LES ORCHIDÉES DU PAYS MESSIN

par

M. WILFRID DELAFOSSE

Les journées d'été nous invitent à parcourir les bois et les coteaux ensoleillés de notre belle région messine. La nature est en pleine floraison. Nous sommes en juin ; c'est le mois des Orchidées. Profitons-en et gravissons les pentes de nos charmants coteaux qui dominent la rive gauche de la . Nous découvrirons ensemble les particularités de structure, les adaptations aux différents milieux, les caractères parfois étranges des Orchidées (les botanistes disent aussi les Orchidacées). Pour beaucoup de personnes, ce sont des plantes des pays chauds, des forêts tropicales; ce sont alors les espèces que l'ont peut admirer chez les fleuristes ou dans les serres chaudes de notre Jardin Botanique. Evidemment, chez nous, les Orchidées ne peuvent avoir toute la splendeur des espèces exotiques ou équatoriales. Il manque à ces « filles de l'air » les chauds rayons du soleil, mais si elles sont moins brillantes, nos espèces indigènes, malgré leur petitesse, n'en sont pas moins gracieuses et originales, avec leurs nombreuses variétés de formes et de couleurs. Sur les flancs de notre côte de Moselle, de préférence dans les endroits les moins fréquentés par les troupes d'enfants et les campeurs, vous découvrirez, à l'orée des bois ou dans une clairière, YOrchis tacheté. Il va me permettre de vous présenter la famille : Une tige droite, la hampe, porte des fleurs roses lilas, piquetées de points plus foncés, et disposées en un bel épi allongé. Le long de la tige s'étale une série de feuilles luisantes et lancéolées, glabres et simples à fines nervures parallèles. Dans le cas particulier, les feuilles sont maculées de brun. Avec les fleurs, elles font de cette Orchidée une espèce facile à identifier. 76 LES ORCHIDÉES DU PAJYS MESSIN

Regardons plus attentivement la fleur, qui caractérise l'Orchi­ dée. Chez la plupart des plantes, les deux enveloppes florales sont de couleur différente; le calice est vert et la corolle est de couleur variée. Dans le cas des Orchidées, il n'en est pas de même, car calice et corolle sont de même couleur. Les Orchidées ressemblent ainsi aux grandes familles qui ont donné les Lis, les Tulipes, les Narcisses, les Iris et les Glaïeuls — et, comme elles, leurs fleurs sont du type trois, c'est-à-dire qu'elles ont, comme dans un Lis, trois sépales et trois pétales. Le sépale médian et les deux pétales latéraux sont rapprochés à la partie supérieure et forment une sorte de casque. La partie inférieure de la fleur est alors formée par le pétale du milieu, plus développé, ou labelle, et les sépales de côté, qui simulent des ailes. Le labelle contribue par la richesse de son coloris et la variété de ses formes à rendre les Orchidées remarquables. Il facilite aussi la détermination des espèces et des genres. Chez l'Orchis, le labelle est découpé et présente un éperon, sorte de prolongement en tube renfermant un liquide sucré ou nectar dont les insectes sont très friands. Mais, ce qui vraiment est le plus caractéristique dans la fleur d'Orchidée ne peut être vu qu'après un examen attentif. Tout d'abord, elle ne contient qu'une étamine, située sous le casque. En réalité, il se forme au début trois étamines (toute la fleur est du type trois), mais deux d'entre elles avortent. Une seule parvient donc à son complet développement. A maturité, elle met en liberté non pas du pollen en poudre comme le font les étamines des autres fleurs, mais deux petites boules de grains de pollen agglomérés ou pollinies ; chacune a la forme d'une massue dont le « manche » se termine par une sorte de petit disque collant qui joue un rôle dans la pollinisation par les insectes. Les deux pollinies sont réunies au niveau des deux disques. Quant au pistil, il comprend un ovaire, situé sous la fleur, et soudé aux autres parties; il est allongé et tordu sur lui-même. L'ovaire contient un grand nombre d'ovules, des milliers, et très petits que l'on a comparés à de la sciure de bois. Un style sur­ monte l'ovaire et se termine par un stigmate visqueux. L'étamine fertile est soudée au style en formant une sorte de colonne que les botanistes désignent sous le nom de gynostème. Le pollen doit fécon­ der l'ovaire, mais, par suite de la particularité de la fleur des LES ORCHIDÉES DU PAÎYS MESSIN 77

