Année 2018 ISSN 0242-6765 Mardi 10 juillet 2018 JOURNAL DOFFICIELE LA RÉPUBLIQUE FRANCAISE

DÉBATS PARLEMENTAIRES

CONGRÈS DU PARLEMENT

Lundi 9 juillet 2018

Compte rendu intégral 2 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS DE RUGY M. Marc Fesneau M. Hervé Marseille 1. Constitution du Parlement en Congrès (p. 3) M. Jean-Christophe Lagarde 2. Déclaration de M. le Président de la République (p. 3) M. Jean-Claude Requier M. Emmanuel Macron, Président de la République Mme Valérie Rabault Suspension et reprise de la séance (p. 12) M. François Patriat 3. Débat sur la déclaration du Président de la République (p. 12) M. André Chassaigne M. Richard Ferrand M. Pierre Laurent M. M. M. Christian Jacob M. Olivier Falorni M. 4. Clôture de la session du Congrès (p. 33) CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 3

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS DE RUGY partis opposés mais, plus grave encore, entre sa base et son prétendu sommet – à la base, les femmes et les hommes au travail ou qui cherchent du travail sans en trouver, tous ceux M. le président. La séance est ouverte. qui ont du mal à boucler les fins de mois, et, au sommet, ceux qui sont au pouvoir, leurs discours de soi-disant (La séance est ouverte à quinze heures.) puissants qui ne changent jamais rien, et auxquels, en plus, on ne comprend rien – ; l’impression du citoyen d’être ignoré, méprisé et, surtout, de ne pas voir, de ne plus voir, 1 où nous devons et pouvons aller ensemble ; la colère, enfin, née de la fin des ambitions collectives comme des ambitions familiales et personnelles. CONSTITUTION DU PARLEMENT EN CONGRÈS Je n’ai rien oublié de ces colères ni de ces peurs. Rien ! La peur aussi de l’autre, des grands changements, du fracas du M. le président. Le Parlement est réuni en Congrès, confor­ mément au décret du Président de la République publié au monde : les tensions avec l’Iran, la guerre commerciale lancée Journal officiel du 19 juin 2018. par les États-Unis, les divisions de l’Europe. Je n’ai pas oublié, je n’oublie pas et je n’oublierai pas ! C’est pourquoi je me présente devant vous, dans ce rendez- 2 vous que j’ai voulu annuel, humble mais résolu, porteur d’une mission dont je n’oublie à aucun moment qu’elle engage le destin de chaque Française, de chaque Français, DÉCLARATION DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE et donc le destin national.

M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de Humble mais résolu, ai-je dit, et je vais vous faire une l’article 18, alinéa 2, de la Constitution, la déclaration du confidence. Il y a une chose que tout Président de la Président de la République. Cette déclaration sera suivie d’un République sait : il sait qu’il ne peut pas tout, qu’il ne débat. réussira pas tout. Je vous le confirme, je sais que je ne peux pas tout, je sais que je ne réussis pas tout, mais mon En ce 9 juillet, date anniversaire du jour où ici même, à devoir est de ne jamais m’y résoudre, et de mener inlassa­ Versailles, en 1789, l’Assemblée nationale issue des blement ce combat ! états généraux se reconnut un pouvoir constituant, et à la veille d’une réforme institutionnelle d’envergure, j’invite les Tout Président de la République connaît le doute, bien sûr, membres du Congrès à accueillir M. le Président de la et je ne fais pas exception à la règle. Mais j’ai le devoir de ne République. (M. le Président de la République entre dans la pas laisser le doute détourner ma pensée et ma volonté. C’est salle du Congrès. – Mmes et MM. les membres du Congrès et les une fonction qui, si l’on est réaliste, porte à l’humilité, ô membres du Gouvernement se lèvent.) combien ! mais à l’humilité pour soi, pas à l’humilité pour la . Pour la France et pour sa mission, le Président de la Monsieur le Président de la République, au nom du République a le devoir de viser haut, et je n’ai pas l’intention Congrès du Parlement, je vous souhaite la bienvenue. de manquer à ce devoir. Monsieur le Président de la République, vous avez la De ce destin national, nous sommes, vous comme parle­ parole. mentaires, le Gouvernement, sous l’autorité du Premier M. Emmanuel Macron, Président de la République. ministre, moi comme Président de la République, conjoin­ Monsieur le président du Congrès, monsieur le président tement chargés. Vous êtes la représentation nationale. C’est du Sénat, monsieur le Premier ministre, mesdames, une grande tâche que de représenter le peuple souverain, pas messieurs les membres du Gouvernement, mesdames, seulement un peuple de producteurs et de consommateurs, messieurs les députés, mesdames, messieurs les sénateurs, je animés d’attentes économiques et sociales, non, un peuple de n’ai rien oublié, et vous non plus, du choix que la France a citoyens, des femmes et des hommes qui veulent, les yeux fait il y a une année. D’un côté, toutes les tentations de la ouverts, façonner leur destin collectif. fermeture et du repli ; de l’autre, la promesse républicaine. Durant cette année, le Parlement a beaucoup travaillé. La D’un côté, tous les mirages du retour en arrière ; de l’autre, mission que les Français nous ont assignée il y a un an, vous les yeux ouverts, le réalisme et l’espérance assumée. ne l’avez jamais perdue de vue : renforcer notre économie, Je n’ai rien oublié des peurs et des colères, accumulées définir un modèle social juste et équitable, conforme aux pendant des années, qui ont conduit notre pays à ce choix. aspirations de notre siècle, restaurer l’autorité de l’État et Elles ne disparaissent pas en un jour ; elles n’ont pas disparu lui donner réactivité et efficacité, relancer l’Europe. Vous en une année. avez, jour après jour, œuvré en ce sens. Je n’ai pas oublié la peur du déclassement pour soi-même Vous avez œuvré dans l’urgence pour tourner la page de et pour ses enfants ; la rage devant l’impuissance publique ; le politiques et de blocages qui handicapaient lourdement notre pays qui se sent coupé en deux, non pas seulement entre pays. Votre action a permis que l’investissement reparte ; que 4 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 le scandale du tirage au sort à l’entrée à l’université prenne Oui, l’année écoulée aura été celle des engagements tenus. fin ; que l’école retrouve sa place, et la transmission, sa Ce que nous avons dit, nous l’avons fait, dans le dialogue, en dignité ; que la lutte contre le terrorisme soit inscrite dans acceptant les désaccords, mais souvent aussi dans l’unité notre droit, sans avoir plus recours à l’état d’urgence ; que le nationale. Qui, là aussi, l’aurait parié il y a un an ? travail paie davantage ; que la France se dote d’un budget sincère, efficace et ambitieux, et repasse sous les 3 % de Cette volonté d’action était au cœur de notre promesse : les déficit. Vous avez rendu à la France ses capacités militaires Français en voient les premiers fruits à l’école, sur leur feuille par une loi de programmation d’une ambition nouvelle et de paie, sur le marché du travail… Mais ce sont seulement les inédite ; vous avez levé les blocages du marché du travail créés premiers fruits. Je suis parfaitement conscient du décalage par un code devenu obsolète et inadapté ; et vous avez sauvé entre l’ampleur des réformes engagées et le résultat ressenti. Il d’une faillite certaine notre service public du transport, la faut du temps, et parfois un long temps, pour que la trans­ SNCF, par une réforme sans précédent. formation initiée s’imprime dans la réalité du pays. Et je suis pleinement conscient qu’il me revient, chaque fois que néces­ Par là, vous avez démontré qu’il n’existe pas de fatalité de saire, de rappeler le cap, de le rendre plus clair pour tous, afin l’enlisement et de l’échec, lorsque prévaut une volonté que se rejoignent et travaillent ensemble, autant que possible politique sans faille guidée par l’intérêt général. Vous avez et dans la clarté, toutes les forces disponibles du pays. C’est engagé des chantiers d’une ampleur jamais vue, notamment un effort jamais achevé mais nécessaire, en particulier pour le le chantier de la formation professionnelle, de l’apprentissage, Président de la République, que de reprendre sans cesse, du logement. Sur tous ces sujets, qui peut oublier la situation reformuler sans cesse, tant le tohu-bohu de l’actualité dans laquelle était le pays il y a un an ? Qui peut oublier que toujours en mouvement, toujours en ébullition, fait courir chacune de ces réformes était réputée impossible il y a un an ? le risque d’en troubler et d’en perdre le sens. Le chantier institutionnel a certes un peu tardé, mais nous assumons ce retard, qui n’est dû qu’au choix délibéré de Notre action est un bloc ! Elle est une cohérence ! Il n’y a donner la priorité au quotidien des Français. Le Premier pas, d’un côté, une action intérieure, et, de l’autre, une action ministre en présentera demain le contenu devant l’Assem­ extérieure ; c’est la même action. S’adressant aux Français ou blée nationale. Je sais tout le travail qui a d’ores et déjà été s’adressant au monde, c’est le même message : nous protéger accompli dans cette enceinte. et porter nos valeurs. Il n’y a pas, d’un côté, une action économique, et, de l’autre, une action sociale ; c’est le Au cœur de cette réforme institutionnelle se trouve la même trait, la même finalité : être plus forts pour pouvoir volonté d’une liberté plus grande : liberté des collectivités être plus justes. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) C’est, territoriales, appelées à mieux exploiter leurs atouts leurs au fond, l’affirmation et la proposition du projet français spécificités, en permettant une véritable différenciation ; pour le XXIe siècle. liberté des citoyens, grâce à une justice indépendante ; liberté du Parlement, que je veux plus représentatif des Après tant de doutes, après tant d’incertitudes, il s’agit que Français, renouvelé, doté de droits supplémentaires, animé s’exprime le projet de la France. Le projet de la France pour par des débats plus efficaces. (Applaudissements sur de les Français, femmes et hommes dans leur vie comme elle est, nombreux bancs.) et souvent difficile, dans le monde comme il est, que nous Je crois au bicamérisme, qui garantit une démocratie mieux voulons changer chaque fois qu’il le faut. Le projet de la équilibrée. Je salue ici le travail accompli cette année par le France pour notre Europe en danger et pour le monde, Sénat pour permettre que les transformations engagées soient dans lequel l’histoire a donné à notre pays des responsabilités adoptées rapidement. (Applaudissements sur de nombreux éminentes, et désormais uniques, puisque le Royaume-Uni, bancs.) qui siège avec nous au Conseil de sécurité des Nations unies, a décidé de quitter l’Union européenne. C’est donc une réforme de confiance, de renforcement de la représentation nationale. Le Parlement ainsi rénové aura le Ce projet nous impose d’être forts. C’est pourquoi nous pouvoir de mener avec le Gouvernement des échanges plus savons qu’il nous faut redresser notre économie, libérer et constructifs, car l’esprit de dialogue et d’écoute nous est soutenir nos forces de création, qu’il nous faut la meilleure essentiel. C’est d’ailleurs cet esprit qui a présidé à tous vos école, la meilleure université, la meilleure recherche ! C’est débats et à tous vos travaux au cours de la session qui vient de pourquoi il nous faut la meilleure armée, les meilleurs s’achever. Je remercie très vivement le Premier ministre, systèmes de défense possibles : dans un monde dangereux, Édouard Philippe, et son gouvernement, d’avoir inlassable­ la sécurité et les valeurs de civilisation doivent pouvoir se ment consulté, discuté, échangé, pour mener les transforma­ défendre lorsqu’elles sont menacées. (Applaudissements sur tions nécessaires au pays. quelques bancs.)

J’entends que l’engagement que j’ai pris devant les Ce projet nous impose d’être solidaires. Un peuple qui se Français, de venir chaque année rendre compte, devant la défait, qui se disloque, se condamne lui-même à échouer. représentation nationale, du mandat qu’ils m’ont donné, peut contrarier certains. Mais le reproche est étrange, qui me fait grief de respecter mes engagements et les termes de la Ce projet nous impose d’être justes. Justes au sein des Constitution ! nations, n’ayant pour nous non plus que pour notre union européenne aucun projet de domination, mais un projet La révision de 2008 a permis le Congrès sous sa forme d’équilibre où seront promus nos valeurs et le respect des actuelle, et j’entends qu’on fait les pires reproches, souvent droits – les droits humains et le droit des nations. par facilité, à cette procédure. C’est pourquoi j’ai demandé au Gouvernement de déposer, dès cette semaine, un amende­ Cette voie française du progrès, c’est celle que nous voulons ment au projet de loi constitutionnelle qui permettra que, apporter car, face à la peur du déclassement économique, à la lors du prochain Congrès, je puisse rester non seulement peur culturelle et civilisationnelle, nous devons répondre par pour vous écouter, mais pour pouvoir vous répondre. (Vifs un projet fort, économique, social, national et européen. applaudissements prolongés sur de très nombreux bancs.) (Applaudissements sur plusieurs bancs.) CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 5

Mettons les choses dans l’ordre : ce projet ne peut être Pour accompagner ces transformations économiques, porté que si nous sommes forts et dotés d’une économique libérer l’investissement, réduire la pression fiscale qui pèse solide. C’est la réponse que nous devons apporter à la peur sur notre économie, l’État doit, lui aussi, faire des choix. Car du déclassement économique et social. Or la clef d’une soyons clairs, il ne saurait y avoir de baisse de la fiscalité ou de économie forte, c’est l’investissement. développement de l’investissement public sans un ralentisse­ ment de la hausse continue de nos dépenses, et il ne saurait y C’est pourquoi, dès les premières semaines, nous avons avoir une meilleure maîtrise de celles-ci sans des choix forts et revu la taxation des produits de l’épargne et réformé courageux. l’impôt sur la fortune. Non pas, comme je l’entends parfois, pour favoriser les riches, mais pour favoriser les C’est dans cet esprit que le Premier ministre présentera, entreprises. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Une dans quelques semaines, les nouvelles décisions permettant de politique pour les entreprises, ce n’est pas une politique tenir les engagements de baisse de nos dépenses publiques pour les riches ! C’est une politique pour toute la nation, pris devant les Français. Cela s’accompagnera en particulier une politique pour l’emploi, pour les services publics, pour d’une réorganisation de l’État à travers plus de présence sur ceux qui restent en marge faute de travail et faute de revenus ! les territoires et plus de souplesse de gestion. (Mêmes mouvements.) Sinon comment, d’un côté, dénoncer les faiblesses de notre modèle économique, le capital qui D’ici à la fin de l’année, le Premier ministre présentera quitterait les frontières nationales, et, de l’autre, créer les l’ensemble de ses décisions pour la transformation indispen­ conditions de l’impossibilité d’investir en France ? (Mêmes sable de l’action publique. (Applaudissements sur quelques mouvements.) bancs.) Il s’agit, là aussi, de nous confronter collectivement à nos propres contradictions. Tout le monde souhaite la L’investissement est celui de la nation, celui de l’État avec baisse des impôts – d’aucuns en proposaient de plus ample un grand plan d’investissement de 50 milliards d’euros, mais que celle qu’applique à l’heure actuelle le Gouvernement –, doit aussi être celui de chaque citoyen. C’est pourquoi mais nul ne veut jamais les assumer lorsqu’elles sont décidées. l’épargne des Français doit se mobiliser au service de Surtout, il faut enrayer un mode d’action publique qui a l’économie. C’est ce cadre que vous avez construit lors des toujours procédé à des économies en réduisant sa présence dernières lois budgétaires. Les Français doivent reconquérir sur les territoires. Ce que le Premier ministre présentera et leur part dans le capital des sociétés françaises. L’utilisation qui sera mis en œuvre à partir de 2019 par son gouverne­ de leur épargne, mais aussi leur association plus étroite au ment, consistera précisément à repenser, sur tous les terri­ capital des entreprises dont ils sont salariés, sont la clef d’un toires, la présence de l’État et de ses services ainsi qu’à rouvrir capitalisme populaire retrouvé ! (Applaudissements sur de l’emprise, et à aller ce faisant en sens contraire de ce que quelques bancs.) Cela passe ainsi par l’implication directe toutes les majorités ont mis en œuvre pour la réduction des des salariés dans la réussite de l’entreprise à travers un déficits publics depuis plusieurs décennies. (Applaudissements nouvel élan de la participation et de l’intéressement, sur de nombreux bancs.) préparé par le Gouvernement et qui vous sera présenté pour entrer en vigueur en 2019. En cette première année, beaucoup d’instruments ont été mis en place pour soutenir l’investissement et l’innovation à travers toute l’économie. Je pense, bien sûr, aux réformes Je n’aime ni les castes, ni les rentes, ni les privilèges. Je crois fiscales que je viens d’évoquer, aux réformes du marché du qu’il existe des réussites qui ne se traduisent pas par l’enri­ travail qui encouragent la prise de risque en permettant de chissement pécuniaire. Mais la création de richesses, la s’adapter quand un marché disparaît ou se transforme. Nous prospérité d’une nation sont le socle de tout projet de devons à présent libérer les freins à la croissance des entre­ justice et d’équité. (Applaudissements sur quelques bancs.) Si prises. Le plan d’action pour la croissance et la transforma­ l’on veut partager le gâteau, la première condition est qu’il y tion des entreprises, c’est-à-dire la loi PACTE, doit faciliter la ait un gâteau… Et ce sont les entreprises, rassemblant action­ création d’entreprises, encourager l’entrepreneuriat et naires, dirigeants et travailleurs, ce sont les producteurs, qui autoriser l’échec pour mieux réussir. Cette loi doit aussi font ce gâteau, et personne d’autre. Il est mensonger de permettre de faire grandir les entreprises en rendant notre défendre les salariés si on ne défend pas les entreprises. réglementation moins contraignante et nos financements (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Et il est impossible plus abondants. Il importe de poursuivre ce travail de simpli­ de prétendre distribuer quand on ne produit pas assez. fication et d’ouverture de notre économie, favorisant ainsi L’argent qui s’investit, qui circule, qui crée de l’emploi l’initiative économique et la création d’emplois. n’est pas celui qu’on thésaurise jalousement. C’est pourquoi ceux qui risquent, qui osent, qui entreprennent La France doit aussi renouer avec une politique de filières doivent nous trouver à leurs côtés. La taxe à 75 % n’a pas ambitieuse et choisir des secteurs clés où elle concentrera les créé d’emplois ni amélioré la condition de qui que ce soit en efforts publics et privés, et ainsi créer les conditions qui feront France, mais peut-être parmi les gestionnaires de fortune au de notre pays la terre privilégiée de l’économie de demain. Luxembourg, en Suisse ou aux Caïmans. (Applaudissements C’est ce cap que nous avons commencé à fixer pour le sur plusieurs bancs.) numérique et l’intelligence artificielle, l’agriculture et l’agroa­ limentaire, et pour l’industrie. Libérer l’investissement en France par une fiscalité adaptée et compétitive, c’est ainsi faire revenir dans notre pays les Contre ceux qui pensaient qu’il fallait choisir entre emploi investisseurs étrangers qui l’avaient quitté. L’État doit et innovation, nous avons décidé de ne pas manquer les assumer ce choix. prochaines révolutions technologiques. C’est pour cela que j’ai présenté, en février dernier, une stratégie nationale et L’État doit être, pour les citoyens et les entreprises, un européenne pour le déploiement de l’intelligence artificielle. interlocuteur de confiance qui garantit un ordre tout en Cette stratégie s’articule autour de la croissance, des créations facilitant l’initiative. C’est pourquoi nous avons défini des d’emploi, de l’identification de nouveaux métiers, mais aussi règles nouvelles qui, en cas d’erreur, offrent des chances de autour des principes éthiques auxquels nous sommes attachés rattrapage et simplifient le quotidien. et que ces développements pourraient fragiliser. 6 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018

