Un autre regard sur la route de Langonand Archives municipales de Saint-Chamond

Un autre regard sur la route de Langonand

Au bord du Langonand, au début du XXème siècle. Archives municipales de Saint-Chamond, 10Num22

Version originale publiée dans la revue « Le Jarez d’Hier et d’Aujourd’hui » n°60, décembre 2012

Version Internet mise en ligne avec l’aimable autorisation des Amis du Vieux Saint-Chamond en août 2013

1 Un autre regard sur la route de Langonand

2 Un autre regard sur la route de Langonand La route de Langonand a mauvaise réputation. Elle est considérée comme dangereuse, notamment parce qu’elle est le théâtre d’accidents de la route parfois spectaculaires et souvent dramatiques. Une mauvaise réputation qui doit sans doute aussi à l’obscurité de ses bois, et peut-être également parce qu’il est bien connu qu’on y pratique le plus vieux métier du monde... Mais à qui prend le temps de l’observer, la route de Langonand révèle une certaine valeur patrimoniale, liée à la qualité de son paysage marqué par le temps et les hommes.

Origines

La route de Langonand, c’est cette partie de la Route Départementale 1498 qui relie Saint-Chamond à Sorbiers. Entre le rond point du Champ du Geai et celui qui marque l’entrée à Sorbiers, la route parcours 4,4 km. Partant de 363 mètres d’altitude, elle culmine à 509 mètres, soit un dénivelé de 146 mètres. Elle doit son nom au cours d’eau qu’elle longe sur la plus grande partie de son tracé : le Langonand. Ruisseau plutôt que rivière, celui-ci prend sa source sur les premiers contreforts des Monts du Lyonnais, du côté de Saint-Christo-en-Jarez, pour se jeter dans le Janon à Paradis, une centaine de mètres avant que ce dernier ne disparaisse sous la chaussée du Boulevard Waldeck-Rousseau. L’origine du nom Langonand reste mystérieuse et son orthographe a sans doute évolué. Ainsi sur l’atlas cantonal du département de la de 1887, il est orthographié Langonant. Si l’on s’aventure du côté de la toponymie, on peut effectuer un rapprochement avec le terme occitan ango ou angous qui désigne une gorge ou un passage étroit, ou avec la racine celte anco/ango qui signifie recourbé ou tortueux, le terme de « nant », que l’on trouve notamment en Savoie, Haute-Savoie et en Dauphiné, désignant un ruisseau ou une vallée. Le terme de Langonand pourrait donc se rapporter a une vallée étroite ou a une rivière ou une vallée sinueuse, en référence aux caractéristiques de la rivière 1.

Un aqueduc romain

Ce qui est un peu plus certain, c’est que la vallée du Langonand est fréquentée par l’homme au moins depuis deux millénaires, comme en atteste la présence de vestiges de l’aqueduc romain du , les plus importants encore visibles sur le territoire de la commune de Saint-Chamond. Car pour franchir la vallée du Langonand, les romains avaient construit un pont qui devait compter huit arches et un radier qui culminait à 14 mètres environ au-dessus de la rivière 2 ! De cet ouvrage spectaculaire, il ne reste que cinq piles, en plus ou moins mauvais état, mais surtout enfouies sous la végétation : difficile de les apercevoir en passant à proximité de l’ancien restaurant « Le Gavroche », même si la base de la cinquième pile affleure au bord de la chaussée.

1 André PEGORIER, Les noms de lieux en , glossaire de termes dialectaux , Institut Géographique Nationale, 2006 2 Département du Rhône, Préinventaire des monuments et richesses artistiques, IV Lyon, L’aqueduc Romain du Gier , 1996

3 Un autre regard sur la route de Langonand

Fig. 1 : Sur cette carte postale du début du XXème siècle, on distingue nettement trois piles du pont qui permettait à l’aqueduc de franchir la vallée du Langonand. Collection particulière

A proximité, le ruisseau de l’Arcelet se jette dans le Langonand. Le toponyme « Arcelet » semble être une contraction de l’expression « arc seulet », en référence à l’unique pile subsistante d’un pont qui devait en compter six ou sept pour permettre à l’aqueduc de franchir cette vallée encaissée. Une voie romaine passait aussi très certainement par la vallée du Langonand pour relier Saint-Chamond à , et plus largement les deux fleuves, le Rhône et la Loire.