Orchidées, la pollinisation indirecte, par l'intermédiaire des insec­ tes, est obligatoire. Ceci nous explique que la floraison de certaines Orchidées exotiques, cultivées dans les serres, se prolonge quelque­ fois pendant plus de trois mois, c'est-à-dire beaucoup plus long­ temps que dans leur pays d'origine, où elles se flétrissent peu de temps après la fécondation. Or, dans nos cultures, la fécondation n'est pas possible, les insectes pollinisateurs n'ayant pas été intro­ duits avec les plantes. Nous venons d'observer certaines caractéristiques de la fleur de notre Orchidée. Il fait beau ; la terre est sèche. Mettons-nous à plat ventre et attendons. Bientôt, un Bourdon vient se poser sur le labelle d'une fleur d'un Orchis tacheté pour atteindre l'éperon rem­ pli de nectar. Pénétrant dans la fleur la tête en avant, il ressort presque aussitôt, coiffé de deux aigrettes. Ce sont les pollinies qui adhèrent à la tête de l'insecte par leurs disques collants. Puis, le Bourdon vole vers d'autres fleurs, tandis que les pollinies s'inclinent et deviennent horizontales, si bien que, quand l'insecte plonge dans l'éperon d'une nouvelle fleur, la pollinie arrive sur la surface gluante du stigmate et s'y trouve retenue. La pollinisation est faite. C'est cette aventure sentimentale des Orchidées qui inspira Maurice Maeterlinck dans son Intelligence des fleurs. Darwin nous la décrit, en 1862, dans son ouvrage De la fécondation des orchidées par les insectes. Il est facile de reproduire expérimentalement cette pol­ linisation avec la pointe d'un crayon que l'on introduit à l'intérieur de la fleur d'une Orchidée. Quand on retire le crayon, il porte les pollinies fixées par leur base. La pollinisation effectuée, la fécondation s'opère et le déve­ loppement continue : l'ovaire grossit et devient le fruit, tandis que les ovules se transforment en graines. Le fruit de l'Orchis tacheté est une capsule qui s'ouvre par six fentes découpant trois valves. En s'écartant, les valves laissent échapper les graines. C'est à l'automne, sur les hampes desséchées d'Orchis, que l'on trouve les grappes de capsules. Quand elles sont ouvertes, les graines sont disséminées par le vent. Si nous déterrons un pied d'Orchis Morio, opération qui demande certaines précautions, on trouve d'abord quelques petites racines et au-dessous deux tubercules arrondis : l'un de couleur claire, ferme et surmonté d'un bourgeon, l'autre, qui est ridé et de couleur brune. Ses réserves ont été utilisées à la formation de la 78 LES ORCHIDÉES DÛ PAJYS MESSIN tige et des fleurs. Le premier, gorgé de nourriture, contenant de nombreuses réserves, passera l'hiver dans le sol. Il sera le seul sur­ vivant de toute la plante et produira au printemps suivant une nou­ velle tige. Il assure la continuité de l'espèce. Ce tubercule renflé est un bel exemple de « prévoyance » chez les végétaux. Les bulbes d'Orchis contiennent une sorte de tapioca, le salep, qui a une cer­ taine valeur alimentaire. Les glucosides des tubercules des Orchis ont été employés en injections contre diverses maladies infectieuses (Les cobayes injec­ tés montrent une plus grande résistance à la tuberculose.) Les tubercules résultent de la soudure des racines qui se sont épaissies et rapprochées. On trouve tous les cas intermédiaires chez les différentes espèces d'Orchidées. Les Listères et les Céphalanthè- res sont à racines. Quand la soudure est incomplète, les tubercules sont digités ou palmés et ressemblent curieusement à deux mains, dont l'une est blanche et grasse et l'autre noire et ridée, la main de Dieu et la main du diable, disent les profanes. Ces tubercules digités se rencontrent chez l'Orchis tacheté. Après cette étude indispensable, partons en exploration dans notre belle région. Visitons les bois et leurs lisières, les prairies et les pelouses sèches, les tourbières et les marais... Parmi la trentaine d'espèces d'Orchidées que l'on peut trouver dans la région messine sur les soixante-seize espèces françaises, les principaux genres sont les Orchis et les Ophrys. Le genre Orchis, caractérisé par un labelle à éperon, est le plus nombreux de toute la famille des Orchidées. L'Orchis tacheté est peut-être le plus répandu; il se rencontre dans tous les terrains. C'est ainsi qu'on le trouve aussi bien sur la rive droite que sur la rive gauche de la Moselle, par exemple dans les bois de Courcelles-Chaussy, Silly-sur-Nied, Hayes, Villers-Bett- nach. Il en existe une variété à fleurs blanches. L'Orchis Morio ou Orchis bouffon, à la hampe purpurine, plus rarement rosée ou blanche, en épi court, se rencontre dans les prés humides, dans les vallons de la rive gauche de la Moselle : Norroy-le-Veneur, Marange-Silvange, , sont ses principales stations. Ses tubercules sont entiers, tandis que ceux de l'Orchis à larges feuilles, qui vit dans les mêmes habitats, a les tubercules palmés. LES ORCHIDÉES DU PAIYS MESSIN 79

