GEORGES DUHAMEL ET LA CIVILISATION

by

JAMES ALEXANDER HOOD

A THESIS SUBMITTED IN PARTIAL FULFILMENT OF

THE REQUIREMENTS FOR THE DEGREE OF

MASTER OF ARTS

IN THE DEPARTMENT

of

FRENCH

THE UNIVERSITY OF BRITISH COLUMBIA

April, 1949. Abstract of Georges Duhamel et la Civilisation, thesis submitted for the degree of Master of Arts by- James Alexander Hood.

Chapter I, La Fonction sociale de l'6orivain.

Duhamel1s conception of the r8le of the author in society; his social, moral and political responsibilities.

Chapter II, Le De* sinteressement.

Deals with Duhamel»s belief in the conflict between industrial and cultural civilization, the former founded on selfishness, the latter on disinterestedness.

Chapter III, Le Regno du coeur.

An explanation of Duhamel's doctrine for an ideal society, based on brotherly love rather than social coercion. His conception of the moral value of pain and suffering in the development of the individual.

Chapter 17, La Crise de la civilisation - La Vie future.

Duhamel's belief that the social and industrial mores of the U.S.S.R., and of the U.S.A., reveal the future form of the social institutions of humanity. His criticism of the curtailment of human freedom under the antagonistic political philosophies of both these states.

Chapter V, La Crise de la civilisation - Le Ph^nomene panique.

Duhamel's criticism of the uncontrolled extension of bureaucratic interference into all levels of human activity in the modern state, with special reference to .

Chapter VI. Le Role de 1'elite.

The responsabillties of the intellectual 61ite in contemporary society. , Tt^s duties are, negatively, to defend spiritual civilization against the encroachments of industrial civilization, positively, to extend the influence of true culture by educating the masses.

Conclusion.

The contradictions to be found in Duhamel's thought. GEORGES DUHAMEL ET LA CIVILISATION CHAPTTRE 1 LA FONCTION SOCIALE DE L'ECRIVAIN.

"Deli-Tre" des nalves ideologies du XlXe. siecle, c'est-a-dire d»une confiance excessive dans Involution actuelle de l'espece, j'use de mon droit et remplis mon devoir d'homme vivant: je veux librement connaftre, comprendre, juger, critiquer le temps dans lequel je suis."l

II est des ecrivains de souche modeste qui, en arrivant au falte de leur gloire UttSraire, ont oublie leurs origines et leurs responsabilit£s envers ceux, parents et camarades, qu'ils ont connus a leurs debuts. L'histoire, et malheureusement surtout l*histoire toute r£cente, nous fournit maints exemples de semblables desertions. Michel Ragon s'est fait un devoir dans son ouvrage de merite, Les Ecrivains du Peuple. de nous parler de ceux qui n'ont pas fait defection. "Mais voila ... que de ce peuple montent des intellectuels, des artistes, des ecrivains, qui, au lieu de s'amalgamer a. l'elite h^reditaire comme c^tait l'usage etabli, s'y refusent. lis se font une fierte d'Stre des fils du peuple. lis se font une volonte* de ne pas trahir."2

Georges Duhamel, lui, est de ceux qui n*ont pas trahi. C'est vers les pauvres quf a penehe son ame fraternelle, son oeuvre entiere est consacree aux humbles, aux hommes a 1*abandon. "Que ce soit , Georges Duhamel, Charles Vildrac ou Luc Durtain en liaison avec l'Abbaye, tous te*moignent une comprehension et un amour pour le peuple, allant, ehgz certains a s'intdgrer aises revendications sociales."3

1 Paroles de Me*dec in. 204. 2 Michel Ragon, Les Ecrivains du Peuple, 11, 3 Ouvrage cite. 254. - 2 - Pour Georges Duhamel, les mots de fonction soelale n^nt aucun sens politique. C'est-a-dire que, pour lui, la fonction sociale de l*ecrivain nfa aucun rapport avec ses activites en tant que militant de la politique sociale. Gela ne veut pas dire que 1'ecrivain ne puisse accepter de responsabilltes dans le domaine politique. Au contraire,

"Chaque ecrivain se trouve le seul juge de son attitude.

Notre devoir est toutefois, en raisonnant sur les faits, de chercher les elements d'une doctrine."1

C'est une double fonction que Duhamel s*impose, celle de faire mieux comprendre l'homme a l'homme; celle de critiquer la civilisation et les oeuvres de la civilisation.

"Uh ecrivain joue ... a mon regard sa fonction sociale quand il nous aide a mieux comprendre l'homme et le monde, ••• quand il est vraiment un decouvreur, un inventeur, un detecteur, que cette propriety de detection s'exerce immediatement, sur les etres, les evenements, les phenomenes, ou, mediatement, sur les pensees et les ouvrages d'un homme, d'un peuple, d'une civilisation." 2

Duhamel se rend compte que l'homme moderne cherche aveuglement la verite dans une obscurite qui menace d'etre de plus en plus complete; l'homme a perdu la foi, mais, affirme-t-il, il lui reste lui-meme, l'homme. Peu lmporte le progres des techniques machinistes, ce n'est ni dans

1'americanisme, ni dans le communisme, ni dans la bureaucratie, bref ce n'est pas dans tout ce qui vise a 1*augmentation des richesses materielles par l'effort collectif que l'on va trouver le secret du bonheur, mais bien au contraire, le

1 Defense des Lettres, 184. 2 "Deux Textes." , cclxxi, le 15 novembre, 1936, 449. - 3 - bonheur se trouve dans la liberte et plus precisement dans le coeur humain. Henri Bordeaux lui dit, lors de sa reception a l'Academie francaise: . . • "vous vous Stes detourne des fausses experiences humaines, la russe et 1'americaine. Elles ne sont pas a l'echelle de l'homme. Elles ne tiennent pas un compte suffisant de la dignite de la personne. Toute votre oeuvre, si avide de bonheur humain, est tournee, si 1'on y regards de pres, vers cette vie morale, cette , civilisation morale qui fortifie et eleve l'individu." x

On a reproche a Duhamel de ne pas prendre part aux luttes politiques qui se font jour a l'heure actuelle. Entre autres, lui reproche de n'Stre . . . "ni un revolutionnaire, ni un proletarian. II n'admet guere la violence rectificatrice et constructive et demeure assez rebelle au realisms demesure de la multitude." Mais bien que, dans le mime article, Barbusse se montre tres indulgent pour Duhamel et assez severe pour Salavin, qui est pourtant

son fils spirituel, . . . "l'abfme a la droite de Duhamel," 3 il fait montre d'une incomprehension totale des opinions de Duhamel en lui faisant blame d'un manque de conviction

partisans. C'est justement que Duhamel tient a pouvoir travailler librement, sans se subordonner a une philosophic politique quelconque. Ue me suis) • • • "resolu fermement a m'exprimer tout seul," • • • dit-il. "Du moins me

1 Gerard Bauer, "Georges Duhamel a l'Academie." Revue de , iv, le 15 juillet, 1936, 465. 2 Henri Barbusse, "Journal de Salavin par Georges Duhamel." Humanite. le 30 Janvier, 1927. 3 Jean Prevost, Georges Duhamel. 149; semble-t-il boh, quand les hommes se laissent aller a tous les de'lires collectifs, de dire que l'individu seul merits mon acte de foi." 1

N'empeche que, quoique jouissant du privilege du libre arbitre, il s'estime un ecrivain de litterature militante, mais toujours suivant sa definition particuliere; • . . "la litterature militante, eelle des gens qui tirent a

peu pres tout de leur propre fond."2 Tl semble que Duhamel aimerait qu'il n'y ait pas de rapport entre les problemes politiques et les problemes culturels, qu'il voudrait ne pas s'oecuper de la politique de peur d'y souiller la purete de sa mission spirituelle. Mais voila que, malheureusement, le tourbillon de la politique moderne l'a emporte pour ainsi dire malgre lui, et l'a oblige, tant bien que mal, a s'oecuper i'elle. Pour le metier de politicien il n'a que du mepris. "Les ideologues, les politiques, les orateurs de congrfes

s'acharnent a corrompre et les idees, et les termes."3 II les traite de . . . "vieux specialistes a jamais desertes du

genie."4 Mais Duhamel etablit une distinction entre la civilisation mecanique, fondee sur des methodes scientifiques irrefiechies, et une autre civilisation, celle-ci morale, et reposant sur les vraies valeurs culturelles.

1 Defense des Lettres, 184. 2 Chronlque des Saisons Ameres, 55.

3 Paroles de Medeoln. 3. 4 Lettres au Patagon, 44. - 5 - "J'ai consacre une grande part de ma vie a 1'etude et a la critique de notre civilisation occidentale. Examiner la valeur humaine et la portee morale de toutes les belles decouvertes qui ont bouleverse notre civilisation, deceler le danger sous les apparences du bienfait, mettre en garde nos societes frivoles contre la seduction qui vise principalement a creer des besoins nouveaux puis a les satisfaire tant bien que mal, en verite, a la veille de cette guerre, rien ne me semblait plus necessaire et plus urgent."1

Gela veut-il dire que, preoccupy par les grandes questions de valeur morale, M. Duhamel se desinteresse flfela condition populaire? Nullement. Sa predilection va toujours aux pauvres, aux faibles, aux coeurs malades. Cette predilection se fait voir par excellence dans la serie de romans construite autour du meme personnage, Salavin. Duhamel croit que 1*ecrivain a un devoir envers les hommes abandonnes, mais s'il s'occupe des maux de la societe, ce sera suivant l'exemple des revolutionnaires de 1848. Son but sera de former une societe d'apres 1*image ooncue dans ses meditations solitaires. "J'ecris pour ces petites gens d'entre lesquels Je suis sorti. C'est pour eux comme pour les autres que y&± lanctf par le monde maints messages imprimes. Et plus ils sont nombreux a preter l'oreille, plus je me sens fier et content. Ils savent bien, ils sentent bien, • . • que si l'on decouvre un moyen, j'entends un moyen raisonnable, humain, loyal, de rendre leur vie plus belle, plus heureuse, plus justement r^compensee, je demanderai de tout mon coeur que ce moyen soit mis en oeuvre et je ferai mon possible pour aider les bons artisans d'une societe moins barbare." 2

1 Chronique des Saisons Ameres. 141.

2 Defense des Lettres. 47-48. - 6 -

. Done, bien qu'a l'egard des questions purement politiques il tende a rester au dessus de la meie'e, Duhamel est en r£alite" un ecrivain militant qui, sur son terrain propre, fait de la litterature engagee. n est par consequent evident qu'il n'est pas champion de la theorie de 'l'art pour l'art'. "Le clerc qui se refuse a toute intervention paralt non pas sublime et libre dans sa purete, mais bien plutot sterile et captif de son egoisme."1 n faut preciser seulement que Duhamel se livre plus volontiers a l'etude des problemes de l'individu qu'a celle des problemes de la collectivite. C'est-a-dire, ce sont les questions morales et culturelles qui le seduisent, et non pas les questions politiques. "Le principal devoir des Fran^ais dans la gehenne ou ils se trouvent encore, comme toute l'humanitg, e'est de sauver les valeurs de la civilisation dont ils sont les depositaires." 2 C'est un devoir que Duhamel, en bon patriots, a fidelanent rempli depuis ses ouvrages de la premiere guerre mondiale jusqu'a son plus recent roman. "On se trompe souvent sur le bonheur et sur le bien" .... et Georges Duhamel a pris et prend toujours le soin de nous en montrer la difference, de conduire l'homme dans sa misere et dans sa grandeur, par la sagesse et par l'amour, vers son veritable

1 Defense des Lettres. 185. 2 Civilisation Franealse. 72. 3 Civlllsation 1914-1917. 278. - 7 - destin, le bonheur. "Le destin de l'homme est de connaitre; mais son devoir est de juger toujours ses aetes de connaissance et d'en prevoir les resultats." 1 De la sa preoccupation des drames de l'amitie. (Voir par exemple Deux Hommes.) C'est avec le scalpel de 1'amour fraternal et de la sympathie humaine que 1'ecrivain medecin a explore l'Sme de l'homme. . . . "la sympathie est un moyen et presque un Instrument de connaissance." 2 "La passion de l'amitie, toujours, a domine ma vie .... Si l'amitie forme un des themes essentiels de mes ouvrages, c'est d'abord qu'elle fut, qu'elle est, qu'elle sera l'un des ressorts de mon experience humaine." 3 Malcolm Cowley dit a cet egard: "Duhamel studied science because of his passion for the truth, but it was human pity made him a writer." ^ En effet, ce qui frappe d'abord dans toute son oeuvre, c'est son immense sensibilite de tous les mouvements d'ame. En revanche, des la guerre de 1914-1918, il n'a cesse de condamner la civilisation scientifique et industrielle, dont il previt alors que le regne aboutirait a un immense g echec. Dans une conversation avec Andre Lang il affirmer "Pendant la guerre je pensais: 'Plus rien n'est certain.' Puis je me ravisai: 'Si, quelque chose

1 Chronique des Saisons Ameres. 130. 2 Paroles de Medecin. 228. 3 Biographie de mes FantSmes, 58. 4 Malcolm Cowley, "Duhamel ,^M.D.,". The Bookman, evil, le 23 avril, 1923, 162. 5 La Possession du Monde. 272. - 8 -

est certain. L'homme qui est en face de moi souffre. Deux et deux peut-etre ne font plus quatre, raais l'homme qui est en face de moi eouffre, cela, c'est une certitude.'" 1

Ainsi M. Duhamel pose le probleme m§me de la civilisation, • . . "si elle n'est pas dans le coeur de l'homme, eh hien! 2 elle n'est nulls part." Done la civilisation qu'envisage Duhamel est cette civilisation dont le siege se trouve, non pas dans 1'intelligence, mais dans le coeur. C'est en soignant, en nourrissant, c'est en cultivant le coeur de l'homme qu'il croit servir la vraie civilisation, tout comme il croit servir l'humanite en critiquant les exces et les folies de la civilisation soientifique. C'est la, semble-t-il, le mecanisme de sa dialectique socials. "Que 1'intelligence supreme du monde echappe, en cette heure trouble, a ceux qui en sont les titulaires patented, voila qui rassure et me plait. Qu'elle hante un poete, voila qui m'enchants, reconforte."3

Voila pourquoi, dans toute son oeuvre, dans les confusions des partis pris et dans la haine des opinions, Duhamel a 61eve et eleve toujours sa voix en faveur des innocents abandonnes ou opprim^s. Trouble par un intense d£sir de communier avec l'humanite souffrante, surtout depuis qu'il a assiste a son martyre pendant son service de cinquante mois de front en qualite de chef d'equipe d'une autochir,

1 Andre Lang, Voyage en Zigzags dans la R6publique des Lettres, 119. 2 Civilisation 1914-1917. 278. 3 Lettres au Patagon. 43. - 9 - son esprit s'est oriente vers les problemes souleves par les experiences affreuses que subit l'humanite contemporaine.

Gabriel Brunet dit a ce propos: "Dans ce monde d'apres-guerre, qui fut la turpitude apres l'horreur, M. Georges Duhamel voulait croire encore que la formule: amour de l'homme pour l'homme n'etait pas un leurre. II refusa d'etre 1'exile hautain de la Tour d'lvoire .... En face de cette humanite, tout ensemble bourreau et victime d'elle-me*me, il voulut Stablir un clair diagnostic. Et sa meditation s'orienta vers l'idee de civilisation."1

Avec ce souci constant du bien de l'humanite au coeur, bien qu'il croie a la necessity des heretiques, mais pour les convaincre et non pour les bruler,2 sa critique de la

IT civilisation se distingue par sa qualite mordants et amere. Mais que l'on ne s'en etonne pas, car n'est-il pas vrai que I*indignation est souvent le signe d'un coeur fait pour

1'amouT?^ Dans une crise tellement grave, a quo! lui servirait cette espece d»indifference qui s'appelle 'impartialite'? "L'impartialite de laboratoire n'a pas de sens quand il s'agit de l'humanite, quand il s'agit de notre Stre et de notre domaine. Observer et depeindre sans evaluer supposerait une attitude fatalists, contraire au sens mtme de 1'esprit occidental." 5

1 Gabriel Brunet, "Georges Duhamel et la 'Civilisa• tion' americaine", Mercure de France, ccxxv, le ler Janvier, 1931, 6. 2 La Possession du Monde. 226. 3 Voir par exemple Scenes de la Vie Future, Q,uerelles de Famille et Chronique des Saisons AmeresJ 4 Voir 1'opinion de Jean Prevost: "Duhamel est tendre plutSt que bon." Georges Duhamel, 148. 5 Paroles de Medecin, 9-10. - 10 -

Telles quelles, ces convictions impliquent une attitude humanists. Humanists, nul doute que Georges Duhamel ne le soit a un point eminent. II semble que le mot d'humanisme comprenne la definition meme de sa philosophie.

