UNIVERSITE LYON 2 - 2006-2007 Institut d'Etudes Politiques de Lyon

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Marion MICLET Section Politique et Communication e e Séminaire Histoire des XIX et XX siècles Sous la direction de Bruno Benoit date soutenance : 4 juillet 2007

Table des matières

Remerciements . . 5 Liste des films étudiés . . 6 Introduction . . 7 Hollywood dans les années 1940 . . 7 Le combat des isolationnistes et des interventionnistes à la veille de l’entrée en guerre des Etats-Unis . . 9 Plan du mémoire . . 12 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre . . 14 A. Le héros réticent qui représente la société américaine partagée entre isolationnisme et interventionnisme . . 14 1) Le héros réticent dans Casablanca . . 15 2) Le héros réticent dans Le Port de l’angoisse . . 19 B. Le sacrifice européen comme métaphore du sacrifice américain . . 22 1) Un genre nouveau : le film sur la Résistance . . 22 2) Le rôle de la femme dans les films sur la Résistance . . 23 C. Une cohésion sociale européenne idéalisée par le cinéma pour servir de modèle aux Américains . . 26 1) Une cohésion sociale dans les pays occupés idéalisée par Hollywood . . 26 2) Une cohésion sociale idéalisée par Hollywood dans un pays allié, la Grande Bretagne . . 30 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien . . 33 A. L’image de la présence ennemie allemande en Europe . . 33 1) L’occupation allemande en Europe de l’Est . . 34 2) Les débats posés par la répression nazie et les prises d’otages . . 34 3) La présence ennemie allemande en Europe de l’Ouest . . 37 B. La dénonciation de la collaboration française au cinéma . . 39 1) La collaboration d’Etat . . 40 2) Les autres formes de la collaboration vues par Hollywood . . 43 C. Des idéaux partagés par l’Europe et l’Amérique . . 46 1) La résistance à l’oppression et la défense de la démocratie . . 46 2) L’exaltation du patriotisme . . 49 Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne . . 54 A. L’influence du Bureau of Motion Pictures . . 55 1) Hollywood, la guerre et le gouvernement . . 55 2) Le fonctionnement du Bureau of Motion Pictures . . 56 3) L’échec de l’influence du gouvernement dans la production de films . . 57 B. Des thèmes controversés sur les écrans . . 59 1) Jean Renoir : un réalisateur européen engagé expatrié à Hollywood . . 59 2) La Deuxième Guerre mondiale, l’Amérique et les Juifs . . 62 Conclusion . . 65 Bibliographie . . 68 Bibliographie en Français : . . 68 Bibliographie en Anglais : . . 69 Annexes . . 70 Résumés des films . . 70 Remerciements

Remerciements Je tiens à remercier l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon ainsi que mon directeur de recherches, M. Bruno Benoit, Professeur d’histoire, pour m’avoir permis de choisir un sujet de mémoire qui associe l’histoire et le cinéma, deux sujets qui me passionnent. Pour mes recherches bibliographiques et filmiques, je souhaite remercier les équipes de la Bibliothèque Raymond Chirat de l’Institut Lumière à Lyon, de la Bibliothèque du Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation à Lyon, de la Bibliothèque du Film à Paris et de la Bibliothèque Van Pelt à l’Université de Philadelphie. Pour m’avoir permis de voir Casablanca sur grand écran, je remercie mon ancien Professeur d’histoire du cinéma hollywoodien à UCLA, Jonathan Kuntz. Merci également à Kathy Peiss, Professeur d’histoire à UPenn, pour m’avoir montré comment le cinéma américain et l’histoire de ce pays sont inextricablement liés. La logistique est indispensable : un grand merci à Joan Griswold qui a acheté pour moi les cassettes vidéos américaines des films sélectionnés pour l’étude, introuvables en France, et qui me les a expédiées de Seattle jusqu’à Lyon. Merci à mes parents pour leurs encouragements. Je tiens aussi à saluer mes amis qui traversent le même triathlon que moi en ce moment : 1) terminer la quatrième et dernière année à l’IEP 2) rédiger le mémoire 3) trouver un Master pour l’année prochaine. Bon courage à Clémentine, Elsa, Gaëlle, Jen, Laurène, Manon, Mélanie, Nathalie, Noémie, Pauline, Sarah, et les autres. Et aussi à Jess et Danielle, parce qu’elles le valent bien.

MICLET Marion_2007 5 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Liste des films étudiés

Casablanca , de Michael Curtiz, 1942, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, se déroule au Maroc. To be or not to be ( Jeux dangereux ), de Ernst Lubitsch, 1942, avec Carole Lombard et Jack Benny, se déroule en Pologne. Once upon a honeymoon ( Lune de miel mouvementée ), de Leo McCarey, 1942, avec Cary Grant et Ginger Rogers, se déroule en Europe occupée. Mrs Miniver , de William Wyler, 1942, avec Greer Garson et Walter Pidgeon, se déroule en Grande Bretagne. Reunion in France , de Jules Dassin, 1942, avec John Wayne et Joan Crawford, se déroule en France. The Edge of Darkness ( L’ange des ténèbres ), de Lewis Milestone, 1943, avec Errol Flynn et Ann Sheridan, se déroule en Norvège. The Land is mine ( Vivre Libre ), de Jean Renoir, 1943, avec Charles Laughton et Maureen O’Hara, se déroule en Europe occupée. Hangmen also die ( Les bourreaux meurent aussi ), de Fritz Lang, 1943, avec Walter Brennan et Anna Lee, se déroule en Tchécoslovaquie. Watch on the Rhine ( Quand le jour viendra ), de Herman Schumlin, 1943, avec Paul Lukas et Bette Davis, se déroule aux Etats-Unis. To have and have not ( Le Port de l’angoisse ), de Howard Hawks, 1944, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, se déroule en Martinique. Passage to Marseille , de Michael Curtiz, 1944, avec Humphrey Bogart et Michèle Morgan, se déroule en France. Uncertain Glory ( Saboteur sans gloire ), de Raoul Walsh, 1944, avec Errol Flynn et Paul Lukas, se déroule en France.

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Introduction

« Je ne préfère pas vous dire tout ce que je pense de vous, c’est sûrement passible de la peine de mort. ». Réplique de Michèle de la Becque (Joan Crawford) à un officier allemand dans Reunion in France (Jules Dassin, 1942)

Hollywood dans les années 1940

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en Europe, les Américains ne sont prêts à s’engager ni politiquement ni militairement dans le combat. Il faudra attendre le 7 décembre 1941, le jour où les Japonais attaquent Pearl Harbor, pour que le conflit prenne véritablement sa dimension mondiale. En revanche, depuis la fin des années 1930, les producteurs hollywoodiens s’intéressent à la guerre et réagissent à l’actualité en intégrant les nouvelles venues du « Vieux Continent » à des récits de fiction. Le but est d’influencer les spectateurs en faisant de la situation de l’Europe un modèle pour le patriotisme américain. Bien que les Etats-Unis entrent en guerre sous la pression des évènements, plutôt que dans un élan d’union nationale, il faut convaincre le public que l’intervention correspond à un véritable choix idéologique. Le Président Roosevelt est persuadé que les films sont le moyen le plus efficace de toucher une large audience. Elmer Davis, directeur de l’agence gouvernementale chargée de superviser l’ensemble des médias pendant les années de guerre, l’Office of War Information, parle même du cinéma comme « l’instrument le plus puissant de la propagande dans le monde, que ce soit son objectif ou non »1. La propagande se définit comme l’« action exercée sur l’opinion pour l’amener à adopter certaines idées politiques et sociales, à vouloir et soutenir une politique, un gouvernement, un représentant »2. Dans les années 1940, il faut certes distinguer les techniques de propagande systématiquement appliquées dans les régimes totalitaires de celles ayant cours dans les démocraties. Mais l’Amérique n’échappe pas à une certaine forme de propagande : l’administration Roosevelt, en coopération avec les médias, a délivré des messages de mobilisation patriotique tout au long de la guerre. Si l’utilisation politique des films a été bien comprise par les chefs d’Etat, le véritable impact d’un film sur le public est cependant difficile à évaluer. Depuis la naissance du cinéma, des scientifiques, des psychologues et des sociologues se sont penchés sur la question. On connaît la légende selon laquelle, la première fois que des spectateurs ont vu un train dans le film des frères Lumière, L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat (1895), ils ont vraiment cru que la machine allait traverser l’écran et ont pris 1 “the most powerful instrument of propaganda in the world, whether it tries to be or not.” Davis press conference, Dec. 23, 1942, Box 1442, Records of the Office of War Information; Reduction of Nonessential Expenditures, 1213-14; Movies al War, Reports of War Activities, Motion Picture Industry, 1942-1 945, Vol. I, No. 1, pp. 1-5. Cité par: KOPPES, Clayton R. et BLACK, Gregory D., What to show the world: The Office of War Information and Hollywood, 1942-1945, Journal of American History, numero 64, juin 1977, page 89. 2 REY, Alain, (sous la direction de), Dictionnaire culturel en langue française, Dictionnaires Le Robert, 2005, page 2128. MICLET Marion_2007 7 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

peur. Dans les années 1920, les lobbys américains défenseurs de l’ordre moral se sont élevés contre les effets néfastes du cinéma sur la santé mentale des enfants ou sur les mœurs sexuelles des spectateurs. En 1934, pour calmer les voix qui accusent Hollywood d’être la nouvelle Babylone, un système d’autocensure est accepté par l’ensemble des studios afin de limiter toute forme de controverse dans les films. Avec la mise en application du « Production Code » par Will Hays, le cinéma américain devient très « politiquement correct ». Dans les années 1940, avant l’avènement de la télévision, l’importance des films pour informer et divertir est à son apogée. Entre 1939 et 1945, les salles de cinéma sont le seul lieu où l’on peut voir la Deuxième Guerre mondiale en images : au début de chaque séance, on projette les actualités de guerre et de nombreux films incorporent des scènes réelles du combat contre les Nazis. L’influence idéologique et politique de ce média est indiscutable. Cependant, le cinéma est aussi une industrie qui répond à des enjeux économiques. Clayton R. Koppes et Gregory D. Black expliquent que la production cinématographique pendant les années de guerre est d’environ 500 films par an. Le nombre d’entrées payantes s’élève alors à 80 millions par semaine, chiffre qui bat tous les records d’avant-guerre. Il faut ajouter à cela les entrées des films exportés, qui sont du même ordre de grandeur que les chiffres du marché intérieur. D’ailleurs, c’est bien souvent le succès à l’étranger qui permet la rentabilité pour les studios hollywoodiens3. Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée de la guerre pour se tenir informés et se divertir. Les années 1940 correspondent à l’âge d’or d’Hollywood. Cinq grands studios se partagent la quasi-totalité du marché de la production de films : la Fox ; Loew’s Incorporated (qui deviendra la M.G.M ou Metro-Goldwyn-Mayer ) ; Paramount Pictures ; RKO (Radio-Keith- Orpheum) ; et Warner Brothers. C’est l’époque du « studio system » : ces compagnies sont verticalement intégrées de la production jusqu’à la distribution et la diffusion. L’industrie du film est l’une des plus importantes branches de l’économie américaine. Les producteurs hollywoodiens et le gouvernement ont bien compris que les films ont un rôle fondamental à jouer aux Etats-Unis et dans le monde pendant la Deuxième Guerre mondiale. Entre 1941 et 1945, les liens entre Hollywood et Washington se resserrent incontestablement afin de canaliser le potentiel patriotique du cinéma. Produits par les studios sous l’influence des messages de propagande de l’administration Roosevelt, de plus en plus de films qui évoquent la situation sur les différents fronts commencent à sortir. Ils se déclinent selon tous les genres classiques du cinéma américain : aventure, amour, tragédie, comédie etc. Mais leur point commun est d’utiliser l’Europe comme inspiration pour la nation américaine. Parmi ces films, douze ont été choisis pour cette étude, tous présentés au public américain entre 1942 et 1945. Ils peuvent être analysés comme des documents historiques qui nous renseignent sur la situation de l’Amérique à travers le prisme de l’Europe. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Hollywood réagit presque immédiatement à la situation politique et militaire internationale. Cela permet de considérer le cinéma de l’époque comme un témoignage sur le vif de l’état d’esprit de la nation au cours du conflit. Ces films montrent les stéréotypes, les réflexes patriotiques, les peurs et les attentes de l’imaginaire collectif de l’Amérique. Ce ne sont pas des films de combat. Ils décrivent la vie en Europe occupée où les héros se trouvent confrontés au choix de la Résistance, de la collaboration ou de l’attentisme. Dans les années 1940, le cinéma américain est en transition : avant tout un

3 KOPPES, Clayton R. et BLACK, Gregory D., What to show the world: The Office of War Information and Hollywood, 1942-1945, Journal of American History, numero 64, juin 1977, page 89. 8 MICLET Marion_2007 Introduction

média de divertissement, il devient aussi « une arme de guerre »4, même si son utilisation comme outil de propagande a des limites. La Deuxième Guerre mondiale est très présente dans le cinéma hollywoodien, et en particulier la lutte contre le fascisme en Europe. Pourtant, les Etats-Unis ne sont pas encore entrés en guerre en 1939 et le débat politique à propos de l’engagement américain dure jusqu’à la fin de 1941.

Le combat des isolationnistes et des interventionnistes à la veille de l’entrée en guerre des Etats-Unis

Les origines de l’isolationnisme américain sont à rechercher dans la « doctrine Monroe », énoncée par le président des Etats-Unis en 1823, qui allait servir de guide à la diplomatie américaine jusqu’à la Première Guerre mondiale. Même si le pays est sorti victorieux du premier conflit mondial, l’opinion publique américaine en a tiré la conclusion suivante : mieux vaut ne plus se mêler des affaires du « Vieux Continent ». En 1919, la non-ratification du traité de Versailles par le Congrès des Etats-Unis ruine les espoirs de Woodrow Wilson de voir la Société des Nations nouvellement créée devenir le garant efficace de la paix dans le monde. Dans les années 1930, des « Neutrality Acts », ou lois sur la neutralité américaine, sont votées en série par le Congrès pour limiter l’intervention militaire et économique des Etats-Unis. Pourtant, les conflits qui mettent à mal la sécurité collective se multiplient: en Afrique avec la guerre d’Ethiopie en 1935, en Europe avec la guerre d’Espagne en 1936 et en Asie avec la guerre sino-japonaise qui débute en 1937. La première loi de neutralité de 1935 interdit la vente d’armes à des pays en guerre, mais pas celle des matières premières telles que le fer ou le pétrole. La loi de 1936 est plus sévère et interdit la vente de tout matériel de guerre à des pays belligérants, ainsi que les prêts et les crédits. En 1937, la guerre d’Espagne pousse le congrès à amender la loi de nouveau, pour que les limitations s’appliquent aussi à une guerre civile. Ce n’est qu’en 1939, sous la pression des évènements, que le non interventionnisme américain s’assouplit avec l’adoption, le 4 novembre, de la législation sur le « cash and carry ». Cette loi marque le premier geste américain d’un engagement pour l’Europe qui e fait alors face à la menace hitlérienne. Les hostilités directes entre le III Reich d’un côté, la France et la Grande Bretagne de l’autre, n’ont pas commencé, mais ces deux nations amies des Etats-Unis, ont déclaré la guerre à l’Allemagne deux mois plus tôt. Grace à cette nouvelle loi, les pays en guerre contre Hitler pourront venir chercher de l’aide en Amérique à condition qu’ils payent au comptant, « cash », et transportent eux-mêmes les produits et armes achetés, « carry ». A la fin des années 1930, l’intervention des Etats-Unis dans le conflit européen reste limitée. L’intervention économique paraît presque réticente, même si elle se fait au profit des Américains. Mais en réalité, l’Amérique a déjà choisit son camp. A la fin de 1939, malgré la montée des extrémismes en Europe pendant l’entre-deux- guerres et les menaces ouvertes de Hitler contre les démocraties européennes, le président Franklin Delano Roosevelt est presque seul à souhaiter l’intervention américaine. Il est confronté à un Congrès et une opinion publique hostiles à toute forme d’engagement

4 DOHERTY, Thomas, Projections of War, Hollywood, American Culture, and World War II, Columbia University Press, 1993, page 4. MICLET Marion_2007 9 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

militaire, qui rappelle les sacrifices de 1917-1918. Confiants dans la puissance de la France et de l’Angleterre, les Américains refusent d’envisager la défaite de ces deux pays qui doivent jouer un rôle de bouclier en Europe contre l’expansion nazie. Les certitudes américaines commencent à être ébranlées avec la défaite de la Norvège, du Danemark et l’occupation de l’Europe du Nord qui suit à l’hiver 1939-1940. Lorsque la France s’effondre face à la guerre-éclair en mai 1940, puis est occupée en partie par les Allemands, l’Amérique retient son souffle. Le fait que la plupart des films hollywoodiens tournés après la débâcle montrent les tristement célèbres images d’archives des Allemands défilant dans Paris, et surtout de Hitler face à la tour Eiffel, prouve bien que le choc de la défaite française a atteint les rives outre-Atlantique. A l’été 1940, la Grande Bretagne se trouve seule face aux puissances de l’Axe. Alors que le pays s’apprête à affronter l’aviation allemande lors de la « Bataille d’Angleterre », les isolationnistes américains ont de plus en plus de mal à défendre leur position. Après tout, la France et la Grande Bretagne sont les derniers remparts de la démocratie en Europe. Au moment où les victoires allemandes qui s’enchaînent donnent l’impression que les nazis sont invincibles, qui peut encore sauver la démocratie en Europe et dans le monde ? Plus que jamais, les camps isolationnistes et interventionnistes se déchirent. Des mesures plus concrètes sont prises. Le 21 juin, la Chambre des Représentants vote le recensement de tous les hommes entre dix-huit et soixante-cinq ans, un acte fort puisqu’il s’agit d’un premier pas vers la mobilisation, alors même que les Etats-Unis ne sont pas officiellement en guerre. Le budget de l’armée est augmenté de façon conséquente, car « L’Amérique n’avait aucun moyen de se défendre contre l’agression, on venait de s’en apercevoir. »5. La France et l’Angleterre étant sérieusement en position de faiblesse, les océans qui entourent le continent américain sont devenus une protection bien illusoire. La société civile et l’opinion publique basculent aussi du côté de l’aide aux démocraties européennes en lutte contre le nazisme : de nombreuses entreprises s’expriment en faveur de la levée de l’embargo et commencent à rassembler des fonds pour soutenir ces nations. Des comités appuyant l’action du gouvernement Roosevelt sont créés chaque jour, le plus puissant étant « le Comité de Défense pour l’Amérique » 6. La logique est simple : une Europe dominée par Hitler et les Nazis représente une sérieuse menace pour la démocratie américaine elle-même. Le 11 mars 1941, la loi sur le « lend-lease », ou « prêt-bail », autorise le président des Etats-Unis, sans entrer dans la guerre, à aider la Grande Bretagne ou tout autre gouvernement « dont le Président estime la défense vitale à la défense des États- Unis. », par le prêt, la location ou la vente de tout matériel militaire jugé nécessaire et contre un remboursement différé7. Les mots de Roosevelt traduisent bien la signification pratique mais surtout idéologique du prêt-bail : les Etats-Unis doivent devenir « l’arsenal de la démocratie »8. Le 7 décembre 1941 l’attaque japonaise sur la base militaire de Pearl Harbor scelle le destin des Américains : les Etats-Unis entrent en guerre presque malgré eux. Mais grâce aux efforts de Roosevelt pour faire naître un véritable complexe militaro- industriel, son pays, qui avait une armée plus petite que celle de la Belgique en 1939, est maintenant prêt à défendre la démocratie dans le monde. Les dernières voix isolationnistes sont contraintes de se taire. 5 WHITE, Dorothy Shipley, Les origines de la discorde: De Gaulle, la France Libre et les Alliés, Paris, Ed. de Trévise, 1967, page127. 6 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 128. 7 Article « prêt-bail », encyclopédie Universalis en ligne : http://www.universalis.fr/corpus-encyclopedie/138/T302242/ encyclopedie/T302242.htm. 8 Expression employée pour la première fois dans un discours après l’élection présidentielle de 1940. 10 MICLET Marion_2007 Introduction

