Moonlight Sortir De L’Ombre Julie Vaillancourt
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Document generated on 09/23/2021 9:21 a.m. Séquences : la revue de cinéma Moonlight Sortir de l’ombre Julie Vaillancourt La tortue rouge Number 306, February 2017 URI: https://id.erudit.org/iderudit/84758ac See table of contents Publisher(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital) Explore this journal Cite this review Vaillancourt, J. (2017). Review of [Moonlight : sortir de l’ombre]. Séquences : la revue de cinéma, (306), 14–15. Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 2017 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ 14 | BARRY JENKINS Moonlight Sortir de l’ombre Adaptation de la pièce de théâtre In Moonlight Black Boys Look Blue, le deuxième opus de Barry Jenkins surprend par la force tranquille du propos et la signature cinématographique. Moonlight offre un portrait doux-amer d’un Afro-américain négociant avec son homosexualité, sa famille et son milieu, tout en restant fidèle à lui-même. JULIE VAILLANCOURT priori, Moonlight se présente comme un coming-of-age, l’intimidation de celui jadis surnommé « little » continue. Son air puisque la première partie du récit plonge le spectateur chétif et peu confiant nourrit son bourreau. Puis, lorsqu’un jour À au cœur de la difficile réalité d’un jeune garçon de sur la plage son ami cubano-américain Kevin le masturbe, il a sa Miami, Chiron, qui doit composer avec sa mère monoparentale première expérience (homo)sexuelle; il semble enfin en paix avec et droguée. De cette famille dysfonctionnelle, il trouvera refuge ses désirs. Quelques jours plus tard, Kevin se retourne contre lui. chez un voisin dealer de drogue, Juan, qui habite avec sa copine S’ensuit une série de violences physiques et verbales (intimidation, Teresa. Le couple offrira nourriture et réconfort, en plus de homophobie) et la prison pour Chiron. Le troisième et dernier répondre à ses questions : « Que veut dire le mot tapette ? Suis-je chapitre, nommé « Black », quitte le coming-of-age. Désormais une tapette ? », demande Chiron enfant. « C’est un mot utilisé adulte, l’acceptation personnelle de Chiron démontre comment pour faire en sorte que les personnes gaies se sentent mal. Tu un Afro-américain homosexuel de Miami peut surmonter ce qui peux être gai, mais ne laisse personne te traiter de tapette ! », semblait être un chemin d’autodestruction prédéterminé. réplique Juan. Si la question du petit garçon surprend en raison La forme du film, avec l’utilisation de nombreux plans hors de son jeune âge, la réponse du dealer de drogue surprend par focus, ajoute à cette idée de questionnement identitaire, de sa maturité (et son milieu d’appartenance). Le lien paternel se l’aspect « flou » des situations à leur dénouement incertain. Il tissant entre Chiron et Juan se traduit par de très belles scènes en résulte parfois des plans à l’esthétique quasi documentaire symboliques, notamment lorsque Juan apprend au petit garçon à (par exemple, lorsque Kevin fume à l’extérieur du restaurant et nager; de la caméra sous-marine à la musique classique, la scène qu’il jette un regard à la caméra). Cette esthétique évoque le prend la forme d’un baptême identitaire (noyer ses préjugés, caractère semi-autobiographique du film, adaptation de la pièce s’accepter, se purifier, renaître). Malgré cette renaissance (c’est-à- In Moonlight Black Boys Look Blue de Tarell Alvin McCraney, dire le début de l’acceptation personnelle), le deuxième chapitre originaire de Miami et ouvertement gai. Cela dit, l’aspect flou de nous transporte dans l’univers de Chiron adolescent, alors que ses l’homosexualité de Chiron demeure tout au long du récit, en ce problèmes se transposent de l’enfance à l’adolescence; sa mère, sens que la relation homosexuelle n’est pas explicitement présentée complètement dépendante au crack, ne se soucie guère de son à l’écran. Cela confronte un double tabou/idée préconçue, car le fils et lui demande même de l’argent pour consommer. À l’école, Chiron « Black » du dernier chapitre est musclé, imposant, dealer La forme d'un baptême identitaire SÉQUENCES 306 | JANVIER – FÉVRIER 2017 BARRY JENKINS | 15 rés. Ces deux opus, quoique très différents de Moonlight, rejoignent les préoccupa- tions des LGBT afro-américains, sans oublier l’esthétique (signature plus personnelle, approche semi-docu). Cela dit, Moonlight est moins bavard sur l’homosexualité que Pariah et beaucoup moins cru que Tange- rine. Comme si, à la manière du grand ta- bou de l’homosexualité qui subsiste dans la communauté afro-américaine, on offrait une représentation sensible mais laconique, question