Contre ceux qui pensaient que certaines filières sont Le projet auquel je crois n’est pas un projet pour la réussite condamnées au déclin, nous avons réarmé notre industrie. matérielle de quelques-uns, c’est un projet pour l’améliora­ Grâce aux réformes de cette première année, pour la première tion de la vie de tous. Car ce n’est pas le petit nombre qui fois depuis longtemps en France, de grands groupes étrangers m’importe, mais la communauté de nos concitoyens, de la ont décidé de développer dans notre pays des capacités de base au sommet de l’échelle sociale. Toutes les sociétés qui production, notamment dans l’énergie et dans l’aéronau­ ont propagé l’idée que la prospérité devait nécessairement se tique. Il nous faut poursuivre ce travail microéconomique traduire par des inégalités croissantes le paieront, je le crois, de terrain, et poursuivre aussi notre effort pour que ce au prix fort. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Certaines développement industriel se déploie dans un cadre ont déjà commencé à le payer, lorsque les classes populaires et européen loyal. les classes moyennes se sont réveillées pour rappeler à leurs dirigeants que le compte n’y était pas. C’est pourquoi la France, avec nombre de ses partenaires, soutiendra la proposition de la Commission européenne de Mais ne nous y trompons pas, nous aussi, nous avons des créer une taxe sur le chiffre d’affaires des géants du inégalités croissantes. Il y a une voie française vers l’inégalité, numérique qui aujourd’hui, ne paient pas d’impôts dans qui progresse depuis plus de trente ans. Il ne s’agit pas, nos pays. (Vifs applaudissements sur de très nombreux bancs.) comme chez nombre de nos voisins, d’une inégalité de revenus, même si elle existe. Non, ce qui s’est installé Contre ceux qui condamnaient l’agriculture française à la avant tout en France, ce sont les inégalités de destin. Selon mortifère fuite en avant, dans une concurrence dévorante l’endroit où vous êtes né, la famille dans laquelle vous avez avec les grands pays de production intensive, nous avons grandi, l’école que vous avez fréquentée, votre sort est, le plus engagé un vaste mouvement vers les savoir-faire français, souvent, scellé. Et ces inégalités de destin, durant les trente l’excellence et les productions dans leur grande variété, en dernières années, ont, qu’on veuille le voir ou non, progressé particulier les plus respectueuses de l’environnement. Vous dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) allez ainsi rebâtir une souveraineté alimentaire de qualité, pour la santé et le bien-être de nos concitoyens, mais aussi C’est cela qui m’obsède : le modèle français de notre siècle, pour permettre à nos paysans de vivre dignement de leur le réel modèle social de notre pays doit choisir de s’attaquer travail. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Cette aux racines profondes des inégalités de destin, celles qui sont politique de filières, que nous allons structurer et amplifier décidées avant même notre naissance, qui favorisent insidieu­ dans l’année qui vient, doit permettre de retisser les réseaux sement les uns et défavorisent inexorablement les autres. Sans économiques et les solidarités entre entreprises, qui dessinent que cela se voie, sans que cela s’avoue. Le modèle français que la géographie de notre pays et que nous avons trop longtemps je veux défendre exige que ce ne soient plus la naissance, la abandonnés au hasard et au fatalisme. chance ou les réseaux qui commandent la situation sociale, mais les talents, l’effort et le mérite. (Applaudissements sur Je crois à ce volontarisme, qui n’est pas un dirigisme, mais plusieurs bancs.) Oui, à mes yeux, le cœur même d’une qui consiste à rappeler aussi à nos entreprises qu’elles politique sociale, celle que nous devons porter, n’est pas viennent et qu’elles sont parties de quelque part et que nos d’aider les gens à vivre mieux la condition dans laquelle ils territoires sont aussi leur avenir. (Applaudissements sur sont nés et dans laquelle ils sont destinés à rester, mais de les quelques bancs.) aider à en sortir. (Mêmes mouvements.) Contre ceux, enfin, qui pensaient qu’il fallait choisir entre Le pilier premier de la politique sociale à laquelle je crois croissance et transition environnementale et climatique, nous est l’émancipation de chacun, qui libère du déterminisme avons décidé d’équiper nos entreprises et notre économie social et qui s’affranchit des statuts. C’est pourquoi, depuis pour ce grand défi du siècle. C’est pour cela que vous avez un an, nous avons tant fait pour l’éducation. C’est le combat voté la loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation de notre siècle, parce qu’il est au cœur de la transformation d’hydrocarbures en France, qui a fait de notre pays un économique de la société postindustrielle dans laquelle nous exemple pour le monde. vivons. Celle-ci est faite de changements, de ruptures et de C’est pour cela que nous avons pris acte des préoccupations mutations qui nous obligent à mieux former au début, mais de nos concitoyens en matière de santé pour adapter notre aussi tout au long, de la vie. modèle productif et le rendre exemplaire en Europe et en France. Je pense en particulière à l’arrêt progressif de l’utili­ Depuis la naissance de la République, depuis Condorcet, sation du glyphosate. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) l’école est la condition même d’une vie de citoyen libre et autonome. Mais alors que nous avions besoin d’elle, peut-être C’est pour cette même raison que, dans les semaines qui plus que jamais, nous avons, ces dernières décennies, brisé la viennent, le Gouvernement aura à présenter une stratégie dignité de la transmission, abîmé le prestige des professeurs, ambitieuse pour réduire la pollution de l’air et adapter nos discrédité l’utilité du diplôme, aggravant en cela la pire des mobilités comme la production d’énergie à nos exigences inégalités, celle dont nul n’est responsable : l’inégalité de contemporaines. naissance, l’inégalité de condition sociale. Ce sont là non seulement des engagements, mais égale­ C’est pourquoi des décisions radicales ont, en la matière, ment des opportunités économiques, des filières qui se été prises : l’école maternelle obligatoire à trois ans fait partie développeront, des industries qui se structurent – je pense de ces mesures dont nous devons être fiers. (Applaudissements en particulier à celles de l’économie circulaire ou de l’hydro­ sur de nombreux bancs.) Les enfants déscolarisés à cet âge-là ne gène –, et donc des choix que notre économie et notre rattrapent plus leur retard de socialisation et d’apprentissage. société doivent dès à présent faire et que nous devons Or ce sont les enfants des milieux modestes qui étaient les accompagner. (Applaudissements sur quelques bancs.) moins scolarisés ou qui ne l’étaient pas. Cela entrera en vigueur dès la rentrée 2019. Je l’affirme devant vous, représentants de la nation, la force de notre économie, quand nous l’aurons pleinement Le dédoublement des classes de cours préparatoire et de retrouvée, sera le socle même de notre projet de société et cours élémentaire première année en zones d’éducation du projet de justice qui est au cœur ce que je veux porter au prioritaire – dites REP et REP + – est une mesure de nom de la France. justice sociale plus efficace que tous les dispositifs de redis­ CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 7 tribution. (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs.) On y fragiles, est de plus en plus condamnée à enchaîner des distribue, en effet, de façon différenciée, le savoir fonda­ emplois toujours plus précaires, de toujours plus courte mental : lire, écrire, compter, se comporter. durée. Comment peut-on se loger, élever une famille quand on enchaîne perpétuellement des contrats de La réforme de l’orientation assure des choix plus judicieux quelques jours ? Les règles de l’assurance chômage ont pu et des trajectoires plus adéquates aux talents de chacune et involontairement encourager le développement de ce que chacun, cependant que la réforme du baccalauréat sur trois l’on appelle la permittence et de la précarité. (Applaudisse­ ans recentre les compétences sur l’essentiel, si souvent perdu ments sur quelques bancs.) de vue dans les brumes d’ambitions pédagogiques peu substantielles. La mise en place de Parcoursup donne aux Or je crois qu’il y a, là aussi, une voie française : celle qui jeunes gens la faculté de décider plus lucidement de leur permet de conjuguer en même temps le progrès économique formation initiale. et le progrès social. (Mêmes mouvements.) C’est pourquoi je souhaite que les partenaires sociaux révisent les règles de En faisant, à travers ces décisions fortes, une transforma­ l’assurance chômage afin que, dans cette période de reprise tion radicale de notre système éducatif, vous avez permis de économique, nous puissions non seulement nous assurer former des femmes et des hommes plus sûrs de leurs compé­ qu’elles récompensent bien davantage la reprise d’activité, tences, mieux éduqués, et, ainsi, des citoyens plus assurés de mais aussi qu’elles incitent à la création d’emplois de leur place dans la société et dans la nation françaises. C’est qualité. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) ainsi que nous renouerons avec cet idéal français des Lumières qui place cette citoyenneté émancipée au-dessus Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir profes­ des conditions sociales, des origines comme du genre. sionnel sera modifié en ce sens dans les prochains jours, et ces (Applaudissements sur de nombreux bancs.) règles seront négociées dans les prochains mois par les parte­ naires sociaux afin qu’une telle réforme puisse entrer en L’émancipation passe aussi par le mérite et par le travail. Il vigueur au printemps 2019. Ce sont ces transformations y a un an, les entreprises n’avaient pas les moyens d’embau­ et, plus largement, l’agenda des réformes attendues que je cher ; désormais, elles les ont, mais elles peinent à recruter. Il souhaite pouvoir partager avec les partenaires sociaux, que je serait absurde que nous passions d’une situation où un recevrai le 17 juillet prochain. Le Premier ministre structu­ chômeur pouvait occuper un emploi mais que l’entreprise rera ces discussions dès la rentrée. ne pouvait pas le lui offrir, à une situation où une entreprise peut lui offrir cet emploi mais qu’il ne peut l’occuper ! Mais je veux, dans cette deuxième année qui s’ouvre, redonner corps à la République contractuelle à laquelle je Toutes nos politiques d’insertion dans l’emploi doivent crois, celle qui permettra de jeter les bases d’un nouveau être revues à cette lumière. C’est pourquoi vous serez contrat social pour ce siècle, par une discussion avec appelés à voter, bientôt définitivement, une réforme profonde de la formation professionnelle et de l’apprentis­ l’ensemble des partenaires sociaux mais aussi des élus. C’est sage. Il appartiendra aux partenaires sociaux et aux entre­ à son élaboration comme au détail de sa mise en œuvre que je prises de se saisir des outils nouveaux que nous leur confions. veux les inviter, dès le 17 juillet prochain, pour discuter des L’apprentissage et l’alternance seront cet accélérateur de transformations de l’assurance chômage, comme je viens de le mobilité sociale dont nous avons besoin. (Applaudissements dire, mais également de la santé au travail et de tous les sujets indispensables à ces transformations, discuter dans l’esprit sur quelques bancs.) constructif avec lequel nous avons su mener, ces derniers Nous mettons ainsi au cœur du système le jeune et son mois, le dialogue entre le Gouvernement et les partenaires maître d’apprentissage et nous reconstruisons tout autour sociaux sur l’égalité entre les femmes et les hommes. d’eux avec un seul objectif : en finir avec les ravages du chômage de la jeunesse. Nous baissons le coût de l’apprenti Nous voulons renouer avec une croissance durable, mais pour l’employeur, rendons ces filières plus attractives pour les aussi promouvoir une croissance partagée. C’est pourquoi je jeunes et simplifions les règles pour les rendre plus adaptées à recevrai, dans le courant du mois, les cent premières entre­ la réalité du travail. prises françaises, afin de solliciter leur engagement en vue de relever les défis qui nous attendent. J’attends d’elles qu’elles D’autres pays ont emprunté cette voie et ont réussi. Aussi s’engagent en matière d’apprentissage, d’emploi dans les demanderai-je à tous un effort collectif : aux entreprises pour quartiers difficiles ou les zones économiques en souffrance, prendre des apprentis, aux enseignants pour en faire la car il n’y aura pas de dynamisme économique sans mobili­ promotion et aux familles pour soutenir leurs enfants dans sation sociale de toutes les parties prenantes. Je leur deman­ cette voie professionnelle épanouissante. Tous, nous devons derai non un engagement inscrit dans la loi, mais un faire de cette réforme un formidable défi collectif de la nation engagement actif, immédiat, l’engagement de créer des dans les années qui viennent. Dès cette année, les filières emplois, d’embaucher des apprentis – un engagement professionnelles et technologiques sont d’ailleurs nettement visible, un engagement sur nos territoires. Je souhaite plus prisées par nos jeunes bacheliers. poursuivre ainsi dans les prochains mois cette nouvelle phase de mobilisation en faveur de nos territoires, avec C’est aussi pour cela que nous avons lancé, à destination l’ensemble des élus concernés, les principales entreprises et notamment des chômeurs de longue durée et des jeunes les investisseurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) décrocheurs, un plan d’investissement dans les compétences d’une ampleur inédite : 15 milliards d’euros sur cinq ans Nous avons besoin d’un nouvel aménagement écono­ pour former un million de jeunes et un million de deman­ mique, qui soit un aménagement de projets – vous le savez deurs d’emploi de longue durée. (Applaudissements sur bien, vous qui êtes ici présents. plusieurs bancs.) Je ne reviendrai pas sur les réformes territoriales ; le Premier L’émancipation par le travail suppose, en effet, cet inves­ ministre le fera dès demain et la Conférence nationale des tissement dans les compétences. Encore faut-il savoir de quels territoires va se réunir dans les prochains jours. La politique emplois nous parlons. Là aussi, les inégalités sont profondes. territoriale à laquelle je crois, ce n’est pas une politique qui À côté de ceux qui bénéficient de contrats stables, une part défendrait des intérêts particuliers ou des catégories, dans le croissante de nos concitoyens, souvent moins qualifiés et plus cadre de laquelle il faudrait jouer telle collectivité contre 8 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 l’État. C’est une politique au service de nos concitoyens, une voudrions supprimer les pensions de réversion est une politique qui vous évitera de perdre des mois, comme on l’a rumeur malsaine qui ne vise qu’à faire peur. (Vifs applaudis­ fait constamment au cours des dernières décennies, à sements sur de nombreux bancs.) Je le dis clairement : rien ne délibérer des compétences qu’il faudrait transférer à l’un changera pour les retraités d’aujourd’hui. (Exclamations sur plutôt qu’à l’autre, pour revenir dessus lors du mandat plusieurs bancs.– Vifs applaudissements sur plusieurs autres.) suivant. Rien ! Et cela, pour une raison simple : pour la première fois, on n’a pas choisi de réaliser des économies sur le dos La réforme constitutionnelle qui vous est soumise promeut des retraités d’aujourd’hui ou de ceux qui s’apprêtent à partir une décentralisation de projets par la différenciation. à la retraite, on a choisi de refonder un système de retraite, un L’aménagement auquel je crois vise au lancement de système qui soit juste, unique, transparent, un système qui nouveaux projets et à un rééquilibrage des territoires par viendra progressivement remplacer la quarantaine de régimes l’installation d’activités économiques conçues en liaison existants. (Vifs applaudissements sur plusieurs bancs.) avec l’ensemble des élus locaux et accompagnées par le Gouvernement et par les services de l’État dans le cadre de Qui ne croit plus au système de retraite aujourd’hui ? Ce ces projets. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Là sont les jeunes, parce qu’ils pensent que ce système ne aussi, nous avons le droit de proposer à nos concitoyens permettra pas de financer leur propre retraite. Tout le mieux que le bégaiement de querelles que nous ne connais­ monde semble oublier que notre système de retraite, sons que trop. (Mêmes mouvements.) auquel je tiens profondément et qui sera au cœur de cette Le progrès social, s’il découle de l’émancipation indivi­ réforme, est un système par redistribution, c’est-à-dire qui duelle et de la capacité de chacun à se hisser au sein de la repose sur la solidarité entre les générations. La retraite n’est société grâce à l’école, au mérite et au travail, passe aussi par pas un droit pour lequel on a cotisé toute sa vie ; la retraite est un élan collectif qui vise à assurer la dignité de chacun. C’est ce que les actifs paient pour les retraités. (Vifs applaudisse­ cela, la solidarité nationale. Telle est l’intuition fondamentale ments sur de nombreux bancs.) C’est sur la mise en place de ce qui a présidé, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à la système unique, transparent et juste que vous aurez à création de notre sécurité sociale. discuter, travailler et voter au cours de la prochaine année. Soixante-dix ans plus tard, nous pouvons en être fiers, mais L’État providence du XXIe siècle devra aussi être efficace. nous devons aussi regarder en face les échecs et les insuffi­ Ce devra tout particulièrement être le cas en matière de sances, et examiner avec lucidité ce qu’il faudrait améliorer. santé ; les premières réformes que nous avons engagées sur La Sécurité sociale devait être universelle, et nous voyons le reste à charge zéro ou sur la prévention seront complétées partout des pans entiers de notre population trop peu ou par la présentation, à l’automne, d’une transformation en trop mal couverts, qui renoncent aux soins ou qui n’y ont pas profondeur de notre organisation de soins sur le territoire accès. Elle devait répondre aux angoisses les plus profondes national, en vue de répondre aux nouveaux risques, aux de l’existence, et nous sommes aujourd’hui laissés seuls, ou nouvelles pathologies et aux transformations de notre santé presque, face à des risques majeurs, comme celui de la perte dans une société qui vieillit et où les maladies chroniques sont d’autonomie, et des retraites incertaines. Elle devait susciter beaucoup plus nombreuses. (Applaudissements sur quelques la confiance, et nous voyons, au contraire, complaisamment bancs.) agitée par ceux qui n’ont que le mot « assistanat » à la bouche, la défiance la ronger. Cet État providence devra, enfin, être plus civique et responsabilisant. La solidarité nationale est financée de plus La priorité de l’année qui vient est simple : nous devons en plus par l’impôt. Les dispositions que vous avez votées en construire l’État providence du XXIe siècle. (Applaudissements matière d’assurance chômage ont ainsi supprimé toutes les sur plusieurs bancs.) Ce sera un État providence émancipa­ cotisations salariales, qui ont été remplacées par la contribu­ teur, universel, efficace, responsabilisant, c’est-à-dire tion sociale généralisée, la CSG. Mais il faut envisager la couvrant davantage, protégeant mieux et s’appuyant sur les réforme dans son ensemble et ne pas considérer que mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous. l’augmentation de la CSG, en oubliant qu’il y a, de l’autre côté, une baisse de toutes les cotisations sociales salariales. Un État providence universel, d’abord. L’État providence e (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Cette réforme a permis du XX siècle était conçu pour une société du plein-emploi. d’accroître le pouvoir d’achat des travailleurs, tout en préser­ La détention d’un travail – et d’un travail continu, perma­ vant la compétitivité et en garantissant le maintien des droits. nent, pérenne – est ainsi devenue le sésame pour accéder à la solidarité nationale. Dans une société frappée par le chômage Elle conduit aussi à modifier la philosophie même de notre de masse et par l’intermittence des parcours professionnels, ce solidarité nationale, afin, en quelque sorte, d’en retrouver le sésame a perdu de sa valeur ; il est devenu une redoutable sel. Cette solidarité est de moins en moins une assurance barrière. Notre solidarité, dans son fonctionnement, est individuelle assortie d’un droit de tirage. Financée par devenue statutaire. Elle s’est attachée aux carrières, aux l’ensemble des contribuables, elle implique des droits et des secteurs d’activité. Elle ne répond plus aux règles d’une devoirs, car chacun est comptable de tous et tous de chacun. économie de l’innovation et de la compétence. (Applaudisse­ Par suite de la réforme que vous avez votée, l’assurance ments sur quelques bancs.) Nous devons protéger nos conci­ chômage n’est plus du tout financée par les cotisations des toyens non selon leur statut ou leur secteur d’activité, mais de salariés, elle est financée par les cotisations des employeurs et manière plus juste, plus universelle. par la CSG. De cette transformation il faut évaluer toutes les Dès cette année, nous avons étendu l’assurance chômage conséquences. Il n’y a plus un droit au chômage, au sens où aux travailleurs indépendants et aux démissionnaires, selon on l’entendait classiquement, il y a un droit qui est offert par des modalités préalablement négociées par les partenaires la société, mais dont on ne s’est pas garanti l’accès à titre sociaux. individuel, puisque tous les contribuables l’ont financé. C’est là que se joue la véritable transformation, et c’est là que réside En 2019, nous refonderons notre régime de retraite, pour la véritable dignité : tout le monde doit être protégé, mais mieux protéger ceux dont les carrières sont hachées, instables, chacun a sa part de responsabilité dans la société. (Applau­ atypiques – bien souvent des femmes, d’ailleurs. (Applaudis­ dissements sur plusieurs bancs.) C’est en contribuant, chacun sements sur plusieurs bancs.) À cet égard, faire croire que nous selon ses possibilités, que l’on devient citoyen. CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 9

C’est pourquoi nous allons transformer notre système de situations de plus en plus difficiles ; et nous y laissons des solidarité pour le rendre tout à la fois plus universel et plus personnels remarquables, mais avec des équipements et un responsabilisant, en accompagnant toute personne qui le taux d’encadrement qui ne permettent pas de faire face à une peut vers une activité professionnelle, même à temps dépendance de plus en plus médicalisée et à une transforma­ partiel, et en exigeant de chacun qu’il prenne sa part dans tion du grand âge. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) le fonctionnement de la société, à sa mesure. C’est ce système de droits et de devoirs qui est au cœur du pacte républicain, Ce que nous avons vu émerger ces dernières années, c’est et non la stigmatisation odieuse selon laquelle certains bénéfi­ un nouveau risque social, auquel nous serons tous et toutes cieraient d’assistanat. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) confrontés. Une partie de l’angoisse que j’entends nos conci­ C’est cette philosophie qui sera mise en œuvre dans le cadre toyens les plus âgés exprimer n’est pas seulement de l’angoisse de la réforme de l’assurance chômage et de la réforme des pour eux-mêmes et leur retraite, elle concerne aussi ce qu’ils minima sociaux. vont devenir ou ceux dont ils ont souvent la charge.

La solidarité nationale se traduit, enfin, dans l’aide que Il nous faut donc construire pleinement le financement et nous devons, de manière inconditionnelle, aux plus fragiles. l’organisation de ce nouveau risque social. Nous ne pouvons Les plus fragiles, ce sont d’abord les enfants. Quelle gloire plus longtemps l’ignorer, faire semblant ! (Applaudissements peut-on tirer de politiques sociales qui ont condamné à la sur plusieurs bancs.) Nous devons venir au secours des pauvreté un enfant sur cinq dans notre pays ? (Applaudisse­ familles, organiser les choses différemment, répondre aussi ments sur plusieurs bancs.) Nous investirons pour sortir les aux besoins des personnels des établissements d’hébergement enfants de la pauvreté et de ses conséquences dramatiques. pour personnes âgées dépendantes, qui font le travail Nous déploierons en particulier une action à l’endroit des admirable que je décrivais. (Mêmes mouvements.) L’année enfants en danger ou maltraités, si nombreux dans notre 2019 y sera consacrée, et je souhaite que soit votée durant pays. Ces initiatives interviendront dès l’automne. cette année une loi qui le permette. (Mêmes mouvements.) Les plus fragiles, ce sont aussi nos concitoyens qui sont en Il est cependant certain que répondre aux peurs contem­ situation de handicap. Pour ces derniers, vous avez décidé poraines n’impose pas seulement une action économique et une augmentation de cent euros de l’allocation aux adultes sociale. Nous vivons dans un pays qui ressent sourdement la handicapés. La politique de réinsertion dans l’école et dans le peur d’un effacement culturel, d’un déclin lent de ses propres travail sera poursuivie, avec des choix budgétaires clairs et un repères, des repères historiques qui ont forgé notre nation. Le accompagnement renforcé. Nous engagerons aussi une terrorisme, le fracas du monde, l’immigration, nos échecs en politique de retour vers la citoyenneté pleine et entière, matière d’intégration, les tensions de notre société depuis incluant un retour au droit de vote pour ces personnes, y plusieurs décennies s’entrechoquent, bien souvent dans la compris pour celles sous tutelle. (Applaudissements sur confusion, et font germer une peur culturelle, civilisation­ plusieurs bancs.) nelle, le sentiment sourd que ce monde qui advient impose­ Les plus fragiles, ce sont encore nos concitoyens qui vivent rait de renoncer à celui d’où nous venons, avec ses en situation de pauvreté. La stratégie de lutte contre la fondamentaux et ses valeurs. (Applaudissements sur quelques pauvreté sera présentée en septembre et mise en œuvre bancs.) en 2019. Construite avec l’ensemble des acteurs, elle ne se contentera pas de proposer une politique de redistribution C’est pourquoi il nous faut restaurer l’ordre et le respect classique, elle engagera une politique d’investissement et républicains (Mêmes mouvements), c’est-à-dire restaurer cette d’accompagnement social. Ce ne seront pas de nouvelles idée que la démocratie n’est pas un espace neutre ouvert à aides pour solde de tout compte, ce sera un accompagnement tous les relativismes, mais d’abord la reconnaissance partagée réel vers l’activité, le travail, l’effectivité des droits fondamen­ des droits et des devoirs qui fondent la République même. taux : la santé, le logement, l’éducation. Je veux que cette action engage toutes les forces vives de la société, au premier De cet ordre républicain, la sécurité est le premier pilier. chef celles et ceux qui vivent dans la pauvreté. Je ne veux pas Car l’insécurité frappe avant tout les plus modestes, les d’une stratégie qui s’imposerait d’en haut, dans la torpeur de quartiers les plus populaires, les classes populaires et l’été, afin de régler un problème ou cocher une case. Je veux moyennes qui n’ont pas forcément choisi l’endroit où elles une stratégie qui sorte enfin de l’état de minorité civique ceux habitent et en subissent toutes les conséquences. La police de de nos concitoyens qui vivent en situation de pauvreté et qui sécurité du quotidien reconstitue cette proximité de la veulent être les acteurs de leur propre vie et de ce change­ population et de la police qui donne un visage à l’autorité ment. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Je veux une et conjure le sentiment d’abandon ou d’oubli de populations stratégie de lutte contre la pauvreté qui ne permette pas à livrées à des lois qui ne sont plus celles de la République. nos concitoyens pauvres de vivre mieux, mais bien de sortir Ainsi avez-vous commencé à donner de nouveaux moyens à de la pauvreté, une bonne fois pour toutes ! (Mêmes mouve­ nos forces de l’ordre, et je vous en remercie. (Applaudissements ments.) sur quelques bancs.) Les plus fragiles, ce sont enfin les plus âgés, vivant en La réforme de la procédure pénale permettra d’aller plus situation de dépendance. Là se niche l’angoisse des personnes loin, et d’alléger les charges inutiles pour nos policiers et nos âgées et de leurs familles. Nous l’avons laissée s’installer et gendarmes comme pour nos magistrats. Vous aurez ce texte nous avons permis que les familles trouvent par elles-mêmes important à discuter et à voter afin qu’il puisse entrer en les réponses, en dehors de tout cadre officiel, faisant de la vigueur au premier trimestre 2019. dépendance une détresse inouïe : détresse des personnes qui vivent cette situation durant les derniers mois de leur vie ; Nous redéfinirons aussi le sens de la peine, car ce que nous détresse de leurs familles qui vivent dans l’angoisse, celle, voulons, c’est une autorité de la République qui fasse souvent, de ne pas leur offrir la vie qu’elles leur devaient ; respecter les règles avec discernement et équité, afin que la détresse des personnels soignants qui font face à une trans­ prison, en particulier, retrouve toute sa signification en formation, là aussi, de ce qu’est la dépendance. On entre termes de punition, mais aussi de réinsertion. (Applaudisse­ dans les établissements de plus en plus tard et dans des ments sur quelques bancs.) 10 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018

Pendant ces derniers mois, nous avons aussi mis fin aux Mais nous avons, ce faisant, précédé un mouvement occupations illégales du domaine public auxquelles nous mondial. La France, lorsque ce mouvement a surgi chez nous étions trop habitués depuis des années, à Notre- nous, était prête et consciente. De cela, nous devons être Dame-des-Landes comme à Bure, et qui laissaient les fiers. Nous n’avons pas suivi le mouvement : nous l’avons habitants dans le désarroi. (« Bravo ! » et applaudissements anticipé, parce que le respect et la considération ne se sur de nombreux bancs.) négocient pas dans une société républicaine ; et lorsqu’ils reculent, c’est toute la société qui recule. (Mêmes mouve­ La sécurité recouvre également la lutte contre le terrorisme. ments.) Sur ce point, nous avons poursuivi les transformations indis­ pensables et réarmé notre organisation à tous les niveaux, en C’est, du reste, ce qui s’est aussi produit dans des territoires particulier grâce à la loi de sécurité intérieure et de lutte entiers, enfermés dans le mépris et la condescendance. Notre contre le terrorisme, qui a permis de sortir de l’état politique pour les quartiers s’est ainsi fondée sur le retour de d’urgence et d’instituer dans notre droit les instruments la considération et sur cette conviction que naître et vivre indispensables pour lutter contre le terrorisme contemporain. dans un quartier ne saurait être un stigmate. Les emplois Nous avons eu, à Marseille, à Trèbes, à Paris, à subir de francs, la généralisation des stages en entreprise, le retour des nouvelles attaques d’un terrorisme islamiste dont les formes services publics, des programmes de rénovation urbaine ont changé, qui ne s’appuie plus sur des organisations inter­ accélérée, des réponses pragmatiques bâties avec les nationales fortement structurées, mais se love dans nos citoyens, une école adaptée permettront de sceller dans des sociétés elles-mêmes et utilise tous les moyens contempo­ territoires oubliés le retour d’une considération nationale qui, rains. De nouvelles décisions seront prises et le travail doit trop souvent, s’est confondue avec l’indifférenciation de plans se poursuivre, sans fébrilité, mais sans relâche. C’est celui dispendieux. (Applaudissements sur quelques bancs.) d’une génération. L’ordre républicain, c’est aussi cette nécessité de ramener Sur ces sujets, le temps est à l’action déterminée, et je veux dans le giron de la République des pans de la société qui s’en ici rendre hommage à l’ensemble de nos soldats qui combat­ sont éloignés. tent au Levant et en Afrique l’ennemi djihadiste (Mmes et MM. les membres du Congrès, hormis quelques-uns, ainsi que La République n’a aucune raison d’être en difficulté avec plusieurs membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent l’islam, pas davantage qu’avec aucune religion. (Applaudisse­ longuement), comme à nos forces de sécurité intérieure qui, ments sur plusieurs bancs.) La laïcité, du reste, commande avec courage et calme, assurent la protection de nos conci­ qu’elle n’ait pas à en connaître et veut simplement que soit toyens. (Mêmes mouvements.) garantie à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire. (Mêmes mouvements.) Au-delà de la sécurité, l’ordre républicain est fondé sur un système de droits et de devoirs dont chaque citoyen est le Mais il y a une lecture radicale et agressive de l’islam, qui se dépositaire et que nous devons réactiver. Les droits et les fixe pour but de mettre en cause nos règles et nos lois de pays devoirs, c’est bien entendu à l’école que nous les enseignons libre et de société libre, dont les principes n’obéissent pas à de façon plus systématique. C’est pour cela que nous des mots d’ordre religieux. Il faut que tout le monde sache poursuivrons la formation et l’accompagnement des qu’en France, la liberté individuelle, la liberté de penser, la maîtres, en particulier sur la laïcité. (« Bravo ! » et applaudis­ liberté de critiquer, l’égalité des femmes et des hommes, le sements sur plusieurs bancs.) respect des choix individuels, tant qu’ils n’attentent pas aux droits des concitoyens, sont des principes intangibles. Mais nous le ferons aussi par le service national universel, (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Il faut que tout qui sera précisé d’ici à la fin de l’année, à l’issue d’une le monde sache que nulle mise en cause de ces principes ne nécessaire consultation. Depuis quand n’avait-on pas ainsi peut être acceptée sur le fondement d’un dogme religieux. sondé la jeunesse sur ses aspirations ? Je crois profondément (Mêmes mouvements.) La laïcité, c’est le respect réciproque : dans ce service universel, car c’est en connaissant mieux son respect de la société et de l’État à l’égard des croyants ; respect compatriote, que jamais peut-être on n’aurait croisé autre­ des croyants à l’égard de la société et des principes d’un État ment, que l’on se met en mesure de le comprendre mieux, de qui appartient à tous. (Mêmes mouvements.) Je sais que le respecter et de sentir ce lien invisible qui fait la commu­ l’immense majorité de nos concitoyens musulmans le nauté de destin d’une nation. C’est aussi le moyen de savent, le partagent, l’approuvent et sont prêts à participer comprendre ce qu’est l’engagement, le cœur de notre à cette affirmation de notre République. République, et je sais que notre jeunesse saura s’en saisir. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) C’est pourquoi, dès l’automne, nous clarifierons cette situa­ La société républicaine que nous voulons est une société du tion, en donnant à l’islam un cadre et des règles garantissant respect et de la considération. Nous l’avons constaté pendant qu’il s’exercera partout de manière conforme aux lois de la la campagne présidentielle, une forme d’irrespect, voire de République. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Nous le violence, s’était banalisée à l’égard d’une catégorie de ferons avec les Français dont c’est la confession et avec leurs Français : les femmes. Qui aurait cru qu’en ce début de représentants. L’ordre public, la civilité ordinaire, l’indépen­ XXIe siècle, l’État devrait encore se battre pour que cessent le dance des esprits et des individus à l’égard de la religion ne harcèlement du quotidien, l’inégalité des salaires, la violence sont pas de vaines paroles en France, et cela impose un cadre physique et morale dont les femmes sont victimes ? (Applau­ rénové, une concorde retrouvée. (Mêmes mouvements.) dissements sur plusieurs bancs.) Cette démarche avait été différée au nom de cette idée que Ce combat, souvenez-vous, a d’abord surpris. À certains, il tout se vaut et qu’au fond, notre pays n’est qu’un assemblage avait même pu paraître dérisoire lorsque, dès avant mon chaotique de traditions et de cultures. Sur ce terrain n’ont élection, je m’étais engagé à en faire la grande cause du grandi que l’insécurité morale et l’extrémisme politique. Il est quinquennat. Une loi importante en ce domaine sera votée temps pour la République de se ressaisir de la question prochainement, et la mobilisation en matière de droits culturelle et de considérer de nouveau comme de son comme d’égalité salariale se poursuivra dans les mois et les devoir de faire émerger non une culture officielle, mais une années qui viennent. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) culture partagée. CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 11