L'Orchis mâle à l'épi allongé est très fréquent dans les bois des collines de la rive gauche. Prenons la direction de Scy et gra­ vissons les flancs du Saint-Quentin jusqu'aux glacis du fort. Après avoir reconnu les deux stations de Buis qui avaient tant intéressé M. le conservateur Noël, nous atteignons le col de , et de là, sur les coteaux herbeux jusqu'à Châtel-Saint-Germain, par­ tons à la recherche de l'Orchis pyramidal, qui n'est pas rare dans le Pays messin. Ses fleurs, d'un pourpre vif, odorantes, sont en épi court globuleux, très caractéristique. Leur long éperon reçoit la visite de la trompe d'un papillon Acontia qui se garnira des pol- linies et prendra un curieux aspect. On l'appelait autrefois la «. maladie des cornes ». On peut répéter le phénomène à l'aide d'un crin de Florence. L'Orchis singe est assez commun aux lisières des bois et sur les coteaux de Lorry, Saulny, Châtel, Vaux, Rozérieulles, Novéant. Chaque fleur, finement mouchetée de rose, rappelle très curieuse­ ment l'aspect d'un petit singe suspendu. La grappe s'épanouit du sommet à la base de la hampe, qui est haute de 30 à 40 centimètres. L'Orchis militaire fleurit au contraire de bas en haut. Il se rencontre également au bois de Châtel, à Rozérieulles, à Vaux, dans la vallée de la Mance, dans la montée d'Ancy à la Croix Saint- Clément. Cette jolie Orchidée, assez commune, répandue dans le Pays messin, est facilement reconnaissable à son casque rose cendré, légèrement lilacé, et à son lobe médian fendu. L'Orchis à deux feuilles est fréquent dans les bois ombragés d'Ars, de Moyeuvre, et sur le versant est du Saint-Quentin. Son éperon arqué, très long et étroit, est visité par la trompe des Sphinx crépusculaires. Ses fleurs blanches, légèrement verdâtres, sont odorantes; elles exhalent, surtout le soir, une odeur douce et agréable de fleur d'oranger. Il en est de même de l'Orchis mou­ cheron, qui est encore une fort belle espèce. Elle se rencontre dans les mêmes stations que l'Orchis singe et l'Orchis militaire, mais elle fleurit un peu plus tard (fin juin-début juillet) ; les fleurs, petites, sont d'un beau rose tendre ou violettes purpurines, et l'éperon est beaucoup plus long que l'ovaire. L'Orchis pourpre, de grande taille, pouvant atteindre 80 centi­ mètres de hauteur, est, si je puis dire, la « reine de nos Orchidées indigènes ». Sa hampe porte des fleurs pourprées piquetées de points plus foncés. Assez répandu dans les bois des environs de 80 LES ORCHIDÉES DU PAIYS MESSIN