d’exposer les tabous, sans trop les expliquer (montrer/dire explicitement). Cet- te représentation est intéressante, dans la mesure où elle existe sans trop « bousculer » rapidement les idéologies stagnantes et préjugés enracinés dans la communauté. Un film laconique peut aussi changer les choses, à sa façon. Surtout lorsque l’écriture et le style sont personnels. D’ailleurs, de drogues et n’a donc plus le profil frêle de la victime qui se faisait Moonlight mérite d’être nommé aux Oscars (au moins pour jadis intimider à l’école. Non seulement on nous présente un Afro- meilleur scénario adapté). Est-ce que l’académie est prête à met- américain possiblement homosexuel aux antipodes des clichés tre de l’avant un film reliant les thématiques drogues / homo- physiques du genre, mais on ne sent pas le besoin de nommer/ sexualité / Afro-américains ? Cela reste à voir, certes, on se rap- montrer explicitement l’homosexualité, laissant le spectateur dans pellera le discours d’ouverture de Chris Rock aux Oscars de 2015, un « flou interprétatif » (qui peut créer un malaise chez certains). qui dénonçait le manque de représentation et de nommés afro- Moonlight se contente plutôt d’observer les deux hommes, américains dans l’industrie. alors que leur attirance réciproque et leurs questionnements D’ailleurs, Medicine for Melancholy, le premier long métrage évoluent devant nos yeux (à l’image d’une découverte identitaire de Barry Jenkins, réalisé huit ans plus tôt, traite en filigrane des droits et sexuelle). Ainsi, les silences, les regards, les non-dits, même afro-américains, à travers une relation hétérosexuelle éphémère entre s’ils sont laconiques, parlent d’eux-mêmes, laissant plutôt évoluer deux Afro-américains vivant à San Francisco. Jo’ (métisse ayant un les personnages de façon organique, au lieu de leur mettre des petit copain blanc) et Micah (célibataire, noir de peau et militant afro- mots dans la bouche. Il en résulte un opus authentique, loin des américain) sont fusionnels au lit, mais leurs idéologies respectives clichés, qui semble même novateur quant à la représentation de quant au militantisme diffèrent. Ce film propose un cinéma de l’homosexualité, considérant le caractère de plus en plus explicite l’observation (presque contemplatif), peu bavard, parsemé de silences du cinéma gai contemporain. et de non-dits, au rythme lent, caractéristiques qui se retrouvent dans Moonlight. Et la forme est une fois de plus adaptée au propos. Moonlight se contente plutôt Medicine for Melancholy se distingue par une saturation des d’observer les deux hommes, alors couleurs, au point d’offrir un film quasi « noir et blanc ». À l’image de que leur attirance réciproque et leurs Jo’, plus nuancé dans son propos (et sa couleur de peau) que Micah, cette idée de la saturation (partielle) des couleurs est magnifiquement questionnements évoluent devant adaptée et interprétée en fonction des personnages. C’est d’ailleurs nos yeux (à l’image d’une découverte cette même analogie forme/propos/personnages que propose identitaire et sexuelle). Moonlight, avec sa recherche formelle propre. Sans conteste, malgré sa courte filmographie, Barry Jenkins offre un cinéma d’auteur Pensons à des fictions récentes qui racontent l’homosexua- accessible et se positionne comme l’un des cinéastes à surveiller. lité de personnages afro-américains. Tangerine (Sean S. Baker, ★★★★ 2015) explore crûment la prostitution d’Afro-américaines trans- genres et pauvres à Los Angeles. L’approche semi-documentaire ■ MOONLIGHT : L'HISTOIRE D'UNE VIE | Origine : États-Unis – Année : 2016 (acteurs majoritairement non professionnels, tournage sur le ter- – Durée : 1 h 51 – Réal. : Barry Jenkins – Scén. : Barry Jenkins, d’après la pièce In Moonlight Black Boys Look Blue de Tarell Alvin McCraney – Images : James rain) nous mène explicitement dans ces lieux. Dans Pariah (Dee Laxton – Mont. : Joi McMillon, Nat Sanders – Mus. : Nicholas Britell – Son : Rees, 2011), une adolescente lesbienne afro-américaine, qui vit Joshua Adeniji – Dir. Art. : Hannah Beachler, Mabel Barba – Cost. : Caroline Eselin – Int. : Trevante Rhodes (Chiron/« Black »), André Holland (Kevin), Janelle (de façon assez aisée) avec ses parents à Brooklyn, jongle avec Monae (Teresa), Ashton Sanders (Chiron adolescent), Naomie Harris (Paula), son coming-out pour éviter le rejet de sa famille. Le côté person- Mahershala Ali (Juan), Alex Hibbert (Chiron enfant) – Prod. : Dede Gardner, Jeremy Kleiner, Adele Romanski – Dist./Contact : Entract Films. nel du coming-of-age story et ses questionnements sont explo- Photo : Une représentation sensible et laconique SÉQUENCES 306 | JANVIER – FÉVRIER 2017.