Une fois engagés dans la Deuxième Guerre mondiale, les Américains conduits par l’administration Roosevelt mettent plus que jamais en avant leur volonté de lutter contre le fascisme au nom des principes unissant la nation américaine: la défense de la démocratie et le respect des libertés fondamentales. Le 14 août 1941, F. D. Roosevelt et Winston Churchill se rencontrent et signent la « Charte de l’Atlantique », dans laquelle les Alliés présentent leur idéal d’un combat pour les « » : la liberté d’expression, la liberté de conscience, le droit à la subsistance et le droit à la sécurité et ils énoncent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais très vite, les limites de cet engagement apparaissent. La « Charte de l’Atlantique » s’applique d’avantage à la situation en Europe qu’à la situation mondiale : le principe des colonies et des protectorats n’est pas remis en question, la ségrégation est toujours un état de fait dans la société américaine. Dans Le mythe de la bonne guerre, Jacques R. Pauwels, défend l’idée marxiste selon laquelle la raison de l’entrée en guerre des Etats-Unis n’est pas idéologique, mais le résultat d’un calcul économique : la défense de l’Angleterre devenant plus avantageuse que les échanges avec l’Europe sous tutelle nazie qui se tourne vers l’autarcie, l’Amérique a plus grand intérêt à sa battre contre l’Axe. D’après l’auteur, la défense de la démocratie n’est qu’un mythe construit par l’élite politique pour justifier l’action des puissances économiques. « Ainsi, le discours gouvernemental engendra une vérité, ou plutôt une mythologie officielle, selon laquelle des motivations idéalistes avaient caractérisé le rôle des Etats-Unis dans la Deuxième Guerre mondiale. »9. Les motifs idéologiques sont-ils seulement une couverture pour des motivations économiques ? Ou bien, plutôt, les intérêts économiques et idéologiques n’ont-ils finalement fait qu’un, les Etats-Unis s’engageant dans une croisade à la fois pour la démocratie et pour une économie du libre échange ? Toujours d’après Pauwels, c’est Hollywood qui se chargera d’entretenir ce mythe : le cinéma américain des années de guerre a « popularisé, de manière peu subtile mais fort efficace, la notion selon laquelle les Etats-Unis, mus par leur seul idéalisme étaient entrés en guerre pour rétablir la liberté et la justice en Europe et partout dans le monde »10. Sans pour autant partager l’opinion de cet auteur, il semble intéressant de s’interroger sur l’importance croissante des films de guerre à Hollywood entre 1939 et 1945. Pour la première fois dans l’histoire, une guerre est simultanément vécue par la population et suivie sur les écrans de cinéma. L’historien américain Paul Fussell, moins radical que Pauwels dans son explication du mythe de la guerre juste, insiste sur le fait que, lorsque les Etats- Unis sont entrés en guerre, il a bien fallu construire cet idéal de la défense de la démocratie dans le monde. Selon lui, la première préoccupation des Américains était de survivre et de gagner la guerre, pas de libérer l’Europe. Les sondages de l’époque révèlent que les civils se sentaient peu concernés par la « Charte de l’Atlantique ». Finalement, le rôle de Hollywood fut de combler en partie ce vide idéologique, de donner une signification plus forte à l’engagement américain11. Enfin, pour Michael Lyons, l’esprit de revanche envers le Japon était si fort après Pearl Harbor que l’administration Roosevelt devait contrebalancer les sentiments anti-Japon par des sentiments antinazis. L’accent mis par l’administration Roosevelt sur le combat au nom de la libération des peuples opprimés en Europe était- il un moyen de rediriger les effusions patriotiques vers une guerre contre l’Europe ? Pour

9 PAUWELS, Jacques R., Le mythe de la bonne guerre, Les Etats-Unis et la Deuxième Guerre mondiale, Ed. Aden, 2005, page 19. 10 PAUWELS, Jacques R., op. cit., page 18. 11 FUSSELL Paul, Wartime: Understanding and Behavior in the Second World War, New York, Oxford, 1989. MICLET Marion_2007 11 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Lyons, il y avait une « nécessité d’impliquer affectivement les Américains dans cette guerre contre Hitler », afin de dépasser les sentiments de vengeance après l’attaque surprise par les Japonais12. Entre 1939 et 1945, quel a été véritablement le rôle des films hollywoodiens qui traitent de la guerre en Europe ?

Plan du mémoire

Première Partie. Certains films de l’époque ont eu un rôle d’auto-conviction. Les Etats- Unis étant entrés en guerre sous la pression des évènements, il a fallu habituer le public américain à l’idée que l’engagement au Japon et surtout en Europe était inévitable et répondait à un choix idéologique véritable. L’Américain expatrié qui s’engage dans la résistance européenne devient le personnage symbole de l’interventionnisme américain. Dans Casablanca (Michael Curtiz, 1942) et Le Port de l’Angoisse (To have and have not, Howard Hawks, 1944) Humphrey Bogart incarne ce type de « héros réticent » qui épouse une cause qu’il finit par trouver juste et noble. Les films hollywoodiens dont l’action se déroule en Europe sont un miroir tendu à la société américaine. Le sacrifice des résistants européens doit servir de modèle aux Américains restés à l’arrière. En comparaison, les souffrances qu’ils endurent paraissent bien plus supportables : les restrictions, les proches partis au combat, la participation à l’effort de guerre. En regardant ces films, les civils et les militaires peuvent se sentir galvanisés : en sacrifiant leur confort personnel et en faisant passer leurs intérêts individuels au second plan pour servir la nation, ils œuvrent aussi au bien de l’humanité. Hollywood les conforte dans leur sentiment de se battre contre l’oppression, comme les résistants européens. Un autre effet des films dont l’action se situe en Europe occupée est d’encourager indirectement le travail des femmes américaines dans les industries de guerre. En effet, de nombreux films montrent des femmes se sacrifier comme les hommes pour la libération de leur pays. Même souvent seulement comme un faire valoir pour le héros, Hollywood met en avant le rôle des femmes dans la résistance européenne. Leur égoïsme se transforme en engagement politique, leur vulnérabilité en ténacité et leurs doutes en invincibilité, tout en restant féminines bien sûr. La femme américaine doit s’inspirer de ces modèles incarnés par les stars et participer à l’effort de guerre à sa manière. Enfin, les nations d’Europe sont montrées comme des sociétés unies dans la lutte contre le nazisme, comme devraient l’être les Etats-Unis. Dans The Edge of Darkness (Lewis Milestone, 1943) et Mrs Miniver (William Wyler, 1942), la Norvège et la Grande Bretagne sont des pays qui souffrent, certes, mais qui, grâce à la guerre, ont atteint une cohésion sociale exemplaire, quoique certainement idéalisée. Cette démocratie de fiction a pour but d’inspirer la nation américaine. Deuxième Partie. Du point du vue des producteurs hollywoodiens, la situation en Europe doit aider les Américains à se lancer physiquement et à se projeter moralement dans la guerre et à comprendre les valeurs d’engagement et de sacrifice. Les films produits dans les années 1940 ont également pour fonction de définir le positionnement idéologique de l’Amérique en guerre. Dans cette seconde partie, nous verrons comment Hollywood a créé un genre cinématographique nouveau pendant la Deuxième Guerre mondiale: le film antinazi. Sur les écrans, le monde est divisé en deux camps irréconciliables : l’axe du mal contre l’axe du bien. D’un côté l’on trouve les Nazis, mais aussi tous les collaborateurs qui

12 « Need to involve them emotionally in that war against Hitler » LYONS, Michael J ., World War II : a short history, N.J., Pearson Education Upper Saddle River, 1989, page 186. 12 MICLET Marion_2007 Introduction

sont assimilés à des traitres, et de l’autre, les résistants patriotes. Les ambigüités de la situation dans chaque pays d’Europe occupée, avec son lot de collaborateurs, de résistants, mais surtout de nombreux européens qui tentent simplement de survivre, sont évacuées. Le patriotisme de la France éternelle ou des combattants alliés de la Royal Air Force (R.A.F) et des Forces Françaises Libres (F.F.L) est célébré sur les écrans comme une force invincible qui va venir à bout du nazisme. Simplifier les enjeux de la situation en Europe dans les films correspond à un besoin de créer un sentiment d’union nationale et de balayer les doutes dans la société américaine. Si les Américains ont un ennemi clairement identifié et peuvent se reconnaître dans des valeurs patriotiques communes à l’Europe et aux Etats-Unis, alors la guerre devient non seulement acceptable mais nécessaire. Troisième Partie. Enfin, nous étudierons jusqu’à quel point l’on peut parler de propagande au sujet des films produits à Hollywood pendant la Deuxième Guerre mondiale. Tous les aspects décrits précédemment nous permettent de dire que le cinéma de l’époque a certainement eu une influence sur la façon de penser la guerre aux Etats-Unis. Mais il convient de rappeler que ces films ont été produits dans un contexte où la démocratie est restée intacte. L’intervention de l’administration Roosevelt dans la production des films pendant la guerre s’est traduite par la création d’agences gouvernementales qui ont eu une fonction d’information, plutôt que de contrôle. Nous verrons ainsi quelle a été l’influence réelle du Bureau of Motion Pictures et de l’Office of War Information (O.W.I). La seule forme de censure qui existait était de l’ordre de l’autocensure. Rappelons que le gouvernement avait à sa disposition d’autres moyens d’influencer l’opinion publique américaine, que ce soit à travers la presse, la radio et les films documentaires de la série Why We Fight dirigée par le réalisateur Frank Capra. Hollywood dans les années 1940 était à l’apogée du « studio system ». Chaque production répondait à des enjeux économiques plus que politiques. Les producteurs mettaient en route des projets de films avec l’idée qu’ils devaient s’adresser avant tout à un public avide de divertissement, plus que jamais en temps de guerre. D’autre part, l’influence des réalisateurs européens expatriés à Hollywood a permis d’introduire des nuances. Grâce à eux, l’image de l’Europe en guerre sur les écrans de cinéma américains est devenue, dans une certaine mesure, plus diverse et plus complexe. Enfin, l’influence des hommes à la tête des grands studios hollywoodiens des années 1940, les « movie moguls », a contribué à faire tomber l’un des tabous des films antinazis : le sort réservé aux Juifs dans l’Europe occupée. La plupart d’entre eux était en effet d’origine juive13. Le cinéma hollywoodien de la Seconde Guerre mondiale est donc partagé entre son indépendance politique et économique et son rôle de porte drapeau du patriotisme américain.

13 GABLER, Neal , et traduit par HEL GUEDJ, Johan-Frédérik, Le royaume de leurs rêves : La saga des Juifs qui ont fondé Hollywood, Calman-Lévy, 2005. MICLET Marion_2007 13 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

« Les problèmes de ce monde ne rentrent pas dans mes compétences. Moi, je tiens un café. ». Humphrey Bogart, Casablanca, (Michael Curtiz, 1942) « L’isolationnisme est passé de mode. » Sydney Greenstreet, Casablanca De nombreux films produits à Hollywood avant et pendant l’entrée en guerre des Etats- Unis contre les puissances de l’Axe font référence à la bataille entre les interventionnistes et les isolationnistes. Le personnage du héros réticent, interprété par Humphrey Bogart dans Casablanca (Michael Curtiz, 1942) et Le Port de l’angoisse (To have and have not, Howard Hawks, 1944), devient le symbole du nécessaire engagement de l’Amérique dans la Seconde Guerre mondiale. Le sacrifice européen devient une métaphore du sacrifice américain : les résistants et les résistantes engagés la lutte sont érigés en modèles. Et le renforcement de la cohésion sociale en Europe, malgré l’occupation allemande, doit inspirer la nation américaine en ces temps difficiles.

A. Le héros réticent qui représente la société américaine partagée entre isolationnisme et interventionnisme

Deux années séparent la sortie américaine de Casablanca (Michael Curtiz, 1942) et Le Port de l’Angoisse (To have and have not, Howard Hawks, 1944), mais ces films traitent tous deux du nécessaire engagement de l’Amérique dans la guerre contre le totalitarisme. La production de Casablanca a été entamée avant même l’attaque sur Pearl Harbor par les Japonais ; en revanche, Le Port de l’Angoisse peut être considéré comme un renouvellement des vœux de l’engagement américain au moment du débarquement en Europe et des dernières batailles dans le Pacifique. Dans les deux films, Humphrey Bogart interprète un Américain expatrié qui vit dans des colonies françaises, le Maroc et la Martinique. Confronté à la présence des forces d’occupation allemandes et des autorités vichystes, il doit faire un choix entre isolationnisme et interventionnisme. Avec réticence, ce

14 MICLET Marion_2007 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

personnage individualiste devient un héros qui sacrifie son bonheur personnel à la cause de la Résistance. Pour les spectateurs de l’époque, le message est limpide : les années 1940 seront des années de sacrifice pour l’Amérique.

1) Le héros réticent dans Casablanca Un récit symbolique Le personnage principal du film est Rick Blaine, un Américain patron de café à Casablanca. A première vue, sa principale ambition est de gagner de l’argent en faisant tourner son café, sans se mêler des affaires des autres, quitte à verser des pots de vin aux autorités vichystes si nécessaire. Il est présenté comme un homme froid, cynique et individualiste. Cependant, son passé est celui d’un homme engagé, mais qui a abandonné ses idéaux à cause d’une déception sentimentale. Avant le début du conflit mondial, Rick a livré des armes en Ethiopie en 1935 et a combattu en 1936 du côté des Républicains espagnols. Sa carapace va se fendre lorsqu’il retrouve par hasard Ilsa (interprétée par Ingrid Bergman), la femme qui lui a brisé le cœur. Cet échec a fait de lui un « isolationniste » sentimental, mais aussi politique, qui refuse toute forme d’engagement. Ilsa est à Casablanca avec son mari Victor Laszlo, un Tchécoslovaque, pilier de la Résistance en Europe. Ils ne peuvent fuir la ville sans l’aide de Rick, qui n’a pas pardonné à Ilsa. Finalement, il réalise peu à peu que la cause de la Résistance est plus importante que son bonheur personnel et il organise la fuite du résistant et de sa femme en avion. Le film s’achève sur la scène où l’on voit Rick sympathiser avec le Préfet Renault (le représentant de Vichy à Casablanca) qui, de collaborateur, est devenu résistant. Ils décident de partir ensemble rejoindre les Forces Françaises Libres à Brazzaville. « C’est le début d’une belle amitié » est la dernière réplique du film. A sa sortie en 1942, Casablanca a été un succès public et critique. Certainement, la réactivité des producteurs a permis en partie cette réussite14. En effet, le tournage s’est achevé quelques temps avant l’arrivée des troupes anglo-américaines en Afrique du Nord et la prise de Tanger, Oran et… Casablanca. Ce succès militaire contribue à faire une bonne publicité au film qui sort le même mois. En janvier 1943, F.D. Roosevelt et W. Churchill se rencontrent pour une conférence à Casablanca. La ville est désormais connue du grand public américain qui se presse pour aller voir le film. La chronologie a une grande importance. Tout d’abord, l’attaque sur Pearl Harbor, qui joua un rôle décisif dans l’entrée en guerre des Etats-Unis, a lieu pendant le tournage du film, qui raconte justement l’histoire d’un Américain dont le cœur balance entre isolationnisme et interventionnisme. En menaçant directement l’idéal américain de séparation entre le pays et le reste du monde, la Deuxième Guerre mondiale remet en cause la tradition de non intervention. Casablanca exploite habilement le dilemme qui se pose à la société américaine au début des années 1940. Le film est l’un des premiers à traiter ouvertement de la nécessité de l’intervention des Etats-Unis dans la guerre, avant même l’attaque par les Japonais. Le personnage principal a une réplique lourde de signification quand on connaît la suite des événements : « Je parie qu’ils sont tous endormis à New York et dans toute l’Amérique ». Le 8 décembre 1941, le président Roosevelt demande au Congrès de se prononcer sur une déclaration de guerre contre le Japon, qui est votée le jour même, à l’unanimité. Le 11

14 FRIEDRICH, Otto, City of nets : a portrait of Hollywood in the 1940s, Harper & Row Publishers, 1986, page 139. MICLET Marion_2007 15 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

décembre, c’est au tour de l’Allemagne et de l’Italie de déclarer la guerre aux Etats-Unis15. En janvier 1942, Roosevelt prononce un célèbre discours dans lequel il tente de justifier auprès de l’opinion publique le bien-fondé de l’intervention américaine dans cette guerre devenue mondiale. Selon lui, la politique isolationniste n’est plus matériellement tenable : Cette guerre est d’une espèce nouvelle, elle diffère de toutes les guerres du passé, non seulement par les armes et les méthodes, mais aussi par la géographie. C’est une guerre qui embrasse tous les continents, toutes les îles, toutes les mers, toutes les routes aériennes, dans le monde entier. […] Les vastes océans, dont on affirmait dans le temps qu’ils étaient capables de nous protéger contre les attaques, sont devenus des champs de bataille sans limites, sur lesquels l’ennemi nous défie à tout moment16. Ainsi, dans une des scènes de Casablanca, lorsque Signor Ferrari ( Sydney Greenstreet ) déclare à Rick que l’« isolationnisme est passé de mode » 17, c’est clairement la voix de l’administration Roosevelt que l’on entend. Casablanca reste un emblème de son époque car les conditions de tournage et le scénario se sont adaptés aux évènements mondiaux. Le cinéma hollywoodien des années 1940 possède, en effet, la faculté d’aborder les problèmes de l’époque en temps réel et de les traiter frontalement. Jamais auparavant les patrons des studios de cinéma ne s’étaient sentis investis de la mission de justifier, de décrire et même de prédire l’issue d’une guerre dans lequel le pays était engagé. La longévité du film Casablanca s’explique aussi certainement par le fait que ses auteurs donnent une vision prémonitoire de l’issue du conflit: ils anticipent la victoire des Alliés contre l’Axe, grâce à la contribution de la résistance intérieure en Europe et des Forces Françaises Libres du Général de Gaulle. Pourtant, en 1942, pas même les Français n’imaginaient une telle solution. Même si ce n’était qu’un vœu pieux à l’époque, il faut reconnaître qu’Hollywood a su transformer son cinéma de guerre en outil de propagande. La logique de l’auto-conviction est visible dans ce film. Rick, le héros, est l’incarnation de cette volonté de donner un sens et un « happy-end » à un combat qui vient de commencer pour les Américains. En s’appuyant sur le chapitre consacré à Casablanca dans l’ouvrage de Robert B. Ray18, on constate que les auteurs du film ont réussi à transformer une œuvre de propagande en un mélodrame efficace. Même si le film est ouvertement politique et partisan, le dilemme entre isolationnisme et interventionnisme, qui divise encore l’Amérique au début des années 1940, est subtilement déplacé du collectif vers l’individuel : il s’agit de savoir si Rick l’Américain doit aider ou non Laszlo, le résistant européen. Le but de cette « miniaturisation » du problème est de rassurer le public. En effet, depuis l’expérience de la Première Guerre mondiale, la plupart des Américains sont angoissés à l’idée d’une intervention militaire qui signifierait la fin de leur autonomie. D’après Robert B. Ray, cette peur est la fondation de l’idéologie américaine : depuis son indépendance, le pays est considéré par ses habitants comme une entité à part, sans responsabilités vis-à-vis du Vieux Continent. En présentant, même à échelle réduite, l’intervention américaine comme possible, le film entre en contradiction avec cette idéologie.