Quel est done cet humanisme qu'il n'a jamais cesse de mettre en oeuvre dans son combat permanent centre "l'ivresse du rationalisms triomphant"Duhamel le decrit de cette faqon:

"Pour un lettre du XXe siecle, 1'humanisme veritable comporte 1'Ideal d'equite, de liberte, de desinteressement, bref d'humanite, car, petit a petit, les idees comme les mots se compenetrent,"2

Simon, dans son ouvrage sur Duhamel, definit son humanisme:

. . . "1'affirmation de la souverainete de l'homme, centre de l'univers et mesure de toute chose."3

Dans la deontologie de son metier, exposes dans la Defense des Lettres, Duhamel, apres avoir demontre que la definition primitive du mot d'humanites fut limitee aux etudes dites 'lettres humaines', fait observer qu'en evoluant, le mot a acquis maints autres reflets, et qu'en l'employant, nous pensons involontairement aux plus nobles vertus humaines.

II ajoute: "L'une de ces nobles vertus est le gout de former des pensees gratuites ou d'accomplir des actes desinteresses, en d'autres termes de former des pensees et d'accomplir

1 Ghronique des Saisons Ameres, 78.

2 Ouvrage cite. 78.

3 P.-H. Simon, Georges Duhamel. 188. - 11 - des actes qui ne semblent pas susceptibles d'un loyer immediat, d'un benefice temporal, d'une remuneration precise et calculable."1 Faut-il evoquer le souvenir des annees tragiques de 1'occupation, pendant lesquelles, ses livres etant interdits, il n'en continue pas moins a exprimer ouvertement sa fidelite et sa confiance, tout comme il se tient prSt toujours a aider, a soutenir, a guider les Smes perdues? Cet ecrivain francais, en se refusant a tout dogmatisme, prefere, pour mieux servir ses semblables, se referer a un humanisms admirable; et en cela, il est dans la meilleure tradition francaise. Michel Ragon, bien qu'il affirme, non peut-Stre entierement avec raison, que Georges Duhamel n'est pas un ecrivain proletaire, n'a pourtant pas tort de l'inclure dans son ouvrage sur les ecrivains du peuple. Car c'est en sa qualite d'humanists francais que Duhamel a consacre sa vie d'ecrivain a la conservation des valeurs eternelles de la civilisation, et, ce faisant, a la defense des droits des masses populaires.

1 Defense des Lettres, 309. CHAPITRE 11 LE DESINTERESSEMENT.

"Le mot de gratuite" est un des maltres-mots de la France intellectuelle." 1 Que Georges Duhamel soit humaniste par l'inte"ret diesinte'resse qu'il porte au sort de l'humanite, nous croyons l'avoir indique1. Simon nous demontre que Duhamel est 6gale- ment humaniste par la definition traditionnelle du mot, definition qu'il expose ainsi: "Dans le langage du critique litteraire, humanisme signifie une certalne methode de culture: c'est la formation de 1'esprit par les grandes traditions de l'antiquite* greco-romaine, prises d'abord a leur origins, ensuite dans leur. developpement a travers la pensee

europeenne depuis la Renaissance. En ce cas,?la notion d'humanisme rejoint celle d'esprit classique."^

Gette definition, semble-t-il, montre bien les raisons pour lesquelles Duhamel prend le rSle de defenseur de la doctrine humaniste. Dans sa crainte des effets d£sastreux de 1'esprit pratique, qui, a son regard, travaille a 1'oppose de 1'esprit humaniste, 11 est amene* logiquement tet de faqon inevitable a re*clamer le maintien des etudes traditionnelles. C'est que, pour M. Duhamel, la seule defense efficace contre cet esprit pratique qui a jete la civilisation dans le desordre ou elle se trouve en ce moment, c'est 1'esprit desinteresse". Car 1'esprit pratique n'est-il pas justement l'esprit inter^sse?

1 Civilisation Franoaise, 33. 2 P.-H. Simon, Georges Duhamel. 187. - 13 -

Lui-meme a formule la definition de 1'humanisms de la sorte:

"L'humanisms moderne est 1'ensemble des notions qui ne semblent pas susceptibles d'application Immediate."^ Et il ajoute: "Cela signifie que la culture occidentale me paraft fondee sur le desinteressement d'abord."2

Bien entendu, Duhamel comprend que le desinteressement, meme le plus pur, est fonde, paradoxalement, sur une sorte d'interet. II est vrai que les seules actions entierement gratuites ne sont accomplies que par les alienes. Mais bien que les hommes sains aient toujours besoin d'agir de maniere a servir un interet defini, lorsque cet interet se trouve Stre celui de l'amitie, de 1'amour, de la foi ou de

1'esprit, bref quand cet interSt arrive a s'identifier a une cause qui vise a delivrer l'homme de ses soucis temporels, 3 cette action est, proprement dite, desinteressee. Le desinteressement done comporte l'idee meme de cette gratuite qui est le ressort de toute civilisation veritable. Pour combattre les seductions nefastes des etudes pragmatiques, Duhamel preconise 1'etude des humanites. Cela veut-il dire qu'il nie la valeur des etudes scientifiques? Au contraire, il avoue dans son autobiographie que c'est dans la culture scientifique reeue au temps de sa jeunesse qu'il a

1 Chronique des Saisons Amere3, 144. Z Loc. cit.

3 Positions Franeaises, 46. - 14 - pris le gout de la methode et de la discipline du travail.1

II va meme jusqu'a considerer les etudes scientifiques comme necessaires a 1'(education complete de l'humaniste moderne.

... "1'humanisme moderne, sagement entendu, doit, au principe, admettre 1.'etude perseverante de deux grandes langues de la civilisation mediterraneenne, mais . • • il doit admettre aussi l'etude de certaines langues modernes et, enfin, un certain nombre de sciences au premier rang desquelles je place la biologie."2

Inutile de dire que G-eorges Duhamel, lui-meme medecin et biologiste, a recu une education analogue. Rien de contradictoire done dans l'etude de deux sciences, la classique et la pratique, qui semblent, au premier abbrd, de tendance opposee. Mais Duhamel s'inquiete de ce que les etudes scientifiques prennent de 1'ascendant au prejug£ des etudes humanistes qui menacent par consequent de disparattre. Car les etudes scientifiques, de nos jours issues d'une civilisation malade, sont elles-memes instables,

comme si elles n'en etaient que le reflet. "Rien . . . ne nous permet d'imaginer ce que serait un monde entierement consacre a ces fameuses connaissances pratiques, dont nous comprenons toutefois fort bien qufBiles sont tout a fait perissables, qu'elles demandent chaque annee, cheque jour, d'inquietes rectifications."3

Duhamel, avide de stability, pense la trouver dans cette longue experience humaniste qui, & travers les siecles, a produit sous sa discipline tant d'hommss admirables. Par

1 Biographie de mes FantSmes. 13.

2 Ohronique des Saisons Amlres. 78. 3 Ouvrage cit^. 81. - 15 - consequent il regrette 1'affaiblissement des etudes classiques dans les ecolss secondaires fran

Contre les usurpations d'une methode barbare, il veille a ne rien laisser perdre de cette culture veritable, heritage des siecles passes. Pendant les plus sombres jours de 1'occupation allemande, ou tout evenement ne fut qu'une autre demonstration de la faillite totale de la civilisation occidentals, Duhamel s'ecria, "Les calculs des

calculateurs trebuchent sur les chemins secrets de la vie." 3 Et il nous avoua que ce fut presque avec plaisir qu'en contemplant la disette qu'eprouverent les pays d'Europe,

il nous parla des lois souveraines du desinteressement.4

Car Georges Duhamel est avant tout un contemplateur. "A partir du moment ou 1'action prime ou bafoue le reve, la

civilisation est en peril."5

1 Chronique des Salsons Ameres, 44. 2 Inventaire de l'Abfme. 138. 3 Chronique des Salsons Ameres. 116. 4 Loc. cit. 5 Ouvrage cite. 115. - 16 -

"Le monde n'est hi au chercheur, ni a 1'observateur, mais au contemplateur. Ce n'est peut-Stre pas lui qui exploitera les tresors decouverts; c'est lui qui trouvera une loi en voyant tomber une pomme ou en regardant bouillir une marmite d'eau. C'est lui qui saisira, au vol, un des secrets de la nature. Et les autres, tous les autres, ne feront que l'imiter, le piller, le mettre au profit."!

II ne contemple pas en mystique qui tourne le dos a la realite, il n'a pour objet de sa contemplation aucun systeme abstrait de philosophic; c'est la vie meme qu'il contemple. Cette contemplation ne prend jamais forme d'une gymnastique intellectuelle, et c'est pour cela qu'elle a enfante une ethique. M. Le Cannu commente fort bien ce phenomene; "II y a dans la contemplation de G. Duhamel une place immense reservee a l'evenement, en tant que manifestation quelconque de la vie, sans que l'homme fasse un effort quelconque pour percevoir. II entend et contemple quand d'autres observent et ecoutent."2

Inutile de chercher la civilisation dans cette automobile aerodynamique, dans ce poste de T. S. F., ni meme dans cette baignoire luxueuse. Elle se trouve dans la reflexion qui, pour Duhamel, est synonyme de culture- veritable.3 Cette reflexion doit §tre alimentee par la lecture, c'est-a-dire par un choix judicieux de livres. Ainsi s'explique la formation de l'humaniste.

1 Chronlque des Saisons Ameres. 115. E G. M. Le Cannu, "Propos d'un honnete homme," Paru, avril 1945, 67. 3 Defense des Lettres, 31. - 17 - "Les biologistes nous expliquent volontiefs que la civilisation n'est pas inserite-dans l'oeuf. L'oeuf ne transmet et c'est deja considerable que les proprietys animales de l'espece ou de la race. La civilisation est toute entilre dans l'education, dans la tradition, toute entiere dans nos livres, dans nos bibliotheques, dans nos methodes."!

L'homme dans son etat naturel est barbare. La civilisation industrielle est incapable de le sauver du barbarisms, puisque elle-meme est 6galement barbare. . • • "du travail des savants, l!humanite n'attend plus ni la delivrance, ni le bonheur, mais un surcroft de misere et d'angoisse."2 L'homme moderne cherche dans l'activite des affaires pragmatiques un narcotique pour oublier ses v^ritables besoins en y substituant des besoins factices, pour s'oublier lui-meme. "Dans ce tourbillon des affaires, la plupart des hommes cherchent non seulement leur subsistence, mais encore a se detourner d'eux-memes, a se fuir et a fuir' la presence de Dieu en eux."*5

Le devoir de l'humaniste, au contraire, est d'apprendre et de connaltre, surtout d'apprendre a se connaftre lui-meme, de sentir 'la presence de Dieu' en lui. L'obligation de l'humaniste est done de travailler au maintien et a 1'avancement des etudes humanistes, tout en les defendant eontre les empietements sinistres des etudes pratiques.

1 Chronique des Saisons Ameres, 81.

2 Paroles de Medecin. 45.

3 Biographic de mes FantSmes. 17. - 18 -

"La discipline des lettres humaines a fait ses preuves .... Le genie occidental est actuellement menace dans son empire par la conjuration des autres pays du monde et par ses fautes, par ses discordes intestines. Va-t-il en un pareil moment, renoncer a des methodes qui l'ont toujours si bien servi? A ces premieres questions je reponds tout net que le monde occidental ne doit pas et ne peut pas s'offrir une experience telle."1

Si la forme litteraire de 1'humanisme est le classicisms, Georges Duhamel est sans doute un classique.

II est classique par sa preference declaree pour les grands auteurs classiques; il l'est egalement par sa curiosite des problemes moraux, abstraits, et universels. II avoue lui-meme: nJe ne suis pas un romantique. J'observe et dis ce que je vols." II reproche aux Romantiques de ne pas s'etre tenus au courant des problemes de leur epoque. II les accuse de n'avoir cherche dans la litterature qu'un moyen dl'echapper a la realite. "Les ecrivains romantiques, et, a leur suite, tous les artistes de 1'epoque, enivres de leur propre genie, ont honore l'art dans un temple."3 Quant a leurs successeurs, il les trouve meprisables. "Les meilleurs heritiers de ces gens illustres ont alourdi leur tradition.

Ils ont cree le splendide isolement, dresse la tour d'ivoire et creuse tout autour un fosse chaque jour plus profond."4

C'est des grands auteurs classiques que Duhamel attend 1*inspiration. Andre Therive lui trouve des ancetres

1 "Humanites|" Mercure de France, cclxix, le 15 juillet, 1936, 227; 2 Fables de mon Jardin. 85. 3 La Possession du Monde. 162. 4 Loc. cit. - 19 -

litteraires dans le style de Rousseau et de Diderot.1 Qu!il y ait des ressemblances dans le style, il se peut bien, mais il faut dire que Jean-Jacques Rousseau en tant qu'homme lui deplait enormement. Mais ce sont justement les qualitSs romantiques, ou que Duhamel estime romantiques, de Rousseau qui lui repugnent. Certes, M. Maurice Martin du Gard lui trouve des ressemblances avec Diderot, pour les raisons suivantes.

"Philosophe comme au dix-huitieme, encyclopedists, botanists • • . , biologiste avec plus de science, gourmet plus que Diderot lui-mlme, pere de famille comme lui, . . . pedant en rien, tout d'une source, heureux de vivre. presse de vivre, jamais une heure qui sonne creux"2. ... Quoi qu'il en soit, c'est plutSt Descartes et

Pascal que Duhamel respecte et admire, precisement, semble-t-il, parce qu'il trouve en eux les doutes et les angoisses aussi bien que les vertus qui sont les siens. II admire en Descartes son . . . "desir de distinguer le vrai d'avec le faux." Mais il admire encore davantage • . • "la maltrise d'un homme qui n'est pas tyrannise par

son coeur, mais qui le gouverne fort bien."4 Car c'est ce manque de maltrise emotionnelle chez Rousseau qui lui aeplatt. En effet, il en est tellement deconcerte que le medecin

1 Andre Therive, Georges Duhamel, 56.

2 Maurice Martin du Gard, "Georges Duhamel,", Nouvelles Litteraires, le 23 nbvembre, 1935. 3 Les Confessions sans Penitence, 107. 4 Ouvrage cite. 105. - so -

Duhamel ne peut s'empecher de faire le diagnostic des maladies pathologiques du grand precurseur des Romantiques.1 Car Men que Georges Duhamel admette 1'ascendant du coeur, c'est le coeur dirige par 1'intelligence qu'il entend. De meme que Descartes, Pascal merite son enthousiasme, parce que, "un monstre d'intelligence" il reconnaft pourtant des connaissances autres que rationnelles. "A cote de 1*instrument rationnel, Pascal en entrevit d'autres. II parle de bon sens et d'esprit de finesse. II parle du coeur."3 A la verite, c'est Pascal qu'il nomme son maftre et qu'il invoque avec le plus de ferveur. "Le nom de Pascal est un symbole de toute l'esperance humaine. Le drame de Pascal est le drame de tous ceux qui cherchent et qui souffrent."4

Classique par ses maftres de la pensee, Duhamel

I'est avant tout par son style. Andre The'rive l'estime un classique parce que, bien different des jeunes £crlvains d'aujourd'hui, il reconnaft des maftres de langage, et comme exemple il signals le grand respect pour Littre que ressent 5 Duhamel. C'est dans le style de Georges Duhamel que l'on volt sa volonte constante d'equilibrer 1'intelligence et la sensibility, le tout exprime dans une langue sobre et pure en meme temps que courante, bref dans une langue classique. 1 Les Confessions sans Penitence. 19. 2 Ouvrage cite. 128. 3 Ouvrage clte\ 129. 4 Ouvrage cite". 143. 5 Andre" Therive. Georges Duhamel. 36. - 21 -

"Le mot est toujours le plus simple, le plus concret. ... la beaute de son style ... vient de oette plenitude de chaque mot, jusque dans 1'extreme simplicity et une negligence toute de rondeur et de "bonhomie." 1

Certes, a premiere vue cette description ne semble guere celle du style classique. Mais quoil l'ecrivain classique n'est-il pas celui qui vit dans son Epoque, qui traite les problemes fondamentaux de son epoque, problemes qui sont en dlerniere analyse ceux de tous les figes; n'est-ce pas celui-la le vrai classique, plutSt que celui qui r£pete et imite servilement les mattres des siecles passes? "N'est-il pas ... logique d'admettre que ce poete, dans la partie essentielle de son oeuvre, a su reprendre et renouveler les problemes eternels de la philosophic morale, en leur donnant cette forme qui touche le plus directement, le plus universellement les esprits et surtout les coeurs de ses contemporains?"2

Esprit classique en tant qu'esprit europeen, voire universel Duhamel s'gcria en 1935: "Je suis un Europeen de Paris, et je voudrais Stre, transformant le mot de Goethe, un Frangais citoyen du mondeI" En verite, depuis la premiere guerre mon&iale, il s'est consacrS a sauver

1'Europe,. & sauver 1'esprit europeen. II faut avouer que ses efforts pour vaincre 1'esprit de nationalisms Stroit n'ont malheureusement pas eu beaucoup de succes. II n'en reste pas moins un champion de 1'internetionalisme, et a ce propos il

1 Jean Ehrhard, Le Roman franQais depuis , 99-100.

2 Achille Ouy, Georges Duhamel. 163.

3 Nouvelles Litteraires, le 7 d£cembre, 1935. - 22 - eonvient de noter qu'il exerce la presidence de 1'Alliance

Franc/aise. Mais tout compte fait, c'est dans la r^publique dies lettres europeennes que Duhamel a porte le plus dl'influence. C'est par un besoin d'ordre dans le monde, d'ordre dans la pense*e, d'ordre dans le style? II reproche aux Dadalstes d'avoir voulu s'exprimer de facjon incomprehensible.