4 Un autre regard sur la route de Langonand De la voie romaine à la route nationale

Cette caractéristique de voie de communication, commune à la plupart des vallées, a donc marqué l’histoire de la vallée du Langonand. Le réseau routier hérité de l’Antiquité ayant souvent continué à être utilisé durant le Moyen Age, on peut supposer que la route de Langonand a été parcourue durant cette période. Seule certitude, on la retrouve sur le cadastre napoléonien de 1812. Le 7 janvier 1813 paraît au Bulletin des Lois, le Décret Impérial relatif à la perception des Centimes additionnels pour la réparation et l'entretien des Routes Départementales dans cent vingt-deux départements 3. C'est le premier document connu qui liste les routes départementales. Celles-ci sont classées dans chaque département par les ingénieurs des Ponts et Chaussées selon l'importance qu'ils leur attribuent. Dans la Loire, seules cinq routes sont élevées au rang de routes départementales. Leur nombre s’étoffe peu à peu, et celle qui relie Andrézieux-Bouthéon à Chavanay devient la Route départementale n° 7 de la Loire au Rhône, dont la route de Langonand constitue un tronçon. Le début du XX ème Siècle est marqué par l'essor de l'automobile. Malgré la qualité de leur conception et de leur entretien, les routes départementales ne sont pas conçues pour l’automobile. Face à l’incapacité des départements à investir dans leur réseau, l’État décide de reprendre la gestion directe d'un grand nombre d'axes représentant environ 40.000 km. Au début des années 1930, il procède à un classement ordonné mais massif de routes départementales, de chemins vicinaux et ruraux dans la voirie nationale. C’est ainsi que la route de Langonand est intégrée en 1933 à la route nationale 498, nouvellement créée. Celle-ci, définie comme la route de la Chaise-Dieu à Saint-Chamond, est réduite en 1973 à sa portion de l'agglomération stéphanoise reliant l’A72 à Saint-Chamond, en faisant le contournement nord de Saint-Étienne. Elle se résume désormais à la route de Saint-Priest-en-Jarez N82 à Saint-Chamond N88. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales marque l'avènement d'un réseau routier départemental totalement autonome et puissant pour les échanges locaux. A partir de 2006, l’État procède au déclassement dans la voirie départementale des routes nationales d’intérêt local. Leur liste est définie après concertation avec les Conseils Généraux : 18.000 km de routes sont finalement concernées. Parmi celles-ci, la RN 498 est intégralement déclassée pour devenir la RD1498 : la route de Langonand redevient départementale. Cette brève histoire administrative ne nous dit rien de la fréquentation de la route de Langonand. Les seuls chiffres disponibles sont relativement récents : 7 030 véhicules par jours en 1998, 6 650 véhicules par jours en 2004, 7 600 en 2012, dont environ 250 poids-lourds. Soit une fréquentation assez importante, mais relativement stable sur les quinze dernières années.

3 WikiSara, « l’encyclopédie des amoureux de la route et des transports » (www.routes.wikia.com ) : articles sur la Route Nationale 88, les routes départementales françaises, la liste des routes départementales de la Loire

