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24 images

Corps et âmes Bird de Philippe Elhem

Montréal cinéma Numéro 39-40, automne 1988

URI : https://id.erudit.org/iderudit/22210ac

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Éditeur(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (imprimé) 1923-5097 (numérique)

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Citer ce compte rendu Elhem, P. (1988). Compte rendu de [Corps et âmes / Bird de Clint Eastwood]. 24 images, (39-40), 16–17.

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par Philippe Elhem

ls parleront tous de toi après ta mort, Bird. Ils t'écraseront I d'abord et ils parleront plus de toi que de ton vivant». Cette leçon d'His­ toire que donne sur une plage califor­ nienne un soir de fraternité retrouvée Charlie «Bird» Parker () à Charlie Parker, vient conclure une scène qui, de prime abord, semblait comme un moment d'accalmie CORPS ET AMES au milieu d'une tempête. Scène trom­ peuse pourtant car la vérité dernière qui trame même de sa construction formelle. Une musique qui saute d'une série d'ac­ s'y énonce, boucle sur lui-même le destin Avec l'aide appréciable du scénariste cords à une autre, en de prodigieux chan­ de Bird. Un peu avant, Parker avait posé à Joel Olianski, loin de la linéarité de ses gements harmoniques, qu'il était le pre­ Dizzy la question du «secret», sans plus de films précédents, l'auteur de Honkytonk mier et le seul à pouvoir inventer dans précision. De quel secret pouvait-il bien Man mélange avec un savoir-faire absolu­ l'instant, comme une négation de la forme s'agir? De celui de la musique merveil­ ment confondant, autour des derniers humaine qui la produisait. leuse qu'ils venaient d'inventer quelques mois de la vie de Parker, quelques C'est de ce corps «tyrannique», fabuleu­ années plus tôt? De la vie? Ou bien du moments clés de ce que fut sa fulgurante sement «incarné» (il n'y a pas d'autre mot succès et de sa bonne gestion commercia­ trajectoire. Jeux sans précédent de possible ici) par Forest Whitaker, de ses le? flashes-back incluant eux-mêmes d'autres appétits insatiables (de drogue et d'alcool, En choisissant, pris un peu de court, d'y flashes-back, dans un continuel aller- mais aussi de nourriture et de sexe, le répondre en ce sens, le plus grand trom­ retour, qui ne se soucie ni de pédagogie cinéaste passant sans s'appesantir sur ces pettiste de l'Histoire du Bop ne fait que (molle), ni de pathos mélodramatique, deux derniers), que part Eastwood, plus définir les règles de sa propre survie: «ne façon Round Midnight, Bird, dans le ethnologue que biographe, pour tenter de pas leur donner l'occasion de te détruire». dépouillement de sa complexité même, cerner l'indicible où, au génie, au magné­ Dès lors tout est dit. ne nous en offre pas moins un intense tisme, à la puissance, répondent la fragilité Par la seule grâce d'une scène qui se moment d'émotion, à la fois pudique et psychologique, le dénuement affectif, la révèle bouleversante dans sa simplicité poignant parce que juste reflet, exact maladie qui mèneront Charlie Parker à dramatique et expressive, la tragédie du portrait, comme saisi de l'intérieur, de ce cette déchéance déchirante, que fut la fin musicien nous est donnée pour ce qu'elle que nous savons avoir été la dramatique de sa vie. est: un ensemble indivisible d'auto-des­ trajectoire de Charlie Parker. Mais comment vraiment décrire la truction, d'inadaptation formelle, guetté Eastwood, derrière un art, une époque, beauté bouleversante de ce film unique, par le racisme (Charlie Parker est noir, ce des lieux (les clubs de , la 52e rue) baigné d'une lumière crépusculaire, que SAIT Gillespie), en butte à la pression met pour l'essentiel en scène la relation pénombre anticathodique nous renvoyant économique et sociale de tous ceux qui amoureuse d'un homme et d'une femme, à la fois à une bonne partie de l'œuvre en furent volontairement ou non les relation presqu'à bout de souffle, traduite d'Eastwood lui-même (Pale Rider, Play agents quotidiens: des flics des stupé­ par un resserrement du cadre autour de Misty for Me), au film noir des années fiants, menace perpétuelle, insupportable ces deux corps disproportionnés. Corps quarante/cinquante-les années du Be- épée de Damoclès, aux représentants du incontrôlable et agité, en perpétuelle Bop justement-, à la vie nocturne qui est «show-business», pris, amis comme enne­ mutation de Bird. Corps gracile, souple et celle du jazz et de ses officiants, envelop­ mis, à tous les échelons de sa hiérarchie, calme de Chan, mais aussi corps secs, pant d'un voile noir la tragédie de ses pour n'en citer que les plus évidents. minces, des partenaires de Parker que personnages? Comment exprimer la jus­ L'incapacité profonde de Bird à n'être choisit de nous montrer le cinéaste; ceux tesse d'une approche qui va jusqu'à pré­ autre chose que ce qu'il était (l'un des de Dizzy Gillespie et de . server la musique originelle de Parker, plus grands musiciens de ce siècle), l'im­ La musique de Bird est le contraste saisis­ isolant ses solos (dont une bonne partie prévisibilité du personnage et l'impossibi­ sant à cette masse impressionnante. Au d'inédits) pour mieux les réorchestrer? lité d'en saisir, en raccourci, la multipli­ corps lourd, tellurique de l'altiste répond D'une fidélité scrupuleuse à l'esprit cité des facettes, est ce qui nuance le chef- un art musical vertigineux, aérien, plein sinon à la lettre de la vie du musicien, le d'œuvre de Clint Eastwood, lui fournit la de «bruit et de fureur», de douceur aussi. cinéaste ne se laisse pourtant jamais 16 CANNES ENTRETIEN AVEC CHAN PARKER Propos recueillis par Stephan Streker