II comprend bien leur revolte, il se rend compte qu'ils sont issus d'un monde bouleverse par des catastrophes mondiales, ou les anciennes lois n'attirent plus de respect, ou les princlpes moraux qu'ils avaient appris sont violes par ceux-la meme qui les leur ont enseignes; mais, dit-il sagement: • • • "l'orage s'e*loigne. La plupart de nos re"volte*s ont compris que, pour donner plus de force et plus d'efficace a leur requisitoire, ils avaient interest a l'exprimer en langage connu."1

En cela il confirme 1'opinion d'Aragon, lui-me*me ancien dadalste, qui deerit cette epoque de sa vie comme celle de l'anarchie, • . • "anarchie politique et anarchie intellectuelle, . . • nous nous y etions . . . perdus comme dans les fourres enchantes d'une forSt mal^fique ,"2, . . Evidemment c'est un tout autre chemin que celui de Duhamel qu'Aragon a du" pare our ir pour se deoarrasser de "cet anarchisme bourgeois que nous portions en nous," et que

1 Lettres au Patagon. 41. 2 Louis Aragon, L'Homme Communiste, 226. 3 Ouvrage cite. 227. - 23 -

Duhamel, lui, n'a jamais porte. En effet, c'est ce besoin universel d'ordre qui permet a Duhamel de croire a une nouvelle periode classique.^" Classique par son humanisme desint^resse, par ses gouts litteraires, par sa morale universelle, Duhamel l'est surtout par son style, style qu'il deerit lui-meme: • • • "une bonne langue, une langue claire, ce qui signifie une langue simple et correcte. Une langue pure, et non une langue paralyses par le purisme."2 Rien de plus dangereux, bien entendu, que de traiter un vivant comme un classique, mais, a notre avis, la definition de Sainte-Beuve resout definitivement le probleme, car c'est une definition qui sied a la perfection a Georges Duhamel.

"Un vrai classique, comme j'aimerais a 1'entendre definir, c'est un auteur qui a enrichi 1'esprit humain, qui en a reellement augments le tresor, qui lui a fait faire un pas de plus, qui a decouvert quelque passion eternelle dans ce coeur, o& tout semblait connu et explore; qui a rendu sa pensee, son observation ou son Invention, sous une forme n*importe laquelle, mais large et grande, fine et sens^e, saine et belle en soi; qui a parle a tous dans un style a lui et qui se trouve aussi celui de tout le monde, dans un style nouveau sans neologisme, nouveau et antique, aisement contemporain de tous les ages." 3

1 Andre Lang, Voyage en Zigzags dans la Republique des Lettres. 120.

Z Defense des Lettres. 268.

3 C.-A. Saine-Beuve, "Q,ufest-ce qu'un classique?", Causeries du Lundi. iii, 34. CHAPITRE III

LE REGNE DU COEUR

"Nul n'en sera jamais depourvu qui vlvra par 1'amour."1

On aurait bien tort de tacher de fonder des relations entre 1'oeuvre de Georges Duhamel et celle des philosophes, relations qui n'existent d'ailleurs point. Par consequent discuter la philosophie de Duhamel est chose difficile. Rien de dogmatique dans son oeuvre; il n'a fonde ni secte ni ecole. Aucun de ses romans n'est une oeuvre a these. Mais il n'en est pourtant pas moins vrai que sa philosophie impregne tous ses ecrits. Comment pourrait-il en etre autrement, etant donn£ la responsabilite qu'il s'impose de defendre les valeurs reelles de la civilisation?

Sans dogmatisme et sans orgueil, il veut instruire les hommes.

Quelle est la sagesse humaniste qu'il veut nous f'aire apprendre? D'abord montrer k l'humanite le veritable but de la vie, et lui indiquer le chemin qui y conduit. Ce but commun a tout le monde vivant, c'est le bonheur.2 Toute autre aspiration humaine n'est qu'un moyen de l'atteindre, de telle sorte que le moyen et le but tendent a se confondre.

"Le bonheur n'est pas seulement la fin de la vie, il en est le ressort, 1.' express ion, 1'essence. II est la vie meme." 3

Que l'on ne se trompe pas sur ce bonheur. II n'est pas le

1 La Possession du Monde. 185.

2 Ouvrage cite, 25.

3 Ouvrage cite. 27. - 25 - plaisir ou le bien-etre, ni la jouissance ou la voluptS.^ En effet, toute la these de La Possession du Monde est de fsire comprendre cette distinction. La possession du monde n'est pas la possession des richesses materielles. On peut, selon Duhamel, posseder de cette maniere toute la terre et rester bien pauvre. Car n'est-ce pas justement la volonte de possession mat6rielle qui, par l'artifice dialectique de rendre l'idee de progres synonyme du d£veloppement des sciences pragmatiques, est la veritable cause des miseres humaines, crises economiques, guerres, etc.? Non, pour Georges Duhamel, le veritable bonheur n'est affaire que de l'ame; car cet "agnostique respectueux et attentif",2 hien qu'il ne puisse trouver dans le coeur la certitude de 1'immortalit6 de l'Sme, reconnaft . volontiers son existence. "Mais que mon Sme soit, toute pensee en temoigne. et cette vie m&ne, et cette inexplicable vie que voilaI" 6 II s'efforce de donner au progres sa juste definition, qui est "1'acheminement de l'humanite vers le bonheur."4 Au contraire de la possession mat6rielle, qui est l'origine de la haine et de la souffranco, la veritable richesse se trouve dans la possession du monde par la sympathie, par la

1 La Possession du Monde, 36. 2 Les Confessions sans Penitence, 123. 3 La Possession du Monde. 37. 4 Ouvrage cite, 237. - 26 - connaissance et par 1'amour. D'autres peuvent croire possdder le bonheur dans lfaccumulation des biens; Duhamel trouve le sien dans la contemplation d'un arrete-boeuf,1 d'une touffe de violettes,2 d'une pierre,3 ou dans une promenade a travers la propriete d'autrui.4 Sebastien, au paradis, a propos de la vision de Dieu, tient avec son ange la conversa• tion suivante.

'" : Oui, murmura Sebastien reVeur, j'alma is tant, durant cette vie premiere, a me promener, au mois de juillet, dans une grande plaine couverte de bie, ou me reposer sous une tonnelle de pampres. Rien ne me semblait plus doux et plus beaux. " Ne comprenais-tu pas, alors, chere Sme, que tu voyais Dieu? " Les champs de ble? ... L'ombre de la vigne? ... ces merveilles si simples? " Ah I fit en riant Siloe, ingratl A quo! done songes-tu, cher innocent? As-tu done oublie le pain et le vin?" 5 On paurrait bien voir ici une philosophie de mystique, mais n'est-il pas plutot une philosophie de pantheists, pantheiste sans Dieu, bien entendu, dont il s'agit? Duhamel n'est pas croyant, mais il n'en est pas moins vrai que son oeuvre entiere enseigne les grandes lecons du Christianisme,

1 La Possession du Monde, 34. 2 Ouvrage cite, 119. 3 Ouvrage cite, 120. 4 Ouvrage cite, 124. 5 Souvenirs de la Vie du Paradis, 21. - 27 - celles do la sensibility et de la charity. La possession du monde comprend ygalement la possession d'autrui. A cet ancien oompagnon de l'Abbaye de Cr^tueil, il reste de 1'influence de l'unanimisme un grand respect de la personne humaine, qu'il estime selon une echelle indSpendante des valeurs materielles. II a mis 1'accent sur le c8ty humanitaire de la philosophie unanimiste. II se livre au monde de tout son coeur, il sent qu'il fait partiede la fraternity humaine, de telle sorte qu'il finit meme par s'y identifier, Laurent Pasquier, a bien des egards, a ete concu a 1'image de son createur. Salavin est beaucoup plus qu'un personnage de roman, c'est tout un aspect, quoique supprimy, de l'ame de Duhamel. "La mort seule du h^ros a pu, jadis, me delivrer de Salavin. Et est-ce bien une delivrance? Celui que j'ai entendu nommer si justement 'notre frere interieur* vit encore dans mon ombre, il fait parfois encore devier l'une de mes pens^es, l'un de mes gestes."1

Oui, peut-Stre a cause de 1'intensity meme de leur vie, beaucoup d'hommes sont morts en Duhamel. Mais malgr^ ce sentiment d'union avec l'humanite, cet echappe de 1'unanlmisme n'est pas seauit par les philosophies collectivistes. C'est l'individu seul qui m^rite son

1 Chronique des Saisons Ameres, 61 2 Temoin par exemple la mort par suicide des trois adolescents dans la Chronique des Pasquier. Duhamel dit a ce propos: "Meme dans un monde gueri par miracle de presque toutes les folies, la condition humaine resterait un probleme bien propre a desoler les ames neuves." Inventaire de l'Abtme, 45. - 28 - attention. A toute demonstration que le collectivisme est la doctrine de l'avenir, Duhamel oppose sa conviction que l'individu est plus digne de sa preoccupation que la collectivite, sa certitude de biologiste que l'individu est plus e"volue que le groupe. II reve d'une collectivite universelle, mais ou tous les hommes seraient unis par la tendresse. Ce philosophe sans Dieu sent le besoin d'une valeur absolue. Cette valeur, il croit la trouver en ce qu'on a appele son dolorisme.^ "Duhamel a de plus en plus attache d'importance a la sensibilite. a la douleur, a la misere, a l'enthousiasme des hommes"2...... "ce qu'il y a de plus durable dans son oeuvre, ce sens profond de la douleur,_qui est, il me semble, 1'essence m£me de son genie." A Ses heros ne connaissent de stable, d'assure, que leur douleur. C'est la douleur qui revele la qualite de l'ame. Duhamel arrive a en faire meme la valeur supreme du monde spirituel, car, selon lui, c'est la douleur qui, loin d'en etre le contraire, apprete au bonheur. "II est des douleurs qu'on ne peut pas, qu'on ne doit pas fuir .... Elles nous preparent a la joie et nous en rendent dignes."

1 Jean Ehrhard, Le Roman Frano/als depuis Marcel Proust. 86. 2 Loc. cit. 3 Jean Fiolle, Georges Duhamel. 216. 4 La Possession du Monde, 174. - 29 -

La douleur aussi est une facon de connaltre, de poss^der.

La douleur est la loi terrestre, mesure de toute chose.

Duhamel contemple la douleur des hommes, et son amour fraternel, sa pitie lui donnent une merveilleuse connaissance de ces ames mi ses a nu.

Ainsi Duhamel croit que toute douleur, meme la douleur physique, exerce une action salutaire sur l'ame. II est a regretter qu'il ne sache distinguer entre ce que Max

Brod appelle 'edles Ungluck' et ce qu'il appelle 'enedles

Ungltlck'.^ Brod ytablit Tine distinction minutieuse entre ce qu'il home la noble et 1'ignoble souffranee. La souffranco ignoble ressort des conditions sociales malsaines et a pour cause la stupidity ou la corruption humaines. La pauvrety,

1*ignorance, l'esclavage, la guerre en sont des exemples. La souffranee que ces maux apportent a l'humanite est degradante, humiliante, et corrompt l'ame de l'homme. II est du devoir de l'homme de l'abolir. Mais meme lorsque toute souffranee sociale sera bannie de la terre, il restera toujours cette noble souffranee, cette souffranee metaphysique qui results du contrasts entre etat imparfait de l'homme et son desir ardent pour la perfection morale.2

1 Max Brod, Heidentum, Christentum, Judentum, 28.

2 Cette distinction dtablie par Brod, Victor Hugo l'avait deja signalee en 1862, lorsqu'il ecrivit: "La quantite de fatality qui dypend de l'homme s'appelle Misere et peut Stre abolie; la quantity de fatality qui dypend de l'inconnu s 'appelLe Douleur et doit etre contempiye et sondye avec tremblement." Victor Hugo, Roman, iv, 554. Voir 1'oeuvre de David Owen Evans, Le Socialisme Romantique, 185. - 30 - Mais comment peut-on parler de la dignite humaine lorsque des millions d'etres vivent dans la misere? Comme nous d£montre Max Brod, c'est la souffranee ignoble elle-meme qui nous empe*che d'atteindre la souff ranee noble. "Edles Ungluck ist Ungluck in Reinheit. WiderwSrtige Eigenschaft des unedlen Unglucks: dass es Reinheit stSrt. Nicht weil unedles Ungluck unser Gltlck aufhebt (nur unedles kBnnte so aufgehoben werden), sondern weil es uns hindert, unser edles Ungluck in aller Reinheit, in letzter Konzentration zu erleben, weil es uns von diesem einzig wesentlichen Erlebnis (von der Konfrontation mit dem Unendlichen) geschfiftig abhaTt, ttlckisch ablenkt: deshalb muss das unedle Ungluck bekflmpft werden." 1 La douleur a part, il n'y a pas de mesure, selon Georges Duhamel, pour ce qui est humain. Toutes les lois de la societe" sont arbitraires, puisqu'il n'y a pas de commune mesure. Duhamel s'indigne des assurances sur la vie, parce qu»elles veulent mettre un tarif monetaire sur les choses de la vie, sur la douleur et sur la mort.2 La Vie des Martyrs et Civilisation 1914-1917 sont une protestation fervente contre la guerre, puisqu'aucun benefice pour la patrie ne paye la souffranee et la mort des humbles. Duhamel meprise 1'intelligence parce qu'elle pretend imposer un prix materiel a la vie, il redoute 1'intelligence parce qu'elle pretend equivaloir les valeurs spirituelles aux valeurs materielles. 1*intelligence lui etant suspecte, il fait appel au rlgne du coeur.3 Craignant 1'intelligence pure comme

1 Max Brod, Heidentum, Christentum. Judentum. 33. 2 Scenes de la Vie Future. 190-200. 3 La Possession du Monde. 269. - 31 - creatrice de la civilisation mattSrielle, il reclame une autre civilisation fondee sur la sympathie et 1'amour. II voudrait remplacer la civilisation scientifique par une civilisation morale. "Trahis par cette intelligence savante dont les oeuvres formidables ont parfois le visage meme de la betise,.nous aspirons au regne du coeur, tous nos desirs vont vers une civilisation morale, seule capable de nous exalter, de nous assouvir, de nous proteger, d'assurer 1'Spanouisse- ment reel de notre espece."1 La formation de Duhamel fut avant tout soientifique, mais malgre 1'entralnement medical du savant, ce fut l'ame du poete qui triompha. A cet egard il convient de noter que, exception faite d'une breve p^riode au dt§but de la deuxieme guerre mondiale,2 il abandonna la m£decine des la fin de la premiere guerre afin de se consacrer entierement a la litterature. Cette action ne fut pas un deni, mais tout simplement un renoncement. Heme m£decin de guerre, Georges Duhamel sut toujours se mettre en garde contre 1'endurcisse- ment du coeur par la froide intelligence. Si la raison voulut qu'il rests/t insensible aux mouvements de pitie, Duhamel exigea que sa sensibilite" restSt plus vive.3 Le m£decin veilla aux pansements des blesses, mais le poete contempla leurs ames. Lui-me*me avoue:

1 La Possession du Monde. 273. 2 Voir Lieu d'AsIle. 3 Temoin ses ecrits de guerre. - 32 - "Pendant les nuits interminables (de la guerre) j'ai compris beaucoup de choses. It d'abord que la sympathie est, a l'origine, un penchant physique, une exigence du corps, une vertu animale. Qu'on ne s'y trompe pas: c'est la toute sa grandeur, sa force feconde, sa pure beauty. 1

Rien de moins intellectuel que cette philosophie du coeur. En effet, il reproche a la philosophie stolcienne son manque voulu de sensibility. Une telle impassibility lui semble plus proche du triste dysespoir que de la vraie sagesse. "Les ressources de la philosophie sont misere, dynuement, si le coeur ne lesvpeut oindre, sanctifier, et investIr de son autority supreme"."2

Or, le regne du coeur suppose la superiority de la sensibility sur 1'intelligence. Georges Duhamel se myfie de 1'intelligence qui a une fonction pragmatique d'exploitation matfrielle, qui fabrique les machines dans les usines, qui calcule les chiffres dans les banques, qui, par ses instru• ments de torture, crye la souffranee et la guerre. Non, il sait, d'accord avec Henri Bergson, que le coeur comprend mieux les secrets de la vie et les mouvements de l'Sme.

