’Allemagne, mais étendent l’Europe média- des frontières d’Etat, relativement récent, ne à tous les pays qui, à l’ouest de l’URSS, celles-ci ayant subi de nombreux change- ont subi jusqu’en 1990 un régime commu- ments du fait de l’avancée ou du recul de ces niste, y compris les pays balkaniques tels empires et des peuples qu’ils dominent ou que la Bulgarie, l’Albanie et l’ex-Yougos- qu’ils manipulent » (p. 16). Il en résulte par lavie. Enfin, certains réduisent l’Europe exemple que des Roumains vivent en médiane à l’ère nostalgique des influences Moldavie, qu’une partie des Hongrois se viennoises » (Giblin, Lacoste, 1998, p. 11). trouve hors des frontières de l’actuelle Hongrie. Par ailleurs, les transferts de Y. Lacoste rajoute en 1998 à l’Europe peuples ont été nombreux : ce sont par médiane les pays baltes et aussi une partie exemple les Polonais déplacés vers l’Ouest, des territoires qui forment l’ouest de la CEI, la diaspora juive, la diaspora allemande (les à savoir la Biélorussie, la Moldavie, et colonies allemandes se sont installées même l’Ukraine. Le point commun qui depuis le Moyen-âge des rives du Rhin à

Grafigéo 2007-33 55 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale celles de la Volga, régions desquelles douze vocabulaire la notion de frontière naturelle : millions d’Allemands ont été chassés en « Les frontières politiques ont varié dans les 1945). Carpates jusqu’aux dernières années. Si pres- que toutes les Carpates du Sud Est ont fini par revenir à la Roumanie, les Carpates du Nord- La prise de conscience de l’importance Ouest sont partagées entre la Pologne et la de l’Europe centrale pour la paix en Tchécoslovaquie, suivant l’ancienne frontiè- Europe re de la Galicie et de la Hongrie, qui errait de E. de Martonne, par une sorte de pres- crête en crête, sans respect pour la structure cience, à deux ans de l’arrivée d’Hitler au géographique » (p. 41). pouvoir, a conscience de l’importance de La frontière créée par la crête est celle l’Europe centrale pour la paix dans cette qui a cours auprès des Allemands. Elle s’op- partie du monde. pose au concept vidalien et demartonien de Il souligne l’importance économique et complémentarité régionale. politique de l’Europe centrale pour l’avenir, E. de Martonne poursuit au chapitre IV ce qui se confirme soixante ans plus tard consacré au monde hercynien en insistant dans les années 1990 avec par exemple la sur le flou de la légitimité des frontières : guerre en Yougoslavie et le démantèlement « Des groupements de ces différents types de de cette dernière, la séparation d’états relief résultent des ensembles régionaux, (comme la Tchécoslovaquie qui se divise qu’il importe d’autant plus de définir que les pacifiquement en République tchèque et en frontières politiques, fixées par les vicissi- Slovaquie) : « tout esprit soucieux des réa- tudes de l’histoire, les découpent souvent de lités économiques, qu’on saisit ici en pleine la façon la plus capricieuse » (p. 51-52). transformation, tout citoyen préoccupé par E. de Martonne ne perd pas une occasion un avenir politique incertain » (E. de de parler de la Roumanie (y compris dans Martonne, 1931, p. 3). les généralités de la GU) et de légitimer la Il termine son introduction en écrivant de nouvelle Roumanie comme on peut le voir façon assez prémonitoire moins de dix ans dans le chapitre V sur « Les plaines » : « La avant que n’éclate la Seconde Guerre mon- bigarrure ethnique de vastes plaines que la diale : « l’incendie qui a dévoré tant de vies nature semblait avoir prédisposées à l’unité et de biens ne peut s’être éteint sans laisser est due à ses derniers mouvements turcs, quelques étincelles, et l’on se demande si la autant qu’à ceux qui ont, au Moyen âge, mis paix du monde ne dépendra pas, pendant en contact Slaves et Allemands, Roumains quelques décades, de ce qui se passera dans et Magyars… La plaine bas-danubienne, de l’Europe centrale » (1931, p. 3). dimensions plus réduites que celle du moyen Danube, a fini par être occupée entièrement par les Roumains et est deve- Le concept de frontière nue le siège d’une principauté qui a Ce concept est analysé en deux temps : été le noyau de la grande Roumanie tout d’abord en soulignant l’opposition d’aujourd’hui » (p. 60). entre les concepts de frontière naturelles, économiques et politiques et ensuite en étu- diant les frontières tracées en 1919-1920 qui Les frontières tracées en 1919-1920 ont ont remodelé l’Europe centrale. remodelé l’Europe centrale E. de Martonne se montre catégorique pour les frontières de l’Alsace et de la Sarre, L’opposition entre les concepts mais émet des doutes sur la stabilité de frontières naturelle, économique apportée par les nouveaux tracés de l’Est : et politique « Sur l’Alsace-Lorraine, aucun doute n’a été Dans le chapitre III de la GU sur les admis. La frontière de 1870 a été rétablie » Carpates, E. de Martonne dévalorise par son (p. 125).

56 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale)

De même : « Là où sa frontière a été laissé comme deux États résidus, une petite poussée au-delà des limites du groupe natio- Autriche et une Hongrie très réduite » nal, l’avenir n’a pas tardé à montrer un point (p. 127), « L’Autriche forme un petit État de faible, qu’il s’agît des provinces prises à la quatre-vingt quatre mille kilomètres carrés Pologne depuis la fin du XVIIIe siècle ou de et sept millions d’habitants, singulièrement cette Alsace-Lorraine arrachée à la France conformé, et dont l’existence a paru d’abord contre le voeu de ses populations » (p. 123). difficile » (p. 127). E. de Martonne reste discret sur l’action Enfin, il traite l’Empire austro-hongrois qu’il a menée au sein du Comité d’études d’« édifice orgueilleux aux fondements pour les traités de paix : incertains » (p. 128). « C’est la répartition des nationalités qui E. de Martonne ne cache pas que le prin- a déterminé le tracé de la carte politique de cipe des nationalités a été parfois mis de l’Europe, fixée par les Traités de 1919 côté dans le tracé des nouvelles frontières : (p. 121) et « Ce sont les traités de Versailles, « La Tchécoslovaquie représente une créa- signé le 28 juin 1919, et de Saint-Germain, tion entièrement nouvelle [….] ce qui signé le 10 septembre de la même année, implique sans doute une entorse au principe complétés par le traité du Trianon, qui ont des nationalités, puisque trois millions fixé le nouveau statut territorial de l’Europe d’Allemands habitent la Bohême et la centrale » (p. 124). Moravie » (p. 127). Le critère de viabilité E. de Martonne est sensible à l’aspect économique est très important pour E. de économique et a contribué au sein du Martonne, comme le montre l’extrait Comité d’études à l’établissement de la concernant les pays tchèques : « Dans le nouvelle frontière germano-polonaise et a tracé des frontières, on a dû, de ce côté, statué sur Dantzig. Dans la GU, cela se tra- négliger encore le principe des nationalités duit par : « Le traité de Versailles n’a pas et tenir compte davantage des conditions hésité à faire de la Prusse orientale une économiques au profit du nouvel Etat et au enclave allemande en territoire polonais. Il a détriment de ceux aux dépens desquels il fait un sort assez singulier à Dantzig, ville était constitué » (p. 127). allemande depuis le XVe siècle, prussienne A propos des nouvelles frontières rou- depuis 1793, mais port indispensable à la maines, E. de Martonne est honnête quand vie économique de la Pologne ressuscitée, il précise qu’elles n’englobent pas que des en la plaçant sous l’administration de la populations roumaines, mais son adjectif Société des Nations » (p. 126). « légèrement » est un euphémisme : « La Et il ajoute plus loin : « On a dû déjà frontière dépasse les limites de l’ancienne tenir compte de ces forces dans le règlement province de Transylvanie et même légère- territorial qui s’inspirait d’un principe tout ment celles du bloc de populations rou- autre. L’Etat de Dantzig a été créé pour maines… » (p. 127-128). assurer un débouché sur la mer à la Pologne, Il exagère aussi un peu à propos des sans lui attribuer une ville foncièrement revendications roumaines : « Dans le Banat, allemande » (p. 128). « On » renvoie sou- elle a été tracée, sans satisfaire, ni les reven- vent à E. de Martonne lui-même et à son dications serbes, ni les revendications rou- action au Comité d’études. maines, à travers la mosaïque ethnique due E. de Martonne ne se préoccupe absolu- aux colonisations du XIXe siècle… » ment pas des Austro-Hongrois : « La dislo- (p. 126). Les revendications roumaines ont cation de l’Empire austro-hongrois, consa- quand même été plus écoutées que celles crée par le traité de Saint-Germain, a des Serbes (cf cartes de A. Schmidt-Rösler, permis d’achever la reconstitution de la 1994). Pologne et de créer l’Etat tchécoslovaque » (p. 126). E. de Martonne reste cependant méfiant Ou alors, il utilise une connotation péjo- et dubitatif : « Un travail délicat doit se rative : « La dislocation de cet Empire a poursuivre dans toute l’Europe centrale

Grafigéo 2007-33 57 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale pour adapter la vie économique à la situa- collectivités unies par une cohabitation tion politique. Le calme est la condition assez longue dans une région déterminée, nécessaire pour qu’il s’achève dans la par une communauté de vie sociale, reli- prospérité générale, et le calme peut-être gieuse ou économique, et généralement par compromis par la survivance de l’idée une communauté de langue, en tout cas par impériale chez les Etats dont les ambitions de certaines tendances que la diffusion de ont subi une atteinte mortelle, ou par celle l’instruction a affirmées et répandues dans de l’idée nationale, sacrifiée parfois aux réa- les temps modernes » (p. 99). lités économiques » (p. 129). Il reste flou par manque de définition E. de Martonne est parfaitement dans l’utilisation des concepts de « nationa- conscient des problèmes que posent les nou- lité », d’« élément ethnique », de « groupe » velles frontières de l’Est : « La Grande et même de « race » qui sont posés comme Guerre a ruiné tous les espoirs et même synonymes. séparé du gros de la masse hongroise les Dans le volume 1 du tome IV de la GU, îlots avancés qui avaient été créés comme on trouve les termes suivants : « races ou des centres de magyarisation. L’amertume nationalités » (p. 98), « éléments ethniques » ressentie a dépassé tout ce qu’on peut ima- (p. 98), « groupes nationaux » (p. 116). giner et a fait des dominateurs, abreuvés Dans le volume 2, E. de Martonne étudie les d’humiliation un élément de trouble poli- différents types de peuplement. Il cite les tique inquiétant dans l’Europe centrale » peuples : « les Magyars, les Allemands, les (p. 119). De plus, « L’état présent ne paraît Slaves (Bulgares, Ruthènes, Russes, pas offrir des garanties de stabilité telles Slovaques), les Juifs », ou parle de groupe qu’un retour en arrière ne soit pas possible (« groupes bulgares, allemands, ukrai- sur certains points » (p. 122). niens » (p. 704), « groupe germanique » (p. 705), « groupe humain » (p. 709) ou d’élément (« éléments grecs, arméniens, Le concept de région ruthènes » (p. 704), « élément national On rappelle ici la structure du dominant en Roumanie » (p. 708)) ou enco- sommaire : l’étude régionale est menée pays re de « vigueur de la souche roumaine ». par pays et à l’intérieur du pays en petites unités régionales, très minutieusement décrites. Objectivité et subjectivité d’E. de Martonne dans l’étude des différents peuples d’Europe centrale Le concept de peuplement et Le vocabulaire utilisé dénote ses sympa- de nationalité thies et ses antipathies. Après une définition donnée par E. de Martonne et une comparaison avec l’Eu- • Les Germains rope occidentale peu favorable à l’Europe centrale, E. de Martonne étudie les diffé- E. de Martonne souligne à plusieurs rents « éléments ethniques » en utilisant, reprises l’ancienneté et la vigueur de leur consciemment ou non, un vocabulaire déno- présence : « C’est ce qui explique que le tant ses sympathies et ses antipathies envers Moyen-âge soit, à partir du VIIIe siècle envi- les différents peuples. ron, une ère de civilisation germanique », « …les Germains vont se répandre dans toute l’Europe centrale, reconquérir sur les La définition donnée par E. de Martonne Slaves presque toute l’Allemagne orientale Dans le chapitre VIII de la GU sur « le actuelle » (p. 107). peuplement de l’Europe centrale. Origine et Le groupe germanique « est le plus puis- évolution », E. de Martonne donne une défi- sant de tous les groupes nationaux de nition du terme de nationalité : « Il s’agit de l’Europe centrale » (p. 112).

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Et enfin : « L’Empire allemand s’est fait gueux ». Les citations suivantes semblent dans le sang et la violence, comme tant de être des attaques contre la Hongrie en tant formations politiques antérieures ; mais la que formation politique : « La domination conscience nationale germanique lui a hongroise a maintenu dans un état de serva- assuré une solidité que ne pouvait connaître ge et d’ignorance toute une population l’édifice incohérent de l’Autriche-Hongrie » misérable et sans idéal national » (p. 115), (p. 123). « Les Hongrois ou Magyars sont la nationa- lité la moins nombreuse de l’Europe centra- • Les Autrichiens de la monarchie habs- le (environ neuf millions et demi, dont sept bourgeoise millions dans les frontières de la Hongrie actuelle), mais après les Allemands celle qui E. de Martonne a parfois tendance à a montré la plus grande puissance d’organi- dénigrer la formation politique autrichienne sation et d’expression politique. Il est comme le montrent ces trois extraits : impossible d’y voir une race » (p. 118), « L’Autriche n’était pas une puissance ger- « Quoi qu’il en soit, un fait est clair : sitôt manique. Ce sera au contraire la force de la fixés, les Hongrois se manifestent organisa- Prusse qui réalisera l’unité allemande au teurs et dominateurs » (p. 119), « Le siècle des nationalités » (p. 122-123), « mais XIXe siècle voit enfin la création d’un que d’instabilité dans cet Empire ! » royaume de Hongrie, groupant autour d’un (p. 123), « hétérogénéité » (p. 124). petit noyau de Magyars qui tiennent toute la puissance politique et économique, douze • Les Tchèques millions de Roumains, Slovaques et Croates » (p. 119) et enfin, à propos de la Pour E. de Martonne, ils bénéficient des Hongrie et de l’empire austro-hongrois, apports allemands à plus d’un titre, comme « l’édifice, mal assuré sur ses fondements, le prouvent les trois extraits suivants : devait s’écrouler sous la poussée des natio- « Mais les Tchèques, installés dans la nalités » (p. 122). Bohème, plus près de ces pays rhénans d’où venait le reflet de la culture latine, en • Les Roumains contact avec les Allemands, dont la domina- tion n’a pas été sans certains avantages éco- E. de Martonne se montre très laudatif nomiques, ont appris à tirer parti d’un sol où envers les Roumains et très soucieux de leur les richesses minérales de certains districts protection : « De tous les groupes nationaux ne le cèdent pas à la fertilité des plaines de de l’Europe centrale, celui des Roumains est loess », « Usines, capitaux, grands le plus curieux par ses caractères mixtes, domaines, pouvaient appartenir aux son histoire politique pleine de paradoxes, Allemands, le peuple tchèque n’en profitait son origine si discutée » (p. 116), « La pas moins dans une certaine mesure », « Le Transylvanie n’a cessé d’être sous la domi- Tchèque… a le tempérament le plus réaliste nation hongroise ou autrichienne. Les prin- et le plus discipliné. Il le doit peut-être en cipautés danubiennes ont été, jusqu’au partie à l’absorption d’éléments germa- XIXe siècle, vassales de la Turquie » niques, mais surtout à la situation géogra- (p. 118), « La naissance d’une idée nationa- phique de son habitat et à l’expérience qu’il le roumaine est un phénomène extraordinai- y a acquise » (p. 115). re, sa réalisation finale elle-même a quelque chose de miraculeux » (p. 118) et enfin : • Les Hongrois et la Hongrie « Par une chance inespérée, la Roumanie, écrasée et presque anéantie au cours de la E. de Martonne emploie des termes péjo- guerre, relevait la tête au jour de la victoire ratifs pour caractériser les Hongrois comme des Alliés, auxquels elle était restée héroï- par exemple : « hordes », « terrorisé », quement fidèle, et voyait se réaliser tous ses « défaite sanglante », « nationalisme fou- rêves [grâce à E. de Martonne], ralliant en

Grafigéo 2007-33 59 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale même temps que la Transylvanie et la de est encore la plus grande puissance terri- Bukovine, jadis soumise aux ennemis toriale de l’Europe centrale, s’étendant sur [c’est-à-dire les Allemands et l’Autriche- 468 746 km2. Elle est aussi la plus peuplée, Hongrie], la Bessarabie elle-même que l’ex- avec 62 410 619 habitants » (p. 131). plosion du bolchevisme détachait de la Russie » (p. 118). – Une puissance ethnique et démogra- phique

La cartographie dans la GU E. de Martonne caractérise positivement L’importance de la cartographie dans la le peuple allemand comme le montrent les GU et le soin apporté par E. de Martonne à extraits suivants : « …l’ensemble du peuple l’élaboration des cartes et des blocs-dia- allemand, un des plus sains, des plus grammes auraient mérité une analyse à part homogènes, des plus laborieux et des plus entière. On peut simplement souligner une productifs de toute l’Europe » (p. 138), « Si orientation très nettement tournée vers la le traité de Versailles et les plébiscites qui géographie physique. A ce titre, la GU reflè- l’ont complété ont fait perdre à l’Empire te les préoccupations géographiques de son allemand quelques millions d’âmes, ils ont époque et tout particulièrement celles fortifié l’unité nationale en éliminant pré- d’E. Martonne. cisément des éléments ethniques étrangers, dont la présence posait parfois des pro- blèmes délicats » (p. 134), « les distinctions L’Allemagne religieuses ne constituent pas un critère Les douze chapitres consacrés à dangereux pour l’unité nationale » (p. 134), l’Allemagne (deuxième partie du tome 4, « On doit reconnaître pleinement la forte p. 131 à 370, c’est-à-dire 239 pages) s’orga- unité nationale de l’Empire allemand » nisent autour de la notion centrale de puis- (p. 135), « En 1914, l’Allemagne était déjà sance allemande et E. de Martonne en four- sur la pente qui entraîne tous les pays nit une analyse régionale très fine. La arrivés à un degré relativement élevé de puissance allemande, d’ordre démogra- prospérité vers la restriction des naissan- phique, ethnique et économique, suscite ces » (p. 136). l’intérêt et l’admiration d’ E. de Martonne, mais également une certaine méfiance par – Une puissance territoriale malgré le rapport à ses velléités de domination de remaniement des frontières cette puissance germanique. L’analyse régionale menée rigoureusement selon les E. de Martonne relève que : « Les voisins canons vidaliens permet de mettre en lumiè- ne sont plus les mêmes à l’Est et au Sud, où re d’une part l’importance de la géomor- apparaissent la Pologne ressuscitée et la phologie et des voies navigables et d’autre Tchécoslovaquie créée de toutes pièces. La part d’insister sur le remaniement des fron- frontière orientale offre cette anomalie, tières en référence aux traités de paix de unique dans l’Europe contemporaine, d’une Versailles, toujours vivaces dans les esprits. enclave en territoire étranger : la Prusse Remarque : pour plus de clarté, la séparation orientale, isolée par le couloir polonais de la entre l’étude des généralités et l’étude par Vistule et la ville libre de Dantzig » (p. 132). pays a été conservée comme dans la GU de Certes, anomalie il y a, mais E. de E. de Martonne. Martonne y a fortement contribué au sein du Comité d’études. Et pour que l’Allemagne – La puissance allemande ne se plaigne pas de cette situation, il ajoute la phrase suivante : « L’Allemagne n’en La description fournie par E. de reste pas moins puissamment assise au nord Martonne se révèle laudative : « Malgré la de l’Europe centrale. Elle y est le seul Etat perte de 72000 km2, la République alleman- qui dispose d’un large front de mer, ayant

60 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) jour, non seulement sur la Baltique, comme évoluées du monde entier » (p. 195). la Pologne, mais sur la Mer du Nord, anti- De plus, E. de Martonne loue la politique chambre directe de l’océan Atlantique ». urbaine menée par les Allemands, comme Dans le chapitre XX sur « Les conditions l’indiquent les deux extraits suivants : « Une générales de la vie économique : agricultu- politique d’urbanisme intelligente a veillé re et industrie (p. 325) », E. de Martonne au développement des centres les plus note : « Malgré les pertes de territoires et de anciens et les plus prospères » (p. 192). populations imposées par le traité de E. de Martonne admire particulièrement Versailles, le nombre des entreprises indus- le développement et la gestion de la trielles est presque égal au nombre enregis- Ruhrgebiet. Il souligne la puissance écono- tré en 1907 » (p. 334). mique, l’organisation et le niveau de vie « Imposées » est bien le mot. relativement élevé de la population ouvriè- re. Il ajoute : « ainsi le complexe d’ag- – Une puissance économique glomérations urbaines de la Ruhr, marqué du cachet de la vie industrielle, cherche à E. de Martonne décrit avec une certaine parer ses centres principaux d’une teinte admiration l’activité économique allemande d’urbanisme et s’efforce de réglementer une comme par exemple celle des rives du croissance d’abord désordonnée, pour le Rhin : « L’activité fiévreuse qui y règne plus grand confort des masses, les plus s’est propagée tout le long du grand fleuve, grandes facilités de la direction commercia- où circule, sur l’eau et sur les rails, un cou- le et administrative » (p. 192). rant commercial d’une intensité peu com- Par ailleurs, E. de Martonne est sensible mune, gagnant les confluents du Main et du à la particularité du paysage urbain de la Neckar, avec Mayence et Francfort, Mann- Ruhr (p. 200-204) et décrit en détail la cité heim et Ludwigshafen » (p. 134). minière. Le géographe conclut sur la Ruhr : E. de Martonne relève au chapitre XIII « Telle est la Ruhr. Peu de régions indus- l’importance économique de « La région trielles excitent autant l’intérêt par la vie industrielle rhéno-westphalienne (la Ruhr) » ardente qui s’y manifeste, la croissance et y consacre vingt-cinq pages. La descrip- rapide des villes, l’augmentation plus rapide tion se révèle dans l’ensemble laudative : encore de la production et du commerce, « la plus grande région industrielle de l’accumulation des capitaux, la complexité l’Allemagne et même d’Europe » (p. 184). des liens d’intérêts entre les différentes Il n’exprime ici aucun chauvinisme. affaires et les différentes localités, l’exten- Le géographe français se montre très sion même de ces liens jusqu’aux limites de laudatif envers les industriels allemands et l’empire allemand » (p. 208). leur esprit d’entreprise : « Aucune région industrielle ne forme un organisme aussi Il est à noter qu’E. de Martonne fait réfé- complet, aussi complexe et aussi vivant. rence dans le corps du texte aux travaux des L’ingéniosité et l’esprit d’organisation ont géographes allemands : « Si intéressants que développé jusqu’aux extrêmes limites les soient les détails de géographie physique, possibilités généreusement offertes par la minutieusement étudiés par les savants alle- nature, réglé dans tous les détails du méca- mands, le pays est peut-être plus curieux nisme de la production et des échanges, encore par son peuplement… » (p. 250). adapté besoins et ressources. Pour achever, E. de Martonne reconnaît la valeur de ses un esprit d’entreprise d’une audace peu collègues géomorphologues allemands. commune a animé les dirigeants et imprimé à cette sorte de machine si admirablement Cette description laudative n’est pas réglée un mouvement presque vertigineux » exempte de quelques critiques. Par exem- (p. 185), « Le XXe siècle a vu l’organisation ple, E. de Martonne dénonce le style parfois de la Ruhr poussée jusqu’à un degré qui en arrogant de l’urbanisme : « Enfin, la tradi- fait une des régions industrielles les plus tion impériale s’est imposée depuis la for-

Grafigéo 2007-33 61 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale mation du Reich sous l’hégémonie de la Tout au long de la GU, E. de Martonne Prusse, avec son esprit d’organisation, son distille, consciemment ou non, l’image orgueil national et ce goût pour la grandeur d’une colonisation allemande conquérante. où entre un peu de réclame » (p. 138). Certes, cette colonisation est réelle, mais Dans le chapitre XVI sur « Les confins elle est toujours montrée comme menaçante du Massif bohémien : Böhmerwald et haut- et dangereuse pour les autres peuples, Palatinat, Erzgebirge et plaine de Saxe, notamment pour les Slaves : « Tout ce Sudètes et Silésie », E. de Martonne expri- revers tourné vers le Nord a été submergé me une pointe d’anti-germanisme et de pro- par le flot de la colonisation germanique slavisme : « L’Allemagne enveloppe de remontant les vallées jusqu’au faîte du trois côtés la Bohème. Elle tient les abords Katzbachergebirge et au bassin de Hirsch- du plus vaste des massifs hercyniens, pays berg » (p. 258). slave assiégé depuis dix siècles par le ger- On retrouve la même idée dans le chapitre manisme. La colonisation allemande a XVII sur « Thuringe et pays de la Weser » : dépassé partout les faîtes forestiers, mais la « Pendant longtemps, les hommes ont hésité frontière politique y est restée accrochée, à franchir ces solitudes forestières, et les pays avec un tracé assez capricieux pour rendre rhénans romanisés n’ont été vraiment difficile une description géographique sui- menacés que du jour où les tribus germa- vant les cadres territoriaux » (p. 247). niques ont trouvé une route de pénétration Le terme « assiégé » est fort comme s’il par la trouée de Kassel » (p. 264). fallait lutter contre l’envahisseur. La puis- sance de la colonisation allemande fait presque peur, car en ne s’arrêtant pas aux L’analyse régionale frontières naturelles, elle semble ne pas pou- • Le respect des canons vidaliens voir être contenue, ce qui apparaît menaçant pour ses voisins. La démarche suivie par E. de Martonne Pour la Silésie et les Sudètes, le géo- est héritée de P. Vidal de la Blache avec une graphe français met en concurrence les analyse procédant petite région par petite Slaves et les Germains : « Les confins orien- région en suivant toujours le même plan : taux du Massif Bohémien forment une des tout d’abord, une part importante consacrée provinces auxquelles le patriotisme alle- à la géographie physique (description topo- mand manifeste le plus d’attachement. graphique minutieuse, coupes géologiques Violemment arrachée par Frédéric II à et explications géomorphologiques grâce l’Autriche au XVIIIe siècle, la Silésie est un aux blocs-diagrammes soigneusement des- pays d’ancien peuplement slave, comme la sinés), ensuite l’analyse de la population, et Saxe, attaqué dès le Moyen âge par le ger- enfin une description régionale (rurale et manisme, mais où l’assimilation est demeu- urbaine) des activités humaines. Le détermi- rée imparfaite en dehors des montagnes et nisme géographique s’exprime par le rôle du nord de la plaine » (p. 257). fondamental du relief et du sol pour expli- quer les implantations et les activités Il fait par ailleurs référence aux traités de humaines : « Ces avantages expliquent la paix et aux plébiscites organisés : « la résur- précocité de son peuplement et l’essor de rection de la Pologne et le règlement des son développement économique ; mais ils frontières conformément aux voeux de la sont eux-mêmes le résultat de l’évolution du population l’ont fait perdre presque entière- sol, qui a ouvert une large trouée dans l’an- ment à l’Allemagne. » (p. 257). cien massif hercynien » (p. 156). Cette situation constitue d’ailleurs un Le concept de région au sens de com- traumatisme pour les Allemands qui vivent plémentarité de régions naturelles s’expri- dans cette région, d’où les nombreuses me par exemple dans l’introduction du controverses à ce sujet chez les géographes chapitre XII sur « Les pays rhénans du allemands. Nord » : « Deux grandes régions naturelles

