Eix Dix Ans Apres
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Responsable administratif : CRIA, Université des Sciences Humaines, 22 rue Descartes, 67084 STRASBOURG Cedex Responsable scientifique : Colette MECHIN Ethnologue, chargée de recherche CNRS EIX DIX ANS APRES Sylvie MAURER, Colette MECHIN ECRITURES ORDINAIRES MISSION DU PATRIMOINE ETHNOLOGIQUE DE LA FRANCE MINISTERE DE LA CULTURE Strasbourg - Février 1996 1 SOMMAIRE INTRODUCTION 2 ECRITS ANTERIEURS (Colette MECHIN) 4 Désir d'écriture 4 Des écrits sur commande 8 Le jeu du je 11 UN LIVRE POUR EXISTER (Colette MECHIN) 20 Genèse 20 Des thèmes incontournables 21 Les mots pour le dire 27 Des photos jubilatoires 30 Entre les lignes 35 Un livre par qui le scandale arrive 39 1982-1993 (Sylvie MAURER) 41 Retour au terrain 41 Du bon usage du livre 44 Le livre et son environnement 46 Des papiers et des écritures 48 Un usage inépuisable 53 Un livre qui circule 56 QUETE D'IDENTITE (Sylvie MAURER) 59 Une affaire de famille 59 Des généalogistes et des généalogies 64 Du sous bois à l'arbre 67 Tous cousins 71 Des écritures généalogiques 73 CONCLUSION 75 BIBLIOGRAPHIE 77 ANNEXES 7 8 2 INTRODUCTION Face à ce qu'il est devenu banal d'appeler l'accélération de l'histoire, les hommes de notre temps appréhendent de perdre le contact avec leurs origines, de devenir des orphelins du passé. Mais ce qui attire dans ce passé, c'est autant la familiarité mélancolique d'un monde connu, mais qu'on est en train de perdre, que l'exotisme, l'étrangeté d'un univers qui s'éloigne très vite et nous offre une enfance de primitifs. Le Goff (1977:45) Cette étude a pour cadre un très petit village lorrain, ni plus ni moins exceptionnel que des milliers d'autres villages, situés en Lorraine ou ailleurs. Mais il présente l'intérêt de s'être investi, il y a bientôt quinze ans, dans la reconstitution de sa mémoire en m'invitant, jeune ethnologue, à mettre en forme écrite tous les souvenirs qu'il entendait sauver de l'oubli. En revenant, des années plus tard, sur les lieux de cette expérience singulière, nous avons souhaité, outre reconstituer le processus d'écriture qui permit la publication en souscription d'une brochure de 88 pages (cf. annexe), mais réfléchir sur le rôle que tient ce texte commandité dans la communauté actuelle. La découverte d'une passion génalogique chez nombre d'habitants de cette commune est sans doute la piste la plus féconde que révèle notre enquête sur les prolongements inattendus qu'a générés cet écrit. Pour situer à la fois le lieu de notre enquête récurrente et à la fois la vision qu'on pouvait se faire du village en 1982, voici sans modification aucune, le texte qui servit de présentation à ce village ordinaire qu'on va voir ensuite pris par le tourbillon des écritures presque ordinaires... "A égale distance de Verdun et d'Etain, Eix se situe à la limite des Côtes de Meuse, ce qui explique qu'il fut jusqu'au début du siècle un village viticole autant qu'agricole. Mais si le village est un peu en retrait de la grand-route, son territoire cependant est interrompu presque par moitié par cette route. Les deux fermes d'écart que sont Bourvaux et Dicourt, appartenant au ban d'Eix mais situées de l'autre côté de cette route ont, du fait de cette rupture une indépendance presque totale vis à vis du village, même si les occupants de ces exploitations entendent rester membres actifs de la collectivité villageoise. La proximité de la ville -et l'on verra les liens quasi-organiques 3 qui existaient entre Eix et Verdun- a joué un rôle majeur dans la destinée du village. D'abord, et comment ne pas l'évoquer en premier ? la bataille de Verdun en 1916, pendant la Première Guerre mondiale, détruisit de fond en comble le village et dispersa, définitivement pour certains d'entre eux, les membres de la communauté pendant de longues années. Les ondes de choc de ce profond traumatisme continuent malgré les années à remuer les souvenirs. Mais l'interdépendance entre la ville et le village existait avant le drame contingent de la guerre. On le verra, un réseau dense de commerce de denrées et d'offre de services (produits du jardin et de la basse-cour vendus au marché, placement des jeunes filles comme "bonnes-à-tout-faire", embauche dans les chemins de fer, travail à domicile pour une entreprise de confection...) transférait en permanence le village vers la ville (en retour la ville ou du moins son Faubourg, venait symboliquement "à la campagne" le lendemain de sa fête patronale en se rendant au pèlerinage de Tavannes dans les bois d'Eix). Pour les amateurs de villages traditionnels repliés jalousement sur leurs usages, Eix n'est donc pas l'exemple rêvé. Ouvert dès longtemps à toutes les influences