"En profyrant sa sentence rigoureuse, en affirmant que 1'intelligence est caractyrisye par une incompryhension totale de la vie, Bergson a sans nul doute visy cette forme d'intelligence inflexible, obstinye, aveugle, sourde, obstinement calculatrice, que je suis bien obligy d'appeler 1'intelligence allemande" ....

1 Paroles de Mydecin, 226. S La Possession du Monde, 184. 3 Le Temps de la Recherche, 92. - 53 -

Mais lorsque Duhamel affirme que pour reagir sainement aux problemes de la vie, c'est le coeur qu'il faut ecouter, il n'entend nullement par la le coeur selon Jean-

Jaeques Rousseau. En fait, il avoue que de lire les

Confessions lui rend le mot de coeur suspect. 11 se refuse nettement a la philosophie du coeur de Rousseau, l'estimant une philosophie antiintellectualiste. . . . "le coeur selon Jean-Jacques me deconcerte et me degoute."1 Duhamel, bien qu'il croie qu'il y a danger a ecouter la seule voix de

1'intelligence, est convaincu qu'il y a danger egalement a ecouter la seule voix du coeur. Mais il croit que le danger est plus grand du c8te de 1'intelligence que du cSte du coeur. Le coeur, selon Duhamel, n'est pas le siege de la sentimentalite banale, refuge de oeux qui refusent de regarder la verite en face. C'est un coeur qui admire 1*- intelligence, mais qui ne s'en laisse pas dompter, et qui trouve de la satisfaction a accepter ses limitations.

"Quand nous employons le mot coeur, nous entendons, comme le dit justement Littre, 1*ensemble des vertus affectives et des sentiments moraux, par opposition aux facultes intellectuelles considerees comme les attributs de 1'esprit. La definition est difficile et rests aventureuse."2

Duhamel opine que, a cSte de la connaissance rationnelle, 11 existe une autre forme de connaissance, celle-ci intuitive.

1 Les Confessions sans Penitence, 17.

2 Ouvrage cite, 15. - 34 - . . • "il est juste . . . et meme rationnel que la raison reconnaisse la possibilite et me*me l'existence de

1'irrationnel." 1 Intre 1'esprit completement endormi et les operations de la raison raisonnante, il y a de la place pour toutes sortes de mouvements emotifs que l'on appelle, faute de definition precise, des pensees. Duhamel donne un exemple frappant de cet £tat d'esprit. "L'homme qui marche dans la rue, poursuivi par des songeries qui semblent avoir un sens, mais dont

il n'est pas le mattre, cet homme ne pense pas:p il est mu par des etats d'ame .... il est pense." d Georges Duhamel, lui-meme savant aussi bien que po&te, trouve qu'il est juste que la raison soit appliquee aux recherches des ph^nomenes objectifs et mecaniques de la nature. II croit a la necessite de dompter et de controler la nature, de la diriger vers des fins choisies. Mais il reproche a des blologistes parmi ses contemporains d'avoir voulu faire de la biologie une science mathematique. Qu'on puisse arriver a soustraire la science de la vie a des regies prescrites est une id£e capable de l'effrayer. Mais, apr&s mQre reflexion, il ne semble pas trop s'en inquieter. • . • "il existera toujours, dans les comportements de la matiere vivanto, une reserve d'inconnu, une reserve irreductible qui sollicitera done eternellement les esprits delicats."3

1 Les Confessions sans Penitence. 160. 2 Ouvrage cite. 101. 3 Biographie de mes FantSmes. 180. - 35 -

Duhamel analyse dans Les Mattres les effets de cet esprit pour lequel tout se reduit a des lois mathematiques.

Rohner, le rationalists, est depeint comme un homme-machine, entierement denue de passion, sauf celle de la science, l'auteur nous le rend antipathique en decrivant la brutalite* dont il fait montre a l'autopsie d'une assistants morte en solgnant une maladie contagieuse que le biologiste etudie.

A ce monstre Duhamel oppose Chalgrin, autre biologiste, mais celui-ci humaniste meditatif, capable d'emotions d£sinteress£es, et dont 1'esprit laisse une place a l'inconnu.

A 1'oeuvre de cette connaissance rationnelle des savants, qui est en train de bouleverser le monde, qui menace bien de le faire sauter incessamment, il faut opposer une morale du coeur, car c'est le coeur seul qui comprend tout ce qu'il y a de profond, d'imperissable dans la vie. II faut dire que, en abandonnant aux savants le soin d'approfondir les problemes redoutables de la malheureuse vie contemporaine, il se trouve sur un terrain assez mal defini en ne s'adressant qu'aui quelques hommes de bonne volonte capables de poss^der avec lui le monde splrituel.

Mais sans doute s'est-il ravise sous la pression des experiences recentes, et depuis La Possession du Monde sa tendance est de rendre sa philosophie du coeur de plus en plus mllitante, et de reclamer de plus en plus vivement sa place dans la pensde des dirigeants de la destinee humaine. - 36 -

Done, l'homme vertueux, d'apres Duhamel, c'est l'homme de coeur et non l'homme de tete. Faut-il avouer que nous trouvons quelque chose de factice dans cette distinction plutSt obscure entre les roles respect ifs du coeur et de la tete? Est-ce vraiment dans les sentiments qui dmanent du coeur que l'on trouvera le remede universel centre les exees de 1'intelligence triomphante? Temoin son attitude envers J.-J. Rousseau, M. Duhamel n'avouerait-il pas que les deboires du coeur peuvent e*tre aussi dangereux que l'ivresse de 1'intelligence? Nous sommes plutSt d'accord avec J. Middleton Murry que la mesure parmi les hommes de coeur est une vertu aussi rare que parmi les hommes de tete.

"Can he really have persuaded himself that the disaster of humanity was caused by the human intellect? Does he not know that pure minds are as rare as pure hearts, and that they are not seldom found together? The truth is that the reign of the mind would be as strong a safeguard for humanity as the reign of the heart."

Quoi qu'il en soit de nos convictions personnelles, il est indiscutable que toute activite intellectuelle, meme la plus pure, est d'origine Emotive. Mais si la raison fournit a l'homme les techniques de 1'action, tout le mouvement de la societe moderne temoigne de ce que la raison ne choisit pas les fins vers lesquelles conduit 1'action.

C'est ici ou doit intervenir le coeur, qui est le veritable

1 J". Middleton Murry, "Realism or Idealism?" The Athenaeum, le 21 novembre, 1919, 1238. - 37 - siege de la sagesse. Gar c'est le coeur qui, selon

Duhamel, donne le sens de la justice. Voila la vraie signification de ce qu'il appelle le regne du coeur.

Cette morale qui, au premier abord, semble assez pessimiste, est en re"alite* la seule capable de mener les hommes a faire de grandes actions, c'est-a-dire des actions valables. Salavin, en butte a tous les mecanismes de la vie moderne ligues contre lui, de*sireux de changer d'anie, reussit finalement a s'elever, par des actions d£sint£ress6es, au dessus de la m^diocrite, meme si ce n'est que momentane'ment, meme si ce n'est que pour sombrer imm£diatement apres dans l'oubli d'une mort obscure. La Chronique des

Pasquier ne raconte, essentiellement, que la suite d'echecs que subit le hgros, Laurent Pasquisr, qui, ainsi rendu plus

sage par 1'experience, n'en continue pas moins a lutter pour que triomphe la raison.1 Ces demonstrations Evidentes de sa philosophie mises a part, toute l'oeuvre de Duhamel se distingue par la sympathie, sa quality premiere. Elle est dominie par sa preoccupation constante de la souffrance humaine, par son amour de 1'humanity qu'il apprend a connaftre par la sympathie.

Mais Laurent Pasquier, s'il est vaincu momentane'ment par le d^sordre du monde,-essaie toujours de construire sa propre liberty, sa propre vertu. Abattu

1 C'est la la demonstration meme du dolorisme de Georges Duhamel. - 38 - temporairement par le desespoir, il recommence toujours a surmonter ses difficultes. Car si le desordre est la regie du monde, il y oppose la volonte de l'homme. C'est ce que

M. Simon appelle sa dialectique de la civilisation, Nature et Raison.

"C'est, je crois, une intuition fondamentale dans le systeme de pensee de Duhamel que le sentiment d'une opposition substantielle entre le monde de la nature et le monde de la raison. Une intuition que 1'experience du biologiste et celle du moraliste n'ont cesse d'approfondir et de justifier." 1

Partisan de 1'individualisme et de la liberty par opposition aux doctrines collectivistes, Duhamel ne croit pourtant pas a la liberte parfaite, a la liberte sans entraves, qui devrait, suivant certains esprits liberaux, faire s'epanouir la civilisation. Car il se rend compte que la nature est capricieuse et aveugle, que sa vie est celle du desordre et de la violenoe, et que ce n'est qu'ici et la que s'elevent, par chance, plusieurs especes hardies et

exceptionnelles. La loi de la nature est la loi du plus fort.

En expliquant comment il faut gouverner un jardin, Duhamel demontre que dans le jardin prive de jardinier, ce serait plusieurs especes brutales qui tueraient les autres. Le jardinier est oblige de protdger les especes plus dedicates.

"Tout, dans la vie d'un jardin, proclame 1'excellence du principe d'autorite. Et tout me d^montre aussitot que ce principe necessaire . . • ne saurait gouverner le monde. '

1 P.-H. Simon, Georges Duhamel, 152. - 39 -

Je plains le jardinier qui s*Imaginerait que l'on pent obtenir quoi que ce soit seulement par violence et contrainte .... Le bon jardinier exerce l'autorite, mais avec respeot et sollicitude. II corrige a tout instant le principe d'autorite par le principe de persuasion." 1

Cette loi, exprim£e ainsi en parabole, est la loi du medecin et du moraliste aussi bien que celle du jardinier. Pourquoi ne serait-elle pas egalement celle des gouvernants?

La philosophie de Georges Duhamel, humaniste, est celle de l'individu, tout comme la philosophie de la civilisa• tion industrielle est celle du collectivisme. Son amour de l'homme rSve d'une collectivity, mais d'une collectivity fraternelle, unie par 1'amour. T croit-il toujours avec la meme ferveur depuis La Possession du Monde, malgry les expyriences douloureuses du vieux monde depuis 1918?

"Je n'ai pas beaucoup changy, malgry de cruels revers: j'dprouve toujours le desir ingynu d'un concert universel dont le noeud serait dans mon coeur. Oui, je forme toujours les memes voeux, au moins dans mon premier elan. Mais je sals aussi, maintenant, temporiser et renoncer." 2

Le regne du coeur. il y croit toujours, parfois avec moins de chaleur, mais toujours avec le meme espoir.

1 Fables de mon Jardin. 36-37.

2 Biographie de mes FantSmes. 206. CHAPITRE IV.

LA CRISE DE LA CIVILISATIOM; LA VIE FUTURE

"La crise qui secoue le monde n'est pas une crise dconomique ou sociale. C'est une crise de la civilisation" • . . • 1

Depuis que Georges Duhamel a formule" sa morale du coeur, il a eu maintes occasions de confronter son ideal de civilisation sentimentale avec les civilisations diverses du monde, surtout avec les deux grandes experiences actuelles, la russe et 1'am^ricaine. Ses opinions au sujet du bolchevisme, telles qu'elles etaient lors de sa visite en

Russie au moment de la N. E. P., au d£but de 1*expansion economique des Soviets, se trouvent exprimees dans son

Voyage de Moscou.

A vrai dire, les reactions dont il fait montre alors sont assez anodines. Ce qu'il a vu ne sernble pas trop lui avoir deplu. S'il ne sympathise pas avec le l^ninisme, du mo ins ne lui fait-il pas d'objection directe.

1 "Aux lecteurs du Mercure de France," Mercure de France, cclxxiii, le ler Janvier, 1937. Cette id6e appartient indiscutablement a Valery qui, en 1919, affirma qu'il y a divorce complet entre la crise Economique et la crise intellectuelle europeennes: these qu'il voulut prouver en ddmontrant que, malgre son inferiority geographique et economique, 1'Europe a su garder sa predominance jusqu'a present par la superiority de sa culture. Variety. 15. Ce Que Duhamel appelle "la crise de la civilisation", Jean-Paul Sartre 1'appelle "la crise des lettres". II l'attribue a la volonty des classes dirigeantes d'obliger l'ycrivain, sans qu'il s'en doute, k crier une culture de luxe, de peur qu'il ne s'en aille soutenir les revendications ryvolutionnaires. Situations 11. 12. - 41 -

II admire l'avidite d'apprendre des dirigeants auxquels on le pr^sente, et en meme temps il loue la discretion qu'ils manifestent de ne pas essayer de le convertir a la foi marxiste. . . . "ils se sont montres plus soucieux de connaltre mon sentiment que de me faire partager le leur."1

II est iriteressant de comparer la reaction de

Gide qui, en revanche, reproche a ses hotes sovietiques un certain complexe de superiority,2 en affirmant que les

Russes sont convaincus qu'ils n'ont plus rien a apprendre de 1'Stranger. Cette contradiction s'explique sans doute par l'ecart de neuf ans entre leurs visites respectIves, et d'ailleurs Gide, du fait qu'il est alle a Moscou en converti enthousiaste, a subi une deception d'autant plus amere.

Mais Duhamel, s'il n'est pas alle en Russie en ennemi du regime, n'etait pas convaincu non plus. . Bien qu'il ait fait un effort intelligent de comprendre les reformes sociales et meme morales du nouveau regime, le liberal d'Occident s'effraie de la sujetion de la pensee a une seule philosophie, a un seul dogme d'etat. II. s'indigne devant les methodes pedagogiques et politiques en comparant

1'endoctrinement des £coles sovietiques a celui des anciennes ecoles religieuses de France. La censure des

1 Le voyage de Moscou, 11.

2 Andre Gide, Retour de L'U. R. S. S.. 53.

3 Le Voyage de Moscou, 80-81. - 42 - oeuvres de l'esprit egalement n'est pas faite pour lui plaire.1 En Russie, Duhamel avait r6agi en philosophe aux prises avec une contradiction.

"Duhamel termine son ouvrage sur une conclusion optimiste de ton et desesp£rante pour l'esprit: il incline a un fatalisme historique qui accepte les evolutions et meme les revolutions parce qu'elles ne sont bien jugees que longtemps apr&s, et que d'ailleurs les critiques, les haines, les repugnances ne les attardent pas une minute. Voila tou^ours chez l'auteur de La Possession du Monde la meme fac,on . . . d*aimer l'humanite en la plaignant."2

En effet, le livre entier est un curieux melange d'admiration pour les musees et les theStres d'etat, de sympathie benevole pour l'activite des savants, en m§me temps que d'antipathie pour le regime qui rend de telles conditions possibles.

Le ton du livre est foncierement pessimiste. Eut-il peur de se tromper sur les apparences? Peut-etre. De toute faqon son anticommunisme va aller grandissant a mesure que les annees s'ecoulent, de sorte qu'en 1936 il peut dire:

"On montre au voyageur, en Russie, des usines. modules, des bureaux de poste modeles, des hospices modeles .... Tout cela ne pese pas lourd dans mon jugement .... Avec 1'argent d'un peuple opprime, les gouvernements tyranniques peuvent toujours s'offrir l'apparence et nous procurer 1'illusion de la culture, du raffinement, de l'ordre. Je ne suis pas dupe." 3

1 Le Voyage de Moscou. 85.

2 Andre Therive, "Le Voyage de Moscou par Georges Duhamel." Nouvelle Revue Frangaise. xxix. 1927, 826.

3 "Indices de Civilisation," Mercure de France, cclxxii, le 15 decembre, 1936, 455. - 43 -

D'ailleurs, pour Duhamel, ce ne sont pas les signes exterieurs qui font preuve de la civilisation veritable.

La veritable civilisation est caracteris^e par la presence du bonheur. Bonheur, c'est un mot que Duhamel, en contemplant la detresse materielle qui pise sur tous les pays, n'ose evidemment prononcer. A cet egard son attitude envers le communisme se rapproche de son attitude

envers l'univers. Elle est essentiellement pessimists, puisque sa melancolie devant les apparences l'emporte toujours sur son optimisme sur le fond. Mais du moins croit-il que, du moment ou le peuple peut penser, ou il peut dire et ecrire qu'il n'est pas content, tout n'est pas perdu, et que, dans ces conditions, la liberty pourra

se racheter."'"