Si l’école est le creuset de cette culture commune, la société tations à travers l’Europe, pour aller mettre dans je ne sais en est la caisse de résonance, et nous devons œuvrer ensemble quels camps, à ses frontières, en son sein ou ailleurs, les à rendre à la France cette voix, ce timbre, ce regard qui étrangers qu’on ne voudrait pas. (Mêmes mouvements.) toujours ont fait sa singularité, qui sont la confluence de mille rivières, mais qu’on reconnaît au premier coup d’œil. Cet ordre républicain auquel nous croyons est le fonde­ C’est pourquoi nous faisons tant d’efforts pour le patrimoine. ment d’une nation d’hommes et de femmes libres. Il repose C’est pourquoi nous nous battons pour la langue française sur une tension éthique permanente, celle même de la République, qui nous impose de ne céder à aucune facilité partout à travers le monde. C’est pourquoi nous voulons une e politique culturelle qui ose dire qu’il est des expressions plus contemporaine. C’est cela aussi, une puissance du XXI siècle, belles, plus profondes, plus riches que d’autres, et que notre et c’est la vocation de la France d’enraciner sa force dans cette devoir est de donner le meilleur à tous nos compatriotes liberté civique, quand trop d’observateurs voudraient nous – cette politique de l’accès à la culture par l’école, tout au faire croire qu’il n’est de puissance que par la sujétion des long de la vie et sur l’ensemble de nos territoires. C’est individus, par le recul des libertés et par l’affaiblissement des pourquoi, enfin, nous devons prendre soin de nos auteurs, droits. faire qu’ils soient rémunérés de manière adaptée et défendre Pour faire face à la peur de l’effacement, à cette insécurité leur situation en Europe, où des victoires ont été remportées, culturelle et civilisationnelle que j’évoquais, nous avons aussi mais où le combat continue. Nous ne voulons pas une besoin de porter le projet français pour l’Europe, qui est de culture officielle, mais une culture française plurielle et retrouver le sens et la substance de notre coopération face à vivante, qui puisse continuer à s’épanouir et à rayonner. tous les défis que nous pouvons relever uniquement Nous voulons continuer à produire un imaginaire français. ensemble, en tant qu’Européens. Cet engagement, ce (Applaudissements sur de nombreux bancs.) projet français a d’ores et déjà permis des avancées réelles que d’aucuns pensaient impossibles jusqu’alors. Nous avons Cet ordre républicain, enfin, se construit dans la cohésion progressé vers une Europe qui protège davantage : par une nationale et donc dans le rapport à l’autre : l’étranger. La peur politique de défense, dont l’idée même était abandonnée que nous devons entendre, c’est bien celle-là. Je sais combien depuis soixante-dix ans ; par une meilleure régulation du ces débats vous ont vous-mêmes préoccupés. Je pense que ce travail détaché assurant la protection des salariés européens ; sujet ne peut être réglé ni dans l’émotion, qui crée la confu­ par la défense de nos intérêts communs sur le plan commer­ sion, ni dans la fermeture et le repli nationaliste, qui ne cial ; par la conclusion, voilà quelques semaines, d’un accord permettent de régler durablement aucun problème. Nous franco-allemand de moyen terme, qui n’avait pas été fait devons, sur ce sujet encore, nous montrer fidèles à notre depuis plus de vingt ans et qui a permis de jeter les bases Constitution, qui protège de manière inconditionnelle ceux d’un budget de la zone euro. (Applaudissements sur de qui demandent l’asile, mais impose des règles précises à ceux nombreux bancs.) Depuis quand n’avions-nous pas attendu qui, pour des raisons économiques, quittent leur pays pour les crises pour avancer concrètement ? Cette Europe-là n’est rejoindre le nôtre. pas incantatoire ni éloignée. Elle prend en charge le quotidien L’ordre républicain exige le respect des frontières, des règles des Européens et leurs intérêts vitaux. pour rejoindre ce qu’est la nation – c’est le principe même de Toutefois, ces avancées réelles pour lesquelles la France s’est la souveraineté – et un devoir d’humanité que notre Consti­ battue ne doivent pas faire oublier les doutes et les divisions. tution prévoit. C’est en respectant cette grammaire que nous L’Europe est encore trop lente, trop bureaucratique, trop devons faire face à nos défis contemporains. Il n’y a aucune divisée pour affronter la brutalité des changements politiques, solution de court terme, facile : ni celle de l’émotion, ni celle sécuritaires, migratoires et technologiques. Notre plus grande de la colère. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Il n’y a erreur serait cependant de brandir les spectres du passé et de qu’une voix exigeante, celle de la République et de la coopé­ redouter la répétition de l’histoire ou je ne sais quelle fatalité ration en Europe. Elle passe par une politique que nous européenne du conflit. Ce n’est pas cela qui nous menace. La devons repenser, à laquelle nous devons redonner de l’ambi­ vérité est que nos combats d’aujourd’hui requièrent l’Europe, tion : un partenariat refondé avec l’Afrique. (Mêmes mouve­ car nous ne pourrons être à la hauteur des enjeux contem­ ments.) Cette jeunesse qui quitte l’Afrique aujourd’hui pour porains qu’en unissant nos forces avec les nations dont prendre tous les risques et qui n’a pas droit, dans une large l’histoire a fait nos partenaires naturels. (Applaudissements majorité, à l’asile, c’est la jeunesse du désespoir, la jeunesse à sur plusieurs bancs.) Ni les défis commerciaux, ni les défis qui on n’a plus donné de projet, qu’elle vienne du Golfe de du climat, ni les défis de la défense, ni les défis économiques Guinée ou d’une bonne partie du Sahel. La France et avec et monétaires ne peuvent se relever dans l’isolement, et elle l’Europe doivent rebâtir les termes d’un partenariat, car encore moins le défi migratoire que j’évoquais à l’instant. l’histoire contemporaine ne nous rappelle qu’une chose : En ces matières, la solution véritable ne peut être que dans la nous ne sommes pas une île et nous avons destins liés. coopération européenne. (Mêmes mouvements.) (Mêmes mouvements.) C’est au cœur de ces interrogations que se joue l’Europe de La deuxième de nos réponses passera par un renforcement demain. Elle sera nécessairement une Europe des peuples. de nos frontières communes en Europe – un investissement Peut-être les vingt-huit peuples qui composent l’Union assumé que la France porte, un investissement voulu, n’avanceront-ils pas tous au même rang, au même pas, cohérent – et par une politique de responsabilité et de solida­ mais ils se montreront capables d’agir ensemble dans des rité au sein de l’Europe. Aucune politique nationaliste de circonstances exceptionnelles face à des défis qui nous court terme ne réglera en rien la situation migratoire (Vifs confrontent au plus vif de ce que nous sommes. Au sein applaudissements sur de nombreux bancs) ; elle sèmera la de cette Europe, la France fait entendre sa voix, avec un division en Europe. Toute politique qui voudrait mélanger projet clair, celui que j’ai présenté en octobre dernier à la toutes les situations et ne pas voir qu’il en existe aujourd’hui Sorbonne, celui d’une Europe plus souveraine, plus unie, de différentes, selon que l’on vient d’un pays en guerre ou plus démocratique, celui d’une Europe qui sera portée par selon que l’on n’en vient pas, oublie aussi cette cohésion une coalition de volontés et d’ambitions, et non plus nationale indispensable que nous devons préserver. Mais paralysée par l’unanimisme et capturée par quelques-uns. jamais la France n’acceptera les solutions de facilité que Mais il faut aussi le dire clairement, la frontière véritable d’aucuns proposent, qui consisteraient à organiser des dépor­ qui traverse l’Europe est celle aujourd’hui qui sépare les 12 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 progressistes des nationalistes. (Applaudissements sur de messieurs, que je vous appelle. Vive la République, vive la nombreux bancs.) Nous en avons pour au moins une France ! (De très nombreux membres du Congrès et les membres décennie. Ce sera difficile, mais le combat est clairement du Gouvernement se lèvent et applaudissent longuement.) posé. Il sera au cœur des enjeux des élections européennes de 2019, qui appartiennent à ces scrutins qui sont aussi des M. le président. Merci, monsieur le Président de la tournants. République. Et comme au cœur de toute menace naît une grande opportunité, c’est sur cette crise que nous fonderons les Suspension et reprise de la séance clés de la puissance européenne, de l’indépendance européenne, de la conscience européenne de demain, après soixante-dix ans de paix qui nous ont trop souvent conduits à M. le président. Mesdames et messieurs les députés, perdre de vue le sens même de l’Europe. (Applaudissements mesdames et messieurs les sénateurs, je vais suspendre la sur plusieurs bancs.) La crise que nous traversons nous dit une séance quelques instants pour raccompagner le Président de chose : l’Europe des assis, l’Europe des assoupis est terminée. la République. (Mêmes mouvements.) Un combat est en train de se livrer, qui (La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize définira le projet de l’Europe à venir : celui d’un repli natio­ heures quarante.) naliste ou celui d’un progressisme contemporain. La France porte sa voix. Elle est écoutée, parce que c’est une voix forte. C’est la voix de la raison, mais aussi, parfois, la M. le président. La séance est reprise. voix de ceux qui n’en ont pas ou qui n’en ont plus, qui parle pour la défense des biens communs. Je m’attacherai à ce combat. C’est à ce titre que nous nous sommes engagés 3 dans d’autres luttes et que la France a fait entendre sa voix, lorsque les États-Unis se sont retirés de l’accord de Paris. C’est pour cela que nous sommes intervenus sur le nucléaire iranien ou dans la crise syrienne. C’est pour cela DÉBAT SUR LA DÉCLARATION DU que la France aujourd’hui est à l’initiative pour réinventer un PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE multilatéralisme fort, dont le monde contemporain a besoin. La France, de nouveau, est cette médiatrice, ce tiers de M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la confiance qui tente de tenir ensemble les équilibres du déclaration du Président de la République. monde et de trouver les voies d’avenir. C’est ce rôle néces­ Je vous rappelle que l’orateur désigné par chaque groupe saire, tout à la fois pour notre sécurité et la défense de nos dispose d’un temps de parole maximal de dix minutes, et que valeurs, qu’aujourd’hui nous menons. Je crois dans la possi­ cinq minutes ont été attribuées à un membre du Congrès bilité de défendre une démocratie forte et respectée. Je crois n’appartenant à aucun groupe – en l’occurrence un député dans la possibilité de défendre une Europe forte et souve­ non inscrit. raine. Je crois dans la possibilité de défendre les valeurs universelles qui nous ont faits à travers ce multilatéralisme La parole est à M. Richard Ferrand, pour le groupe La fort contemporain. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) République en marche de l’Assemblée nationale. Tel est, mesdames et messieurs, le cap que je fixe à la M. Richard Ferrand. Monsieur le président du Congrès, France. Vous l’aurez compris, je souhaite renouer avec ce monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier projet français que nous avons perdu de vue trop longtemps ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouverne­ par frilosité ou par confort intellectuel. Il suppose, je ment, chers collègues parlementaires, l’engagement du Prési­ l’accorde, de vouloir s’affranchir des querelles où nous dent de la République de venir chaque année rendre compte nous sommes, en quelque sorte, confondus ou auxquelles et s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès est tenu : nous nous sommes longtemps habitués. Ce projet ne peut parole donnée, parole respectée ! (Applaudissements sur de se déployer que si nous en finissons avec ce renoncement où nombreux bancs.) nous nous sommes enfermés depuis quarante ans, qui Depuis un an, nous n’avons rien cédé, ni à la tentation de voudrait que la France ne soit qu’une puissance moyenne. l’immobilisme ni à celle du renoncement. Le travail accompli Cette idée nous a étouffés et meurtris. Je crois, moi, que la le démontre, nous sommes en marche avec vous, mesdames France a les moyens de devenir de nouveau une puissance du et messieurs les membres du Gouvernement, monsieur le XXIe siècle. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Premier ministre. La majorité à l’Assemblée nationale peut être fière d’elle. D’aucuns ne donnaient pas cher de cette Pour mener ce projet, nous partons du réel. Nous ne nous majorité quasi paritaire, composé de membres issus de la alourdirons pas d’idées préconçues, de clivages recuits, gauche, du centre ou de la droite, et plus en prise avec le d’idées surannées. Le progrès, la dignité de l’individu, la réel qu’avec les pratiques politiques. Ma fierté est que nous force juste de la République sont nos boussoles et nous restons dans notre vie institutionnelle les gardiens du réel, suffisent. (Applaudissements sur quelques bancs.) Notre seule que nous portons auprès de l’exécutif, avec une totale idéologie, c’est la grandeur de la France, n’en déplaise à loyauté, les préoccupations et critiques de nos concitoyens. certains (Mêmes mouvements) et ce que nous construisons, n’en déplaise aux adeptes de l’immédiat, nous le faisons pour Pour bien agir, en effet, il nous faut écouter, comprendre, aujourd’hui, mais aussi pour demain, c’est-à-dire pour la expliquer et rendre compte. Rien n’aboutit sans impliquer jeunesse (Applaudissements sur de nombreux bancs), pour notre peuple, les associations, les organisations syndicales et qu’elle grandisse dans un pays où elle puisse choisir sa vie, toutes les forces vives dans un dessein collectif. Les transfor­ ressentir pleinement cette appartenance qui fait la force d’un mations ne réussiront que bien comprises et au fur et à peuple et contribuer librement à ce projet qu’on appelle une mesure qu’elles porteront leurs fruits. Écouter est le seul et nation. C’est en somme un patriotisme nouveau, réinventé, le plus sûr moyen pour être entendu, et c’est ce en quoi le vivifié que nous sommes en train de construire. Il ne se fait sommet social du 17 juillet annoncé par le Président sera pas en un jour, ni en un an, mais c’est à cela, mesdames et utile. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 13

Dès la première année, la feuille de route de la majorité faiblesses, et qui sauront adapter les lois et les règlements de présidentielle a été scrupuleusement respectée. Et que chacun manière différenciée. (Applaudissements sur de nombreux en soit convaincu : notre volonté prioritaire d’efficacité bancs.) Cette compréhension toute évidente que la s’arrime aux valeurs de progrès, de justice et de solidarité. Bretagne n’est pas l’Alsace, qui elle-même n’est pas la (Applaudissements sur quelques bancs.) Nous irons plus loin, Corse, qui elle-même n’est pas l’île de La Réunion, facilitera car le contrôle de l’exécution des lois et l’évaluation des la mobilisation de toutes les énergies et le rayonnement de politiques publiques sont indissociables de notre conception nos territoires, objectif que l’Assemblée nationale et le Sénat du mandat parlementaire, dont nous voulons la mutation partagent fondamentalement. profonde. Je forme ici le vœu que nous nous retrouvions bientôt, La société du travail que nous appelons de nos vœux réunis en Congrès, pour adopter ensemble la révision consti­ consiste à actionner tous les leviers pour redonner à tutionnelle dont l’Assemblée nationale entamera l’examen chacun toutes ses chances. Se libérer des carcans et des dès demain. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) blocages qui freinent l’activité, c’est renouer avec le mouve­ ment, l’inventivité et le progrès collectif. C’est pourquoi le Dans notre République laïque, notre société est traversée droit à l’erreur recrée la confiance entre les Français et les par des débats éthiques et philosophiques dont le Parlement administrations, tandis que la future loi PACTE aidera nos aura à se saisir pour les faire vivre, pour les éclairer et pour PME à grandir et à créer des emplois. décider. Par nos choix économiques et sociaux, nous avons affirmé Il n’est jamais bon que l’avènement du droit soit à la traîne notre confiance dans la capacité des Françaises et des Français des évolutions sociétales. Les grands débats sont l’hygiène et à développer l’activité et à renforcer les solidarités, en redon­ l’oxygène de la démocratie. C’est pourquoi il nous faudra nant à chacun les moyens de maîtriser son destin. sans tarder inscrire à notre agenda l’élargissement de l’accès à la procréation médicalement assistée comme l’interrogation Cette volonté de transformer, de donner à chacun le sur la fin de vie. pouvoir de faire et de réussir se retrouve aussi dans les textes sur le droit du travail, pour l’apprentissage et pour la Mais, il serait inconséquent et réducteur de penser notre formation professionnelle. En libérant le travail pour avenir hors des défis planétaires et des désordres du monde. redonner l’envie d’entreprendre, en favorisant l’émancipation Ainsi, avec vous, cher Nicolas Hulot, lutter contre le réchauf­ par l’éducation et la formation, et en mettant le travail au fement climatique et pour la préservation de l’environnement cœur de notre société, nous donnons de l’espoir et des et de la biodiversité n’est pas une option, mais une obligation perspectives aux parents comme aux enfants d’aujourd’hui, absolue. (Applaudissements sur quelques bancs.) Il y va de notre et c’est pour cela que notre majorité se tient à vos côtés, bien commun et de la préservation de l’humanité. C’est aussi madame Pénicaud. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) une obligation pour tous les peuples qui, sans développement Avec les ouvriers, les paysans, les salariés, les enseignants, vertueux, seront condamnés à la pauvreté, aux guerres et aux les commerçants et artisans, les fonctionnaires, les professions migrations désespérées. libérales et les entrepreneurs, tous nos compatriotes qui font Les revirements des États-Unis et les nationalismes qui vivre chaque jour notre pays, nous voulons que chacun puisse menacent l’Europe et qui se développent un peu partout tirer la meilleure rémunération de son travail. dans le monde rendent plus que jamais nécessaire l’action D’autres compatriotes, éloignés de la vie économique, de la France, forte de ses valeurs universelles. parfois même de la vie sociale, sont en droit d’espérer une Pour construire en Europe, pour peser sur le cours du solidarité nationale active, qui les tire de l’impasse pour les monde et pour relever les défis planétaires, la France doit remettre sur le chemin de la République. être forte. Sa force, elle la tire de citoyens éclairés, formés, Répondre à l’exigence d’égalité, notre passion française, audacieux et créatifs, d’associations nombreuses et fortes, c’est donc faire que de l’école à l’université, chacun puisse d’entreprises conquérantes. Les complexités du monde être libéré des déterminismes de la reproduction sociale, qui nous sont connues, et nous devons nous en saisir, sans que condamneraient à perpétuité des générations d’enfants de cela n’effraie ni ne bloque l’action. C’est notre honneur de France. L’enjeu n’est pas d’apporter la même chose à tous, regarder les réalités en face, des désordres mondiaux aux mais de fournir à chacun ce dont il a besoin ! (Applaudisse­ questionnements philosophiques, des enjeux économiques ments sur de nombreux bancs.) et sociaux aux nécessités écologiques. C’est l’enchevêtrement de ces complexités qui fonde l’action politique et lui confère La meilleure, la plus juste, la plus efficace des protections sa dignité. Notre charge comme notre raison d’être nous sociales, c’est de faire baisser le chômage et de protéger, dans conduisent à continuer d’explorer les terres inconnues du la dignité, nos compatriotes les plus fragiles. Une bonne progrès et à défricher de nouvelles espérances : voilà les politique sociale est celle qui rouvre les portes de la société chantiers des marcheurs, députés de l’an II. (De nombreux à ceux qui souffrent de l’absence d’emploi, de la maladie ou membres du Congrès se lèvent et applaudissent.) du handicap, pas celle qui se contente d’améliorer les condi­ tions de survie par les seuls minima sociaux. (Applaudisse­ M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour ments sur de nombreux bancs.) Une bonne politique sociale le groupe Les Républicains du Sénat. consiste à prévenir les inégalités et pas seulement à les corriger, à s’attaquer à leurs racines et pas seulement à M. Bruno Retailleau. Monsieur le président du Congrès, leurs effets dévastateurs. C’est ainsi que nous lutterons monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier contre la pauvreté. ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collè­ gues, un an après, nous voilà à nouveau, ici, à Versailles. Le Toutes les transformations que nous menons exigent que décor est immuable, mais quelque chose a changé. soient combattues les inégalités territoriales, que notre L’ambiance en France a changé. L’élection d’Emmanuel démocratie soit modernisée et que le lien entre les citoyens Macron avait fait naître, incontestablement, un espoir chez et la nation soit consolidé. Avec les élus, libérons les terri­ les Français. Mais, depuis un an, ces derniers sont passés de toires, qui savent comment jouer leurs atouts et corriger leurs l’espoir au doute. (Applaudissements sur quelques bancs.) 14 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018