15 GUËT, Alain et LARUELLE,Philippe, The US in a Nutshell, Paris, PUF, 2000, page 41. 16 Discours radiodiffusé de F. D. Roosevelt, 6 janvier 1942. 17 « My dear, Rick, when will you realize that in this world, today, isolationism is no longer a practical policy ? » 18 RAY, Robert B., A certain tendency of the Hollywood cinema 1930-1980, Princeton University Press, 1985, page 128. 16 MICLET Marion_2007 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

Le film résout cette tension en présentant l’engagement politique du héros comme seulement temporaire, exceptionnel19. La lutte contre le nazisme paraît être une cause collective suffisamment grave pour forcer le peuple américain à choisir l’effort de coopération, qui avait pourtant été discrédité de façon persistante depuis les pères fondateurs de l’Amérique. Le film dépasse cette contradiction en suggérant que le pays est capable de s’engager dans le combat sans perdre son autonomie. Ainsi le personnage de Rick parvient à réconcilier dans Casablanca deux tendances contradictoires : l’autonomie individuelle et la participation communautaire. Rick intervient cette fois là, sans pour autant qu’il s’agisse d’un choix définitif. Cependant, dans certains passages, le film montre que cette théorie ne peut fonctionner. Il met à jour les angoisses et les intuitions qui font penser que la Deuxième Guerre mondiale, même en cas de victoire, marquera la fin de cet idéal d’interventionnisme, en quelque sorte indolore, sans dommages collatéraux. Ainsi, dans cette conversation entre Rick et l’Allemand Strasser, le nazisme semble menacer directement l’Amérique : « - Strasser : Etes-vous un de ceux qui ne peuvent imaginer les Allemands dans votre Paris adoré ? Vous nous voyez à Londres ? A New York? - Rick : Je vous déconseille d’envahir certaines zones. - Qui va gagner la guerre selon vous ? - Je n’en ai aucune idée. » Cette réplique est une des plus pessimistes d’un film qui pourtant, dans son ensemble, annonce dès la fin de 1942 la victoire de l’Europe et des Alliés grâce au mouvement de la Résistance. Nous le verrons ci-dessous à travers l’étude du personnage de Victor Laszlo. D’après Robert B. Ray, le succès du film repose sur la réduction des tensions idéologiques de la nation américaine à un conflit miniature entre deux types de héros : - le « héros réticent » ou héros malgré lui, ce qu’il appelle le « héros hors-la- loi » (« outlaw »), représenté par le personnage de Rick. - le héros classique ou « officiel », représenté par le résistant Victor Laszlo. Rick l’Américain et Laszlo l’Européen incarnent respectivement deux sources de l’idéologie américaine. Tandis que le héros officiel représente la sophistication de Vieux Continent, le héros hors-la-loi représente le rejet instinctif de l’Europe et de sa culture. « Le héros hors-la-loi » Rick Blaine est un personnage plutôt antipathique dans les premières scènes du film. Son passé et les raisons de sa présence à Casablanca sont mystérieuses. On apprend qu’il était engagé politiquement. Il est interdit de séjour aux Etats-Unis à cause de sa participation dans les guerres d’Ethiopie et d’Espagne dans les années 1930. A Casablanca il s’est rangé, et ses seules préoccupations sont d’ordre économique : faire tourner son café. Parfois, il laisse entrevoir ses sentiments antiallemands20, mais de nombreuses répliques montrent à quel point il est devenu complètement apolitique, un isolationniste complet. Il affirme ainsi :

19 « By portraying all involvements in the larger community as potential threats to American exceptionalism, however, this projection generated an abiding ideological tension. Indeed, its fundamental disparagement of cooperative behavior necessitated a compensatory mythology whose depiction of commitments as temporary made political activity at least occasionally possible. ». RAY, Robert B, op. cit., page 129. 20 Dans les répliques suivantes : « - Ugarte : Vous l’avez bien remis en place ce banquier allemand, on dirait que vous l’avez fait toute votre vie. - Rick : Qui vous dit le contraire ? ». MICLET Marion_2007 17 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

« Vous faites de la politique, moi je tiens un café. ». A quoi le Capitaine Renault, chef des autorités vichystes, répond ironiquement : « sage politique étrangère ». Ou encore, Rick : « Occupez-vous de vos affaires, moi je m’occupe des miennes. » ; « Je suis la seule cause qui m’intéresse. » ; «Les problèmes de ce monde ne rentrent pas dans mes compétences. Moi, je tiens un café. ». Et surtout, cette expression très imagée : « I stick my neck out for nobody ». En quelque sorte, Rick a adopté la « politique de l’autruche ». Le personnage de Rick, au début de Casablanca, est une métaphore de l’Amérique qui restera en dehors du conflit jusqu’à ce qu’elle soit touchée au cœur, lors de l’attaque de Pearl Harbor qui aura lieu, rappelons-le, lors du tournage de Casablanca. Ce film est véritablement prémonitoire, non seulement en ce qui concerne l’engagement américain dans la Deuxième Guerre mondiale, mais également sur l’importance décisive de la Résistance en Europe. Ainsi, lorsque Rick décide finalement d’aider le résistant Laszlo à s’enfuir, ce dernier le félicite : « Bienvenue à nouveau du côté des combattants, cette fois la victoire est dans notre camp. ». Cette réplique est une véritable prophétie qui s’adresse à nouveau directement au public américain. Toujours selon Robert B. Ray, le personnage de Rick peut être comparé à une sorte de Robin des Bois, qui agit en dehors d’un système légal corrompu, au nom d’une notion plus grande et plus personnelle de la justice. Comme le Prince des Voleurs, il vole aux riches pour donner aux pauvres. Ceci est montré dans la scène où Rick truque la roulette pour faire gagner à un jeune couple l’argent nécessaire pour acheter au Préfet Renault un visa de sortie, en espèces et non pas en nature. Rick représente une moralité supra-légale, tandis que Laszlo se raccroche à la loi pour assurer sa sécurité. L’Américain a bien compris que les Allemands, tout comme la police française, sont au-dessus de la loi. Il n’hésite donc pas à remplacer un système légal corrompu par sa propre vision du bien et du mal, et c’est ce qui sauve le héros « officiel », Victor Laszlo, en fin de compte. Cependant, l’attachement traditionnel du public américain pour le héros hors-la-loi est mis à rude épreuve dans la mesure où l’idéalisme intransigeant de Laszlo s’adoucit, tandis que l’égoïsme de Rick et son détachement moral deviennent insupportables pour le spectateur. Ainsi dans cet échange entre les deux hommes : « - Laszlo : Si nous cessons de combattre nos ennemis, ce sera la fin du monde. - Rick : Et alors ? Au moins cela mettra fin à ces souffrances. » Aux yeux du public, ce pessimisme excessif passe pour une véritable trahison face à l’idéalisme invincible de Victor Laszlo, malgré toutes les souffrances qu’il a vécues. Si le héros hors-la-loi semble sans espoir, sans futur, il lasse le public. C’est pourquoi, lorsque Rick décide finalement de basculer explicitement dans le camp des résistants, cela paraît non seulement souhaitable, mais c’est un véritable soulagement. Il s’agit alors de rassurer le spectateur, désormais convaincu de la nécessité de l’intervention américaine dans le conflit, en lui montrant que Rick peut agir sans sacrifier son indépendance. En faisant de l’amour que Rick porte à Ilsa, la motivation principale de son action, au-delà même de la politique de lutte contre le fascisme, Casablanca fournit à son public une justification concrète et supportable de l’intervention de Rick. Il sort de sa position d’isolationnisme sentimental et politique dans un même élan. « Le héros officiel » La carrière du résistant Victor Laszlo commence à Prague, où il a distribué des journaux clandestins avant et après l’invasion allemande. Il a finalement été arrêté par la Gestapo et envoyé en camp de concentration. Il est devenu un super-héros de la Résistance (il a été pris et s’est échappé cinq fois des camps !), un symbole pour tous les résistants d’Europe. 18 MICLET Marion_2007 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

C’est le héros classique par excellence, totalement dévoué à la noble cause qu’il défend, avec modestie : lorsqu’il évoque ce qu’il a subi en camp de concentration, il reste laconique : « on perd du poids » ; mais il affirme également être mort cinq fois, à chaque capture. Dès son arrivée à Casablanca, et même s’il est surveillé de près par les autorités françaises et allemandes, il reprend son activité. Il rencontre un Norvégien qui a une vision optimiste de la résistance contre le nazisme, puisqu’elle existe à Casablanca, « comme partout ailleurs ». Victor Laszlo, et à travers lui les tenants de l’intervention américaine, laisse entendre au public que la résistance en Europe est infinie et invincible. Plusieurs répliques du film le prouvent. Ainsi, lorsque le Major Strasser exige qu’on lui révèle les identités des chefs de la Résistance en Europe, les villes de Paris, Prague, Bruxelles, Oslo, Amsterdam, Belgrade et Athènes sont citées. Laszlo ajoute avec impertinence : « Vous voulez aussi les noms des résistants à Berlin ? ». Il affirme aussi : « Je n’ai pas trahis les résistants dans les camps de concentration où vous aviez des méthodes plus persuasives . Je ne risque pas de le faire ici. Quand bien même vous les tueriez tous, des milliers d’autres surgiraient de toute l’Europe. Vous n’oseriez pas me tuer ici, en France non occupée. ». On trouve dans cette dernière réplique, en plus d’une dénonciation implicite de la torture pratiquée par la Gestapo, la confiance absolue qu’a Laszlo dans la légalité et la justice. Il représente bien le contraire de Rick, le héros hors-la-loi. Il garde son calme face à Strasser qui lui dit « Vous e étiez tchécoslovaque, vous êtes à présent un sujet du III Reich. », et répond ironiquement «Je n’ai jamais accepté ce privilège, et je suis maintenant sur le sol français. ». Son action est motivée par des principes abstraits et rationnels. Résister c’est tout simplement une nécessité vitale pour lui. Quand Rick lui demande : « Est-ce que vous ne vous demandez pas parfois si tout cela en vaut la peine ? Pourquoi vous battez-vous ? ». Il répond : « Vous pourriez aussi bien me demander pourquoi je respire. Si nous cessons de respirer, nous mourrons ; si nous cessons de combattre nos ennemis, le monde mourra ». Dans les dernières scènes du film, le pragmatisme et le scepticisme de Rick sont vaincus : à ceux qui veulent arrêter Laszlo, il rétorque « Vous n’avez aucune preuve, ceci n’est pas l’Allemagne, ni la France occupée ». Le héros hors-la-loi finit donc par se ranger du côté de l’idéal de légalité et de justice. L’Américain et l’Européen ne font plus qu’un dans le combat contre le fascisme. Comme Rick, métaphore cinématographique de son pays, l’Amérique doit s’engager.

2) Le héros réticent dans Le Port de l’angoisse Dans Le Port de L’Angoisse (To Have and have not, Howard Hawks, 1944), le héros suit le même parcours moral que celui de Casablanca : de l’individualisme à l’engagement pour la cause de la Résistance. On trouve à nouveau Humphrey Bogart dans le rôle du héros malgré lui, à quelques nuances près. Premièrement, Le Port de l’Angoisse a été tourné deux ans après Casablanca, et cette différence temporelle a de l’importance. Dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale, la production de films s’adapte presque instantanément aux évolutions militaires, politiques et diplomatiques. Au moment où Howard Hawks filme Le Port de l’Angoisse, le débat entre isolationnisme et interventionnisme n’est plus à l’ordre du jour, et il s’agit d’avantage de renouveler la confiance que porte la nation américaine dans ses troupes qui, en 1944, sont engagées en Asie et en Europe. L’individualisme du héros ne traduit plus la tentation de la non-intervention mais plutôt la lassitude, les doutes et les peurs que ressentent les Américains après plusieurs années de conflit. La fonction d’auto-conviction est toujours à

MICLET Marion_2007 19 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

l’œuvre : le film porte un message de confiance et d’espoir infaillible dans la victoire qui doit servir à justifier aux yeux du public américain le rôle primordial tenu par les Etats-Unis parmi les Alliés. Une critique subtile du régime de Vichy Comme dans Casablanca, l’action du Port de l’Angoisse se déroule dans une colonie française, la Martinique, où les représentants de Vichy et la Gestapo ont le pouvoir. Avec le recul des années passées depuis 1942, Hollywood a une vision plus critique de la France de Vichy. Les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et le régime du Maréchal Pétain ont d’ailleurs été rompues à l’initiative de ce dernier, à la fin de 1942, après le débarquement allié en Afrique du Nord (« Opération Torch » le 8 Novembre). Certains éléments du film ont pour but de créer un effet de réalisme. Tout d’abord le nom du représentant de la France de Vichy en Martinique est exact : L’Amiral Robert, « Haut Commissaire des Antilles et de la Guyane », qui, d’après Dorothy Shipley White, avait instauré une sorte de « dictature miniature sur l’île et suivait de près la ligne de Vichy » 21. Le portrait qui est fait de lui dans le film est sans concessions : dans la scène d’ouverture, on voit l’Amiral exiger les noms d’Harry (Humphrey Bogart) et d’Eddie (Walter Brennan), sous prétexte qu’il a cru les entendre faire une remarque désobligeante à l’égard du régime de Vichy. Contrairement à l’image des autorités françaises dans Casablanca, qui étaient représentées par le personnage ambigu du Préfet Renault, la police française (« sûreté nationale ») est ici représentée caricaturalement par un acteur avec un fort accent français et un béret. Soit les forces de l’ordre emploient des méthodes totalement arbitraires, soit elles sont montrées à la botte de la Gestapo, la seule force qui fait réellement la loi sur l’île. Les problèmes sont résolus par des règlements de compte et des fusillades. Lors d’une scène d’interrogatoire, le dévouement à la France de Vichy semble s’obtenir par la menace : « - Quelles sont vos sympathies M. Gérard ? - Je suis pour la France - C’est bien, tâchez de le rester. » La personne de Maréchal Pétain est plus ouvertement critiquée. La tutelle vichyste dans les territoires français d’Outre-mer nous est signifiée dès le début, par une affiche représentant Philippe Pétain avec une devise légèrement différente de celle de l’Etat français : « Honneur, Famille, Patrie ». L’importance prise par les représentants ou les symboles de Vichy dans le film est conforme à la réalité : Bien entendu, la propagande vichyssoise se développa aussi dans l’Empire, où elle atteignit une intensité jamais atteinte. Elle entendait instaurer un véritable culte du Maréchal : des affiches, des tracs, des films célébrant ‘‘l’homme aux sept étoiles d’or’’ étaient censés soulever l’enthousiasme des populations. […] De gigantesques portraits de Pétain trônaient dans tous les lieux publics22. Hollywood semble railler cette iconographie qui justement est omniprésente dans le film, par souci de réalisme, mais aussi comme critique implicite. Ce n’est pas pour rien que le héros aide les combattants de la France Libre, la France de ceux qui rejettent Vichy comme gouvernement légitime de la nation française. Puisque l’action du film se passe à Fort-de- France, Hollywood n’élude pas la symbolique du régime de Vichy, mais la contrebalance

21 WHITE, Dorothy Shipley, Les origines de la discorde: De Gaulle, la France Libre et les Alliés, Paris, Ed. de Trévise, 1967, page 160. 22 AZEMA, Jean-Pierre et BERIDA, François, Vichy et les Français, Fayard, 1992, page 128. 20 MICLET Marion_2007 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

par la présence du drapeau tricolore, le symbole des résistants français dans les films américains. Une certaine lassitude dans la société américaine en guerre De nouveau, Humphrey Bogart joue un héros solitaire qui finira par s’engager dans la lutte contre le nazisme. Cependant, même si son personnage aboutit aux mêmes conclusions que Rick dans Casablanca, il le fait avec plus de cynisme. Ce sont avant tout les motivations économiques qui le conduisent à aider les résistants. Lorsque qu’un résistant français lui confie : « - Je suis content que vous soyez de notre côté. », il répond « - Je ne le suis pas, je veux simplement être payé. ». Ou encore : « - Vous avez sauvé la France !», « - Non, je veux juste sauver mon bateau. ». En 1944, les auteurs du film se permettent même de se moquer de l’alliance entre les Américains et les Forces Française Libres, comme on le constate dans ce dialogue entre l’un des résistants et le héros, Mr. Morgan : « - Le résistant : Mr Morgan, je pensais que tous les Américains étaient de notre côté. - Mr. Morgan : Ils le sont mais il y a une rumeur qui court, selon laquelle ils envoient ceux qui font ce que vous faîtes sur l’Ile du Diable. Ma sympathie pour votre cause a des limites. - Le résistant : Mais ils ne feraient pas ça à un Américain ! - Mr. Morgan : Vous croyez vraiment ça… ». A la différence de Rick dans Casablanca, le personnage de Bogart dans Le Port de l’Angoisse s’engage sans conviction : « - Le résistant : Ces personnes que nous venons de quitter [la Gestapo] ont rejoint Vichy. Vous savez ce que c’est ? - Mr. Morgan : Vaguement. - Le résistant : Ils ont la Marine avec eux. Les personnes sur qui ils tiraient ce sont les Forces Françaises Libres. Vous savez qui ils sont ? - Mr. Morgan : Pas vraiment. - Le résistant : La plupart des gens de cette île sont des patriotes. Ils sont pour le Général de Gaulle, mais jusqu’à présent ils n’ont pas été capables de faire grand chose. ». Cet échange est significatif d’un certain cynisme ou peut-être d’un découragement de la part des Etats-Unis. En 1944, l’opinion publique américaine, lassée de la guerre, se sent- elle vraiment concernée par l’action de la France Libre ? Le Port de l’Angoisse s’inscrit à première vue dans la mouvance des films qui justifient l’engagement des Etats-Unis, mais en même temps, ce film met en cause implicitement le bien fondé du sacrifice américain. En 1944, le chemin vers la victoire en Europe paraît encore bien long. Le héros désabusé finit par trouver une raison autre que financière à son combat pour la Résistance, mais reste bien vague sur ses convictions politiques. Lorsque le gérant français de l’hôtel, qui sympathise avec les résistants, lui demande pourquoi il les a aidés, Mr. Morgan répond : « Je ne sais pas, peut-être parce que je vous aime bien, peut-être parce que je ne les aime pas. [Les Allemands] ». Jusqu’au bout, les Américains auront besoin de se représenter au cinéma la guerre en Europe pour se convaincre que leur devoir est d’intervenir. En montrant, de façon plus directe, les sacrifices et les tourments des populations occupées et des résistants hommes et femmes dans les pays où règne l’ordre nazi, Hollywood redonnera un second souffle à l’engagement américain. En voyant sur les écrans une version à la fois réaliste et romancée de la situation en Europe, la société américaine en guerre relativisera ses propres souffrances.