II est bien evident que Duhamel n'accepte pas

1'argument, argument qu'il estime un sophisms, que le

choix est entre le communisme et le fascisms.2 II ne peut croire que les Franqais, descendants spirituals de

Descartes, soient incapables de choisir une solution raisonnable qui se trouverait entre les dictatures de

1 "Indices de Civilisation," Meroure de France, cclxxii, le 15 decembre, 1936, 456.

2 Sartre non plus n'accepte pas ce choix. "Si vraiment les deux termes de 1'alternative sont la bourgeoisie et le P.C, alors le choix est impossible." Situations 11. 288. - 44 - droite et de gauche.1 Contre les enrages de revolution et de contre-revolution il opte pour les forces qu'il estime celles de l'ordre, de cet ordre dont il a besoin pour travailler. Mais deja en 1939, la guerre contre l'Allemagne hitierienne a peine commencee, il se met a s'inquieter de ce que les forces de la moderation ne soient pas capables de fairs face au fanatisme de leurs ennemis, et il reclame plus d'energie dans la defense des valeurs qui lui sont cheres.

"Dans une epoque abandonee, ssmble-t-il, aux furieux et aux malades, le mot de sagesse et le mot de moderation paraissent non seulement faibles mais encore voues a la defaite. II n'en sera plus ainsi dans l'avenir si les Francais sont resolus a se montrer des passionnes de la sagesse et des extremistes de la moderation." 2

Ayant atteint l'Sge de la sagesse, Duhamel en est arrive a croire que 1'experience russe est un phenomene purement asiatique. II dispose de la philosophie marxiste

en la traitant d' • • • "enormes traites doctrinaires que personne au monde ne songe serieusement a life."3 La discipline collectiviste sied assez bien a l'ame slave, car le Slave, parait-il, prend plus de plaisir a se livrer a des emotions unanimes que le latin, tandis que le Francais est trop individualists pour se rendre a de telles contraintes.

1 Positions Francaises. 96-97.

2 Ouvrage cite. 97-98. Ne voit-on pas ici une idee annonciatrice de la Troisieme Force?

3 Scenes de la Vie Future. 241. . - 45 -

"Les Franc,ais n'ont pas encore compris que la Russie, c'est l'Asie • . . • le resultat le plus clair de 1'experience sovietique, apr^s vingt-deux ans d'effort, c'est d'avoir fait apparaitre une tristesse vraiment nouvelle, et que 1'humanity, sans doute, n'a pas fini de savourer." 1

Bien entendu, cet individualists convaincu ne croit pas a la liberty totale, qui est absurde, mais il est de l'avis que tout individu a le droit de se faire sa propre discipline, c'est-a-dire, celle qui lui plaise, et non pas celle qui lui soit imposye par une tyrannie quelconque.

In 1943, en se declarant un "individualists discipliny", il pryeise cette idye en dymontrant que

1'individualisme est la doctrine des vertus humaines qui s'oppose a celles des animaux grygaires, et il finit par dyclarer sa foi en la fycondity de cette croyance en opposition a celle de la force. Aprys la Libyration, il ryitere: "Les faits de dysintyressement, qui sont par bonheur fryquents dans la vie des individus, sont exceptionnels dans la vie des collectivitys."3

Salavin, introduit dans le petit groupe des ryvolutionnaires du Club des Lyonnais, veut se dyvouer a une vie d'hyrolsme et de sacrifice. Mais a mesure qu'il entre en contact avec les membres du parti communists, tout son individualisme, et cet individualisme est aussi celui

1 Scenes de la Vie Future. 163.

2 Biographie de mes Fantomes. 55.

3 Civilisation Franeaise. 32. - 46 - de son auteur, se rebelle. Car Salavin veut changer d'ame, et il ne voit pas l'utilite de changer la society si l'on ne change pas l'individu. Georges Duhamel semble incapable d'apprecier a sa juste valeur 1'action reciproque de la societe sur l'individu, de l'individu sur la society. A part l'enthousiasme que Salavin ressent de faire partie de la solidarity revolutionnaire^ enthousiasme d'ailleurs vite yteint, tout son effort s'use dans la volonte de se changer lui-meme. Toute:.1'action de Salavin est dirig£e vers lui-meme; le milieu l'indiffere. "Ce n'est pas la le grand emportement enflamme et ebloui des passionnes du ciel ou d'une idye ou d'une cause .... On eh veut ... (a Salavin) de n'etre pas capable de discerner certaines grandes yvidences sociales qui sont a la base de tous les •perfectionnements' et qui sont claires comme le jour. Mais il y a par dessus le pauvre bougre central, 1'auteur, le deus ex machina qui agite cette loque." 1 Les dyfauts sociaux de Salavin ne sont certes pas partagys par Duhamel, mais il est bien yvident que les lacunes de la pensye morale de Salavin sont celles de son auteur. Mais si Duhamel s'inquiete devant la philosophie collectiviste du parti communists francais tel que Salavin 1'a connu, et qu'il s'effraie devant la reduction a 1'uniformity imposes par les besoins dogmatiques de l*ytat en U. R. S. S., il trouve cette meme sujetion encore plus dangereuse aux Etats-Unis. Plus dangereuse, parce que la

1 Henri Barbusse, "Journal de Salavin par Georges Duhamel," Humanite. le 30 janvier, 1927. - 47 - majority de la population americaine ne se rend meme pas compte de cette pression. Tandis que 1*experience russe

est purement ideologique, politique, celle des Etats-Unis

s'appelle "faqon de vivre", touche a la morale, aux

sciences, aux religions du pays entier. La philosophic

d'etat en Russie remplit des bibliotheques de tomes massifs,

celle de l'Amerique pourrait sTexprimer par une douzaine

de preceptes.1

"Vertu supreme pour les 'verites nouvelles', la methods americaine enchante les Stres simples et ravit les enfants. Tous les enfants que je connais raisonnent en Americains des qu'il s'agit de 1'argent, du plaisir, de la gloire, de la puissance et du travail."2

Duhamel trouve cette derhiere dictature de l'esprit encore plus terrible que la dictature sovietique.

Bien que la dictature politique soit odieuse, l'homme

nourrit toujours dans son coeur la rebellion, et la violence meme des servitudes politiques, selon M. Duhamel, finit par

provoquer l'emeute. L'homme supports mal la tyrannie

nationale ou etrangere* mais ce qui tourmente Georges

Duhamel, c'est qu'il s'habitue assez bien a cette autre

dictature americaine, celle de "la fausse. civilisation".

En soulignant 1'aspect foncierement spirituel de cette tyrannie, Duhamel remarque pourtant la tendance croissante

1 Scenes de la Vie Future. S40.

2 Ouvrage cite. 242.

3 Ouvrage cite. 68-69. - 48 - aux Etats-Unis de livrer aux legislateurs la responsabilite de veiller sur les problemes moraux de l'individu, problemes que jusqu'a present l'homme a dtfbattus avec lui-meme, dans la solitude. Et il condamne ce penchant du gouvernement

am£ricain a outrepasser ses droits.1

Cette civilisation est fausss parce qu'elle est partag£e entre le machinisme, qui rend la vie des gens un travail d'automates, et des divertissements qui ont pour objet d'endormir l'esprit, de droguer la conscience, de plonger les gens dans la torpeur. Oar c'est l'Amdrique qui de toutes les nations s'est rendue avec le plus d'abandon aux exces du machinisme, et le r£sultat logique de ce machinisme a 6t6 de rendre les grandes masses anonymes des mecaniques ecervel£es.

La vie de ces masses ressemble de facon etrange a celle des insectes.

. • . "ce qui frappe . . . c'est 1'acheminement des moeurs humaines vers ce que nous croyons comprendre des moeurs entomiques: meme effacement de l'individu, meme rarefaction et unification des typss sociaux, meme ordonnance du groupe en castes specialises, mSme soumission de tons aux sxigences obscures de ce que Maeterlinck nomme le g£nie de la ruche ou de la termitiere." 2

Et que pense Duhamel des membres de cette society

entomologique? Dans son degout devant les resultats

sociaux et moraux de cette civilisation industrielle, il en

1 Scenes de la Vie Future. 85. 2 Ouvrage cite. 224. - 49 -

arrive a decrire le jeune Americain comme . . . "sympathique,

illettre, resigne, anonyme, fabrique en serie, dans les

nuits 'standard', fabrique par une defaillance du malthusianisme national.nl

Duhamel prend comme exeraple du divertissement

americain . . . "cette machine terrible, compliquee

d'eblouissements, de luxe, de musique, de voix humaines,

cette machine d'abetissement et de dissolution"2 . . . . le

cinema. Or, le cinema n'a rien a voir avec la culture, car

selon Duhamel, le film ne se prete pas a la reflexion, et

pour lui, la reflexion, c'est la culture veritable.3 Le

culte americain du confort, egalement, lui deplalt. II le

designe un confort purement tactile, . . . "le confort des

fesses." 4 Deja en 1917 il avait remarque cette preoccupation

des peuples anglo-americains de corrompre l'idee primitive du

bien-etre en l'identifiant avec le luxe confortable, et il y

avait porte le jugement que c'etait . . . "une facon de

donner un aspect moral a la jouissance, de transiger

honnetement avec les corruptions de 1'argent."5 C'est le

confort de la civilisation industrielle. Mais le confort de

1 Scenes de la Vie Future, 56.

2 Ouvrage cite, 59.

3 Defense des Lettres, 31.

4 Scenes de la Vie Future, 51.

5 La Possession du Monde, 289. -59- la civilisation spirituelle de Duhamel se trouve ailleurs,

• . . "le luxe supreme, c'est la solitude."1 Le r£sultat moral de cette civilisation machiniste, qui ne donne au peuple abasourdi que . . . "des plaisirs fugitifs, epidermiques, obtenus sans le moindre effort intellectuel,"2

• . . c'est de rendre ce peuple incapable de mener a bien une oeuvre intellectuelle quelconque; bref de le d£sindividualiser tout a fait.

"Des aujourd'hul, l'Amerique nous donne a mesurer ce que peut devenir 1'effacement de l'individu, l'abnegation, l'aneantissement de l'individu." 5

A quoi attribue-t-il 1'immaturity de cette nation, son incapacity de cryer des oeuvres valables, dignes du " respect d'un intellectuel europyen? Que manque-t-il a ce peuple? Lui-meme formule ainsi la ryponse a cette question troublante.

"De grands malheurs, sans doute, de grandes ypreuves. De ces aventures terribles qui murissent une nation, la reploient sur elle-meme, lui font chyrir ses trysors vEritables, prodiguer ses plus beaux fruits, dycouvrir son vrai chemin." 4

L'idye n'est pas neuve. Comme preuve, on peut comparer

1'opinion de Walter Rathenau, prononcye pendant la premiere guerre lors d'une ryunion en pays neutre avec Andry Gide.

1 Scenes de la Vie Future, 191.

2 Ouvrage city. 59.

3 Ouvrage city. 72.

4 Ouvrage city. 247. Ne voit-on pas ici la philosophic du dolorisme porty sur le plan international? - 51 -

"C'est pour n'avoir consenti ni a la souffrance., ni au peche que l'Amerique n'a pas encore d'ame.1-

Duhamel affirme que 1'Amerique du Nord ne comprend pas

1'importance des arts et des lettres et que, par consequent,. elle n'a pas inspire de peintres, de sculpteurs, de musiciens, que 1'architecture americaine^ quoiqu'elle existe, est une architecture industrielle et par consequent ne compte pas, et que, finalement, presque tous les poetes et ecrivains americains, pour trouver 1'inspiration, ont du fuir le sol natal.2 II critique le besoin americain de toujours faire plus grand, en rappelant que la vrajc grandeur no-o 'flgit pas de dimensions absolues, mais desproportions heureuses.

"L'Amerique s'est devouee a des oeuvres perissables. Elle eleve des batisses et non des monuments."3

Que dire pour repondre a de telles accusations?

Duhamel a voulu, dans les Scenes de la Vie Future, faire une experience de depaysement dans le temps, et il n'y a aucun doute qu'aux Etats-Unis il se soit trouve depayse. II regrette les douces moeurs, les paysages temp£res de la

France. Les villes que les Americains ont dress£es, il les trouve inhumaines. Meme le paysage americain lui deplatt, les lacs, les vallees, les rivieres, les forets, les prairies, il les trouve tous demesures. Tout est trop grand. De

1 Andre Gide, Dostolevski. 249.

2 Scenes de la Vie Future. 116.

3 Ouvrage cite. 110. - 52 - plus, il semble qu'il ait ete blesse* des la front iere,-1-

'et que, par consequent, il se soit decide une fois pour toutes que l'Amerique n'etait qu'un pays d'abattoirs, de cinemas, et d'automobiles. Certes il a des opinions pro- fondes sur 1'oeuvre du machinisme aux Etats-Unis, mais il est a regretter qu'il possede une si rare Incapacite de comprendre tout un peuple, et qu'il puisse decider avec une si grande facilite qu'etre Americain est synonyms d'etre automate, ignorant, et brute. C'est peut-etre que Georges

Duhamel ne s'interesse a l'Amerique que dans la mesure ou elle sert d'exemple de la mecanisation de la vie, ou elle represente l'avenir du monde.

... "le livre de M. Duhamel est exact dans la mesure ou la vie americaine s'identifie au concept d'americanisme; il ne l'est pas tout a fait dans la mesure ou la vie americaine est autre choss, ou elle n'est pas fidele a son essence, a son type ideal."

La conclusion de Duhamel, optimiste de ton, est assez pessimiste de fond. Alle aux Etats-Unis pour Jeter un coup d'oeil sur cette vie qui va etre celle du monde futur, qui sera celle de la France au fur et a mesure qu'elle s•industrialise, il ne trouve de solution que dans

1'esperance que le genie francais puisse toujours se

1 "Pour parvenir a mettre le pied sur cette terre paradisiaque, j'ai fait plus de demarches que n'en exige la Russie revolutionnaire et bureaucratique." Scenes de la Vie Future. 30.

2 Gabriel Brunet,"Georges Duhamel et la 'Civilisation' americaine," Mercure de France, ccxxv, le ler Janvier, 1931, 9. - 53 - dlefendre contre l'effet sterilisateur des nouvelles methodes

La critique de Gide, a notre avis, precise tres justement le cote faible de 1'ouvrage.

"Les Scenes de la Vie Future, que j'acheve, me laissent bien insatisfait .... Si 1'amerieanisms triomphe et si, plus tard, apres que 1'americanisme aura triomphe, on reprend ce livre, je crains qu'il ne paraisse pueril. Un individualisme sup£rieur doit souhaiter la standardisation de la masse. Ce qu'il faut d^plorer, c'est que l'Amerique s'arrete au premier palier. Mais s'arret e-t-elle? Grace a elle, l'humanite commence a entrevoir de nouveaux problemes, a evoluer sous un nouveau ciel. Ciel desastre? • . . Non; mais dont nous n'avons pas su decouvrir les etoiles."2

Duhamel s'est excuse ailleurs de la faiblesse de sa faculte critique, en disant, "Js suis impropre a la

critique et si, parfois, je vous parais capable d'humeur, excusez-moi: il y a plus de larmes que de fiel."3 Voile. pour le ton amer de sa critique. Quant aux nouveaux

problemes envisages par Gide, et que souleve la marche fatale de l'industrialisme, Duhamel se rend bien compte de leur serieux. Cependant, il ne croit pas avec Gide que le mouvement inentrave du phenomene puisse aboutir a sa propre

solution. "La foi scientifique n'apporte pas la paix aux

Americains; elle change leur tourment de place et de plan."

1 Scenes de la Vie Future. 248.

2 Andr6 Gide, Pages de Journal. 42-43.

3 Lettres au Patagon, 9.

4 Scenes de la Vie Future, 38. Ceci ecrit plus ds deux decades avant 1'invention de la bombe atomique! Etant donne sa philosophie d1individualists, son

ideal de la civilisation du coeur, il n'est que naturel

que Duhamel soit rebute par les progres de 1'industrialisme

aux Etats-Unis, par la tyrannie du gouvernement en U. R. S.

II ne semble pas pouvoir trouver de solution efficace, et desespere, il reporte son regard vers sa propre patrie.

Mais la non plus, ce qu'il voit n'est pas de nature a le rassurer. CHAPTTRE V

LA CRISE DE LA CIVILISATION: LE PHENOMENE PANIQJJE.

"L'etatisme . . . est un phenomene panique. II se developpe tout seul. II n'a besoin de theoriciens il n'en manque pas, mais il pourrait s'en passer ni d'avocats pour bouleverser et opprimer les soci£tes humaines." 1

Georges Duhamel a la vue assez lucide pour se rendre compte de l'etroite liaison qui existe entre le developpement de l'etatisme et celui de 1'Industrialisme en

France. II recommit que l'etatisme ressort de facon logique du machinisme; il estime que c'est la demarche meme de 1'Industrie, avec son travail en serie monotone, qui a affaibli 1'esprit des ouvriers, qui les a prepares a se livrer aux philosophies politiques de collectIvisme. II regrette que les ouvriers en general fassent montre d'un detachement complet a l'egard du metier qu'il leur faut pratiquer, et;cela'. aussi, il l'attribue au machinisme.