S’ils doutent, c’est parce qu’ils n’ont rien oublié, ni les Ensuite, vous fragilisez le lien avec les territoires, ces petites promesses présidentielles, ni cette impatience française patries charnelles dont parlait Péguy, ces petites républiques qu’Emmanuel Macron avait diagnostiquée. affectives dont aurait pu parler Gérard Larcher, en voulant enchaîner les mains des collectivités territoriales. (Applaudis­ S’ils doutent, c’est parce que le Président de la République sements sur de nombreux bancs.) Tout n’est que recentralisa­ n’est pas au rendez-vous de ses promesses. Qu’avait-il tion vers Paris : les compétences, l’apprentissage, la politique promis ? Deux choses : la transformation de la France et budgétaire et fiscale (Exclamations sur plusieurs bancs), la l’émancipation des Français. C’étaient ses mots et c’était, politique du logement… monsieur le Premier ministre, votre feuille de route. (Applau­ dissements sur de nombreux bancs.) Vous vous apprêtez de surcroît à nous proposer une révision constitutionnelle qui affaiblira la représentation de Qu’en est-il ? Vous avez confondu la transformation avec la nos territoires (Applaudissements sur de nombreux bancs), communication et, au nom de l’émancipation des Français, lesquels ont pourtant déjà perdu leurs instituteurs, leurs vous avez pris le risque de distendre et de fragiliser un peu commerçants et leurs facteurs. (Mêmes mouvements.) plus les liens qui unissent les Français entre eux et qui les tiennent ensemble comme un peuple. (Applaudissements sur Monsieur le Premier ministre, depuis cinquante ans, jamais de nombreux bancs.) les maires n’ont été aussi proches du désespoir. Entendez-les, car ils constituent la trame civique de la République française. Malgré la mélodie des discours habiles, y a-t-il eu trans­ formation ? Oui, il y a eu quelques avancées (« Ah ! » sur Enfin, le troisième lien, le plus précieux car le plus sacré, est plusieurs bancs), mais de transformations, trop peu ! le lien civique. Nous n’avons aucune opposition à ce que le Président de la République construise un lien direct entre lui- Comme hier, la France est championne pour la dépense même et chaque Français, à la condition qu’il ne cède pas au publique et pour les prélèvements obligatoires. Comme on vertige de la verticalité et qu’il ne confonde pas la réaffirma­ dit dans le Tour de France, nous sommes en queue de tion nécessaire de l’autorité de l’État avec l’exaltation peloton : vingt-huitième sur vingt-huit en Europe. (Applau­ dérisoire de la personnalité. En tout cas, ce n’est pas à dissements sur de nombreux bancs.) Notre-Dame-des-Landes que la loi de la République a Comme hier, vous avez négligé le déclassement de la triomphé ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.) compétitivité française ; bien sûr, vous avez consenti un Ce lien, vous le distendez au risque de favoriser un phéno­ petit vent de liberté à nos entreprises,… mène que vous voulez pourtant combattre : le glissement M. Rodrigue Kokouendo. Merci de le reconnaître ! d’une République des citoyens vers une société des individus, vers une société – pour reprendre les mots employés ici même M. Bruno Retailleau. …mais vous allez réussir ce tour de par le Président de la République – « de producteurs et de force de les transformer en collecteurs d’impôt avec cette consommateurs ». toquade technocratique qu’est le prélèvement à la source. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Il s’agit d’un lien important. Mais, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, il faut prendre Comme hier, vos initiatives fiscales ont été aussi désordon­ garde à le préserver, car il est déjà blessé par la morsure du nées qu’injustes : d’un côté, l’augmentation de la CSG, djihadisme et par la brûlure du communautarisme. (Excla­ touchant y compris les retraités les plus modestes et, de mations sur divers bancs.) l’autre, la suppression de l’ exit tax. Où est la justice sociale dont le Président nous a parlé ? Si nous voulons lutter contre ces poisons, il faut d’abord une parole publique claire. Or où est la clarté lorsque le S’agissant de l’intégration européenne, que sont devenues Président de la République peut prétendre – comme il l’a les belles promesses présidentielles – un budget de plusieurs fait il y a un an à l’issue du sommet de Hambourg – que le centaines milliards d’euros, un ministre des finances et un terrorisme résulte du réchauffement climatique, tout en parlement pour la zone euro et des listes européennes trans­ dénonçant en même temps l’hydre islamiste dans le très nationales ? Sur tous ces sujets, l’Europe a dit : non ! Au beau discours qu’il a prononcé il y a trois mois dans la passage, monsieur le Premier ministre, je n’accepte pas que cour de l’hôtel des Invalides, devant le cercueil du colonel le Président de la République réduise le choix européen à une Arnaud Beltrame ? Où est la logique ? opposition entre le camp des progressistes et celui des natio­ nalistes. (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs.) La clarté est nécessaire. Où est-elle, pourtant, lorsque le Président de la République, devant le Congrès américain, fait Les Français et les Européens veulent une autre Europe, l’éloge du multiculturalisme, et repousse à nouveau, une Europe qui les protège des chocs migratoires et qui aujourd’hui, le grand discours sur la laïcité et l’organisation protège leurs emplois. Ils ne veulent plus d’un mécano insti­ de l’islam ? tutionnel fédéral ; ils veulent une Europe qui porte, enfin, un projet pour la grande civilisation qu’est la civilisation Au creux de ce silence se niche un trouble. C’est pourquoi européenne. j’affirmais tout à l’heure que les Français sont passés, en un an, de l’espoir au doute. Dans un pays fracturé comme le Et le Président a parlé, oui, de la question existentielle, qui nôtre, entre le doute et le désespoir, il n’y a qu’un pas. taraude tous les peuples, y compris le peuple français. Il a parlé des peurs civilisationnelles : les faites-vous reculer ? Oui, le temps presse ! Le temps du quinquennat est Non, car au prétexte d’émanciper les Français, vous prenez compté. Toutefois, le temps, s’il presse, n’est jamais perdu. une nouvelle fois le risque de distendre les liens qui les Quand on est Français, quand on croit à la France, on sait unissent. (Exclamations.) qu’il n’est jamais trop tard ! (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs. – Plusieurs membres du Congrès se lèvent et D’abord, le lien entre les générations, à travers les attaques applaudissent.) répétées contre la politique familiale et l’opposition entre les actifs et les retraités, comme s’il y avait une génération de M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le privilégiés ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.) groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale. CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 15

M. Christian Jacob. Monsieur le président du Congrès, payés, corrompus ! Les propositions du Président de la monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier République attisent ce mouvement totalement irresponsable ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers et y participent. collègues, dans la conception républicaine que nous nous faisons de nos institutions, la séparation des pouvoirs et la Accréditer l’idée que les parlementaires seraient trop responsabilité du Gouvernement devant le Parlement ne sont nombreux et d’abord préoccupés par la défense de petits pas négociables. intérêts électoraux fait courir de grands dangers à notre système démocratique et à l’équilibre de nos institutions. Cela signifie que nous ne sommes pas un pouvoir subor­ (Applaudissements sur quelques bancs.) Ceux qui défendent donné au pouvoir exécutif. Cela signifie que nous n’avons de simultanément de grandes circonscriptions et le scrutin comptes à rendre qu’à la nation et aux Français, dont nous proportionnel ne connaissent pas la France, ni la subtilité tirons notre légitimité. de sa construction historique et géographique. (Mêmes mouvements.) C’est pourquoi nous avons hésité à venir à Versailles écouter un Président de la République qui n’a pas La décision que vous avez prise, monsieur le Premier vraiment compris que le Parlement n’est pas sa chose ni ministre, de créer des circonscriptions à taille inhumaine, son jouet, ni une sorte de marchepied qui lui permettrait deux fois plus grandes que les circonscriptions actuelles, de s’élever pour renforcer son propre pouvoir. (Applaudisse­ rétrécira le lien entre la nation et les élus. De tout temps, ments sur de nombreux bancs.) en France, les députés et les sénateurs, élus de proximité, ont joué un rôle majeur afin d’assurer une représentation équili­ Le Président de la République a choisi de parler beaucoup, brée du pays et d’adoucir sa tendance jacobine et centralisa­ beaucoup de lui et beaucoup à votre place, monsieur le trice. Avec cette réforme, vous faites prendre au pays le Premier ministre, car c’est vous qui êtes normalement chemin d’un pouvoir technocratique, éloigné du terrain et responsable devant le Parlement. (Mêmes mouvements.) Il a coupé des réalités ! Tel est le penchant naturel de l’État- également choisi de parler très peu de la Constitution, alors Macron. que c’est lui et lui seul qui a décidé de mobiliser le Parlement sur ce sujet pendant des semaines. L’actuel Président de la République n’est pourtant qu’un maillon de la longue histoire de France. Même s’il en doute – Quant à la pratique de l’article 18 de notre constitution et parce qu’il en doute –, il est bon de lui rappeler que des qu’il instaure, elle est contestable, car la prise de parole Français de qualité, compétents et patriotes ont gouverné prévue n’a jamais été conçue comme un discours de politique notre pays avant lui, et que des Français de qualité, compé­ générale. Si votre majorité vote l’amendement annoncé, nous tents et patriotes le gouverneront après lui ! (Applaudisse­ nous dirigerons clairement vers un changement de régime, au ments.) Voilà pourquoi nous lui demandons solennellement profit d’un régime présidentiel, et vers la disparition du poste de ne pas prendre le risque d’évolutions institutionnelles de Premier ministre ! (« Il a raison ! » et applaudissements sur hasardeuses. Voilà pourquoi nous lui demandons de de nombreux bancs.) renoncer à la réforme du mode de scrutin des élections législatives. Il est temps, mes chers collègues, de lever la tête ! Lever la tête, c’est commencer par dire que la révision constitution­ Les pères fondateurs de la Ve République ont beaucoup nelle que nous propose le chef de l’État est dangereuse. hésité à constitutionnaliser le mode de scrutin uninominal Allons-nous donner un chèque en blanc à M. Macron majoritaire à deux tours. Il s’en est fallu de peu qu’il ne soit pour réduire les pouvoirs du Parlement ? (« Non ! » sur inscrit dans notre Constitution. Le moment est sans doute quelques bancs.) venu de le constitutionnaliser, car ce mode de scrutin garantit la stabilité gouvernementale. Il est, en vérité, la seconde clé de Depuis 1974, tous les présidents de la République – et voûte des institutions de la Ve République ! (Applaudissements particulièrement Nicolas Sarkozy, comme le montre la sur de nombreux bancs.) révision constitutionnelle de 2008 (Applaudissements sur quelques bancs) – ont compris et accepté que la France doit En instaurant l’élection de certains députés à la propor­ présenter un équilibre des pouvoirs, entre son Parlement tionnelle, vous placez le ver dans le fruit institutionnel. Vous d’un côté et son gouvernement de l’autre. Qu’un grand prendriez une décision insensée au moment même où le pays démocratique mérite un parlement respecté, voilà qui scrutin proportionnel produit des situations politiques est une évidence. d’une grande confusion en Italie et en Allemagne, voire en Espagne. En conscience, et parce que la Constitution nous Pourtant, cette majorité s’apprête à affaiblir l’Assemblée transcende, nous devons souscrire à une idée simple : les nationale et le Sénat de la République. Les affaiblir, en réformes proposées par-dessus les Français, sans les consulter, corsetant la procédure parlementaire et en s’attaquant au feront glisser le régime sur une mauvaise pente. (Applaudis­ bicamérisme ! Les affaiblir, en réduisant le temps démocra­ sements sur de nombreux bancs.) tique du débat budgétaire ! Les affaiblir, en renforçant la mainmise du Gouvernement sur l’ordre du jour ! Les affai­ Au demeurant, la même entreprise de déconstruction est à blir, en consacrant une chambre de la société civile – ce l’œuvre dans votre politique à l’égard des collectivités locales, conseil économique, social et environnemental du nouveau monsieur le Premier ministre : une politique contraire à la monde – qui induirait une déconsidération de l’Assemblée tendance historique puissante prévalant depuis 1982 ; une nationale. Je suis sans doute l’un des mieux placés pour en politique qui asphyxie les libertés locales ; en somme, une parler : quelle est la légitimité démocratique de représentants politique aveugle selon laquelle des cerveaux prétendument associatifs, syndicaux et patronaux pour faire la leçon aux élus bien faits, bien formés et vivant à Paris ou dans les grandes de la nation qui, eux, tirent leur légitimité du suffrage métropoles peuvent imposer leur vision du monde à tout un universel ? (Applaudissements sur de nombreux bancs.) pays. Depuis plusieurs mois, une immense campagne de désta­ S’il ne fallait prendre qu’un exemple pour caractériser cet bilisation vise le pouvoir parlementaire. Nous, parlemen­ aveuglement, citons la décision arbitraire d’imposer aux taires, serions tour à tour incompétents, inefficaces, trop Français de rouler à 80 km/h sur les routes départementales. 16 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018

(Vifs applaudissements – Huées sur plusieurs bancs.) Ce qui évolution à l’approbation du peuple français. (Vifs applaudis­ choque, c’est votre refus d’écouter les acteurs de terrain, et sements sur de nombreux bancs. – Plusieurs membres du Congrès souvent votre mépris à leur égard. se lèvent et applaudissent.) Ce que vous considérez comme du courage n’est en réalité M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le qu’une arrogance. Oui, mes chers collègues, le macronisme groupe socialiste et républicain du Sénat. est d’abord une jactance. Nous avons été nombreux à juger sévèrement le président Hollande s’agissant de l’exercice de la M. Patrick Kanner. Monsieur le président du Congrès, fonction. Passé le moment où nous aurions pu croire que monsieur le président du Sénat, monsieur le Président de M. Macron l’incarnait en donnant une bonne image de la la République – où que vous soyez ! –, monsieur le Premier France sur la scène internationale, le temps est venu de dire ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers que le Président de la République inquiète de plus en plus collègues, le mois de juillet est celui de l’évaluation du nos compatriotes. Gouvernement. Ainsi en a décidé le Président de la République, dont ce congrès est aussi la grande audition. À quel autre président de la République aurait-on pardonné des propos honteux et mis en scène déplorant Pas question ici de reconduire ou non son mandat – tel « le pognon de dingue » que coûte notre système de protec­ n’est pas le sens de nos institutions. Toutefois, ce congrès est tion sociale ? (« Eh oui ! » sur quelques bancs.) À quel autre bien l’occasion d’écouter et d’évaluer le Président de la président de la République aurait-on pardonné de considérer République, sous le regard des Français. Annoncée durant que certains de nos concitoyens ne sont rien ? À qui aurait-on sa campagne, cette rencontre annuelle – qui pourrait pardonné cela ? (« À Fillon ! » sur plusieurs bancs.) d’ailleurs prendre place à l’ouverture de la session ordinaire du Parlement – est une innovation institutionnelle. À quel autre président de la République aurait-on pardonné le limogeage d’un grand chef militaire ? (Exclama­ M. Patrick Kanner. J’entends ceux qui la critiquent, au nom tions.) À quel autre président de la République pardonnerait- du changement de régime qu’elle impliquerait. L’occasion on d’augmenter la CSG de nos retraités de 25 %, de surtaxer nous est néanmoins donnée de nous exprimer et, contraire­ l’essence et de sacrifier fiscalement les classes moyennes tout ment à d’autres, nous la saisissons. Mais cette rencontre entre en supprimant l’ exit tax ? (Vifs applaudissements sur de la légitimité du vote populaire du Président et la souveraineté nombreux bancs.) Pour quel autre président de la République nationale du Parlement n’a d’intérêt que si l’exercice ne se aurait-on fait preuve d’une telle indulgence à l’égard d’une transforme pas en un moment de pure communication. politique si dangereuse et si naïve en matière de politique Malgré votre absence durant nos interventions, j’esquisse migratoire, de sécurité et de protection des Français contre le l’espoir, monsieur le Président, que vous accepterez terrorisme ? d’entendre les remarques des représentants du peuple. La plupart de nos partenaires européens ont déjà renoncé à M. Patrick Kanner. Le temps est d’ailleurs aux évolutions ; la toute indulgence à l’égard d’un président de la République réforme constitutionnelle que vous avez engagée le montre, et dont il s’avère qu’il est plus soucieux de se mettre lui-même ce n’est pas l’exercice du jour qui m’inquiète le plus dans en scène que de défendre la place de la France sur la scène toutes ces innovations. Vous avez retenu quelques bonnes internationale. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Les idées de toilettage de la Constitution, mais heureusement que Français qui n’ont jamais cédé un pouce de terrain aux l’Assemblée, et bientôt le Sénat, sont venus à votre secours sirènes macronistes, et ceux qui en reviennent, comprennent pour renforcer le sens de cette réforme constitutionnelle – sur que le « en même temps » est un leurre qui ne marche pas. Ils la suppression du mot « race », sur la protection de l’envi­ comprennent que notre pays, ce grand pays démocratique, a ronnement ou encore sur l’égalité entre les femmes et les besoin d’une gauche ainsi que d’une droite qui s’assume, hommes ! consciente qu’elle a pu décevoir mais fière des valeurs qui Espérons également que le débat des prochains jours à la fondent, et pas depuis quelques jours ni depuis un an, mais l’Assemblée nationale confirmera l’acte manqué, si je puis depuis des décennies ! dire, de la commission des lois, qui a supprimé à juste titre Nous sommes cette opposition, dépositaire notamment de les attaques contre le droit d’expression et d’amendement des l’héritage gaulliste, qui ne courbera pas l’échine face à un parlementaires. Ce point est à nos yeux crucial. pouvoir technocratique ! (Applaudissements sur de nombreux Le groupe socialiste et républicain du Sénat tiendra sa place bancs.) Nous sommes cette opposition parlementaire, qui et n’oubliera pas, contrairement à votre majorité, la nécessaire supporte de moins en moins le caractère et les attitudes rénovation démocratique de notre texte fondamental, qui d’un homme qui lui-même, dans un éclair de lucidité, a doit donner plus de poids aux citoyens dans le cadre de la reconnu le 14 février dernier qu’il est le fruit « d’une effrac­ fabrique de la loi. tion ». Mais je veux surtout relever une terrible contradiction qui M. Edouard Philippe, Premier ministre. Voilà qui est est en train de se nouer. Vous avez fait de l’égalité entre les gaulliste ! femmes et les hommes un sujet central de votre M. Christian Jacob. C’est lui qui l’a dit ! Parce qu’il est le quinquennat : tant mieux. Mais, alors que la majorité de fruit d’une effraction, il repartira sans doute comme il est l’Assemblée a renforcé cette égalité dans la réforme constitu­ arrivé. (Exclamations.) tionnelle, vous vous apprêtez à faire régresser la parité comme nul ne l’a jamais fait dans notre histoire politique. Toutes les En 1958, les Français ont choisi leur constitution. C’était études montrent que votre réforme des modes de scrutin, le monde d’avant. En 2018, nous nous apprêtons, dans un couplée à la baisse du nombre de parlementaires, affaiblira la entre-soi très peu démocratique, à modifier l’équilibre de nos place des femmes au Parlement. (Applaudissements sur de institutions. Sincèrement, je préfère le monde d’avant, celui nombreux bancs.) Dans notre pays, la parité politique n’a où nos chefs d’État avaient le courage de consulter les jamais progressé sans contrainte de la loi. Nous avons Français. La Constitution est leur constitution. Elle n’appar­ renforcé la place des femmes en politique, vous êtes en tient à aucun d’entre nous, à M. Macron pas davantage qu’à train de l’affaiblir par votre réforme. (Protestations sur quiconque. Son devoir est de soumettre une si profonde plusieurs bancs.) CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 17

Mais revenons au bilan. Dans cette première année de appartiennent aux classes moyennes, ne le deviennent pas quinquennat, vous avez également engagé un certain demain sous l’effet de votre politique. (Applaudissements sur nombre de réformes. Vous avez fait le choix, dans votre plusieurs bancs.) discours, de mettre l’accent sur votre action internationale et européenne. Je souhaite pour ma part revenir plus globa­ Un an après votre élection, ce pilier de la protection est lement sur votre action au regard de votre triptyque originel : donc en chantier et suscite bien trop d’interrogations, alors libérer, protéger, unir. que nous avons bien trop de certitudes sur l’aspect libéral de votre politique. Il faut savoir lutter contre ceux qui défendent Pour ce qui est de libérer, nous avons vu ! Dès la loi de le dogme de la baisse de la dépense publique, qui frappe finances, votre politique fiscale en faveur des plus riches vous toujours le plus grand nombre. Nous voulons pour notre a valu une étiquette. Nous avons, avec mon groupe, part une répartition juste des efforts et des richesses, afin de combattu certaines de vos mesures, particulièrement la lutter contre le déterminisme social et la reproduction, de remise en cause de l’impôt de solidarité sur la fortune, génération en génération, de la pauvreté. l’ISF, et l’amoindrissement de la taxation du capital. Nous combattrons dans le même esprit la fin de l’ exit tax, car une Enfin, votre promesse pour la France avait un troisième politique fiscale ne peut pas être faite toujours pour ceux qui pilier que beaucoup oublient : vous promettiez d’unir les ont déjà tout. Votre politique a dégradé les recettes de notre Français derrière une ambition nationale, derrière un projet pays, vous obligeant à de nouvelles économies, alors que les républicain. comptes reviennent tout juste à l’équilibre grâce au bilan Mme Patricia Mirallès. C’est fait ! dont vous avez hérité. M. Patrick Kanner. Et là, monsieur le Président, je crois que Cette politique a redonné vigueur au sentiment d’injustice nous avons une grave divergence. Beaucoup vous ont fiscale des classes moyennes. Mais elle ne produit pas d’effets entendu parler de cette unité bien à propos après les réels sur l’économie réelle, qui ralentit à nouveau alors que épreuves qu’a traversées notre nation ; je le dis d’autant vous parliez de libérer les énergies. plus que c’est dans cette salle que s’est réuni le Congrès le Nous avons voulu pendant cinq ans que la France aille 16 novembre 2015. Notre nation a besoin de renouer avec mieux ; avec votre politique, vous voulez que les Français qui cette unité. Mais je ne mets pas, nous ne mettons pas tout et vont bien aillent encore mieux. Libérer encore, libérer n’importe quoi derrière ce mot : pour nous, socialistes et toujours : oui, nous avons vu cette politique, et nous républicains, l’unité de la nation passe par la République, craignons d’encore la voir dans la loi PACTE, qui arrive à et par tout ce qui la compose ; en premier lieu, la laïcité. la rentrée. La laïcité est consacrée par la République et son premier M. . Très bien ! garant doit être le Président de la République. Et c’est là que nous avons un sérieux désaccord avec vos discours et vos M. Patrick Kanner. Nous vous reconnaissons l’honnêteté actes, monsieur le Président. d’avoir prévenu avant de ce que vous feriez après. Seulement, vous aviez promis un équilibre : libérer, mais aussi protéger. Dans votre discours aux évêques, au mois d’avril, vous avez Je citerai ici Laurent Joffrin qui, le 6 juillet dernier, écrivait : multiplement remis en cause les fondements de la laïcité en « en ces temps de circenses, point de panem ». appelant les catholiques à une expression politique en tant que catholiques, et non seulement en tant que citoyens. J’entends les éléments de langage débités par les ministres (Exclamations sur plusieurs bancs.) Vous avez parlé d’un lien sur la politique sociale qui serait menée ; la plus belle des abîmé à réparer entre l’État et l’Église ; mais de quel lien mesures, ce serait la diminution du nombre d’élèves par parlez-vous, sous le régime de la loi de 1905 ? S’il s’agit de classe en zone d’éducation prioritaire : c’est la plus belle renouer avec une partie réactionnaire de la France qui aurait des mesures peut-être, mais la plus belle parce que la seule été blessée par le mariage pour tous, donc par l’égalité nouvelle ! Où est votre politique sociale ? Vous me parlerez républicaine, ce sera sans nous. Nous vous dirons au contraire certainement de l’augmentation des salaires des actifs par le que la France doit aller au bout de l’égalité en permettant à jeu des baisses de cotisations sociales – idée positive dont toutes les femmes d’avoir recours à la procréation médicale­ l’ambition a été réduite par la contrainte budgétaire, avec un ment assistée, la PMA, dans notre pays. (Applaudissements sur décalage à octobre pour un effet plein, et surtout par l’exclu­ de nombreux bancs.) sion des fonctionnaires de la mesure, alors que vous leur aviez promis pendant la campagne qu’ils en bénéficieraient. Une Aucune conviction ne peut être supérieure à la loi de la bonne idée donc, mais une idée inachevée. République. Nous vous le disons solennellement, monsieur le Président : pour faire vivre notre nation républicaine, il n’est La réforme des retraites sera-t-elle l’alpha et l’oméga de besoin de sève d’aucune religion. Nous ferons vivre notre votre politique sociale ? Nous sommes pour l’ambition réfor­ unité nationale par les valeurs républicaines, par l’énergie des miste, surtout si elle permet de mieux protéger les petites citoyens en tant que citoyens. C’est la sève de l’engagement retraites et d’améliorer les droits de ceux qui ont fait des républicain, qui fait vivre notre belle nation, et peu importe carrières longues. Mais nous serons vigilants. les convictions intimes, les croyances ou les origines qui motivent cet engagement pour la République. Nous souhai­ Où est-elle donc, cette politique de protection ? On nous tons un prosélytisme, oui : celui de la laïcité, outil de culture, annonçait un plan de lutte contre la pauvreté. Il a été reporté. de tolérance, d’empathie et d’acceptation de l’altérité. Nous défendrons pour notre part l’instauration d’un revenu (Applaudissements sur de nombreux bancs.) de base, sur la base des propositions des départements socia­ listes, afin que les exclus et ceux qui touchent de faibles Nous aimerions aussi vous voir renouer le dialogue avec les revenus soient mieux protégés par une aide automatique et instances sociales de notre pays. L’unité de la nation passera un accompagnement systématique. (Applaudissements sur de par un dialogue avec les syndicats, avec les associations, avec nombreux bancs.) Nous défendrons aussi un principe : pour les collectivités. Or force est de constater que ce dialogue ne lutter contre la pauvreté, il ne suffit pas d’aider ceux qui fonctionne pas ; depuis un an, nous avons l’impression que vivent dans la pauvreté à en sortir. Il faut aussi tout faire les corps intermédiaires ne sont considérés qu’en tant que pour que ceux qui ne sont pas pauvres aujourd’hui, ceux qui frein à votre action. Quelle régression pour notre démocratie 18 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 sociale ! Monsieur le président, sachez dialoguer avant de et tienne la place particulière qui doit être la sienne ; le décider ; sachez accepter la contradiction. Savoir écouter, Président de la République devait représenter la fierté savoir douter, ce n’est pas une faiblesse ; c’est ce qui retrouvée de tout un pays. renforce les décisions, c’est ce qui fait avancer la cohésion nationale. Depuis un an, la majorité parlementaire et le Gouverne­ ment sont à la tâche. Trop, diront certains ; mais devant Vous êtes donc venu devant le Congrès, monsieur le Prési­ l’urgence de la situation, personne, et certainement pas les dent de la République, pour nous présenter un point d’étape citoyens français, n’aurait pu comprendre que nous nous de votre quinquennat. Un constat s’impose pour nous : le complaisions, au pouvoir, dans le confort de ceux qui compte n’y est pas, l’équilibre promis n’est pas là. Bien sûr, croient avoir le temps devant eux quand l’urgence est finale­ un quinquennat, c’est cinq années, et non une seule. ment partout. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Urgence économique, urgence du chômage, urgence territo­ Monsieur le Président, vous nous trouverez toujours à vos riale, urgence sanitaire, urgence éducative, urgence budgé­ côtés pour accompagner les réformes de progrès social et la taire, urgence migratoire, urgence écologique et climatique, défense de la République. Mais nous serons aussi toujours là urgence sécuritaire, urgence européenne : toutes ces urgences pour combattre les mesures qui ne profitent qu’à ceux qui sont le fruit d’années d’inaction, de stérilisation par le débat ont déjà tout. caricatural entre les blocs, d’incapacité à expliquer, de facilité Oui, mes chers collègues, une réforme peut être injuste ; la du laisser-aller et du laisser-faire. (Vifs applaudissements sur de réforme n’est pas une valeur en soi, et c’est son résultat qui nombreux bancs.) doit être jugé. Nous restons, nous, la gauche de gouverne­ ment, porteuse d’une promesse de transformation harmo­ Je ne connais pas un seul des sujets exposés ici dont on ne nieuse de la société ; nous voulons solliciter les plus aisés puisse pas objectivement dire qu’il aurait dû être traité il y a pour accompagner les modestes, en ne décourageant jamais des années, voire des décennies. Aucun n’est apparu dans les classes moyennes. Nous avons la social-démocratie au l’année, et c’est pourquoi il y a urgence. Je ne le dis pas cœur ; nous combattons le ruissellement sauvage, celui qui pour ceux qui nous ont précédés ; il est pour moi sans intérêt balaie ceux qui sont au rez-de-chaussée mais qui épargne de chercher des boucs émissaires, y compris chez ses toujours ceux qui sont dans les étages. opposants – c’est trop facile. Nous sommes finalement tous, comme représentants de la nation et citoyens, solidai­ Nous croyons encore et toujours à un État modérateur et rement responsables de cette situation. C’est pour cela que régulateur du marché, et non l’inverse ; nous croyons à un nous devons collectivement chercher des solutions. État qui défend la décentralisation-providence, celle qui subit depuis plusieurs mois une véritable période de pénitence. Il y a une majorité, il y a des oppositions et c’est sain et vital Nous valorisons l’émancipation par l’éducation populaire, en démocratie. Mais nous avons une responsabilité l’engagement de la jeunesse et une certaine idée du mot commune : celle, pour l’opposition, de servir aussi l’intérêt « partage », qui ne sera jamais le « toujours plus ». général, de ne pas proposer l’inverse de ce qu’elle faisait lorsqu’elle gouvernait ou de ce qu’elle ferait si elle gouvernait, Monsieur le Président, nous craignons comme vous cette et de ne pas céder à la démagogie confortable ou dangereuse désespérance qui conduit au populisme, cet isolement qui qui vous revient en boomerang quand les citoyens vous conduit au nationalisme, cette ignorance qui conduit au prennent aux mots de la facilité. (Vifs applaudissements sur totalitarisme. Pouvez-vous nous assurer que la politique de nombreux bancs.) que vous menez depuis un an préserve la France et l’Europe de ces trois menaces ? C’est notre exigence. Nous Quant à la majorité, elle ne doit pas croire que nous nous engageons à être vigilants. (Vifs applaudissements sur de partons d’une page blanche ; nous devons tirer leçon des nombreux bancs.) échecs de nos prédécesseurs et défendre une exigence simple mais absolument nécessaire : rester fidèle à la M. le président. La parole est à M. Marc Fesneau, pour le promesse de 2017, rester lucide sur les écueils rencontrés et groupe du Mouvement démocrate et apparentés de l’Assem­ rester invariablement à l’écoute des Français, quand bien blée nationale. même ce qu’ils auraient à nous dire ne sonnerait pas M. Marc Fesneau. Monsieur le président du Congrès, toujours agréablement à nos oreilles. Cette exigence de monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier réussite pour notre pays nous oblige donc, collectivement, ministre, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et à continuer les transformations engagées par le Gouverne­ messieurs les parlementaires, chers collègues, il y a un an, en ment. ce lieu marqué historiquement de l’union et de la désunion de notre pays, s’engageait la première étape de ce Nous avons souvent entendu des responsables politiques quinquennat et nous prenions, devant la nation, l’engage­ ou des commentateurs dire – pour l’exprimer rapidement – ment de réformer la France pour la mener sur le chemin de la qu’après le « libérer » il convenait d’engager rapidement le confiance retrouvée, de la reconstruction et de la réconcilia­ « protéger ». Mais je suis finalement sceptique vis-à-vis de tion. l’idée qu’il y aurait d’un côté la nécessité de libérer notre économie pour retrouver le chemin de la croissance et d’un Nul besoin de rappeler longuement ce que furent les autre celle de protéger pour assurer la cohésion du pays. Je fondements du bouleversement politique du printemps 2017 n’ai jamais cru à une frontière, voire à une incompatibilité : ils doivent simplement nous servir de boussole pour les entre ces deux objectifs. L’un et l’autre se nourrissent et se temps à venir. Les Français ont exprimé la volonté d’un combinent, et c’est cet équilibre-là qu’il nous faut tenir dans rassemblement inédit, d’un renouvellement et d’un apaise­ la durée. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) ment du débat public. Ils ont surtout demandé que, par ces dépassements, nous nous attaquions concrètement à leurs Pour nous, le travail est l’un des éléments essentiels de problèmes et à leurs réalités ; ils voulaient que la réforme, l’intégration sociale. Il est un droit fondamental et l’on sait au-delà des mots, soit au rendez-vous. Ils souhaitaient aussi à quel point la déstructuration de l’idéal et de la cohésion que la France reprenne son rang dans le concert des nations française est liée au chômage de masse. CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 19