5 Un autre regard sur la route de Langonand L’épopée de la Galoche

Mais avant même l’apparition de l’automobile, qui va fortement modifier son apparence, la route se voit doubler au tout début du XX° siècle d’une… voie de chemin de fer ! Une ligne du chemin de fer départemental reliant Saint-Héand ou Saint-Etienne à Pélussin puis , où circule la fameuse Galoche 4. L’idée d’une telle ligne nait à la suite d’une loi votée en 1880 pour compléter le réseau national par des lignes de chemin de fer d’intérêt local. Une quinzaine de projets de lignes sont étudiés dans le département de la Loire, dont celle qui nous intéresse. La ligne Saint-Etienne- Pélussin est déclarée d’utilité publique en 1896, et réalisée en plusieurs tronçons. Le premier tronçon, permettant de relier Saint-Héand ou Saint- Etienne à Saint-Chamond via la vallée du Langonand est inauguré le premier août 1901. Quatre ans plus tard, la ligne est prolongée jusqu’à Pélussin via la Grand-Croix, en empruntant les rails du tramway : la Galoche circule sur une voie métrique 5, ce qui signifie que les rails bénéficient d’un écartement d’un mètre, le même que ceux sur lesquels circule le tramway.

La ligne est exploitée par la Compagnie des Chemins de Fer Départementaux de la Loire jusqu’en 1911. La Société des Chemins de Fer du Centre lui succède jusqu’en 1928, date à laquelle, confrontée à un déficit trop important, elle est remplacée par la Régie des chemins de fer départementaux de la Loire. L’exploitation de la ligne de voyageurs prend fin le 15 juillet 1931, le transport de marchandises étant prolongé jusqu’au premier juillet 1932. Pendant trente ans, la vallée du Langonand va résonner du bruit des locomotives. Des locomotives de type 030T, construites en 1897 et 1898 par le constructeur lyonnais de matériel roulant ferroviaire Pinguely. Clin d’œil de l’histoire, l’entreprise Pinguely, qui abandonne la construction de locomotives dans les années 1930, tombe par la suite dans le giron de Creusot-Loire et fusionne en 1995 avec le fabricant de matériel de manutention Haulotte… Pinguely-Haulotte, leader européen dans le domaine des nacelles élévatrices, a toujours un pied dans la vallée du Gier, puisque l’une des usines du groupe est implantée à l’Horme.

4 Thierry CUMIN, « Galoche ou Tacot », du Jarez aux balcons du Pilat : histoire d’un petit train de campagne , Association Visages de Notre Pilat, 2005 5 Encyclopédie en ligne Wikipédia ( www.fr.wikipedia.org ) : articles sur la liste des chemins de fer à voie métrique de France, les Chemins de Fer Départementaux de la Loire, Pinguely, Pinguely Haulotte, locomotive Bourbonnais, la Société des Chemins de Fer du Centre

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Fig. 2 : Une des rares vues de la « Galoche » route de Langonand. Au premier plan, on distingue nettement les rails qui se séparent de ceux de la ligne de tramway. Médiathèque municipale Louise Labé

Le matériel tracté se compose de wagons à marchandise (couverts, tombereaux ou plats), de voitures de voyageurs et de voitures fourgon à bagages, messagerie et poste, la composition des trains variant selon les besoins. Car la ligne transporte aussi bien des voyageurs que des marchandises, et joue un rôle économique non négligeable en reliant le pélussinois ou Saint-Héand aux pôles économiques majeurs que constituent Saint-Etienne et la vallée du Gier. De nombreux ouvriers de Sorbiers et la Talaudière travaillent aux Aciéries de la Marine à Saint-Chamond et l’empruntent quotidiennement. Des ouvrières aussi, qui travaillent dans les fabriques de lacets de l’agglomération saint-chamonaise. Nombre d’entre elles prennent le train de cinq heures cinquante le lundi matin pour aller travailler, et ne rentrent chez elles que le samedi soir. Or en 1910 le dernier train du soir est avancé de dix-neuf heures dix à dix-sept heures dix, alors que les usines ferment à dix-huit heures trente : les ouvrières sont souvent obligées de rejoindre leur domicile à pied. Soutenues par un groupe d’industriel et le Conseil municipal de Saint-Chamond, elles adressent une pétition au Préfet de la Loire demandant le rétablissement d’un train supplémentaire. Peine perdue, la réponse de la Compagnie des Chemins de Fer Départementaux de la Loire est sans appel : « […] il ne faut pas perdre de vue que ces voyageurs sont titulaires de cartes d’abonnements hebdomadaires