Paris, il est plus rare dans la région immédiate de , mais se rencontre en exemplaires isolés sur les hauteurs de Saulny, Rozé- rieulles, Châtel, Vaux et . Vous pourrez le trouver dans les forêts bordant la vallée du Conroy. Les Ophrys sont de charmantes petites plantes qui diffèrent des Orchis par leur ovaire non tordu sur lui-même et leur labelle sans éperon. Les tubercules sont arrondis, à peine enfoncés dans le sol; les fleurs sont peu nombreuses, mais d'aspect très curieux et présentent les formes les plus bizarres : tantôt elles ressemblent à une mouche, tantôt à une abeille, à un bourdon ou une araignée, d'où les noms d'Ophrys mouche, Ophrys abeille... Ophrys araignée... L' artiste peut y trouver des motifs de décoration déjà stylisés. « Cette fleur, qui est presque une mouche, cet insecte qui fleu­ rit et vient d'une graine au lieu de venir d'un œuf, cette fleur qu'il semble entendre bourdonner et sur laquelle les abeilles ne se posent pas, la croyant sans cesse occupée par une mouche »... c'est l'Ophrys mouche que nous décrit ainsi Alphonse Karr, dans son Voyage autour de mon jardin. Elle est assez commune sur nos coteaux secs, où elle fleurit en juin. Les fleurs, assez petites, ont un labelle velouté d'un noir marron, avec une tache centrale quadrangulaire d'un gris bleuâtre, qui figure l'abdomen de l'insecte. Les deux pétales latéraux représentent les ailes, et les deux sépales de côté, très étroits, rappellent les antennes. L'Ophrys araignée est l'espèce d'Ophrys la plus fréquente dans notre région. On la trouve au Saint-Quentin, sur les hauteurs de Novéant, Dornot, Ancy, Ars, Vaux, . Ses fleurs sont d'un jaune verdâtre, avec labelle velouté jaunâtre sur les bords, rappelant l'abdomen renflé de certaines araignées. L'Ophrys abeille rivalise comme éclat et comme étrangeté avec les Orchidées des tropiques. Le labelle forme l'abdomen, les autres pétales et les sépales sont rosés et forment les ailes, tandis que stig­ mate et étamine figurent la tête et le thorax. Si nous regardons la fleur de côté, nous apercevons un oiseau dressé sur le bord de son nid. Le bec vert est la pointe du gynostème. L'Ophrys frelon ressemble beaucoup à l'Ophrys abeille et ne le cède en rien à la beauté du précédent. Il est assez répandu sur nos collines calcaires et herbeuses. Tous nos Ophrys indigènes se rencontrent en effet sur les coteaux secs de la rive gauche de la Moselle, plus fréquents au sud LES ORCHIDÉES DU PAfYS MESSIN 81 qu'au nord : Saint-Quentin, Lessy, Plappeville, Ancy, Vaux, vallées de Montvaux et de la Mance. Il en existe aussi plusieurs stations entre les vallées de l'Orne et de la Fensch, entre autres au nord de Moyeuvre, sur la droite d'un petit vallon allant de la vallée du Conroy à la ferme de Tréhémont. Avec les Orchis et les Ophrys, nos Orchidées messines compren­ nent encore différents genres, comme l'Aceras Homme pendu dont les fleurs, d'un vert jaunâtre avec des raies brunes, représentent des petits pantins suspendus, semblables à ceux que les enfants décou­ pent dans du papier. Ses feuilles, séchées à l'ombre, dégagent un parfum de vanille qui embaume le linge (présence de coumarine). C'est aussi le cas de la plupart des Orchis. Une belle station existait avant la guerre à la Croix de Scy; elle est complètement disparue, mais l'Aceras Homme pendu se trouve toujours à Sainte-Ruffine, Vaux, Châtel-Saint-Germain, Saulny. Le Listère ovale est une plante de peu d'apparence, fort commune dans les bois frais, les forêts ombragées. Sa tige porte deux grandes feuilles opposées largement ovales, et se termine par une grappe assez lâche de petites fleurs verdâtres, dont le labelle fendu pend comme un tablier. Le Listère n'a pas de tubercules, mais des racines allongées. Ses fleurs sont visitées par de très petits insectes (généralement des Hyménoptères), qui viennent lécher le nectar dans un sillon situé au milieu du labelle; ils interviennent dans la pollinisation en transportant les pollinies qui, dans ce cas, se collent sur la tête de l'insecte grâce à une gouttelette visqueuse tombée d'une petite nacelle renversée au passage. « Les fleurs de la Listère, nous dit Faideau, sont parfois le théâtre de sombres drames. Certains insectes lilliputiens voulant avoir, eux aussi, leur part du gâteau, imitent les gros bonnets de la corporation et se lancent sur le sillon sucré; mais au bout de leur course, la goutte­ lette jaillit, leur recouvrant entièrement la tête et, en durcissant rapidement à l'air, rend inutiles leurs efforts pour s'évader; ils périssent misérablement, faute d'avoir su mesurer leurs forces »... « Les araignées, que le besoin rend observatrices, sont, tout aussi bien que les naturalistes, au courant des faits et gestes des insectes, et la grappe des Listères est couverte de leurs toiles. » Dans la vallée de Gorze, le long des talus sablonneux, vous trouverez une curieuse Orchidée, le Loroglosse à odeur de bouc ; son odeur est franchement détestable, le langage populaire l'a sur-