MICLET Marion_2007 21 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

B. Le sacrifice européen comme métaphore du sacrifice américain

Le sacrifice européen se présente dans le cinéma américain de deux façons dans les années 1940. D’une part, Hollywood produit des œuvres appartenant à un nouveau genre cinématographique : le film sur la Résistance. Ces fictions où l’engagement des résistants européens est mis en avant doivent motiver le combat des Etats-Unis contre le fascisme. D’autre part, le rôle des héroïnes de cinéma dans la participation à l’effort de guerre est montré comme crucial. Le but est d’inciter les Américaines restées à l’arrière à contribuer à la lutte en quittant le foyer pour travailler dans les industries de guerre.

1) Un genre nouveau : le film sur la Résistance L’absence de conflit entre les Américains et les Allemands au début des années 1940 conduit les producteurs hollywoodiens à faire des films de situation, plutôt que d’action, où ce sont les rapports entre les occupés et les occupants qui sont analysés23. La seule forme de combat qui peut être montrée est celle des « forces de l’ombre », d’où la grande place accordée au rôle de la Résistance dans ces films, même si elle n’a été le fait que d’une minorité agissante. C’est la naissance d’un nouveau sous-genre du film de guerre : le « Resistance film ». Des récits de fiction Le paradoxe est que la Résistance en Europe était assez limitée jusqu’en 1943, alors que les films étudiés pour ce mémoire ont été réalisés en 1941 et 1942 pour la plupart. Leur but n’est donc pas de montrer la réalité des actions résistantes en Europe, mais plutôt de justifier le bien fondé de la lutte contre le nazisme. « La Résistance est l’un des mythes fondateurs de nos sociétés européennes, elle incarne le recours légitime à la force armée pour une cause juste : le combat pour la démocratie. Ceux qui l’animèrent sont dépeints comme des héros aventureux et des guerriers défiant dans l’ombre l’inacceptable tyrannie. »24. Jean-Pierre Azéma complète ce point de vue : La mémoire collective retient généralement du résistant une image confuse où s’entremêlent l’agent secret, le justicier ou le hors-la-loi ; qui tient de l’acteur de western, du chevalier sans peur et sans reproche, faisant sauter, mitraillette au point, un nombre incalculable d’usines et de trains. Certes, il y eut bien des épisodes étonnants, voire rocambolesques, mais ils étaient l’exception25. Cependant, le sacrifice pour sa patrie est présenté au cinéma comme un phénomène majeur en Europe occupée. Cette guerre de l’ombre idéalisée doit faire résonner la fibre patriotique des Américains eux-mêmes, toujours partagés entre isolationnisme et solidarité envers le continent. Anciens colonisés, les Américains sont naturellement sensibles à ce message de rébellion qui doit conduire à la Libération. Certains héros sont même des résistants américains expatriés en Europe comme Rick dans Casablanca. Ces films tournés au début des années 1940 sont très optimistes, Hollywood semble avoir une confiance

23 SCHULL, Michael S. et WILT, David Edward, Hollywood War Films 1937-1945, Mc Farland & Company, Inc. Publishers, 1996, page 225. 24 SEMELIN, Jacques, Sans armes face à Hitler, La Résistance civile en Europe 1939-1943, Ed. Payot, 1989, page 45. 25 AZEMA, Jean-Pierre, De Munich à la Libération 1938-1944, Paris, Ed. du Seuil 1979, page 169. 22 MICLET Marion_2007 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

infaillible dans l’efficacité de la Résistance : sept films sur douze se concluent par un happy- end26. Malgré les dangers, la plupart des résistants dont Hollywood tire le portrait réussissent à s’échapper pour l’Angleterre, à tromper les Nazis, ou même à les tuer. Une constante se dégage de tous ces films : le sacrifice est porteur d’un message d’espoir. Malgré les morts (souvent des seconds rôles), la Résistance est montrée comme invincible. Pour chaque patriote tué, un autre vient le remplacer. De façon prémonitoire, on voit dans ces films les Européens, situés du côté du bien, vaincre les puissances de l’Axe. Des images de la réalité Bien sûr les Américains ne sont pas dupes et savent mettre en perspective les actions héroïques qu’ils voient sur les écrans des actualités de guerre, diffusées juste avant le film dans les salles de cinéma. Le problème sur le plan moral c’est que les vraies images d’actualité sont souvent utilisées dans ces films. Elles sont intercalées entre des plans des héros tournés en studio et entraînent une confusion volontaire entre réalité et fiction dans l’esprit des spectateurs. Souvent, les Allemands sont présents dans le rôle de pilotes d’avion anonymes, responsables de bombardements et de destruction. Dans l’autre camp, les avions de la Royal Air Force (R.A.F) sont montrés comme des chevaliers du ciel, venant sauver les peuples opprimés d’Europe. Les pilotes de la R.A.F sont interprétés par des stars de Hollywood : Humphrey Bogart ou John Wayne. Dans Reunion in France (Jules Dassin, 1942), l’invasion allemande en France est montrée de façon poignante : des vraies images de la défaite puis de l’exode se mêlent à des plans montrant le désarroi de l’héroïne (interprétée par Joan Crawford). L’impact émotionnel est bien plus grand. Les spectateurs sont conscients d’assister à un spectacle qui a réellement eu lieu en France. Le fait de suivre le parcours d’une Française parmi les autres, renforce la fonction d’identification. Ce mélange entre fiction et réalité, certes discutable, est à la base des films sur la Résistance. Ce qui en fait donc un genre parfois presque à la limite du documentaire.

2) Le rôle de la femme dans les films sur la Résistance L’épouse dévouée à son mari résistant Dans Casablanca et Le Port de l’Angoisse, la fonction première des femmes est de soutenir leur mari. Ingrid Bergman, qui joue l’épouse de l’un des piliers de la Résistance en Europe, accepte de sacrifier son amour pour Rick afin de contribuer elle aussi à la libération de l’Europe. En restant près de son mari, elle lui apporte un soutien moral et une raison supplémentaire de se battre. Dans Le Port de L’Angoisse, la femme du résistant exprime une motivation tout aussi noble « Je l’aime, je veux rester prêt de lui. », mais également plus pragmatique : « Aucun homme ne peut se battre s’il laisse quelqu’un à la maison qui peut être retenu par les Allemands. ». Ainsi, elle est entraînée dans la Résistance malgré elle. Elle doit vivre tous les dangers que cela implique et suivre son mari comme une ombre, pour ne pas freiner son action en devenant un moyen de pression pour les Allemands. Ce rôle de femme passive est conforme aux rapports entre les sexes dans la société américaine des années 1940. Au début de la guerre, la fonction sociale réservée aux Américaines dont les époux étaient partis au combat était de supporter l’absence et de maintenir la cohésion du foyer. Dans Passage to Marseille (Michael Curtiz, 1944), Michèle Morgan est l’épouse d’un pilote de la R.A.F. Celui-ci a quitté le foyer avant la naissance de leur fils. Il communique avec sa famille en leur jetant des lettres depuis son avion lorsqu’une mission lui permet de

26 Casablanca, To be or not to be, Lune de miel mouvementée, Reunion in France, The Edge of Darkness, Hangmen also die et Le Port de l’angoisse. MICLET Marion_2007 23 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

voler au dessus de la maison. Dans ce film, la femme du pilote, en son absence, ne peut jouer qu’un rôle de mère : elle inculque à son jeune fils, qui représente l’avenir de la nation, les valeurs pour lesquelles son père se bat. Avec la prolongation du conflit, le rôle des femmes dans la société américaine, et donc au cinéma, commence à évoluer. De plus en plus d’épouses et de mères sont incitées à s’engager dans les industries de guerre pour reprendre les postes laissées vacants par les hommes. Elles deviennent de plus en plus impliquées dans le combat. La femme rebelle Dans les films hollywoodiens, certaines héroïnes, sans pour autant basculer dans la Résistance, montrent des signes d’impatience de plus en plus voyants. Cela se traduit par une certaine impertinence vis-à-vis des forces d’occupation allemandes. Ce procédé redonne aux épouses des résistants un rôle symbolique d’importance. Refuser de se soumettre complètement c’est le premier pas vers la résistance active. D’ailleurs, dans Reunion in France, Michèle de la Becque (Joan Crawford) se rebelle contre les Allemands, avant de se retrouver impliquée directement dans l’organisation de l’évasion d’un pilote de la R.A.F. La révolte commence avec des mots, voire même avec des non-dits. Face aux Allemands, le personnage de Joan Crawford s’exclame : « Je ne préfère pas vous dire tout ce que je pense de vous, c’est sûrement passible de la peine de mort. ». Ensuite la rébellion s’exprime sous forme de petits gestes : dans Hangmen also die (Fritz Lang, 1943), l’héroïne indique la mauvaise direction aux Allemands qui sont à la recherche de l’assassin de Reinhard Heydrich. Comment devient-on résistante ? Pour Bernadette Bayada, « Beaucoup deviennent résistantes par hasard. Un jour on leur donne un journal clandestin à lire, puis on leur demande de le distribuer. Puis, on leur demande d’héberger quelqu’un. Et c’est l’engrenage. »27. L’héroïne de Reunion in France se sert aussi de son statut de femme et de tous les préjugées qui y sont associés pour tromper les Allemands : candeur, impuissance, docilité… Dans une scène assez surprenante, tandis qu’un policier français tente de convaincre un officier allemand que les mœurs sexuelles des Françaises sont assez relâchées, Joan Crawford accepte d’embrasser un inconnu poursuivi par la Gestapo (John Wayne). Pour lui servir d’alibi, elle fait en quelque sorte don de sa personne. Dans un autre passage du film, elle ira même jusqu’à accepter les avances d’un Allemand pour que le personnage de John Wayne puisse s’échapper incognito. Abandonnant la révolte ouverte du début du film, Michèle se métamorphose en femme conciliante pour mieux duper les Allemands. A la fin du récit, l’héroïne a pleinement basculé du côté de la résistance armée. La femme active dans la Résistance En montrant des femmes aussi dévouées à la cause de la libération dans les pays d’Europe, le but des producteurs hollywoodiens est de donner des modèles de comportement patriotique aux Américaines. Premièrement, elles doivent accepter l’absence de leur compagnon, frère ou fils et supporter les sacrifices matériels au nom de la grande cause qu’est la guerre contre les puissances totalitaires. Deuxièmement, les résistantes de fiction doivent donner aux Américaines l’envie de s’engager à leur façon. Si les héroïnes de Hollywood sont capables de risquer leur vie (même si ce n’est que du cinéma), par logique d’identification avec les stars qui incarnent ces résistantes, les femmes restées à l’arrière

27 BAYADA, Bernadette, Quelques éclairages sur la résistance française, Les leçons de l’Histoire, numéro sur les résistances civiles, 1983, page 45. 24 MICLET Marion_2007 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

doivent aussi contribuer à l’effort de guerre. « Don’t you know there is a war on ? »28 devient rapidement le mot d’ordre dans la société américaine. Dans le film Vivre Libre (The Land is mine, Jean Renoir, 1943), l’héroïne cumule presque tous les rôles. D’abord elle travaille : en tant qu’institutrice, tout en respectant les consignes des autorités allemandes, elle apprend à ses élèves l’histoire de la France, nation de la devise « liberté, égalité, fraternité ». C’est aussi une seconde mère pour ses élèves : elle les conduit jusque l’abri anti-bombe et les rassure. De plus, c’est une femme engagée. Elle émet à voix haute le souhait de voir les avions « de nos amis anglais » recouvrir le ciel de la France. Officieusement, elle soutient son frère, le chef de la résistance locale. Enfin, en tant que femme, elle décide de rompre avec son fiancé lorsqu’elle réalise qu’il est un collaborateur. Dans tous les aspects de sa personnalité, cette femme se bat pour un combat qu’elle estime juste. Même l’amour devient secondaire dans le contexte de la guerre : dans The Edge of Darkness (Lewis Milestone, 1943), l’un des personnages féminins tue de ses propres mains l’Allemand qu’elle aime. C’est cette image qu’Hollywood veut montrer aux femmes américaines restées à l’arrière. Cependant, les films américains présentent toujours les femmes de la Résistance dans des rôles secondaires. Ceux qui semblent prendre de vrais risques ce sont les hommes. Jamais on ne voit à l’écran une femme tuée à cause de son action contre les Allemands, comme si son travail était moins dangereux. En revanche, Hollywood se sert de la souffrance des femmes au cinéma pour déshumaniser d’avantage l’ennemi nazi : dans Hangmen also die, une vieille femme qui refuse de témoigner est torturée ; dans The Edge of Darkness, on devine que l’héroïne a été violée par les Allemands. Si au cinéma l’égalité des sexes face à la mort ne semble pas respectée, en réalité les Allemands ne font pas de distinction. Bien au contraire, comme l’explique Bernadette Bayada, ce sont les femmes de la Résistance qui ont été les plus décimées. En effet, celles que l’on appelle les « agents de liaison » sont indispensables mais très exposées car elles sont chargées de nombreuses petites missions, effectuées plus ou moins ouvertement. « Elles étaient utiles et utilisées, mais non reconnues. Il n’y avait pas d’égalité hommes-femmes. »29. Or, « sans les actes minuscules et surtout quotidiens posés par des centaines de femmes, la Résistance n’aurait pas eu lieu. »30. B. Bayada donne l’exemple d’Anne-Marie Bauer, membre de Libération et qui fut chargée par Jean Moulin de parcourir la France pour inventorier les endroits convenant à des parachutages ou à des atterrissages clandestins. Jamais elle ne fut autorisée à assister à une opération de parachutage. Or, lorsqu’elle fut capturée, elle fut torturée et fusillée par les Allemands. On lui réserva exactement le même sort qu’aux hommes. Le seul film qui montre une femme véritablement impliquée dans la lutte armée est The Edge of Darkness. La fiancée du héros reste combattre en Norvège, plutôt que de quitter le pays comme la plupart des femmes du village, évacuées avec les enfants vers l’Angleterre. Dans la dernière scène, on la voit tirer à distance avec une mitraillette sur un soldat allemand qui hissait le drapeau nazi. Or d’après Bernadette Bayada, « Les actions des femmes étaient en majeure partie non violentes. […] Peu de femmes ont participé aux maquis armés. »31. Dans la réalité, à quelques exceptions près, la distribution des rôles entre résistants et résistantes était figée : la lutte armée est menée essentiellement par des hommes, tandis que les femmes servent d’auxiliaires. 28 « Ne savez-vous pas que c’est la guerre ? » 29 BAYADA, Bernadette, op. cit., page 46. 30 BAYADA, Bernadette, ibidem. 31 BAYADA, Bernadette, op. cit., page 47. MICLET Marion_2007 25 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

En déconstruisant cette classification dans un film comme The Edge of Darkness, mais également dans Mrs Miniver (William Wyler, 1942), où l’on voit une femme au foyer anglaise s’emparer de l’arme d’un soldat allemand égaré, Hollywood contribue à faire changer les mentalités. Lorsque la guerre se termine pour les Etats-Unis, les rapports hommes-femmes rentrent apparemment dans l’ordre. Cependant, même si la plupart des femmes américaines doivent abandonner leurs postes dans les industries de guerre, les changements économiques et sociaux introduits entre 1941 et 1945 auront des conséquences importantes dans les années à venir : dans les années 1950 avec la révolution sexuelle, puis dans les années 1960 et 1970 avec le mouvement de la libération de la femme et les revendications féministes.

C. Une cohésion sociale européenne idéalisée par le cinéma pour servir de modèle aux Américains

Utilisant l’exemple de pays occupés tels que la Tchécoslovaquie et la Norvège, ou d’un pays allié comme la Grande Bretagne, Hollywood fait le portrait d’une Europe où règne une cohésion idéalisée. L’attitude admirable de ces sociétés confrontées au nazisme sert de modèle à la nation américaine qui vient à son tour de s’engager dans la bataille contre le totalitarisme.