62 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) s’y imposent à l’attention : le Massif l’égide des Nations-Unies signifie une cri- Schisteux-Rhénan et la plaine rhéno-west- tique indirecte mais très claire du régime phalienne. A leur contact s’est développée prussien : « L’Etat français, successeur de une région économique d’une activité sans l’Etat prussien, n’a rien négligé pour moder- exemple, connue sous le nom du bassin niser la technique » (p. 153). houiller de la Ruhr, et qui mérite une étude E. de Martonne relève les progrès et les spéciale » (p. 165). améliorations dans les domaines suivants : Respectant les consignes données par modernisation des techniques, lois sociales P. Vidal de la Blache sur l’importance des (application de la journée de huit heures), voies maritimes et que L. Gallois rappelle nouveaux débouchés de l’industrie houillè- dans l’introduction de la GU, E. de re vers la France notamment (mais il ne dit Martonne aborde cette question dans l’in- pas à quel prix, ni si cela manque au reste de troduction du chapitre XIX sur « Ports et l’Allemagne), essor de la métallurgie lour- grandes villes de la plaine du Nord » : « La de, amélioration du bien-être des popula- Renaissance a trouvé déjà le front de mer tions, progrès social (« alimentation et bien- garni de ports actifs, et, si le brusque élar- être de ses masses ouvrières »), légèreté des gissement d’horizon dû aux grandes décou- charges fiscales (p. 153-154). vertes a amené la décadence de ceux qui tra- Il affirme : « La formation du territoire fiquaient avec les pays baltiques, il a fait ou de la Sarre a placé la région dans des condi- prépare la fortune de ceux qui, comme tions nouvelles, dont les avantages semblent Brême et Hambourg, regardaient vers se dessiner de plus en plus » (p. 153). l’océan mondial » (p. 302). Par ailleurs, E. de Martonne n’est pas • L’étude régionale, prétexte à l’analyse neutre dans sa description, car il travaille ici des frontières et au rappel des traités de pour la France et la récupération de la Sarre, Versailles riche région industrielle et carbonifère : « Le territoire de la Sarre… nouvelles Trois exemples sont ici développés : la relations notamment avec la France, dont il Sarre, la Silésie et la Prusse orientale. tire parti, non seulement pour l’approvision- nement de ses hauts-fourneaux en minerai, – La Sarre mais surtout pour l’alimentation et le bien- être de ses masses ouvrières », « Depuis la E. de Martonne rappelle que les traités de suppression de la barrière douanière, elle Versailles ont placé la Sarre sous l’adminis- achète à bon compte les laitages et le bétail tration de la Société Des Nations. Il insiste aux éleveurs lorrains », « L’absence de sur les bienfaits qu’en retirerait la popula- charges militaires et la légèreté relative du tion locale comme le montrent les extraits fardeau fiscal (près de deux fois plus lourd suivants : « Le traité de Versailles a fait de la en Allemagne qu’en France), les bienfaits région industrielle née sur la houille, un d’une administration qui fait tout pour pays en marge des deux Etats français et essayer de réussir l’expérience internationale allemand, administrés par la société des tentée ont contribué à la prospérité d’un Nations, jusqu’au moment où un plébiscite pays… », « une aisance croissante » de la doit décider de son sort. C’est une véritable population, « La population dira le moment expérience qui semble avoir été tentée. Elle venu si elle apprécie assez ces avantages intéresse tout le cercle d’influence du bassin pour souhaiter la continuation du régime houiller sans égard aux limites politiques actuel » (p. 154). anciennes du Palatinat bavarois et de la Prusse rhénane, ni aux différences d’aspects A propos du bassin de la Sarre, il dit : du sol » (p. 152). « C’est sous Napoléon Ier qu’en a été faite la Le discours très élogieux à propos de reconnaissance, dont la Prusse a bénéficié l’administration française de la Sarre sous en reculant de ce côté la frontière en 1815.

Grafigéo 2007-33 63 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Au bout d’un siècle, il donnait 10 à 13 mil- Le traitement du sommaire et de la lions de tonnes, dont le bénéfice a été rendu bibliographie sur la Roumanie à la France par le traité de Versailles, jus- qu’au règlement du sort du Territoire de la Le tableau fourni en annexe 5 donne les Sarre » (p. 335-336). résultats de l’analyse de la répartition de la Le terme « rendu » implique indirecte- bibliographie par langue. Ne sont pris en ment une appartenance légitime à la France, compte que les articles donnés avec leur ce qui peut être discutable.… titre, leur(s) auteur(s), l’année et le nom des revues auxquelles E. de Martonne renvoie – La Silésie ses lecteurs. Parmi les références en français, celles du géographe parisien sont Référence est faite aux traités de paix de indiquées après l’abréviation « de M ». Par 1919 et aux plébiscites : « L’impossibilité exemple, pour le total de la bibliographie en de s’entendre sur l’attribution à la Pologne français, il faut lire : 21 références dont ou à l’Allemagne d’une région écono- 11 de E. de Martonne. mique certainement une, mais ethnogra- Un rapide commentaire de ce tableau phiquement divisée, a conduit à un plébis- permet de remarquer que E. de Martonne cite dont les résultats ont fait attribuer à la renvoie d’abord aux auteurs roumains Pologne la plus grande partie du bassin (48 %, c’est-à-dire pour une petite moitié), houiller, toutes les mines de zinc, sauf une, ce qui dénote sa très bonne connaissance toutes les fonderies de zinc, toutes les des travaux géographiques roumains. Il a mines de fer, les deux tiers des hauts four- d’ailleurs appris le roumain lors de ses nom- neaux et la plupart des aciéries. Un modus breux séjours dans le pays. Ensuite E. de vivendi a dû être établi pour permettre le Martonne renvoie pour un tiers de sa biblio- fonctionnement régulier de l’activité éco- graphie sur la Roumanie à des auteurs nomique. Cependant l’Allemagne garde le français (pour un tiers à ses propres travaux pouvoir de fermer sa porte au charbon pro- – c’est lui le spécialiste de la Roumanie – et duit en territoire polonais….Breslau n’a pour les deux tiers restant à d’autres géo- rien perdu à l’amputation de la Haute- graphes français). La bibliographie alleman- Silésie et reste la plus grande cité de de arrive en troisième position avec un petit l’Allemagne orientale, avec 557 139 habi- quart des ouvrages et articles indiqués. Cette tants » (p. 263). proportion de littérature allemande est moins importante que pour le livre 1 du – La Prusse orientale tome 4 de la GU. Les références à la géo- graphie anglaise (1%) et russe (1%) sont E. de Martonne porte un regard sur le négligeables. tracé des frontières qu’il trouve curieux Les chapitres consacrés à l’étude de la mais auquel il a participé : « Isolée du corps Roumanie s’organisent autour de deux de l’Allemagne par le couloir polonais de la questions essentielles : d’une part, la forme basse Vistule, la Prusse orientale est un pays du territoire roumain, liée à l’élaboration des que la nature elle-même semble avoir vrai- nouvelles frontières que E. de Martonne ment mis à part » (p. 295). cherche à cautionner, et d’autre part, la question des nationalités. Dans cette 8e par- tie, le géographe français se livre à une cri- La Roumanie tique des Allemands plus sévère que dans la L’étude de ce pays est menée dans le partie correspondant à l’étude de l’Allema- deuxième livre du tome 4 de la GU, dans la gne. C’est clairement une critique contre partie 8, des chapitres XLIV à XLIX, c’est-à- l’expansion germanique que redoutent tant dire cent onze pages (de la page 699 à 810), les occidentaux. Par ailleurs, cette étude de environ deux fois moins que pour la Roumanie est conduite en respectant les l’Allemagne. principes de l’analyse régionale vidalienne,

64 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) comme pour l’étude précédente sur E. de Martonne recourt à l’histoire pour l’Allemagne. ajouter une caution au tracé des frontières. Il cherche à valiser ces nouvelles frontières par tous les arguments possibles dont il dispose La forme du territoire et les nouvelles sans préciser qu’elles doivent beaucoup à frontières à cautionner son action personnelle lors du Comité d’é- E. de Martonne insiste sur la forme tudes et des Traités de Paix : « En s’asseyant ronde et presque idéalisée du nouveau sur les deux versants de l’arc carpatique territoire de la Roumanie : « Malgré de méridional, la Roumanie revient à ses des- grands progrès, elle restait une formation tinées naturelles : c’est comme Etat carpa- politique et économique imparfaite. Sa tique qu’étaient nées les Principautés, plus forme en croissant rendait la défense du tard appelées Principautés danubiennes » territoire difficile » (p. 699). (p. 700).

De même, il conclut sur la Roumanie E de Martonne balaie d’un revers de la par : « La forme extérieure de l’Etat offre de main les critiques formulées à l’égard des grands avantages, à côté d’une Tchécoslo- frontières : « …tous les détails de tracé des vaquie si fâcheusement étirée » (p. 820), frontières sont peu de choses » (p. 700). « Mais, si la forme de l’Etat paraît plus favorable qu’en Tchécoslovaquie à une large circulation… » (p. 821). Les concepts d’ethnies et de nationalités E. de Martonne se réfère à la forme et le principe des nationalités ronde, simple et parfaite : « Avec une forme E. de Martonne cherche à cautionner les extérieure très simple, la nouvelle Rou- nouvelles frontières de la Roumanie en fai- manie présente une structure physique com- sant croire qu’elles respectent le principe plexe. » (p. 700), « Avec une forme arron- des nationalités. Or les nouveaux territoires die, ses frontières ont le minimum ne comprennent pas que des Roumains. Le d’étendue pour la surface » (p. 700). principe des nationalités s’applique diffé- remment selon la nationalité considérée : E. de Martonne cautionne les nouvelles « L’effondrement de l’Empire austro-hon- frontières de la Roumanie : « Après des grois lui a rattaché tous les pays habités par péripéties tragiques, elle s’est trouvée en des Roumains, même ceux qui n’avaient 1918 en présence de réalisations que rien ne jamais été politiquement unis aux Princi- permettait d’espérer » (p. 699), c’est-à-dire pautés danubiennes » (p. 699-700). un accroissement considérable de territoires E. de Martonne fait référence à un et de populations grâce aux Traités de Paix. «retour à l’évolution naturelle » de la E. de Martonne fait référence aux fron- Roumanie (p. 700). tières naturelles, mais sait s’en détacher Il reconnaît que des Hongrois ont été quand son argumentation le nécessite : intégrés à l’intérieur des frontières de la « Plus de la moitié de cette frontière s’ap- Roumanie : « On lui a largement fait sa part, puie à des lignes d’eau, comme le Danube en allant jusqu’à des villes à majorité hon- (606 km de Bazias à Tutracan), la vallée du groise, comme Arad, Nagy Varad (oradea Dniestr (731 km) ou la côte de la Mer Mare) et Satmar » (p. 702). Noire » (p. 700). E. de Martonne répond à une objection Il fait réagir vivement les géographes possible en la contournant : « Aussi ne sau- allemands quand il affirme : « Les Carpates, rait-on s’étonner que la nouvelle Rouma- il est vrai, ne servent plus de limite » nie, Etat fondé sur le principe des (p. 700), « Mais le tracé arqué de leur faîte nationalités comme la Tchécoslovaquie, annihilait les avantages d’une frontière éta- ait cependant, comme elle, une forte pro- blie sur une montagne, d’ailleurs facilement portion d’étrangers : 4 millions et demi franchissable » (p. 700). environ, soit presque le tiers » (p. 703).

Grafigéo 2007-33 65 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Le géographe français explique les Carpates, celle où le peuplement est en figurés cartographiques utilisés pour sa grande majorité roumain, où apparaissent carte ethnique de Roumanie : les villes sont les plus anciennes formations politiques qui représentées par un rond où la proportion de puissent être considérées comme le germe chaque groupe est représentée. Les petits des principautés danubiennes… » (p. 713). cercles de plusieurs couleurs ne se voient pas de loin, donc désavantagent les ethnies E. de Martonne donne des éléments pour non roumaines majoritaires en ville : « les légitimer l’appartenance de cet espace à la Roumains forment rarement la majorité des Roumanie : l’histoire, la nécessité « hydrolo- villes, même dans les régions où ils domi- gique » des apports en eau du Danube et nent nettement à la campagne » (p. 704). celle des richesses économiques de la mon- tagne : combustibles, minéraux, charbon, A propos des Hongrois, E. de Martonne lignite, pétrole, gaz naturels, houille blanche, semble objectif sur leur nombre et leur minerai de fer, cuivre, or, sylviculture. importance dans la société et semble com- Toutefois il reconnaît que, dans certaines prendre les raisons de leur amertume et parties du territoire, les Roumains ne sont leurs revendications : « Les Hongrois pas majoritaires : « Comme les steppes du jouaient partout en Transylvanie un rôle département de Constanta, c’est pour la important », « La comparaison du passé Roumanie une véritable terre de colonisa- avec le présent est partout douloureuse pour tion, mais avec des conditions nouvelles, un la minorité magyare. Tout la blesse et lui relief plus accentué, des districts forestiers paraît injuste ; le partage des terres, mesure encore intacts, un peuplement déjà assez appliquée à toute la Roumanie, l’a particu- dense, où l’élément roumain est très rare et lièrement atteinte, et ses plaintes ont retenti ne prend pied que difficilement au milieu chaque année devant la Société des des Turcs et des Bulgares, solidement éta- Nations » (p. 704-705). blis, les uns surtout à l’Ouest dans la région forestière, les autres surtout à l’Est dans la E. de Martonne étudie successivement steppe » (p. 789). les Roumains, les Magyars, les Allemands, les Slaves (Bulgares, Ruthènes, Russes, Slovaques) et les Juifs. Il ajoute plus briève- ment les Polonais, les Serbes, les Grecs, les Les critiques contre les Allemands Turcs et les Tziganes (p. 708). A propos des Roumains : « Ils représen- E. de Martonne se montre très ferme tent certainement un mélange très com- avec les Allemands, leur déniant tout rôle plexe, où l’analyse anthropologique pourra politique majeur avant la réorganisation des découvrir des apports ethniques d’origine frontières : « Les Allemands ne représentent méditerranéenne, dinarique, nordique et que la moitié des Hongrois, environ même asiatique » (p. 710). 800 000. Leur importance numérique est Malgré cette très grande diversité, E. de diminuée d’ailleurs par leur dispersion et Martonne ne remet pas en cause, comme il par le fait qu’ils n’ont nulle part jamais été le fait pour les Allemands, leur volonté et les maîtres politiques. » (p. 705) leur légitimité de vivre ensemble et de for- mer un même pays. Il insiste par ailleurs sur Il minimise l’importance de l’implanta- leur latinité : « une fidélité inébranlable au tion allemande : « En somme, les groupes parler latin, apporté par la colonisation allemands sont d’origine récente pour la romaine sur le Danube. » (p. 710) plupart (sauf les Saxons de Transylvanie) et Les nouvelles frontières de la Roumanie venus de pays différents : ils occupent des lui permettent d’englober les populations régions éloignées et n’ont pas les mêmes roumaines : « La Roumanie possède main- intérêts. La propagande pangermanique la tenant la plus grande partie de la chaîne des plus insinuante aurait peine à en faire un élé-

66 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale)

ment dangereux pour la vie de l’Etat ■ Mitteilungen der Österreichischen roumain. » geographischen Gesellschaft (MOgG) ■ Geographische Wochenschrift (GW) E. de Martonne conclut sur l’espoir que ■ Geographische Anzeiger (GA) représente la Roumanie comme alliée ■ Zeitschrift der Gesellschaft für Erd- contre le germanisme : « On voit dans kunde zu Berlin (ZGEB) quelle mesure la nouvelle Roumanie diffè- ■ Zeitschrift für Geopolitik (GZ) re de l’ancienne pour ses relations interna- tionales ; changement bien faible, comme Ces sept revues se sont imposées à l’ana- tout le faisait prévoir. Peut-être y a-t-il un lyse car elles représentent les principales de symptôme favorable. Ce n’est pas un orga- l’époque et balaient les diverses facettes de nisme économique entièrement nouveau la géographie allemande. On aurait pu aussi qui a été créé, en bouleversant des courants ajouter avec profit les Pettermanns geogra- d’échange. Les traditions anciennes conti- phische Mitteilungen. nuent par la force des choses. Cette stabi- lité relative permet de prévoir que la gran- Le titre actuel de la revue Mitteilungen de Roumanie jouera un rôle analogue au der Österreichischen geographischen Royaume jadis formé par l’union des Gesellschaft diffère du titre du premier Principautés danubiennes. Peut-être ce rôle numéro : en 1857, le premier numéro est est-il appelé à grandir toutefois dans le bas- paru sous le titre Mittheilungen der sin de la Méditerranée. Les liens avec les Kaiserlich-Königlichen Geographischen Etats de l’Europe occidentale, France et Gesellschaft. Puis à partir de 1915, la revue Angleterre, persisteront dans la mesure où s’est appelée Mitteilungen der K.K. Geo- les sympathies politiques seront appuyées graphischen Gesellschaft in Wien. Enfin en par l’initiative des commerçants » (p. 810). 1959, elle a pris le nom de Mitteilungen der Österreichischen Geographischen Gesell- schaft. La réception du tome 4 de la La revue Geographische Anzeiger s’est appelée à partir de 1912 Zeitschrift für GU en Allemagne Schulgeographie. La revue Zeitschrift der Gesellschaft für Une méthode : l’analyse bibliomé- Erdkunde zu Berlin renaît sous le nom de trique d’un corpus Die Erde à partir de 1948. de revues allemandes L’étude de la réception des travaux de Le tableau en annexe 3 présente l’année E. de Martonne repose sur l’analyse du premier numéro et du dernier numéro de bibliométrique systématique d’un corpus de la revue, l’éditeur et/ou le rédacteur en chef revues allemandes de géographie. Les sept ainsi que l’ancrage et le réseau privilégié principales revues allemandes consultées à dans lesquels s’inscrivent les revues et enfin la bibliothèque de Dresde (la Sächsische quelques commentaires sur les thématiques Landesbibliothek Staats-und Universitäts- et le public visé. (Les éditeurs et rédacteurs bibliotek), à la bibliothèque de l’Institut für en chef n’ont été le plus souvent indiqués Länderkunde de Leipzig23, sans oublier la que pour la période 1915-1935). bibliothèque de l’Institut de géographie de la Sorbonne à Paris sont les suivantes : Les années dépouillées correspondent à deux périodes : de 1915 à 1925 pour connaî- ■ Geographische Jahrbuch (GJ) tre les échos des traités de paix et des nou- ■ Geographische Zeitschrift (GZ) veaux tracés des frontières de l’Est et de

23. Je remercie ici Herr Dr. H.-P. Brogiato et Frau Dr. U. Wardenga du Leibniz-Institut für Länderkunde de Leipzig, en Allemagne.

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1930 à 1935 pour étudier les réactions alle- ■ Geographische Jahrbuch mandes à la parution du tome 4 de la GU. 1915-1918 Pour chaque ouvrage a été réalisé le Band XXXVIII dépouillement des articles, des notes de bas de pages faisant référence à E. de Martonne E. de Martonne est apprécié outre-Rhin et à ses travaux, des comptes-rendus d’ou- comme géomorphologue : « In den bekann- vrage, des mentions du géographe français ten Lehrbüchern von H.Wagner und A. dans les bibliographies. Lorsqu’un article Supan ist das Kapitel auf neuesten Stand entier est consacré à la GU d’E. de Martonne, gebracht und zum Teil erweitert. Ihnen trat il a été traduit en français tout ou partie. Ce das Buch von E. de Martonne an die Seite, travail permet aussi d’établir des statistiques in dem dieses Gebiet eine textlich knappere, simples et quelques comparaisons. aber sehr anschauliche, von vielen graphi- schen und kartographischen Darstellungen Deux facteurs ont limité ce travail : le begleitete Behandlung erfährt » (p. 11, dans temps du séjour en Allemagne (3 mois) et la la partie « Allgemeiner Teil ») avec une note typographie de la revue Geographische renvoyant à son Traité de géographie Wochenschrift (qui paraît à partir de 1933) de Physique de 1909. style « gothique », elle est illisible pour qui « Dans les manuels bien connus de n’est pas germaniste de formation. H. Wagner et A.Supan, le chapitre est rema- nié et en partie élargi. Le livre d’E. de Martonne doit être aussi mentionné, car spé- Les résultats : points de contacts cialisé dans ce domaine, il traite la question et points de conflits avec un texte succinct mais accompagné de Les points de contacts : la reconnais- représentations graphiques et cartogra- sance de la valeur du géomorphologue phiques très riches et très claires. » Même lorsqu’un auteur allemand cri- tique, souvent de façon virulente E. de 1919-1923 Martonne, il présente toujours un petit cou- Band XXXIX plet sur la renommée internationale du géomorphologue français. Ceci d’ailleurs On mentionne dans le Bericht über die accentue les critiques qui lui sont ensuite Fortschritte der geographischen Meteoro- adressées. C’est en particulier le cas de deux logie 1912-1916 établi par le géographe articles particulièrement révélateurs des K. Knoch de Berlin, dans la partie sur relations entre E. de Martonne et ses « Allgemeines. I Meteorologie » : « Von wei- collègues allemands. Ces deux articles sont teren Schriften seien hier in Auswahl fournis en annexe 6 pour H. Schmitthenner, angeführt : E. de Martonne, Traité de géo- en annexe 7 pour J. Sölch. graphie physique – Climat, Hydrologie, relief Des remarques laudatives ont été du sol, biogéographie, Paris, 1913 » (p. 57). recensées dans le corpus de revues. Par « Une sélection parmi les nouveaux ailleurs, nous relevons comme points de ouvrages : E. de Martonne, Traité de géo- contacts entre les deux écoles de géographie graphie physique – Climat, Hydrologie, le fait que E. de Martonne soit cité, comme relief du sol, biogéographie, Paris, 1913 » référence en géomorphologie dans le corps (p. 57). du texte ou en note de bas de page, ainsi que dans la bibliographie des différents articles. Sont donc ici présentés, par revue et dans 1924-1925 l’ordre chronologique croissant, les com- Band XL mentaires positifs concernant le géographe parisien ainsi que les simples mentions de On trouve dans l’article de J. Sölch inti- son nom et/ou de ses œuvres. tulé « Fortschritte unserer Kenntnis der

68 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) exogenen Festlandformung » (p. 100-272), böden » : « E. de Martonne kam auf hierher dans la partie « Methoden und Aufgaben der gehörige Erscheinungen in seiner Abhand- Morphologie » : « E. de Martonne ausge- lung Le rôle morphologique de la neige en zeichneter « Traité de géographie physi- montagne zu sprechen, zumal auch auf que » liegt in 3. Auflage vor (en note : Paris, sogenannte « Steingletscher » in den Alpen, 1920), während die 4., nunmehr in 2 Bände die mit dem Verschwinden kleinerer Glet- geteilt, noch im Erscheinen begriffen ist.» scher in Zusammenhang gebracht wer- (p. 109) den. » (en note : PM 1922, 57. Pettermanns « L’excellent Traité de géographie phy- Mitteilungen) (p. 138). sique d’E. de Martonne a connu trois édi- E. de Martonne doit être ici mentionné tions pendant que la quatrième, maintenant avec son ouvrage Le rôle morphologique de en deux volumes, est encore sous presse ». la neige en montagne…» L’ouvrage d’E. de Martonne est deux Plus loin, dans le chapitre sur fois cité dans le même article de Sölch à « Entwicklung des Reliefs. Humide Land- deux pages d’intervalle : « Rockglaciers formung », à propos des Carpates : « Am wurden von E. de Martonne sogar im hohen wichtigsten sind die Arbeiten von E. de Atlas beobachtet (avec renvoi à note : AnnG Martonne, « the Carpathians : physiogra- XXXIII, 1924, 300) » (p. 141). « Les gla- phic features controlling human geogra- ciers rocheux ont même été observés par phy » (in Geographical Revue III, 1917, E. de Martonne dans le Haut-Atlas ». 417-437) ; Le Massif du Bihar (in Annales de géographie, 1922, 313-340), « Le relief Dans le même article, au chapitre V sur des Monts metallifères du Banat roumain » « Die morphologische Arbeit der Glet- (in BSG Belgrad, 1922, 1-21) ; sur les plates- scher », J. Sölch évoque les discussions entre formes d’érosion des monts métallifères du glacialistes : « Mit vergleichenden Hinweisen Banat (in CR 1921, 1384-86) ; « Sur le mas- auf E. de Martonnes Ansichten von der prä- sif de Poiana Ruska », usw (in Ebenda glazialen Verjüngung der Alpen und 1922, 104-106) ; ganz besonders aber die L. Distels und O. Ampferers Auffassung des prächtige und umfangreiche Darstellung Taltroges, begründete er, dass die Haupttäler « Excursions géographiques de l’institut de der Nordostalpen schon zu Beginn des géographie de l’université de Cluj, en 1921, Eiszeitalters, und zwar infolge einer ober- Résultats scientifiques). pliozänen Hebung, bis zur heutigen Tiefe ein- « Les travaux les plus importants sont geschnitten waren, aber noch kein ausgegli- ceux d’E. de Martonne « the Carpathians : chenes Gefälle zeigten.» (p. 199) physiographic features controlling human « En comparant les données émanant des geography (in Geographical Revue III, réflexions d’E. de Martonne sur le rajeunis- 1917, 417-437)… » sement préglaciaire des Alpes et le façonne- ment des vallées en auge de L. Distel et On mentionne dans le même article de O. Ampferer, il a établi que les vallées prin- J. Sölch : « Auf die Karren kommt auch E. cipales des Alpes du Nord-Est ont été de Martonne in seiner Studie le rôle mor- érodées jusqu’à leur profondeur actuelle dès phologique de la neige en montagne zu le début des glaciations et même à la suite sprechen. » (p. 136) d’un soulèvement au Pliocène supérieur, « Au sujet des Karren, on doit aussi men- mais qu’elles n’ont pas encore atteint leur tionner E. de Martonne et son étude sur “Le pente d’équilibre. » rôle morphologique de la neige en mon- tagne” ». Plus loin : « Meines Wissens liegen nur zwei wichtigere diesbezügliche Arbeiten Dans le même article de J. Sölch au cha- vor : von A. Burchard, “neue Erkenntnisse pitre IV sur « Frostwirkungen, Erdfliessen zum Stufenbau der Alpentäler” und von (Silifluktion) und blockströme, Polygon- E. de Martonne, “Quelques données nou-