7 Un autre regard sur la route de Langonand à prix excessivement réduits qui font ressortir le prix du voyage de Saint-Chamond à Sorbiers et à la Talaudière à 0 F 07 en moyenne. Vous reconnaîtrez que ce prix est loin de couvrir les frais de mise en marche d’un train spécial. ». 6 Le trajet de la Galoche dans la vallée du Langonand est relativement connu : partant de Sorbiers, après deux longues courbes pour effacer la pente, il suit le champ de tir puis coupe la route avant de longer un moment la rivière rive droite. Il enjambe le Langonand pour passer sur la rive gauche peu après le champ de tir. Après une dernière courbe, la voie se confond avec la route jusqu’au Champ du Geai. Pour qui est attentif, on distingue nettement encore aujourd’hui une partie du tracé et quelques modestes ouvrages d’art, côté gauche de la route en montant, avant d’arriver à hauteur du champ de tir. Des vestiges visibles surtout l’hiver, quand la végétation a perdu son feuillage et laisse découvrir les sous-bois. Ce qui est moins connu, c’est qu’entre la gare de Sorbiers et la station de Saint-Chamond octroi, au carrefour des actuelles rue Wilson et route de Saint-Etienne, la ligne dispose de deux arrêts facultatifs dans la vallée du Langonand : l’un à la Guinguette et l’autre aux « Aqueducs romains ». La Guinguette est un lieu-dit situé sur la commune de Sorbiers, situé sur la droite de la route en arrivant sur la commune. Si aujourd’hui s’y trouve un lotissement, il n’y avait au début du XX ème siècle qu’un corps de bâtiments abritant un café au nom évocateur : « A la guinguette ». Il devait être suffisamment fréquenté pour justifier la présence d’un arrêt. Ce bâtiment est visible encore aujourd’hui, y compris l’enseigne qui laisse deviner son nom.

Fig. 3 : La Guinguette au début du XX ème siècle. Le train devait passait derrière le bâtiment. En arrière plan, on distingue le clocher de l’église de Sorbiers. Médiathèque municipale Louise Labé

6 Archives municipales de Saint-Chamond, 2Osc115

8 Un autre regard sur la route de Langonand Le temps de trajet est relativement court : le train met vingt minutes pour parcourir les six kilomètres qui séparent la station de Saint-Chamond octroi de la gare de Sorbiers, ce qui représente une vitesse moyenne de dix-huit kilomètre-heure environ. Quand il n’y a pas d’accidents. Car ceux-ci sont relativement fréquents sur l’ensemble du tracé, et la vallée du Langonand n’échappe pas à la règle. Ainsi le 9 mars 1917, un train de marchandises composé de cinq wagons de houille et d’un wagon de foin s’emballe dans la descente après Sorbiers et fini par dérailler, entrainant la mort du mécanicien. Une année 1917 qui commence dans des conditions difficiles, puisque le froid et la neige bloquent la circulation sur la ligne pendant une grande partie des mois de janvier et de février. La Compagnie se voit contrainte d’avoir recours à une main d’œuvre importante pour dégager les voies : internés civils, prisonniers polonais et ouvriers chinois au chômage travaillent d’arrache pied pour y parvenir. Ainsi le 31 janvier, près de cinquante hommes sont à pied d’œuvre dans la vallée du Langonand ! L’épopée de la Galoche s’achève au début des années 1930. Pour transporter les voyageurs, le train est remplacé par des autocars, plus rapides et moins coûteux. Une ligne régulière abandonnée par la suite faute d’une fréquentation suffisante, la voiture individuelle suppléant les transports en commun. Il faut attendre la fin des années 2000 pour que Saint-Etienne Métropole rétablisse une ligne de transports en commun qui emprunte la route de Langonand : la ligne 45, qui relie la gare de Saint-Chamond au quartier de la Terrasse à Saint-Etienne.