1) Une cohésion sociale dans les pays occupés idéalisée par Hollywood L’unité contre la répression : l’exemple de la Tchécoslovaquie Comme l’explique Jacques Semelin : Il n’y a résistance efficace qu’insérée dans un tissu social qui la stimule et la protège. Sans la complicité d’un environnement favorable, toute forme de résistance est fortement vulnérable. Bien des résistants ont attesté qu’ils durent la vie à l’aide providentielle de la porte d’une maison s’ouvrant au bon moment ou au geste discret d’un inconnu signalant un danger imminent32. C’est un geste comparable qui fait débuter l’action dans Hangmen also die. Réalisé par Fritz Lang en 1943, ce film raconte la vague de répression qui suivit l’attentat réussi par un groupe de résistants contre Reinhard Heydrich, le « Reich Protector » de la Tchécoslovaquie. Le texte en introduction du film insiste sur le rôle fondamental de la cohésion sociale dans le pays : « Ni la trahison de la Tchécoslovaquie, ni le bain de sang provoqué par les hordes nazies n’a pu vaincre l’esprit de ce peuple. Des traditions brûlent depuis un millier d’années dans leurs cœurs et c’est dans ce feu pour la liberté qu’une fraternité secrète s’est forgée, une armée vengeresse qui se cache mais qui a juré de débarrasser ses terres des envahisseurs nazis. » Le film raconte comment la nouvelle de la mort de Heydrich a eu un effet galvanisant, non seulement sur les hommes de la Résistance qui ont réussi cet exploit, mais également sur la population tchèque toute entière. Même si en termes militaires et politiques, la situation 32 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 129. 26 MICLET Marion_2007 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

de la Tchécoslovaquie n’a fait qu’empirer par la suite, la répression devenant de plus en plus cruelle, le film de Fritz Lang salue l’inébranlable moral de la population occupée. La fierté nationale est ravivée. Les résistants sont montrés comme des hommes qui sont prêts à se sacrifier pour la collectivité : ainsi, l’un des suspects arrêté après la mort de Heydrich se jette par la fenêtre pour ne pas risquer de parler sous la torture. Les appels à la dénonciation se multiplient à la radio mais malgré la prise d’otages, la population tient bon. Certes, les otages sont amers en pensant aux résistants qui sont encore libres, mais ils acceptent leur sort. La société tchèque sort renforcée des évènements même si les conditions d’occupation qui ont suivi l’assassinat d’Heydrich ont été bien plus sévères. Dans son livre sur la résistance civile, Jacques Semelin donne une explication à ce phénomène: La répression apparaît comme l’un des facteurs déterminants du développement ‘‘conjoncturel’’ de la cohésion sociale. On est habitué à penser la répression comme le moyen suprême dont dispose un tyran pour semer la terreur parmi ses sujets. […] Au delà d’un certain seuil, la répression devient contre-productive par rapport à ses propres objectifs. Au lieu de « faire éclater » la société sur laquelle elle s’abat, elle l’unit. C’est pourquoi paradoxalement la répression peut susciter la cohésion33. A la fin du film, toute la population de la ville va se liguer pour faire porter le chapeau à un collaborateur tchèque. Un formidable complot s’organise: lorsque qu’une multitude de témoins sont appelés pour confirmer l’alibi du collaborateur, tous témoignent contre lui. Les Allemands concluent que cet homme est le coupable de l’assassinat de Reinhardt Heydrich. Malgré les otages exécutés, c’est la nation toute entière qui est victorieuse. La démocratie résistante : l’exemple de la Norvège La Norvège est envahie par les puissances de l’Axe le 9 avril 1940. Le roi et les principaux dirigeants du pays s’exilent à Londres, tandis que Vidkun Quisling prend la tête d’un gouvernement collaborationniste. Quisling est le dirigeant du parti national-socialiste norvégien, numériquement faible, ce qui peut expliquer pourquoi la tentative de ce nouveau régime est un échec. Les Norvégiens reconnaissent pour seul gouvernement légitime celui du roi Haakon IV. Une résistance active se coordonne progressivement à l’échelle nationale. L’importance de la cohésion sociale en Norvège a été notée par Jacques Semelin : « La croissance de la résistance obéit à une série de réactions sociales en chaîne qui, à la manière du processus réactif en chimie, ‘‘précipitent’’ dans l’action certains éléments. Ce fut la réunion de ces mobilisations partielles qui aboutit à l’édification d’une résistance d’envergure nationale. »34. Celle-ci s’organise en deux secteurs : - le « Milorg », nom donné à l’organisation militaire de défense qui réunit les forces armées norvégiennes, les forces alliées hors de Norvège, les services de renseignement militaires, les fabricants de stocks d’armes secrets, - le secteur civil appelé « Sivorg ». PourGuy Boubault, les raisons principales du développement de la Résistance sont l’attachement à la démocratie, et l’homogénéité sociale35.

33 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 114. 34 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 124-125. 35 BOUBAULT, Guy, L’exemple le la Norvège, Les leçons de l’Histoire, numéro sur les résistances civiles, 1983, page 32-33. MICLET Marion_2007 27 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

L’Amérique des années 1940, elle-même en quête d’union nationale au moment où le pays s’engage dans la Deuxième Guerre mondiale, est particulièrement sensible à ce thème. Un grand nombre de films de guerre produits à Hollywood ont pour contexte la Norvège occupée par les Allemands. D’après les auteurs Robert L. McLaughlin et Sally E. Parry, il y a deux raisons principales à cela. La première c’est que, tout comme les Etats- Unis, la Norvège voulait rester neutre dans le conflit et c’est seulement sous la pression des circonstances que le pays s’est retrouvé impliqué dans la guerre. De plus, l’opinion publique compatit volontiers avec la Norvège car le pays semble avoir été trahi de l’intérieur par Vidkun Quisling, qui a tenté de prendre le contrôle du gouvernement démocratiquement élu. La deuxième raison de l’intérêt que portent les producteurs américains à l’occupation en Norvège est la détermination du peuple qui a résisté à l’invasion allemande de façon obstinée. En effet, l’armée norvégienne, avec l’aide des Anglais, Français et Polonais a tenu bon pendant deux mois et le roi Haakon VII s’est exilé avec son gouvernement pour l’Angleterre, plutôt que de se lancer dans une politique de collaboration36. Un parallèle avec la Norvège s’est peu à peu formé dans l’esprit des Américains : voilà comment le pays devrait idéalement agir en cas d’invasion ennemie. Le film The Edge of Darkness (Lewis Milestone, 1943) qui se déroule en Norvège, est un bon exemple de cette cohésion sociale idéalisée à l’échelle d’un petit village de pêcheurs, Trollness. Tout d’abord, la résistance à l’oppression est montrée comme le fait de la population tout entière. Koenig, le responsable des forces de l’ordre allemandes confie ainsi à un envoyé de Berlin que pour mettre fin à la résistance locale il faudrait lui donner les noms de tous les hommes, femmes et enfants de la ville ! La Résistance est donc diffuse, mais d’après les Allemands, elle est sous contrôle, car bien qu’unanime dans son refus de l’occupation allemande, la population du village craint la mort. Même s’ils sont supérieurs numériquement, les citoyens sont en position de faiblesse face aux Allemands armés. Le film raconte justement comment, peu à peu, le village prend conscience de son potentiel de rébellion : chaque citoyen, pris séparément, est impuissant. La force est dans le nombre, il faut donc faire passer ses intérêts individuels au second plan. Le film nous montre comment les résistants de Trollness décident d’accepter des armes livrées par l’Angleterre. En effet, les Special Operations Executives (S.O.E), créées par Winston Churchill pour assurer les liaisons entre l’Angleterre et les mouvements dissidents en Europe, ont été très actives en Norvège. L’infrastructure des S.O.E est établie en 1939, souvent sous forme d’agents camouflés dans les consulats britanniques. Le film donne d’ailleurs l’exemple d’un agent des S.O.E se faisant passer pour un officier Allemand. Le succès des Special Operations Executives en Norvège montré dans The Edge of Darkness est réel : « C’est ainsi que, de la Norvège aux Iles Shetland, la liaison devient si régulière et si sûre que les marins norvégiens, qui l’assuraient sous direction britannique, la baptisèrent le ‘‘Shetland Bus’’ ; à la fin de 1944, malgré la lenteur des bateaux norvégiens, quatre cent tonnes d’armes et soixante postes émetteurs avaient passé la mer. »37. Les Américains combinent donc dans ce film des faits d’actualité avec leurs idéaux d’union nationale et de démocratie. La scène la plus emblématique montre le débat qui a lieu à l’intérieur d’une église, transformée pour l’occasion en un véritable forum républicain. La tactique choisie par les habitants pour organiser un semblant de démocratie au nez et à la barbe des Allemands mobilise toutes les forces villageoises. Le prêtre ne cautionne pas la violence, mais participe 36 MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., We’ll always have the movies, American cinema during World War II, The University Press of Kentucky, 2006, page 174. 37 MICHEL, Henri, La guerre de l’ombre, La résistance en Europe, Ed. Bernard Grasset, 1970, page 132. 28 MICLET Marion_2007 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

passivement en faisant semblant de célébrer une messe tandis que les villageois débattent. Les enfants qui jouent aux portes de l’église sont chargés de donner l’alarme en cas de patrouille allemande. Une fois le dispositif clandestin mis en place, le débat peut commencer. Malgré les risques encourus, les villageois ont certains atouts de leur côté: le nombre, les armes qui peuvent être livrées depuis l’Angleterre et surtout, l’énergie du désespoir. C’est ce qui ressort dans les propos d’une des résistantes : « Sacrifier votre vie ? De toute façon ils vont nous tuer ; sacrifier vos possessions ? De toute façon, tant qu’ils sont là, rien ne nous appartient ; votre repos ? Quel repos y a t-il quand ils peuvent débarquer au milieu de la nuit et nous prendre en otages ? ; nous vivons dans une peur constante. ». Pour les Norvégiens, le choix est le suivant : refuser individuellement l’occupation allemande ou bien « aller au-delà des actes de résistance (et le statut de victime qu’ils sous-entendent) pour devenir un combattant qui œuvre à la libération de son pays sans attendre d’être sauvé par les Britanniques ou les Américains. »38. Le choix de l’engagement pour le bien de la collectivité est présenté dans ce film comme le résultat d’un processus véritablement démocratique. La société clandestine créée par les résistants est donc plus légitime que le gouvernement de façade de Quisling. La ville de Trollness est présentée comme une démocratie idéale en miniature qui regroupe l’éventail des choix qui s’offrent aux Norvégiens en ces temps de guerre. Premièrement, il y a le mauvais choix : la collaboration. L’un des personnages est présenté comme un profiteur de guerre favorable à l’ordre nouveau promis par les nazis. Pour lui, le mot d’ordre est « protège ce qui t’appartient ». Clairement, il tient un rôle à part dans la communauté. Trollness contient également le personnage du collaborateur repentant qui meurt en héros. On trouve le personnage du père de famille qui pense avant tout à protéger les siens, mais qui basculera du côté de la résistance active sous l’influence de sa fille, une jeune femme qui a choisi de se battre dès la première heure. Ces personnages aux prises avec leurs consciences symbolisent le dilemme de l’engagement en temps de guerre. « Cette diversité d’opinion parmi les villageois, cependant, n’est pas montré comme un échec, mais comme une force pour la démocratie. »39. Le film montre le processus de transposition qui doit se mettre en route : abandonner ses intérêts personnels pour défendre la cellule familiale, elle- même partie intégrante du village, lui-même appartenant à la nation toute entière. Cependant, Hollywood établit pour le spectateur une hiérarchie de l’engagement : certaines opinions sont plus valables que d’autres. Ce sont là les limites de ce film, qui bascule bientôt dans la propagande patriotique. Ainsi, les Allemands sont présentés comme les ennemis ultimes de cette démocratie : ils la qualifie de dégénérée et organisent des autodafés dans le village. Non seulement leur barbarie est dénoncée, mais aussi leur haine de la démocratie. Dans The Edge of Darkness, la propagande américaine est bien à l’œuvre. Le film se conclue par le très célèbre discours du président Roosevelt qui prend l’exemple de la Norvège comme inspiration pour le peuple américain : « Si quelqu’un se demande encore pourquoi cette guerre est menée, qu’il regarde vers la Norvège. Si quelqu’un a des illusions sur le fait que cette guerre aurait pu être empêchée, qu’il regarde vers la Norvège.

38 « To move beyond acts of resistance (and the condition of victimization they imply) to the status of combatants, striving to drive the Germans out without waiting to be rescued by the British or the Americans. ». MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., op. cit., page 186. 39 « This diversity of opinion among the villagers, however, is shown not as a failing but as a strength of democracy. ». MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E.,op. cit., page 183. MICLET Marion_2007 29 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Et s’il existe toujours quelqu’un qui doute de la volonté démocratique de vaincre, je répète, qu’il regarde vers la Norvège. » 40.

2) Une cohésion sociale idéalisée par Hollywood dans un pays allié, la Grande Bretagne Nos amis les Anglais En 1942, au moment où le film Mrs Miniver remporte un immense succès public et critique aux Etats-Unis, la Grande Bretagne est l’allié principal de l’Amérique, le dernier rempart pour la démocratie en Europe. L’Angleterre offre un exemple remarquable de cohésion sociale pour l’Amérique. Ce film contribue à renforcer le mythe d’un peuple qui paraît uni et invincible malgré les bombardements allemands qui font rage à l’été 1940. C’est avec calme et résolution que les Anglais prennent connaissance de la déclaration de guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939. Dans le film, c’est le prêtre qui annonce la nouvelle aux habitants de la petite ville de Belham, où se déroule l’action. Le serment qui s’en suit rappelle fortement les principes sur lesquels la nation américaine a été fondée : « La prière pour la paix et pour notre pays bien aimé est dans nos cœurs. Notre village n’a jamais été vaincu par le passé, notre pays s’est battu pour défendre les libertés dont nous profitons aujourd’hui. Nous ne devons et nous ne pouvons pas perdre la bataille. ». Le film décrit comment une petite communauté anglaise, où la traditionnelle hiérarchie des classes sociales semble bien établie, va se métamorphoser au contact des épreuves de la guerre. L’aristocrate du village, Lady Beldon aperçoit immédiatement le potentiel de déconstruction des classes que possède la guerre. Au début du film elle s’exclame: « Ce qui est terrible avec la guerre c’est que cela donne l’occasion à des petites gens de se croire important ! ». Mais lorsque retentissent les sirènes anti-bombes, ce sont toutes les classes de la société anglaise qui se précipitent vers les abris. C’est là que se construisent des microsociétés unies dans l’expérience des souffrances, plutôt que par leur statut social. Le mythe de la réconciliation nationale en Grande Bretagne D’après Philippe Chassaigne, la période de la Deuxième Guerre mondiale a vu la naissance d’un mythe fondateur : La Seconde Guerre mondiale fut une période de réconciliation nationale et d’union sacrée : telle est, à tout le moins, l’image que les Anglais se plaisent à conserver et à entretenir. Pour preuve, la façon dont des expressions comme ‘‘la Guerre du Peuple’’ (the People’s War), ou ‘‘l’esprit de Dunkerque’’ (the spirit of Dunkirk) sont passées dans le langage courant41. Pour Hollywood, il s’agit de cultiver ce mythe qui doit servir d’exemple à la société américaine. Ainsi, une partie du film est consacrée à décrire la mobilisation des civils lors de l’évacuation de Dunkerque. Mr. Miniver contribue à la mobilisation de cette flotte hétéroclite de 860 navires qui fit la navette entre les côtes anglaises et la poche de Dunkerque du 28 mai au 3 juin 1940. De plus, le fils de la famille est l’incarnation même de cet esprit de sacrifice et d’union nationale. Avant de s’engager dans la R.A.F et de partir vers Dunkerque,

40 « If there is anyone who still wonders why this war is being fought, let him look to . If there is anyone who has any delusions that this war could have been averted, let him look to Norway. And if there is anyone who doubts the democratic will to win, again I say, let him look to Norway. ». ROOSEVELT, F. D., 16 septembre 1942. 41 CHASSAIGNE, Philippe, La société anglaise en guerre 1939-1945,Ed. Messène, 1996, page 31. 30 MICLET Marion_2007 Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

il épouse la fille de l’aristocrate Lady Beldon (qui a donné son consentement avec réticence). Même si Dunkerque fut un désastre militaire, « l’événement provoqua un choc salutaire dans l’opinion publique anglaise. […] Toute l’Angleterre avait pleinement conscience de vivre les moments les plus critiques de toute son histoire […] et les foules retrouvèrent le chemin des e 42 églises qu’elles avaient désertées depuis le milieu du XIX siècle. » . L’importance de l’Eglise d’Angleterre dans le film Mrs Miniver est tout à fait remarquable : c’est à l’église que les habitants de Belham sont mis au courant de la déclaration de guerre et c’est dans la même église, cette fois-ci sans toit à cause des bombardements, que se conclue le film sur un discours des plus patriotiques. Le prêtre célèbre l’enterrement de plusieurs victimes des raids aériens allemands. La famille Miniver, symbole de la classe moyenne aisée d’Angleterre, se tient au côté de Lady Beldon, l’aristocrate. Ils sont tous réunis dans un même deuil et ne respectent plus les places habituellement réservées à l’église. Le discours du prêtre met en avant le moral insubmersible des Anglais, malgré les morts qui ont touché la société toutes classes confondues. A la question, « Pourquoi toutes ses souffrances ? », la réponse du prêtre s’adresse aux Anglais mais aussi aux Américains. « Les citoyens sont sacrifiés non pas parce que c’est une guerre entre soldats, mais parce que c’est la guerre du peuple tout entier; elle a lieu partout, pas seulement sur le champ de bataille mais aussi dans le cœur de chaque femme, homme et enfant qui aime la liberté. Les morts nous donnent une détermination sans faille, afin de nous libérer de la tyrannie. ». Ce discours d’union nationale dans Mrs Miniver fut tellement populaire en Amérique que Roosevelt donna l’ordre de le faire imprimer sur des feuillets distribués à travers toute l’Europe occupée. Le dernier plan du film renforce visuellement cet élan patriotique : à travers le toit de l’église en ruine, les avions de la R.A.F forment un « V » de la victoire dans le ciel. La société anglaise a été indiscutablement bouleversée par l’expérience de la guerre : 37 000 tonnes d’explosifs ont été déversés en 1940-41, faisant 23 000 victimes et détruisant 3,7 millions de maisons43. Mais Hollywood tend à exagérer l’immense fraternisation anglaise et l’union nationale afin d’inspirer les Américains eux-mêmes. Si l’Angleterre est un allié modèle, alors les Etats-Unis ne peuvent le décevoir. Philippe Chassaigne rappelle dans son ouvrage les travaux de Nicholas Cull. Ce dernier a souligné la façon dont l’image d’un peuple tout entier uni dans l’effort du combat a été sciemment utilisée par les journalistes américains en poste à Londres, conjointement avec les services de propagande du gouvernement britannique, pour convaincre leurs compatriotes d’entrer à leur tour en guerre44. Pour A. P. Summerfield, « Oui, la résistance solitaire à la menace nazie aurait été impossible sans une immense mobilisation populaire ; mais non, cette mobilisation ne fut ni spontanée, ni immédiate, ni totale. »45. Ainsi, les Etats-Unis participent à l’élaboration d’un mythe qui aura la vie dure dans l’Angleterre de l’après-guerre, car ce mythe est aussi nécessaire à l’Amérique qu’à ses alliés. Comme nous l’avons vu dans cette première partie, le sacrifice des résistants d’Europe sous la domination nazie est une métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre. D’une part, le personnage du héros réticent doit servir de modèle à une 42 CHASSAIGNE, Philippe, op. cit., page 36. 43 CHASSAIGNE, Philippe, op. cit, page 38. 44 CHASSAIGNE, Philippe, op. cit., page 41. CULL, John Nicholas, Selling War, The British Propaganda Campaign against American « neutrality in World War II, New York, Oxford University Press, 1995. 45 POIRIER, F., (sous la direction de), Londres 1939-1945, Riches et pauvres dans le même élan patriotique : derrière la légende. Ed. Autrement, 1995, page 16. MICLET Marion_2007 31 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

société américaine qui, au début des années 1940, hésite toujours entre isolationnisme et interventionnisme. D’autre part, le thème de la Résistance devient de plus en plus important dans les films produits à Hollywood à cette époque afin de pousser les Américains et les Américaines à participer à l’effort de guerre. Enfin, la cohésion sociale qui semble se renforcer en Europe, malgré l’occupation, doit servir d’inspiration pour une nation qui entre à son tour dans le combat contre les puissances totalitaires. A partir de ce moment, Hollywood se lance pleinement dans l’effort patriotique. La propagande devient un outil puissant du gouvernement Roosevelt pour faire passer le message de la lutte entre un axe du bien et un axe du mal.