Grafigéo 2007-33 69 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

velles sur la jeunesse du relief préglaciaire 1930 dans les Alpes”. Nach Burchard hat de Band XLV Martonne in seiner – bekanntlich von H. Lautensach energisch bekämpften – Le géographe Bernhard Rensch dans sa komplizierten Formel, obwohl in ihr ein bibliographie de 1908 à 1930 sur la richtiger Grundgedanke vorhanden sei, Tiergeographie (géographie de la faune) einen Hauptfehler gemacht, indem er précise : Formeln für Wasser und Eis vermengte, « E. de Martonne, A. Chevalier u. indem er das vom fliessenden Wasser L. Cuenot : Biogéographie (Martonne : annahm. » (p. 204) Traité de géographie physique III, 1057- « A ma connaissance, il n’existe que 1518) Pflanzengeographie. Teilüberwie- deux travaux essentiels sur le sujet : celui de gend. Ökologische Grundlagen. Spezielle A. Burchard Neue Erkenntnisse zum Tiergeographie sehr knapp. » (p. 52) Stufenbau der Alpentäler et celui d’E. de Martonne Quelques données nouvelles sur On trouve une bibliographie commentée la jeunesse du relief préglaciaire dans les chez le Viennois Norbert Lichtenecker : Alpes. D’après Burchard, E. de Martonne a « Eigenartig, aber nicht frei von Irrtümern ist commis une erreur importante en mélan- die Schilderung, die die östlischen Ge- geant des formules pour l’eau et la glace et birgsteile in E. de Martonnes kleinem Buch, en les adoptant pour l’eau fluviale. » Les Alpes ». (en note Paris 1926), (p. 205). On note une critique : « E. de Martonne « Remarquable, mais non dénuée d’er- hat, noch in Unkenntnis der Darlegungen reurs, telle est la description de la partie von A. Burchard, seine Formel neuerdings montagneuse orientale dans le petit livre verteidigt ». « E. de Martonne, par ignoran- d’E. de Martonne intitulé Les Alpes. » ce de la démonstration de Burchard, a de nouveau défendu sa formule ». 1931 Band XLVI Plus loin : « Bezüglich der Ansichten, die O. Lehmann und E. de Martonne über die H. Haack, dans l’article intitulé « Die Trogbildung gewonnen haben, N. Creutz- Fortschritte der Kartographie », mentionne burg verfolgte in der Ankogelgruppe unter sans commentaire : « E. de Martonne : car- dem weit verbreiteten Firnfeldniveau ein tographie. Paris 1927, Larose. 116 p. oberes und unteres Talsystem. » (p. 207) (p. 6) ». Le même article présente une « En relation avec les idées élaborées par bibliographie cartographique dans laquelle O. Lehmann et E. de Martonne sur la for- un ouvrage du géographe français est cité : mation d’auge glaciaire, N. Creutzburg a « Bespr. Von E. de Martonne : un nouvel recherché un système de vallées supérieur et atlas de types topographiques in Annales de inférieur sous le niveau très étendu des Géo 1923, 551-54 », (p. 19). neiges permanentes. » Plus loin dans le même article à propos des « Volksdichtekarten : « E. de Martonne : Le professeur H. Hassinger mentionne la densité de la population de Madagascar. dans Berichte über die Fortschritte der geo- (Ann de géo 1911, 77-85). Die Karte ist auf graphischen Landeskunde europäischer Verwaltungsdistrikten aufgebaut. (p. 97). Länder : « Auch de Martonne spricht sich « E. de Martonne : la densité de la popula- für die Jugend des präglazialen Alpenreliefs tion de Madagascar. (Ann de géo 1911, 77- aus (in Cvijic-Festschri, Belgrad, 1925, 85). La carte est élaborée à partir des cir- 19 S.) (p. 281). conscriptions administratives. »

« Même de Martonne se prononce pour L’Italien R. Almagia, cite dans la partie la jeunesse préglaciaire du relief alpin. » concernant « Allgemeine Schriften. Das

70 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) ganze Alpengebiet (oder grössere Teile) »: relles, habitat, peuplement etc. adaptation « E. de Martonne : Les Alpes, Paris, régionale au milieu ; 3 Réseau ferroviaire et 1926, géographie générale, 217 S. Abb., moyen de communication ». K. » (p. 145). L’auteur mentionne successivement : « E. de Martonne : Les Divisions natu- « E. de Martonne : the carpatians, physio- relles des Alpes (Ann de Géo 1925, 113- graphic features controlling human geogra- 132) », (p. 146) phy . (Grev. III, 1917, 417-38 m.K.) (p. 108) B. Dietrich, à propos de la « Nord- « E. De Martonne : Europe centrale. amerika », dans la partie concernant (Géographie universelle, hrsg. P . Vidal de la « Alaska-morphologie » renvoie à : « E. de Blache u. L. Gallois, Bd .IV. I. Allemagne, Martonne : Les Glaciers de l’Alaska et leur Paris, 1930, 379 S. II. Suisse, Autriche, intérêt pour l’intelligence des formes de Hongrie, Tchechoslovakie, Pologne, Rou- relief glaciaire (Ann. Géo. 1920, 455-61) manie, 469 S. Bespr. Von H. Hassinger PM (p. 335). 1932, 13, u. 1933, 94 » (p. 196) – « E. de Martonne : le traité de Saint-Germain et le 1932 démembrement de l’Autriche (Ann G XXIX, Band XLVII 1920, 1-11) » (p. 215). – « E. de Martonne : la Roumanie et son rôle dans l’Europe Le géographe Leonid Breitfuss à Berlin orientale. (LaG XXX, 1914/1915, 241-50) » cite à la page 238, dans « Das Nordpolar- (p. 252) – « E. de Martonne : Essai de carte gebiet (1913-31) », dans la partie bibliogra- ethnographique des pays roumains. (AnnG phique concernant « Geologisches und Gla- XXIX, 1920, 81-98) », (p. 252) – « E. de ziologisches » : « E. de Martonne : La chaîne Martonne : la nouvelle Roumanie (Ann G calédonienne au Groënland (Ann. de Géo XXX, 1921, 1-30) » (p. 252) – Enfin, XXXI, 1922, 279-80) » (p. 237). « E. de Mar- W. Vogel cite de nouveau E. de Martonne tonne : Conditions de la glaciation régionale dans un commentaire sur la littérature por- du Groënland d’après les travaux de l’expé- tant sur la Roumanie (p. 253). dition suisse. (AnnG XXXII, 1923, 79-83) ».

1934 Geographische Zeitschrift Band XLIX 1925 Le professeur Walther Vogel, de Berlin, Heft 6 dans « Politische Geographie und Geopoli- tik (1909-1934) écrit à propos de l’ouvrage On fait mention dans les Zeitschriften- de P. Vidal de la Blache Principes de géo- schau (revue de presse) parmi une biblio- graphie humaine, publié d’après les graphie en anglais, en hollandais et en ita- manuscrits de l’Auteur par E. de Martonne. lien de : « Travaux de l’institut de Paris 1922, 327 p. : « Anregendes wert- géographie de Cluj (Roumanie), herausge- volles Werk, doch fragmentarisch. Die drei geb. V. G. Valsan. Meritiv : campagne d’ex- Hauptteile behandeln : 1. Die Verteilung cursions géographiques en Roumanie sous der Bevölkerung auf der Erde ; 2. Die la direction d’ E. de Martonne – E. de Formen der Zivilisation (Nahrungsmittel, Martonne : Excursions géographiques de Bauten, Siedlungen usw. In regionaler l’institut de géographie de l’université de Anpassung an die Umwelt) ; 3. Bahnen und Cluj en 1921 » (p. 383). Mittel des Verkehrs. (p. 92) » « Un travail stimulant très riche, mais 1932 cependant fragmentaire. Les trois parties principales sont : 1. La répartition de la H. Schmitthenner livre un article intitulé population à la surface de la terre ; 2. Les « Ein französische Geographie von formes de la civilisation (ressources natu- Deutschland » (« une géographie française

Grafigéo 2007-33 71 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale de l’Allemagne »), p. 22-29, (cf. traduction scientifique de spécialiste de la Roumanie : de l’article en français en annexe 6). « Kein Zweifel, es handelt sich um ein Cet article, pourtant particulièrement großes, vortrefflich ausgestattetes Werk, aus virulent contre le géographe français, com- dem auch wir manchen neuen Gesichts- mence par des compliments : « C’est pour punkt, auch manche neue tatsache lernen nous géographes allemands d’un grand können. So haben wir z.B. jetzt keine neue intérêt de voir l’Europe centrale et l’Allema- Darstellung von Rumänien, welche sich mit gne avec les yeux de notre collègue français, derjenigen de Martonnes an Umfang, qui occupe la célèbre chaire de la Sorbonne. Gehalt und Wert messen könnte. De La réputation et le pouvoir que la personna- Martonne ist sicher einer der besten, wenn- lité marquante de P. Vidal de la Blache a nicht der beste Kenner der Geographie donnés à la chaire, E. de Martonne a su la Rumäniens » (p. 236) récupérer. Le présent ouvrage n’est donc « Pas de doute, il s’agit d’un travail pas l’œuvre d’un quelconque érudit important dont on peut apprendre beaucoup français, mais celui du chef de file de l’Éco- de nouveaux points et de nouvelles choses. le française de géographie ». Ainsi par exemple nous n’avons actuelle- Les autres commentaires laudatifs sont ment pas de nouvelle description de la les suivants : « un scientifique de haut Roumanie qui puisse être comparée à celle rang » (p. 27), « Les figures sont presque de E. de Martonne en terme d’ampleur, de tout le temps très bien choisies de même que traitement et de valeur. De Martonne est la présentation de l’ouvrage dans l’en- probablement un des meilleurs, si ce n’est le semble » (p. 29), « La description est vivan- meilleur connaisseur de la géographie de la te et claire, le style léger, diplomate » Roumanie. » (p. 29), « Faire le compte rendu d’un tel E. de Martonne est donc reconnu par ses livre de façon vraiment critique et devoir collègues allemands comme le plus grand ainsi s’opposer à un homme qui possède un spécialiste de l’époque pour la Roumanie. passé scientifique riche est une activité ingrate et difficile » (p. 29). 1935

1933 Dans ses Bücherbesprechungen (comp- Band XXXIX tes rendus d’ouvrages), J. Sölch livre un commentaire (p. 396-397) à propos de la J. Sölch livre un commentaire dans son GU tome 7 sur « Méditerranée, péninsules article « Der zweite Band von E. de méditerranéennes. Première Partie. Espa- Martonne’s Mitteleuropa », p. 235-242. gne – Portugal, et il est intéressant de le Remarque : la traduction de l’article est comparer avec l’article de 1933 sur la GU fourni en annexe n° 7. tome 4. Ici, le commentaire est moins long. J. Sölch reconnaît que la GU constitue un La GU est vue comme un ouvrage qui ouvrage très bien écrit : « Die große fait référence pour tous (on en parle, on le Nouvelle Géographie Universelle, von der critique, mais on s’y réfère toujours) : « Wie nun schon sieben Bände vorliegen, spricht alle Bände dieses großen Sammelwerkes in dieser Hinsicht eine sehr deutliche zeichnet sich auch dieser vorliegende durch Sprache. » (p. 236). geschickte Auswahl des Wesentlichen, « La grande Nouvelle Géographie Zuverlässigkeit im einzelnen und leichte Universelle, qui compte déjà sept volumes, Lesbarkeit aus, ferner durch die reichliche s’exprime à cet égard avec un langage très Austattung mit nützlichen Skizzen und vor- clair ». trefflichen Lichtbildern » (p. 396). « Comme tous les tomes de cette grande L’auteur complimente le géographe collection, celui-ci se distingue aussi par français pour sa GU qu’il considère comme une sélection ciblée qui va à l’essentiel, une ouvrage de référence et pour son travail solidité dans le détail et une parfaite lisibi-

72 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) lité, et même plus par une riche illustration De Martonne est associé à d’autres spé- d’esquisses essentielles et de photographies cialistes reconnus de géomorphologie. aériennes de premier ordre. » Remarque : aucune allusion particulière Hans Slanar dans son article « Rumä- au tome 4 contre lequel J. Sölch avait écrit nische Reise : Der Ausflug nach Törzburg quelques lignes véhémentes. und die Dambovicioaraschlucht » p. 230- 235, écrit : « Das Gebiet hat zahlreiche geologische Bearbeitungen erfahren, ohne Mitteilungen der Österreichischen dass aber eine Klärung der Formen- geographischen Gesellschaft geschichte in einwandfreier Weise möglich wäre » et renvoie en note de bas de page à Rien n’est évoqué à propos de la GU. quatre auteurs dont trois écrivent en alle- Le géographe E. de Martonne y est mand et dont le quatrième, qui écrit en reconnu comme géomorphologue et les français, n’est autre que E. de Martonne : commentaires à son propos sont toujours « E. De Martonne : recherches sur l’évolu- laudatifs. Rares sont les Français cités en tion morphologique des Alpes de bibliographie, seuls le sont E. de Transylvanie. Revue de géographie Martonne et R. Blanchard, les deux plus 1906/07 ». grands géomorphologues français de l’époque. Bettina Rinaldini, dans son article « Rumänische Reise : durch den Roten- 1924 turmpass », p. 245-251 écrit : « So hatten Band 67 wir in wenigen Stunden die Gebiete durch- teilt, die uns das Alt-Problem stellen. » et Les travaux d’E. de Martonne géomor- renvoie en note de bas de page : « Vgl phologue sont cités à plusieurs reprises ainsi Emm. de Martonne, recherches sur l’évolu- que ses travaux à l’Institut de Géographie de tion morphologique des Alpes de Transyl- Cluj, mais aucune mention n’est faite de ses vanie, Revue de Géographie, Bd 1, Paris cartes de population et de densité de 1906/07, S. 1-289, insbesondere S. 217 ff. » population. (p. 248).

Heft 9-12 Le même auteur dans son article « Rumänische Reise : Klausenburg », Norbert Krebs, dans « Exkursion auf den p. 254-262, mentionne : « Einige Mitglieder Butschetsch (21. und 22. Juli 1924) », unserer Gesellschaft wurden mit dem soe- p. 204-212, écrit dans une note de bas de ben erschienenen umfangreichen ersten page à propos de la bibliographie sur les Band der Arbeiten des geographischen glaciations : « Lehmann hat eine Verglet- Instituts bedach » et renvoie en note de bas scherung auf dem Butschetsch seinerzeit de page : « Travaux de l’Institut de géogra- ganz geleugnet, Popovici hat sie nur aus phie de l’université de Cluj (Roumanie), dem Vorhandensein von Cirken erschlos- Vol I. Résultats des excursions géogra- sen, de Martonne und W. Behrmann haben phiques faites sous la direction du Profes- das Gebiet nur wenig besucht und deshalb seur Emm. de Martonne pendant l’été 1921, kein abschliessendes Bild gewinnen kön- Grossoktav, 351 Seiten, 54 Textfiguren, nen », (p. 208). 65 photographien, Klausenburg-Bukarest, « Lehmann a pour sa part contesté un 1924 », (p. 256). englacement du Butschetsch, Popovici l’a « Il serait bon que quelques membres de seulement déduit de la présence de cirques, notre association s’offrent le premier gros de Martonne et W. Behrmann n’ont pas volume des travaux de l’Institut de géogra- assez exploré la zone et n’ont donc rien pu phie qui vient de paraître. » démontrer de définitif ».

Grafigéo 2007-33 73 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

1925 reconnaissance d’un travail de référence (la Band 68 GU) et les critiques qu’il suscite de la part des géographes allemands : Dans le Literaturbericht (compte rendus « …welche diese bedeutsame Veröffent- d’ouvrages) sont livrées par J. Moscheles lichung ausführlich würdigen und ebenso- deux pages de commentaire laudatif du sehr ihre grossen Vorzüge hervorheben, wie Traité de géographie physique, tome 1, paru sie auch an gewissen Unvollkommenheiten en 1924 : « Hier ist vor allem zu begrüssen, nicht stillschweigend vorbeigehen. » daß de Martonne das Wesen der modernen (p. 327) Geographie definiert » (p. 53). « Ici, il faut saluer avant tout le fait que « ….qui apprécient de façon circonstan- de Martonne définisse l’essence de la géo- ciée cette publication marquante et tout graphie moderne ». autant soulignent ses grandes qualités, de même qu’ils ne peuvent pas passer sous silence aussi certaines imperfections. » 1926 Band 69 W. Volz reconnaît le travail minutieux de cartographie : On retrouve dans le Literaturbericht « Ich will hier nicht über das merkwür- p. 265-266, deux pages de commentaire dig schematisierte Bild der Bevölkerungs- laudatif par J. Moscheles à propos du Traité verteilung im Reich sprechen, welche sich de géographie physique, Tome 1I ». auch auf der grossen bunten Karte On note que parmi les soixante dix-neuf (Massstab 1 : 6250000 auf Seite 134) wie- titres du Literaturbericht, seulement quatre derfindet. » (p. 328) sont en français, trois en italien, trois en anglais et un en espagnol. « Je ne parlerai pas ici de la remarquable image schématisée de la répartition de la population dans le Reich, que l’on retrouve dans la grande carte bariolée (échelle : Geographische Wochenschrift 1 : 6250000, p. 134). »

1933 « Ein Mann von so hohem wissenschaft- lichen Ruf wie de Martonne » (p. 333) Wilhelm Volz, de Leipzig, écrit un article « Un homme d’une si grande renommée virulent intitulé « E. de Martonne’s Nationa- scientifique que de Martonne ». litätenkarte von Mitteleuropa » (« La carte des nationalités d’Europe centrale de E. de Martonne), p. 327-333. Avant d’aborder les critiques (cf. infra partie 2b), on peut relever Geographischer Anzeiger – Blätter les compliments adressés au géographe für den geographischen Unterricht français. vereinigt mit der Zeitschrift für Schul- geographie Premièrement, E. de Martonne est connu : « Aus der Feder des bekannten 1932 Pariser Kollegen E. de Marton- Heft 10, 33. Jahrgang ne » (p. 327) – « sous la plume du collègue parisien bien connu E. de Martonne ». « dem Else Wahnschaffe, dans son article Namen des Autors, der internationalen « Übersiedlungen in Siebenbürgen », Klang hat » (p. 327) – « le nom de l’auteur, (p. 298-303) cite E. de Martonne en note de qui jouit d’une réputation internationale ». bas de page (p. 300) à propos des Carpates. On trouve un balancement entre la L’auteur renvoie à son ouvrage sur La

74 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale)

Valachie, Paris, 1902. Le géographe français Bücherei und Anzeigen », section « ubriges est aussi dans la bibliographie le seul étran- Europa » (p. 239), la deuxième partie du ger parmi les dix-huit titres proposés. Cela tome 4 de E. de Martonne est mentionnée exprime donc une certaine reconnaissance sans commentaire. de ses compétences de géomorphologue. 1933 et 1934

Il est fait mention de géographes français Zeitschrift der Gesellschaft für Erd- en 1933 et 1934, donc des transferts exis- kunde zu Berlin tent. Les travaux des géographes français sont connus outre-Rhin. Les grands noms 1931 de l’Ecole française sont cités : Raoul Blanchard, André Meynier, Henri Cavaillès, Dans le literarische Besprechungen Charles Du bus, Philippe Arbos, Edgar (compte-rendu des ouvrages), N. Krebs Aubert de la Rue. commente le tome 4 de la GU (volume 1). E. de Martonne est reconnu comme le patron de la géographie française : « …der Führer der französischen Zeitschrift für Geopolitik Geographen das Wort, um Mitteleuropa zu schildern. » (p. 305) 1934 « …le chef de file des géographes français, pour représenter l’Europe centrale.» Heft 1 L’auteur reconnaît la qualité des tomes de la GU : Kurt Trampler, dans son article « Wie alle Bände der Sammlung ist es « Deutsche Grenzen » écrit : gut ausgestattet mit Karten und sorgfältig « eines der bedeutendsten französischen ausgewählten Bildern, der Text ist klar und Gelehrten, Prof. de Martonne » (p. 49) gewählt, aufs Wesentliche gerichtet, freilich « un des érudits français les plus mar- mit Vernachlässigung mancher Tatsachen, quants, le professeur de Martonne ». die wir ungern missen. Speziell die morpho- « Wenn ein Geograph vom Rang des logischen Abschnitte entsprechen einem Pariser Universitätsprofessors de Martonne modernen und hohen Stand der For- in dem Standardwerk der französischen schung. » (p. 305). Erdkunde, der bei der Welt über einflussrei- « Comme tous les ouvrages de la GU, il chen « Géographie universelle…» (p. 53-54). est bien illustré avec des cartes et des pho- « Quand un géographe du rang du profes- tographies soigneusement choisies, le texte seur d’université parisien de Martonne écrit est clair et choisi, et va à l’essentiel, à vrai dans l’ouvrage de référence de la géographie dire tout en laissant de côté de nombreux française, qui par le monde à propos de la très faits dont nous nous passerons à contre- infuente Géographie universelle…» coeur. Les paragraphes sur la morphologie correspondent en particulier à un niveau Heft 3 élévé et moderne de la recherche. » La première partie du tome 4 de la GU Adolf Welte, dans son article « Der sur l’Europe centrale est mentionnée sans Donauraum » renvoie en note de bas de commentaire (p. 232). page au tome 4 de la GU du géographe français pour une comparaison (p. 156). 1932 Heft Mai-Juli Les principaux points de frictions Dans la rubrique « Eingänge für die Ils sont au nombre de sept : la dénoncia-

Grafigéo 2007-33 75 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale tion du parti pris politique d’E. de Reich. Norddeutschland und Mitteldeutsch- Martonne dans sa GU, son rôle au comité land (1927-1932), p. 3-78 : d’études, la cartographie de la GU ainsi que « E. de Martonne : Europe centrale (GU les choix des figurés cartographiques, les universelle IV, Paris 1930/31). Zahlreiche frontières issues de la Première Guerre Karten und Skizzen. Politisch-geogra- mondiale, l’Allemagne, l’Autriche-Hon- phische Stellungnahme, wie Ignorierung grie, les minorités allemandes et de langue der abgetretenen Gebiete als deutscher allemande, la Roumanie et enfin la facture volks- und Kulturboden, muss scharf de la GU (organisation du plan et bibliogra- zurückgewiesen werden. (Bespr. von phie). N. Krebs ZgesE 1931, 303 ff. ; H. Schmitthenner GZ 1932, 22 ff) (p. 76). « De nombreuses cartes et dessins, des • La dénonciation du parti-pris politique prises de position de géographie politique, d’E. de Martonne dans sa GU comme l’absence de prise en compte des territoires abandonnés comme terre de cul- Son œuvre est analysée par les géo- ture et de peuplements allemands, doivent graphes allemands comme un travail politi- être vivement récusés. » quement orienté. Les Allemands accusent le géographe français d’avoir mis son pres- tige scientifique international au service de Geographische Zeitschrift la politique française de la Paix de Versailles. 1932

Cela se traduit notamment dans la carto- L’article de H. Schmitthenner intitulé graphie et le choix de critères cartogra- « Ein französische Geographie von phiques, qui semblent toujours défavorables Deutschland », p. 22-29 a paru si important aux populations de langue allemande et et si éclairant qu’il est traduit en annexe 6. cherchent à favoriser les Roumains. De Les passages les plus significatifs sont même, le choix – certes particulièrement reportés ici : difficile dans l’Europe centre orientale – du « Avec ce débat, on a touché une des tracé des nouvelles frontières obéit à des pages les plus fâcheuses de tout l’ouvrage. critères parfois fluctuants qui favorisent les C’est l’art et la manière de voir comment populations roumaines ou polonaises, soit dans ce livre l’économie et la politique sont au nom du principe des nationalités, soit au indissociables et comment l’auteur, sous nom de la viabilité économique de telle ou couvert d’objectivité scientifique, se livre à telle région. A contrario les populations de une propagande politique et poursuit un but langue allemande ne bénéficient pas autant politique sans jamais laisser tomber le de ces critères. masque et sans dire un mot sur la politique alors qu’elle est immanente dans chacun de Les citations relevées dans le corpus de ses mots. Les comptes rendus de Friedrich revues sont les suivantes. Metz et de Norbert Krebs ont déjà montré les grandes déformations et leurs arrière- plans politiques. Ici, il s’agit de l’aspect Geographische Jahrbuch scientifique et je n’entrerai qu’à contre- cœur dans les débats suivants, qui ne doi- 1934 vent cependant pas être occultés ». Band XLIX « Dès la lecture de l’introduction sur “la notion d’Europe centrale”, le lecteur attentif W. Geisler de Breslau (actuellement la est surpris. S’il a la vue d’ensemble généra- ville polonaise de Wroclaw) écrit dans sa le derrière lui, il sait que le livre est un. Ce bibliographie commentée sur « Deutsches n’est pas seulement dans l’organisation du

76 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) texte mais aussi même jusque dans les 1933 considérations morphologiques et tecto- Band XXXIX niques les plus anodines qu’on peut relever les aspects politiques ». J. Sölch, dans son article « der zweite « Nous pouvons donc dire à regret qu’un Band von E. de Martonne’s Mitteleuropa », scientifique de haut rang tourne le dos à la p. 235-242, écrit à propos de l’aspect « poli- recherche de la vérité, au minimum déforme tique » de E. de Martonne (cf. annexe 7) : les faits, réalise des buts politiques en « Hingegen muß ich in aller Schärfe eine contradiction avec la science et commet des andere Seite von de Martonnes Werk, seine erreurs de logique. L’auteur a pris le masque politische Einstellung, kennzeichnen, damit de la science pour exprimer l’esprit de wenigstens jener Kreis, in welchem diese Versailles et s’occupe de politique sous cou- Zeitschrift gelesen wird, vor einem einseiti- vert de contribution scientifique ». gen, schiefen und ungerechten Urteil be- L’auteur conclut : wahrt werde. » (p. 238) « La description est vivante et claire, le « Par contre, je dois avec toute l’acuité style léger, diplomate et tout à fait particu- nécessaire, faire connaître un autre versant lièrement propre à surmonter les difficultés de l’œuvre de de Martonne, à savoir sa posi- et à dissimuler les chausses-trappes et sauts- tion politique, pour que au moins chaque de-loups politiques pour les âmes inoffen- cercle dans lequel cette revue est lue soit sives. Le poison politique se montre tout à mis en garde contre un jugement partial, fait appétissant. biaisé et injuste. » Le livre de E. de Martonne se tourne au- delà des frontières françaises et s’adresse aux J. Sölch conclut : innombrables lecteurs des autres nations. Il « Kurz zusammenfassend läßt sich also nur est évident que les critiques de l’étranger sont sagen : de Martonnes Buch ist für uns ein lehr- peu nombreux à posséder les connaissances reiches Beispiel, wie man politische Geo- indispensables sur l’espace différencié de graphie machen muß, um A. Demangeons l’Europe centrale, pour ne pas succomber à la Erwartungen und Ansprüche zu befriedigen ; forme. Quand un Australien nomme dans denn daß A. Demangeon mit der Leistung de Geographical review le livre comme un Martonnes gerade in diesem Punkt nicht ein- ouvrage de référence, nous pouvons com- verstanden sein sollte, dürfen wir kaum anneh- prendre que notre individu situé aux anti- men. Wo die politik anfängt, hört bei allen podes le juge ainsi pour des raisons externes. denen, welche an dem Übelfrieden von Mais quand le « géographe suisse » Vosseler Versailles festhalten, die Wissenschaft auf, und sonne du cor et loue par-dessus tout le livre dann kann man alles begründen, alles bestrei- de E. de Martonne en fait la renommée en ten, es stellt das rechte Wort zur rechten Zeit opposition avec quelques études régionales sich ein, “wo Politik ist oder Ökonomie, da ist allemandes de la plus stricte objectivité, cette keine Moral” – dieser Ausspruch gilt auch für erreur de jugement ne tient pas à l’éloigne- E. de Martonne’s L’Europe centrale. Übrigens ment ou à des frontières étatiques, mais s’ex- ist sein mitteleuropäischer Staatenverband ohne plique seulement par une absence consciente Deutschland sehr bezeichnend auch das Mittel- d’esprit critique scientifique. Europa des Tschechen Roucek. » (p. 242) Faire le compte rendu d’un tel livre de « Pour résumer brièvement, on peut dire façon vraiment critique et devoir ainsi s’op- que le livre de de Martonne est pour nous un poser à un homme qui possède un passé exemple riche d’enseignement sur la maniè- scientifique riche est une activité ingrate et re dont on doit faire de la géographie poli- difficile. Ce que nous regrettons de devoir tique pour répondre aux attentes et aux dévoiler n’est pas seulement pour des raisons revendications de A. Demangeon ; car nous de justesse et de correction scientifiques, mais ne pouvons guère accepter que A. Deman- aussi par devoir national d’autodéfense ». geon ne soit pas d’accord sur ce point avec