Quelle famille, quel enfant, quel jeune, quelle structure prises, loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le sociale peut résister au chômage et, plus encore, au secteur agricole et une alimentation saine et durable, réforme chômage de longue durée ? Quelle société n’est pas minée ferroviaire. durablement par cette absence d’espoir et de perspectives ? Et combien de territoires vivent, à juste titre, la désindustriali­ Et nous pouvons y ajouter des mesures qui, sans toujours sation ou les crises agricoles comme le signe de leur profond relever de la loi, constituent de vrais changements, des et irréversible déclassement ? changements profonds. Je voudrais ainsi citer l’ambition retrouvée de l’éducation nationale, le reste à charge zéro La crise des territoires que nous vivons vient de loin. Et en pour les dépenses de santé essentielles ou le plan de lutte entendant tout à l’heure certains de nos collègues de l’oppo­ contre la fracture numérique territoriale. Cela aussi, c’est la sition, je me disais qu’ils ne manquaient pas d’air. (Applau­ justice sociale. dissements sur de nombreux bancs.) Qui n’a vécu cette crise ne C’est une première étape dans la restauration de la peut mesurer l’effet de la disparition du dernier commerce, confiance. Faire ce que l’on avait dit que l’on ferait ; cela des derniers paysans, des dernières industries, du dernier paraît simple mais, de fait, c’est assez nouveau. médecin, des derniers services publics sur des millions de Français et des milliers d’élus qui, impuissants et sans voir Est-ce suffisant ? Certainement pas, mais, sans ce point de aucune possibilité de rebondir à moyen terme, assistent à leur départ, rien ne serait possible, parce que la confiance mise à l’écart du monde, et jusqu’à leur oubli. retrouvée passe aussi par la pédagogie de la réforme, c’est- à-dire par le sens donné aux choses et la compréhension par Ce désespoir-là est réel, en dépit de ceux qui l’exploitent en les Français des réalités concrètes issues de notre travail de remplaçant la nécessaire démocratie locale par la démagogie législateurs. locale et l’opposition des territoires. (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs.) Il est le cri de ceux qui voient la moder­ Montrer le projet global, montrer et démontrer en quoi nité comme un retour en arrière ou une régression pour eux. nos réformes vont changer la vie de chacune et chacun L’économie, la croissance, la capacité d’attractivité du pays d’entre nous, donner chair à notre projet, parler au cœur sont des leviers déterminants, non pas tant parce que nous des Français, c’est tout le défi que nous avons devant nous. serions les tenants de je ne sais quel modèle ou philosophie économiques, mais parce qu’ils sont des leviers pour espérer, Dans le monde tel qu’il est, la raison et la rationalité ne s’intégrer, et trouver sa place dans le collectif national. Nous suffisent pas. Dans le monde où nous vivons, parfois si avons été au rendez-vous de cet objectif. technique et si technocratique, nous avons besoin de plus d’empathie. Cette empathie et cette pédagogie doivent Et, de même, il n’est pas de société qui ne puisse continuer s’opposer à la démagogie des temps. de se développer et de prospérer durablement sans l’accès à la De même, nous devons opposer l’exigence de nos attitudes connaissance et à l’éducation, l’accès à la culture, la solidarité et de nos projets à la facilité de l’immédiateté et de l’écume intergénérationnelle, l’intégration réelle ; sans la capacité de des choses. Opposer la fierté collective de ce que nous tendre la main à celles et à ceux qui connaissent des accidents sommes et de ce que nous portons, nous, Français, et de parcours, à qui la vie n’a pas toujours souri, à celles et à nous, Européens, aux tentations du repli qui menacent. ceux qui ne viennent ni des beaux quartiers, ni des territoires les plus prospères ou qui n’ont pas eu la chance de connaître Et nous devons poursuivre le travail de renouvellement de un foyer ou un environnement stables. notre démocratie. C’est tout le sens de la réforme institution­ nelle que nous examinerons à partir de demain, en confor­ Enfin, il n’est pas de société durablement prospère sans le mité avec les engagements du Président de la République pris sentiment de la justice et des moyens donnés à chacun de l’an dernier devant ce même Congrès. trouver sa place et de gravir les échelons, en préservant les fondements de ce qu’est l’histoire française – la solidarité, Il y a ceux qui ont décidé d’en rester aux postulats de l’universalité, l’effort équitablement partagé, la récompense départ, et dont la conviction est déjà forgée. Nous, nous de l’effort consenti, l’État providence actualisé –, sans faire sommes de ceux qui pensent que notre responsabilité de du passé table rase, mais sans s’interdire de s’interroger sur constituants est de faire de cette réforme une réforme au l’efficacité réelle des dispositifs. service du pouvoir retrouvé du Parlement et d’une reconnais­ sance plus affirmée des territoires. Notre projet doit tenir ce cap, invariablement, sans se laisser dérouter de cet horizon final, sans se laisser ballotter Un parlement écouté, c’est un parlement qui sert la par la simple idée qu’il faudrait, par des mesures symboli­ démocratie, parce qu’il joue utilement son rôle d’interface ques, équilibrer et contrebalancer le poids de l’un ou de entre les citoyens et ceux qui les gouvernent. Et c’est une l’autre ; sans renoncer à l’idéal de société qui est le nôtre : démocratie représentative, restaurée dans ses fondements. une société qui ne soit pas toujours plus dure aux faibles et Des territoires qui sont respectés dans leur diversité et plus faciles au chanceux ou aux forts ; sans opposer les uns parties prenantes de l’aventure nationale, c’est également le aux autres car, pour nous, nous avons besoin des uns et des défi que nous avons à relever au travers de cette réforme. autres pour faire réellement société. C’est ce modèle qu’il nous faut rebâtir, au premier sens du terme. En ce moment si particulier de notre histoire, qui voit les fractures nationales faire écho aux fractures internationales, Et dans chacun des textes que nous aurons à examiner, il qui marque le retour de la force comme instrument de la faudra veiller à ce que tout cela se fasse avec l’objectif, l’idée volonté politique et du populisme comme moyen d’accéder que c’est un tout, qu’il n’y a pas d’économie prospère qui ne au pouvoir, nous devons trouver une voie étroite vers ce que serve le collectif et de solidarité efficace qui ne soit libératrice. les constituants de 1789, qui en ce même jour se réunissaient pour la première fois, avaient espéré de plus haut pour notre Depuis un an, avec nos collègues du groupe La République pays. en marche, nous sommes au rendez-vous des promesses faites aux Français sur certains sujets : simplification du droit du Coudre et recoudre la tunique unitaire déchirée ; tisser et travail, loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, retisser le lien social et politique, en installant la liberté entre future loi pour la croissance et la transformation des entre­ les hommes ; inventer et réinventer la règle et le consente­ 20 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 ment, l’unité d’un peuple, la solidarité, le droit, la juste économique nous permet enfin de rentrer dans les critères représentation, une démocratie équitable, adaptée aux budgétaires européens. Le quinquennat a donc plutôt bien temps et aux mœurs : telle est l’ambition que nous devons commencé. nourrir, avec l’humilité de ceux qui savent que tout ne découle pas seulement d’eux mais qu’ils doivent, avec déter­ Si bien et si vite, d’ailleurs, qu’il semble déjà s’essouffler. mination, prendre leur part. « Et maintenant ? » sommes-nous tentés de demander. Après un an d’exercice du pouvoir, l’exécutif semble avoir brûlé une Telle est la voix que le groupe du Mouvement démocrate, bonne partie de ses vaisseaux. C’est là que nous entrons dans au nom duquel je m’exprime aujourd’hui, souhaite faire la terre inconnue. En réunissant aujourd’hui le Congrès, le entendre. (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs. – Président a voulu nous rassurer sur le sens de son action. Il Plusieurs membres du Congrès se lèvent et applaudissent.) vient d’assigner au Gouvernement de nombreux objectifs. M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le Néanmoins, les signes d’un essoufflement prématuré du groupe de l’Union centriste du Sénat. quinquennat sont nombreux, trop nombreux pour être passés par pertes et profits. M. Hervé Marseille. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier Nous partageons la volonté du Gouvernement d’améliorer ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues les conditions des plus démunis, en luttant d’abord contre le députés et sénateurs, nous nous retrouvons pour la seconde chômage. Oui, on ne réduira la précarité et les inégalités fois en Congrès depuis l’an dernier. Le Président vient qu’en relançant l’économie, en augmentant le taux d’annoncer qu’il déposerait un amendement, lui permettant d’emploi et en améliorant l’efficacité du système éducatif. d’être présent lors du débat et de répondre à nos interven­ Cette stratégie a pourtant des limites. La restriction du tions, ce dont je me réjouis. Pour autant, il est bon de périmètre de l’ISF, l’instauration de la flat tax, la suppression rappeler que le Président est responsable devant les de l’ exit tax, la baisse de l’impôt sur les sociétés, l’augmen­ Français, non devant le Parlement. tation de la CSG sur les retraites, voire la baisse des aides au logement sont autant de mesures qui ont pu nourrir l’inquié­ Le quinquennat qui s’est ouvert l’année dernière ressemble tude sociale. aux planisphères du XVIIIe siècle. Sur ces cartes du monde, que chacun a en tête, on voit les contours des continents, Mais la critique n’est pas que sociale, elle est aussi territo­ mais, à l’intérieur, tout est quasiment terre inconnue. riale, plusieurs orateurs l’ont dit avant moi. Après la baisse des dotations, la suppression de la taxe d’habitation et de Le pourtour des continents, c’est le programme du 120 000 contrats aidés, la fermeture de classes de primaire candidat Emmanuel Macron. Un an seulement après son dans les campagnes, sans parler des craintes qui subsistent sur élection, ce programme a largement commencé à être mis le maintien des petites lignes ferroviaires, c’est peu de dire en œuvre. C’est la première chose que nous pouvons porter que les territoires ruraux se sentent les victimes de ce début de au crédit du Président : il tient ses promesses. Cela n’a pas quinquennat. Cela a été souligné à différentes reprises. toujours été le cas. La deuxième chose que nous mettons à son crédit est la Au terme de la révision constitutionnelle, même la repré­ nature même des promesses tenues. Depuis un an, des sentation des territoires sera minorée. Dans cet hémicycle, réformes importantes, et longtemps reportées, ont été près de 280 sièges auront disparu : ils ne seront plus occupés. engagées. Le groupe de l’Union centriste les a soutenues. Même d’un point de vue législatif, la dérive est perceptible. Mme Sophie Auconie. Très bien ! Après les textes intéressants que j’ai mentionnés, nous arrivent des propositions de loi creuses, par exemple sur la M. Hervé Marseille. Tel est le cas des ordonnances, qui ont manipulation de l’information – les fake news –, le téléphone assoupli le code du travail pour donner aux entreprises les portable à l’école ou encore les annonces décevantes et retar­ marges de manœuvre dont elles ont aujourd’hui besoin. dées sur l’audiovisuel. De même, nous avons voté la réforme de l’accès à l’univer­ Faut-il s’étonner de cet essoufflement ? Non, parce que la sité car, sur ce sujet, le Gouvernement ne s’est pas borné à machine est en surchauffe car le Gouvernement s’est attaqué prendre des mesures techniques. Il a eu l’audace de poser les à trop de sujets simultanément. De ce point de vue, le jalons d’un changement plus profond. nombre de textes qui viennent de nous être proposés ne refroidira pas la machine gouvernementale. Enfin, le nouveau pacte ferroviaire constitue aussi une réforme substantielle. Il fallait transposer les directives Mais aussi parce que tout semble remonter au sommet de européennes d’ouverture du rail à la concurrence. Mais, l’État. Or, quand tout remonte, il y a thrombose. C’est avec le Sénat, nous sommes allés plus loin : nous avons d’ailleurs la seule ligne de force qui se dégage de l’ensemble concilié l’efficience économique avec l’aménagement du de l’action gouvernementale, celle du renforcement de la territoire et l’adaptation des acquis sociaux. concentration. Quand on touche au paritarisme, quand on restreint les moyens des collectivités locales et quand on Un an après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence diminue la représentation parlementaire, que fait-on, si ce de la République, il y a donc un bilan. Nous ne pouvions pas n’est recentraliser le pouvoir ? en dire autant à la fin du quinquennat précédent. (« C’est vrai ! » et applaudissements sur plusieurs bancs.) Le fait que demain, après la réforme constitutionnelle, il y aura plus de membres du corps préfectoral que de parlemen­ Par-delà même le bilan législatif du chef de l’État, il y a un taires, donc plus de représentants de l’État que d’élus, devrait troisième élément que nous mettons à son crédit. Avec lui, nous interpeller. (Vifs applaudissements sur de nombreux nous avons gagné en incarnation internationale. La France bancs.) retrouve une place. Elle suscite de nouveau l’écoute et le respect de nos partenaires étrangers, ainsi que l’intérêt et la M. Erwan Balanant. Voilà qui est sympathique pour les élus confiance des investisseurs. Et l’embellie de la conjoncture locaux ! CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 21