32 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

« Ce qu’il a fait à Shakespeare, c’est ce que nous faisons maintenant à la Pologne ! » Réplique d’un officier allemand à propos d’un acteur polonais To be or not to be,(Ernst Lubitsch, 1942) Le point commun de tous les films de guerre produits à Hollywood entre 1939 et 1945 est un antinazisme sans nuances. Invariablement, les soldats allemands ou les officiers de la Gestapo sont présentés comme inhumains, subordonnés au fonctionnement de la hiérarchie nazie et bien souvent incompétents. De plus, Hollywood établit une distinction e entre les fonctionnaires du III Reich et les Allemands en général. Aux yeux des Américains, le peuple allemand est victime de l’ordre hitlérien au même titre que le reste de l’Europe occupée. C’est pourquoi un film comme Watch on the Rhine (Quand le jour viendra, Herman Schumlin, 1943), qui raconte l’histoire d’une famille de résistants allemands expatriés provisoirement en Amérique, a pu être produit. L’image de la présence ennemie allemande en Europe repose sur le postulat que les Etats-Unis ne sont pas foncièrement antiallemands, ils sont antinazis. Une fois cette distinction faite, la propagande américaine se permet de faire un portrait sans concessions de leurs adversaires. Par ailleurs, la collaboration, sous toutes ses formes, est dénoncée. Elle est parfois romancée pour les besoins d’un film, mais elle est toujours assimilée à une traîtrise. Le collaborateur, quelque soit sa nationalité, appartient au camp ennemi. Hollywood prend modèle sur l’Europe pour définir le positionnement idéologique des Etats-Unis et montrer quelles sont les valeurs communes à l’Europe et à l’Amérique. Rapidement chaque film, quelque soit son genre, devient le récit du combat de l’axe du bien contre l’axe du mal.

A. L’image de la présence ennemie allemande en Europe

En Europe de l’Est, Hollywood présente la domination nazie comme une imposture. Les Allemands, ridiculisés, semblent jouer une pièce de théâtre tragi-comique dans laquelle le Führer est un metteur-en-scène manipulateur qui entretient le culte de sa personnalité. Mais le cinéma américain se penche également sur les conséquences de la répression allemande et aborde la question délicate des otages. A cause de ces exécutions punitives, les résistants européens sont confrontés à un dilemme: doivent-ils continuer leur action ou tout arrêter puisque des centaines d’innocents sont tuées à cause d’eux ? Le sacrifice en vaut-il la peine ? Enfin, les studios hollywoodiens s’engagent dans une entreprise de diabolisation

MICLET Marion_2007 33 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

de l’ennemi allemand menaçant l’Europe de l’Ouest. Cette tendance à déshumaniser le personnage du Nazi s’inscrit dans la propagande du gouvernement Roosevelt pour défendre la civilisation.

1) L’occupation allemande en Europe de l’Est Des Allemands ridiculisés association grotesque et méritée, qui culmine dans l’équation infâme du mauvais comédien avec la destruction nazie. Cette phrase est drôle et cruciale parce qu’elle contient la structure du film : il s’agit bien de comparer les nazis avec les comédiens car la supériorité des uns sur les autres ne va pas de soi, elle mérite l’analyse puisque tant de gens en 1942 (et plus tard ?) doutent encore des choix entre ces deux univers46.

2) Les débats posés par la répression nazie et les prises d’otages Les martyrs tchécoslovaques Le film Hangmen also die (Fritz Lang, 1943) aborde frontalement le thème de la répression nazie contre la Résistance. Bien souvent, les représailles qui ont suivi un attentat contre un fonctionnaire nazi étaient volontairement disproportionnées. Les Allemands ont ainsi exécuté quantité d’otages, victimes innocentes du leurs exécutions punitives. Dans les pays occupés, les résistants se retrouvent donc face à un cas de conscience : leurs actions en faveur de la libération du pays, menée au nom de la population toute entière, justifient- elles la mort d’autant de leurs compatriotes ? Dans son ouvrage sur les résistances civiles en Europe, Jacques Semelin tente de donner des réponses à cette question délicate. Il explique ainsi que parfois la résistance fait un calcul froid : en sacrifiant par exemple 1 ou 2 % de la population (à cause des représailles nazies), elle sera en mesure de gagner la guerre. Semelin ajoute que, si à terme l’exécution collective d’otages devient totalement démesurée, cela peut se retourner contre les Nazis : « L’autre effet possible de la mobilisation de l’opinion contre la répression de victimes perçues comme ‘‘innocentes’’ est de miner à terme l’unité politique du persécuteur. Tout pouvoir porte en lui-même des contradictions internes entre les forces qui le constituent. »47. A la suite de l’exécution d’otages, ce n’est donc plus la Résistance qui est discréditée, c’est la cruauté des occupants allemands qui s’exerce arbitrairement, qu’il y ait résistance ou non. Hangmen also die traite des représailles nazies qui ont suivi l’assassinat par la résistance tchèque de Reinhard Heydrich, le Protecteur adjoint du Reich en Bohême - Moravie . Dans ce film, Fritz Lang présente de façon concrète le dilemme qui s’est posé à la résistance tchèque après l’attentat : l’auteur du crime doit il se rendre pour épargner quatre cent otages innocents ? Le réalisateur montre le cas de conscience des résistants qui, même s’ils sont convaincus de se battre pour la bonne cause, doutent du bien fondé de leurs actions quand ils en voient les conséquences. Dans un dialogue entre deux leaders du mouvement, l’auteur du crime confie qu’il souhaite se rendre. Son ami le rappelle à l’ordre : « Quand nous avons décidé d’agir nous savions qu’il y aurait des otages. Tu as décidé d’être 46 SIPIERE, Dominique, Ernst Lubitsch et la crise du sérieux, La Licorne, numéro 36, Crise de la représentation dans le cinéma américain, Presses universitaires de Rennes, octobre 2005, page 136. 47 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 172. 34 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

le représentant du peuple, c’est donc le peuple qui a tué Heydrich, pas toi. Quatre cent vies ce n’est rien dans une guerre qui concerne des millions de gens. Si tu te rends, les Tchèques auront perdu à cause de toi, ils penseront que les Nazis sont trop forts et que nous n’avons pas osé résister en tant que peuple opprimé. ». Si clandestinement les résistants font corps, Firtz Lang choisit de montrer les ambigüités morales de leur choix. Au travers du personnage de Nasha Novotny (Anna Lee), le réalisateur présente la palette des émotions ressenties par les civils tchèques qui durent supporter l’aggravation de leur sort à cause de l’action des résistants. La conversion de l’héroïne, qui finira par épouser inconditionnellement la cause de la résistance tchèque, est la réponse de Lang au problème des otages : c’est un mal nécessaire. Cependant, pour ne pas trop choquer les spectateurs, le film se termine de façon irréaliste par la libération de tous les otages qui n’ont pas encore été tués car les résistants réussissant à faire passer un collaborateur tchèque pour le coupable ! Au début du film, Nasha approuve presque sans y réfléchir le combat de la résistance tchèque. Elle est issue d’une famille politiquement engagée : son père est un professeur qui transmet ses idéaux patriotiques à sa famille et à ses élèves. Lorsque que l’héroïne se trouve par hasard non loin des lieux du crime de Heydrich, elle aide le coupable indirectement en envoyant les Allemands dans la mauvaise direction. Plus tard, l’auteur de l’assassinat, qui s’est rappelé de son geste, demande à Nasha de l’héberger pour la nuit. A son fiancé qui déplore la prise d’otages, elle répond que ce n’est rien car « Il y aura toujours d’autres tchécoslovaques prêts à se sacrifier pour cette juste cause. ». Cependant, lorsqu’elle assiste à l’arrestation de son père (qui, en tant que membre de l’élite tchécoslovaque, a été soigneusement choisi comme otage), ses certitudes vacillent. Elle va supplier le résistant de se rendre mais celui-ci reste inflexible. Alors, elle décide d’aller à la Gestapo le dénoncer elle-même. En chemin, elle se fait siffler et frapper par une foule en délire qui l’accuse d’aller voir « ces bouchers ». Elle finit par changer d’avis lorsqu’elle réalise que cela ne fera que mettre en danger sa famille toute entière. Peu à peu, elle comprend que la cruauté des Nazis est sans limite : ils pratiquent avec sa famille la torture psychologique en leur annonçant avec désinvolture que le père ne fait pas partie des premières vagues d’otages exécutés. Tout comme le spectateur, Nasha arrive à la conclusion que la Résistance fait plus de bien que de mal, malgré les morts. Son père, lui-même en attente de son exécution, sert d’exemple à sa fille : son abnégation en fait un martyr. Au moment de son arrestation, en présence de ses enfants et de ses élèves il s’exclame : « Ils peuvent en arrêter beaucoup d’autres comme moi, mais ils ne trouveront pas un seul traitre parmi nous! ». Il écrit une lettre à ses enfants dans laquelle il donne sa vision de la démocratie : « un pays libre, le gouvernement du peuple par le peuple, de quoi manger, du temps pour lire, penser et débattre... la liberté ça ne se mérite pas comme ça, il faut se battre pour l’avoir, rappelle toi de ton père qui est mort dans ce combat pour la liberté… ». En tant qu’otage, le père ne se plaint pas et accepte de se sacrifier pour servir indirectement à la libération de son pays. Dans Hangmen also die, Fritz Lang montre une population tchèque qui, malgré les doutes initiaux et les morts, soutient sans faille les mouvements résistants face à l’oppression. L’individualisme et les divisions de la société française La question des otages est traitée de façon très différente dans Uncertain Glory (Raoul Walsh, 1944). Dans ce film, un petit village français se retrouve victime de la répression nazie, suite à la destruction par un groupe de résistants d’un pont qui a causé la mort de plusieurs membres des forces d’occupation allemande. Afin de sauver les otages pris par les Allemands, un criminel condamné à mort (nommé Jean Picard) propose un pacte surprenant au préfet Bonnet qui vient de l’arrêter : il se fera passer pour le coupable de l’attentat, de cette façon, non seulement les otages seront libérés, mais il mourra d’une mort plus digne.

MICLET Marion_2007 35 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Tandis que Picard et Bonnet conspirent afin de présenter une version des faits convaincante au Allemands, plusieurs villageois, qui ignorent leur projet, se liguent contre eux afin de faire de ces « étrangers » les coupables. Uncertain Glory donne donc une image plus ambiguë de la société française. Contrairement à la vision hollywoodienne de la Tchécoslovaquie dans Hangmen also die, la France ne soutient pas unanimement les actions de la Résistance. C’est l’individualisme qui prime, chacun semble suivre ses intérêts personnels : les résistants agissent sans se soucier de la répression ; Jean Picard, le criminel, veut soi-disant se sacrifier pour sauver les otages, alors qu’en réalité il souhaite gagner du temps afin de s’échapper ; le préfet Bonnet agit pour soulager sa conscience ; enfin les villageois se moquent du malheur des autres tant que leurs proches sont épargnés. La société française pendant la Deuxième Guerre mondiale était effectivement divisée, et la question des otages, même lorsqu’elle est abordée au cinéma, fait surgir la controverse au sujet des rapports entre la France et l’Allemagne. Dans la plupart des films américains, la France pétainiste est implicitement condamnée, tandis que la France gaulliste est glorifiée. Uncertain Glory nous présente, au moins au début, une image plus banale mais qui correspond plus à la réalité des faits : la France attentiste et individualiste. Fait rare, les résistants et les collaborateurs ne sont pas au centre du film, mais c’est l’ensemble de la population française qui est montrée par Raoul Walsh. Cependant, la conclusion de ce film est la même que dans Hangmen also die : la vitalité de la résistance passe par le sacrifice d’une partie de la population occupée, sous la forme d’otages exécutés. Or, le Général de Gaulle, pourtant un allié des Etats-Unis malgré des désaccords fréquents, a condamné les attentats individuels des résistants contre les Allemands. Jacques Semelin rapporte ainsi qu’« après l’exécution de 98 otages, en représailles contre l’assassinat d’un officier allemand dans les rues de Nantes, le général de Gaulle a très vite condamné le principe des attentats individuels dans un discours du 23 octobre 1941 »48. En effet, cette tactique a suscité de nombreux débats, tant du point de vue moral que politique, au sein de la résistance et de la population française car, pour un Allemand éliminé, des centaines de Français innocents sont exécutés arbitrairement. Le film évacue ces controverses. Même le prêtre est contre les villageois qui veulent sauver leurs proches en faisant passer Jean Picard pour le coupable : « Si les cent otages meurent, c’est un crime commis par les Allemands et ils devront répondre de leurs actes. Par contre, si nous sacrifions ces innocents en échange de cent autres, nous sommes des criminels et nous devront en répondre devant Dieu. ». Pour Hollywood, les otages sont des martyrs qui légitiment le refus de l’occupation par certains Français. Le serment du prêtre dans le film renforce cette idée : « Les sacrifices ne sont pas vains, et ne seront pas oubliés ». La vision américaine de la résistance en Europe compare le sacrifice des résistants à celui du Christ. Enfin, suivant le thème de la rédemption cher aux producteurs hollywoodiens, le film raconte la transformation du héros antipathique en un patriote véritable : même s’il a l’occasion de s’échapper, Jean Picard finit par se rendre pour sauver les cent otages. Ce qui le fait changer d’avis c’est son amour pour l’une des villageoises, symboliquement nommée Marianne (jouée par l’Américaine Jean Sullivan). Jean Picard n’est pas croyant mais retrouve la foi dans le culte de la nation française, grâce à Marianne. Dans la dernière scène du film, il confie au préfet Bonnet : « J’ai trouvé quelque chose de plus grand et de plus fort que moi, et maintenant je suis prêt à mourir pour cela, sans poser de questions. ». Le film se conclue avec l’échange entre Bonnet et Marianne qui vient d’apprendre la mort de 48 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 167. 36 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

l’homme qu’elle aime. Lorsqu’elle demande au préfet de décrire le « vrai » Jean, il répond : « C’était un Français. », sur l’air de la Marseillaise.

3) La présence ennemie allemande en Europe de l’Ouest Des Allemands déshumanisés En Europe de l’Ouest, la Première Guerre mondiale a fixé dans les imaginaires collectifs des stéréotypes antiallemands qui ont été repris et renforcés pendant la guerre 1939-1945, notamment par Hollywood. Le combat des idéologies lors du second conflit mondial transforme les Allemands en barbares sanguinaires. Comparés à la civilisation d’Europe de l’Ouest et surtout à la civilisation américaine qui se veut le garant des libertés, les nazis incarnent l’ennemi absolu, l’« autre ». Cette caricature, normale en temps de guerre, va plus loin dans les années 1940 : les Allemands sont totalement déshumanisés dans les films. Cette tactique de propagande antiallemande, utilisée entre autre par les studios de Hollywood, est à l’œuvre dans Mrs Miniver (William Wyler, 1942), un film qui se déroule en Grande Bretagne. Cela n’est pas anodin car, en 1942, ce pays est le seul allié des Etats-Unis, dernier bastion de la civilisation occidentale en Europe. Mrs Miniver raconte comment la vie paisible d’une famille anglaise relativement aisée se trouve bouleversée par le début de la guerre et les bombardements sans merci de la Luftwaffe à l’été 1940. La plupart des films de guerre produits à Hollywood présentent les soldats Allemands comme des guerriers anonymes, obéissant à une force obscure. Or dans ce film, on assiste à une véritable conversation entre un symbole du bien dans la propagande américaine, Kay Miniver (jouée par Greer Garson), et un représentant du mal, un pilote de l’aviation allemande blessé et égaré dans son jardin. Le spectateur assiste à un choc entre deux personnalités : la mère de famille bien éduquée et compatissante face à l’Allemand mourant mais particulièrement belliqueux. Le choc est également visuel : dans le jardin anglais propret, le soldat allemand est en total décalage. La tranquillité de Mrs Miniver est perturbée par des bruits d’armes à feu. Lorsqu’elle finit par découvrir le pilote, son fils ainé et son mari sont en route pour Dunkerque, l’un par avion de la R.A.F, l’autre par bateau. Elle doit donc faire face seule à la menace allemande qui a soudainement envahi son quotidien. Son premier réflexe est de récupérer l’arme du soldat, mais dans un dernier sursaut celui-ci se relève et l’entraîne vers la maison. Le spectateur peut totalement s’identifier à Kay Miniver, une femme ordinaire qui révèle son courage dans l’épreuve de la guerre. Sous la menace de l’arme à feu, elle offre de la nourriture à l’Allemand. Soudain ce n’est plus un homme qui est face à elle mais un animal. Le film tire un portrait caricatural de l’officier nazi : c’est un barbare qui s’exprime de façon primitive (en anglais) et qui ne mange pas, mais plutôt engloutit tout ce qui lui est offert. Il la prévient : « Si vous n’obéissez pas je tire ! » et il lui ordonne « manger, boire, donne manteau, ouvre porte ». Par esprit de conservation et pour protéger ses jeunes enfants qui sont à l’étage, Kay Miniver fait front. Son courage est récompensé : l’Allemand s’évanouit, ce qui lui laisse le temps d’appeler la police et un docteur. C’est cette qualité qui montre la différence entre le peuple anglais et son ennemi allemand : la compassion. Quand le pilote se réveille, elle est maintenant en position de force, ce qui n’empêche pas l’Allemand d’exprimer sa foi invincible dans le régime nazi: « Nous finirons la guerre bientôt, peut-être pas moi, mais d’autres viendrons par milliers, meilleurs vous verrez. Nous bombarderons vos villes : “Barcelone, Varsovie, Narvik, Rotterdam ! ». Dans cette scène, Mrs Miniver est bien le porte drapeau de l’Europe antifasciste tandis que le pilote est l’incarnation de la barbarie nazie. On assiste ici à un combat symbolique entre deux idéologies ; deux conceptions de l’humanité MICLET Marion_2007 37 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