et à l'attraction de la ville, le village des "gnâs-gnâs" -c'est ainsi qu'on surnommait les habitants d'Eix lorsque le patois meusien était encore vivant- rebâti vaillamment après la tourmente guerrière, fait un peu le complexe de l'amnésique. Et il est vrai que certaines leçons du passé sont définitivement perdues parce que la transmission orale n'a pu fonctionner normalement : ainsi de certains lieux-dits tel le "Mardi-Gras" (dont tout le monde évoque la fameuse batterie qui défendait les forts du voisinage) ancien pré communal dont on ne sait quel usage a pu donner la dénomination, ainsi du berger collectif dont le souvenir du dernier s'estompe dans la mémoire des plus anciens. " Revenir sur le terrain n'était pas sans risque, c'était malgré nos dénégations laisser planer le doute qu'on allait renouer les fils abandonnés avec tant de regret plus de dix ans avant, c'était aussi d'une certaine façon vouloir abolir le temps. Et notre étonnement a été grand de voir repris, presqu'à l'identique, les regrets qui avaient émaillés notre première approche : relâchement du tissu communautaire, perte des valeurs traditionnelles d'entraide...et disparition des derniers témoins d'une autre époque. La seule différence entre les deux temps d'enquête c'est qu'il y a maintenant, semble-t-il, cristallisation des souvenirs de cet âge d'or convivial autour de l'écrit produit en collaboration il y a quatorze ans.... 4 ECRITS ANTERIEURS Colette MECHIN Désir d'écriture Rédigé en 1982, après trois ans de travail sur le terrain, l'écrit sur le village d'Eix, intitulé simplement : "Ethnographie d'un village meusien. Les "gnas-gnas" d'Eix" est, à certains égards, l'arbre qui cache la forêt. Car en fait, ce texte d'auteur -quoi que j'en ai pu dire et écrire- même s'il tente un compromis entre les attentes du groupe et celles de la personne déléguée à l'écriture finale, entre les textes des autres et les siens propres, oblitère les démarches multiples, polymorphes, structurées mais tournant court de nombre de gens du village. Car la volonté d'écrire sur son village s'est manifestée prolixe, itérative aussitôt, et pour certains existait avant que je n'intervienne, en 1979. Comme le feu qui couve sous la cendre, les témoignages écrits ont surgi -mes cahiers d'enquête de l'époque le révèlent- dès les premières réunions de travail. Chronologiquement, apparurent des textes écrits par deux anciens maires, disparus bien avant mon intervention, concernant la commune ; puis une thèse pour le diplôme d'architecte d'un nouveau résident au village ; mais aussi des documents bruts : des bails d'acquisition de ferme ou de location, avec parfois de curieuses closes en nature fleurant bon l'Ancien Régime (fournir une quantité précise de paille par exemple), un livre de compte tenu par un agriculteur concernant les travaux produits par lui et son attelage et les travaux manuels réalisés en contrepartie par les "manoeuvres" (ceux qui, trop pauvres pour posséder des animaux de traction, devaient demander l'aide du cultivateur propriétaire de chevaux pour les labours, les charrois etc.). Ces textes ne témoignent pas du passé de la même façon : les derniers mentionnés peuvent être considérés comme des documents historiques stricto sensu, alors que les premiers sont des témoignages, objets d'une réflexion plus élaborée, des écrits au second degré en quelque sorte : Monsieur Louis Goeury, maire de 1925 à 1935 puis de nouveau de 1945 à :> 1953, rédigea en 1959, un court mémoire intitulé : "Cent cinquante ans de vie municipale" qui s'ouvre sur ce prologue : "Le récit que l'on va lire a été écrit pour renseigner les jeunes de ce village sur la vie municipale de leurs ancêtres. Il faut reconnaître qu'avant 1890, notre village n'avait pas de salle de mairie et qu'en 1825, il n'y avait pas de lavoir public. Il a fallu deux maires dévoués et 55 années pour arriver à avoir une commune bien équipée". Commençant significativement par mentionner le "château" (en fait une ancienne maison forte) et ses châtelains successifs, il esquisse alors l'histoire des différents maires et signale leurs réalisations notoires : cimetière, bornage des chemins etc., n'omettant pas de signaler, avec un légitime orgueil, ses propres travaux : "Et j'ai la prétention moi aussi, d'avoir bien travaillé pour notre commune" (éclairage des rues, création de chemins ruraux, achat de cloches, d'un harmonium pour l'église etc.). Il termine : "Et finalement, étant malade, démission du maire, le 30 juin 1956 à 79 ans, et pour toutes mes réalisations, il m'a été décerné la Médaille d'Honneur départementale et communale en argent, le 24 avril 1956. 52 ans et 4 mois de conseiller municipal dont 21 ans et plus de maire".