Bien entendu, il ne souscrit pas au communisme pour combattre les effets de l'etatisme, (l'etatisme est-il autre chose que le capitalisms d'etat?) parce que, au point de vue moral, les deux philosophies sont, a son avis, identiques.

MI1 est interessant d'observer que, pour resister aux passions dss collectivites, l'homme se trouve fatalement amene a la formation d'une contre-puissance

1 Paroles de Medecln. 54.

2 Ouvrage cite, 35.

3 Ouvrage cite. 51. - 56 -

egalement collective. Les organismes qui sont destines a lutter contre la pouss^e de l'etatisme risquent eux-memes de former, fatalement, un Etat dans l'Etat. Un Etat avec ses caracteres, ses penchants, ses pratiques." *

Jean-Paul Sartre est d'accord avec Duhamel sur ce point. Cette tyrannie du parti communiste, Sartre la designe un conservatisms, conservatisme qui empeche le parti d'etre reellement revolutionnaire. Ainsi il estime qu'il est impossible que l'ecrivain sincere puisse rester probe en servant des fins qui lui sont impost es du dehors", a moins de ne risquer de devenir un simple propagandiste.2

Quant a servir en revanche les interets de la bourgeoisie,

Sartre s'y refuse avec la meme obstination. Toutefois, il nous montre bien la futilite d'essayer de faire des experiences intellectuelles dans le but de changer la vie hors de 1'action revolutionnaire. Par consequent, etant donne le caractere purement cerebral du regne du coeur,

Sartre ne pourrait jamais entrevoir son triomphe comme regie de conduite de l'univers. Pourtant, ils voient, tous les deux, la necessite de prendre parti a propos des evenements politiques, et tous les deux, ils ne veulent pas le faire politiquement,4 c'est a dire qu'ils ne veulent servir aucun

1 Paroles de Medecin, 35.

2 Situations 11. 285-287.

3 Ouvrage cite. 220.

4 Ouvrage cite. 16. - 57 - parti.1

Mais si Duhamel peut demeler les rapports entre

1'industrialisme et l'6tatisme, il ne possede pas de clef qui lui permette d'entrevoir le ressort secret qui fait marcher cette society tenebreuse: il n'en remarque que

1'aspect panique. II lui semble que l'humanite

contemporaine soit emportee par un tourbillon confus sur

lequel slle n'a pas le moindre controle, et qui la precipite

vers une catastrophe contre laquelle il n'est point de salut.

Bien que Georges Duhamel croie que le mal social

provient du machinisme, il se defend contre 1'accusation

d'etre r£actionnaire. On pourrait s'imaginer, en lisant

certains de ses livres railleurs,3 qu'il propose un arret

du progres. Mais non, affirme-t-il, il ne s'agit pas de

s'opposer au machinisme. "Mon devoir est de juger la

sottiss et de m'opposer a ses empietements."4 II ne veut

pas de retour en arriere, mais semble, au contraire, vouloir

condamner la condition chaotique de 1'organisation

industrielle. En cela il se montre un bon progressiste,

acceptable a tout parti de reforme sociale. Mais il se

d^fie de 1'action brutalisante du machinisme sur les

1 "Ma position est demeuree une position humaine et j'ai toujours resists aux sollicitations des partis." Tribulations de l'Esp£rance. 43.

2 Paroles de Medecin. 46.

3 Par exemple, Q,uerelles de Famille. Scenes de la Vie Future.

4 Paroles de Medecin. 243. - 58 - sentiments humains. Le machinisme n'est pas seulement responsable du d^sordre et de la misere de la soci£te moderne, il est responsable aussi de 1•indifference qui en est le cachet. Cette indifference de l'homme contemporain, il la qualifie la machine qui est en moi, et il la d£finit ainsi:

"Je me d£fie d'abord de ma fa

C'est justement parce que la civilisation a perdu tout sens moral que l'on t£moigne de tels d^sordre que le chomage et la misere en meme temps que la destruction volontaire de nourriture.

Paradoxe Strange, bien qu'il semble entrevoir la necessity d'instituer un controle gouvernemental quelconque, toute forme existante d'Statisme lui est antipathique. II a cette affiance des fonctionnaires et des hommes d'etat qui est celle de sa nation. II trouve une disproportion enorme entre les talents des hommes politiques (il faut reconnaftre qu'il en a connu beaucoup) et les pouvoirs dont ils disposent. II est pessimiste; il voudrait bien voir une amelioration de la condition des masses laborieuses, mais il

1 Paroles de Medecin. 209.

2 Lhventaire de l'Abime, 148. - 59 - ne croit pas a la capacity des homines d'etat de l'accomplir.

II reconnalt que les soci£tes humaines oherchent consciemment une formule de vie qui leur donne plus de justice et plus de bomheur, mais cette tentative est sans chance de reussite.

"Avec une perseverance emouvante, sous des chefs enivr^s qui ne sont jamais des saints, qui sont presque toujours des fous, les peuples, a tatons, font, dans la peine et dans l'angoisse, l'epreuve de ce que l'on pourrait appeler les doctrines sociales de protection." 1

Quelle critique precise oppose-t-il a l'etatisme?

D'abord, citons la definition de l'etatisme que lui-meme propose.

• . • "l'etatisme est une doctrine ou theorie qui, pour 1'organisation de la societe, pour la reforme des institutions, pour la gestion temporelle et spirituelle du monde, donne a l'Etat tous les pouvoirs, tous les devoirs et tous les droits dont l'individu se trouve, consequemment, exonere ou dessaisi." 2

Or, le pauvre public, avide de reformes, harasse par toutes les necessites economiques, accueille les reformes etatistes sans compter le danger que ces reformes portent a leurs droits les plus naturels. Dans la bureaucratie le libre choix n'existe plus.3 Pensant sans doute a la recente croissance etourdissante du nombre des fonctionnaires en

France, il souligne les ennuis que cree une bureaucratie inerte, et il prevoit que la paperasserie continuera a devenir

1 Le Temps de la Recherche. 23.

2: Paroles de Medecin. 9.

3 Ouvrage cite. 28. - 60 - de plus en plus compliquee, . • . "difficilement intelligible meme aux hommes de culture moyenne."^ Au lieu de resoudre les problemes de la societe, l'etatisme y en ajoute de nouveaux encore plus douloureux. Car ce ne sont pas des series de decrets-lois qui rendront les hommes plus heureux; l'individu seul est capable de trouver son propre salut. Les reformes sociales ne sont que deception pour les multitudes, et c'est cela qui desespere Duhamel. II entend bien que le voeu de proteger les travailleurs contre les abus de pouvoir des employeurs se justifie en stricte dialectique. Mais les ouvriers, naguere si pleins ds bonne volonte, seduits par les promesses eblouissantes de leurs dirigeants, sont devenus p

"des declasses, des inclassables", qui ont pris de nouveaux gouts que l'on ne peut assouvir! Bref ces pauvres proietaires aspirent a la vie bourgeoise! Duhamel ne volt d'autre aboutissement a ce manque d'equilibre social que le desastre. "II est etonnant de penser que ces essais vers un peu plus de justice aient Concorde, tout au moins dans le vieux monde, avec d'extravagantes tentatives de retour a 1'esclavage."

Se peut-il que Duhamel ne saehe distinguer entre les societes fascistes et les societes socialistes, dont

1 Paroles de Medeoin, 30.

2 Le Temps de la Recherche, 154.

3 Ouvrage cite, 155. - 61 - certes, a certains egards, les promesses d'amelioration

sociale et meme les formes administratives se ressemblent?

Quoi qu'il en solt, il n'en reste pas moins que Duhamel est

incapable de fournir une solution valable, mais se perd dans de vagues regrets du passe. II se souvient de sa jeunesse obscure a la fin du siecle passe et s'^crie: . . . "comme il faisait bon etre malheureux en ce temps-la."^" II s'avoue franchement mal a son aise de vivre dans les remous de la revolution sociale actuelle.2 On trouve maints exemples de son conservatisme fondamental: nous nous contenterons de n'en citer qu'un.

"Je souhalte qu'emportee par son desir de changement, par ce desir que les malheurs du temps nous rendent si legitimes, la society dans laquelle je vis soit assez sags pour conserver ce que les siecles ont jug£, et qui merite done de vivre."3

On finit par se demander si, malgre ses bonnes intentions evidentes, Georges Duhamel ressent tine veritable sympathie pour les masses laborieuses comme telles. Certes sa comprehension des problemes qui les assaillent est moins que profonde. Homme eminemment sensible, il possede une grande connaissance de l'individu. Mais ne reproche-t-il pas au machinisme son action communisante sur les travailleurs? Comprend-il l'ouvrier? Qu'il nous soit

1 Inventaire de l'Abtme, 97.

2 Loc. cit.

3 Le Temps de la Recherche, 25. - 62 -

permis,d^ea.douter. On sait deja l'avis d'Henri Barbusse,

qui 1'accuse de rester "assez rebelle au realisme demesure

de la multitude" ."^ Ses hSros de roman appartiennent, non

au proletariat, mais a la petite bourgeoisie. Quelle que

soit leur condition materielle, ils sont capables, grSce a

une education superieure, grace a leur milieu social meme,

de rester assez individualistes. En cela les heros

ressemblent a leur auteur; pour cela l'auteur peut

sympathiser avec eux. Car, a peu d'exceptions pres, c'est

de la classe bourgeoise que ressort 1'elite intellectuelle,

et Duhamel croit a la necessite de conserver cette elite.

"L'aristocratie de l'esprit, du savoir, et du coeur existe.

Elle est la seule a mon regard." 2

Mais le grand public represente pour lui une masse

illettree, dont les divertissement principaux sont la radio

et le cinema, divertissements que, nous l'avons deja indique,

il considere des instruments d'abetissement. II ne croit

pas a la possibilite de fonder une culture veritable a l'aide

dl'appareils visuels et auditoires. La vraie culture se base sur la lecture, car la lecture se prete a la reflexion.

Le cinema exlge surtout 1'attention continue de l'assistant

et ainsi l'empe'che de refiechir. II est etonnant que

Duhamel, qui a bien ete dramaturge avant d'etre romancier,

1 Henri Barbusse, "Journal de Salavin par Georges Duhamel^" Humanite, le 30 Janvier, 1927.

2 Defense des Lettres. 46. - 63 - puisse oublier que le meme reproche peut se porter au theatre. Bien entendu, une piece de theatre se prete a la lecture, mais au fond elle existe, elle est £erite pour se jouer. Le suoces de la piece de theatre, tout comme celui du film, depend de son action, et ne doit pas arreter

1'attention du spectateur par des subtilit£s trop recherchEes.

Duhamel convient que le cinema donne parfois des oeuvres de valeur,1 mais il n'en reste pas moins convaincu, semble-t-il, qu'il est un moyen de propager une culture inferieure et gr£gaire et qu'il prepare le chemin au triomphe des philosophies totalitaires.

Done, lorsqu'il s'agit de l'£tatisme, Georges

Duhamel 1'envisage vis-a-vis de la classe moyenne, la classe des professions liberales, la classe a laquelle lui-meme appartient. Or, les professions liberales sont aux prises avec de grandes difficulty de vie, et par consequent ne sont pas a meme de register a la poussee de l'etatisme.

Ing^nieurs, professeurs, medecins, avocats, leur sort, selon Duhamel, n'est 1'affaire que de peu de temps. II ne seront bientot plus que des pions d'une administration toute-puissante. Cet avilissement.n'est rien d'autre que la d£ch£ance des Elites ds la nation.3

1 Defense des Lettres, 30.

2 Dans l'Inventaire de l'Abime il appelle le cinema "un Instrument de conformisme", 176

3 Paroles de MEdeoin. 57. - 64 -

II n'est pas a nous surprendre que ce soit le sort de sa propre profession qui retienne avant tout 1'attention

de Duhamel. II s'etonne de trouver meme dans la profession m^dicale des partisans de l'etatisme, d'aucuns par conviction politique, d'autres par gout de la security. Mais cette voie amenera la medecine a la condition d'une science pure,

impersonnelle, s'occupant uniquement de l'homme-collectivite,

au lieu d'avoir pour mission d'assister l'homme dans ses

douleurs, dans ses tourments individuels. La medecine ne peut s'occuper de la naissance, de la vie, et de la mort de l'homme qu'a la condition de pouvoir agir librement.1

• . • "la vie est dominee par des lois que l'homme n'a pas faites et qu'il ne comprend pas toujours. A defaut de les comprendre et de les formuler, il pourrait du moins les sentir et leur temoigner un obseur respect." 2

La medecine n'est affaire qu'entre le medecin et le malade,

et les contraintes du fonctionnarisme ne pourrait que gacher

1'atmosphere de sympathie necessaire a la guerison.

"La medecine eontraint l'homme a regarder l'homme, a le -regarder de pres, a le toucher, a explorer les replis, les cavites, et les blessures de son corps infirme et c'est ainsi qu'elle entretient dans le monde miserable le necessaire miracle de la sympathie redemptrice." 3

Quant au sort de son autre metier, devant les

entraves du collectivisme, Duhamel se montre plus optimiste.

1 Paroles de Medecin, 40.

2 "Les lois du Monde Futur," Mercure de France, cclxvi, le 15 fevrier, 1936, 237. 3 Paroles de Medecin, 63. - 65 -

II est content que les efforts de syndiquer les Ecrivains aient remporte peu de succes. La cause de l'art s'eleve au dessus des besoins doctrinaires de l'etat.1 La rEpublique des lettres ne saurait se laisser gouverner par un organisme syndical. Au contraire, les lettres se prostitueraient en se soumettant a des buts doctrinaires, car pour ce faire, il faudrait contraindre tout ecrivain 2 a servir le meme intEret politique. Les interets des

Ecrivains ne sont Evidemment pas communs, mais nEanmoins, dans la libertE, ils peuvent servir le seul intEret qu'ils aient tous, intEret tout splrituel, celui de la gloire de l'art. Et avec une Evidente satisfaction, Georges Duhamel proclame: "nous sommes les derniers individualistes du monde. REsistons dans notre tranchEe." 3

1 DEfense des Lettres, 169.

2 Loc. cit.

3 Ouvrage citE. 173. CHAPITRE VI

LE ROLE DE L'ELITE.

"Une civilisation ne vit, ne travaille et ne r£siste que par ses elites." 1

A mesure que le collectivisme se fait plus lourdement sentir, Duhamel mene une lutte infatigable en favour de la liberte individuelle. Contre le machinisme et le socialisme, il affirme la superiority de sa philosophie de l'individu. Car, dit-il, 1'oeuvre des groupes dans l'histoire du monde est inhumaine et barbare, tandis que l'oeuvre de l'individu reste la seule constructive, civilisa- trice .... "le travail intellectuel veritable, je l'ai souvent dit, m'apparalt assez peu compatible avec l'activite des groupes."1 Le resultat final de l'etatisme qu'il a tant apprehende, il croit deja pouvoir le deceler pendant l'occupa-

tion allemande, lorsque, en 1943, il ecrit: "La moitie du monde, bientSt, jouera pour 1'autre moitie, le role de garde-

chiourme."3 Aucune philosophie politique ne peut expliquer, a son avis, le developpement des le debut du siecle du phenomene etatiste. II s'etonne de noter que toutes les factions politiques, tout en se combattant entre elles, collaborent neanmoins au triomphe de l'etatisme.4

1 Consultation aux Pays d1Islam, 16.

2 Paroles de Medecin, 48. 3 Biographie de mes FantSmes, 68. 4 Paroles de Medecin, 36. - 67 -

M. P.-H. Simon a raison de croire que Duhamel est moralists mais non philosophe.1 Duhamel semble incapable de concevoir des rapports avec 1'humanitE autres que personnels. Le destin de l'homme l'interesse; non pas le destin de la foule. Voila, nous paraft-il, la raison de son conservatisme politique. En plus, il veut se mettre a

l'abri des interventions de l'Etat; il veut continuer a

cultiver le jardin qu'il dEcrit dans ses fables charmantes.