s’affrontent. Lorsque la mère de famille anglaise s’exclame « Mais tous ces gens que vous voulez bombarder sont innocents ! », le pilote donne sa vision : « Ils ne sont pas innocents, ils sont contre nous, nous ferons la même chose ici. ».Pour la première fois, l’impassible anglaise sort de ses gonds face à tant de mépris pour les civils d’Europe et elle gifle son ennemi. Pour Robert L. McLaughlin et Sally E. Parry: « Il devient l’incarnation de toutes les destructions anonymes qui ont été infligées à l’Angleterre par l’Allemagne. […] Il est représentatif de la menace plus grande de l’invasion allemande. »49. Dans ce face à face avec Kay Miniver, il devient un bouc émissaire pour l’Angleterre. La gifle qu’elle lui inflige ne doit pas être considéré comme un acte de violence, mais plutôt comme une façon se soulager les souffrances de la nation toute entière. Cette scène est importante dans la mesure où elle participe du combat entre la propagande américaine et la propagande allemande. Elle oppose les valeurs associées à la civilisation occidentale à celle de l’Allemagne nazie. Malgré des exagérations, le patriotisme du film inspira les Américains qui élurent Mrs Miniver meilleur film de l’année 1942 (le film remporta six Oscars au total). Plus de soixante ans après sa sortie, le film fut même classé numéro quarante dans la liste des films ayant le plus inspiré les Américains (« most inspirational films of all time ») publiée par The American Film Institute le 14 juin 200650. Le thème de la vengeance Le film Passage to Marseille (Michael Curtiz, 1944) aborde un autre thème cher à la propagande américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale : l’esprit de vengeance. La date de sortie du film n’est pas étrangère à ce changement de ton par rapport au film Mrs Miniver qui a déjà quelques années. Au moment où le public américain découvre Passage to Marseille, en 1944, le rapport de forces entre les puissances de l’Axe et les Alliés a complètement basculé en faveur de ces derniers. Il ne s’agit plus de discréditer les Allemands, de les montrer comme des êtres inhumains sur les écrans car les spectateurs américains sont désormais plus réceptifs à des messages de revanche contre l’ennemi Allemand après de nombreux mois de conflit. Passage to Marseille se termine par une scène de combat entre un avion allemand et l’équipage d’un bateau français dont les membres qui rejettent le régime de Vichy ont pris le contrôle et se dirigent vers l’Angleterre. Comme dans Mrs Miniver l’ennemi Allemand est identifiable. Même si les deux pilotes n’ont aucune réplique, leurs visages sont visibles, ce ne sont pas des êtres totalement anonymes contre lesquels se battent les patriotes français. Cependant, cela ne freine pas la violence avec laquelle leur mort est montrée à l’écran. La scène se déroule en deux temps. Tout d’abord, les avions allemands s’approchent du bateau et tirent avec leurs mitraillettes. L’équipage riposte, mais le plus jeune des membres est blessé. Il s’agit d’un jeune garçon, nommé Marius, qui résume en une réplique l’esprit de vengeance qui anime les Français face aux Allemands dans ce film : « Sales Boches un jour vous paierez pour ça ! ». Le héros du film, Matrac (interprété par Humphrey Bogart) répond à l’attaque allemande en tirant sur les avions. En conséquence, les avions sont sérieusement touchés. Matrac se tient alors fièrement et salue Marius, le drapeau français flotte derrière lui et la Marseillaise retentit. Cependant, il ne s’arrête pas là et laisse libre cours à sa fureur. Dans la deuxième partie de cette scène, les deux pilotes sont à la dérive, impuissants dans le cockpit éventré de leur avion. Matrac, avec un regard haineux reprend son arme et tire avec acharnement sur les Allemands sans défense. Son supérieur lui ordonne aussitôt d’arrêter

49 « He becomes the personification of all the otherwise anonymous destructions that Germany is inflicting on England. […] He is representative of the larger threat of German invasion. ». MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., op. cit., page 102. 50 Un autre film de l’étude, Casablanca, se retrouve en trente-troisième position. 38 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

car cela est contre les règles de la guerre. Ce à quoi Matrac répond : « Regardez autour de vous, ce sont eux les assassins ! ». Marius, le garçon blessé est en train de mourir. Ses dernier mots sont « Vive la France, on leur a montré à ses sales Allemands ! ». Ainsi, dans la morale hollywoodienne de l’époque, la mort du jeune innocent justifie la vengeance disproportionnée du héros. C’est l’esprit de revanche qui est le moteur de l’action dans la seule scène du film où les personnages sont confrontés à des Allemands identifiables. Il est particulièrement intéressant de noter qu’au moment où se déroule l’action du film, la France vient tout juste de signer l’armistice et que Matrac, qui était retenu sur l’Ile du Diable, n’a assisté à aucune bataille de la débâcle française. On peut donc s’interroger sur les motivations réelles de sa colère dans cette scène. Dans Passage to Marseille, Humphrey Bogart interprète à nouveau la métaphore de l’Amérique. Lorsque le film sort en 1944, les spectateurs américains sont lassés de la guerre. Ils comprennent le désir disproportionné de vengeance de Matrac, puisque ce sont leurs propres émotions qui sont représentées à l’écran. Les jours de fête nationale, les Français s’habillaient de vêtements bleus, blancs, rouges. En Norvège, le port d’une agrafe au revers du veston était un signe de résistance. Par delà les différences nationales, la lettre « V » du mot victoire, proposée en 1941 par un ministre belge comme symbole de résistance et popularisé sur les ondes de la BBC, fit son apparition dans toute l’Europe. Ainsi, des signes culturels divers ont progressivement constitué un langage de la distinction, une façon de dire non aux valeurs de l’occupant et de ses collaborateurs, de garder une certaine fidélité envers soi-même51.

B. La dénonciation de la collaboration française au cinéma

Pour les Américains, la collaboration avec l’ennemi allemand est rejetée unanimement, quelque soit la forme qu’elle prenne.Selon Stanley Hoffmann, on définit classiquement plusieurs formes de collaboration : la collaboration d’Etat, tactique ou stratégique, décidée au plus haut niveau du pouvoir, qui s’est voulue une façon de défendre les intérêts nationaux du pays vaincu. le collaborationnisme ou choix idéologique consistant à militer politiquement pour la cause de l’occupant dont on admire le système. collaborer fut aussi un moyen de promotion sociale pour des opportunistes en mal de reconnaissance ou une bonne manière de faire des profits à travers une collaboration économique parfois bien avantageuse. pour un plus grand nombre ce fut encore un état d’esprit, une façon de se montrer ‘‘réaliste’’, de chercher à ‘‘se faire bien voir’’ par les maîtres du moment52. La collaboration en France vue par Hollywood se décline exactement selon ces nuances. Seuls les collaborationnistes français ne sont pas montrés sur les écrans de

51 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 59. 52 HOFFMANN, Stanley, Essais sur la France, Paris, Ed. Seuil, 1974. Cité par : SEMELIN, Jacques, op. cit., page 30. MICLET Marion_2007 39 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

cinéma. L’une des explications possibles est que, ne représentant qu’une infime proportion de la population française, ils n’étaient pas bien connus du grand public américain. Mais on peut objecter à cela que la résistance intérieure était également faible et pourtant très souvent montrée à l’écran. Il s’agit donc d’un choix idéologique. Les producteurs hollywoodiens ont volontairement décidé de ne pas évoquer le collaborationnisme, estimant que c’était une forme de collaboration avec l’ennemi trop extrême. Le phénomène du collaborationnisme ne correspond pas à l’image de la France habituellement présentée au public, que ce soit la France de Vichy, la France de Charles de Gaulle ou la France qui tentait simplement se survivre et souvent qualifiée d’attentiste. Par ailleurs, pour chaque type de collaboration (collaboration économique ou collaboration d’Etat), les studios ont également créé une version plus romancée du phénomène, dans le but de créer des effets de suspense : c’est ainsi qu’est apparu un nouveau type de personnage, le collaborateur repentant. Il appartient au camp ennemi, puis se rend compte de son erreur et se rapproche des Alliés.

1) La collaboration d’Etat Vichy et les Etats-Unis Aux yeux du pouvoir politique américain, jusqu’à l’ « Opération Torch » en Novembre 1942, Vichy était le gouvernement légal de la France. Après l’invasion des forces militaires alliées en Afrique du Nord, et notamment dans l’Empire qui était en partie contrôlé par Vichy, les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et la France de Pétain furent rompues par ce dernier. D’après, Dorothy Shipley White, la politique américaine vis-à-vis de Vichy n’a jamais été très claire. Elle émet même l’hypothèse d’un double jeu mené par l’administration Roosevelt jusqu’à la fin de l’année 1942 afin de ménager à la fois le gouvernement de Pétain et les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle. Selon cet auteur, cette tactique relève du bon sens, car mettre fin à de bonnes relations diplomatiques entre Vichy et les Etats-Unis aurait été un choix dangereux. En effet, depuis que le contact entre Vichy et l’Angleterre avait été rompu suite à la destruction par l’armée anglaise de la flotte française restée à Mers-El-Kebir, les Américains étaient les seuls alliés capables d’avoir une influence sur la politique de Vichy53. Dorothy Shipley White rappelle comment les consuls toujours en poste dans les îles de l’Empire français ou dans les bases militaires d’Afrique du Nord étaient chargés d’envoyer à Washington des rapports fréquents sur les autorités vichystes. Le but était d’éviter que ces possessions tombent aux mains des Allemands par l’intermédiaire du gouvernement de Vichy. De plus, les Etats-Unis insistèrent pour que le gouvernement de Pétain s’en tienne strictement aux termes de l’armistice avec l’Allemagne et la politique de la collaboration d’Etat était vivement désapprouvée par les Américains. Enfin, les Etats-Unis devaient jouer un rôle de médiateur entre la France et la Grande Bretagne54. Pour les Américains, il était impossible de reconnaître à la fois le gouvernement de Vichy et la France Libre comme le détenteur de la souveraineté nationale. C’est pourquoi les Alliés, désireux de conserver des relations diplomatiques avec la France vaincue, reléguèrent les velléités du Général de Gaulle à un rôle strictement militaire, du moins dans un premier temps. Mais ils encouragèrent son rôle d’autorité morale en lui donnant les moyens de sa propagande. Entre 1940 et la fin de 1942 :

53 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 146. 54 WHITE, Dorothy Shipley, ibidem. 40 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

Du moment que les Etats-Unis admettaient la légalité du gouvernement Pétain, la France Libre ne pouvait être légitime aux yeux du Département d’Etat ; privé de nationalité, condamné à mort dan son pays, entouré dans son exil d’une petite poignée de partisans, de Gaulle faisait inévitablement figure d’aventurier militaire, rien d’autre. Donc les membres du gouvernement, le secrétaire Hull en particulier se montrèrent très prudent55. Après 1942, les rapports entre Vichy et les Etats-Unis se dégradèrent et l’image du régime s’en ressentit au travers des films. La politique de collaboration du régime de Vichy sur les écrans Dans le film Passage to Marseille, réalisé en 1944, l’équipage d’un navire en route pour le sud de la France apprend que le nouveau chef de l’Etat français a demandé l’armistice aux Allemands. Le film montre l’équipage divisé, comme le fut la société française en juin 1940 : faut-il changer de route et aller vers l’Angleterre ou bien livrer le bateau aux autorités françaises désormais vichystes ? Rapidement, deux camps opposés se forment. D’un côté les pro-Vichy, avec à leur tête un certain Duval (sous doute une référence à Pierre Laval). De l’autre, ceux qui veulent continuer le combat au côté de leurs alliés anglais, avec à leur tête le capitaine Freycinet. Ce personnage est intéressant car il condamne sans équivoque la collaboration d’Etat, mais semble vouloir trouver des excuses au Maréchal Pétain. Plus tard dans le film, un journaliste anglais lui annonce qu’il veut écrire un article sur les Forces Françaises Libres. Il s’en suit cet échange entre le capitaine Freycinet et le journaliste : « - Freycinet : Laval nous appelle les traitres français. - Le journaliste : le Maréchal aussi vous qualifie de traitres ? - Freycinet : oui c’est évident… j’essaye de ne pas oublier que Pétain n’est qu’un vieil homme aux mains de barbares. ». Le Capitaine Freycinet est représentatif de l’opinion d’une partie de l’armée française qui fut d’avantage maréchaliste que pétainiste. Dans l’esprit de nombreux Français, Philippe Pétain était le sauveur de la France à Verdun en 1916, puis l’homme providentiel en 1940. Dans ces propos, le nouveau chef de l’Etat français passe pour une victime des Allemands plutôt qu’un collaborateur actif. Cependant, malgré les excuses qu’il semble vouloir trouver au Maréchal, le capitaine Freycinet refuse de servir la France de Vichy et, dans le film, on le retrouve en Angleterre commandant une base aérienne de la Royal Air Force. De l’autre côté du spectre politique, le collaborateur zélé est représenté par le Major Duval. Celui se range immédiatement du côté qui lui paraît le plus prometteur en 1940 : il se dit avant tout « réaliste » et préfère que le navire tombe dans les mains allemandes plutôt qu’anglaises. Selon lui, grâce à l’armistice, la France a le privilège de faire partie de l’« ordre nouveau » en Europe. Pour tenter de rallier les membres de l’équipage à sa cause il leur fait la promesse d’être graciés par le régime si le bateau arrive à bon port. Après qu’un mousse crie « Vive la France !» une véritable bagarre s’engage sur le navire, comme une version miniature des divisions françaises pendant les années d’occupation. Le camp des collaborateurs ira jusqu’à donner la position du bateau aux Allemands pour que ceux-ci puisse attaquer l’équipage ! La bataille ne sera résolue que dans le sang et les larmes, comme à l’échelle de la France entière. La « poignée de main de Montoire » comme symbole de la collaboration au cinéma

55 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 154. MICLET Marion_2007 41 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

En 1943, Jean Renoir, alors expatrié à Hollywood, réalise le film Vivre Libre qui décrit la vie sous l’occupation dans un village « quelque part en Europe », vraisemblablement en France. La scène d’ouverture présente de façon subtile le grand problème qui va se poser d’une manière ou d’une autre à tous les personnages du film : face à l’invasion allemande et à leur écrasante domination, quelles est la solution ? La résistance est-elle-même possible ? Y a t-il une autre possibilité que la coopération avec les forces d’occupation ? Est-ce vraiment possible de ne pas collaborer ? Avec une triste ironie, le film s’ouvre sur l’image d’un monument aux morts de la Première Guerre mondiale sur lequel on peut lire : « A la mémoire de ceux qui sont mort pour garantir la paix dans le monde. ». Manifestement, la paix franco-allemande a été un échec, mais le réalisateur souligne qu’une certaine forme de coopération est envisageable pour de nombreux Français. En particulier, les fonctionnaires de ce petit village sont sensibles aux promesses faites par Pétain d’un « ordre nouveau » pour la France. Une des scènes montre le maire en train de serrer la main à l’officier allemand en charge des forces d’occupation de la ville. Les spectateurs américains peuvent y voir une critique de la France des collaborateurs, tandis que les Français, qui ne découvrirent le film qu’en 1946, n’ont pas dû apprécier cette référence à la poignée de main de Montoire. C’est dans cette ville du centre de la France que Hitler et Pétain se rencontrèrent le 24 octobre 1940. Ce geste est devenu le symbole de la collaboration d’Etat franco-allemande car il scella le destin de la France de Vichy. Pétain annonça qu’il concevait cette alliance comme une « promesse de renouveau diplomatique »56. On peut avancer que cette référence à la poignée de main de Montoire a été consciemment voulue par Renoir, qui a souvent montré les divisions de la société française dans ses films. Dans Vivre Libre, Renoir présente les motivations ambigües du maire, Henry Manville. Comme le proclamèrent certains pétainistes, le but de la collaboration c’est d’éviter d’autres souffrances pour la France vaincue. Le maire, quant à lui, justifie son rapprochement avec les autorités allemandes pour le bien de sa communauté. Comme l’explique Jacques Semelin : La notion de collaboration part du principe que, dans une situation aussi grave qu’une occupation étrangère, pour éviter le pire, mieux vaut engager une politique de concession et de coopération plutôt qu’une politique de résistance. La collaboration d’Etat s’est entièrement fondée sur ce paradoxe : composer avec l’ennemi, et même servir ses buts, revient en de telles circonstances à protéger ses intérêts nationaux fondamentaux57. Mais Manville va plus loin que la protection des intérêts de sa ville. Comme le chef de l’Etat français, il exprime le désir de profiter de l’occupation allemande pour rénover la France selon le triptyque : « Travail, Famille, Patrie ». Qui devient « Famille, Devoir, Travail, Obéissance » dans les propos du maire. Tout comme le Maréchal Pétain, il prône une politique réactionnaire qui rejette les principes démocratiques hérités de l’époque des Lumières et de la Révolution française. Il confie au Professeur Sorel, le directeur de l’école du village: « Peut-être que le mensonge c’est notre passé. Nous avons toujours appris à l’école que la plus importante partie de notre histoire a débuté avec la Révolution. Nous étions obsédés par l’idée de la liberté individuelle et les droits de l’homme. Nous avions oublié la nécessité de l’autorité et de l’obéissance. ».