Une vallée industrielle ?

Dans la plupart des vallées de la région stéphanoise, l’industrie est apparue très tôt et s’est développée grâce à l’énergie hydraulique disponible. La vallée du Langonand, à son échelle, ne semble pas avoir échappé à la règle. Le ruisseau du Langonand bénéficie d’une hauteur de chute relativement importante : il prend sa source à environ sept cent cinquante mètres d’altitude pour se jeter dans le Janon à trois cent soixante mètres d’altitude, soit pratiquement quatre cents mètres de dénivelé en dix kilomètres environ. Comme pour les autres rivières de la région, la force motrice du Langonand a été exploitée par les hommes. Deux demandes d’autorisation de prise d’eau sur le cours du Langonand, déposées en 1856 et en 1865 par Jean-Baptiste Paret, nous éclairent un peu plus sur cette exploitation 7. La demande déposée en 1856 concerne le rétablissement d’une ancienne écluse sur le Langonand pour alimenter une fabrique de lacets et un moulin à blé. La lecture du rapport de l’ingénieur ordinaire permet d’apprendre qu’il n’existe aucune usine en amont, et que « l’usine la plus rapprochée à l’aval est une fabrique d’acier appartenant au Sieur Mongolfier ».

7 Archives départementales de la Loire, 7S403

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Fig. 4 : Plan de la fabrique de lacets Paret, 1857. Archives départementales de la Loire, 7S403

La demande déposée en 1865 concerne là encore la réédification d’une ancienne écluse, pour alimenter une fabrique d’acide gallique cette fois. Il précise que cette écluse, détruite par les eaux, était auparavant la propriété de M. Dugas de la Catonnière, et qu’il n’existe sur la rivière qu’un

10 Un autre regard sur la route de Langonand seul autre barrage, le sien, situé deux cents mètres en aval de l’ouvrage projeté et alimentant sa fabrique de lacets. La demande précise également les dimensions de la levée projetée : construite en demi-cercle, « sa hauteur sera de trois mètres trente centimètres environ, sa longueur d’une rive à l’autre de douze mètres cinquante centimètres environ et sa largeur c’est-à-dire l’épaisseur de la maçonnerie de deux mètres ». Un ouvrage qui semble relativement imposant au regard du débit actuel de la rivière. A la lecture de ces deux dossiers, on en déduit donc que l’exploitation de la force hydraulique du Langonand, si elle est restée modeste, est très certainement antérieure au XIX ème siècle. Si aucune levée ne subsiste apparemment sur le cours de la rivière, une partie de la fabrique de lacets de Jean-Baptiste Paret est encore visible aujourd’hui : perpendiculaire à la route, située légèrement en contrebas derrière un mur de briques, elle se trouve face au débouché du chemin de Larcelet.

Fig. 5 : Ce bâtiment se trouve exactement à l’emplacement de la fabrique de lacets Paret. On peut supposer qu’il en faisait partie. Cliché S. Bouteille

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Le bas de la vallée du Langonand a encore un visage industriel marqué : avec ses toits en sheds et ses murs en pisé de mâchefer, elle a aux abords du viaduc de l’A47 un petit air de vallée industrielle encaissée comme il en existe en Savoie. Les anciennes usines (on y voit encore la plaque des établissements Vaganay, produits métallurgiques, démolition d’usine, matériel d’occasion), y côtoient les trois entreprises encore en activité : la Société Soustre spécialisée dans la récupération de métaux, Accel, une entreprise qui fabrique du matériel de levage, et CML, qui fabrique des grues, des monte-charges et des élévateurs.