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nommé le Satyre fétide. Sa tige, très haute, dépasse les herbes. Elle est presque entièrement couverte de fleurs jaunâtres, striées de pourpre. Le labelle, de couleur pâle, s'étire en une longue bande­ lette tire-bouchonnée. L'ensemble de tous ces rubans, flottant au vent, donne à la plante la physionomie la plus fantastique de toutes les Orchidées. On la rencontre ça et là ; ses stations sont de plus en plus restreintes, elle est en voie de régression. L'Epipactis rouge pousse sur les coteaux calcaires secs, comme ceux d'Ancy, Novéant. Sa tige, lavée de rouge, porte des feuilles ovales, espacées sur toute sa longueur. Ses fleurs, pendantes et pour­ prées, forment un épi allongé. Dans les bois humides et ombragés se trouve une espèce voisine à grandes feuilles, tandis que l'Epipac- tis des marais, plus rare et plus localisé, affectionne, comme son nom l'indique, les marécages. Les Céphalanthères, qui tirent leur nom de la forme de leur anthère, n'ont pas de tubercules, mais des racines fibreuses; leurs feuilles sont espacées le long de la tige. Les fleurs, disposées en épi lâche, sont grandes et blanches chez l'espèce la plus commune, que l'on trouve dans les bois calcaires ombragés.

Désirez-vous connaître les Orchidées rares du Pays messin ? Rendez-vous alors à Faux-en-Forêt, près de Rémilly, où, dans la tourbière calcaire, parmi les roseaux et les carex, vous aurez peut- être la chance de trouver le fameux Liparis de Lœsel, découvert autrefois par l'abbé Barbiche, et maintenant en voie de disparition, ou alors, quittant le Pays messin, vous rechercherez le Goodyera rampant, observé pour la première fois en Lorraine en 1892, dans une forêt de Pin sylvestre, près de (par l'abbé Schatz).

Le Limodore à feuilles avortées a été signalé à Novéant, Gorze et Châtel par Holandre.

Et si vous trouvez quelque part, en Moselle, le Cypripedium Sabot de Vénus, auquel s'attache une légende, signalez-le à la Société d'histoire naturelle de la Moselle... vous aurez fait une découverte. Cette jolie plante prestigieuse, au gros labelle jaune pâle rayé de pourpre en forme de sabot, et les autres pièces florales d'un brun rougeâtre, rappelle les Orchidées exotiques, mais sa beauté a fait sa perte; elle existait dans le Toulois, au val de Pas- LES ORCHIDÉES DU PAlYS MESSIN 83 sey autrefois; elle survit encore sur le plateau de Langres; vous en verrez des variétés cultivées et fleuries dans les serres du Jardin Botanique de Metz. Souvent, aussi, le botaniste est bien embarrassé pour déter­ miner l'espèce d'Orchidée qu'il rencontre. C'est que l'exemplaire ne répond pas toujours à la description classique. Il peut s'agir d'un hybride résultant du croisement facilité par l'intervention des insectes entre deux espèces qui poussent dans le voisinage. La plupart du temps, les hybrides se reconnaissent à leurs caractères intermédiaires et à la présence des parents dans le même habitat. Les espèces du genre Orchis s'hybrident facilement entre elles. Ainsi Orchis incarnata et Orchis latifolia dans nos prairies de la vallée de Montvaux, à , à Jouy. L'Orchis pourpre et l'Orchis militaire donnent l'hybride le plus fréquent. Le grand botaniste alsacien Emile Walter s'était spécialisé dans la difficile étude des hybrides, et l'on peut en voir de nom­ breux exemplaires au Jardin Botanique du Saut-du-Prince-Charles, au col de Saverne, dont il fut le fondateur. Il est une Orchidée assez commune dans les bois couverts de tous les terrains et qui ressemble à une Orobanche. C'est la Néottie nid d'oiseau. Elle se développe dans la demi-obscurité de nos sous- bois frais () et vit en société avec le Muguet, le Sceau de Salomon, l'Ail des ours, l'Aspérule odorante, c'est-à-dire, en géné­ ral, avec les plantes de l'association du Hêtre. Chez elle, tout est de même nuance, une couleur terne jaune brunâtre. Ses fleurs sont très nombreuses, disposées en épi serré. De toutes nos Orchidées, que nous avons vues jusqu'ici, elle se distingue par deux caractères très nets : l'absence de chloro­ phylle (et par suite de couleur verte) et la réduction des feuilles. Elle vit aux dépens du terreau ou de l'humus où elle trouve des substances organiques toutes formées. Si l'on déterre une Néottie, on observe des racines courtes et épaisses, serrées les unes contre les autres et enchevêtrées. Elles rappellent vaguement la disposition des matériaux qui forment un nid d'oiseau, d'où son nom. Si l'on examine au microscope une coupe faite dans l'extré­ mité des racines, on y reconnaît la présence, à l'intérieur, de 4 ,84 LES ORCHIDÉES DU PAIYS MESSIN