Grafigéo 2007-33 77 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale la production de E. de Martonne. Là où diktaten nicht die wirklichen Sprachgrenzen commence la politique, pour tous ceux qui berücksichtigt, warum Millionen von tiennent à la mauvaise paix de Versailles, la Deutschen unter Fremdherrschaft ge- science s’arrête ; et ensuite on peut tout jus- stellt !? » (p. 239) tifier, tout contester, on adapte le mot qui « Si sur de telles différences un poids convient à l’époque qui convient, “là où se doit être posé selon la force des frontières trouve la politique ou l’économie, il n’y a d’état, pourquoi les compatriotes de de plus de morale” – cette maxime est aussi Martonne n’ont-ils pas pris en considération valable pour l’Europe centrale de de lors des dictats de la paix les réelles fron- Martonne. Par ailleurs, son groupement d’é- tières linguistiques, pourquoi des millions tats d’Europe centrale en mettant à part d’Allemands ont-ils été placés sous une l’Allemagne est très significatif comme la domination étrangère !? ». Mitteleuropa du Tchèque Roucek. »

• Le rôle du géographe au comité d’études Zeitschrift der Gesellschaft für Erd- kunde zu Berlin Geographische Zeitschrift 1931 1933 N. Krebs dans sa rubrique « literarische Band XXXIX Besprechungen » présente un compte rendu sur le tome 4 de la GU (volume 1), (p. 305- J. Sölch, dans son article « Der zweite 307) : Band von E. de Martonne’s Mitteleuropa », « Wie jedem grossen zusammenfassen- p. 235-242, dénonce la partialité d’E. de den Werk wird man auch diesem eine gewis- Martonne (cf. annexe 7) : se Subjektivität der Darstellung zubilligen « ...indem er alles zeigt im Spiegel dürfen, wenn nur in der Verwertung der tat- französischer Auffassung oder französi- sachen die wissenschaftliche Objektivität scher Wünsche. Diese gipfeln aber neues- gewahrt ist. …Aber Dantzig und der tens, wie sich immer deutlicher zeigt Weichselkorridor werden ja erst im zweiten (Tardieu-Plan !), in einer wirtschaftlichen Band behandelt, und was man sonst zu und politischen Zusammenfassung der hören bekommt, enttäuscht sehr. Glaubt es Staaten mittel-Europas ohne Deutschland, der Verfasser wirklich oder schreibt er nur aber unter Frankreichs Führung.» (p. 239). für seine Landsleute, dass Mitteleuropa «…pendant qu’il montre tout dans le durch die Friedensverträge “einen Schritt miroir des vues ou des souhaits français. vorwärts getan habe auf dem Weg der Mais ceux-ci atteignent des sommets nou- Festigkeit ?” (S. 3). » (p. 306) veaux, et comme toujours de façon très clai- « Comme tout grand ouvrage de synthè- re (le plan Tardieu !), dans un résumé éco- se, on doit aussi lui concéder une certaine nomique et politique des états d’Europe subjectivité de la représentation, si seule- centrale sans l’Allemagne mais sous la hou- ment l’objectivité scientifique était respectée lette de la France. » dans l’évaluation des faits. …Mais Dantzig et le corridor de la Vistule sont seulement traités dans le second volume, et ce qu’on J. Sölch reproche à E. de Martonne son nous laisse autrement entendre, déçoit rôle au comité d’études : énormément. Est-ce que l’auteur croit vrai- « Wenn auf solche Unterschiede Gewicht ment ou n’écrit-il pas uniquement pour ses gelegt werden soll bei der Ziehung der compatriotes, que l’Europe centrale a grâce Staatsgrenzen, warum haben dann die aux traités de paix “accompli un pas en avant Landsleute de Martonnes bei den Friedens- sur le chemin de la stabilité” ? (p. 3). »

78 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale)

• Les parti pris géographiques dans le choix blable à une carte des densités). De même le des figurés cartographiques sud de la Prusse orientale est tout simple- ment représenté comme un territoire de par- Geographische Zeitschrift ler polonais ; le caractère polonais en Silésie apparaît de la même façon sur un sol alle- 1932 mand, comme si cela correspondait à la réa- lité. Par-dessus tout, cette carte s’arrête de H. Schmitthenner, dans son article « Ein telle façon à l’Ouest que le caractère alle- französische Geographie von Deutsch- mand de l’Alsace-Lorraine reste hors du land », (annexe 6) écrit : cadre. » « Que les cartes servent souvent des buts politiques par tous les moyens possibles, Geographische Wochenschrift qu’elles présentent souvent des erreurs et que les fondements des villes apparaissent 1933 insuffisamment délimités, font qu’on n’exa- mine pas les techniques de reproduction ». W. Volz, de Leipzig, écrit dans son article « E. de Martonne’s Nationalitäten- 1933 karte von Mitteleuropa », (p. 327-333) : Band XXXIX « Leider aber ist dies Vertrauen nicht übe- rall gerechtfertigt ; und darum halte ich mich J. Sölch, dans son article « Der zweite für verpflichtet, hier auf die sehr fehlerrhafte Band von E. de Martonne’s Mitteleuropa », Nationalitätenkarte von Mitteleuropa aus- (p. 235-242) écrit à propos de la carte des drücklich hinzuweisen » (p. 327) nationalités dans la GU (cf. annexe 7) : « Malheureusement cette confiance n’est «… die deutschen Sprachinseln in pas partout vérifiée ; c’est pourquoi je Jugoslawien werden dagegen überhaupt considère comme mon devoir de souligner nicht vermerkt. Das Deuschtum in Polen ici la carte pleine d’erreurs sur les nationa- erscheint als ganz unbedeutend, der lités d’Europe centrale ». « Korridor » wird als breiter polnischer Querstreifen eingetragen, während Ost- L’auteur restreint sa critique à trois preuens Deutschtum in den Erläuterungen points : l’Alsace-Lorraine, les Sudètes et les der Karte (die Zugleich als Dichtekarte frontières de l’Est avec des territoires « alle- gezeichnet ist) als schwache deutsche Insel mands » représentés comme étant polonais : charakterisiert ist. Auch das südliche « Elsass-Lothringen ist als sprachliches Ostpreuen wird einfach als polnisches Mischgebiet bezeichnet und zwar überwie- Sprachgebiet hingestellt ; das Polentum in gen, wenn man Punkte und Kreuzchen Schlesien erscheint ansehnlicher, selbstauf auszählt, die französischen Kreuzchen. Ein reichsdeutschem Boden, als es der Wirklich- Kommentar ist überflüssig ! » keit entspricht. Im übrigen schneidet auch « L’Alsace-Lorraine est décrite comme diese Karte im West so ab, daß das un territoire linguistiquement mélangé et, à Deutschtum von Elsaß-Lothringen auerhalb la vérité, les croix françaises prédominent ihres Rahmens bleibt. (p. 241) ». quand on compte les croix et les points. Tout «… les îlots linguistiques allemands en commentaire est superflu ! ». Yougoslavie ne sont par contre absolument « Das Sudetendeutschtum ist nur an der pas relevés. Le caractère allemand en Nord-Ostgrenze, und auch da nicht ein- Pologne apparaît insignifiant, le “corridor” wandfrei, angegeben. » est entériné comme une bande transversale Le caractère allemand des Sudètes n’est largement polonaise, alors que le caractère signalé qu’à la frontière nord est et là aussi allemand de la Prusse orientale est caracté- pas de façon irréprochable. » risé comme une petite île allemande dans « Die deutsche Ostgrenze und die abge- l’illustration de la carte (qui est très sem- trennten Gebiete sind bis weit nach

Grafigéo 2007-33 79 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Deutschland hinein fast rein polnisch veux dire qu’une chose, à savoir que tout gezeichnet. » géographe dénué de préjugés comme moi « La frontière est-allemande et les terri- sera déçu qu’un homme de la réputation toires séparés sont décrits comme polonais scientifique de de Martonne n’ait pas su être jusque très loin à l’intérieur de l’Allema- plus scientifiquement responsable à propos gne. » de cette représentation évidemment diffici- L’auteur revient sur la langue comme le. Nous n’exigeons pas de lui une représen- « critère évident » de la nationalité, comme tation germanophile – mais il sait que c’est le dit E. de Martonne. Or W. Volz précise un sujet brûlant, c’est pourquoi il aurait dû qu’à l’est de l’Allemagne en particulier, la faire deux fois plus attention. Nous n’exi- différence entre le dialecte et la langue geons de lui que la vérité ! Mais sa carte des nationale est très importante pour les consé- nationalités est (d’après beaucoup d’autres quences qu’elle implique. Pour ces popula- choses) en ce qui concerne ces trois régions tions décrites par E. de Martonne comme géographiques, fausse ! ». polonaises, W. Volz prétend qu’elles sont « Mitglied der deutschen Kultur » (« mem- Dans la rubrique « Zeitschriften-Echo » bres de la culture allemande »). de Hans Praesent, de Leipzig, on trouve : « Friedrich Metz hat sich schon mehrfa- W. Volz démontre dans le détail les cas ch mit dem geographischen Propaganda- où la langue n’a pas été retenue comme werken Frankreichs beschäftigt, besonderes « critère évident ». En effet, pour les terri- mit der bekannten Darstellung Mitteleuropa toires peuplés de Polonais (même minori- von de Martonne, deren Tendenzen er auf- taires), les tracés des frontières ont été choi- gedeckt hat. Im Aprilheft von « Nation und sis en fonction de critères économiques, Staat » (Jahrgang 6, 1933, 7, S. 400-420) comme par exemple la viabilité écono- unterzieht er « französische Nationalitäten- mique de certaines villes et des ports polo- karten von Europa und Mitteleuropa » einer nais (p. 330-332). eingehenden kritischen Nachprüfung, vor allem zwei Karten von A. Meillet und E. de La conclusion de W. Volz est très dure : Martonne. Während ‘man der Arbeit von il accuse un géographe-cartographe d’avoir Meillet ein gewisses Verdienst um die fait une carte fausse : Klärung der Begriffe und ein Streben nach « Ich will kein Wort der Kritik anknüp- Objektivität nicht wird absprechen können’, fen ; die Tatsachen sprechen für sich selbst. dient die Karte von De Martonne ‘der Nur das Eine möchte ich sagen, dass eben- Rechtfertigung der Friedensdiktate’und ‘ist so wie ich selbst wohl jeder unvoreinge- unbefriedigend, fehlerhaft und tenden- nommene Geograph enttäuscht sein wird, ziös…! ». (p. 382) dass ein Mann von so hohem wissenschaft- « F. Metz s’est déjà beaucoup occupé des lichen Ruf wie de Martonne bei der sicher ouvrages géographiques français de propa- schwierigen Darstellung sich nicht der gande, et en particulier de la célèbre présen- grossen wissenschaftlichen Verantwortung tation de la Mitteleuropa de de Martonne, besser gewusst gewesen ist. Wir verlangen dont il a permis de découvrir les tendances. von ihm keine deutschfreundliche Dar- Dans le cahier d’avril sur “Nation und Staat” stellung – aber er weiss, dass es ein heisses (6e année, 1933, 7, p. 400-420), il soumet Eisen ist, darum hätte er doppelt sorgsam “Les cartes françaises sur les nationalités en sein müssen. Wir verlangen von ihm nur Europe et en Europe centrale” à un examen Wahrheit ! Seine Nationalitätenkarte aber critique minutieux, notamment deux cartes ist (von manchem andern abgesehen) in die- de A. Meillet et d’ E. de Martonne. Alors sen drei Kardinalpunkten – falsch ! » “qu’on ne peut pas nier dans le travail de (p. 333) Meillet un certain mérite à clarifier les « Je ne veux engager aucun mot de cri- concepts et une aspiration à l’objectivité”, la tique ; les faits parlent d’eux-mêmes. Je ne carte de de Martonne sert à “justifier les dic-

80 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) tats de Paix” et “n’est pas satisfaisante, plei- passt auch diesen Frankophilen nicht.» ne d’erreurs et tendancieuse” ». (p. 36) « L’annexion à l’Allemagne aurait • Les frontières issues de la Première apporté au Reich allemand un renforcement Guerre mondiale avant tout dangereux aux yeux des Français et par conséquent qui doit être combattu par Geographische Zeitschrift tous les moyens ; par ailleurs un lien immé- diat entre l’Allemagne et l’Italie aurait été 1923 établi et aurait ainsi constitué une large bar- rière entre la France et les états francophiles J. Sölch dans son article «Verebte und de l’Est. Cela n’est pas non plus du goût des neue politische Reibungsflächen im südli- francophiles… » chen Mittel-Europa», p. 24-37, évoque la différence entre espace-frontière et ligne- 1933 frontière. Les frontières ethnographiques Band XXXIX dans cette région sont plus des frontières- espaces (Grenzräume) que des lignes-fron- J. Sölch, dans son article sur « Der zwei- tières (Grenzlinien): te Band von E. de Martonne’s «….das erklärt ja auch das weite Über- Mitteleuropa », (p 235-242) rappelle les greifen der Tschechei nach Süden hinab in nouvelles frontières issues du « Diktat » de das ungarische Flachland, abgesehen von Versailles (cf. annexe 7) : der Attraktion der Donau ; nach Osten ent- « Die verschiedenen unseligen lang der ganzen Südabdachung der Schöpfungen des Friedensdiktates von Karpathen bis zur unmittelbaren Berührung Versailles sind nun auch für de Martonne mit Rumänien. Ein geopolitisches Motiv ist durchaus gut und zweckmäig. Wirtschaft- hier wirksam : Ungarn soll auf allen Seiten liche Schwierigkeiten gäbe es zwar in ihnen eingeschlossen werden. » (p. 32) überall, aber das Schlimmste sei bereits « …ceci explique donc aussi l’empiète- überwunden, ein gewisses Gleigewicht ment de la Tchécoslovaquie sur le sud dans habe sich bereits eingestellt, angepaßt den la plaine de Hongrie, abstraction faite de neuen Grenzen, auch Österreich und l’attraction du Danube ; vers l’Est le long de Ungarn seien durchaus lebensfähig : ja, sie la retombée méridionale des Carpates jus- hätten vor den andern an innerer Einheit qu’au contact immédiat avec la Roumanie. dadurch gewonnen, daß alles andersspra- Un mobile géopolitique est ici efficace : la chige Volkstum fast völlig ausgeschieden Hongrie doit de toutes parts être encerclée. » sei ; wesentlich sei nur, daß sich Österreich ohne « Hintergedanken » (Anschluß an A propos de l’Autriche, il évoque : Deutschland !) auf sich selbst besinne. « Bestimmungen des brutalen Friedens Wenn Wien auf seine politischen von St-Germain (und Versailles) » (p. 35) Ambitionen verzichte, könne es eine wirt- « des décisions de la brutale Paix de schaftliche und geistige Metropole von Saint-Germain (et de Versailles) », Mittel-Europa sein (S. 496). » (p. 239) « Der Anschluss an Deutschland bräch- « Les différentes funestes créations des te dem deutschen Reiche eine vor allem in dictats de la Paix de Versailles sont à présent den Augen der Franzosen gefährliche und entièrement valables et adéquates pour de daher von ihnen mit allen Mitteln bekämpf- Martonne. Ils comporteraient certes partout te Verstärkung ; zugleich würde eine unmit- des difficultés économiques, mais le plus telbare, auch politisch sich auswirkende grave serait déjà surmonté, un certain équi- Berührung zwischen Deutschland und libre serait déjà atteint, conforme aux nou- Italien hergestellt und dadurch zwischen velles frontières, même l’Autriche et la Frankreich und die frankophilen Staaten im Hongrie seraient des organismes viables : Osten eine breite Schranke gelegt. Das alles oui, ces pays auraient gagné les uns après les

Grafigéo 2007-33 81 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale autres leur unité interne, presque toute natio- gegliedertes, auf einer starken bäuerlichen nalité étrangère ayant été écartée ; l’essentiel grundlage ruhendes deutsches kernland serait que l’Autriche n’ait pas d’arrière- umschliesst .» (p. 49) pensées (l’annexion à l’Allemagne !). Si « Au contraire en Alsace-Lorraine, de Vienne renonçait à ses ambitions politiques, nombreuses influences occidentales sont elle pourrait devenir une métropole écono- efficaces sur la construction étatique des mique et culturelle d’Europe centrale. » populations, non sans la responsablilité d’un manque de compréhension de l’Allemagne Zeitschrift für Geopolitik d’après-guerre. Cependant dans les opi- nions patriotes qui s’efforcent de maintenir 1934 la langue maternelle et la culture, le pays est Heft 1 un. Alors que le gouvernement français a hésité pendant des années à faire connaître Kurt Trampler, dans son article au public les résultats des statistiques lin- « Deutsche Grenzen », p. 15-71, écrit en uti- guistiques, on devrait reconnaître que le lisant souvent des métaphores militaires : caractère culturel allemand du pays est « Im Gegenteil sind in Elsass-Lothrin- affirmé à 8 % – en vérité ce pourcentage gen, nicht ohne Schuld vieler Verständnis- devrait être bien plus élevé. Cette publica- losigkeiten Vorkriegsdeutschlands, manche tion française a démasqué sans équivoque la westlichen Einflüsse auf die Staatsauf- falsification d’un des plus remarquables fassung der Bevölkerung wirksam. Im érudits français, le professeur de Martonne, Heimatgedanken aber, der die Erhaltung qui, dans sa carte des peuples d’Europe cen- von Muttersprache und Kultur erstrebt, ist trale (dans le volume sur l’Europe centrale sich das Land einig. So musste, als die de la Géographie Universelle), a présenté französische Regierung nach langjährigem l’Alsace-Lorraine comme un territoire lin- Zögern die Ergebnisse der sprachenzählung guistique mélangé. La frontière claire de la veröffentlichte, anerkannt werden, dass sich langue et de la culture est peut-être le der deutschkulturelle Charakter des Landes meilleur critère qui aide à définir l’étendue zu 8% behauptet hat – in Wirklichkeit dürf- de la germanité vers l’Ouest. C’est que la te dieser Prozentsatz bei weitem höher sein. frontière linguistique germano-latine à Diese französische Veröffentlichung hat die l’Ouest résulte de bout en bout d’un proces- Fälschung eines der bedeutendsten franzö- sus de régression. A l’origine, cette frontière sischen Gelehrten, Prof. De Martonne, ein- se trouvait bien plus à l’ouest. Les deutig entlarvt, der in seiner Karte der médiocres postes avancés de peuplement Völker Mitteleuropas (im Band Mittel- allemand moins cultivés à l’Ouest ont été europa der Géographie universelle) Elsass- latinisés au cours des siècles passés, de sorte Lothringen als gemischtsprachiges Gebiet que la frontière linguistique actuelle, cou- einzeichnete. Die klare Sprach- und pant géopolitiquement à travers les Vosges, Kulturgrenze ist vieilleicht der bedeutendste ne cerne plus qu’un paisible noyau dur alle- Helfer für die Selbsterhaltung des mand densément peuplé, aux assises pro- Deutschtums im Westen. Die germanisch- fondément paysannes, complètement fermé romanische Sprachgrenze im Westen ist et socialement très fortement différencié. » nämlich durchwegs das Ergebnis eines Rückbildungsvorgangs. Sie lag ursprüng- « Bedürfte es noch eines Beweises, wel- lich weiter westlich. Die Siedlungsmässig chen Vorstosslinien die Gegner folgen, so weniger ausgebildeten westlichen gibt eine einzige Karte zum mindesten über deutschen Vorposten sind in vergangenen die Ziele der französischen Mächtegruppe Jahrhunderten romanisiert worden, so dass Aufschluss. Wenn ein Geograph vom Rang die heutige, geopolitisch durch die Vogesen des Pariser Universitätsprofessors de gestützte Sprachgrenze nur dicht besie- Martonne in dem Standardwerk der franzö- deltes, völlig geschlossenes und sozial reich sischen Erdkunde, der bei der Welt über ein-

82 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale) flussreichen Géographie universelle, zu compacts allemands. Enfin, de Martonne einer glatten Fälschung der Einträge über oublie le caractère allemand de l’Egerland, die Volksgrenzen in Mitteleuropa greift, so de la région de la forêt bohémienne et du liegen sicherlich weittragende Interessen sud de la Moravie. Ici la ligne doit être Frankreichs für diese verfälschung des appuyée par une politique populaire de bildes vor. E. de Martonne aber zeichnet fol- l’Alsace à la dépression de Further, la gende Abweichungen von den Tatsachen Silésie encore plus étroitement prise dans la ein : « Elsass-Lothringen als gemischtspra- tenaille polono-tchèque et une nouvelle chiges Land, geschlossene polnische ligne de front polonaise élaborée en Prusse Siedlung im südlichen Ostpreussen, keine orientale. L’image est claire : la marche en deutsche Bevölkerung im Weichselkorridor, avant pour démanteler le sol du peuple alle- Westoberschlesien und teile Nieder- mand, pour exercer une pression biologique schlesiens trotz geschlossener deutscher pour réduire le peuple allemand à un peuple Bevölkerung rein polnisch. Endlich vergisst intermédiaire. » de Martonne das Deutschtum des Eger- landes, des Böhmerwaldgaues und Süd- Heft 3 mährens. Hier soll also die Linie vom Elsass zu Further Senke volkspolitisch Adolf Welte, dans la conclusion de son unterbaut; Schlesien noch enger in die pol- article « Der Donauraum », fait référence à nisch-tschechische Zange genommen und in la GU d’E. de Martonne (p. 147-156) : Ostpreussen neue polnische Vorstosslinien « Alle Nachfolgestaaten mit Ausnahme geschaffen werden. Das bild ist klar: der von Österreich und Ungarn sind heute mit Vormarsch auf die Zergliederung des deut- den gleichen inneren Reibungen, den glei- schen Volksbodens, der Vormarsch auf die chen zentrifugalen Bestrebungen durch die biologische herabdrückung des deutschen inneren völkischen Verhältnisse belastet wie Volkes auf die Stufe eines Mittelvolkes wird die alte Monarchie. Überall ist neue heftige fortgesetzt. » (p. 53-54) Irrendenta geschaffen worden. Dass die « Si on a besoin d’une preuve supplé- Nation die Grundrichtung für jede staat- mentaire des lignes d’attaques que suivent liche Neuordnung werden muss, ist heute les opposants, une seule carte sur les objec- unumstössliches Gesetz geworden. Dass die tifs du groupe de renseignement des puis- Einzelheiten der so festgelegten Grenzen sances françaises. Quand un géographe de geopolitisch ergänzt und ausgeglichen wer- la notoriété du professeur d’université pari- den müssen, ist ebenso selbstverständlich. sien de Martonne a recours, dans l’ouvrage Aber die Friedensschlüsse, die dem Welt- de référence de la géographie française dont krieg folgten, haben sich im Donauraum l’influence est très grande dans le monde geradezu leichtfertigt über nationale wie entier, à savoir la ‘Géographie Universelle’, geopolitische Forderungen hinweggesetzt à une falsification insinuante des dommages und einseitig die Besiegten vergewaltigt. So causés aux frontières ethnographiques en ist die Beurteilung der staatlichen Neu- Europe centrale, c’est qu’il existe sûrement gestaltung im Donauraum mindestens so des intérêts français à longue portée pour zwiespältig wie je diejenige der alten cette falsification de la représentation. Mais Doppelmonarchie. » (p. 156) de Martonne dessine les accrocs à la réalité « Tous les États de l’après-guerre, à l’ex- de la façon suivante : l’Alsace-Lorraine ception de l’Autriche et de la Hongrie, doi- comme région linguistiquement mixte, vent aujourd’hui supporter les mêmes fric- l’implantation polonaise au sud de la Prusse tions internes que l’ancienne monarchie orientale en formation compacte, pas de habsbourgeoise, les mêmes mouvements population allemande dans le corridor de la centrifuges à cause de la situation ethnique Vistule, la Haute Silésie occidentale et en interne. Partout on assiste à de nou- partie la basse Silésie représentées comme veaux irrédentismes véhéments. Que purement polonaise malgré des groupes la nation doive être le fondement pour

Grafigéo 2007-33 83 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale chaque nouvel ordre étatique est aujour- nationalité vis-à-vis des Allemands et des d’hui devenu une loi incontournable. Que Magyars ». les particularités des frontières ainsi consti- tuées doivent être géopolitiquement com- « …auch zwischen den « associés » der plétées et harmonisées, c’est compréhen- Entente sind die Staatsgrenzen keinesweg sible. Mais les conclusions de la paix qui ont überall durch das ethnographische Prinzip suivi la guerre mondiale ont carrément et bestimmt, sondern militärische, machtpoli- sans scrupules passé outre les réclamations tische, wirtschafts-und verkehrgeogra- nationales et politiques dans l’espace danu- phische Momente haben, […]. Das zeigt bien, et se sont imposées unilatéralement sich in den tschechisch-polnischen, in den aux vaincus. Ainsi l’appréciation du nouvel rumänisch-serbischen Grenzgebieten. » ordre étatique dans l’espace danubien est au (p. 31) moins aussi partagée que celle de l’ancien- « …même entre les « associés » de ne Double-monarchie. » l’Entente, les frontières étatiques ne sont en aucun cas partout respectueuses du principe • L’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, les des nationalités, mais ont des mobiles mili- minorités allemandes et de langue alle- taires, de domination politique, de géogra- mande phie économique et de communication […]. Cela se voit dans les zones frontalières tché- Geographische Zeitschrift co-polonaises et serbo-roumaines. »