Fig. 6 : Le bâtiment des anciens établissements Vaganay et ses toits en sheds caractéristiques. Cliché S. Bouteille

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Le champ de tir

Mais la vallée du Langonand a une particularité liée à l’histoire industrielle de la vallée du Gier : le champ de tir. C’est un arrêté préfectoral du 28 août 1883 qui autorise la Compagnie des Hauts-Fourneaux, Forges et Aciéries de la Marine et des Chemins de Fer à établir un champ de tir à Langonand « pour l’essai des canons, affûts, obus et plaques de blindage ». L’endroit choisi est idéal : relativement proche de l’usine de Saint-Chamond, mais à l’écart des zones habitées, au fond d’une vallée encaissée mais cependant desservie par une route départementale bien utile pour acheminer le matériel jusqu’au champ de tir. L’arrêté précise les conditions de sécurité auxquelles les Forges et Aciéries de la Marine devront se soumettre lors des essais : surveillance des alentours pour empêcher toute personne de s’approcher du champ de tir, et fermeture de la route départementale n°7 « 200 mètres en amont et 200 mètres en aval du champ de tir ». Dès lors, la route de Langonand est régulièrement parcourue par des tracteurs à vapeur indispensables au transport des pièces les plus imposantes jusqu’au champ de tir, et la vallée résonne régulièrement des tirs d’essais.

Fig. 7 : Le champ de tir et ses installations impressionnantes, au début du XX ème siècle. Il est alors en pleine activité. Médiathèque municipale Louise Labé

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L’activité du champ de tir est cependant soumise aux aléas des commandes et de l’histoire industrielle du site de Saint-Chamond. Il entre ainsi en sommeil en 1955, avant d’être réactivé par Creusot-Loire en 1976 puis par la Société Mécanique Creusot-Loire en 1993 8. A cette date, l’activité est relativement soutenue : le dossier de demande d’autorisation mentionne que « les essais représentent cinq à dix journées par mois ». En complément de cette activité, l’entreprise met le site à disposition de la police et de la gendarmerie « pour réaliser des tirs de petits calibres sur cibles », ainsi qu’à des associations sportives qui effectuent des tirs « les samedis après-midi à l’arme de poing ». Aujourd’hui, le champ de tir appartient au groupe NEXTER 9, successeur de GIAT Industries, créé en 2006. L’une des filiales de NEXTER, NBC-Sys, a encore son siège à Saint-Chamond, rue Bonnevialle. Si le site continue d’être mis à disposition des forces de l’ordre pour des entrainements au tir, les tirs d’essais d’artillerie lourde s’y font rares.

Paysages

Si la vallée du Langonand a parfois des airs de vallée industrielle en approchant de Saint-Chamond, les paysages qu’elle propose sont, de manière générale, bien plus naturels ! Des paysages de toute façon façonnés par les activités humaines, et notamment par l’agriculture. Si aujourd’hui très peu de terres ont un usage agricole dans la vallée, cela n’a pas toujours été le cas, comme en témoignent les traces de culture en terrasse sur le versant de la vallée exposé au Sud. L’étude des plans du cadastre napoléonien couplée à celle de l’état de section du même cadastre10 permet de reconstituer l’occupation du sol au début du XIX ème siècle. Si sur la partie haute de la vallée taillis et futaies l’emportent largement, sur la partie basse il en est tout autrement : prés, pâtures et labours sont très présents, notamment en fond de vallée, mais pas seulement. L’atlas cantonal de 1887, même s’il n’offre pas une approche aussi précise que les documents cadastraux, permet de prendre la mesure de l’emprise des bois et taillis, encore circonscris sur la partie haute de la vallée. Une rapide comparaison avec une carte IGN actuelle donne l’ampleur de la déprise agricole, notamment sur le versant exposé au Sud, où bois et taillis ont pris l’ascendant dans les secteurs en pente. Ce que confirme le regard quand on emprunte la route de Langonand : dès la sortie de Saint- Chamond, la végétation est omniprésente, en faisant une véritable coulée verte entre l’est de la couronne stéphanoise et la vallée du Gier. Il faut atteindre pratiquement Sorbiers pour retrouver un paysage ouvert où les prés, parfois encore bordés de haies bocagères, dégagent le regard.