Duhamel salt qu'il est un membre privilEgiE d'une society qui accorde a une certaine Elite les conditions nEcessaires a l'entretient de son humanisme, de sa culture. Citant le passage du Discours sur 1'origins et les fondements de

1'inEgalite parmi les hommes ou Rousseau declare que le

premier a enclore un terrain a c.ommis un vol contre la

communautE, et que les fruits de la terre sont a tous, la terre a personne; .Duhamel s'Eerie, incredule: "HElas,

pauvre Jean-Jacques, les fruits sont, sous peine d'injustice

et de dEsordre, a ceux qui les ont fait pousser" . . . ,2

La prEtention de l'Etat dans les sociEtEs

collectivistes de remplacer la famille l'Epouvante. La

famille est, a son avis, le groupement ElEmentaire de la

sociEtE, et comme tel, mErite au contraire d'etre soutenue

par l'Etat. "II n'appartlent pas aux lEgislateurs de dEcider

1 Pierre-Henri Simon, Georges Duhamel, 170.

2 Confessions sans PEnitence, 30. - 68 - soudainement que les femmes, l'an prochain, cesseront de porter mamelles.m1 L'auteur de Les Plalsirs et les Jeux, bien qu'il ait souffert lui-meme de la famille, cbante les satisfactions de la vie familiale. L'entreprise de soutenir une famille est difficile, mais, avoue-t-il, c'est cette difficulte meme qui l'a seduit.2 II est evident que

1'attitude de Gide envers la famille lui est incomprehensible.

"J'ai r6fl6chi, dans la suite des jours, au fameux cri de Gide: 'Families, je vous haisl' Que Gide me permette de le dire, c'est le cri d'un enfant contrarie, d'un enfant gate, et non d'un observateur responsable."3

C'est, selon Duhamel, les moeurs de la society bourgeoise qui

empecheraient la dissolution de la famille, dissolution qui adviendrait sous une dictature collectiviste.

II convient de signaler que Louis Aragon, en

revanche, declare que le communisme en Russie protege les 4

families et surtout les enfants. Lui croit, au contraire,

voir dans le cri de Gide la decadence de la famille bourgeoise;

1 Le Temps de la Recherche, 26.

2 Ouvrage cite, 78.

3 Loc. cit.

4 Louis Aragon, L'Homme Communists, 31.

5 Jean-Paul Sartre, en soulignant 1'aspect litteraire de cette decadence de Gide, 1'appelle "la litterature comme Negation absolue". Situations 11, 174.

"Son acte gratuit, qu'est-il, sinon 1'aboutissement ; d'un siecle de comedie bourgeoise et l'imperatif de 1'auteur-gentilhomme." Ouvrage cite, 173. - 69 -

Aragon demontre que, en plaidant la famille comme principe die la conservation sociale, sous la devise Travail. Famille,

Patrie, c'est la bourgeoisie franchise qui a dEmembrE la famille en livrant des millions de Franijais au travail force" en Allemagne, en pourvoyant les fours erematoires des camps de concentration nazis.l

"Qui a interet a rejeter ainsi sur la famille, quelle qu'elle soit, les vices et les malheurs des hommes, si ce ne sont ceux-la qui craignent que nous voyions ou vEritablement se trouve le defaut de construction d'une societe de laquelle ils ne veulent pas que nous sortions. 'Families, je vous hais!' disent-ils. Ils n'ont fait la critique que de la famille bourgeoise." 2

Chose curieuse, le earactere areligieux du marxisme rEpugne Egalement a Duhamel. Quoique lui-meme

agnostique, il croit que le culte contribue a la stability sociale. C'est, a son avis, la politique halssable qui, depuis un demi-siecle, a remplace la religion dans l'esprit du peuple.

"Les hommes ne sauraient se passer de religion. II leur faut quelque raison de s'assembler et de communier. La plupart des pauvres gens, des qu'ils sont prives de la foi, du surnaturel et aussi du cer&nonlal indispensable, se jettent dans la politique. 3

Ainsi, c'est en dEfenseur de la civilisation spirituelle que Duhamel se prEsente, civilisation menacee de nos jours par les problemes de reorganisation sociale.

1 Louis Aragon, L'Homme Communiste, 32.

2 Ouvrage cite, 29.

3 Biographie de mes Fantomes, 191. - 70 -

C'est une position fort louable en un temps ou la grande affaire paralt etre 1'organisation sur le plan materiel, mais il est a regretter pourtant que Duhamel tende a nier ces problemes, qu'il n'ait pas essaye plutot d'integrer cette civilisation culturelle au machinisme et au socialisme qu'il deplore, mais qui sont n£anmbins des faits historiques.

C'est en critique de la civilisation plutot qu'en innovateur de systemes philosophiques ou politiques que

Georges Duhamel semble croire le mieux servir l'humanite. ^

Cela explique pourquoi, tenu d'abord pour un ecrivain de gauche, 2 Duhamel, a cause de son antipathie pour

1'industrialiame et l'etatisme, bref pour le collectivisme, a perdu l'estime des milieux revolutionnaires au fur et a 3 mesure qu'il a gagne un public bourgeois considerable.

Nul doute que Duhamel n'envisage de relations avec la societe que vis-a-vis de lui-meme. II ne peut penser globalement: toute son oeuvre d^montre sa preoccupation des destinies individuelles. Comme dit M. Simon, "En fait, quand Duhamel

1 Paroles de Medecin, 245.

2 Luc Durtain nous dit qu'en 1928 Duhamel etait un des auteurs francais les plus lus en Russie. Ses ouvrages a ce moment-la ne comptaient deja pas moins de dix-sept editions en russe. L'Autre Europe, Moscou et sa foi, 145-146.

3 Simon nous raconte qu'en captivite, dans un camp ou les instituteurs formaient le quart de 1'effectIf, et ou les trois autres quarts etaient plus specifiquement bourgeois, II a constate que Duhamel etait a peu pres le seul auteur contemporain universellement sympathique. Georges Duhamel, 23. - 71 - dit 'l'individu', il pense: le sage; ou bien il se pense lui-meme, homme de bonne volontE et de prEcieuse culture," 1. . • .

Mais si Duhamel n'a pas ErigE de systeme de

pensee politique, il a prononcE assez d'opinions pour laisser entrevoir une Weltanschauung assez rudimentaire, mais qui

convient a son conservatisme moral. II croit a une hiErarchie des races, en ce sens il est raciste. Bien

entendu II ne croit pas au racisms pour subjuguer des

cultures inferieures ni pour justifier 1!imperialisms economique, * mais il pense tout de meme qu'il existe des

differences d'Evolution culturelle entre les groupes

ethniques, meme si ce n'est que par accident gEographique.

"L'humanite se divise aujourd'hui, grossierement, en deux groupes. D'un cotE les peuples que l'on dit barbares - - - ce qui est souvent vrai - - - parce qu'ils sont incapables de tirer parti des mEthodes scientifiques et de bEnEficier directement du machinisme moderne. De 1'autre cotE, les peuples qui sont favorisEs par cette civilisation que l'on pourrait dire baconienne, puisqu'elle se repose sur les applications de la mEthode inductive." 4

1 Pierre-Henri Simon, Georges Duhamel, 158.

2 Pour tan bei exposE de la tolErance et meme de la tendresse de Georges Duhamel, voir Le Combat contre les Ombres, 272-273.

3 Pour une opinion moins gEnEreuse de la tolErance de Duhamel, voir Andrew Roth, "French Tactics in Indo• china," The Nation, le 28 fEvrier, 1948, 237.

4 "Indices de Civilisation," Mercure de France, cclxxii, le 15 dEcembre, 1936, 453. - 72 -

Cette idee est reprise tout au long de la

Consultation aux Pays dTIslam, ou Duhamel ne peut ou ne veut voir que 1'effort magnifique de 1'administration, de

1'instruction, de la mEdecine franchises de porter amelioration a la condition des indigenes coloniaux, et ou il se montre assez severe envers les mouvements nationalistes qui rEclament actuellement 1'independence. II taxe les indigenes d•ingratitude a l'egard des bienfaits que la

France leur apporte, mais semble incapable, encore une fois, de discerner les vEritables ressorts historiques et economiques de ce desir, somme toute naturel, de liberte.

A cet egard, Duhamel est decevant: comme dit M. Patrl,

• . . "on sent trop souvent la reaction du Frantjais blesse dans son amour propre national"1. ...

En ce qui concerne la metropole, toute l'histoire de la lutte des classes des 1830, Duhamel 1'ignore, ou, du moins, ne semble pas l'apprecier a sa juste valeur. Certes,

il laisse parfois entrevoir des moments d'une lucidite deconcertante sur 1'action nefaste de la bourgeoisie, lorsque, par exemple, it fait prononcer a Joseph, le capitalists, les paroles suivantes:

"(Les pariementaires) me font rire .... Ils auraient une idEe plus juste de la marche des evEnements s'ils venaient, chaque jour, passer une petite heure a la Bourse. C'est la, et la seulement ou se fait la- veritable politique." 2

1 A. Patri, "Consultation aux Pays d'Islam1 par Georges Duhamel," Paru, mars, 1948, 78. 2 La Nuit de la Saint Jean, 137. - 73 -

Pourtant, sa predilection va vers la bourgeoisie en tant

qu'elle est la classe la plus cultivee, celle de 1'elite;

parce que, a son avis, la bourgeoisie se tient au dessus

des masses populaires, non pas pour les opprimer, mais pour

leur servir de guide. II est Evident qu'il ne pense pas a

la bourgeoisie des banquiers et des industrial!stes, mais a

celle des intellectuels et des savants. Parlant de cette

elite, Duhamel precise:

"Si l'on d^signe par ce mot, et de maniere assez vague, au milieu d'une society donn^e, les sujets de premier choix, je crois expedient . . . d'exclure de ce choix, de maniere gdnerale, les financiers, les trafiquants, et meme les hommes de guerre."1

Ainsi, en etablissant la distinction entre ceux qui

consacrent leur vie a 1'accumulation des richesses et ceux

qui travaillent a l'avancement de la culture, Duhamel se

rend compte que la classe bourgeoise n'est pas une classe

sociale homogene. II voit egalement que la bourgeoisie

d'argent est a son declin, mais qu'importe! il faut quand

meme defendre la classe bourgeoise en entier, parce que sa

chute entrafnerait inevitablement l'Slite intellectuelle;

ce qui serait "une injustice et un malheur".

"Une injustice, parce que cette elite . . .n'a point demerite de ses traditions parce qu'elle n'a pas d^serte* ses devoirs, parce que le trouble social actuel la trouve a son poste ou elle s'efforce de maintenir l'ordre et l'activite vitale. Un malheur,

1 Consultation aux Pays d'Islam, 18.

2 "Les Deux Bourgeoisies," Marianne, le 23 mars, 1938. - 74 -

parce qu'un grand pays ne peut vivre sans une elite Intellectuelle qui gere la maison, distribue les taches, soigne les malades, eduque les enfants, construit les routes et les maisons, organise les bibliotheques, enfin entretient la flamme dans le temple de 1'intelligence ."i

Cette conception du role patriarcal de 1'elite prouve que d'accuser Duhamel d'etre reactionnaire serait, dans un sens, injuste. II ne croit pas de son devoir de s'occuper de l'action de la bourgeoisie financiere, il coneoit son role a lui, comme a toute l'eiite intellectuelle, d'instruire les multitudes. Sa fonction sociale ainsi concue, il reste ce que nous avons deja montre, et comme l'affirme Michel Ragon, un ecrivain du peuple.

Malgre les differences irreconciliables entre le proletariat collectivism et la bourgeoisie industrielle et financiere, il reste toujours de la place, sslon Duhamel, pour l'action individuelle dans la societe. Car les classes sociales ne sont pas hermetiques, et c'est le peuple qui, depuis plus d'un siecle, pourvoit la France d'hommes d'eiite. Ce recrutement est aide par la selection soigneuse pratiquee par 1'instruction publique.3 Georges

Duhamel lui-meme est un exemple de ce phenomene, et sans doute ses efforts inlassables pendant sa jeunesse

1 "Les Deux Bourgeoisies," Marianne, le 23 mars, 193a

2 Consultation aux Pays d'Islam, 17.

3 Loc. cit. - 75 - di 'amEliorer son sort expliquent jusqu'a un certain point pourquoi il se prEoccupe davantage de l'individu que de la society. Mais ce voeu meme d'Eviter la condition desesperante des multitudes explique Egalement son dEsir de rygEnErer, de perfectionner l'Etat social.

"Parce que je me suis moi-meme, dans ma vie individuelle, dEgagE de 1'ombre et tout doucement hissE vers des regions plus claires, je regarde avec passion, avec sollicitude, avec angoisse parfois, ce chemineraent opiniatre et toujours recommencE vers une existence moins douloureuse, mieux ordonnEe, mieux EclairEe, plus Equitable."!

Duhamel, internetionaliste convaincu, n'a pas perdu courage, malgrE les expEriences sanglantes qu'a subies tout rEcomment 1'Europe malheureuse. Aujourd'hui comme naguere, il ressent le besoin d'instituer en Europe un conseil international de la civilisation, qui gererait

1'activite des savants, des lEgislateurs et des moralistes, de maniere a mettre de l'ordre dans le dEsEquilibre p tumultueux ou se trouve actuellement le monde.

En ce qui regarde 1'organisation politique de

1'Europe, Duhamel se montre Egalement internationaliste.

II croit que la libertE est le plus souhaitable des biens, pour les nations tout comme pour les individus, mais il comprend la nEcessitE ou se trouve cheque pays de renoncer

1 Le Temps de la Recherche, 24.

2 Paroles de MEdecin, 47.

3 Consultation aux Pays d'Islam, 29. - 76 - a une eertaine partie de son autonomie pour le bien general.

Duhamel est de 1'opinion meme que la notion de souverainete nationale n'est qu'illusion et qu'elle est responsable en outre du sang que l'on a vu couler a flots depuis le debut du vingtieme siecle.1 II est malheureux que l'Allemagne hitlerienne ait corrompu et souille cette belle idee de

1'Europe, meme de facon temporaire, car il n'en faudra pas moins revenir a cette conception politique pour que revive

1'ancien monde.

"Les mots d'Europe et d'European ont encore, aux oreilles francaises, une sonority facheuse et qui met 1'esprit en defiance. II nous faudra, quand meme, et nonobstant cet intermede horrible, reprendre cette Idee de 1'Europe, la purifier, la fortifier, si nous li'avons pas 1'intent ion de resigner notre genie originel." 2

Contre la conception de la souverainete nationale, Duhamel

oppose l'idde d'une union europeenne. II est de l'avis,

d'accord avec pas mal de ses contemporains, que le salut de

1'Europe a l'avenir se trouvera dans la cooperation

administrative et economique, et que cette voie amenera a

une ere de paix et de bonheur.

"A vrai dire, le brusque et devorant triomphe de la civilisation occidentale pourrait, s'il n'etait pas interrompu par de grands desastres, aboutir a une sorte d'unification, par-dessus meme les problemes de climat." 3

1 Consultation aux Pays d'Islam, 31.

2 Ouvrage cite, 12.

3 Civilisation Francaise, 9. - 77 -

Ainsi se reVele la pensee sociale de Georges Duhamel.

L'avenir de la civilisation est entre les mains de l'elite

intellectuelle. II faut done que cette Elite soit nantie

et soutenue dans ses tSches ardues, celle d'instruire et

d'Eclairer les multitudes, celle d'organiser et d'administrer

la soci£t£. Duhamel croit au progres de la civilisation,

mais il ne pense pas que le bouleversemerit de l'ordre social

soit la condition prealable de ce progres. II souhaite

ardemment 1'amelioration de la vie populaire, mais il se mEfie des solutions trop faciles qui ne s'occupe que du cote materiel du probllme. II rests surtout incredule devant

les philosophies collectivistes qui pretendent guerir les

maux de la societe en subordonnant les droits de l'individu

a ceux de la communaute. "Toute veritable revolution de

la vie collective, dans les temps qui vont venir, se devra

d'etre, avant tout, simplificatrice, a peine d'etre sterile."1

L'inquietude de cet humaniste a l'egard de la

destinee du peuple provient de sa philosophie du coeur, de

sa tendresse et de sa pitie humaines. Son attitude envers

1•human!te se distingue d'une part par son amour des humbles,

d'autre part par son respect de l'individu. Sexagenaire,

il fait toujours confiance a l'avenir de 1'humanity: si

parfois son intelligence semble incapable de saisir toutes

les facettes de Involution sociale, sa sensibilite n'en

1 Le Temps de la Recherche, 32. - 78 - reste pas moins merveilleusement accordee a la symphonie

des ames. Ce qu'il dit de Jaures s'applique tout aussi bien a lui-meme.

"Quand Jaures dit: l'humanite, il songe assur£ment a 1'ensemble souffrant des peuples, mais aussi, mil n'en peut douter, a la plus belle des vertus. 1

1 Le Temps de la Recherche, 123. CONCLUSION

"On ne s'evade point de son genie."1

Dans cette etude de Georges Duhamel, nous avons peu discute" ses romans: dans les jours que nous vivons, il nous semblait que 1'expose et 1'analyse de sa pensee sociale etaient la tSche primordiale. Avant d'aborder 1*ecrivain, il fallait connaitre 1'homme•

Sa pensee sociale, nous 1*avons montre, Duhamel l'a erigee en systems. Ce systeme, fait de pitie" et de tendresse, est, bien entendu, rien moins qu'abstrait. Sa philosophie, qu'est-elle, en effet, sinon une vast sympathie pour les hommes? Mais cette sympathie n'empeche ni l'ironie ni la colere. A la yerite*, sa tache a ete double; non

seulement celle de mieux comprendre l'homme, mais aussi celle de critiquer les oeuvres de la civilisation.