1923 Les Allemands du Banat ont une position inconfortable (que n’évoque pas de Mar- J. Sölch, dans son article « Verebte und tonne) : neue politische Reibungsflächen im südli- « Wo Sprachinseln anderer Völker die chen Mittel-Europa », p. 24-37, parle sur- Grenzzone durchsetzen, wird die Lage noch tout de l’Autriche-Hongrie et de l’Alle- verwirkelter : man denke an die deutschen magne. Il critique les nouvelles frontières en des Banats. Bei geschickter Politik können Europe centrale qui ne respectent pas le sie sich hier in solch umstrittenem Gebiet principe des nationalités pour les Alle- vieilleicht eher behaupten als bei der mands et les Autrichiens. Ces frontières sont Einordnung in einem übergewichtigen Staat établies contre l’ancienne monarchie mit starker Aufsaugungskraft und rücksicht- d’Autriche-Hongrie : losen Assimilationsmethoden wie Italien. « Eben auf dem Boden der alten Bei Bewaffneten Zusammenstössen der Monarchie hat man neuen Grenzen gezo- Beiden aneinander grenzenden Staaten sind gen, […], die weder wirtschaftsharmo- sie allerdings ganz besonders gefährdet ; nische noch verkehrskonforme Räume fallen sie der Kriegsführung zum Opfer, so umfassen, die sich nicht mit Völkergrenzen ist ihre Vernichtung endgültig. » (p. 32) decken noch strategisch gut sind. » (p. 31) « Là où des îlots linguistiques recoupent « Même sur le sol de l’ancienne Monar- la zone frontalière, la situation est encore chie, on a établi de nouvelles frontières, plus complexe : on pense ici aux Allemands […], qui ne constituent ni une harmonie du Banat. Par une politique adroite, ils peu- économique ni un espace conforme à la cir- vent peut-être s’affirmer ici dans une zone si culation, qui ne recoupent pas les frontières disputée plutôt comme faisant partie d’un ethnographiques et qui ne sont pas stratégi- état prépondérant avec une puissante force quement bonnes ». d’absorption et des méthodes d’assimilation brutales comme en Italie. Par les conflits « Man hat das ethnographische Prinzip armés entre les deux états frontaliers, ils sont gegenüber den deutschen und den de toutes façons particulièrement menacés : Magyaren aufs schwerste verletzt ». (p. 31) s’ils sont victimes de la conduite de la guer- « On a gravement bafoué le principe des re, alors leur destruction est définitive. »

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« Alles ist allem : das ethnographische de la culture ouest et sud allemande repo- Prinzip wurde nicht überall eingehalten, sant sur des racines latines. Les répercus- liess sich auch im Grunde genommen nicht sions de l’époque romaine sont sans aucun überall einhalten. Dies hat eine unmenge doute indéniables. Mais au fil de sa pensée, von Unzufriedenheit hervorgerufen, neue l’auteur fait preuve de révisionisme. Quand Reibungsflächen entstehen lassen, die nun cela lui convient, il y a anguille sous roche. nicht mehr wenigstens zum teil bloss inners- A propos du Rhin supérieur, il écrit page 52 taatlich verlaufen wie im alten Österreich- l’affirmation tendancieuse, fausse et mille Ungarn, sondern zu zwischen staatlichen fois démasquée, démentie par le monument Fragen werden und daher noch viel gefähr- de pierre de la cathédrale de Strasbourg : licher sind, weil sie in höherem Masse als “Le Rhin n’a pas été, comme on aurait pu Trennungsfugen auftreten. » (p. 32) s’y attendre après l’occupation romaine, un « Somme toute : le principe des nationa- lien entre les peuples vivant sur ses rives”. lités n’a pas été respecté partout et dans le Le désaccord illogique de sa méthode fond n’a pas non plus été appliqué partout. scientifique et son univocité politique sont Cela a engendré une immense insatisfac- éclairés par les exemples suivants. Au sud tion, de nouveaux points de friction ont vu ouest, la cohésion avec l’Alsace ne peut pas le jour, qui ne sont maintenant même plus être passée profondément sous silence, mais intra-étatique comme dans l’ancienne dans la Bavière orientale, en Saxe et en monarchie austro-autrichienne, mais Silésie, l’arrimage au bloc bohémien n’est deviennent des questions inter-étatiques, pas assez souligné et pas assez étendu. Car donc beaucoup plus dangereuses, car ils se ce n’est pas dans les intérêts de la politique présentent pour la plupart comme des forces française de mentionner les réalités de la de désagrégation. » parenté naturelle et originelle (ethnique) du sud ouest de l’Allemagne avec l’Alsace. 1932 C’est par contre tout à fait dans son intérêt de repousser tout proche de la Tchéco- Dans son article (annexe 6), H. Schmitt- slovaquie la Saxe et la Silésie en tant que henner affirme (p. 25-26) : territoires que la colonisation allemande « Le plus clair est le procédé scientifi- aurait séparée du corps ethnique slave. C’est quement insoutenable qui se traduit dans les assurément une des grandes tendances du paragraphes d’anthropogéographie. Les livre de présenter l’unité de la masse du deux paragraphes généraux concernés se peuple allemand comme un danger pour les réduisent à justifier la formation des Etats de peuples slaves de l’ouest non homogènes. 1919. Une des étapes est le profil de “la Dans la Sarre, le droit supérieur français sur situation au début de l’ère chrétienne”. Le le charbon allemand est détourné de façon point de départ de l’époque romaine est pré- dissimulée par le fait que Napoléon Ier et ses senté comme le recul des Barbares, ce qui ingénieurs auraient porté beaucoup d’atten- en découle et les peuples actuels en sont nés. tion au charbon que les populations Mais la contribution culturelle des Alle- connaissaient déjà depuis des siècles. mands au Moyen âge, la colonisation alle- L’attribution de la part du lion du charbon mande, la christianisation de l’Est et les de haute Silésie originellement ouvert à combats sur le front turc sont donnés l’exploitation par les Allemands à la comme une conséquence de la vague cultu- Pologne est cependant une évidence juste, relle romaine (latine comme il est dit). parce que cela correspondrait à un tracé de L’idée de la Confédération du Rhin se trou- frontière respectant les nationalités et au ve en arrière-plan quand la partie orientale résultat d’un plébiscite. Il s’agit là d’une allemande est caractérisée comme éloignée contre-vérité, d’un cynisme. du terreau fertilisé par les Romains au Sud Après cela, on ne peut s’attendre qu’à ce et à l’Ouest, et quand l’esprit prussien est que le traitement des Allemands de l’étran- caractérisé comme une invasion orientale ger suive cette méthode qui correspond à

Grafigéo 2007-33 85 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale l’esprit du livre. Il ne peut y avoir qu’une conditions naturelles peu favorables. Cela idée politique dans l’introduction sur les n’est jamais clairement dit. Mais les migrations allemandes vers les Etats-Unis et remarques insérées font comme si les villes les pays tempérés d’Amérique latine, il est avec leurs chateaux et leurs cours anciennes, dit : « jamais pareil chiffre n’a été enregistré leur hôtel de ville imposant, leurs théâtres, dans les colonies allemandes elles-même », leurs musées et leurs gares étaient à expli- car le géographe doit être conscient qu’il quer de façon complètement a-géographique pose l’un à côté de l’autre des choses par la propension allemande à se donner de incomparables. Et c’est avec un point de grands airs. Mais les arrière-pensées sont vue politique que le texte poursuit ensuite en claires quand on mentionne toujours les jetant un œil sur le sud du Brésil, le seul villes construites de façon dispendieuse ; on territoire allemand d’outre-mer à pouvoir se souvient que du côté français, on a tou- être « à juste titre » considéré comme une jours affirmé que l’Allemagne pouvait faci- colonie. Pourquoi le paragraphe passe sous lement payer les réparations de guerres. silence les relations économiques du Reich L’affirmation que l’Allemagne s’est conso- avec l’étranger autre qu’autrichien, si ce lidée en interne par la séparation d’avec les n’est avec un arrière plan politique. Il est peuples étrangers – le silence délibéré sur les évident que l’esprit national est dénié aux dégâts catastrophiques causés par le Allemands hors du Reich et que l’idée démantèlement du Reich à l’Est et qui sont nationale n’est arrivée en Allemagne qu’à cependant répandus dans l’opinion publique partir de 1870. Pour l’auteur, « idée nationa- et travaillés de façon géographique, poursui- le » et « construction de l’Etat » sont des vent le même but ». concepts identiques. Ainsi il n’y a simple- ment aucune idée allemande avant la consti- 1933 tution du Reich allemand. Band XXXIX Le Français est dans son droit de voir et de juger les choses typiquement allemandes J. Sölch, dans son article (cf annexe 7) de son point de vue. C’est une évidence. évoque la façon allemande de considérer les Mais pour un scientifique, cela ne va pas de peuples et l’espace, qui ne sont pas forcé- soi que le regard, la représentation et le juge- ment superposables, contrairement à la ment ne reposent pas sur les connaissances France qui est constituée d’un peuple-nation mais sur le politique. L’auteur n’a purement circonscrit dans des frontières définies : et simplement rien compris à beaucoup de « Wir werden jedenfalls nicht darauf ver- choses. Mais il a compris comment tirer un zichten, unser Volk immer über die profit politique de ses incompréhensions. Il Wechselwirkungen zwischen Staaten und fait face de façon embarrassée aux villes Völkern einerseits und Raum andrerseits allemandes. Cela ne lui est pas venu à l’es- möglichst gründlich zu unterrichten.» prit que leur pluralité provient de la pluralité (p. 238) du territoire qui a toujours fait naître des « En tous cas, nous ne devons pas renon- centres politiques, économiques et politiques cer à professer que notre peuple repose le à des endroits différents alors que l’organisa- plus solidement possible sur les interactions tion de l’espace français s’est centralisé entre Etat et peuple d’une part et d’autre part autour de Paris il y a déjà plusieurs siècles et entre Etat et espace. » que là pour ainsi dire les villes anciennes et les nouvelles sont bâties à la même place. J. Sölch relève des erreurs dans la GU : Les exigences élevées des villes allemandes « Warum wird behauptet, daß die en ce qui concerne la culture de l’hygiène et deutsche Kolonisation im Waldviertel erst de la technique proviennent du développe- im 13. Jahrhundert begonnen habe (S. 478), ment moderne de la ville allemande, qui est während sie im Wirklichkeit schon im devenue importante seulement avec les tech- 11. Jahrhundert, und zwar in unbesiedeltes niques modernes, reposant avant sur des Land eindrang ? » (p. 240)

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« Pourquoi affirme-t-on que la colonisa- territoires ont été revendiqués dès 1916 pour tion allemande des zones forestières n’a correspondre à une Roumanie idéale. Les commencé qu’au XIIIe siècle (p. 478), alors Roumains pensent plus au Siebenbürger qu’en réalité elle a eu lieu dès le XIe siècle (Transylvanie) à la Bucovine et au Banat et même dans des régions inhabitées ? » qu’à la Bessarabie pourtant peuplée de Roumains. L’auteur précise qu’il n’est déjà « De Martonne vergißt, darauf hinzu pas évident d’établir des frontières à l’ouest, weisen, daß zu diesem Rückgang nichts so mais à l’est, c’est quasi impossible : sehr beiträgt wie die brutale Politik der « Der verlauf der Grenzen wird also beherrschenden Staatsvölker. Die Ziel- nicht so sehr eine Frage des Rechtes, als bewußte Vernichtung des deutschtums im der Macht sein, oder es werden andere, heutigen Polen ist bekanntlich das schlim- strategische und besonders wirtschaftspoli- mste Kapitel in diesem Zusammenhang. » tische Gründe massgebend für die Grenz- (p. 241) festlegung werden mussen. » (p. 545) « De Martonne oublie d’indiquer que « Le tracé des frontières n’est donc pas rien ne contribue plus à ce recul que la poli- tant une question de droit que de pouvoir ou tique brutale des citoyens dominants. alors ce doit être d’autres raisons détermi- L’éradication programmée du caractère nantes, stratégiques et principalement de allemand dans l’actuelle Pologne est politique économique, pour l’établissement comme on sait le chapitre le plus funeste des frontières. » dans l’ensemble ». L’auteur développe l’exemple de terri- toires revendiqués par la Roumanie aux dépens de la Bulgarie, qui ne sont pas peu- Zeitschrift der Gesellschaft plés de Roumains mais qui ont une impor- für Erdkunde zu Berlin tance politique pour l’Etat roumain.

1931 Th. Arldt passe en revue les différentes régions roumaines ou revendiquées par la N. Krebs, dans ses « literarische Roumanie. Ces considérations seraient à Besprechungen » sur le tome 4 de la GU comparer avec les données de Schmidt- (volume 1), (p. 305-307) souligne le problè- Rössler (1994) et de Martonne. L’auteur se me des noms de lieux à savoir le nom méfie beaucoup des statistiques fournies par anciennement allemand, nouvellement les . Pour T. Arldt, la Valachie est polonais ou bohémien, qu’il faut soit garder indiscutablement de langue roumaine. La dans la langue d’origine ou traduire en Dobroudja n’est pas dans le même cas français. puisque sept peuples différents habitent cette région ; les Roumains ne dominent pas en nombre, ce sont les Turcs et les Bulgares. • La Roumanie Pour l’auteur, la Roumanie veut récupérer la Dobroudja pour une raison essentiellement Geographische Zeitschrift économique : en effet depuis l’annexion de la Bessarabie par les Russes, la Roumanie n’a 1916 plus d’accès à la mer Noire. A l’intérieur de Band XXII la frontière actuelle (de 1916) du royaume de Heft 10 Bulgarie vivent soixante-dix mille Roumains le long du Danube. L’auteur, tout en précisant Th. Arldt, dans son article « Die territo- que trois millions de Roumains vivent dans rialen Ansprüche Rumäniens und ihre l’Empire d’Autriche-Hongrie (dans le Banat, völkischen und wirtschaftsgeographi- la Transylvanie et en Bucovine), affirme schen Grundlagen » (p. 545-556) critique comprendre l’agitation des Roumains mais le double jeu de la Roumanie. Pour lui, des précisent que ces derniers oublient qu’ils ne

Grafigéo 2007-33 87 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale vivent pas seuls sur le territoire, qu’il ne s’agit cinquante ans passés sous autorité roumai- pas d’un rein-rumanisch Gebiet (d’un ne. Il aboutit aux mêmes conclusions sur le territoire purement roumain), mais qu’il y a plan géographique ; les frontières naturelles d’autres minorités en plus grand nombre et des Alpes et des Carpates de Transylvanie dont la signification économique et culturelle sont pratiquement inhabitées : c’est différent dépasse les Roumains (p. 548). Le Banat se du concept de région complémentaire de situe entre la Rivière Teiss et la Transylvanie E. de Martonne. Arldt place volontiers la à l’ouest des montagnes frontalières du Bihar. Bessarabie sous l’état roumain pour des rai- Ici les Roumains vivent en société fermée du sons économiques : il se prononce pour Danube au sud jusqu’à Grosswardein au transformer la Roumanie en grenier à blé de nord, surtout dans la partie montagneuse. Ils la Mitteleuropa. En effet, les produits agri- ne constituent la majorité que dans quelques coles de la région sont importants : maïs, endroits et se partagent l’espace avec des blé, fruit, vin, tabac, melon. Allemands, des Serbes et des Magyars. Dans la région de Transylvanie, les Roumains L’auteur conclut que les Roumains doi- vivent à côté des Magyars et des Allemands. vent renoncer à l’idée de se réunifier avec S’ils ont la majorité absolue dans une grande leurs frères de l’arc carpathique intérieur partie du pays, pour un quart leurs revendica- (p. 555), car la « Landesnatur » (nature du tions sont « vollkommen unberechtigt » pays), les intérêts politiques de l’Autriche- (complètement injustifiées). La Bukovine Hongrie y sont contraires. Arldt propose de comporte des populations fortement mélan- mettre ces Roumains de l’intérieur des gées de Roumains, d’Allemands et d’Ukrai- Carpates sous la protection de l’Autriche- niens. En Bessarabie, les Roumains consti- Hongrie. Sinon, il y a conflit avec le princi- tuent la majorité des six huitièmes des Kreis pe des nationalités. De toutes façons, dans (circonscriptions administratives) et dans les l’état roumain, il y aura des minorités non autres, les minorités représentent un poids roumaines qui devront renoncer à un état de important ; les deux circonscriptions qui ne leur nationalité. Aucun état national ne sont pas à majorité roumaine, à l’ouest et au semble possible, il faut donc plutôt s’ap- nord de l’embouchure du Dniestr, sont à puyer sur des raisons économiques qui majorité ukrainienne. Au sud, en outre, les dépendent de la nature des sols. Il aboutit à minorités turques, bulgares et allemandes une idée identique à celle de E. de Martonne sont importantes. A l’intérieur de la Russie mais n’en fait pas la même application : vivent un million de Roumains. L’auteur fait « Nicht reine Nationalstaaten werden die un parallèle entre le peuple roumain et le peu- zukünftigen Staaten sein können, nicht völ- ple allemand : ils se sont heurtés aux Français kische Einheiten, sondern vielmehr wirt- à un moment de leur histoire, ils sont épar- schaftliche, […]. Dann lässt sich auch eher pillés en plusieurs îlots linguistiques. eine zufriedenstellende Abgrenzung der Pour l’auteur, il est impensable de ras- Staaten finden als nach rein völkischen sembler toutes les minorités sous un même Gesichtspunkten ». (p. 556) état. En plus, une constitution en état n’est « Aucun véritable état-nation ne peut pas nécessaire, cf l’exemple de l’Autriche- être possible, aucune unité nationale, mais Hongrie et de l’Allemagne : il y a alliance plutôt une unité économique […]. Ensuite entre les deux sans que ce soit un seul état. on trouvera plutôt une délimitation satisfai- Il fait une différence entre les colonies alle- sante des états que des points de vue sur la mandes actives et les colonies roumaines pureté ethnique. » passives. Il reconnaît que les revendications rou- 1918 maines sont légitimes pour des raisons his- Band XXIV toriques, non sur le Banat et la Transylvanie, mais plutôt sur la Bucovine et en particulier Dans son article « Rumänien », (p. 310- sur la Bessarabie en raison des quatre cents 314), Arthur Dix écrit :

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« Die politische Geographie hat keine d’une superficie de trois cent mille absoluten Gesetze, die zu allen Zeiten, kilomètres carrés : unabhängig von jedweden anderen Ein- « Denn, was besonders wichtig ist, der flüssen, in gleichem Grade zur Geltung Umriss Gross-Rumänien nähert sich übe- kämen….so gäbe es keine politische rhaupt stark der Form eines Kreises. In Geschichte. » (p. 310) Wirklichkeit ist er allerdings mehr ellip- « La géographie politique n’a absolu- tisch. Damit hat Gross-Rumänien – und das ment aucune loi, qui de tout temps, serait ist unter sonst gleichen Umständen auch indépendante de toutes autres influences, au politisch und strategisch gewiss nicht même degré de valeur… Ainsi il n’y aurait bedeutungslos – ein Minimum an Umfang plus d’histoire politique. » im Vergleich zu seiner Fläche. » (p. 165- 166) Pour l’auteur, la Roumanie trouve ses « car ce qui est particulièrement impor- frontières naturelles avec le Danube, les tant, c’est que le contour de la grande rou- Carpates et la rivière Pruth. Dans la manie se rapproche très fortement de la Bessarabie voisine vivent beaucoup de forme d’un cercle. En réalité, la forme est Roumains et la région leur a appartenu plutôt elliptique. Ainsi la grande Roumanie avant. En 1878, la Russie se l’est appropriée a un minimum de frontière en comparaison et a donné en compensation la Dobrouja de sa superficie – ce n’est certes pas sans alors sans intérêt économique, avec un faible signification politique et stratégique. » lien ethnographique, mais qui a pris de l’im- portance par la construction d’un pont ferro- La Roumanie est un état agricole, non viaire à Tchernawoda et la construction industrialisé, avec des montagnes quasi d’une voie ferrée jusqu’à Konstanza. vides d’habitants (10 hbts/km2) qui consti- tuent un obstacle à la circulation : ce sont les Sur le plan ethnographique, l’auteur fait inconvénients majeurs de ce nouvel état, qui remarquer que les Carpates sont une fron- ne possède par ailleurs que peu de lignes tière naturelle avec la Hongrie. De plus, là ferroviaires et peu de routes (p. 166). vivent des colonies allemandes et magyares L’auteur insiste sur les inconvénients qui forment une enclave entre ce qui appar- économiques dus aux nouveaux tracés. Ici tient politiquement à la Roumanie et les apparaissent clairement les différences de habitants hongrois de Roumanie. A propos conception avec le concept demartonnien des constructions militaires qui ont avant- de région. Avec les nouvelles frontières, les guerre protégé le royaume de Roumanie Carpathes se retrouvent au centre du pays. contre la Russie, on peut aussi envisager L’auteur présente ce qui constituait avant un qu’elles puissent servir à aller au-delà de la avantage comme un inconvénient. Il cri- frontière du Pruth dans une offensive vers tique le nouveau tracé des frontières de la l’Est. Roumanie qui ne correspond à aucune fron- tière naturelle. Selon lui, ce n’est pas un « espace-frontière », mais une frontière 1923 linéaire dénuée de sens. Seules ont primé les raisons politiques et stratégiques du vain- J. Sölch, dans son article « Gross- queur (p. 168-169). rumäniens politisch-geographische Stel- lung », (p. 164-177), décrit géographique- Mais l’auteur reconnaît qu’une partie des ment et politiquement la nouvelle frontières n’est pas mauvaise : Roumanie d’après guerre. Pour lui, elle res- « Zum Glück für Gross-Rumänien sind semble à une tête de Janus qui regarde aussi wenigstens die übrigen Grenzen im allge- bien vers l’Ouest que vers l’Est. Comme mein nicht schlecht. Süd : Donau, Küste des E. de Martonne, il s’intéresse à sa forme qui schwarzen Meeres im Osten, Nord-Ost : ressemble presque à un cercle, à une ellipse Dnjestrtal » (p. 169).

Grafigéo 2007-33 89 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

« Heureusement pour la grande Rouma- conception de la géographie régionale et nie, les frontières restantes sont au moins d’organisation du plan : dans l’ensemble acceptables : le Danube au « Avant tout, un aperçu sur l’agencement sud, la côte de la mer Noire à l’Est et la du matériau nous donne une idée de la vallée du Dnjestr au Nord Est ». méthode d’analyse régionale. » « Das sind laut gute natürliche Grenzen » (p. 169). « Après une discussion introductive sur « Ce sont de bonnes frontières natu- le concept d’Europe centrale, le livre aborde relles ». les généralités. Le climat, le relief, l’eau, la flore et la faune, sont abordés successive- Toutefois l’auteur précise que ces fron- ment et sont dans le fond étudiés comme tières ne sont pas toujours facilement défen- dans la géographie allemande. On peut dables contre une attaque, comme par cependant ergoter si cela est approprié de exemple au Nord Ouest contre une attaque commencer par le climat et si dans une ana- hongroise. Le géographe allemand se posi- lyse régionale moderne, un chapitre général tionne dans une logique de guerre et non et indépendant sur les sols ne serait pas plus dans une logique de « région » et de vie nécessaire. Mais de tels débats n’ont pas régionale pacifique. lieu d’être ici. La géographie humaine n’est pas étudiée de la même façon que dans la J. Sölch rappelle en conclusion que la géographie régionale allemande. Comme Roumanie est passée entre 1914 et 1923 de dans l’agencement des autres tomes de la huit à seize millions d’habitants grâce aux Géographie universelle, la population (et nouveaux tracés des frontières. Tous ne sont son développement) et les nationalités, états pas roumains. Le siebenbürgische Hoch- et groupes économiques ne sont étudiés que land (plateau de Transylvanie) est par dans deux chapitres généraux . De façon exemple peuplé en majorité de Magyars. De délibérée, les généralités sur la géographie plus, l’annexion de la Bessarabie jusqu’au des populations sont incomplètes. Il est pos- Dnjestr a englobé des Ukrainiens, des sible que dans le second volume les diffé- Allemands, des Bulgares. La nouvel- rents phénomènes de la géographie humai- le Dobroudja est presque peuplée unique- ne soient répétés sous forme de résumé. ment de Turcs et de Bulgares (p 171). C’est ainsi que Sion dans les deux volumes sur l’Asie des Moussons a procédé. Mais en La Roumanie doit donc compter sur un principe, les éléments portant sur l’occupa- irrendisme à l’intérieur de ses frontières, car tion humaine, l’économie, les transports et beaucoup de minorités y sont englobées. la culture sont laissés à l’appréciation de Donc pour J. Sölch, ces nouvelles frontières chacun qui ensuite les ordonne librement. de la Roumanie sont loin de s’accorder avec Dans l’analyse régionale de l’Allema- les Quatorze points de Wilson. gne, qui suit les généralités, se trouve en premier lieu un chapitre général sur le • La facture de la GU : l’organisation du peuple et l’état. Ensuite viennent immédia- plan et la bibliographie tement les différents paysages, à vrai dire non les petites entités qui correspondent aux « pays » de Vidal de la Blache, mais des Geographische Zeitschrift blocs de paysages qui se subdivisent en sous-unités. On trouve successivement les 1932 pays rhénans du sud, le pays rhénan du nord, l’espace industrialisé de Westphalie, le L’article de H. Schmitthenner « Eine pays souabe et la Franconie, les Alpes et le französische Geographie von Deutsch- plateau subalpin, les bordures de Bohême land » (annexe 6) est particulièrement expli- (la forêt bavaroise et bohêmienne, le cite sur les achoppements de méthode, de Palatinat supérieur et la montagne de Fichtel

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– les monts Métallifères et la plaine de doit être claire et doit reposer sur un princi- Saxe –, les Sudètes et la plaine de Silésie), la pe unique. Mais le classement que suit l’au- Thuringe et le pays de la Weser, la grande teur n’est pas clair. La base pour différencier plaine du nord de l’Allemagne et enfin, ses les paysages est la tectonique. Dans l’asso- ports et ses grandes villes. […] ciation du piedmont alpin et des Alpes, elle Des chapitres généraux constituent la fin est déjà montrée en faveur de la continuité de la présentation, comme dans la plupart spatiale. Mais le plus grave, c’est qu’avec des études régionales françaises depuis les Monts Métallifères et les Sudètes qui P. Vidal de la Blache, et deux paragraphes sont décrits comme paysages de bordures traitent de l’agriculture et de l’industrie, du de la Bohême, les plaines de piedmont commerce et du transport. soient aussi mentionnées comme paysages Cet agencement place l’État et le peuple de bordures de la Bohême, de même qu’en en premier ou comme résultat des généra- Allemagne centrale, la marge de Bohême lités. Au contraire, l’économie et les trans- soit étendue jusqu’à Bitterfeld-Golpa. Dans ports semblent être la résultante des la répartition spatiale, les monts Métal- considérations précédentes. Par cette façon lifères, la plaine de Saxe, les Sudètes et la de procéder, la présentation de chaque pay- plaine de Silésie sont en effet des unités sage gagne en vivacité et les paragraphes paysagiques. Mais selon une répartition tec- récapitulatifs peuvent être plus descriptifs tonique, cela est impossible. De plus, les que explicatifs et analytiques, parce que la villes de Breslau et Leipzig ne sont pas recherche et les causes originelles se trou- détaillées ici, mais le sont comme villes de vent dans la description du paysage. Mais il la grande plaine du Nord. me semble que la causalité géographique ne Un agencement des paysages clair et gagne pas ainsi. Les relations des faits géographiquement incontestable présuppo- anthropogéographiques les unes avec les se que l’espace le plus étendu à ordonner autres et avec la nature de l’espace dans sa soit parfaitement clair et géographiquement globalité sont souvent estompées. Le cha- caractérisé. Mais l’auteur ne donne déjà pitre sur le peuple et l’Etat apparaît comme dans son introduction générale aucune défi- une condition préalable et on ne retrouve nition du concept d’Europe centrale. C’est plus les causes profondes. Le chapitre sur la simplement pour lui une somme d’entités vie économique et les transports deviennent étatiques. Une définition de l’espace alle- parfois presque un cours d’économie. Il est mand est alors dans une telle conception résolument plus approprié de placer les aussi inutile, car l’Allemagne est simple- généralités de la géographie humaine ment le Reich allemand dans les frontières (quand celle-ci n’apporte rien pour la réca- de 1919. En procédant de cette façon par pitulation, dans le résumé) dans les grands manipulation, il est inévitable que tout prin- sous-ensembles, en l’occurrence ici cipe géographique de répartition échoue. l’Allemagne, dans les causes géogra- Ainsi dans le livre on évite soigneusement phiques, et de seulement ensuite les intro- de poser la basse plaine du Rhin supérieur duire dans l’analyse des paysages spéci- comme une unité et les Vosges et la forêt fiques. C’est seulement ainsi que l’écrivain noire comme une construction jumelle, ce et le lecteur sont obligés d’examiner à fond qu’elles sont et comme les a déjà décrites les causalités géographiques. Avec un tel Elie de Beaumont. C’est aussi ainsi que agencement, ce ne serait plus possible de commence le profil à travers la zone hercy- mettre la densité de population comme une nienne en bordure gauche avec la montée de condition, une hypothèse dans l’introduc- la Forêt Noire en laissant de côté la plaine tion à l’Allemagne et de pouvoir échapper à rhénane et les Vosges. Ce n’est que dans la une analyse politique et géographique du carte (qui est dessinée d’après l’auteur Reich et des régions. Bernegg) que l’Alsace est comprise. L’unité Dans une étude régionale, la présentation du Rhin supérieur est tout simplement de l’espace en paysages caractéristiques repoussée avec cette remarque, elle n’a