8 Archives municipales de Saint-Chamond, 274W4 9 http://www.nexter-group.fr/ 10 Archives municipales de Saint-Chamond, 1Giz1 et 2

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Fig. 8 : Quelques murs en pierre sèche témoignent de la présence ancienne de cultures en terrasse sur le versant exposé au sud de la vallée de Langonand. Cliché S. Bouteille

Dans la partie urbaine de la vallée, le paysage a été profondément remodelé à partir des années 1990. Si la construction du contournement autoroutier de Saint-Chamond et du viaduc qui enjambe la vallée est la modification la plus visible, de nombreuses destructions de bâtiments contribuent à modifier la physionomie du quartier. A partir du milieu des années 1960, la route de Langonand débouche au Champ du Geai sur… une voie rapide ! Cette voie rapide, qui doit relier à terme Saint-Etienne à Lyon, traverse le centre-ville de Saint-Chamond en empruntant une partie des cours du Janon et du Gier. Dès les années 1970, l’intensification de la circulation pose un certain nombre de problèmes, dont celui de l’arrivée de la RN498 directement sur la voie rapide. Pour décongestionner le carrefour du Champ du Geai, un autopont, structure métallique de vingt tonnes qui permet à la voie rapide d’enjamber le rond- point, est mis en service en mai 1971. Pendant vingt ans, l’autopont est le symbole de la traversée autoroutière de Saint-Chamond et le cauchemar des automobilistes confrontés aux bouchons récurrents. Car si face aux nuisances engendrées par le passage d’une autoroute en plein cœur de la ville, la

15 Un autre regard sur la route de Langonand municipalité se prononce pour un contournement de Saint-Chamond par l’A47 dès 1979, il faut attendre 1991 pour que celui-ci entre en service. L’année suivante, l’autopont est démonté : c’est la fin d’une époque et le début de la « reconquête urbaine » de la traversée de Saint-Chamond. Pour marquer l’évènement, la municipalité organise « la fête à l’autopont »11 , une journée de manifestations festives qui ont pour cadre l’autopont libéré de la circulation automobile. La route de Langonand, si elle débouche désormais sur un rond-point du Champ du Geai dont le caractère paysager s’affirme au fil des ans, voit son horizon marqué par la présence massive du viaduc du contournement autoroutier, qui enjambe la vallée à une hauteur moyenne de vingt-cinq mètres pour cent quatre-vingt-dix mètres de long 12 .

Fig. 9 : Etude de l’impact sur le paysage de la construction du viaduc du contournement autoroutier de Saint-Chamond, extrait du dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique. Archives municipales de Saint-Chamond, 15W353

