Les Nouveaux Contours Du Champ Intellectuel Musulman En France
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Franck Frégosi* Les nouveaux contours du champ intellectuel musulman en France Abstract. The nnewew outlinoutlineses of the MuMuslimslim intintellectualellectua��� fieldield Islam in France hides a heterogeneous human reality which is quite removed from the stereoty- pes and clichés that generally abound about it. This is also true of the French Muslim intellectual landscape, a competitive space, in which diverse actors hold distinct and often opposing visions and representations of Islam, confront each other and strive nevertheless to present their Islam as the socially legitimized version that is compatible with the surrounding society. This article attempts to delimit the boundaries of the Muslim intellectual field by studying its dynamics and by proposing a typology of French Muslim intellectuals. Résumé. L’islam en France recouvre une réalité humaine hétérogène assez éloignée des stéréo- types et des clichés réducteurs qui généralement foisonnent à son encontre. Il en va notamment ainsi de son paysage intellectuel qui nous apparaît comme un espace nettement concurrentiel dans lequel s’affrontent divers opérateurs porteurs de visions et de représentations de l’islam distinctes et souvent opposées, qu’ils s’efforcent néanmoins de présenter comme la version socia- lement légitime de l’islam compatible avec la société environnante. Cet article tente de délimiter les contours de ce champ intellectuel musulman à partir de l’étude des diverses dynamiques qui le traversent et en proposant une typologie des acteurs qui s’y manifestent. * CNRS-PRISME, Université Robert Schuman, Strasbourg REMMM 123, 93-115 94 / Franck Frégosi Le champ intellectuel musulman en France est un espace concurrentiel dans lequel s’affrontent diverses visions et représentations de l’islam que leurs promoteurs respectifs s’efforcent de présenter comme la version socialement légitime de l’islam contre les autres versions assimilées à des formes sinon déviantes en tout cas contestables. Dans un contexte dominé par une logique de suspicion à l’encontre de la réalité islamique largement accentuée par le 11 septembre 2001 et par le débat sur l’interdiction du voile dans les établissements scolaires publics, ce champ tend aujourd’hui à focaliser sur lui une attention médiatique soutenue. Ses différents acteurs sont hiérarchisés ad extra suivant qu’ils promeuvent une version de l’islam réputée compatible avec l’idéal républicain. Cela transparaît notamment dans la quête d’un islam dit réformé ou moderne qui aurait accompli son propre aggiornamento dans le double sens d’une relecture contextualisée de ses sources scripturaires (Coran, Sunna) et du renoncement assumé à certaines expressions publiques de l’appartenance islamique (référence même minimaliste à la législation islamique, éthique vestimentaire…). Ces opérateurs se distinguent aussi ad intra, par le degré d’intensité de leur positionnement personnel par rapport à l’islam conçu comme une réalité religieuse ou une réminiscence culturelle, une dimension confessionnelle communautaire ou simplement une dimension individuelle. Le champ intellectuel musulman en France au travers de la diversité de ses producteurs de discours nous révèle combien l’islamité se décline sur le mode de la pluralité épousant toutes les variations possibles sur l’échiquier des postures intellectuelles vis à vis de l’islam. Dans cette monographie notre objectif est double ; il s’agit dans un premier temps de préciser les contours de cet espace à partir des diverses dynamiques qui le traversent, et ensuite d’établir une typologie des différents opérateurs musulmans contemporains porteurs de discours sur l’islam. Densité et contrastes du paysage intellectuel musulman en France Si l’on a parfois tendance à pointer dans le paysage intellectuel musulman français le rôle hégémonique qu’exercent certaines figures emblématiques comme Tariq Ramadan, Mohamed Arkoun ou Malek Chebel, il serait cependant réducteur de le limiter à ce type d’opérateur. Font également partie de cet espace tous ceux qui, forts d’une islamité plus ou moins revendiquée, qu’elle soit affective, élective, culturelle, confessante, organique ou plus ténue et, indépendamment de leurs statuts sociaux respectifs (militants associatifs, religieux, universitaires, intellectuels séculiers, militants politiques…), véhiculent par leurs prises de position médiatiques, leurs écrits et leurs interventions des représentations de l’islam contrastées et concurrentes. Tous participent au débat sur la place et le statut social de l’islam dans la société française. Les nouveaux contours du champ intellectuel musulman en France / 95 Quelques grandes figures Le paysage intellectuel musulman en France est riche de figures