Afin de pouvoir plus librement critiquer la societe,

il n'accepte pas de responsabilites envers un parti politique quelconque, mais estime, plutot, que sa seule responsabilite

est envers son integrity d'ecrivain. Et sans doute, ainsi que le demontre Jean-Paul Sartre, le choix du metier d'ecrivain est deja un parti pris.

En effet, la conception de Duhamel de la liberte de

1'ecrivain se rapproche assez de celle de Sartre. Comme

1 Les Confessions sans Penitence, 53.

2 Voir p. 5.

3 Jean-Paul Sartre, Situations II, 125. - 80 -

Sartre, Duhamel comprend que la fonction de l'ycrivain est

de critiquer les injustices de la sociyte,1 et que le role de

la litterature, a moins de ne se voir tourner en propagande

ou en simple divertissement, est de juger librement la

society dans laquelle l'ycrivain vit.

Mais tandis que Sartre, tout en combattant et le i

communisme et le conservatisme, semble pencher au socialisms,'

Duhamel, mu par son antipathie pour l'etatisme, veut, tout en

la critiquant, sauvegarder la bourgeoisie. C'est que, au

contraire de Sartre, Duhamel reprEsente la bourgeoisie non

seulement en tant qu'eerivain, mais aussi en tant que savant

et que mEdecin. De plus, au lieu que Sartre considers le

role social impose" e. l'ecrivain comme celui d'un serviteur

abject, Duhamel ytablit une distinction entre la bourgeoisie

financiere et industrielle et l'Elite intellectuelle. Or,

1 Voir p. 2.

2 ... "l'ecrivain donne a la society une conscience malheureuse, de ce fait qu'il est en perpEtuel antagonisme avec les forces conservatrices qu'il tend a rompre." Jean-Paul Sartre, Situations II, 129.

3 Ouvrage city, 155.

4 "(La Bourgeoisie) ne congoit l'oeuvre littyraire comme une elation gratuite et desintyressee, mais comme un service payy." Ouvrage city. 156.

En ryality son analyse est moins simple. Sartre concjoit le role de l'ecrivain comme celui d'agent double. Tout en servant la classe dont il est parasitaire, il la mine par son influence dysequilibrante. Ouvrage city, 155. - 81 - a son avis, malgre les torts criminals de celle-la, celle-ci n'a pas fait defection a son role, role qui est de servir

et de guider l'humanite tout entiere.1 Ce serait par

consequent, injuste de lui imputer le seul mobile de vouloir,

en sauvant la bourgeoisie, se sauver lui-meme.

Ainsi la pens^e de Georges Duhamel se revele dans un perp^tuel contraste. Une connaissance superficielle de

ses oeuvres suggere une harmonie optimiste, onctueuse.

C'est cela sans doute qui a tant reconforte" ses amis bourgeois. Mais l'etude approfondie de ses livres nous

fait voir les perplexit^s intdrieures cachees par cet air bonhomme, et, en effet, cet yquilibre n'est qu'illusion.

A la verite, le g^nie de Duhamel est tout

complexity, tout contradiction. Par sa culture, par son

style, et il semble aimer le croire, il est classique: par

sa sensibility, par sa preoccupation constante du 'moi', il

est, quoi qu'il en dise, romantique.2

Nous avons montry que le libyral, chez Duhamel,

recouvre souvent le conservateur. Pourtant, M. Andry

Rousseau l'estime, et par son coeur et par son esprit, un des

hyritiers de la tradition de 1848, et cela parce que Duhamel

1 Voir p. 73.

2 "J'ai inventy beaucoup d'histoires, compose beaucoup de livres, et toujours non pour me cacher, non pour me dyrober; mais tout au contraire pour chercher a me connaitre, a me livrer, a me dycouvrir." "Le Temps de la Recherche, 84.

3 Andry Rousseau, Ames et Visages du XXe Siecle, 77. - 82 -

n'a jamais voulu separer les reformes sociales des reformes morales, parce qu'il subordonne les problemes immediats de

la vie a un vaste probleme gEnEral, celui de l'ordre de

l'univers.

Certes, cette idEe de remplacer le christianisme

par la religion de 1'humanity, ce voeu de construire la fraternity universelle, remontent a l'esprit de 1848. Cette

idye de 1'humanity est tout abstraction, tout sentiment:

elle rypudie la sociyte materielle. Voila ce que veut dire

M. Duhamel lorsqu'il dyclare que la civilisation est dans le

coeur des hommes. Mais l'esprit de 1848 s'eprit aussi du

progres scientifique; c'est par la science qu'il pretendit

controler et modifier les lois de la society. Or, a partir

des Scenes de la Vie Future, on remarque une modification

dans la pensye de Duhamel. Sa critique de la science, ou

de ce qu'il prEvoit comme l'avenir de la science, devient de

plus en plus acerbe. Savant aussi bien qu1 intellectuel,

il a toujours senti la contradiction entre le culte de la

science et le culte des idees, bien que, il faut l'avouer,

sa critique soit exacte dans la mesure ou elle veut preserver

la science de l'avilissement du machinisme. Malheureusement,

ne pouvant trouver de solution capable de rEconcilier sa

philosophie du coeur avec la philosophic materialists de

1'industrialisme, il s'est retranche sur les principes

classiques pulses dans les traditions culturelles du passe.

Le conservateur se contente, ou peu s'en faut, finalement, de cultiver son jardin. - 83 -

Ainsi il finit par prendre le contre-pied du socialisme universel. II enseigne la patience, la prudence,

1'acceptation, parfois 1*abnegation meme; tout cela parce

qujil a cru voir dans la marcbe insensee de 1'industrialisme tout ce qui est contraire a la destined de l'liomme. II n'y

a, a son avis, que la culture spirituelle qui puisse aider

1'homme a dominer la machine, au lieu que la machine le domine. Ce pendant son human!sme reste essentiellement

transcendent, s'occupant peu des considerations pragmatiques.

Cette Evolution intellectuelle explique pourquoi, plus

peut-etre qu'aucun de ses conteraporains, Duhamel est devenu

le d£positaire des traditions classiques de la France.

Toutes ces contradictions, nous les signalons

sans trop essayer de les resoudre. Ce serait une tache

aussi inutile qu'ingrate. Duhamel porte bien des

contradictions en lui, sans trop les demeler lui-meme.

Unchomme complexe; comme nous tous, ou a peu pres. BIBLIOGRAPHIE

OEUVRES DE GEORGES DUHAMEL.

POESIE.

Elegies, Paris, Mercure de France, 1920.

ROMANS ET CONTES.

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Vie et aventures de Salavin: Paris, Mercure de France.

Confession de Minuit, 1920.

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Journal de Salavin, 1927.

Le Club des Lvonnais, 1924.

Tel qu'en lui-meme, 1932.

Chronique des Pasquier: Paris, Mercure de France.

Le Notaire du Havre. 1933.

Le Jardin des Betes sauvages, 1934.

Vue de la Terre promise, 1934.

La Nuit de la Saint-Jean, 1935.

Le Desert de Bievres. 1937.

Les Mattres. 1937.

Cecils parmi nous, 1938.

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^ 1 Nous ne citons que les oeuyres^de Duhamel se trouvant actuellement a la bibliotheque de 1'University de la Colombie Britannique. - 85 -

RECITS, ESSAIS, CHRONIQUES. a) La Guerre 1914-1918:

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La Possession du Monde, Paris, Mercure de France, 1919. b) La critique du monde contemporain:

Le Voyage de Moscou. Paris, Mercure de France, 1927.

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Tribulations de l'Esperance, Paris, Mercure de France, 1947. c) La Guerre 1939-1940:

Positions francaises, Paris, Mercure de France, 1940.

Chronique des Saisons ameres, Paris, Hartmann, 1944.

Civilisation francaise. Paris, Hachette, 1944.

Lieu d'Asile. Paris, Mercure de France, 1945. d) Recits familiers:

Les Plaisirs et les Jeux. Paris, Mercure de France, 1922.

Fables de mon Jardin. Paris, Mercure de France, 1936. - 86 -

Memo ires:

Inventaire de l'Abfme, Paris, Hartmann, 1944.

Biographie de mes Fantomes, Paris, Hartmann, 1944.

Le Temps de la Recherche, Paris, Hartmann, 1947,

. CRITIQUE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE.

Ouvrages generaux:

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Defense des Lettres, Paris, Mercure de France, 1937

Les Confessions sans Penitence, Paris, Mercure de France, 1941.

Sur la poesie:

Les Poetes et la poesie. 1912-1913, Paris, Mercure die France, 1914.

Paul Claudel suivi de Propos critiques, Paris, Mercure de France, 1919.

Sur le roman:

Essai sur le Roman, Paris, Marcelle Lesage, 1925.

Sur la musique:

La Musique consolatrice, Monaco, Editions du Rocher

o - 87 -

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Bauer, Gerard, "Georges Duhamel a 1'Academic," Revue de Paris, iv, pp. 459-466, le 15 juillet 1936.

Brunet, Gabriel, "Georges Duhamel et la 'civilisation' americaine," Mercure de France, ccxxv, pp. 5-38, le ler Janvier 1931.

Carot, Jacques, "Le colloque de novembre," Paru, pp. 70-71, fevrier 1947.

Charpentier, John, "Georges Duhamel," Mercure de France, cc, pp. 106-109, le 15 mai 1930.

Collins, Joseph, "Georges Duhamel, Poet/ Pacifist and Physician," North American Review, ecxvi, pp. 789-803, decembre 19BW.

Cowley, Malcolm, "Duhamel, M.D.," Bookman (American), lvii, pp. 160-162, le 23 avril 1923.

Cremieux, Benjamin, "Le Club des Lyonnais par Georges Duhamel," Nouvelle Revue Francaise, xxxiii, pp. 830-834, 1929.

Duhamel, Georges, "Adieu a Henri Regnier," Mercure de France, cclxviii, pp. 449-453, le 15 juin 1936. *» "Alfred Vallette," Mercure de France, cclxiii, pp. 225-226, le ler octobre 1935.

"L'Alliance franqaise du livre," Mercure de France, cclxxv, pp. 5-8, le ler avril 1937.

"Anatole France gardien du langage," Revue de Paris, pp. 1-5, juin 1945.

1. Auteurs et articles en ordre alphabetique. - 90 -

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"Bestiaire familier," Mercure de France, pp. 387-405, le ler novembre 1948.

"Les Cabinets de lecture," Mercure de France, cclxviii, pp. 5-8, le 15 mai 1936.

"La Chambre de l'horloge," Revue Hebdomadaire, viii, pp. 373-39S, aout 1981,

"Dedicace," Mercure de France, cclxiv, p. 285, le 15 novembre 1935.

"Les deux bourgeoisies," Marianne, le 83 mars 1938.

"L'Ecrivain et l'£venement," Mercure de France, cxxxvi, pp. 577-599, le 15 decembre 1919.

"L'Esprit europeen," Nouvelles Litteraires, le 7 decembre 1935.

"Essais de collaboration," Mercure de France, cclxxx, pp. 885-228, le ler decembre 1937.

"Les Exces de l'etatisme et les responsabilites de la medecine," Revue des Deux Mondes, iii, pp. 277-299, le 15 mai 1934.

"Fables de ma maison," Revue des Deux Mondes. v, pp. 297-312, le 15 septembre 1935.

"Fables de ma vie," Mercure de France, cclxv, pp. 463-471, le ler fevrier 1936.

"L'Herbler," Revue de Paris, pp. 16-25, decembre 1948.

"Instruments de travail, et de culture," Mercure de France, cclxxix, pp. 449-452, le ler novembre 1937.

"Lettre," Nouvelle Revue Franeaise, xxiv, pp. 483-484, 1925.

"Les Lois du monde futur," Mercure de France, cclxvi, pp. 237-240, le ler mars..1936": Duhamel, Georges, "Le Message de Charles Nicolle," Revue de Paris, vi, pp. 5-39, le ler novembre 1935.

"Le Miracle," Revue Hebdomadaire, ii, pp. 259-269, mars 1923.

"Mon premier metier," Nouvelles Litteraires le 9 octobre 1937.

"Naissance d'une bibliotheque," Nouvelles Litteraires, le 23 novembre 1935.

"Nos Besoins de lecture," Mercure de France cclxvi, pp. 16-19, le 15 fevrier 1936.

"Nos Soeurs les petites revues," Mercure de France, cclxxx, pp. 449-452, le 15 decembre 1937.

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"Notes sur l'esprit encyclopedique," Mercure de France, cclxxiii, pp. 225-229, ie 15 Janvier 1937.

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"Passion de la mesure," Mercure de France, cclxiv, .pp. 5-7, le 15 novembre 1935.

"Pour un palais de l'esprit," Nouvelles Litteraires. le 6 avril 1935.

"Pour une renaissance du theatre," Mercure de France, cxxxvii, pp. 120-130, le ler Janvier 1920.

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"Questions medicales," Mercure de France, cclviii, pp. 146-148, le 15 fevrier 1935.

"Remarques sur les memoires imaginaires," Nouvelle Revue Franchise, xli, p. 382, p. 521, 1933.

"Le Sens de l'autorite," Mercure de France, cclxix, pp. 449-452, le ler aotit 1936.

"Sur la querelle du machinisme," Revue de Paris, ii, pp. 721-752, le 15 avril 1922. - 92 -

Duhamel, Georges, "Sur Raymond Lefebvre," Mercure de France, eliii, pp. 832-833, le ler fevrier 1922.

"Trente ans apres . . . ," Nouvelles Litteraires, le 20 fevrier 1937.

"Trois jeunes hommes," Revue Hebdomadaire, vi, pp. 453-456, juin 1921.

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Duhamel, Georges, "L'Ecrivain et l'^venement," cxxxvi, pp. 577-599, le 15 decembre 1919.

"Pour une renaissance du theatre," cxxxvii, pp. 121-130, le ler Janvier, 1920.

"Prague, avril 1921," cxlix, pp. 102-126, le ler juillet 1921.

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1 Auteurs class6s par ordre alphabetique. Articles consultes classes par ordre chronologique et sous les titres des periodiques ou ils ont ete puises. - 95 - Duhamel, Georges, "Questions medicales," cclviii, pp. 146-148, le 15 fevrier, 1935. "Alfred Vallette," cclxiii, pp. 225-226, le ler octobre 1935. "Passion de la mesure," cclxiv, pp. 5-7, le 15 novembre 1935. "D£dicace," cclxiv, p. 225, le 15 novembre, 1935. "Fables de ma vie," cclxv, pp. 463-471, le ler fevrier 1936. "Nos Besoins de lecture," cclxvi, pp. 16-19, le 15 fevrier 1936. "Les Lois du monde futur," cclxvi, pp. 237-240, le ler mars 1936. "Notes sur Charles Nicolle," cclxvii, pp. 5-8, le ler avril 1936. "Les Cabinets de lecture," cclxviiii pp. 5-8, le 15 mai 1936. "Adieu a Henri Regnier," cclxviii, pp. 449-453, le 15 juin 1936. "Le Sens de l'autorite," cclxix, pp. 449-452, le ler aout 1936. "Aux lecteurs du.Meroure de France." cclxxiii, pp. 5-9, le ler Janvier 1937. "Notes sur 1'esprit encyclop£dique," cclxxiii, pp. 225-229, le 15 Janvier 1937. "L'Alliance nationale du livre," cclxxv, pp. 5-8, le ler avril 1937. "Instruments de travail et de culture," cclxxix, pp. 449-452, le ler novembre 1937. "Voies de communication," cclxxx, pp. 5-8, le 15 novembre 1937. "Essais de collaboration," cclxxx, pp. 449-452, le ler";decembre 1937. Duhamel, Georges, "Nos soeurs les petites revues," cclxxx, pp. 449-452, le 15 decembre 1937.

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Duhamel, Georges, "Trois jeunes hommes," vi, pp. 453-456, juin 1921.

"La Chambre de l'horloge," viii, pp. 373-392, aout 1921.

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Mauriac, Francois, "La Confession de Minuit par Georges Duhamel," xii, pp. 351-352, decembre 1920.

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"L'Herbier," pp. 16-25, decembre 1948. - 99 -

TABLE DES MATTERES

I La Fonction sociale de l'ecrivain . . p»l

II Le DEsinteressement p. 12

III Le Regne du coeur p. 24

IV La Crise de la civilisation - La Vie Future p. 40

V La Crise de la civilisation - Le

PhEnomene panique p. 55

VI Le Role de l'elite p. 66

Conclusion p. 79