11 Archives municipales de Saint-Chamond, 22W11 12 Archives municipales de Saint-Chamond, 15W353

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Dans la dynamique de la reconquête urbaine de la traversée de Saint-Chamond, la commune engage un travail de traitement de l’entrée ouest de la ville. Ce traitement doit participer au changement d’image global attendu. L’arrivée de la route de Langonand au Champ du Geai constitue l’un des secteurs clés identifiés comme nécessitant une requalification 13 . Dans cette optique, la présence de friches industrielles constitue une opportunité : en supprimant ces bâtiments dégradés qui font « tâche » dans le paysage, on requalifie les parcelles ainsi libérées. C’est ainsi qu’entre 1993 et 1998, trois bâtiments industriels sont démolis le long de la route de Langonand. Parmi eux, les anciens ateliers des tissages Prével, situés entre le chemin de Paradis et le Janon, qui laissent la place à un parking. Un autre bâtiment, démoli quelques années plus tard, mérite de s’y attarder : le lycée d’enseignement professionnel de Langonand. Cet établissement, créé dans la première moitié du XX ème siècle le long de la route de Langonand, à la sortie de l’agglomération saint-chamonaise, est dénommé en 1949 Centre d’apprentissage féminin de Saint-Julien-en-Jarez 14 . Avec la massification de l’accès à l’enseignement professionnel, le centre d’apprentissage voit ses effectifs s’accroitre considérablement, sans possibilité d’extension sur place. Une première réponse est apportée au milieu des années 1970 avec la construction d’un collège d’enseignement technique hôtelier au château Prodon, sur la route de la Valla : le C.E.T. de Langonand perd donc sa section hôtelière en 1978. Mais dès le début des années 1980, les problèmes liés à l’implantation du C.E.T. devenu L.E.P. ressurgissent. Le lycée accueille alors entre deux cent cinquante et trois cents élèves, qui suivent des formations professionnelles : BEP d’agent administratif, BEP comptable-mécanographe, BEP sténodactylographe correspondancier, CAP habillement fabrications industrielles. En 1981, les professeurs élus au conseil d’établissement « constatent la mauvaise implantation géographique du L.E.P. par rapport à la population scolaire, l’insécurité et la gêne dues à la proximité d’une route à grande circulation devant l’établissement, l’installation possible et prochaine de la déviation de Saint-Chamond prévue au dessus du L.E.P., [et] déplorent la vétusté et l’exiguïté des locaux actuels », qui rendent impossible tout projet de développement. Ils demandent donc le transfert du lycée dans des locaux adaptés et mieux situés. Dans la foulée, un projet d’implantation d’un lycée d’enseignement professionnel et général des métiers du bâtiment au lieu dit Gentialon, incluant le L.E.P. de Langonand, voit le jour. Un concours d’architecture est même lancé en 1985, avant que le projet ne soit abandonné. Finalement, le L.E.P. fusionne avec le lycée professionnel Claude Lebois le premier septembre 1993. Pendant dix ans, les bâtiments restent vacants, pour finalement être démolis en 2003. Sous l’impulsion de Saint-Etienne Métropole, une étude d’aménagement paysager de l’entrée de ville via la route de Langonand est réalisée la même année. L’objectif est de requalifier le site de l’ancien L.E.P., en envisageant cette requalification dans la perspective plus globale de l’entrée de ville. L’étude propose la réalisation d’un aménagement paysager qui longe le Langonand jusqu’à Paradis, aménagement qui nécessite la démolition d’autres bâtiments. Finalement, seule la parcelle de l’ancien lycée est aménagée.

13 Archives municipales de Saint-Chamond, 16W40 14 Archives municipales de Saint-Chamond, 1Dsm4

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Fig. 10 : Le Lycée d’Enseignement Professionnel de Langonand, en 2003, juste avant sa démolition. Archives municipales de Saint-Chamond, 219W6

Conclusion

Ce bref survol de l’histoire de la route de Langonand ne se prétend pas exhaustif, loin de là. Il permet simplement de poser un autre regard sur une route qui constitue un paysage de valeur, tant du point de vue naturel que patrimonial. Sorte de « voie verte » entre l’est de la couronne stéphanoise et l’agglomération de Saint-Chamond, le paysage de la vallée est aussi le résultat de l’activité humaine à travers le temps. Si on prend le temps de l’observer, on distingue sur son parcours les traces de la superposition des époques. A ce titre, elle témoigne de l’histoire des hommes qui l’ont traversée, habitée ou exploitée. Elle a donc une certaine valeur patrimoniale. Un patrimoine sans aucun doute plus modeste que d’autres routes plus prestigieuses, comme la fameuse « route bleue » (RN7), voire « mythiques »15 comme le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, la route 66 aux USA, ou encore la route de la soie. Mais un patrimoine à ne pas négliger pour autant. Et comme l’histoire n’est jamais terminée, ce paysage pourrait bien être à nouveau modifié, si le projet d’A45 aboutit un jour. Devant relier Ratarieux à Brignais, ce nouveau tronçon autoroutier, à l’étude depuis 1972, plusieurs fois abandonné puis relancé, enjamberait la vallée de Langonand via un nouveau viaduc…

Samuel Bouteille – Archives municipales de Saint-Chamond

15 Elisabeth Dumont-Le Cornec, Les routes mythiques , Editions Belin, octobre 2009

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