filaments de champignons (comme les filaments de moisissures). Ils sont la cause de la forme bizarre des racines de la Néottie. Il y a là un exemple intéressant montrant le rapport étroit qui existe entre deux organismes : un champignon et une orchidée. C'est un cas de symbiose. Depuis les magnifiques recherches de Noël Bernard sur la Néottie nid d'oiseau, on sait que les Orchidées ont des champignons dans leurs racines et que leur présence est la cause de la tubéri- sation. Avant Noël Bernard, on ignorait aussi comment se faisait la germination des Orchidées, et leur culture par graine était pratiquement impossible. C'est encore la Néottie nid d'oiseau qui lui procura l'observation décisive : Au cours d'une de ses prome­ nades dans la forêt de Fontainebleau, il rencontra un pied de cette Orchidée qui, après la floraison, s'était courbée en terre, si bien que le fruit s'était ouvert dans le sol. En examinant avec soin, il constata que les graines avaient germé sur place. Poursuivant l'étude microscopique des jeunes plantules, il put s'assurer qu'elles étaient envahies par des filaments de champignons. Noël Bernard a prouvé expérimentalement qu'une espèce particulière de champi­ gnons était nécessaire à la germination. Sans le champignon, les graines ne germent pas. La découverte allait permettre aux horticulteurs de réaliser de nombreux semis, intéressants pour obtenir, à la suite de croise­ ments, des variétés nouvelles. De plus, ses travaux ont apporté des notions nouvelles sur la signification de la symbiose et des connaissances sur la phagocytose chez les végétaux.

Cet exposé, un peu long sans doute, et je m'en excuse, mes chers confrères, je me suis efforcé de le rendre aussi peu technique que possible ; et j'aurais désiré plutôt vous le présenter sur le terrain. J'ai cherché surtout à vous donner un aperçu sur ces plantes attachantes par les caractères de leurs fleurs, mais aussi par les problèmes qu'elles posent, par leurs rapports avec les insectes et leurs nombreuses adaptations aux milieux les plus divers : coteaux calcaires, pelouses sèches et bois, hêtraies et couverts de conifères, prairies humides et marais tourbeux. LES ORCHIDÉES DU PAiYS MESSIN 85

Mais il faut constater, avec regret, la disparition de certaines espèces et même de nombreuses stations. Chaque région de doit protéger ses richesses naturelles et tout ce qui fait la parure de ses sites. Je suis persuadé que vous joindrez vos efforts aux nôtres et que vous ferez respecter les espèces rares ou peu représentées dans notre flore messine. Je compte aussi sur le Service forestier de la Moselle. Et si j'ai pu vous faire connaître, admirer et aimer les Orchidées, j'aurai la satisfaction d'avoir donné un attrait de plus à vos promenades d'été. Partez à la découverte des Orchidées du Pays messin. Juin 1956.