M. Hervé Marseille. Et si l’action gouvernementale marque La crise européenne, qui se confond maintenant avec celle un peu le pas, c’est sans doute aussi parce que les Français des migrants, est aiguë. Mais, comme par le passé, nous ne la n’ont pas totalement discerné les objectifs à atteindre. Il faut surmonterons qu’avec des propositions audacieuses. une ambition : le Président vient d’en redéfinir les contours. Le Président Emmanuel Macron a fait campagne sur le Certes, en matière d’éducation, sujet fondamental s’il en thème de « l’Europe qui protège » – la formule nous est, surtout lorsque l’on parle de s’attaquer aux racines de la convient. Une Europe qui protège, c’est une Europe qui pauvreté, le projet gouvernemental se dessine : donner à coordonne ses politiques migratoires. À ce titre, même si chacun les mêmes chances au départ, c’est-à-dire en mater­ l’accord du 29 juin est encore un compromis fragile et nelle et en primaire, pour pouvoir orienter et sélectionner flou, il est encourageant. Il prouve que l’Europe a encore dans le supérieur. de la ressource, mais il en faudra plus pour qu’elle devienne l’Europe qui protège. Mais ailleurs, où est le cap ? Vendre la France à Versailles et Davos ne fait pas une politique économique, privatiser le Une Europe qui protège, c’est aussi une Europe dotée d’un groupe ADP ne fait pas une politique industrielle (Mme modèle assumé, d’un budget accru, d’une fiscalité harmo­ Valérie Rabault applaudit), supprimer la taxe d’habitation nisée et d’une armée qui lui soit propre – cette Europe que ne fait pas une politique fiscale, et bénéficier de la croissance Simone Veil appelait de ses vœux. Même si un bel hommage ne fait pas une politique de redressement des comptes vient de lui être rendu au Panthéon, la meilleure façon publics. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) d’honorer la mémoire de Simone Veil est de relancer la construction européenne. Sur ce dernier point, nous restons sur notre faim. Monsieur le Premier ministre, le Président de la Visiblement, la ligne budgétaire de l’exécutif n’est pas celle République a ouvert de nombreux chantiers et fixé de de la maîtrise des dépenses, puisque celles-ci augmentent. On nombreux objectifs. Vous avez désormais une lourde respon­ ne parle plus de la dette. Elle n’a pourtant pas disparu par sabilité, celle de tracer le chemin et de nous convaincre, par enchantement : elle est toujours là, limitant nos marges de les propositions et par les actes, que les ambitions généreuses manœuvre et obérant la crédibilité de l’action publique. que le Président a affichées sont fondées. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Le projet de réforme constitutionnelle est emblématique : réduire le nombre de parlementaires n’est pas une fin en soi. M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe L’important, c’est qu’ils aient demain plus de moyens de Lagarde, pour le groupe UDI, Agir et indépendants de contrôle. Raccourcir de quelques jours un des segments de l’Assemblée nationale. la fabrique de la loi est une bonne chose si, derrière, le M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président du rythme de publication des décrets d’application suit. Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le La bonne nouvelle, c’est que la démarche qui fait défaut à Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, l’action de l’exécutif peut venir du Parlement. L’Assemblée chers collègues parlementaires, c’est donc la seconde fois nationale et le Sénat n’ont bien sûr pas vocation à être des depuis son élection que le Président de la République chambres d’enregistrement. Elles sont là pour inspirer, convoque le Parlement en Congrès. Si cet événement, que accompagner et contrôler l’action de l’exécutif. C’est la le Président veut rendre traditionnel, suscite à nouveau la carte que nous jouerons lors de la prochaine discussion des polémique depuis plusieurs jours, c’est sans doute parce que textes constitutionnels. cette possibilité n’est offerte que depuis dix ans par la Consti­ tution et que l’exercice peine encore à trouver sa place dans la Dès lors que nos propositions sont conciliables avec son geste républicaine. C’est si vrai que l’écho médiatique qui en ambition, nous faisons le pari que le Gouvernement est parvient aux Français fait plus de place à ceux qui décident de ouvert à la discussion. Nos lignes directrices sont simples : ne pas venir qu’à ceux qui choisissent de s’y exprimer. (Excla­ respect des droits du Parlement et des équilibres institution­ mations.) Et je sais de quoi je parle : l’an dernier, je considé­ nels, si nécessaires dans une Europe où les populismes rais que le Président de la République ne devait pas progressent ; respect de la représentation des territoires si s’exprimer avant le discours de politique générale du malmenés ; respect de la primauté de la volonté du politique Premier ministre. Puisqu’il s’agit désormais d’une sorte de sur le gouvernement des juges. On ne peut envisager que, discours sur l’état de l’Union, il convient que nous soyons à la demain, toute action publique soit soumise au bon vouloir de hauteur de ce rendez-vous, peut-être en portant le regard un juges chargés de hiérarchiser entre les multiples incantations peu plus loin que l’horizon. (Applaudissements sur quelques imprécises de notre texte fondateur. (Applaudissements sur bancs.) Je comptais regretter que le Président de la quelques bancs.) République ne puisse pas nous répondre, mais il vient de demander au Gouvernement de préparer un amendement lui Sans le Parlement, nous ne réformerons pas la France, pas permettant l’an prochain d’être présent. Je m’en réjouis plus que nous ne relancerons l’Europe. d’autant plus, monsieur le Premier ministre, que le groupe Plus que jamais, compte tenu de la situation allemande, le UDI, Agir et indépendants a proposé un tel amendement en sort de l’Union dépend de celui de la France. Ce commission des lois et que celui-ci a été repoussé par la quinquennat est peut-être celui de la dernière chance, à la majorité qui a désormais entendu raison. (Applaudissements fois pour notre pays et pour l’Union européenne. Tout laisse sur plusieurs bancs.) à penser que, si nous échouons aujourd’hui, la France M. Thierry Benoit. Excellent ! pourrait demain connaître le sort de l’Italie, et l’Europe, voler en éclat. M. Jean-Christophe Lagarde. En attendant, c’est à vous monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les Depuis le traité de Rome, jamais la construction ministres, et à l’ensemble de la majorité parlementaire que européenne n’a été autant menacée. La pérennité même de nous nous adresserons en dressant le bilan de cette première l’Europe d’après le Brexit est remise en cause par la montée année et en faisant part de nos préoccupations pour celles à des peurs identitaires. Réussir signifie donc aussi faire sortir venir. Car même si nous n’appartenons pas à votre majorité, l’Europe de l’impasse. nous souhaitons sincèrement votre réussite puisqu’elle 22 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 suppose celle de la France. C’est pourquoi la ligne directrice été heureux d’entendre le président évoquer cet enjeu majeur. du groupe UDI, Agir et indépendants consiste à vous Si l’Afrique va mal, nous serons les premiers à en souffrir. Les soutenir lorsque vous êtes sur la bonne voie et à s’opposer prochaines élections européennes seront à cet égard une lorsque vous déraillez. À nos yeux, après le tremblement de occasion unique pour nos concitoyens de dire s’ils veulent terre politique de 2017, c’est ainsi que nous pouvons être faire de l’Europe un véritable bouclier face aux dangers et aux utiles à notre pays et respecter la volonté des Français de voir enjeux du monde. les responsables politiques changer d’attitude, en finir avec les affrontements stériles et les oppositions feintes. En politique intérieure, les sujets sont nombreux et complexes, et le temps de parole qui nous est imparti ne En somme, nous pensons que les Français attendent de me permettra pas de tous les aborder sereinement. nous que nous jouions la politique en vrai et que nous jugions votre action au cas par cas, comme ils le font eux- En résumé, je dirais que s’achève une première période au mêmes chaque jour. Nous savons bien que cela n’entre pas cours de laquelle se sont enchaînées des réformes nécessaires, dans les cases du business médiatique dans lequel chacun est utiles et trop longtemps reportées, telles que la refonte du censé jouer un rôle convenu d’avance de soutien aveugle ou code du travail, la baisse de l’impôt sur les sociétés, la baisse d’opposant à tout. Mais peu nous importe, car le débat des charges sociales, le prélèvement unique et forfaitaire sur démocratique doit, selon nous, élever le degré de conscience les revenus du capital, l’amputation d’un impôt sur la fortune civique des citoyens, et non pas répondre aux objurgations contre-productif, la transformation de la SNCF, la reconfi­ des réseaux sociaux ni aux injonctions d’une information si guration de l’enseignement primaire, la tentative déterminée permanente qu’elle confond l’accessoire élevé au rang de réduction de notre déficit, creusé de manière irresponsable d’événement et l’essentiel ravalé au niveau de l’anecdote. depuis des années. Dans cette première période, nous avons déploré l’iniquité de la hausse de la CSG : il n’y a pas de Les clivages d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui tant ils raison que seuls les retraités financent la compétitivité de ont été bouleversés par la mondialisation. Désormais, notre notre pays. (Applaudissements sur quelques bancs.) débat politique est scindé en deux. D’un côté, il y a ceux qui voient avec effroi le monde nouveau, le vrai, dans lequel la Ces réformes obéissent à une logique : libérer les capacités globalisation rend tous les pays chaque jour plus dépendants de production de notre pays pour rétablir la compétitivité et les uns des autres, réduisant inexorablement les marges de créer de l’emploi. Nous partageons cette logique résumée manœuvre nationales. Ceux-là veulent faire croire que notre dans l’expression « premiers de cordée », chère au chef de pays serait plus fort en se repliant sur lui-même, en se recro­ l’État. Mais, nous vous le répétons ici, pour que les Français quevillant sur son passé, en s’isolant du mouvement général puissent l’adopter, il vous appartient de garantir à chacun de la planète avec l’illusion de s’en protéger. De l’autre côté, d’entre eux que les premiers de cordée seront utiles à et c’est un point qui nous est commun, monsieur le Premier l’ensemble de la cordée. C’est la condition de la légitimité ministre, il y a ceux qui, comme nous, comprennent que face de ces deniers et de votre politique. Le chef de l’État a tenté à cette évolution du monde, il nous faut choisir de trans­ de le faire dans son discours, nous attendons les actes. former profondément notre organisation économique et Je n’adhère pas aux caricatures qui peuvent être faites à ce sociale mais aussi politique, afin de conserver suffisamment sujet, mais il faut se rendre à l’évidence : à ce stade, les effets de forces pour demeurer libres de nos choix et de nos modes de votre politique profitent à certains et ignorent les autres. de vie. Les plus favorisés le sont davantage encore, ce qui pourrait C’est à travers ce prisme que nous pourrions souscrire aux être acceptable si tous nos concitoyens étaient également nombreuses déclarations du Président de la République qui gagnants. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas le cas : les plus prônent la transformation et l’émancipation. démunis le restent. Le chef de l’État vient d’évoquer certaines propositions. Nous attendons d’en connaître les contours et Sur le plan international, tout d’abord, nous saluons surtout la concrétisation. l’énergie déployée par l’exécutif pour rendre à la France sa place et son rôle dans ce monde devenu multipolaire où M. Thierry Benoit. Tout à fait ! s’affrontent quelques grandes puissances continentales au M. Jean-Christophe Lagarde. Au premier tour de l’élection détriment de tous les autres petits États. C’est là que réside présidentielle, le Président de la République a été choisi par la le défi majeur de l’Europe, le seul échelon qui, à condition de France mondialisée, celle qui s’en sort bien, qui sait tirer faire preuve d’une plus grande unité, est en mesure de profit des changements du monde, celle qui, finalement, défendre efficacement les intérêts nationaux des pays qui la n’a pas besoin de la politique et qui n’attend d’elle que de composent pour peser face aux grands pays du monde et ne pas être entravée. Mais je vous alerte, cette France-là est même face à ces énormes multinationales nées des nouvelles minoritaire. Et c’est parce que votre politique donne technologies et dont la puissance dépasse celle de nombreux l’impression de ne servir que cette France-là que les États. Une Europe plus fédérée est notre seule chance de Français sont passés en un an de l’espoir au doute. peser dans les relations internationales pour y protéger nos intérêts, nos modes de vie, et notre vision de l’organisation Quels que soient ses talents et sa détermination, le chef de sociale. l’État ne peut pas créer une véritable communauté de destin dès lors que ceux qui vivent dans les banlieues et les territoires Aussi, si nous soutenons l’engagement européen du Prési­ ruraux ne peuvent prétendre au même avenir que ceux qui dent de la République, nous vous invitons à aller plus loin en ont les moyens de vivre au cœur des métropoles. proposant de transférer au niveau européen des compétences pour lesquelles les politiques nationales montrent chaque Il existe dans nos banlieues et dans les territoires ruraux une jour leur inefficacité. C’est le cas de la protection des autre France, qui compte plus d’habitants et qui a vraiment frontières, de l’immigration, des stratégies industrielles et besoin de politiques publiques pour espérer avoir droit à de recherche, de la lutte contre le terrorisme et les grands l’égalité des chances. C’est cette France-là qui vous a confié trafics, de la défense qui doit devenir moins dépendante des les clefs du pays après le second tour de l’élection présiden­ États-Unis, de la transition énergétique qui pourrait accroître tielle, car elle voulait encore croire en la République et sa notre indépendance collective ou encore de l’aide au dévelop­ promesse de récompense du mérite plutôt que de perpétua­ pement de l’Afrique dont nous sommes les seuls voisins – j’ai tion des situations acquises. C’est cette France-là dont, CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 23 devant la pyramide du Louvre, le tout nouveau chef de l’État toute réflexion, interrogation, alerte ou proposition pour une a promis de tenir compte. C’est cette France-là qui ne voit critique, au lieu d’en faire son miel et de corriger la trajectoire rien venir et qui s’impatiente en voyant s’accumuler les pour mieux réussir. difficultés : la désertification médicale, un système hospitalier à bout de souffle, l’insécurité qui continue de croître, les Dans de trop nombreux cas, vous décidez – vous n’êtes pas services publics qui s’éloignent, les transports déficients. le premier à le faire – depuis Paris, depuis les ministères, sans C’est cette France-là qui, si rien ne change pour elle, considération des corps intermédiaires, du tissu associatif, des pourrait faire défaut lors d’une prochaine élection présiden­ élus locaux, et des parlementaires que le Président de la tielle. Cette France-là, fragile et fatiguée, n’attend pas de plan République a dit à cette tribune vouloir associer à son action. pauvreté, elle veut qu’on lui garantisse l’égalité des chances. Tous, pourtant, vous sont indispensables pour faire réussir Les fractures sont multiples, se croisent, s’accumulent et la France. Écoutez-les, entendez-nous car nous servons tous le s’accentuent. Vous n’en êtes pas seuls responsables, vous ne même idéal. Nous avons chacun notre pierre à apporter à les avez pas créées, mais elles peuvent toutes être atténuées, si cette ambition collective, celle qui doit permettre à ce n’est, résorbées par la volonté des pouvoirs publics. Nous l’ensemble de nos concitoyens de s’épanouir et de s’éman­ regrettons les mauvais signaux envoyés aux banlieues que ciper, quelle que soit leur position initiale dans le système constitue le refus de construire de nouvelles politiques publi­ social et leur lieu de vie ; celle qui doit permettre à la France ques… de peser dans l’Europe, et à l’Europe de peser dans le monde, forts de notre histoire et de nos valeurs. M. Philippe Gomès. Très bien ! Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les M. Jean-Christophe Lagarde. …permettant de rétablir membres du Gouvernement, ce serait là votre plus grande l’égalité républicaine dans ces quartiers – je les connais réussite, la seule qui compte. (Applaudissements sur de bien – qui concentrent toutes les pauvretés et dans nombreux bancs.) lesquels, contrairement à un mensonge répandu, les moyens alloués par l’État restent inférieurs à ceux attribués M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, aux quartiers plus favorisés. pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat. M. Stéphane Peu. Bravo ! M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président du M. Jean-Christophe Lagarde. C’est aussi un mauvais signal Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le adressé au monde rural que le retard pris pour mettre en Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, place l’Agence nationale pour la cohésion des territoires que chers collègues parlementaires, le Président de la République nous vous proposions dès l’automne dernier, alors que le vient de présenter devant le Parlement la politique que le monde rural désespère d’être entendu par le pouvoir. Gouvernement devra mettre en œuvre sous l’autorité du Premier ministre. Qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, M. Thierry Benoit. Très bien ! telle est la nature même de la Ve République, après soixante ans d’une évolution quasi darwinienne qui lui aura permis de M. Jean-Christophe Lagarde. À ces territoires ainsi qu’aux s’adapter sans cesse. outre-mer que le Président de la République n’a pas mentionnés (Applaudissements sur quelques bancs), nous C’est aussi un usage nouveau de l’article 18 de la Consti­ vous appelons à redonner des perspectives grâce à des politi­ tution qui s’affirme sous nos yeux : celui où le chef de l’État ques publiques ambitieuses qui garantissent leur place dans la s’adresse directement et régulièrement à la représentation République. C’est ce que nous attendons avant tout de la nationale. Si, selon nos institutions, il n’a pas de comptes à seconde période qui s’ouvre, sinon votre discours sur l’éman­ nous rendre, car il n’a à le faire que devant le peuple, mon cipation restera une théorie creuse pour une majorité de groupe, dans toute sa diversité, attache une grande impor­ Français. tance à cette adresse solennelle aux élus de la nation. Nous pouvons même parler d’un « discours sur l’état de la Nous attendons aussi, monsieur le Premier ministre, que République », traçant les perspectives sur lesquelles le légis­ vous ouvriez peut-être moins de chantiers mais qu’ils soient lateur aura à se prononcer. (Applaudissements sur quelques conduits à leur terme et donnent réellement lieu à des bancs.) Dans cette optique, nous ne partageons pas le choix changements structurels et équilibrés. Le projet de loi pour de certains élus de ne pas être présents aujourd’hui. Être l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole parlementaire, c’est s’honorer de savoir débattre, ce qui et une alimentation saine et durable, qui n’est pas encore relève de l’essence même de la démocratie représentative, à adopté, ne garantit pas, à ce stade, le rééquilibrage du rapport plus forte raison dans un bicamérisme équilibré. (Mêmes de forces entre agriculteurs et grandes surfaces. La réforme de mouvements.) l’aide au logement, alors qu’elle est nécessaire, ne s’est jusqu’alors traduite que par l’appauvrissement des bailleurs Pour notre part, nous sommes favorables à ce que le chef de sociaux. Le projet sur la formation professionnelle mériterait l’État prenne la parole devant le Congrès, écoute nos débats de trouver un meilleur équilibre des responsabilités entre le et puisse répondre aux interrogations des parlementaires. Le patronat et les régions. dialogue entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, qui entre dans notre conception d’un parlementarisme moderne et Pour aller vite, vous vous êtes affranchis des partenaires qui équilibré, sera ainsi parachevé. nous semblent indispensables pour véritablement trans­ former notre pays. Sous couvert de consultations prétendu­ Mais, ce qui nous rassemble aujourd’hui, c’est d’abord ment citoyennes, dépourvues in fine de toute influence, vous notre engagement indéfectible pour notre pays et nos conci­ avez mené une politique trop souvent solitaire. Tel est le plus toyens. Notre vision de l’avenir doit partir du réel. C’est grand danger qui guette toute majorité, surtout quand elle est encore plus vrai pour nous, sénateurs, qui sommes les repré­ absolue : celui de n’écouter personne d’autre, de s’enfermer sentants des collectivités locales, bien souvent élus ou anciens dans sa logique au lieu d’entendre les différences pour mieux élus – non-cumul des mandats oblige –, ancrés dans nos entraîner le pays dans sa transformation, celui de prendre territoires, dont nous écoutons les respirations. 24 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018

Le Président de la République vient de décrire le cap qu’il a M. Jean-Claude Requier. …« combattons la haine imbécile, fixé. Face aux décisions à prendre collectivement, je rappelle l’immonde haine, qui n’a jamais rien su créer ». Faisons de la ce que déclarait Pierre Mendès France devant les députés le laïcité le premier rempart aux divisions de la nation. (Applau­ 3 juin 1953, lui dont le courage et l’abnégation constituent dissements sur quelques bancs.) toujours des références : « Gouverner c’est choisir, si difficiles que soient les choix. » Mme Valérie Rabault. Très bien ! M. . Très bien ! M. Jean-Claude Requier. La meilleure réponse à y apporter, c’est de faire vivre nos principes républicains, à commencer M. Jean-Claude Requier. Oui, nous sommes face à des par l’égalité réelle entre tous les citoyens. Nous savons choix difficiles qui renvoient à notre responsabilité d’élus combien cette tâche est complexe, mais le Gouvernement de la nation. Ne nous dérobons pas ! Le chef de l’État l’a s’y est attaqué, d’abord dans l’éducation, pour permettre à rappelé en filigrane : les défis que nous avons à relever nos enfants de devenir des citoyens éclairés, responsables et s’inscrivent dans une époque complexe, traversée de autonomes ; ensuite, au nom de l’égalité des chances, en mutations intenses et profondes, de dangers inédits qui matière d’accès à l’emploi, quelle que soit l’origine de mettent en tension notre cohésion. chacun ; dans la lutte contre la pauvreté et la précarité ; en matière de prévention et de répression de toutes les formes de Nous avions cru être à l’abri des turpitudes du monde, discrimination, notamment des inégalités entre les femmes et mais le principe de réalité nous a rattrapés, parfois au prix du les hommes ; ou encore dans la lutte contre les fractures tragique, hélas. Ce que nous prenions pour des certitudes est territoriales, afin que plus aucun territoire, urbain ou rural, ébranlé, et je pense d’abord aux acquis de la construction métropole ou ville moyenne, ne se sente abandonné par l’État européenne, que les populismes menacent de leur idéologie et écarté de la marche du progrès, qu’il soit économique, simpliste. social, culturel ou numérique. Pour notre groupe, le RDSE, qui soutient le projet Rendre l’égalité effective pour répondre à la haine, voilà européen jusque dans son nom même, il est urgent de notre devoir en tant qu’élus. Nous savons que beaucoup a remettre au cœur de nos actions la philosophie de Jean déjà été fait, et je tiens à le saluer. Bien sûr, il reste de Monnet, à savoir que l’Europe ne coalise pas des États, nombreux chantiers. En l’occurrence, il ne s’agit pas de mais vise à unir des hommes. (Applaudissements sur faire de la réforme une politique incantatoire, qui retomberait quelques bancs.) comme un soufflé. M. Yvon Collin. Excellent ! Soyons donc lucides : notre démocratie traverse depuis longtemps une crise de représentativité ; le lien entre M. Bertrand Pancher. Bravo ! citoyens et élus s’est dangereusement distendu ; l’abstention M. Jean-Claude Requier. Peut-être nous sommes-nous trop n’a jamais été aussi élevée. La réforme institutionnelle à venir éloignés de l’idéal européen. Peut-être avons-nous aussi ne peut être abstraite de ce contexte, et nous devons restaurer perdu au passage le consentement éclairé de nos concitoyens, la confiance. Or celle-ci ne se décrète pas. La réforme de nos en étirant le lien de confiance. Pourtant, n’oublions pas que institutions est certes nécessaire pour moderniser le fonction­ l’Europe ne sera jamais la source de nos maux ; elle est, au nement de notre démocratie, mais elle ne constitue pas une contraire, le creuset du progrès. finalité en soi : elle n’est qu’un outil, au service de nos concitoyens. Il importe donc de rendre la décision politique Comme l’a rappelé le Président de la République, les crises plus efficace, plus transparente et mieux comprise. C’est auxquelles nous sommes confrontés – crise migratoire, lutte pourquoi il est essentiel que les territoires, qui, dans leur contre le terrorisme, nécessité de la relance économique, lutte diversité, font la France, soient justement représentés, pour contre le chômage et pour le progrès social, lutte contre le que leur voix soit entendue. réchauffement climatique – ne trouveront à tout le moins de réponse pérenne qu’au niveau européen. C’est au Parlement qu’il revient d’incarner le creuset où ces voix se mêlent, débattent et délibèrent. Le groupe du RDSE se retrouve bien sûr dans cette approche, tout comme dans cette volonté de réformer, en Mme Valérie Rabault. Très bien ! dépassant les vieux clivages. Nous sommes fiers de faire vivre M. Jean-Claude Requier. C’est aussi au Parlement de porter depuis longtemps la synthèse des principes inhérents à la ces voix, dans son dialogue institutionnel avec le pouvoir République, à savoir l’humanisme, la liberté, la solidarité exécutif, qu’il s’agisse de faire la loi ou de contrôler l’action – qui n’est pas antagoniste à la précédente – ou encore la du Gouvernement. Notre groupe abordera donc la réforme laïcité, en somme d’établir un pont entre l’ancien et le des institutions avec la volonté de construire un équilibre nouveau monde ! renouvelé et modernisé entre les pouvoirs, avec un Parlement qui exerce entièrement ses responsabilités. Je ne doute pas En ces temps incertains, qui voient la République et ses que le Sénat en débattra, comme toujours, en accordant une valeurs contestées par certains membres du corps social, attention particulière à l’approfondissement de notre État de certes de façon très minoritaire, nous serons intransigeants droit. Telle est d’ailleurs l’une des vertus du bicamérisme sur la défense de nos principes. Oui, il faut nommer et équilibré, dans lequel notre groupe se reconnaît. attaquer à la racine ce mal qui veut s’instiller pour fissurer l’unité et l’indivisibilité de la République, à savoir la haine de Mes chers collègues, on dit de nos compatriotes qu’ils sont l’autre, de la différence, de l’altérité et de l’universel, une parmi les plus pessimistes au monde, sauf quand l’équipe de haine qui nourrit l’obscurantisme et le fanatisme religieux France gagne. (« Ah » sur plusieurs bancs.) et fait le lit du terrorisme. Comme le disait Édouard Herriot, … M. Luc Carvounas. Quel talent ! M. Éric Gold,M. Jean-Christophe Lagarde et M. Francis M. Jean-Claude Requier. Notre pays dispose pourtant de Vercamer. Ah ! nombreux atouts, et nous devrions donc regarder l’avenir avec confiance. Tordons le cou aux clichés, surmontons M. Thierry Benoit. Il y a deux Édouard ! nos inerties et unissons nos volontés d’agir ! Le groupe du CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 25

RDSE y prendra toute sa part, avec responsabilité et bienveil­ Autre exemple, cette fois d’une anti-fraternité à l’égard des lance, car, comme le disait encore Herriot, « dans une territoires : la hausse vertigineuse des taxes sur les carburants, démocratie, il n’y a d’équilibre stable que par le mouvement ». … (Applaudissements sur de nombreux bancs.) M. Éric Alauzet. Ça s’appelle l’écologie ! M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault, pour Mme Valérie Rabault. …qui frappe de plein fouet les terri­ le groupe Nouvelle Gauche de l’Assemblée nationale. toires ruraux. Cette hausse va frapper avant tout celles et ceux qui ne disposent pas de services publics de transport, c’est-à- Mme Éliane Assassi. Une seule femme aura pris la parole cet après-midi ! dire les habitants des campagnes. Monsieur le Premier ministre, faisons l’exercice ensemble : Mme Cathy Apourceau-Poly. Cela mérite d’être souligné ! prenons l’exemple d’un ménage composé de deux parents et de deux enfants, qui fait, par an, vingt pleins de 50 litres et se Mme Valérie Rabault. Monsieur le Président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier chauffe au fioul domestique – car il n’y a pas accès au gaz de ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouverne­ ville partout à la campagne. La majorité, votre majorité, a fait ment, mes chers collègues, vendredi dernier, pour la première passer les taxes à payer de 800 euros en 2017 à 945 euros en fois dans notre histoire, le Conseil constitutionnel a consacré 2018 – somme à laquelle il faut ajouter la TVA –, et celles-ci le « principe de fraternité » pour déclarer contraire à la atteindront 1 476 euros en 2022 ! C’est un appauvrissement Constitution un article du code de l’entrée et du séjour jamais vu qui est en train de s’enclencher pour les territoires des étrangers et du droit d’asile. (Applaudissements sur ruraux, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises. plusieurs bancs.) L’anti-fraternité à l’égard des territoires s’est exercée aussi aux dépens des outre-mer, qui n’ont bénéficié d’aucune M. Dominique Potier,M. Jean-Paul Dufrègne et mesure depuis un an. Mme Delphine Bagarry. Très bien ! Autre exemple encore, cette fois d’une anti-fraternité Mme Valérie Rabault. Pour la première fois, il a ainsi contre notre jeunesse : Parcoursup. La ministre de l’enseigne­ rappelé la portée de la fraternité au cœur de notre République ment supérieur, de la recherche et de l’innovation avait de manière explicite : « Il ressort que la fraternité est un affirmé le 17 mars dernier : « Aucun candidat à l’université principe à valeur constitutionnelle. » Pour la première fois, ne recevra de "non". » Malheureusement, quelques jours plus une décision de l’autorité garante de notre Constitution est tard, le démenti est venu du site de son propre ministère, qui rendue au nom de la fraternité. a annoncé alors que certains lycéens ne recevraient aucune réponse positive. Oui, la fraternité est un principe constitutionnel. Oui, elle est inhérente à ce que nous sommes, nous, peuple français, M. Luc Carvounas. Pas de chance ! depuis qu’ici, à Versailles, le 9 juillet 1789 – il y a deux cent Mme Annaïg Le Meur. C’est faux ! vingt-neuf ans jour pour jour –, l’Assemblée nationale s’est proclamée Assemblée nationale constituante. Nos droits Mme Valérie Rabault. Depuis lors, la réalité a dépassé nos reposent sur un triptyque unique au monde : liberté, craintes : au 4 juillet, seuls 400 000 lycéens sur 665 000 ont égalité, fraternité. Ébranler l’un de ces trois piliers revient à arrêté leur choix, et 150 000 n’ont reçu aucune proposition. faire vaciller l’édifice républicain tout entier. Parmi ceux qui ont obtenu des réponses positives, on constate des affectations subies. On observe aussi que des Au sein de notre triptyque républicain, la fraternité struc­ formations universitaires, qui ne connaissaient pourtant ture la relation des Français entre eux, au-delà de leur lieu de aucun problème de place, se sont vu imposer de sélectionner vie, de leur classe sociale et de leurs origines. Elle est le liant leurs élèves, souvent au moyen d’algorithmes opaques du modèle français, sa colonne vertébrale en quelque sorte. dénoncés par les enseignants eux-mêmes. En Île-de-France, La fraternité est au cœur de notre identité républicaine. un critère de l’algorithme visait à faire en sorte que les lycéens Celles et ceux qui voudraient faire l’impasse sur ce principe de banlieue soient exclus de certaines formations dispensées à se placeront, de fait, en dehors de notre modèle républicain. Paris. (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs.) M. Jean-Louis Bricout. Très juste ! M. Olivier Faure et M. Stéphane Peu. Très juste !