Grafigéo 2007-33 91 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale qu’une signification historique. Quand les dans un domaine dans lequel l’auteur est bordures de la Bohême sont réunies dans un dans son élément, des travaux de base unique chapitre de la plus grande hété- comme le livre de Friedrich Metz sur les rogénéité, mais que la Bohême intérieure, pays du Rhin supérieur et les travaux des qui constitue le socle de l’organisation du journées géographiques allemandes de paysage, sorte comme une construction de 1927 à Karlsruhe sont passés sous silence, l’Etat autonome, quand à cette occasion ce ce n’est pas un hasard, c’est une tendance territoire est séparé de la moyenne mon- politique. Même pour la haute Silésie, le tagne saxonne et de la basse plaine de choix de la bibliographie relève de cet Leipzig au bénéfice du bassin de Thuringe esprit. Le lecteur doit principalement être et qu’à d’autres endroits, on mentionne que mis en garde contre la bibliographie pro- la Prusse orientale est comme une île loin- posée, car elle montre les nouveaux tracés taine d’une colonie allemande, que le corri- des frontières de l’Europe centrale comme dor polonais et même Dantzig ne sont pas un non-sens géographique. » traités, là ce sont des preuves que l’ajuste- ment à la politique induit l’auteur en erreur, 1933 ce qui ne peut échapper au lecteur critique. Band XXXIX Comme l’analyse régionale décrit l’Allema- gne dans les frontières du reich, il aurait été J. Sölch, dans son article « der zweite logique de renoncer aussi dans le détail de Band von E. de Martonne’s Mitteleuropa », l’agencement du texte à présenter les pay- (cf. annexe 7) critique la bibliographie, sages naturels et de s’en tenir à l’unique des- pourtant en allemand, donnée à la fin de cription des frontières administratives. C’est chaque chapitre comme étant arbitraire ou comme si le texte revenait à la manière de due au seul hasard : voir que la science allemande a depuis long- « Aber das am Schluß jedes Teils bei- temps dépassée au cours d’un siècle de tra- gefügte Schriftenverzeichnis macht doch vail méthodique qui s’étend de la parution sehr stark den Eindruck des Zufälligen oder des Fondements de la géographie de des Willkürlichen, wobei man sich nicht Gatterer (1775) à celle du premier volume immer darüber klar wird, was zufällig und sur la Chine de Richthofen. L’auteur s’attri- was willkürlich sein mag. Ist es z. B. Zufall bue de façon catégorique de se tenir sur le oder Absicht, daß ein so wichtiges Werk wie sol de la science moderne et cependant renie H. Hassinger “Tschechoslovakei” nicht et violente son esprit. Les erreurs logiques genannt wird ? » (p. 237) qui en résultent ne sont pas d’origine « Mais la bibliographie fournie à la fin de inconsciente, mais sont parfaitement cons- chaque chapitre laisse très fortement une cientes et se déplacent de façon douteuse impression de hasard ou d’arbitraire, où on vers les sphères morales. » n’arrive pas à déterminer ce qui relève du Après avoir critiqué les erreurs de hasard et ce qui relève de l’arbitraire. Est-ce logique dans l’agencement du plan, l’auteur par exemple par hasard ou volontaire qu’un n’est pas satisfait de la bibliographie utilisée ouvrage si important que “Tschechoslova- par E. de Martonne : kei” de H. Hassinger ne soit pas cité ? ». « Dans un survol général, on ne peut exiger que l’utilisation de la bibliographie J. Sölch critique en outre les erreurs ou soit partout égale et complète. Mais d’après coquilles d’impression rencontrées sur l’or- ce qu’on a suffisamment dit plus haut, elle thographe de certains noms de lieux et noms est insuffisante. Les indications bibliogra- propres : phiques sont placées à la fin des chapitres « Gewiß kann jeder von uns einmal correspondants. Souvent le choix semble einen Druckfehler übersehen, aber der kun- dû au hasard et à l’occasion pour un débat dige Leser darf nicht, ohne eigentlich dana- particulier, c’est le travail qui présente le ch zu suchen, fast auf jeder Seite solche moins d’intérêt qui est choisi. Mais quand Versehen und Übersehen finden. » (p. 237)

92 Grafigéo 2007-33 E. de Martonne : le tome 4 de la Géographie universelle (Europe centrale)

« Certes chacun d’entre nous peut passer Zeitschrift der Gesellschaft für Erd- sur une erreur d’impression, mais le lecteur kunde zu Berlin instruit ne doit pas à chaque page trouver de telles bévues et de telles négligences, sans 1931 vraiment avoir à courir après. » N. Krebs, dans son compte-rendu sur le tome 4 de la GU (volume 1), (p. 305- Geographische Wochenschrift 307) critique la bibliographie de E. de Martonne : 1933 « Aber es bleibt doch bedauerlich, wie ungleich und wie unvollständig die neuere W. Volz, dans son article « E. de Literatur verwertet ist. » (p. 305) Martonne’s Nationalitätenkarte von Mittel- « Mais il reste cependant regrettable que europa » critique la bibliographie de E. de la bibliographie la plus récente soit aussi Martonne : disparate et incomplète. » « Freilich, wenn man sich die Enfin, il vitupère contre une géographie Bibliographie dazu (S. 263) anschaut in régionale dépassée : ihrer trostlosen und kritiklosen Dürftigkeit, « altmodisch länderkundlichen Einstel- braucht man sich kaum noch über diesen lung » (p. 305) seltsamen Mangel an wissenschaftlicher « une manière de concevoir l’analyse Exaktheit zu wundern. » (p. 333) régionale démodée. » « A vrai dire quand on regarde la biblio- graphie (page 263), dans sa pauvreté déso- lante et son manque d’esprit critique, on a à peine besoin de s’étonner de cette rare absence d’exactitude scientifique. »

Conclusion

E GÉOGRAPHE FRANÇAIS Emmanuel 1993) » (Palsky, 2001, p. 84). L’action de de Martonne marque de son E. de Martonne au Comité d’études illustre empreinte la première moitié du les potentialités et les limites du travail des Le XX siècle et l’espace centre-européen. géographes dans le tracé de nouvelles fron- tières. La géographie des frontières reste En effet, devenu chef de file de l’École avant tout politique. française de géographie à la mort de Paul Vidal de la Blache en 1918, il assure à sa A travers les propositions du Comité d’é- discipline un grand rayonnement sur le plan tudes comme dans l’œuvre scientifique national et international par le rôle scienti- impressionnante que constituent les deux fique et institutionnel qu’il joue. Géomor- volumes du tome 4 de « Géographie phologue reconnu et éminent spécialiste de Universelle », E. de Martonne entre en l’Europe centrale, il met entre parenthèses conflit plus ou moins ouvert et plus ou son action d’expert-géographe au Comité moins violent avec les géographes alle- d’études qui a préparé les nouveaux tracés mands. Période charnière dans l’histoire de des frontières de l’Est après la Première la géographie européenne, l’époque d’E. de Guerre mondiale. G. Palsky rapporte l’en- Martonne voit l’École française de géogra- trevue de 1947 entre E. de Martonne (alors phie supplanter le « modèle » que constitue âgé de 74 ans) et le géographe hongrois l’École allemande. Dans la concurrence Andràs Rónai venu lui présenter un atlas de scientifique – mâtinée de géopolitique – qui l’Europe centrale. Après une première visi- agite parfois fortement les géographes de te qui tourne court, le géographe français part et d’autre du Rhin, des transferts s’opè- rappelle son collègue hongrois et « le com- rent, en continu ou en discontinu, sur des plimente pour l’atlas, soulignant combien concepts fondamentaux comme ceux de les données statistiques sont difficiles à réu- « région » et de « frontière ». nir pour la région. Il reconnaît ses erreurs dans l’utilisation des statistiques roumaines Ces transferts, passionnants à étudier, ne en 1919, mais quoi qu’il en soit, les déci- posent, à l’époque d’E. de Martonne, aucun sions ont été prises par les politiciens, et lui- problème d’accès à la langue : les érudits même n’a joué qu’un rôle mineur (Rónai, français connaissaient la langue de Goethe

Grafigéo 2007-33 95 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale et les érudits allemands, celle de Molière. Il nécessite donc de s’atteler à un travail de n’en est plus de même aujourd’hui ; appro- fond de traduction de textes géographiques fondir cette question des transferts scienti- allemands. fiques en épistémologie de la géographie Bibliographie

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Grafigéo 2007-33 99 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

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Résumés

• Français Martonne, à savoir le tome 4 de la « Géographie Universelle » intitulé « l’Eu- Ce mémoire de DEA s’inscrit dans un tra- rope centrale » a permis d’étudier quelques vail sur l’épistémologie de la géographie, et concepts-clés comme « Europe centrale », plus particulièrement sur les rapports entre la « frontière », « région », « nationalité ». géographie allemande et la géographie La filiation qui existe entre les travaux du française. En portant une attention particu- comité d’études, l’état d’esprit d’une certai- lière au géographe français Emmanuel de ne élite intellectuelle française et la position Martonne (1873-1955) et en circonscrivant du patron de l’école française de géographie l’étude à l’Europe centrale (en insistant sur peut ainsi être mieux appréhendée. Par l’Allemagne et la Roumanie), différentes ailleurs, la réception de l’ouvrage en pistes de recherche ont pu être explorées. Allemagne et les réactions plus ou moins Premièrement, comment E. de Martonne virulentes des géographes allemands ont pu a-t-il incarné le patron de la géographie être analysées grâce à deux outils méthodo- française à un moment décisif pour l’histoi- logiques : d’une part, le dépouillement re de la discipline, à savoir quand la géo- systématique d’un corpus des sept princi- graphie française devance la géographie pales revues géographiques allemandes sur allemande sur la scène internationale ? deux périodes bien définies, 1915-1925 et Deuxièmement, quel rôle E. de Mar- 1930-1935, et d’autre part, la traduction en tonne a-t-il pu jouer en tant que géographe- français d’extraits d’articles allemands. expert au Comité d’études qui a préparé les Traités de Paix mettant fin à la Première Guerre mondiale ? Ce comité a proposé des • Allemand choix pour les nouvelles frontières, en parti- culier pour celles de l’est de l’Europe. Diese Vorarbeit zu einem Promotions- Roumanophile, E. de Martonne a beaucoup vorhaben entstammt dem Bereich der geo- œuvré en faveur de la Roumanie, qui a ainsi graphischen Epistemologie und betrifft vor- doublé sa superficie et a gagné des habi- nehmlich die Beziehungen zwischen tants, d’ailleurs pas tous Roumains. deutscher und französischer Geographie. Im Troisièmement, l’analyse d’un ouvrage Zentrum des Interesses stehen der franzö- de synthèse réalisé par Emmanuel de sische Geograph Emmanuel de Martonne

Grafigéo 2007-33 101 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

(1873-1955) und seine Forschungen zur • Anglais Geographie Mitteleuropas im Allgemeinen und im Besonderen Deutschlands und The frame of this study is the epistemolo- Rumäniens. Verschiedene Implikationen sei- gy of geography and it insists on the rela- ner Arbeiten werden untersucht. tions between German geography and Erstens wird erörtert, wie E. de Martonne French geography. In focussing on the die Führungsspitze der französischen French geograph E. de Martonne (1873- Geographie in einem für die Geschichte der 1955) and in restricting the study to Central Disziplin wichtigen Moment verkörpern Europe (in insisting on Germany and konnte, dem Moment, in welchem die Rumania), different ways of research are französische Geographie auf der Weltbühne explored. gegenüber der deutschen in den Vordergrund First, how de Martonne was embodying trat. the boss of French geography at a critical Zweitens wird die Rolle des spezialisier- moment in the history of the discipline, that ten Geografen E. de Martonne im “Comité is to say when French geography gets ahead d’études” bei der Vorbereitung der Frieden- of the German one upon the world stage ? verträge nach dem Ersten Weltkrieg hinter- Second, which role has played E. de fragt. Besagtes Komitee erarbeitete insbe- Martonne as geograph-expert at the “Comité sondere die neuen Grenzen Mitteleuropas. d’études”, who has prepared the Peace E. de Martonnes Rumänienfreundlichkeit Treaties at the end of the First World War ? brachte diesem Land mancherlei Vorteil ein. This comitee has suggested choices for the So verdoppelte Rumänien seine Oberfläche new frontiers, in particuliar for East Europe. und gewann erheblich an Bevölkerung, Rumaniaphile, E. de Martonne has made a welche nicht ausschließlich rumänischer lot for Rumania : this land doubles its super- Abstammung war. ficy and wins inhabitants, not all Rumanians Drittens beinhalten die Betrachtungen zu in fact. „Zentraleuropa“ also dem Band IV von E. de Third, the analysis of a synthetic work Martonnes Geographie Universelle, die written by E. de Martonne, that is to say Analyse verschiedener Schlüsselbegriffe wie volume 4 of “Géographie Universelle” “Mitteleuropa”, “Grenze” und “Nationa- entitled “l’Europe centrale”, has allowed to lität”. Die Beziehungen zwischen der study some key concepts such as “Central Position des Leiters der französischen Europe”, “Frontier”, “Region”, “nationali- Geographie, dem Ergebnis des “Comité d’é- ty”. The relation existing between works of tudes“ und der Geisteshaltung einer gewissen the “Comité d’études”, the state of mind of intellektuellen Elite Frankreichs lassen sich such a French intellectual elite and the posi- hierdurch besser verstehen. Weiterhin wird tion of the chief of the French geographical die Erforschung der Rezeption des Bandes school can then be better examined. More- IV in Deutschland und der anschließenden – over, the reception of this work in Germany mehr oder weniger erregten – Reaktionen in and the more or less violent German reac- zwei Hinsichten methodisch vorangetrieben: tions are analysed thanks to two metho- zum einen werden die zwischen 1915-1925 dological instruments : on one hand, going und 1930-1935 erschienen Ausgaben von through a corpus of seven German main sieben der wichtigsten deutschsprachigen geographical journals corresponding at two Fachzeitschriften systematisch ausgewertet periods of times, 1915-1925 and 1930-1935, und zum anderen einschlägige Textstellen in and on the other hand, the translation into die französische Sprache übersetzt French of German article extracts.

102 Grafigéo 2007-33 Résumés

Rezumat

Aceast diserta ie de master este o lucrare care se concentreaz pe epistemologia geografiei i mai ales pe raportul dintre geografia german i geografia francez . Acordând o aten ie deosebit geografului francez Emmanuel de Martonne (1873-1955) i delimitând studiul la Europa central (prin insisten a asupra Germaniei i României), au putut fi explorate diferite piste de cercetare.

În primul rând, de ce a fost considerat Emmanuel de Martonne patronul geografiei franceze într-un moment decisiv pentru istoria acestei discipline, mai precis când geografia francez o întrece pe cea german pe scena interna ional ?

În al doilea rând, ce rol a putut juca Emmanuel de Martonne ca geograf expert la Comitetul de studii care a preg tit Tratatele de Pace, punând astfel cap t Primului Razboi Mondial ?Acest comitet a f cut propuneri în privin a noilor frontiere, în special în ce prive te frontiera de est a Europei. Românofil, E. de Martonne a ac ionat mult în favoarea României. Aceasta din urm i-a dublat suprafa a i a dobândit noi locuitori, care de altfel nu sunt to i români.

În al treilea rând, analiza unei lucr ri de sintez , realizat de Emmanuel de Martonne, mai precis « Geografia Universal » volumul 4 intitulat « Europa central », a permis studiul câtorva concepte-cheie precum « Europa central », « frontier », « regiune », « na ionalitate ». Asfel, putem întelege mai bine leg tura dintre lucr rile comitetului de studii, starea de spirit a unei anumite elite intelectuale franceze i pozi ia patronului colii franceze de geografie. Pe de alt parte, modul în care aceast lucrare a fost primit în Germania i reac iile mai mult sau mai pu in virulente ale geografilor germani au putut fi analizate datorit metodologiei folosite: pe de o parte, extragerea sistematic de date dintr-un corpus alc tuit din cele apte reviste principale de geografie din Germania, extragere ce s-a f cut luând în considerare dou perioade de timp bine definite, i anume 1915-1925 i 1930-1935; pe de alt parte, traducerea în francez a unor extrase din articolele germane.

Grafigéo 2007-33 103 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Résumé en russe

, , , . (1873-1955), , - , , , . : - , , .

– . - , , . , (Comité d’études), , . , , . , . ,

, , . - , „l’Europe centrale“ ( „Géographie Universelle“), . , , « », « », « ». . ,

. , „Géographie Universelle“ , , , - , , , 1915-1925 1930-1935 ., - , .

104 Grafigéo 2007-33 ANNEXES Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Liste des annexes

Annexe 1 – La définition de l’Europe centrale selon E. de Martonne ...... 107

Annexe 2 – Organigramme du fonctionnement du Comité d’études réalisé par O. Buirette ...... 108

Annexe 3 – Tableau des revues allemandes dépouillées ...... 109

Annexe 4 – Quatre cartes des pays appartenant à l’’Europe centrale dans les « Géographie Universelle » de 1810, 1878, 1930 et 1990 ...... 110

Annexe 5 – Origine des auteurs de la bibliographie du chapitre sur la Roumanie dans la GU de E. de Martonne ...... 112

Annexe 6 – Traduction originale en français de l’article de H. Schmitthenner « Eine französische Geographie von Deutschland » in Geographische Zeitschrift, 1932, Band XXXVI, p. 22-29 ...... 113

Annexe 7 – Article en allemand partiellement traduit en français de J. Sölch, « Der zweite Band von E. de Martonne’s Mitteleuropa », in Geographische Zeitschrift, 1933, p. 235-242 ...... 120

Annexe 8 – Carte de l’Europe pendant la Première guerre mondiale in Duroselle J.-B., L’Europe de 1815 à nos jours, Nouvelle Clio, 1995, p. 178-179 . . . 126

Annexe 9 – Carte de l’Europe après les traités de paix (1919-1923) in Duroselle J.-B., L’Europe de 1815 à nos jours, Nouvelle Clio, 1995, p. 186-187 . . . 127

Annexe 10 – Carte de la formation du territoire roumain in Foucher M. , Fragments d’Europe, Atlas de l’Europe médiane et orientale Paris, Fayard, rééd. 1998, p. 165 ...... 128

Annexe 11 – Carte ethnographique d’Emmannuel de Martonne, « La Roumanie et son rôle dans l’Europe orientale » in La Géographie, vol. XXX, 4, 1915, p 241-250 reprise par Palsky G., 2001, p. 79 ...... 129

Annexe 12 – Photographies d’Emmanuel de Martonne en Roumanie en 1937, fonds E.H.GO, UMR Géographie-cités, don de Robert Ficheux ...... 133

Annexe 13 – Plaques de verre prises par Emmanuel de Martonne en Roumanie, fonds UMR PRODIG ...... 137

106 Grafigéo 2007-33 Annexes

Annexe 1 – La définition de l’Europe centrale selon E. de Martonne

Europe occidentale Europe centrale Europe orientale (Russie)

+ + ou - - « le mélange des plaines et morcellement : des montagnes » (p. 2) qui la « morcellement physique divisent en compartiments « massive Russie, encore Géographie physique caractéristique de l’Europe séparés : « bourrelet des asiatique par ses immenses occidentale », dans les Alpes », « Carpates », plaines» (p. 1) « immensité contours des rivages « Massifs forestiers de russe » (p. 2) maritimes Bohème et de l’Allemagne sud-occidentale » « à côté des fleuves de Rhin et Danube « ..mais ils le cèdent de l’Europe occidentale, le Rhin Fleuve beaucoup aux fle uves et le Danube sont des russes » (p.2) géants. » (p. 2) géants nains « L’Europe centrale tient encore du milieu : l’hiver de Prague, très rigoureux pour le océanité parisien est vraiment tempéré Continentalité « Europe occidentale, qui doit pour le Moscovite » « Eloignement de la mer Climat à l’océan des hivers plus doux + diversité apportée par les exagère les oscillations du avec des été plus tempérés » contrastes régionaux, climat » (p. 2) (p. 2) différenciation du relief, forte diversité à l’intérieur de l’ensemble Europe centrale « canalisées dans les couloirs qui s’ouvrent entre les montagnes de l’Europe Les vagues des invasions centrale, les invasions y ont asiatiques se sont étalées « propre à la fusion des Eléments ethniques parfois été arrêtées sans largement dans les immenses éléments ethniques » (p. 2) parvenir jusqu’à l’Europe plaines russes », « bariolage occidentale (p. 2), « groupes des types humains » (p. 2) nationaux d e caractère local » (p. 2), « lieu de passage et carrefour Communication - + de routes » (p. 2) instabilité jusqu’au 19 e siècle [Europe centrale] « reste Politique « très solide » (p. 3) moins solide que l’Europe moins organisée occidentale, plus organisée cependant que l’Europe orientale » (p. 3) « états modernes qui ont cherché trop tard à réalis er Développement économique « synthèse des races » (p. 2) une synthèse des races » (p. 2)

Grafigéo 2007-33 107 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Annexe 2 – Organigramme du fonctionnement du Comité d’études réalisé par O. Buirette

Délégations de plénipotentiaires des différents Etats (envoient à la conférence des mémoires, des notes, des ouvrages sur leurs revendications)

transmettent au

Comité d’études dont le secrétaire est de Martonne (traduit, analyse et fait des synthèses des ouvrages des plénipotentiaires)

qui propose à

André Tardieu : délégué à la conférence de la Paix (préside plusieurs commissions territoriales et transmet les analyses au Comité) préside et suggère les solutions

aux

commissions territoriales qui font des suggestions souvent acceptées par le Conseil de la Conférence de la Paix

Conseil de la conférence de la Paix Prend et fait appliquer les décisions territoriales

108 Grafigéo 2007-33 Annexes

Annexe Les prin c3ip -a lTableaues revues des alle mrevuesandes dallemandese géographie dépouillées (1918)

Année du Année Réseau et ancrage Editeur/ Revue premier du dernier privilégiés Commentaires Rédacteur en chef numéro numéro

E. Behm (…1914) Présentations des résultats H. Wagner (1915- de recherches les plus G J 1866 1983 1929) Editeur Perthes nouveaux, très importante Ludwig Mecking à la fin du 19°s, mais (1930-) concurrencée ensuite Forte empreinte de Alfred Hettner Revue primordiale avec l’éditeur Hettner (…1934) public de chercheurs (pour concurrencer G Z 1895 … Heinrich internationaux, les « Petermanns Schmitthenner d’enseignants, de militaires, Geographische (à p. 1935) d’administratifs Mitteilungen »)

Franz Foetteble (…1914) Intérêt thématique Revue primordiale pour la Fritz Machatschek MOgG 1857 … pour l’échelle géographie scolaire et (1915) nationale universitaire Hermann Leiter (1916-…)

GW 1935 ? Devenue Revue grand public pour

Zeitschrift 1933 Irmfried Siedentrop informer des recherches et

fuer réflexions géographiques 1944 Erdkunde

Hermann Haack, Heinrich Fischer, Revue primordiale pour la Albert Mueller Edition Perthes géographie scolaire. Public G A 1900 1944 (1915-1923) pour les enseignants essentiellement Hermann Haack d’enseignants (1924-1944) W. Koner (1866- 1914) Alfred Merz (1915- Revue primordiale avec 1918) ZGEB Intérêt thématique public de chercheurs Walter Behrmann 1866 1944 pour l’échelle internationaux, (1919-1922) nationale d’enseignants, de militaires, Bernhard Brandt d’administratifs (1923-1929) Albrecht Haushofer (1930-1944) Revue créée par la jeune génération de géographes de l’époque. Public de Karl Haushofer Tribune des partisans scientifiques mais aussi Z G 1924 1968 (1915-1935) de la géopolitique. public plus large. Thème privilégié de l’interprétation spatiale sous l’angle géopolitique.