intellectuelles musulmanes, qui, aujourd’hui comme hier, ont témoigné de l’acclimatation paisible de la réalité islamique à l’environnement français et qui ont fait œuvre de pionniers dans le domaine de la réflexion sur l’islam, à une époque où la présence sociale de l’islam en France ne mobilisait guère les esprits. Certaines de ces figures intellectuelles musulmanes continuent toujours d’influer, après leur disparition, sur le regard que l’on peut porter sur cette religion désormais enracinée en France. Ainsi en va-t-il d’une figure comme René Guénon (1886-1951). Abdelwahid Yahyia, de son nom musulman, a intellectuellement marqué nombre d’européens qui vont trouver dans l’adhésion à l’islam soufi le terme de leur quête spirituelle. Guénon a laissé une empreinte durable sur des générations d’écrivains et de spécialistes contemporains du soufisme (Michel Chodkiewicz, Charles André Gillis, Maurice Gloton, Denis Gril…). On peut évoquer également à un autre niveau la figure emblématique de Mohamed Hamiddullah (1908-2002), jurisconsulte d’origine indo-pakistanaise, élève de Louis Massignon, traducteur du Coran et spécialiste de la diplomatie musulmane à l’époque du Prophète et des quatre califes dits Bien Guidés (rashidun). Ses cours et ses écrits alimentèrent les réflexions de générations de musulmans de France. Il fut l’un des rares à suggérer que les musulmans vivant en France militent pour obtenir un statut équivalent à celui de dhimmi (protégés) jadis appliqué aux Gens du Livre par le droit islamique classique (Berque, 2003). On doit aussi évoquer d’autres figures marquantes comme Njam Oud Dîn Bammate (1922-1985) diplomate d’origine afghane, érudit, féru d’arts et homme de médias qui fut l’un des brillants animateurs de l’émission islamique dominicale créée en janvier 1983, Connaître l’islam (Bammate, 2000). Il y eut aussi Eva de Vitray Meyerovitch décédée en 2003, à qui l’on doit notamment le grand œuvre de la traduction du Mathnawi de Jalal al-dîn Rumi ou encore Si Hamza Boubakeur (1912-1995), enseignant, député et ancien recteur de l’Institut musulman de la mosquée de Paris de 1957 à 1982, qui réalisa outre une traduction commentée du Coran un traité moderne de théologie musulmane. Dans cet inventaire qui ne prétend nullement à l’exhaustivité il faut aussi évoquer quelques figures plus atypiques comme celle de Vincent Mansûr Monteil qui toute sa vie a su conjuguer la figure du résistant gaulliste, celle de l’érudit orientaliste et du musulman engagé dans la cause palestinienne, ou encore celle plus controversée, de Roger Raja’ Garaudy, ancien responsable dans les années soixante au sein du Parti communiste français des relations avec les chrétiens, né protestant, converti au catholicisme puis à l’islam en 1983. Une place particulière revient enfin aux universitaires de renom comme Ali Merad, spécialiste du réformisme algérien, Mohamed Arkoun, sommité internationale de l’islamologie critique, ainsi que Jamal Eddin Bencheikh spécialiste de la poésie arabe classique, qui revendiquait clairement son statut REMMM 123, 93-115 96 / Franck Frégosi d’athée dont l’horizon culturel a néanmoins été marqué par l’héritage arabo- musulman et tous les autres érudits comme Abdel Majid Turki, spécialiste du fiqh (Turki, 1963), ou encore Azzedine Guellouz (Guellouz, 1996). À ces figures érudites se sont par la suite agrégées bien d’autres voix, celles des nombreux étudiants d’origine maghrébine venus parfaire leur formation en France, celles d’intellectuels, d’universitaires et des convertis (Sadek Sellam, Larbi Kechat, Leïla Babès, Galeb et Soheib Bencheikh, Karim Abdelkrim, Yamin Makri, Hassan Iquioussen, Fouad Immaraine, Tareq Oubrou, Abdelhaq Guiderdoni, Dounia Bouzar, Abdelwahab Meddeb, Malek Chebel, Rochdy Allili …) et tous les autres acteurs indirects de l’islam qui composent l’élite dite « beur » (Bernard, 2004). Leurs réflexions, leurs commentaires, couvrent à la fois tous les champs disciplinaires, toutes les postures intellectuelles et militantes par rapport à l’islam des plus religio-centriques aux plus distanciées, en passant par toutes les nuances du scepticisme. Leur audience ne se limite pas aux seuls musulmans. À côté de fidèles pratiquants, d’une élite émancipée et de jeunes en manque de repères, ces opérateurs de l’islam interpellent les pouvoirs publics, et un large public non musulman que l’islam intéresse ou inquiète. Dynamiques transversales à l’œuvre au sein du champ musulman contemporain français Le champ intellectuel musulman français est de nos jours traversé par cinq dynamiques majeures Si la pluralité reste toujours de mise, on observe cependant une mutation notable dans la composition interne de ce champ au profit d’acteurs au profil nettement plus religieux. La précellence dans le paysage intellectuel musulman de France, à côté des figures classiques d’érudits