Mme Valérie Rabault. Or les choix opérés depuis un an par Mme Valérie Rabault. Quant aux bacheliers professionnels, le Président de la République et sa majorité à l’Assemblée ils sont les grands perdants de l’opération, puisqu’un grand nationale conduisent à s’interroger sur la place réellement nombre d’entre eux se retrouvent sur le carreau pour la donnée à la fraternité. rentrée de 2018. Enfin, Parcoursup a constitué un épouvan­ table instrument de déstabilisation des candidats au bacca­ Première mesure « anti-fraternité » du Président de la lauréat (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs) : ces derniers se République et de la majorité présidentielle : la hausse de la sont retrouvés à plancher sur les épreuves sans la moindre CSG, qui frappe 8 millions de retraités français,… perspective d’avenir à court terme,…

M. Éric Alauzet. Elle frappe tout le monde ! M. Boris Vallaud. Elle a raison ! Mme Valérie Rabault. …y compris pour celles et ceux qui Mme Valérie Rabault. …avec une ponction de 200 à disposaient de bonnes notes dans leur dossier. Aussi, 400 euros par an en moyenne. Ainsi, pour compenser les Parcoursup est devenu l’emblème de l’anti-fraternité recettes manquantes de l’État, le Gouvernement n’a pas déclinée dans le monde de l’enseignement supérieur. hésité à rompre la fraternité entre les générations. Interrogez (Murmures.) les commerçants de vos territoires, mes chers collègues : tous vous diront qu’ils observent une baisse de la consommation Encore un exemple, celui de la loi ELAN – portant évolu­ des retraités, qui entraîne un recul de leur propre chiffre tion du logement, de l’aménagement et du numérique –, qui d’affaires. La réalité, c’est que la spirale du ralentissement devient l’anti-fraternité en matière de mixité. Votre seul économique est enclenchée. objectif a été de permettre aux bailleurs de vendre 26 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018

40 000 logements sociaux par an, quitte à détricoter tous les tionnez particulièrement. Détricoter ce modèle au nom de la outils de mixité sociale. Cela risque d’aggraver sérieusement recherche de la simplicité vous rassurera peut-être, mais cela la ghettoïsation de certains quartiers, au mépris de notre ne nous emmènera nulle part. Et surtout cela détricotera la objectif commun, la cohésion sociale. France.

Enfin, que dire de la loi « asile et immigration », qui Dans Le Politique, Platon assimile l’art du bon politique à sanctuarise l’enfermement de mineurs dans des centres de celui du tisserand capable d’unir des fils de textures variées. rétention administrative et entérine l’anti-fraternité vis-à-vis Monsieur le Président de la République, inspirez-vous du des demandeurs d’asile ? Que dire du manque de solidarité de tisserand de Platon en retrouvant le goût de la fraternité la France vis-à-vis de ses partenaires européens pour l’accueil qui unit les Français ! (Applaudissements sur de nombreux des réfugiés et des naufragés de l’ Aquarius ? bancs.) Un an après l’arrivée du président Macron et de la majorité présidentielle au pouvoir, il faut bien reconnaître que la M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le fraternité s’est effilochée, au mépris des promesses de groupe La République en marche du Sénat. campagne électorale et malgré les élans de fraternisation grâce à la coupe du monde de football. Ce que nous M. François Patriat. Monsieur le président du Congrès, vivons depuis plusieurs mois ressemble à une trahison. monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouverne­ M. Bertrand Pancher. Rien que ça ! ment, mesdames et messieurs les parlementaires, chers collè­ Mme Valérie Rabault. Lors de son discours à Lyon le gues, un an déjà ! Nous étions tous réunis ici même et le 4 février 2017, en pleine campagne présidentielle, celui qui Président de la République avait une première fois tracé le allait devenir Président de la République déclarait : « Notre chemin. peuple est uni par une institution invisible : la fraternité. » Ce chemin, il avait été choisi par le peuple qui, en votant Le candidat Macron avait raison : le peuple français est uni pour le projet de transformation que nous portions, avait par la fraternité, mais le Président Macron a trahi cette signifié sa confiance et son espérance, sa confiance dans la promesse en rendant vraiment invisible cette institution. capacité de notre pays à affronter les immenses défis qui se dressent devant lui, son espérance en un avenir dans lequel la M. Bertrand Bouyx. La fraternité est une valeur, pas une France continuera de compter en Europe et à l’international. institution ! Un avenir où la France sera de nouveau citée avec respect et Mme Valérie Rabault. La fraternité ne se confond pas avec en exemple. l’angélisme. Elle est un acte volontaire, ambitieux et complexe. Si Jaurès disait que, pour la République, il Depuis un an, nous, parlementaires de la majorité prési­ fallait de la confiance et de l’audace, nous pourrions dire dentielle, sommes les garants de ce projet. Mais dans nos de même de la mise en œuvre de la fraternité. territoires, nous devons aussi en être les promoteurs acharnés face à des opposants virulents, ceux qui espèrent prospérer sur Une nation qui a confiance en elle-même et qui se projette les peurs, les oppositions stériles, les postures hypocrites et avec audace n’a pas peur de la fraternité, bien au contraire ! Si opportunistes. la fraternité souffre aujourd’hui, c’est peut-être parce que la France a perdu confiance et audace. J’ai entendu tout à l’heure des présidents de groupe, certes Mes chers collègues de la majorité présidentielle, depuis doués d’un certain talent, mais je me suis demandé pourquoi votre arrivée aux responsabilités, votre leitmotiv est la liberté, tant d’outrance, pourquoi tant d’agressivité, si ce n’est pour quel qu’en soit le coût : vous voulez libérer, libérer l’épargne cacher la faiblesse de leurs propositions. (Applaudissements avec la suppression de l’ISF, libérer le travail avec les ordon­ sur de nombreux bancs.) nances Pénicaud ou encore libérer le logement. L’action politique demande du courage. Elle demande du Nous aussi, nous aimons la liberté. Nous l’aimons avec la courage et de la constance. Il faut du courage pour dire la force que lui donne le triptyque de notre devise républicaine. vérité à nos concitoyens. Il faut du courage pour oser engager Nous l’aimons pour toutes et tous. Or, en oubliant la frater­ les réformes nécessaires au redressement de notre pays, à son nité, vous dévoyez la liberté : vous la réservez à un petit dynamisme économique, à son attractivité. Ce courage, nous nombre de Français. l’avons eu face à l’adversité nihiliste, alors que les nombreux Ce congrès de Versailles ne sera utile à notre pays que s’il appels à tenir bon arrivent du terrain, et vous les entendez permet un sursaut autour de la fraternité pour assurer la comme moi chaque jour. Mais il faut de la constance aussi. cohésion de notre nation. Parce qu’ici, à Versailles, nous Le temps de l’action législative est long ; le temps de l’action nous sentons, peut-être encore plus qu’ailleurs, les héritiers administrative l’est encore plus. de celles et ceux qui ont créé la France que nous connaissons aujourd’hui, de celles et ceux qui ont rompu avec le pouvoir En un an, nous avons beaucoup travaillé. Il y a les réformes d’un seul qui décidait pour toutes et tous. Il est de notre en profondeur qui étaient nécessaires : celle du code du responsabilité absolue de traduire pour le destin de notre pays travail, celle de la SNCF, celle de la sécurité intérieure et ces valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont celle de la lutte contre le terrorisme, que, monsieur le constitutives de ce que nous sommes. ministre d’État, ministre de l’intérieur, vous avez conduites avec talent. Et puis il y a toutes celles qu’on évoque moins et Mes chers collègues de la majorité, ne prenez pas vos ordres qui sont pourtant tout aussi importantes. Tout à l’heure, le auprès d’un pouvoir qui se voudrait monarchique. Inspirez- chef de l’État les a rappelées. Je n’y reviendrai pas. vous directement de notre triptyque républicain. Que la fraternité se retrouve au cœur de vos décisions et de vos Le projet politique que nous défendons et que nous votes. La France s’est construite sur un modèle complexe portons au Sénat comme à l’Assemblée est un projet au fil des années ! C’est ce modèle qui a fait sa grandeur et politique à long terme. C’est le projet d’un quinquennat. son « efficacité », pour reprendre un terme que vous affec­ Ce n’est pas le projet d’une année. CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 27

Ceux qui doutent ou qui critiquent sont ceux qui n’ont pas Les apports de cette révision constitutionnelle s’inscrivent encore compris la pertinence et la portée du projet présiden­ aussi et surtout dans le cadre inédit du dialogue entre les tiel, que vous portez vous aussi, monsieur le Premier collectivités territoriales et l’État, que j’ai souvent entendu ministre, avec détermination et avec clairvoyance. caricaturer. Les annonces du Président de la République confirment La majorité a ainsi approuvé le Gouvernement, lorsqu’il a notre démarche : celle du « en même temps », celle du décidé de mettre fin à quatre années successives de baisses « protéger », qui s’inscrira toujours à côté du « libérer ». unilatérales des dotations de l’État aux collectivités territo­ riales, et qu’a été proposé une hausse maîtrisée des dépenses Non, il n’y a pas lieu d’y voir, comme certains le font si de fonctionnement des collectivités de 1,2 % par an pendant souvent, encore une politique qui ne profiterait qu’à certains, le mandat. une politique qui délaisserait des territoires. Non, Il n’y a pas lieu de caricaturer et de mentir aux Français. La hausse maîtrisée se traduit par la mise en place d’un contrat. Cette méthode partenariale est inédite et traduit bien Oui, le projet gouvernemental est un projet de justice et la volonté de la majorité, ce pacte girondin qui doit redonner d’équité sociale. Oui, les réformes passées et à venir sont des aux territoires les moyens d’agir dans une responsabilité réformes profitables à tous, en particulier aux classes partagée. Déjà 228 maires et présidents de nos plus grands populaires, aux plus défavorisés et aux classes moyennes. exécutifs ont confirmé leur engagement dans la démarche, (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Oui, nous soit 70 % des collectivités concernées. sommes fiers de ce projet. Face aux conservatismes et à l’immobilisme, nous continuerons à œuvrer pour son succès. M. Jean-Jacques Bridey. Tant mieux ! La véritable échéance, pour nous qui soutenons le Prési­ M. François Patriat. Ce chiffre, c’est la traduction d’une dent de la République et la majorité, monsieur le Premier décentralisation assumée et responsable. Ce chiffre, c’est la ministre, elle est dans quatre ans. Dans quatre ans, quand les volonté de ces élus qui ont su prendre leurs responsabilités, opportunités économiques seront de retour, quand le pays au-delà des postures et des effets de manche. sera, comme vous le dites souvent, réparé, quand notre C’est le sens du message que les sénateurs de la République jeunesse pourra se saisir pleinement de ses chances, quand en marche, élus ruraux, urbains, venant de métropole et des les comptes publics tendront vers l’équilibre, quand plus outre-mer, veulent porter en s’inscrivant pleinement dans personne ne sera laissé pour compte, alors, à ce moment- l’action gouvernementale en faveur de la transformation de là, nous pourrons être jugés, mais pas avant. notre pays, car nous nous avons pleinement confiance dans la M. Stéphane Peu. Mais si ! Tous les jours ! capacité de nos territoires à assumer pleinement les enjeux de notre temps. M. François Patriat. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, chers collègues, un an Un dernier mot enfin sur une autre responsabilité collec­ déjà, et voilà que, dès aujourd’hui, nous voulons nous tive, qui consiste à garantir l’unité de la République derrière projeter dans les chantiers qui s’ouvrent et qui vont nous des principes permettant à tous de vivre ensemble et à chacun occuper dans les années à venir. de s’exprimer dans un cadre apaisé. Je pense particulièrement à la réforme constitutionnelle. Il Il y a des principes républicains sur lesquels nous ne y a là – je le dis en particulier à mes collègues sénatrices et pouvons pas transiger. Le principe de laïcité en fait partie. sénateurs – un rendez-vous à ne pas manquer. Les dernières Ceux qui, de tous bords, exacerbent aujourd’hui les positions élections, d’abord présidentielle, puis législatives, ont renvoyé et les tensions sur ce sujet sont dangereux et ne mesurent par une partie de la classe politique à ses luttes internes dont elle la portée de tels agissements. Ceux qui veulent utiliser la semble ne jamais vouloir sortir – c’est même à se demander si réforme constitutionnelle à ces desseins sont irresponsables. elle n’y délecte pas. Et plus encore, le nombre d’abstention­ M. Olivier Falorni. N’importe quoi ! nistes n’est pas à négliger. M. François Patriat. Sans dévoyer les principes de neutralité Une première étape a été franchie avec l’adoption des lois totale, de laïcité, nous savons, monsieur le Premier ministre, pour restaurer la confiance dans la vie politique. Elles ont été que vous aurez à cœur de préserver l’espace public et portées, l’été dernier, par Mme la garde des sceaux, ministre politique devant demeurer tolérant à l’égard de tous les de la justice, dont je veux ici saluer le travail. enfants de la République, dans leur diversité. La deuxième étape qui s’ouvre doit renforcer l’indépen­ La crise migratoire européenne que nous connaissons est dance de l’institution judiciaire. Elle doit ouvrir les institu­ sans précédent et questionne au plus profond de nous nos tions aux citoyens et aux enjeux contemporains. Elle valeurs, notre attitude, nos anciennes certitudes. Face à la reconnaîtra tous nos territoires dans leurs spécificités, sans détresse de ces femmes et de ces hommes, nous ne pouvons préjudice de l’unité de la République. Elle renforcera l’effi­ rester insensibles. L’action du chef de l’État et du Gouverne­ cacité de la procédure parlementaire. Le Sénat doit s’extraire ment, résolus à trouver une solution européenne à cette crise, des logiques politiciennes des partis quand les enjeux nous sans céder aux populismes, doit être saluée. Des avancées ont dépassent, et concernent la France et l’avenir de ses institu­ été obtenues. Nous devons poursuivre pour être à la hauteur tions. des exigences de l’humanité. Surtout qu’après des années de fausses réformes, parfois Chers collègues, nous redisons notre confiance dans notre contradictoires, il s’agit pour nos territoires, non d’un énième capacité collective à nous réinventer, à conduire jusqu’au grand soir institutionnel, mais d’une série d’adaptations bout les transformations nécessaires à notre pays. pragmatiques qui permettront de corriger les éléments d’aberration qui remontent du terrain et qui ont été Nous avons le courage de porter ce projet, la constance de jusque-là négligées. le mener à son terme sans précipitation, avec énergie, dans l’ordre et avec une force tranquille qui caractérise aujourd’hui C’est le droit à la différenciation, c’est le droit à la déroga­ la détermination du Président de la République et, derrière tion qui achèvent le droit à l’expérimentation. lui, de toute la majorité. Alors, mon cher Richard, les 28 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 sénateurs de La République en marche seront avec toi les République nous a expliqué que le système de solidarité marcheurs de l’an II. (Vifs applaudissements sur de nombreux hérité du Conseil national de la Résistance coûte un bancs.) « pognon de dingue » ! M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour La réalité, c’est que la majorité au pouvoir mène la le groupe de la Gauche démocrate et républicaine de l’Assem­ politique économique et sociale rêvée par les 500 plus blée nationale. grandes fortunes de France, qui sont « dingues » d’avoir seulement multiplié par deux leur « pognon » en dix ans. M. André Chassaigne. Messieurs les présidents, monsieur le (Applaudissements sur quelques bancs.) Cette politique, aussi Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes amorale qu’inefficace, aggrave considérablement les inégalités chers collègues, le discours du Président de la République est économiques, sociales et territoriales. à l’image de sa première année d’action. Derrière les promesses d’un nouveau monde, c’est la politique du pire e Mais la réalité, c’est aussi que la résistance citoyenne s’orga­ que le chef de l’État veut imposer, le pire de la V République, nise. Des personnels hospitaliers ou enseignants en passant le pire du libéralisme. par les cheminots, les salariés de l’industrie ou de la grande M. Éric Alauzet. Carrément ! distribution, le malaise se généralise dans le monde du travail.