Grafigéo 2007-33 109 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Annexe 4 - Quatre cartes des pays appartenant à l’Europe centrale dans les « Géographie Universelle» de 1810, 1878, 1930 et 1990

110 Grafigéo 2007-33 Annexes

Grafigéo 2007-33 111 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Annexe 5 – Origines des auteurs de la bibliographie du chapitre sur la Roumanie dans la GU

Dont Dont Dont Dont Chapitre Nombre en en en en Autres total allemand français anglais roumain

de M : XLIV 4 0 2 0 1 0 « L’Etat et les populations » 1

XLV de M : « La Roumanie carpatique : Massif transylvain - 21 5 4 0 9 0 banatique, Massif de Bucovine, Carpates 3 moldaves »

XLVI de M : « La Roumanie carpatique : Transylvanie et 18 5 2 0 9 0 Bihor » 2

XLVII de M : « Collines et plaines danubiennes de la 16 0 2 0 10 0 Valachie» 4

de M : XLVIII 1 27 7 2 0 16 « La plate-forme moldave et la Dobrogea » (russe) 3

XLIX 14 1 8 1 4 0 « La vie économique » 21 de M1 1 Total 100 18 1 48 1

112 Grafigéo 2007-33 Annexes

Annexe 6 – Traduction originale en français de l’article de H. Schmitthenner « Eine französische Geographie von Deutschland » in Geographische Zeitschrift, 1932, Band XXXVI, p. 22-29

EST POUR nous géographes alle- une vue d’ensemble. Le climat, le relief, mands d’un grand intérêt de voir l’eau, la flore et la faune, sont abordés suc- C’l’Europe centrale et l’Allemagne cessivement et sont dans le fond étudiés avec les yeux de notre collègue français, qui comme dans la géographie allemande. Est- occupe la célèbre chaire de la Sorbonne. La ce cependant pertinent de commencer par le réputation et le pouvoir que la personnalité climat ? On peut le contester et se deman- marquante de Vidal de la Blache a donnée à der si dans une analyse régionale moderne, la chaire, E.de Martonne a su la récupérer. un chapitre général et indépendant sur les Le présent ouvrage n’est donc pas l’œuvre sols ne serait pas plus nécessaire. Mais de d’un quelconque érudit français, mais celui tels débats n’ont pas lieu d’être ici. La géo- du chef de file de l’école française de graphie humaine n’est pas étudiée de la géographie. même façon que dans la géographie régio- nale allemande. Comme dans la succession Dans leur évolution, les géographies des chapitres des autres tomes de la française et allemande sont très proches. Géographie universelle, la population (et L’indépendant Elysée Reclus a suivi les pas son évolution) et les nationalités, les Etats et de Karl Ritter à Berlin. A Nancy, qui a tou- les groupes économiques ne sont étudiés jours su garder une certaine indépendance que dans deux chapitres généraux. De façon culturelle par rapport à Paris, Vidal de la délibérée, les généralités sur la géographie Blache a plus tard repris les idée de Ritter et des populations sont incomplètes. Il se peut les a prolongées à sa façon. Dans ses jeunes que dans le second volume les différents années, E de Martonne est allé auprès de phénomènes de géographie humaine soient Richthofen à Berlin, auprès de Penck à répétés sous forme de résumé. C’est ainsi Vienne et auprès de Ratzel à Leipzig ; En que Sion a procédé dans les deux volumes tant que son élève, de Martonne s’est distin- sur l’Asie des Moussons. Mais en principe, gué par une contribution à la mémoire de les éléments portant sur l’occupation son professeur allemand Ratzel. Par consé- humaine, l’économie, les transports, la cul- quent il connaît l’Allemagne depuis sa jeu- ture sont laissés à l’appréciation de chacun nesse et aussi par de multiples voyages réa- qui ensuite les ordonne librement. lisés ensuite. Et même plus, il se sent chez Dans l’analyse régionale de l’Allema- lui dans les Alpes et au sud est de l’Europe gne, qui suit les généralités, se trouve en centrale, car il a entrepris des travaux de premier lieu un chapitre général sur le recherche de grande valeur en Valachie. peuple et l’Etat. Ensuite viennent immédia- Pendant la guerre, il a été chargé (et on le tement les différents paysages, à vrai dire ressent partout) dans le cadre des « Travaux non les petites entités qui correspondent aux du Comité d’études » du rapport sur la zone « pays » de Vidal de la Blache, mais des rhénane, le Banat, la Transylvanie, la Bessa- blocs de paysages qui se subdivisent en rabie, et la Dobroudja. Dans ces conditions, sous-unités. On trouve successivement les la géographie allemande a le droit de juger pays rhénans du sud, le pays rhénan du cet ouvrage à l’aune d’une échelle scienti- nord, l’espace industrialisé de Westphalie, le fique stricte. pays souabe et la Franconie, les Alpes et le plateau subalpin, les bordures de Bohême Avant tout, un regard sur l’articulation de (la forêt bavaroise et bohême, le Palatinat son propos nous donne une idée de la supérieur et la Fichtelgebirge – les monts méthode d’analyse régionale. Métallifères et la plaine de Saxe –, les Après une explication introductive sur le Sudètes et la plaine de Silésie), la Thuringe concept d’Europe centrale, le livre propose et le pays de la Weser, la grande plaine du

Grafigéo 2007-33 113 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale nord de l’Allemagne et enfin, ses ports et vie économique et les transports devient par- ses grandes villes. fois presque un cours d’économie. Il est Les conditions climatiques, les reliefs et résolument plus approprié de placer les la structure géomorphologique, l’eau et la généralités de la géographie humaine (quand couverture végétale, déjà vus dans les géné- celle-ci n’apporte rien pour la récapitulation, ralités, sont appréhendés dans leurs spécifi- dans le résumé) dans les grands sous- cités, à l’occasion de quoi l’accent est mis ensembles, en l’occurrence ici l’Allemagne, sur la géomorphologie. Une grande atten- dans les causes géographiques, et de seule- tion est apportée aux conditions anthro- ment ensuite les introduire dans l’analyse pogéographiques. L’implantation humaine des paysages spécifiques. C’est seulement et l’économie, les mouvements de popula- ainsi que l’écrivain et le lecteur sont obligés tion, les transports et les villes sont plus ou d’examiner à fond les causalités géogra- moins mentionnés en détail et sont à l’occa- phiques. Avec un tel agencement, il ne serait sion caractérisés par une image unique, et en plus possible de mettre la densité de popula- particulier là où les paysages sont très struc- tion comme une condition, une hypothèse turés, ils sont présentés sous forme aphoris- dans l’introduction à l’Allemagne et de pou- tique pour la clarté de l’exposé, sans souci voir échapper à une analyse politique et géo- d’exhaustivité. La grande économie alle- graphique du Reich et des régions. mande et le phénomène urbain allemand semblent beaucoup intéresser le Français. Dans une étude régionale, la présentation D’où une présentation de la Ruhr particuliè- de l’espace en paysages caractéristiques doit rement détaillée ; les villes sont aussi très être claire et doit reposer sur un principe minutieusement et longuement analysées unique. Mais la répartition que suit l’auteur dans un paragraphe. n’est pas claire. La base pour différencier les paysages est la tectonique. Dans la réunion Des chapitres généraux constituent la fin du piedmont alpin et des Alpes, elle est déjà de la présentation, comme dans la plupart montrée au bénéfice de la continuité spatia- des études régionales françaises depuis le. Mais le plus grave, c’est qu’ avec les Vidal de la Blache, et deux paragraphes trai- Monts Métallifères et les Sudètes qui sont tent de l’agriculture et de l’industrie, du décrits comme paysages de bordures de la commerce et du transport. Bohême, les plaines de piedmont soient aus- si mentionnées comme paysages de bor- Cet agencement place l’Etat et le peuple dures de la Bohême, de même qu’en Alle- en premier ou comme résultat des généra- magne centrale, la marge de Bohême soit lités. Au contraire, l’économie et les trans- étendue jusqu’à Bitterfeld-Golpa. Dans la ports semblent être la résultante des considé- répartition spatiale, les monts Métallifères, la rations précédentes. Par cette façon de plaine de Saxe, les Sudètes et la plaine de procéder, la présentation de chaque paysage Silésie sont en effet des unités paysagiques. gagne en vivacité et les paragraphes récapi- Mais selon une répartition tectonique, cela tulatifs peuvent être plus descriptifs qu’ est impossible. De plus, Breslau et Leipzig explicatifs et analytiques, parce que la ne sont pas détaillées ici, mais le sont recherche et les causes originelles se trou- comme villes de la grande Plaine du Nord. vent dans la description du paysage. Mais il me semble qu’ainsi la causalité géogra- Un agencement clair des paysages et phique n’y gagne pas. Les relations des faits géographiquement incontestable présuppo- anthropogéographiques les unes avec les se que l’espace le plus étendu à ordonner autres et avec la nature de l’espace dans sa soit parfaitement clair et géographiquement globalité sont souvent estompées. Le cha- caractérisé. Mais l’auteur ne donne déjà pitre sur le peuple et l’Etat apparaît comme dans son introduction générale aucune défi- une condition préalable et on ne retrouve nition du concept d’Europe centrale. C’est plus les causes profondes. Le chapitre sur la simplement pour lui une somme d’entités

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étatiques. Une définition de l’espace alle- L’auteur se targue de façon catégorique de mand est alors dans une telle conception se tenir sur le sol de la science moderne et aussi inutile, car l’Allemagne est simple- cependant en renie l’ esprit et lui fait violen- ment le Reich allemand dans les frontières ce. Les erreurs logiques qui en résultent ne de 1919. En procédant de cette façon par sont pas d’origine inconsciente, mais sont manipulation, il est inévitable que tout prin- parfaitement conscientes et se déplacent de cipe géographique de répartition échoue. façon douteuse vers les sphères morales. Ainsi dans le livre on évite soigneusement de poser la basse plaine du Rhin supérieur Avec ce débat, on a touché une des pages comme une unité et les Vosges et la forêt les plus fâcheuse de tout l’ouvrage. C’est noire comme une construction jumelle, ce l’art et la manière de voir comment dans ce qu’elles sont et comme les a déjà décrites livre l’économie et la politique sont indisso- Elie de Beaumont. C’est aussi ainsi que ciables et comment l’auteur sous couvert commence le profil à travers la zone hercy- d’objectivité scientifique se livre à une pro- nienne en bordure gauche avec la montée de pagande politique et poursuit un but poli- la Forêt Noire en laissant de côté la plaine tique sans jamais laisser tomber le masque rhénane et les Vosges. Ce n’est que dans la et sans dire un mot sur la politique alors carte (qui est dessinée d’après l’auteur qu’elle est immanente dans chacun de ses Bernegg) que l’Alsace est comprise. L’unité mots. Les comptes-rendus de Friedrich du Rhin supérieur est tout simplement Metz et de Norbert Krebs ont déjà montré repoussée avec cette remarque, elle n’a les grandes déformations et leurs arrière- qu’une signification historique. Quand les plans politiques. Ici, il s’agit de l’aspect bordures de la Bohême sont réunies et scientifique et je n’entrerai qu’à contre- traitées dans un unique chapitre de la plus cœur dans les débats suivants, qui ne doi- grande hétérogénéité, mais que la Bohême vent cependant pas être occultés. intérieure, qui constitue le socle de l’organi- sation du paysage, sorte comme une Dès la lecture de l’introduction sur « la construction de l’Etat autonome, quand à notion d’Europe centrale », le lecteur atten- cette occasion ce territoire est séparé de la tif est surpris. S’il a la vue d’ensemble géné- moyenne montagne saxonne et de la basse rale derrière lui, il sait que le livre est une plaine de Leipzig au bénéfice du bassin de construction géographique soutenant les Thuringe et qu’à d’autres endroits, on men- traités de paix (dictats de Versailles). Ce tionne que la Prusse orientale est comme n’est pas seulement dans l’organisation du une île lointaine d’une colonie allemande, texte mais aussi même jusque dans les que le corridor polonais et même Dantzig ne considérations morphologiques et tecto- sont pas traités, là ce sont des preuves que niques les plus anodines qu’on peut relever l’ajustement à la politique induit l’auteur en les aspects politiques. erreur, ce qui ne peut échapper au lecteur Le plus clair est le procédé scientifique- critique. Comme l’analyse régionale décrit ment insoutenable qui se traduit dans les l’Allemagne dans les frontières du Reich, il paragraphes d’anthropogéographie. aurait été logique de renoncer aussi dans le Les deux paragraphes généraux concernés détail de l’agencement du texte à présenter se réduisent à justifier la formation des Etats les paysages naturels et de s’en tenir à de 1919. Une des étapes est le profil de « la l’unique description des frontières adminis- situation au début de l’ère chrétienne ». Le tratives. C’est comme si le texte revenait à point de départ de l’époque romaine est pré- la manière de voir que la science allemande senté comme le recul des Barbares, ce qui a depuis longtemps dépassée au cours d’un en découle et les peuples actuels en sont nés. siècle de travail méthodique qui s’étend de Mais la contribution culturelle des Alle- la parution des « Fondements de la géogra- mands au Moyen âge, la colonisation alle- phie » de Gatterer (1775) à celle du premier mande, la christianisation de l’Est et les volume sur la Chine de Richthofen. combats sur le front turc sont donnés

Grafigéo 2007-33 115 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale comme une conséquence de la vague cultu- Pologne du charbon de haute Silésie origi- relle romaine (latine comme il est dit). nellement ouvert à l’exploitation par les L’idée de la Confédération du Rhin se trou- Allemands est cependant une évidence ve en arrière-plan alors que la partie orienta- juste, parce que cela correspondrait à un le allemande est caractérisée comme éloi- tracé de frontière respectant les nationalités gnée du terreau fertilisé par les Romains au et au résultat d’un plébiscite. Il s’agit là Sud et à l’Ouest, et quand l’esprit prussien d’une contre-vérité, d’un cynisme. est caractérisé comme une invasion orienta- le de la culture ouest et sud allemande repo- Après cela, on ne peut s’attendre qu’à ce sant sur des racines latines. Les répercus- que le traitement des Allemands de l’étran- sions de l’époque romaine sont sans aucun ger suive cette méthode qui correspond à doute indéniables. Mais au fil de sa pensée, l’esprit du livre. Il ne peut y avoir qu’une l’auteur fait preuve de révisionnisme. idée politique dans l’introduction sur les Quand ça lui convient, il y a anguille sous migrations allemandes vers les Etats-Unis et roche. A propos du Rhin supérieur, il écrit les pays tempérés d’Amérique latine, il est page 52 l’affirmation tendancieuse, fausse dit : « jamais pareil chiffre n’a été enregis- et mille fois démaquée, démentie par le tré dans les colonies allemandes elles- monument de pierre de la cathédrale de mêmes », car le géographe doit être cons- Strasbourg : « Le Rhin n’a pas été, comme cient qu’il pose l’un à côté de l’autre des on aurait pu s’y attendre après l’occupation choses incomparables. Et c’est avec un point romaine, un lien entre les peuples vivant sur de vue politique que le texte poursuit ensui- ses rives ». te en jetant un œil sur le sud du Brésil, le seul territoire allemand d’outre mer à pouvoir Le désaccord illogique de sa méthode être « à juste titre » considéré comme une scientifique et son univocité politique sont colonie. Pourquoi le paragraphe passe sous éclairés par les exemples suivants. Au sud- silence les relations économiques du Reich ouest, la cohésion avec l’Alsace ne peut pas avec l’étranger autre qu’autrichien, si ce être passée profondément sous silence, mais n’est avec un arrière plan politique. Il est évi- dans la Bavière orientale, en Saxe et en dent que l’esprit national est dénié aux Silésie, l’arrimage au bloc bohémien n’est Allemands hors du Reich et que l’idée natio- pas assez souligné et pas assez étendu. Car nale n’est arrivée en Allemagne qu’à partir ce n’est pas dans les intérêts de la politique de 1870. Pour l’auteur, « idée nationale » et française de mentionner les réalités de la « construction de l’Etat » sont des concepts parenté naturelle et originelle (ethnique) du identiques. Ainsi il n’y a simplement aucune sud-ouest de l’Allemagne avec l’Alsace. idée allemande avant la constitution du C’est par contre tout à fait dans son intérêt Reich allemand. de repousser tout proche de la Tchéco- slovaquie la Saxe et la Silésie en tant que Le Français est dans son droit de voir et territoires que la colonisation allemande de juger les choses typiquement allemandes aurait séparées du corps ethnique slave. de son point de vue. C’est une évidence. C’est assurément une des grandes tendances Mais pour un scientifique, cela ne va pas de du livre de présenter l’unité de la masse du soi que le regard, la représentation et le peuple allemand comme un danger pour les jugement ne reposent pas sur les connais- peuples slaves de l’Ouest non homogènes. sances mais sur le politique. L’auteur n’a Dans la Sarre le droit supérieur français sur purement et simplement rien compris à le charbon allemand est détourné de façon beaucoup de choses. Mais il a compris com- dissimulée par le fait que Napoléon Ier et ses ment tirer un profit politique de ses incom- ingénieurs auraient porté beaucoup d’atten- préhensions. Il fait face de façon embar- tion au charbon : en fait, les populations rassée aux villes allemandes. Cela ne lui est connaissaient ce charbon déjà depuis des pas venu à l’esprit que leur pluralité provient siècles. L’attribution de la part du lion à la de la pluralité du territoire qui a toujours fait

116 Grafigéo 2007-33 Annexes naître des centres politiques, économiques et lecteur allemand est à peine satisfait. Déjà culturels à des endroits différents alors que dans le paragraphe climatique des généra- l’organisation de l’espace français s’est cen- lités, il manque l’accent sur la zone clima- tralisée autour de Paris il y a déjà plusieurs tique du nord ouest de l’Allemagne. Les siècles et que là pour ainsi dire les villes bases bibliographiques de la description du anciennes et les nouvelles sont bâties à la climat sont parfaitement incomplètes et en même place. Les exigences élevées des partie vieillies. Dans le chapitre introductif villes allemandes en ce qui concerne la cul- concernant la morphologie et la tectonique, ture de l’hygiène et de la technique provien- il manque le plissement saxon. Il est men- nent du développement moderne de la ville tionné plus tard dans la montagne westpha- allemande, qui est devenue importante seu- lo-saxonne sous le concept de « relief appa- lement avec les techniques modernes, repo- lachien ». Mais cela ne suffit pas à sant avant sur des conditions naturelles peu expliquer sa signification d’ensemble. favorables. Cela n’est jamais clairement dit. Mais les remarques insérées font comme si Avec les considérations morpholo- les villes avec leurs châteaux et leurs cours giques, l’auteur entre dans un domaine qui anciennes, leurs hôtels de ville imposants, lui est familier. On y trouve quelques leurs théâtres, leurs musées et leurs gares bonnes remarques, mais aussi beaucoup de étaient à expliquer de façon complètement lacunes et d’erreurs. Les controverses scien- a-géographique, par la propension alleman- tifiques ne sont jamais mentionnées ou indi- de à se donner de grands airs. Mais les arriè- quées. Tous les problèmes sont évacués. re-pensées sont claires quand on mentionne C’est peut-être un principe de la Géographie toujours à propos des villes construites de Universelle, mais c’est un principe qui n’est façon dispendieuse ; on se souvient que du pas tout à fait correct pour la Mitteleuropa. côté français, on a toujours affirmé que C’est particulièrement vrai pour la descrip- l’Allemagne pouvait facilement payer les tion particulière et en première ligne l’évo- réparations de guerre. L’affirmation que cation des moyennes montagnes alle- l’Allemagne s’est consolidée en interne par mandes. Ni les surfaces de piedmonts, que la séparation d’avec les peuples étrangers – les recherches les plus récentes ont pu véri- le silence délibéré sur les dégâts catastro- fier, ni les constructions modernes à propos phiques causés par le démantèlement du de l’origine des Stufenlandschaft (paysage Reich à l’Est et qui sont cependant répandus en gradins) ne sont mentionnées. Partout dans l’opinion publique et travaillés de l’auteur évoque une surface d’aplanisse- façon géographique, poursuivent le même ment, sans la définir vraiment. A l’occasion, but. il explique aussi que la pénéplaine tertiaire recoupe la surface d’aplanissement des Nous pouvons donc dire à regret qu’un montagnes anciennes. Mais ensuite, il insis- scientifique de haut rang tourne le dos à la te à nouveau et c’est à mon avis un pas de recherche de la vérité, au minimum déforme plus contre nos spécialistes des péné- les faits, réalise des buts politiques en plaines : la topographie plane de nos sur- contradiction avec la science et commet des faces d’aplanissement dans les moyennes erreurs de logique. L’auteur a pris le masque montagnes serait cependant en fin de comp- de la science pour exprimer l’esprit de te un dérivé de l’ancienne surface d’érosion Versailles et s’occupe de politique sous cou- du permocarbonifère révélée. Les petites vert de contribution scientifique. cartes de la Forêt noire et de la Souabe p 143 Mais voyons maintenant comment se sont incompatibles avec la construction présente le contenu (la matière) qui ne repo- d’une pénéplaine recouvrant chaque pierre. se pas sur cette manière de voir. Il semble Comment est-il possible que la topographie rester tout de même encore beaucoup de plane des différentes parties d’une seule et choses qui correspondent vraiment à la réa- même pénéplaine s’arrête au pied de la série lité. Cependant même dans ces parties, le du jurassique et du buntsandstanien. On peut

Grafigéo 2007-33 117 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale utiliser ces cartes, presque comme ça, pour Pour ce qui concerne la géogaphie illustrer ma construction des paysages étagés humaine, on a suffisamment et clairement (Stufenlandschaft) : en effet les terrasses montré plus haut combien la science et la sont soulignées comme étant une unité. Les politique étaient intimmement mêlées. Mais paragraphes morphologiques sur les Alpes et je dois encore mettre le doigt sur de nom- les Carpates sont parfaitement réussis. breuses erreurs, qui proviennent d’une L’auteur est d’autant plus incertain sur la ignorance délibérée : ainsi à propos de l’af- grande Plaine du nord de l’Allemagne. firmation que la frontière bavaro-wurtem- Concernant les subtiles différences morpho- bourgeoise suivrait la limite logiques, qui déterminent ici un espace géo- ethnique des peuples de Franconie et de graphiquement étendu, il avoue presque, Souabe et séparerait des espaces différen- comme à la page 280, ne pas les com- ciés ; ainsi de la mine de potasse oubliée, prendre. Sa connaissance des plaines, et au qui a déjà été mentionnée plus haut ; ainsi demeurant aussi d’une partie des montagnes de la phrase récapitulative à la fin du cha- d’Allemagne, est inégale. Les gisement de pitre sur les Alpes dans le cadre du Reich : sel dans les Zechstein du nord de l’Allema- « les Préalpes bavaroises restent une sorte gne lui sont inconnus. Seule une carte des de parc national plutôt qu’une pièce essen- ressources du sous-sol en Allemagne p 337, tielle de l’organisme économique de qui copie un peu un modèle allemand, donne l’Allemagne ». Je pourrais encore continuer les gisements de sel. Mais dans le texte, avec ce genre d’inexactitudes, comme par même dans la description de l’économie des exemple la longue mention de l’économie territoires concernés, on ne trouve pas un de Reutberg dans la Forêt noire et le silence mot sur la potasse et le sel gemme. Mais le concernant l’économie d’une montagne modeste gisement de sel d’Heilbronn et l’in- analogue, mais bien plus importante dans le dustrie qui repose dessus sont mentionnés. Siegerland et dans le massif de l’Eifel, et la De façon très générale et floue, il est enfin liste n’est pas close. Mais assez de cela. écrit lors du traitement de l’industrie chi- mique p 344 : « L’Allemagne possède et Dans un survol général, on ne peut exi- exploite des réserves importantes de sels, ger que l’utilisation de la bibliographie soit chlorure de sodium et potasse… » partout égale et complète. Mais d’après ce qu’on a suffisamment dit plus haut, elle est Dans le chapitre récapitulatif relative- incomplète. Les indications bibliographi- ment développé sur l’eau, l’auteur ne trouve ques sont placées à la fin des chapitres cor- pas de place pour l’englacement et la respondants. Souvent le choix semble dû au débâcle des fleuves, phénomènes géogra- hasard et à l’occasion pour un débat particu- phiques si faciles à mentionner. Parmi les lier, c’est le travail qui présente le moins fleuves particuliers qui sont évoqués, il d’intérêt qui est choisi. Mais quand dans un manque l’Oder, dont l’individualité, la parti- domaine dans lequel l’auteur est dans son cularité n’est même pas non plus abordée élément, des travaux de base comme le livre dans la partie « Allemagne ». de Friedrich Metz sur les pays du Rhin supérieur et les travaux des Journées géo- Dans le chapitre sur la flore, il manque les graphiques allemandes de 1927 à Karlsruhe résultats de la bibliographie la plus récente. sont passés sous silence, ce n’est pas un L’ouvrage d’introduction à la géographie des hasard, c’est une tendance politique. Même plantes de l’Allemagne de H. Walters de pour la haute Silésie, le choix de la biblio- 1927, et le livre de Gams et Nordhagen da- graphie relève de cet esprit. Le lecteur doit tant déjà d’une dizaine d’années ne sont pas principalement être mis en garde contre la utilisés. Parmi les caractéristiques des plan- bibliographie proposée, car elle montre les tes, il oublie de mentionner dans ce chapitre nouveaux tracés des frontières de l’Europe insuffisant la mention du houx Stech (Ilex). centrale comme un non-sens géographique.