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emprisonner par ses choix, préférant, en «Il lui arrivait de prendre mon bras comme un » héritier d'une certaine conception du cinéma américain, filmer la «légende» lorsque celle-ci lui paraît plus signifiante han Parker, la femme de Bird, est venue à Cannes soutenir de sa que la réalité* ' \ ou glisser deux doigts de symbolique - ainsi le vol de la cymbale présence le superbe film de Clint Eastwood. Très émue, digne, fondatrice ou le personnage imaginaire de Buster Franklin, révélateur par trois fois, C emplie d'une fabuleuse noblesse, elle s'est exprimée dans un de contextes moraux et musiciens bien français remarquable. Le lendemain de la projection du film, elle a fait revivre différents dans la carrière de Bird-dis­ crète façon d'affirmer un point de vue Bird (elle ne l'a jamais appelé qu'ainsi durant un entretien émouvant qu'elle esthétique et éthique d'une cohérence sans faille. a conclu par la seule phrase anglaise qu'elle ait utilisée pour l'occasion: «Take «Il n'y a pas de deuxième acte dans une Care». vie d'Américain», nous dit Scott Fitzgerald. Pas d'étapes pour Parker qui n'eut de cesse de brûler sa vie par les deux bouts. — Chan Parker: Hier soir, lorsque mes mémoires publiées quelques Mort, alors qu'il n'avait pas trente-cinq j'ai découvert le film, j'étais boulever­ années auparavant. Pour être honnê­ ans dans la peau d'un homme d'une sée. Je suis encore un peu sous le te, le choix de ne me soixantaine d'années, Bird et sa musique choc. Je savais en arrivant ici que tout plaisait pas trop. Je suis très contente n'ont pas fini de nous hanter un peu plus dans l'attitude de Clint Eastwood me que Forest Whitaker l'ait finalement encore, le film de Clint Eastwood, sublime laissait penser qu'il avait compris ce interprété. Vraiment, j'en suis encore et fondamental, aidant. qu'avait pu être la vie de mon mari fort émue. Ce qu'il réalise à l'écran «On se souvient toujours des martyrs, mais, malgré tout, j'étais curieuse­ est extraordinaire. aussi jamais des réformateurs» soulignera enco­ ment crispée juste avant la projec­ est surprenante. Ma fille était assise à re, lors de cette fameuse conversation, tion. Maintenant, je peux dire que je côté de moi hier soir et elle m'a dit: lucide et fatidique, Gillespie. Mon vieux suis très heureuse du film. C'est un «Maman, j'ai presque cru que c'était Dizzy, tu avais presque tout compris. • magnifique cadeau. toi sur l'écran».

(I) Le concert «atvc cordes- donné à Paris et qui — 24 images: Quand avez-vous été — 24 images: Quels ont été vos rap­ n a jamais eu lieu. C'est à Roubaix, et dans un cinéma, qu'il se serait déroulé. Ceci restant d'ail­ contactée la première fois à propos ports avec Clint Eastwood? leurs à lérifier. d'un long métrage sur la vie de votre — Chan Parker: Il est venu me voir mari? chez moi en banlieue parisienne. Il — Chan Parker: C'est Joel Oliansky, est resté deux jours. Il a enregistré de BIRD le scénariste, qui a pris contact avec nombreux inédits que j'avais en ma États-Unis 1988. Ré.: Clint Eastwood. Scé.: Joel moi il y a de cela quatre ou cinq ans, possession. Je suis sûre qu'avant de Olianski. Ph. : Jack N. Green. Mont. : Joel Cox. Mus. : Lenny Niehaus. Int. : Forest Whitaker, Diane Venora, au moment où Richard Pryor avait venir chez moi, il avait déjà le film Michael Zelniker, Samuel E. Wright, Keith David, déjà été prévu pour le rôle principal. dans sa tête. C'était très curieux, sans Michael McGuire. 163 min. Couleur. Le scénario a été écrit sur la base de que l'on en parle présisément, je r