M. André Chassaigne. Ce n’est pas à un renouveau de la Loin de la chimère de la « start-up nation », nous, commu­ pratique des institutions que l’on assiste mais à la mise en nistes, défendons la vision renouvelée d’un État protecteur et scène de ses travers : concentration et centralisation du stratège, d’un État qui cesse de reculer sous les coups de pouvoir dans les mains du chef de l’État, dévalorisation du boutoir des politiques libérales, qui soit le garant et non le Parlement, défiance à l’égard des contre-pouvoirs – élus, fossoyeur de notre modèle de sécurité sociale – à rebours de syndicats, associations, journalistes –, isolement d’un ce que vient d’annoncer, de fait, le Président de la pouvoir présidentiel gonflé de certitudes et insensible aux République. Nous défendons un État qui assure la renais­ cris de colère poussés par le peuple. sance de notre outil industriel, au lieu de se réjouir de brader nos actifs ; qui ne fasse pas seulement semblant de vouloir Terrible constat : ce régime brutalise la démocratie ! assurer des revenus décents au monde paysan ; qui œuvre à L’objectif du lifting constitutionnel n’est pas de le démocra­ un aménagement équilibré des territoires, dans lequel les tiser. Il est au contraire d’en accentuer la dérive oligarchique. quartiers populaires, les villes moyennes, les territoires périphériques et ruraux mais aussi ultramarins ne soient La version macroniste de la Ve République s’inscrit en effet pas les oubliés de la République ; qui préserve sa capacité dans une forme de continuité aggravée. Elle place les repré­ d’agir dans les domaines régaliens, au service des citoyens. sentants du peuple dans un rôle passif de spectateurs du pouvoir. Elle en réduit le nombre pour en faire des élus La politique macroniste est une politique antisociale, hors sol, coupés des réalités du quotidien. Un modèle de violemment antisociale. Elle consiste à réduire les droits de gouvernement où le Président de la République et ses conseil­ ceux qui en ont, tout en prétendant en donner à ceux qui lers de la haute administration décident, tandis que le n’en ont pas. Ce modèle de société repose en fait sur une Gouvernement joue les porteurs d’eau et que le Parlement normalisation de la précarité : c’est une politique inefficace et exécute. Il ne s’agit pas de légiférer, mais d’exécuter au plus socialement désastreuse, en un mot, une mauvaise politique. vite la décision du manageur en chef de la start-up nation. (Applaudissements sur quelques bancs.) Cette inefficacité se vérifie également au niveau de l’action extérieure du Président de la République. La politique étran­ La manière dont le devenir de la SNCF a été traité illustre gère de la France s’articule traditionnellement autour de la technocrature mise en œuvre par le Président Macron. l’indépendance nationale et du multilatéralisme. Or cette Derrière ce déficit démocratique, une volonté : en finir ligne dite réaliste accuse une inflexion manifeste : elle est avec la fonction législative des parlementaires, un objectif : de plus en plus interventionniste et teintée d’un occidenta­ imposer davantage encore la logique hyperprésidentialiste. lisme à peine voilé. Dérive gravissime, il s’agit de saper le principe de sépara­ Certes, dans un contexte mondial propice à l’unilatéra­ tion des pouvoirs, au point que sa nature démocratique lisme, et par contraste avec les postures russes et américaines, interroge et fait grandir la défiance citoyenne. C’est le Président de la République tient un discours valorisant le pourquoi il revient au peuple souverain de trancher sur la dialogue multilatéral dans les dossiers du nucléaire iranien, réforme des institutions dans le cadre de l’organisation d’un du libre-échange transatlantique et de la lutte contre le référendum. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) réchauffement climatique. Mais ces trois dossiers illustrent À moins que l’exécutif ne refuse cette option, par peur de finalement l’échec de sa stratégie : sa proximité affichée avec voir nos concitoyens rejeter cette réforme et, dans le même le président américain ne lui permet pas, comme il le temps, la politique antisociale menée depuis un an. voudrait, de jouer le rôle de partenaire européen privilégié des États-Unis. Les discours passent, mais les images des Car au bout de cette année de pouvoir macroniste, le embrassades resteront dans les mémoires ! (Applaudissements monde du travail a déjà subi une série d’agressions de la sur quelques bancs.) part de celui qui assume son titre de « président des riches », tout en accolant le nom de réforme à des mesures Le dossier syrien illustre l’appétence de la diplomatie qui en réalité ne se justifient que par de considérations macroniste pour la pure communication et les coups idéologiques d’essence purement néolibérale. d’éclat. C’est ainsi que dans l’affaire de l’attaque chimique sur la population de la Ghouta orientale, les États-Unis, le La première salve, d’une grande brutalité, a été la remise en Royaume-Uni et la France ont joué avec la légalité et la cause des protections des salariés et l’augmentation de la sécurité internationales sans attendre les conclusions de CSG pour les retraités. Puis la première loi de finances a l’enquête internationale, dont les responsables ont depuis multiplié les cadeaux aux « premiers de cordée ». Enfin, après indiqué n’avoir pas trouvé de preuve de l’usage de gaz inner­ avoir supprimé l’impôt sur la fortune, le Président de la vants. Quelle indignation sélective ! Quelle conscience CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 29 humaniste à géométrie variable ! Le silence français à l’égard Certes, on nous dira que le Président de la République ne de l’intervention saoudienne au Yémen et du conflit israélo- fait qu’utiliser un article de la Constitution créé par Nicolas palestinien l’atteste. Sarkozy – rendons à César ce qui lui appartient –, permet­ tant cet exercice de discours présidentiel à sens unique auquel Dans le dossier palestinien, plus délicat que jamais, et trois nous venons à nouveau d’assister. Mais pourquoi cette utili­ ans exactement après la sanglante opération « Bordure sation répétée ? Y avait-il urgence à sacrifier de nouveau à un protectrice », Emmanuel Macron a affiché une relation tel rituel ? L’annonce du plan pauvreté, ou celle de la réforme personnelle privilégiée avec Benyamin Nétanyahou, son de l’hôpital, qui relèvent bien de l’urgence, ont pourtant été « cher Bibi », en visite à Paris. Cette stratégie du « bilatéra­ repoussées sans ménagement à l’automne. lisme personnalisé » n’a produit aucun résultat tangible en faveur d’une solution de paix. Au contraire, le chef du M. Pierre Dharréville. C’est une honte ! gouvernement nationaliste d’extrême-droite se trouve M. Pierre Laurent. C’est bien là qu’il aurait fallu presser le conforté par ce reniement des valeurs de la France. pas. (Applaudissements sur quelques bancs.) Quant à la gestion de la crise migratoire, le sens de l’irres­ Quelle urgence y avait-il à cette nouvelle démonstration de ponsabilité continue de primer, comme l’atteste l’épisode de communication gouvernementale ? Une seule, en vérité : le l’ Aquarius : de la condamnation politique et morale de président Emmanuel Macron est venu nous dire une l’Italie et de Malte à l’absence de volonté de porter assistance nouvelle fois qu’il entend achever la transformation de à des personnes en danger, c’est le jeu des hypocrisies qui a notre République en une monarchie présidentielle dont il prévalu. L’exécutif français s’est englué dans une série d’argu­ devrait être l’unique chef. L’amendement évoqué tout à ties juridiques qui légitiment, au bout du compte, le discours l’heure par le Président de la République n’est en aucun anxiogène sur l’accueil des réfugiés, qui sont réduits à une cas une solution : en l’absence d’une restauration du rôle menace sécuritaire et identitaire. L’Europe en général et la central du Parlement, il ne corrigera pas cette dérive, il ne France en particulier s’alignent piteusement sur l’argumen­ fera que l’accompagner. taire des partis xénophobes, dont les discours guident désor­ Nous avons entendu, aujourd’hui, beaucoup de belles mais l’action des capitales européennes. paroles, mais nous sommes bien placés, en ce qui concerne Cette défaillance collective nourrit les replis et les le respect du travail du Parlement, pour faire la part des populismes nationaux. En l’absence de réponses à la paroles et des actes. Un épisode significatif est resté gravé hauteur des enjeux politiques et moraux de cette crise migra­ dans ma mémoire – et, je crois, dans celle de tous les toire, c’est le sens du projet européen qui se couvre d’un sénateurs – : le veto gouvernemental opposé, à deux manteau noir, instillant plus que jamais le doute sur notre reprises, à la proposition de loi visant à assurer la revalorisa­ communauté de destin. Quelle Europe voulons-nous : une tion des pensions de retraite agricoles. (Vifs applaudissements forteresse repliée sur elle-même ou une Europe solidaire ? sur plusieurs bancs.) Je précise que cette proposition de loi avait été acceptée, à notre initiative, par tous les groupes Face à la politique de reniement des valeurs de la politiques du Sénat, sauf le groupe La République en République et aux dérives autoritaires et libérales de la marche ! majorité au pouvoir, nos concitoyens peuvent compter sur Mme Cécile Cukierman. Exactement ! nous, députés communistes, avec les progressistes qui sont à nos côtés, pour défendre leurs droits au nom d’un modèle de M. Pierre Laurent. Cette atteinte aux droits souverains du société digne de la devise républicaine. Parlement restera comme une tache indélébile. Un analyste de la communication du Président de la C’est cet engagement que nous avons voulu porter en République écrivait ceci le 6 mai dernier, un an après son participant à ce congrès. C’est ce même engagement que élection : « Du Louvre à Versailles, en passant par Villers- nous avons symboliquement affirmé cet après-midi, devant Cotterêts et Chambord, c’est à la profondeur du champ la salle du Jeu de Paume, pour préparer « …des jours et des monarchique que s’adosse ce jeune prince républicain. » saisons / À la mesure de nos rêves. » Ce sont les rêves du Tout est dit : on croirait entendre du Stéphane Bern dans peuple de France, de la Bastille à la Commune, du Front le texte, glorifiant la noblesse d’un autre âge ! Mais la commu­ populaire à la Résistance et à la sécurité sociale. De la Ve e nication n’y fait rien : c’est à un exercice monarchique et République à la VI République que nous voulons, les rêves autoritaire du pouvoir que l’on veut nous habituer, au du peuple de France, c’est notre combat ! (Vifs applaudisse­ service des privilégiés. ments sur quelques bancs.) Symbole contre symbole, nous en avons choisi un autre. M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le Avant de rejoindre cet hémicycle, nous avons marqué notre groupe communiste républicain citoyen et écologiste du indéfectible attachement à la République et à la souveraineté Sénat. populaire en nous rendant devant la salle du Jeu de Paume, à quelques encablures de ce château. C’est là que tout a M. , Bis repetita ! commencé, quand 300 députés du Tiers État clamèrent, le 20 juin 1789, qu’ils ne se sépareraient pas avant d’avoir M. Pierre Laurent. Monsieur le président du Congrès, élaboré une Constitution, engageant un transfert de monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier pouvoir historique et révolutionnaire du roi vers la nation ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collè­ et le peuple. C’est à ce serment que nous sommes et resterons gues, cette seconde convocation en seulement un an du fidèles. Parlement, réuni en Congrès par le nouveau président de la République, ici même, au château de Versailles, est plus À ce propos, je veux dire un mot de la révision institu­ qu’un symbole : c’est à nos yeux une alerte pour la tionnelle en cours, que le Président de la République a démocratie, après une année entière consacrée seulement totalement éludée. Ces trois textes constituent un seul au service des plus riches, une année menée à un train bloc, et visent à asseoir une concentration des pouvoirs d’enfer, très souvent sans égards ni respect pour le travail inégalée. Vous réduisez le pouvoir d’amendement du Parle­ du Parlement. ment, vous renforcez la maîtrise de l’exécutif sur son ordre du 30 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 jour ; enfourchant les arguments populistes, vous justifiez la Le rendez-vous avec les banlieues et les quartiers prioritaires réduction d’un tiers du nombre de parlementaires, et de a été lamentablement manqué au printemps. moitié du nombre de membres du Conseil économique, social et environnemental, alors que c’est l’Élysée et le M. Stéphane Peu. C’est une honte ! Gouvernement qui engorgent le Parlement par un assaut M. Pierre Laurent. Une fois encore, vous n’avez rien de textes visant à libéraliser et à marchandiser toute la entendu des premiers concernés, élus, associations et société. (Applaudissements sur quelques bancs.) habitants, qui s’étaient pourtant mobilisés avec espoir à la faveur du rapport confié à Jean-Louis Borloo. Mme Cécile Cukierman. Tout à fait ! La ruralité, elle aussi, souffre beaucoup. La promesse de M. Pierre Laurent. Avec des circonscriptions de plus de reconstruction de prix rémunérateurs pour le travail paysan 200 000 habitants, vous allez éloigner le pouvoir législatif n’est pas tenue et les inégalités territoriales se creusent, les des citoyens comme dans aucun autre pays européen. Vous territoires oubliés se multiplient dans la République. L’égalité parlez de proportionnelle : vous vous moquez du monde ! n’est plus qu’un gigantesque gruyère dont les trous se font Avec une telle réduction du nombre de parlementaires, elle toujours plus grands ! sera réduite à rien ; pire, le pluralisme de nos assemblées sera gravement atteint. Un seul exemple : plusieurs dizaines de Mme Cécile Cukierman. Exactement ! départements n’éliront plus qu’un seul sénateur. Dans ces M. Pierre Laurent. La crise du logement est gigantesque. Et départements, le pluralisme au Sénat sera purement et votre réponse, c’est la loi ELAN – Évolution du logement, de simplement interdit : vous vous en moquez, car c’est ce l’aménagement et du numérique –, une prime à la marchan­ que vous voulez. disation libérale accrue du secteur et à la privatisation de la Vous parlez de l’efficacité et de la qualité du travail légis­ ville. (« Très juste ! » et applaudissements sur plusieurs bancs.) latif, mais en vérité, la seule chose qui vous importe, c’est que Vous vous vantez de parvenir à chaque fois à faire voter vos le Parlement entérine et exécute ce que le Château a décidé. réformes malgré les oppositions qu’elles suscitent. Mais où est L’attaque que vous portez contre nos institutions et le Parle­ la gloire de cette politique au forceps, dont les bénéfices sont ment est d’autant plus grave qu’elle se conjugue à celles que inexistants pour la grande masse des Français ? vous menez contre les collectivités locales, en premier lieu les communes, et plus précisément leurs budgets. Vous Avec la réforme du ferroviaire, qu’avez-vous réglé, à part remplacez de fait le principe constitutionnel de libre adminis­ préparer le secteur à une ouverture à la concurrence qui se tration des collectivités territoriales par une mise sous tutelle paiera très cher en termes de fragilisation du réseau, de abusivement baptisée contractualisation, et par la différencia­ pénurie d’investissements et d’effectifs, et de hausse des tion, qui n’est autre que la fin de l’égalité sur le territoire. tarifs pour l’usager ? Vous allégez la dette, mais vous instaurez aussitôt une règle d’or qui bridera l’investissement public Nous exigeons donc un référendum à l’issue du débat nécessaire, notamment dans le fret, indispensable à la révolu­ parlementaire, pour que les Français puissent se prononcer tion écologique des transports. en connaissance de cause sur cette réforme. (Applaudissements sur quelques bancs.) Nous mènerons ce combat pour la Quant à l’instauration de Parcoursup, elle était indispen­ démocratie avec d’autant plus de détermination que le sable et urgente prétendument pour mettre fin à l’arbitraire. pays est en train de prendre conscience de la raison pour Or l’arbitraire est cette fois généralisé, plus précisément le tri laquelle vous lui demandez les pleins pouvoirs, et du danger social est maintenant légalisé. Alors que la France a besoin que fait courir la politique menée. d’une politique d’éducation et de formation universitaire ambitieuse, c’est le manque d’ambition qui domine tous Avec les nombreux cadeaux aux plus fortunés – depuis vos choix budgétaires en ce domaine. l’allégement considérable de l’ISF à la suppression de l’exit tax, en passant par le refus de faire sauter le verrou de Bercy Et que dire d’un autre secteur stratégique pour l’avenir que pour lutter contre l’évasion fiscale –, qui oserait encore le Président a évoqué : l’énergie ? Oui, nous avons besoin contester qu’Emmanuel Macron est le président des riches ? d’une maîtrise publique de l’énergie au service de la transition écologique, mais que dire de la privatisation scandaleuse des Mme Cécile Cukierman. Eh oui ! barrages hydrauliques, de l’abandon total de la participation publique de l’État dans Engie, du secteur livré aux appétits de M. Pierre Laurent. Le CAC 40 est en bonne santé : les Total, de la déréglementation accélérée des tarifs, du bradage profits et les dividendes atteignent des niveaux records. d’Alstom ? Mais cet argent ne ruisselle absolument pas, et pour cause : vous ne vous êtes jamais attaqués à l’essentiel du problème, à Mme Cécile Cukierman. Exactement ! savoir la manière dont est utilisé l’argent disponible – l’argent M. Pierre Laurent. Même quand le Gouvernement déclare créé dans le pays par le travail – ou les critères d’accès au une grande cause nationale – pense à la lutte contre les crédit et au financement. violences faites aux femmes –, il est capable de manquer le rendez-vous législatif, avec, à l’arrivée, une loi pas du tout à la D’un côté, des politiques fiscales et exonérations de cotisa­ hauteur, ne résolvant pas les problèmes. Et il faut, en plus, la tions généreuses pour la finance ; de l’autre, un encourage­ mobilisation et la ténacité du monde féministe et associatif ment à la compétitivité fondé sur la baisse du coût du pour repousser une définition discutable et dangereuse du travail... Quand il faut payer l’addition, cela se traduit par viol sur mineurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) une austérité drastique en matière de dépenses publiques et une explosion de la précarité et des inégalités. Les dépenses Tout au long de l’année, nous avons résisté et alerté sur les sociales utiles des collectivités locales sont partout mises en dangers de votre politique, nous avons multiplié les propo­ difficulté, les services publics sont à l’os. L’état d’urgence est sitions et les pistes de travail alternatives. Nous allons conti­ déclaré dans les hôpitaux et les établissements d’hébergement nuer. Puisque vous n’écoutez pas le pays, nous allons pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD. Tout le l’écouter pour deux et travailler toujours plus avec les système de santé publique est en crise, comme le révèle le forces vives, les forces sociales du pays. Vous ne croyez pas tour de France des hôpitaux que nous avons entrepris. au Parlement, nous si : nous allons en faire la chambre de CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 31 résonance de toutes les luttes, de toutes les aspirations au l’Europe. Pour les Français, si attachés à l’universalisme de progrès, de toutes les intelligences dont regorge notre pays. leur nation, et pour lesquels une France petite est une France Car si le pouvoir ne semble plus comprendre ce que veut dire en crise, cette image est rassurante. la devise de la République, « Liberté, Égalité, Fraternité », des millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens, eux, Au plan national, ensuite, il n’y a aucune raison de ne pas n’en ont pas perdu le sens. Nous sommes et resterons à leurs soutenir vos réformes lorsqu’elles vont dans le bon sens. Je côtés pour porter l’espoir d’une République démocratique, m’amuse souvent de voir certains de mes collègues contester d’une France meilleure juste et solidaire. (Applaudissements vos propositions avec la même conviction qu’ils mettaient à sur plusieurs bancs. – Quelques membres du Congrès se lèvent.) les soutenir lorsqu’elles émanaient de leur candidat quelques mois plus tôt. M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants - République et Terri­ M. Éric Alauzet. C’est un peu vrai ! toires du Sénat. M. Claude Malhuret. « Il faut souvent changer d’opinion M. Claude Malhuret. Monsieur le président du Congrès, pour être toujours de son parti », disait le cardinal de Retz. monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier C’était bien observé ! ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouverne­ ment, mes chers collègues, le Président de la République n’est En ce qui concerne notre groupe, nous ne voyons aucune plus parmi nous. La Constitution le lui interdit, n’en déplaise raison de ne pas soutenir les changements qui nous paraissent aux professionnels de la mauvaise foi qui voudraient qu’on opportuns, que ce soit sur l’éducation, sur le code du travail, goûte leur blague : « Le roi vient et n’écoute même pas ce que sur la formation professionnelle, sur l’apprentissage, sur le nous avons à lui dire. » La solution à cette imperfection de la pacte ferroviaire que nous venons de voter. Celui-là fut une révision constitutionnelle de 2008 vient de nous être défaite cuisante pour ceux qui n’ont pas hésité à mettre en proposée par le Président lui-même, et je ne doute pas, place la pire forme de grève pour pourrir au maximum la vie monsieur le Premier ministre, à entendre les applaudisse­ des Français, la grève à répétition, justifiée par un pseudo- ments qu’il a recueillis, que cet amendement trouvera sans vote recueilli dans des urnes en carton trimbalées d’un dépôt difficulté une majorité des trois cinquièmes au Congrès. Je à l’autre, des feuilles volantes en guise de listes d’émargement vais donc anticiper cette échéance et m’adresser à vous- et, à l’arrivée, un score digne de l’élection de Brejnev au même, bien sûr, mais aussi au Président comme s’il était Politburo. (Exclamations sur quelques bancs.) Comme disait encore là. Je commencerai, c’est la moindre des politesses, Staline, « ce qui compte ce n’est pas le vote, c’est la façon par les compliments. dont on compte les votes ». Il fallait leur résister. Vous l’avez fait et le Parlement avec vous. Voilà pour les compliments. Monsieur le Président, nous vous devons tout d’abord d’avoir sorti le paysage politique d’une torpeur un peu déses­ Après le miel, permettez-moi un peu de sel. Notre groupe pérante qui, il y a deux ans, faisait des Français, à la grande s’appelle Les Indépendants. Nous ne sommes ni macronolâ­ surprise de tous ceux qui les envient, le peuple le plus tres ni antimacroniens primaires, ce qui, à mon avis, nous déprimé du monde. Leur moral s’est amélioré devant un place parmi les plus objectifs des groupes qui s’expriment chambardement comme ils les adorent : un parti qui n’exis­ aujourd’hui. (Mouvements divers.) Je souhaite donc que vous tait pas il y a deux ans désormais tout puissant à l’Assemblée ; considériez les remarques qui suivent comme constructives et les deux grandes forces d’alternance traditionnelles non pas comme corrosives. Certaines portent sur les périls, moribonde pour l’une, écartelée pour l’autre. Il est vrai sur les désappointements – provisoires, je l’espère pour vous que surnagent encore, surfant sur les protestations, les vrais et pour les Français –, d’autres concernent les défis. populistes avec, d’un côté, un castro-chavisme d’opérette à l’idéologie archi-décédée, qui n’a pas daigné être des nôtres Les périls, vous les connaissez, bien entendu. Pour aujourd’hui, ce qui donne une idée de son respect envers un commencer par les périls extérieurs, le terrorisme, auparavant Parlement qu’il dissoudrait immédiatement s’il devait un éloigné et exogène, est désormais domestique. Que faire des jour arriver au pouvoir (Applaudissements sur quelques djihadistes de retour sur notre sol ? Comment combattre la bancs), et, de l’autre, une extrême droite passée en radicalisation ? Combien de temps notre armée parviendra-t- quelques années du népotisme aux Atrides, dont le elle à être engagée simultanément sur plusieurs fronts étran­ programme repose sur la farce des deux euros à usage gers et sur le territoire national ? interne et externe, et qui admire à l’étranger – un comble pour ce parti dont le bréviaire a toujours été la dénonciation Les migrations, ensuite. Si les flux ont diminué cette année, de la ploutocratie et du communisme ! – un ploutocrate seuls les esprits égarés ne voient pas que la tendance à long américain et un ancien colonel du KGB. Monsieur le Prési­ terme est une croissance inexorable, et une triple crise, dent, pour paraphraser Bernard Blier, vous avez éparpillé le politique, de conscience et d’identité, s’est ouverte en paysage politique façon puzzle. Bravo l’artiste, mais méfiez- Europe. vous tout de même, le mélange est instable ! (Sourires.) La remise en cause du lien transatlantique par la guerre Il faut vous complimenter aussi, monsieur le Président, commerciale d’un populiste imprévisible et sans mémoire, pour une partie substantielle de votre action depuis un an qui cultive le doute sur son attachement à l’OTAN et traite et pour celle que mène avec sérieux et sans esbroufe votre les Européens comme des adversaires, est un autre péril. Les Premier ministre, Édouard Philippe. Européens sont en train de s’apercevoir qu’ils sont seuls. Espérons que ce constat sera un aiguillon. Au plan international, tout d’abord, personne ne peut nier que la France a retrouvé une place, un rôle et une influence L’essor des émergents est une des meilleures nouvelles qu’elle avait largement perdus. En premier lieu, parce que qu’ait connue l’humanité puisqu’il a permis la sortie de la vous avez battu les populistes en France au moment où ils misère de milliards d’hommes et de femmes, cela, grâce au s’imposent partout. En second lieu, parce que, dans un libéralisme économique inventé par nos démocraties il y a monde tenté par le protectionnisme, l’isolationnisme, les quelques siècles, contrairement aux imprécations des menaces et les postures, vous donnez l’image d’une France vendeurs de lendemains qui chantent. Paradoxalement, attachée au dialogue, à la paix, au multilatéralisme et à c’est à l’heure où ce libéralisme économique triomphe que 32 CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 les dictatures et les démocraties illibérales et sécuritaires timidité au premier gouvernement depuis des années, qui a connaissent un regain d’attrait, et ce n’est pas une bonne eu le courage de s’attaquer à plusieurs vaches sacrées de nouvelle. l’immobilisme français. L’on peut lui pardonner d’avoir dû faire quelques génuflexions bien-pensantes devant des adver­ Le dérèglement climatique en est peut-être une pire encore saires souvent menaçants. avec ses conséquences en termes de santé, de coûts, de risques géopolitiques, et surtout en raison des effarantes difficultés de Ma seconde critique n’est pas un reproche, plutôt une la nécessaire transition énergétique. attente. Nous sommes nombreux à la partager et je sais qu’elle vous hante. Il s’agit de la baisse des dépenses publi­ Ces périls, vous les connaissez, je l’ai dit. Il n’y a pas un ques, dans un pays dopé à la dépense publique. C’est la déplacement à l’étranger au cours duquel vous ne les ayez condition de votre crédibilité sur la scène européenne et évoqués, tenté d’en résoudre certains. Mais chaque jour, la internationale, la condition de votre réussite dans notre tâche paraît plus immense, la France plus petite face au reste pays. Vous devrez faire des choix cornéliens, prendre des du monde, et l’Europe un peu plus le cadre pour y faire face. risques majeurs, et toutes les oppositions se conjugueront Malheureusement, si l’Europe est la solution, elle est en contre vous. In fine, la clef de la réussite, le juge de paix même temps le problème, et le dernier péril est que la de votre quinquennat sera votre capacité à rassembler une crise qu’elle traverse actuellement, à la différence de toutes France qui oscille entre la tentation atavique de la division et les précédentes qui ont été surmontées, risque d’emporter l’aspiration historique à l’unité, une France capable de relever l’édifice. le défi de l’Europe pour relever ceux du monde ! (Applaudis­ sements sur de nombreux bancs.) Les déconvenues, aucun gouvernement n’y échappe ; les états de grâce, comme la jeunesse et les roses, ne durent M. Emmanuel Capus. Brillant ! jamais, vous avez dû vous en apercevoir. Lorsque vous avez été élu, on a comparé votre situation à celle du général de M. le président. La parole est à M. Olivier Falorni, député Gaulle en 1958, ayant asséché le paysage politique au profit non inscrit à l’Assemblée nationale. de son Rassemblement. Mais il y a une grande différence. M. Olivier Falorni. Monsieur le président du Congrès, Malraux disait : « Le parti gaulliste c’est le métro à six heures monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier du soir ». En marche n’est pas le métro à six heures du soir. ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouverne­ Ceux qui vous ont élu et ceux qui vous soutiennent ment, mes chers collègues, dans un soliloque tout en majesté, aujourd’hui sont les Français des métropoles plus que ceux ici, au château de Versailles, le chef de l’État est venu nous des territoires oubliés, ceux qui se sentent à l’aise dans la parler sans nous écouter. L’année prochaine, ce sera différent. mondialisation plus que les perdants, ceux pour qui l’ascen­ Tant mieux ! seur social continue de fonctionner plus que les travailleurs pauvres ou les chômeurs. Vous devez trouver cela injuste, Dans cet exercice un rien monarchique et suranné, j’userai monsieur le Président, car vous êtes persuadé de travailler donc, comme l’on disait sous l’Ancien régime, de mon droit pour tous et de changer les méthodes, non parce que vous de remontrance. Ne disposant que d’un temps de parole de êtes antisocial, mais parce que notre modèle social est en cinq minutes, je ne le ferai que sur un sujet sur lequel, panne. visiblement, le Président abuse, là encore, du principe énoncé par le cardinal de Retz : « On ne sort de l’ambiguïté Vous trouvez sans doute également injuste le désamour qu’à son détriment. » d’une partie des élus locaux. La Conférence nationale des territoires s’ouvre dans deux jours en l’absence de leurs trois Cette ambiguïté – son ambiguïté – porte sur la laïcité. grandes associations. Vous avez beaucoup de raisons de Depuis un an, Emmanuel Macron parle beaucoup de trouver cela étonnant, vous dont le gouvernement a, pour religion, mais peu de laïcité… la première fois depuis des années, amorti la baisse des Plusieurs sénateurs. Si, il en a parlé ! dotations. Mais c’est ainsi, même si une grande part de la responsabilité en revient à une technocratie qui a planté les M. Olivier Falorni. …et quand il en parle, c’est toujours ministres en charge de vendre cette politique – tous les élus devant les cultes. Le Président aurait pu exprimer clairement locaux me comprendront. Permettez au maire que j’ai été aujourd’hui, devant tous les parlementaires réunis, sa concep­ pendant vingt-huit ans de vous citer à nouveau le cardinal de tion de la laïcité. Hélas ! il ne l’a pas fait ou si peu. Retz : « L’esprit dans les grandes affaires n’est rien sans le Il y a quelques mois, à l’Élysée, Emmanuel Macron avait cœur. » Les élus de nos territoires sont prêts à accepter récité un conte pour enfants, Pierre et le loup. Aujourd’hui, beaucoup, ils l’ont fait dans le passé, mais ils aimeraient, ici, à Versailles, il nous en a récité un autre : Emmanuel et le pardonnez ces mots qui peuvent paraître ici incongrus, des flou. Le flou sur la laïcité. Pratiquer l’ambiguïté à l’égard de la preuves d’amour, ou tout au moins d’affection, dont ils ont laïcité, l’adjectiver en permanence, c’est la fragiliser, donc l’impression qu’elles tardent à venir. l’abîmer. Lorsque l’on parle, comme il l’a fait, de liens Enfin, il y a les défis. Tout est défi pour un Président de la abîmés entre l’Église et l’État, c’est la loi de 1905 que l’on République, comme tous les périls et toutes les déconvenues abîme, car l’on n’abîme que ce qui existe. que j’ai évoqués. Mais le principal est le défi de l’action, et Depuis la loi de séparation laïque du 9 décembre 1905, le celui-ci, vous l’avez parfaitement identifié. Alors que les concordat napoléonien qui liait l’État et l’Église n’existe plus, parlementaires commencent à se plaindre des lois qui se sauf en Alsace-Moselle. Le Président d’une République laïque succèdent en rafale, qu’ils sont, paraît-il, au bord du burn se doit de traiter de façon égale les convictions de chacun, pas out, vous avez confié à The Economist vous reprocher, au de restaurer l’alliance du trône et de l’autel propre à l’Ancien contraire, de n’avoir pas fait des choses suffisamment tôt. régime. (Mme Jeanine Dubié et Mme Sylvia Pinel applaudis­ C’est une grande lucidité. sent.) Si je peux me permettre deux critiques, la première est que En affirmant, comme il l’a fait, que l’État est laïc, mais que beaucoup de vos réformes vont dans le bon sens, mais la société ne l’est pas, il s’est livré à une distinction inexacte, qu’elles ne font parfois qu’effleurer les sujets. Mais cette car il a confondu laïc et athée. Or la société est le lieu de la critique est modérée : j’aurais mauvaise grâce à reprocher sa pluralité des convictions spirituelles qui rassemble athées, CONGRÈS DU PARLEMENT – SÉANCE DU 9 JUILLET 2018 33 agnostiques et croyants. Pour que la société les fasse vivre La laïcité, ce n’est pas l’athéisme contre les religions, ni ensemble paisiblement, il faut qu’elle réponde aux exigences l’inverse. C’est, au contraire, la condition même de la de la laïcité qui unit tout le peuple. concorde républicaine autour des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Je ne cesserai de dire que la laïcité Cette unité indivisible doit, plus que jamais, se fonder sur n’est pas un glaive mais autant un bouclier qu’un principe trois principes : la liberté de conscience et non pas la simple émancipateur qui permet à tous, croyants et non croyants, de tolérance, l’égalité des droits sans distinction ni hiérarchie des vivre en paix dans le respect de l’autre. convictions spirituelles, et l’intérêt général, c’est-à-dire une puissance publique consacrée au seul bien commun. La laïcité n’est ni un dogme, ni une idéologie, ni une opinion. C’est un cadre philosophique, politique et juridique Affirmer, comme il l’a fait que la « […] la laïcité n’a qui rend possible l’exercice de l’ensemble des libertés dont certainement pas pour fonction de nier le spirituel au nom nous jouissons. Tel est le sens de la loi de 1905 portée par du temporel, ni de déraciner de nos sociétés la part sacrée qui Aristide Briand qu’avec mes amis radicaux, je souhaite voir nourrit tant de nos concitoyens », revient à imputer à la constitutionnalisée à l’occasion de la réforme à venir, afin de laïcité une position qui n’a jamais été la sienne. L’émanci­ protéger la laïcité, talisman de notre République. pation laïque ne veut pas nier la vie spirituelle. Au contraire, elle rend possible sa libération et son pluralisme en l’affran­ Je conclus en pensant à cette terrible phrase prononcée par chissant de toute censure théologique ou politique. Charb, le directeur de Charlie Hebdo, abattu par l’obscuran­ tisme barbare pour avoir défendu la liberté d’expression : Si la laïcité ne récuse pas du tout la spiritualité religieuse, « J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïcs qui elle entend que soient également respectées les convictions se taisent ». Non, nous ne tairons pas, monsieur. (Applau­ spirituelles des athées et des agnostiques, ainsi que toutes les dissements sur plusieurs bancs.) formes culturelles qui expriment l’esprit humain. Les humanismes sans dieu de Diderot, de Condorcet ou de Camus, par exemple, n’ont pas à être passés sous silence. 4 Libre au Président de la République, dans sa sphère privée, de pratiquer une religion, mais, dans l’exercice de ses fonctions, il ne peut pas, devise républicaine oblige, déroger à la neutra­ CLÔTURE DE LA SESSION DU CONGRÈS lité qui est la condition de l’égal respect de toutes et de tous. (Mme Jeanine Dubié, Mme Sylvia Pinel et M. José Évrard M. le président. La séance est levée. applaudissent.) (La séance est levée à dix-neuf heures cinq) La France a un ardent besoin de faire République et de rassembler toutes les femmes et tous les hommes, qu’impor­ tent leurs origines, couleur de peau, philosophie, religion, Direction du service du compte rendu de la sexe ou opinions, dans une citoyenneté universaliste et frater­ séance de l’Assemblée nationale nelle. Oui, la laïcité est la solution dans cette société française ANNE-LISE STACHURSKI-LEROY déchirée par la montée des intolérances, des revendications communautaristes, de la xénophobie identitaire, des menaces pesant sur l’égalité entre les hommes et les femmes.