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Les figures sont presque tout le temps situé aux antipodes le juge ainsi pour des très bien choisies de même que la présenta- raisons externes. Mais quand le « géo- tion de l’ouvrage dans l’ensemble. La des- graphe suisse » Vosseler sonne du cor et cription est vivante et claire, le style léger, loue par-dessus tout le livre de de Martonne, diplomate et tout à fait particulièrement en fait la renommée en opposition avec propre à surmonter les difficultés et à dissi- quelques études régionales allemandes de la muler les chausses-trappes et sauts-de-loups plus stricte objectivité, cette erreur de juge- politiques pour les âmes inoffensives. Le ment ne tient pas à l’éloignement ou à des poison politique se montre tout à fait appé- frontières étatiques mais s’expliquent seule- tissant. ment par une abscence consciente d’esprit critique scientifique. Le livre de E. de Martonne se tourne au- delà des frontières françaises et s’adresse Faire le compte rendu d’un tel livre de aux inombrables lecteurs des autres nations. façon vraiment critique et devoir ainsi s’op- Il est évident que les critiques de l’étranger poser à un homme qui possède un passé sont peu nombreux à posséder les connais- scientifique riche, est une activité ingrate et sances indispensables sur l’espace différen- difficile. Ce que nous regrettons de devoir cié de l’Europe centrale, pour ne pas suc- dévoiler n’est pas seulement pour des rai- comber à la forme. Quand un Australien sons de justesse et de correction scienti- nomme dans « Geographical review » le fiques, mais aussi par devoir national livre comme un ouvrage de référence, nous d’auto-défense. pouvons comprendre que notre individu Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Annexe 7 – Article en allemand partiellement traduit en français de J. Sölch, « Der zweite Band von E. de Martonne’s Mitteleuropa », in Geographische Zeitschrift, 1933, p. 235-242

[…] Si l’on fait abstraction de tels « cou- H. Schmitthenner (in Geographische rants modernes » dans la géographie alle- Zeitschrift, 1932, p. 22). Voir aussi F. Metz, mande, dans l’ensemble règne donc une in Zeitschrift der Gesellschaft für Erdkunde, façon assez homogène d’établir les tâches 1931, p. 305). de géographie et en particulier dans l’étude régionale. Par contre si on suit le dévelop- Pour résumer, on retrouve dans le second pement de notre discipline chez d’autres volume les mêmes parts d’ombre et de peuples, bien des différences se font jour lumière que Schmitthenner a relevées dans dans la détermination de nos tâches et de le premier volume. Pas de doute, il s’agit nos objectifs, un fait très regrettable car ainsi d’un travail important, dont on l’inégalité et l’insécurité qui en découlent peut apprendre beaucoup. Ainsi par sont défavorables à l’appréciation de la géo- exemple nous n’avons actuellement pas de graphie en tant que science. Exposer en nouvelle description de la Roumanie qui détail les différentes tendances n’est pas ici puisse être comparée à celle de E. de le but. Par exemple dans la géographie bri- Martonne en terme d’ampleur, de traitement tannique, la géographie économique (au et de valeur. De Martonne est probablement sens large du terme) a pendant longtemps un des meilleurs, si ce n’est le meilleur occupé le devant de la scène ; la morpholo- connaisseur de la géographie de la Rou- gie n’est encore aujourd’hui que peu étu- manie ; il ne lui consacre pas moins de diée par les géographes, elle est beaucoup 110 pages dans son livre. Seules 87 pages plus l’affaire des géologues, aussi loin que sont dévolues à la Tchécoslovaquie, 78 à la ces derniers veulent bien s’en préoccuper. Pologne, 69 à la Suisse, et seulement Toujours est-il que ces deux dernières 81 pages – ce qui n’est pas innocent – à l’en- décennies ont été publiés bien des travaux semble Autriche et Hongrie. Le découpage de géographie régionale qui ne s’éloignent suit la carte politique, ce qui a ses avantages pas autant que les anciens de notre manière et ses inconvénients. On n’a pas besoin allemande de concevoir les objectifs de la ensuite de se casser la tête à chaque fois géographie. Bien plus importants ont été les pour savoir quels pays font partie de rapports entre les géographies allemande et l’Europe centrale ; la Roumanie en fait française – ils mériteraient un jour une ana- naturellement partie, la Yougoslavie aussi. lyse de fond. Les nombreuses productions Les unités naturelles, quand elles recoupent récentes de grande valeur, particulièrement les frontières politiques, ne sont donc pas sur la géographie de la France elle-même, respectées dans la présentation (monts suivent la plupart du temps un cheminement Métallifères, Monts des géants, etc.). Mais tout à fait semblable à celui de nos travaux peut-être l’auteur suit-il à ce propos un itiné- allemands d’analyse régionale. Ils expri- raire propre jusqu’à un certain degré. ment naturellement les revendications de l’époque et les préférences en vigueur d’un Chacun des États est étudié selon le sché- auteur. La grande Nouvelle Géographie uni- ma suivant : une vue d’ensemble sur l’État verselle, qui compte déjà sept volumes, et la population, les principaux paysages, la s’exprime à cet égard avec un langage très vie économique. L’accent est mis à cette clair. Dans ce qui suit, j’aimerais faire occasion sur les paysages principaux – une quelques remarques critiques à propos d’un orgnisation plus fine fait défaut à cette des derniers tomes, celui de E. de Martonne règle : ce qui est déterminant pour la réparti- sur l’Europe centrale (volume 2). Je peux tion, c’est le critère géomorphologique (par d’autant faire court que le volume 1 a déjà exemple la Suisse alpine, la Suisse des col- été l’objet d’un compte-rendu pertinent par lines, le Jura suisse). Mais pour la

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Tchécoslovaquie, on trouve à la place une ne connaît pas aussi bien personnellement. Il division historique : la Bohême, la Moravie, est clair que pour nous Allemands (et pas que la Silésie, et en plus la Slovaquie et la pour nous), le contrôle soit particulièrement « Russie subcarpatique » ; E. de Martonne difficile et que de Martonne préfère large- s’occupe principalement de façon relative- ment les nouveaux noms géographiques aux ment détaillée de la richesse des formes du anciens noms allemands. Assez rarement et paysage, il a lui-même avant tout principale- de surcroît de façon irrégulière, les anciennes ment travaillé dans les Alpes et dans les dénomminations allemandes sont jointes Carpates de Transylvanie roumaine, encadré même dans les lieux où la population alle- par F. v. Richthofen et A. Penck ; à cet égard, mande est prépondérante et où elle est il sort nettement de la présentation géomor- connue de façon internationale sous ce terme. phologique que donne A. Demangeon dans Le nom de Marsch (Marche) par exemple est le traitement des îles britanniques. En ce qui au moins une fois appliqué pour l’Autriche, concerne la largeur de vues du projet, le style mais pas sans que le terme tchèque Morawa et avant tout la fiabilité, j’aimerais cependant soit précisé entre parenthèses. Naturellement, accorder ma préférence au livre de E. de Martonne ne considère pas nécessaire Demangeon de la même collection. On ne d’ajouter à l’inverse pour le lecteur du para- peut évidemment pas reprocher au collabo- graphe sur la Tchécoslovaquie le nom alle- rateur d’un projet si varié et si étendu qu’il ne mand derrière le nom tchèque. Cela devient puisse lire mais seulement citer tous les assez savoureux quand on trouve un Saint- ouvrages importants pour éclairer une Jean au bord du Danube. Peut-être que les unique parution géographique. Mais la Tchèques par mesure de représailles vont bibliographie fournie à la fin de chaque cha- dans le futur appeler Sv. Wawrinec à la place pitre laisse très fortement une impression de d’un Saint Laurent. hasard ou d’arbitraire, où on n’arrive pas à déterminer ce qui relève du hasard et ce qui Si on fait maintenant abstraction de ce relève de l’arbitraire. Est-ce par exemple par type de défauts, il en reste cependant enco- hasard ou volontaire qu’un ouvrage si impor- re beaucoup d’autres à relever. Cela vaut tant que “Tschechoslovakei” de H. Hassinger même pour la morphologie même si l’au- ne soit pas cité ? Nous aimerions Presque teur fait autorité en la matière. On peut déjà supposer le dernier cas pour des raisons qui élever une objection contre le traitement des seront examinées plus loin en détail (p. 240). Alpes autrichiennes : la dénommination Pour le moins dans l’information donnée « Préalpes panoniennes » n’est pas très dans un ouvrage de référence sur un domai- heureuse. Du moins, cela ne correspond pas ne, un auteur ne peut absolument pas être à mon goût d’appliquer le terme de « pla- exhaustif et consciencieux ; la fiabilité doit teaux et crêtes appalachiennes » à la partie cependant, en tout premier lieu chez un émi- centrale de la Bohême. Les fondements his- nent géographe, se retrouver jusque dans les toriques de la présentation sont très souvent moindres détails. Certes chacun d’entre lacunaires – malgré cependant de rares mais nous peut passer sur une erreur d’impression, excellentes remarques – ; on en apprend mais le lecteur instruit ne doit pas à chaque trop peu sur l’origine des paysages culturels page trouver de telles bévues et de telles et sur leurs mutations au fil du temps. négligences, sans vraiment avoir à courir Cependant bien que je considère l’ouvrage après. Personne ne me reprochera d’en faire comme une production marquante, j’aime- la preuve à propos de la présentation de rais, comme on dit, être bien conscient des l’Autriche qui est ma petite patrie et un de lourdes difficultés que présente justement ce mes principaux domaines de recherche. Là reproche. Par contre, je dois avec toute on peut tenir maintenant un superbe florilège l’acuité nécessaire, faire connaître un autre et à partir de cette expérience, on ne peut versant de l’œuvre de de Martonne, à savoir qu’être particulièrement méfiant vis-à-vis de sa position politique, pour que au moins la présentation des autres domaines que l’on chaque cercle dans lequel cette revue est lue

Grafigéo 2007-33 121 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale soit mis en garde contre un jugement partial, pu y avoir la possibilité (très dangereuse aux biaisé et injuste. yeux des Français) d’une unification entre le Reich allemand et l’Autriche et donc un ren- Pas plus tard qu’au début de cette année forcement d’une entité germanique. Si au (1932), A. Demangeon a affirmé à propos contraire, on réussissait à incorporer l’Autri- des nouvelles parutions allemandes de géo- che dans cette association d’états et en même graphie politiques qu’elles ne sont rien temps à en exclure l’Allemagne, cela rassu- d’autres que de la « géopolitique », « une rerait beaucoup de Français. Les diverses et entreprise nationale de propagande d’ensei- funestes créations des dictats de la Paix de gnement ». Elles ne devraient pas avoir la Versailles sont à présent entièrement vala- prétention de porter le titre de scientifique bles et adéquates pour de Martonne. Elles (cf. Annales de Géographie, 1932, p. 27). comporteraient certes partout des difficultés C’est vrai qu’on ne peut pas nier qu’un cer- économiques, mais le plus grave serait déjà tain nombre d’écrits, qui paraissent sous le surmonté, un certain équilibre serait déjà titre de « géopolitique », soit en effet par- atteint, conforme aux nouvelles frontières, faitement unilatéral, superficiel et pétris d’er- même l’Autriche et la Hongrie seraient des reurs ; mais Demangeon n’est pas en droit organismes viables : oui, ces pays auraient de considérer de la même manière et de gagné les uns après les autres leur unité inter- condamner en bloc les nombreuses contribu- ne, presque toute nationalité étrangère ayant tions de valeur en géographie politique été écartée ; l’essentiel serait que l’Autriche comme des œuvres de propagande de basse n’ait pas d’arrière-pensées (l’annexion à qualité. En tout cas, nous ne devons pas l’Allemagne !). Si Vienne renonçait à ses renoncer à professer que notre peuple repose ambitions politiques, elle pourrait devenir le plus solidement possible sur les interac- une métropole économique et culturelle tions entre Etat et peuple d’une part et d’Europe centrale (p. 496). d’autre part entre Etat et espace. Mais com- ment est-ce que cette même affaire se retrou- E. de Martonne met constamment l’ac- ve dans la géographie française ? N’enten- cent sur les différences entre les Allemands dons-nous pas justement chez elle le nom de (les Allemands du Reich) et les Autrichiens. science très souvent là où se trouve de la Au cours de ses excursions dans le Zillertal, politique ? Pour ne citer qu’un exemple par- il a sûrement vu de nombreux blonds aux ticulièrement connu, c’est ce qu’on trouve en yeux bleus, mais il oppose le « brun grande quantité dans les ouvrages de Tirolien » au « pur » Bavarois. (p. 470). Brunhes et Vallaux. Mais le livre d’E. de Comme type de différence entre d’un côté Martonne signifie en même temps carrément un Viennois et de l’autre un Allemand du un modèle du genre. A vrai dire, le travail de Reich, même entre un bavarois et un Rhénan E. de Martonne n’est pas aussi lourd du Sud : plus de jovialité et d’esprit d’ou- comme peut l’être celui de nombreux verture, autant de joie au travail et de ponc- auteurs allemands. Il cherche beaucoup plus tualité ! (Comme tout natif de Vienne, je dois à influencer le lecteur qui ne connaît pas la donc moi aussi me sentir agréablement tou- région en passant de l’ombre à la lumière, en ché par cette présentation ?). Vienne ne réduisant, en forçant le trait et en passant serait véritablement pas une ville allemande, sous silence, en montrant tout dans le miroir même s’il y a « bien entendu » l’influence des vues ou des souhaits français. Mais germanique : aucune ville allemande n’a ceux-ci atteignent des sommets nouveaux, et aussi peu d’esprit prussien (on rejoue encore comme toujours de façon très claire (le plan une fois sur les vieilles oppositions), c’est en Tardieu !), dans un résumé économique et cela une ville cosmopolite avec une certaine politique des états d’Europe centrale sans touche orientale. Nous autres remarquons l’Allemagne mais sous la houlette de la naturellement l’intention, mais pas le lecteur France. A savoir, après l’éclatement de l’an- non averti. Si sur de telles différences un cienne monarchie austro-hongroise, il aurait poids doit être posé selon la force des fron-

122 Grafigéo 2007-33 Annexes tières d’état, pourquoi les compatriotes de Si déjà l’Autriche doit être courtisée (s’il de Martonne n’ont-ils pas pris en considéra- elle doit aussi être considérée comme une tion lors des dictats de la paix les réelles « quantité négligeable » comme la Hongrie, frontières linguistiques, pourquoi des mil- alors ces deux-là seraient deux postes lions d’Allemands ont-ils été placés sous avancés très importants pour l’Allemagne), une domination étrangère !? alors à plus forte raison, ces états doivent A vrai dire, on remarque la préoccupa- être traités par la France avec clémence et tion de l’auteur : cette dangereuse Autriche délicatesse, et cela n’est naturellement pos- devrait être encore plus resserrée. La sible qu’aux dépens des Allemands ou des Yougoslavie pourrait faire valoir ses magyars. Les frontières étatiques à l’inté- « droit » sur Marburg par exemple, mais rieur de l’Europe centrale d’après E. de on ressent une certaine tristesse à ce qu’elle Martonne ne sont-elles pas conformes au n’y ait pas tout à fait trouvé son compte en principe des nationalités, même si ça et là Carinthie – on peut supposer alors que des anomalies pour assurer les « besoins « l’Europe centrale » se serait arrêtée au vitaux » des nouveaux états ont été pro- bassin de Klagenfurt, c’est-à-dire que posées ? Le remarquable couloir qui part l’Europe balkanique du Sud-Est se serait de la Tchécoslovaquie jusque dans les étendue si de Martonne avait pu le faire. Carpates roumaines doit bien correspondre Notre auteur donne aussi parfois des infor- à de tels « besoins vitaux » ; ou alors l’in- mations dont la partialité ou l’ambiguïté ne corporation des Sudètes allemandes dans peut être interprétée que dans le sens où il l’état tchécoslovaque ; la tête de pont de veut réduire la signification du caractère Pressburg au bord du Danube ; cela corres- allemand et des influences allemandes ou pond aussi à l’organisation de l’état libre de des valeurs n’importe comment. Ou alors ce Dantzig et du corridor de la Vistule, à pro- sont simplement des erreurs de négligence ? pos desquels le débat tout compte fait a été Pourquoi n’est-il mentionné à propos retiré du volume sur l’Allemagne ? Il est d’Innsbruck que l’étroite relation avec complètement faux de comparer la position l’Italie, comme si la bourgeoisie de la ville de Dantzig avec les ports libres de était italienne (p. 461) ? Pourquoi affirme- Hambourg et Brême ! Dantzig n’aurait au t-on que la colonisation allemande des demeurant par ses liens économiques avec zones forestières n’a commencé qu’au le Pologne que des avantages, elle serait XIIIe siècle (p. 478), alors qu’en réalité elle viable uniquement comme « satellite écono- a eu lieu dès le XIe siècle et même dans des mique de la Pologne » ; Gdingen (Gdynia) régions inhabitées ? Que signifie l’affir- n’aurait que le devoir de le soulager en tant mation (p. 486) que les Tchèques « au-delà que collaborateur (p. 681, 682, 695) ! Et du Danube » constituent un quart de la ensuite à nouveau le retour de la menace : à population du bassin de Vienne (ce qui est vrai dire la Pologne devrait avoir une liberté évidemment complètement faux !) ? par de mouvement à Dantzig, sinon le rôle de ailleurs, il est tout à fait incorrect d’affirmer Gdingen (Gdynia) pourrait encore croître ! que les régions du piedmont alpin n’au- raient pas été des champs de batailles – ce Il n’est après tout pas étonnant que toutes serait mettre cela uniquement sur le compte ces mesures en Pologne, en Tchéco- du pouvoir et de la politique de l’Etat impé- slovaquie et en Roumanie, qui s’érigent en rial. Que l’impérialisme français gagne ici première ligne contre les minorités alle- du terrain de façon répétée et que Aspern (et mandes (ou magyares) soient esquissées de malheureusement aussi Wagram) se trou- façon biaisée. Elles sont présentées soit vent dans la banlieue de Vienne, cela est comme une réaction juste et nécessaire tranquillement passé sous silence, de même contre l’ancienne prédominance des tenta- que la manière dont les Français à l’époque tives de germanisation et de magyarisation, se sont conduits envers la Suisse, est hon- soit comme une nécessité économique. teusement retranscrite. (p. 382). Mais par ailleurs aucun mot sur le fait

Grafigéo 2007-33 123 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale qu’elles auraient dû a vrai dire selon la loi risquerait peut-être de rendre leur jugement concerner des circonscriptions déterminées, plus favorable envers la puissance alleman- cependant unilatéralement tournées contre de ou faire briller ça et là un grain de raison les Allemands. Ou alors elles sont pré- pour les difficultés allemandes. C’est pour- sentées comme les conséquences du fait que quoi manifestement d’excellentes représen- la germanité devrait être conçue en tous tations allemandes, qui pourraient entraîner lieux comme en régression, au vu de la fer- la même chose (par exemple l’ouvrage meture de nombreuses écoles allemandes. Tchechoslovakei de Hassinger) sont tout De Martonne oublie d’indiquer que rien ne simplement passées sous silence. contribue plus à ce recul que la politique brutale des citoyens dominants. L’éradi- En liaison avec tout cela, on trouve enfin cation programmée du caractère allemand la carte en couleur sur les nationalités dans l’actuelle Pologne est à ce propos (p. 540/541). Si elle rend aussi les situations comme on sait le chapitre le plus funeste. réelles un peu moins esthétiques, comme le critiquait F.Metz pour la petite carte du Ou alors on pose le plus grand poids volume 1, la zone habitée par les Slovènes […]. Le versant ethnographique est à en Carinthie est surreprésentée, quand elle connaître comme si on ne devait perdre à ce englobe Villach avec le lac d’Ossiach et propos qu’un seul mot. Mais la page cultu- atteint vers le nord le lac de Wörther. Les relle est aussi tellement clairement tenace îlots linguistiques allemands en Yougoslavie qu’elle ne peut pas être entièrement passée ne sont par contre absolument pas relevés. sous silence de la part de de Martonne ; elle Le caractère allemand en Pologne apparaît n’est pas non plus exposée avec toute la insignifiant, le « corridor » est entériné lumière souhaitable. Il ne s’agit en aucun comme une bande transversale largement cas de la question de la représentation par de polonaise, alors que le caractère allemand Martonne d’un gradient économique pré- de la Prusse orientale est caractérisé comme pondérant, mais d’un gradient complète- une petite île allemande dans l’illustration ment général, autant spirituel que matériel. de la carte (qui est très semblable à une carte La différence n’est pas soulignée avec la des densités). De meme, le sud de la Prusse confrontation entre états agricoles et états orientale est tout simplement représenté industriels. Certes le gradient n’est pas par- comme un territoire de parler polonais ; le tout aussi fort et la différence s’oppose de la caractère polonais en Silésie apparaît de la manière la plus frappante quand on établit même façon sur un sol allemand, comme si une comparaison entre le nord-ouest et le cela correspondait à la réalité. Par- dessus sud-est, y compris à propos des phé- tout, cette carte s’arrête de telle façon à nomènes naturels de l’espace centre- l’Ouest que le caractère allemand de européen. Mais que partout, la vie culturel- l’Alsace-Lorraine reste hors du cadre. le, qui est plus élevée au-delà de la limite culturelle d’abord retenue par Hanslik et Pour résumer brièvement, on peut dire ensuite explicitée par Hassinger, soit liée à que le livre de de Martonne est pour nous un l’efficacité du peuple allemand, aux îlots exemple riche d’enseignement sur la maniè- allemands plus ou moins importants ou re dont on doit faire de la géographie poli- encore à l’ancienne culture du sol allemand, tique pour répondre aux attentes et aux cela est une réalité. Même de Martonne est revendications de A. Demangeon ; car obligé de le voir, comme le fait ressortir ça nous ne pouvons guère accepter que et là une petite remarque apparemment insi- A. Demangeon ne soit pas d’accord sur ce gnifiante. Cependant il ne lui vient pas à point avec la production de de Martonne. Là l’esprit de rendre hommage à la puissante où commence la politique, pour tous ceux culture allemande de l’espace danubien. A qui tiennent à la mauvaise paix de quoi bon aussi ? Ni le lecteur français ni le Versailles, la science s’arrête ; et ensuite on lecteur neutre n’a besoin de le savoir, cela peut tout justifier, tout contester, on adapte

124 Grafigéo 2007-33 Annexes le mot qui convient à l’époque qui convient, Martonne. Par ailleurs, son groupement d’é- « là où se trouve la politique ou l’économie, tats d’Europe centrale exepté l’Allemagne il n’y a plus de morale » – cette maxime est est très significatif comme la Mitteleuropa aussi valable pour l’Europe centrale de de du Tchèque Roucek. » Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Annexe 8 – Carte de l’Europe pendant la Première guerre mondiale in Duroselle J.-B., L’Europe de 1815 à nos jours, Nouvelle Clio, p. 1995, p. 178-179

126 Grafigéo 2007-33 Annexes

Annexe 9 – Carte de l’Europe après les traités de paix (1919-1923) in Duroselle J.-B., L’Europe de 1815 à nos jours, Nouvelle Clio, 1995, p. 186-187

Grafigéo 2007-33 127 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Annexe 10 – Carte de la formation du territoire roumain in Foucher M. , Fragments d’Europe,Atlas de l’Europe médiane et orientale Paris, Fayard, rééd. 1998, p. 165

128 Grafigéo 2007-33 Annexes

Annexe 11 – « Carte ethnographique d’Emmannuel de Martonne », in La Géographie, vol. XXX, 4, 1915, reprise par Palsky G. (2001), p. 79

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Photographies

PHOTOGRAPHIES

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Photographies

Annexe 12 - Huit photographies d’Emmanuel de Martonne provenant toutes du fonds E.H.GO, UMR Géographie-cités, don de Robert Ficheux

Les huit clichés ont tous été pris lors d’un séjour de recherche en Roumanie en 1937. E. de Martonne est recon- naissable à sa posture de géographe de terrain et de géographe-photographe : il porte un béret, une cape et des guêtres (bandes molletières) et ne se sépare pas de son appareil-photographique. [E. de Martonne est signalé par une flèche pleine et Robert Ficheux par une flèche en pointillés.]

Grafigéo 2007-33 133 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

134 Grafigéo 2007-33 Photographies

Grafigéo 2007-33 135 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

136 Grafigéo 2007-33 Photographies

Annexe 13 - Plaques de verre prises par E. de Martonne en Roumanie, dessins et bloc-diagramme sur la Roumanie (fonds UMR PRODIG).

Trois postures d’Emmanuel de Martonne sont présentées ici : 1. Le géographe dans la cité : organisateur d’excursions en Roumanie, parfaitement intégré dans le pays (plaques EU357 (008), EU357 (015), EU 3551 (003), et EU 3562 (063). 2. Le géographe, professeur en Sorbonne : 2 dessins, 1 diagramme et 1 bloc-diagramme réalisés par E. de Martonne à des fins d’enseignement (plaques EU350 (040), EU350 (042), EU350 (036), EU350 (012). 3. Le géographe de terrain, chercheur aux centres d’intérêt variés : la géomorphologie, les paysages, l’ethnographie, les types d’habitat, les activités économiques comme les marchés, les aménagements hydrauliques et industriels (plaques EU3562 (025), EU3562 (004), EU3562 (041), EU357 (011), EU354 (011), EU3562 (057), EU353 (007), EU3512 (024), EU354 ( 11) et EU357 (007).

Tableau récapitulatif des plaques de verres du fonds PRODIG prises par E. de Martonne et présentées ci-dessous

Numéro de plaque Numéro de plaque Légende Légende numérisée numérisée Trascan (région), bordure Est du massif du Anies, groupe en EU357 (008) EU3562 (025) Bihor, gorge issue du excursion à Anies bassin de Trascan

Ascension à Pietrele Remete, paysans de EU357 (015) EU3562 (004) Doamnei Remete Hatseg (Bassin), au pied du Retezat, Cacova, Bihor oriental, EU3551 (003) EU3562 (041) bordure du bassin village de Cacova Hatseg Maramures, paysannes EU 3562 (063) Réception à Remete EU357 (011) authentiques à Borsa Carpates méridionales, trois Alba Julia, marché à Alba EU350 (040) panoramas, dessin E. EU3562 (057) Julia de Martonne (v. Evol. Alpes Transylva.) Mont Boresco, Carpates Munténie, collines méridionales, deux subcarpatiques de EU350 (042) panoramas : Boresco EU3512 (024) Munténie, sonde (à (haut) et mont du pétrole) en éruption, vulcan (G.). Dessins chantier de … E. de Martonne Carpates, Transylvanie, EU350 (036) diagramme de la EU354 (11) Turcs à Ortakioi formation des percées fluviales Roumanie, ressources comparées de l’ancienne Roumanie, Rodna EU350 (012) EU357 (007) de la Transylvanie, du (Maramuros) vers 1921 Banat, de la Bessarabie

L’UMR PRODIG possède un fonds de 10 000 plaques de verres quasi complètement numérisées dont environ 270 d’entre elles ont été prises par E. de Martonne lors de ses séjours de recherche en Roumanie.

Grafigéo 2007-33 137 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

EU 357 (008)

EU 357 (015)

Grafigéo 2007-33 138 Photographies

EU 3551 (003)

EU 3562 (063)

Grafigéo 2007-33 139 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

EU 3551 (003)

EU 350 (042)

140 Grafigéo 2007-33 Photographies

EU 350 (036)

EU 350 (012)

Grafigéo 2007-33 141 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

EU 3562 (025)

EU 3562 (004)

142 Grafigéo 2007-33 Photographies

EU 357 (007)

EU 3562 (041)

Grafigéo 2007-33 143 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

EU 357 (011)

EU 354 (11)

144 Grafigéo 2007-33 Photographies

EU 3562 (057)

EU 3512 (024)

Grafigéo 2007-33 145

Table des matières

Table des matières

Préface de Marie-Claire Robic ...... 5

Introduction ...... 13

Chapitre 1 • Sources et bibliographie sur Emmanuel de Martonne ...... 15

BIBLIOGRAPHIE D’EMMANUEL de MARTONNE ...... 15 ÉCRITS SUR EMMANUEL de MARTONNE ...... 25 Par ses contemporains en France et en Allemagne ...... 25 Dans la recherche actuelle ...... 25

Chapitre 2 • Emmanuel de Martonne (1873-1955), chef de l’École française de géographie ...... 27

UN « PATRON » DE LA GÉOGRAPHIE FRANÇAISE...... 27 Sa formation : agrégation et thèses ...... 27 Son enseignement : géomorphologie et cartographie ...... 28 Ses terrains privilégiés de recherche : Roumanie et Europe centrale ...... 28 La « Géographie Universelle » : couronnement d’une carrière universitaire ...... 29 Son rôle institutionnel ...... 29 Son rôle politique de « géographe traceur de frontière » ...... 29 ... DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL TENDU ...... 30 Deux écoles de géographie concurrentes : l’allemande et la française ...... 30

Grafigéo 2007-33 147 Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale

Les transferts réciproques entre les deux écoles de géographie ...... 32 Les affrontements sémantiques ...... 33 L’impact des guerres franco-allemandes de 1870-1871 et 1914-1918 ...... 33 Le climat d’ostracisme par rapport aux géographes allemands sur la scène géographique internationale dans l’entre-deux-guerres ...... 33

EXPERT-GÉOGRAPHE ET CARTOGRAPHE AU SERVICE DES TRAITÉS DE PAIX (1919-1920) ...... 34 E. de Martonne, expert-géographe au Comité d’études ...... 34 La cartographie au service de la politique ...... 38 La Roumanie et ses frontières ...... 44

Chapitre 3 • L’Europe centrale et sa réception en Allemagne ...... 47

LA GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE (GU) : LE COURONNEMENTD’UNE ŒUVRE UNIVERSITAIRE ...... 48 La genèse et la structure de la GU ...... 46 Une œuvre très bien reçue en France ...... 47

L’ ANALYSE THÉMATIQUE DU TOME 4 DE LA « GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE » ...... 50 Le concept d’Europe centrale ...... 50 La définition d’Europe centrale pose toujours problème ...... 52 Le concept de frontière ...... 54 Le concept de région ...... 58 Le concept de peuplement et de nationalité ...... 58 La cartographie dans la GU ...... 60

LA RÉCEPTION DU TOMME 4 DE LA GU EN ALLEMAGNE ...... 67 Une méthode : l’analyse bibliométrique d’un corpus de revues allemandes ...... 67 Les résultats : points de contacts et points de conflits ...... 68

Conclusion ...... 95

Bibliographie ...... 97 Résumés ...... 101 Annexes ...... 105 Table des matières ...... 147

Dépôt légal - Décembre 2007