56 LAROULANDIE, Fabrice, La France des années 1940, Ellipses, 1999, page 101. 57 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 33. 42 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

La troisième justification de la collaboration que le maire avance dans le film c’est l’idée de la repentance pour la France, thème qui était devenu récurrent dans les discours du Maréchal Pétain au début des années 1940. L’interprétation morale et politique de la droite traditionaliste présente la défaite comme un châtiment mérité en punition d’un processus de décomposition et d’avilissement de la nation commencé avec la Révolution française, source de tous les mots. […] Le pétainisme installe un climat de repentir national et pousse les Français à l’examen de conscience et au mea-culpa collectif58. A travers le personnage du maire, Renoir fait référence au leitmotiv de la France des années 1930 : la décadence. C’était déjà le sujet du film La Règle du Jeu (1939) qui, comme Vivre Libre, déplut fortement au public français à sa sortie. Ainsi ces deux films s’enchaînent de façon logique : ceux qui déplorent la décadence de la France avant la guerre sont ceux qui voient la défaite comme une conséquence directe. En 1940, les pétainistes considèrent le régime de Vichy comme un moyen de régénérer la société française. Enfin, dans Vivre Libre, le maire souligne la place que pourrait occuper la France dans l’Europe nouvelle. L’un des titres de la presse montré dans le film évoque un discours fictif d’Hitler sur l’Union Européenne. Manville rejette l’idée d’une association naturelle avec les Etats-Unis, ce que le cinéma américain s’efforce pourtant de construire. Selon lui, la France est avant tout européenne et pas anglo-saxonne. Elle doit choisir son avenir en conséquence. Encore une fois, ces mots auraient pu être prononcés par le Maréchal Pétain qui considérait la Grande Bretagne comme un pays de traitres depuis les événements de Mers-El-Kebir. L’association avec l’Allemagne nazie semble plus fructueuse. Dans le village de Vivre Libre, à première vue, la collaboration avec les autorités allemande n’est pas si négative. Par exemple les cours de justice de la ville sont encore administrées par les Français, sans interférence allemande. C’est ce simulacre de justice et de liberté d’expression qui permettra au héros du film de faire passer le message de la résistance dans les scènes finales.

2) Les autres formes de la collaboration vues par Hollywood Dans les années 1940, le cinéma hollywoodien se penche non seulement sur les motivations de la France de Vichy à engager une collaboration d’Etat, mais également sur les raisonnements individuels qui poussent certains Français à devenir des collaborateurs. Un nouveau type de personnage, riche de contradictions, fait son apparition sur les écrans : le collaborateur repentant. Qu’il s’agisse d’un homme qui s’affiche comme un collaborateur pour mieux résister clandestinement, d’un industriel profiteur de guerre qui se laisse submerger par sa mauvaise conscience, ou d’un fonctionnaire vichyste qui change son fusil d’épaule, Hollywood aime donner une seconde chance à ses héros tourmentés. La collaboration économique, couverture pour un résistant Dans Reunion in France, un couple d’aristocrates fiancés pendant la « drôle de guerre », vivent séparément la défaite de la France et l’instauration du nouveau régime. Lorsqu’ils se retrouvent, leur amour pour la patrie s’exprime de façon radicalement différente. Tandis que l’héroïne, Michèle de la Becque, choisit d’abandonner son statut et son train de vie plutôt que de sympathiser avec les Allemands, son fiancé se lance activement dans la collaboration économique. Michèle, qui a traversé la France au

58 LAROULANDIE, Fabrice, op. cit., page 50. MICLET Marion_2007 43 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

moment de l’exode, raconte ce périple à son fiancé, qu’elle ne soupçonne pas encore de collaboration. Pour elle, « Il était plus facile d’échapper aux Nazis qu’aux Français. Certains sont pires que les Allemands, espionnent leurs amis, les vendent pour un passeport, un repas… Qu’est-il arrivé à la France ? ». Elle réalise rapidement que, pour son riche fiancé, rien n’a changé. En construisant des tanks, des avions et des camions pour l’Allemagne, Robert Cortot peut continuer à vivre dans le luxe. Ce n’est qu’à la fin du film que l’on découvre que ce collaborateur est en réalité un résistant et qu’il entretient des relations d’affaires avec les Allemands pour mieux les duper. Jacques Semelin donne une interprétation de ce phénomène : Sous cet angle, certains historiens soutiennent que l’ambiguïté des situations d’occupation a abouti assez souvent à la formation d’une pratique conjointe de collaboration et de résistance chez un même individu ou dans une même collectivité. Par exemple, nombre de ‘‘clandestins légaux’’, c’est à dire de ceux qui participaient à un mouvement de résistance tout en conservant la ‘‘couverture officielle’’ de leur emploi, pouvaient être placés en position de ‘‘collaborer’’ un minimum le jour du fait de leur travail et de résister la nuit59. En ce qui concerne le personnage de Cortot, certes, l’effet de suspense est réussi, même si sa couverture reste discutable. En effet, si d’un côté Robert est un membre actif de la résistance qui aide des pilotes de la R.A.F à retourner en Angleterre, de l’autre, il rend l’armée allemande plus puissante. Les produits de ses usines sont exportés sur le front Est, voire même utilisés contre la Grande Bretagne. Si on fait le bilan, son choix apparaît contre-productif et moralement douteux. Robert Cortot semble avant tout très attaché à son statut social. Comme l’explique Stanley Hoffmann, « Il fallait s’adapter, c’est à dire chercher à survivre. Ces situations de désagrégation puis de restructuration sociales donnent souvent lieu au développement de conduites très opportunistes. »60. Semelin ajoute : « L’autoconservation n’est pas le plus noble des buts mais c’est le plus élémentaire. »61. Les motivations réelles du personnage de Robert Cortot restent donc ambigües. Ce n’est pas un cas isolé dans le cinéma hollywoodien des années 1940. Le profiteur de guerre repentant Le film Vivre Libre de Jean Renoir présente un autre cas de conscience pour un industriel français qui collabore avec les Allemands. Le personnage de Georges Lambert affirme que, comme tous les Français, il déteste l’occupation. Cela ne l’empêche pas de sympathiser avec les Allemands au point de dénoncer un résistant, le frère de sa fiancée. Dans son discours on retrouve les arguments pétainistes sur la révolution nationale qui doit régénérer le pays. Il analyse la situation de la France d’avant guerre dans l’esprit de la droite traditionnaliste: « La France ce n’est pas une véritable démocratie. Les femmes refusent d’avoir des enfants, les ouvriers se mettent en grève dans nos usines pour avoir la semaine de quarante heures, alors qu’en Allemagne vous en faisiez soixante-dix ou quatre- vingt. Je veux l’ordre nouveau dans mon pays ! ». Lambert se sent proche de la révolution fasciste qui a permis à l’Allemagne de se reconstruire économiquement au détriment des libertés individuelles car ce sont les hommes d’affaires comme lui qui en profitent. Il justifie ainsi son choix de livrer un résistant aux autorités allemandes : « Quelqu’un qui résiste en secret, au moyen d’actes de sabotage, est un lâche. Il s’enfuit et des innocents 59 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 61. 60 HOFFMANN, Stanley, Essais sur la France, Paris, Ed. Seuil, 1974. Cité par : SEMELIN, Jacques, op. cit., page 57. 61 SEMELIN, Jacques, ibidem. 44 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

sont tués. ». Cependant il accomplit ce geste avec répugnance : « Je ne veux pas de récompense, c’est déjà assez difficile de faire ce que je suis en train de faire. ». Et finalement, dans un sursaut de mauvaise conscience il va prévenir l’homme qu’il a dénoncé pour lui laisser une chance de s’échapper. Malheureusement, les Allemands sont déjà sur les lieux et le patriote est tué sous les yeux du collaborateur. La morale de l’histoire de Georges Lambert est donnée dans une scène où l’on découvre qu’il s’est suicidé. La vie de ce collaborateur se termine donc sous le signe de la repentance. Le personnage du pétainiste converti au gaullisme Dans Casablanca, l’une des premières images du film fait référence à la collaboration d’Etat. On aperçoit ainsi en arrière plan une affiche représentant le maréchal Pétain avec ce texte en Français : « Je tiens mes promesses et celle des autres. ». Par ailleurs, l’un des personnages les plus complexes de ce film est le préfet vichyste Renault (interprété par Claude Rains) qui finit par mettre de côté son opportunisme pour devenir un résistant. Jusqu’à la dernière scène du film, sa position vis-à-vis de l’Allemagne et de Vichy en fait un homme de contradictions. Tout d’abord, il semble très prompt à vouloir satisfaire l’Allemand Strasser, même si les premiers mots qu’il lui adresse sont « Bienvenue en France non occupée ! ». Si Renault tient à souligner cet état de fait, c’est qu’il attache de l’importance à son statut de Préfet vichyste. En effet, il est le seul à pouvoir délivrer des visas de sortie de Casablanca et à décider de qui peut s’enfuir en traversant l’Empire français. Les forces allemandes ne sont donc pas l’autorité légitime. Opportuniste, Renault a épousé la cause du Maréchal Pétain dès la première heure et tient à affirmer sa supériorité comme celle du régime de Vichy. Il démontre l’efficacité de la police française en faisant arrêter devant Strasser le coupable du meurtre de deux coursiers allemands. Celui-ci remarque que « L’administration française n’a pas toujours été si cordiale. ». Renault est pourtant un préfet exemplaire, qui met tout son zèle à servir le régime de Vichy, et donc indirectement les Allemands. Au moment de la fouille chez le héro Rick (Humphrey Bogart), Renault affirme : « J’ai dit à mes hommes de tout casser, cela impressionne les Allemands. » ; ou plus tard « Il est temps pour moi d’aller flatter Strasser ! ». Il prononce également ce lapsus sur sa position pro-Allemande : « L’Allemagne euh… Vichy en serait très reconnaissant. ». Cependant, la France passera toujours avant l’Allemagne dans le cœur de Renault. S’il collabore en 1940, c’est parce que telle est la politique de l’Etat français à ce moment là. Dans une des scènes du film, le major Strasser, en Allemand hollywoodien typique des années 1940, affirme à propos de Rick : « C’est un balourd, comme tous les Américains ! », ce à quoi Renault rétorque : « Vous ne devriez pas les sous-estimer. J’étais avec eux quand ils sont entrés dans Berlin en 1918. ». Cette réplique rappelle, d’une part, la défaite allemande grâce à l’interventionnisme « des balourds » lors de la Grande Guerre, et d’autre part l’alliance franco-américaine en 1917, dans laquelle Renault était partie prenante, en bon serviteur de la République française. Mais en ce début de Deuxième Guerre mondiale, Renault est redevenu un ennemi aux yeux des Américains, puisqu’il collabore avec les Nazis. Il est donc représenté de façon caricaturale dans le film. C’est un officier sans scrupules, qui se débarrasse des suspects trop encombrants de manière criminelle : « Nous hésitons entre le suicide ou la mort pendant l’évasion. ». Il apprécie la compagnie des jeunes femmes et couche avec celles qui veulent un visa. Ainsi, on apprend que la police rafle des opposants au régime de Vichy « et bien sûr une belle fille pour le Préfet Renault. ». Ce qui fait dire à Rick : « Quand il s’agit d’amour vous êtes un vrai démocrate ! ». De plus, Renault est un représentant des forces de l’ordre

MICLET Marion_2007 45 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

qui accepte les pots de vins. Lorsque Rick le laisse gagner à la roulette pour ne pas avoir à fermer son casino, il confie avec ironie : « Je ne suis qu’un pauvre officier corrompu ! ». L’obsession de Renault tout au long du film est d’empêcher Victor Laszlo, « le résistant qui a impressionné la moitié de la planète », de quitter Casablanca : « C’est mon devoir de veiller à ce qu’il n’impressionne pas l’autre moitié de la planète. ». Ses raisons sont ambiguës. L’opportunisme ? « Le côté gagnant est beaucoup plus payant. », affirme t-il. Le collaborationnisme ? Devant Strasser il prétend que sa conduite est dictée par « l’honneur e de servir le III Reich ». Renault est un personnage peu recommandable, son action n’est guidée par aucun idéal, bon ou mauvais, mais par sa recherche personnelle du profit. C’est purement et simplement un profiteur, qui suit le sens du vent (« I blow with the wind. »). e Quand l’Allemand Strasser remarque qu’il répète « III » Reich comme s’il y allait en avoir un quatrième, Renault réplique : « Je prends ce qui vient. ». Cependant, même s’il semble en faveur du régime de Vichy qui lui rapporte, il ne va pas jusqu’à se compromettre avec la Gestapo. Quand Rick lui demande s’il la craint il répond : « Vous surestimez l’influence de la Gestapo, je gère mes affaires, ils gèrent les leurs. ». Il n’a donc pas totalement basculé du « mauvais côté ». D’ailleurs à la question de Rick, « Etes-vous pour Vichy ou pour la France Libre ? », Renault esquive : « le sujet est clos ». Dans la dernière scène du film, le Préfet Renault finit par assumer pleinement ses convictions et devient un véritable patriote : « C’est un bon moment pour commencer ! ». Symboliquement, il jette une bouteille d’eau minérale Vichy à la poubelle ! Après avoir tué Strasser pour permettre à Laszlo et sa femme de s’enfuir en avion, il s’éclipse avec Rick pour rejoindre les Forces Françaises Libres à Brazzaville, sur l’air de la Marseillaise. Pour remonter le moral des Alliés, les producteurs américains ont réalisé un tour de force dans Casablanca : rendre plausible la conversion d’un collaborateur en un gaulliste.

C. Des idéaux partagés par l’Europe et l’Amérique

Dans les films tournés à Hollywood dans les années 1940, la situation en Europe est souvent utilisée comme une métaphore de l’état d’esprit américain à un moment précis de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est donc pas rare de trouver dans les films sur la Résistance des scènes qui font référence à l’un des fondements de la nation américaine : l’attachement à la démocratie. Souvent, cela se traduit par une exagération du phénomène de la résistance civile en Europe. La dernière partie du film Vivre Libre montre une cour de justice comme s’il s’agissait du dernier lieu où peut s’exercer la liberté d’expression. Cette liberté, garantie aux Etats-Unis par le premier amendement à la Constitution, apparaît gravement menacée en Europe occupée. Cette scène de procès a pour but de rappeler aux Américains que leur devoir est de se battre au nom des « four freedoms » défendues par le président Roosevelt : liberté d’expression, liberté de conscience, droit à la subsistance et droit à la sécurité. L’image de la nation française qu’Hollywood promeut dans ce but est celle de la France éternelle, caractérisée par un ensemble de valeurs démocratiques. La plupart des films qui se déroulent en France insistent donc sur l’exaltation du patriotisme comme un moyen de rapprocher d’avantage l’Amérique de leurs amis français.

1) La résistance à l’oppression et la défense de la démocratie

46 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

La résistance civile Dans son ouvrage sur la résistance civile en Europe, Jacques Semelin donne la définition suivante : « un processus spontané de lutte de la société civile par des moyens non armés contre l’agression dont cette société est victime »62. Hollywood attache énormément d’importance à ce type de résistance populaire, car malgré son impact plus moral que militaire, « La résistance civile est le moyen privilégié d’accroître le fossé entre la domination qui est un état de fait et la soumission qui est un état d’esprit. ».63 Dans le film Casablanca la scène de la Marseillaise est emblématique à cet égard. Il s’agit d’un moment-clé où les patriotes français remportent une victoire symbolique sur les Nazis. Le héros résistant Victor Laszlo est le catalyseur de l’action : il demande à l’orchestre du café de jouer l’hymne français. Rick, le patron, laisse faire et tous les clients présents se mettent à chanter en cœur, malgré les efforts des Allemands pour imposer leur propre hymne national. La police française en poste à Casablanca entonne également ce chant de la France Libre, même s’ils sont censés représenter la France de Vichy. Pour les Américains, la Marseillaise est le symbole de la France résistante, pas de la France qui collabore. La scène se termine par les cris « Vive la France ! » et « Vive la démocratie !». Le spectateur assiste à une image lourde de signification : un toast entre Laszlo le résistant et la police française. Dans cette scène de la Marseillaise, chacun assume ses convictions explicitement ou se rachète une conduite. Une femme française qui pratiquait la « collaboration à l’horizontale »64 fond en larmes. En chantant à l’unisson, les Français de Casablanca ont exprimé le refus de se soumettre à la puissance allemande. Cette idée est développée par Jacques Semelin : Par la simplicité de ses moyens, la résistance civile a fourni une sorte de ‘‘rempart idéologique’’ contre toutes les tentatives de l’occupant et des collaborationnistes visant à influencer idéologiquement les sociétés conquises. La résistance civile, en ce qu’elle permit une participation de masse, par opposition à la lutte armée animée par une minorité, fut l’expression privilégiée de ce refus collectif65. La liberté d’expression Selon Semelin, il existe deux types de résistance civile. Premièrement le recours à des moyens non armés pour renforcer le combat armé. Deuxièmement, la mobilisation et la non-coopération sociales afin de défendre des objectifs civils. « Son but est le maintien de l’intégrité de la société civile, la cohésion des groupes sociaux qui la composent, la défense des libertés fondamentales, le respect des droits de la personne, des acquis sociaux et politiques. »66. Semelin donne aussi l’exemple de certaines instances politiques ou juridiques qui ont visé à faire valoir leur légitimité en dépit de la présence occupante. Dans le film Vivre Libre, Jean Renoir s’est penché sur ce cas concret de la résistance civile en France. Au début de l’histoire, le héros du film, Albert Lory (joué par Charles Laughton), est un instituteur qui se définit lui-même comme un lâche. Il est encore dépendant de sa mère, plus effrayé par les raids aériens que ne le sont ses élèves. Il manque d’autorité dans sa salle de classe et d’assurance dans le domaine sentimental. Le

62 SEMELIN, Jacques, op.cit, page 45. 63 SEMELIN, Jacques, ibidem. 64 Autrement dit, qui avait une liaison avec un Allemand. 65 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 238. 66 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 58. MICLET Marion_2007 47 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

film raconte son émancipation. Dans une magistrale scène de procès qui achève le film, Lory laisse libre cours à son droit à la parole et devient pour la communauté un véritable symbole de la résistance civile. Il meurt en héros, apaisé et fier de ce qu’il a pu transmettre à ses élèves qui, désormais, le respectent. Dans une des premières scènes du film, lorsque Lory trouve un journal résistant glissé sous sa porte, il prend peur. Un peu plus tard, les Allemands ordonnent au directeur de l’école, le Professeur Sorel, et à ses deux instituteurs, Albert Lory et Louise Martin, de censurer certains passages des livres scolaires. Lory s’exécute sans arrière-pensée : « Ce ne sont que quelques pages à déchirer. ». Cependant, lorsque la bibliothèque toute entière du Professeur Sorel est détruite, Lory devient plus sensible au message de ce sage. Ainsi, celui-ci essaye de lui faire comprendre que la résistance est un état d’esprit : « Nous ne pouvons résister physiquement, mais nous pouvons résister moralement. Le savoir et la vérité de ces livres sont inscrits en nous et ils ne pourront pas faire disparaître cette vérité, à moins de faire disparaître chacun d’entre nous. ». Renoir insiste sur la portée symbolique de la résistance civile dans une longue scène de procès qui conclut le film et dans laquelle la transformation de Lory en un patriote français est achevée. L’instituteur est jugé pour un crime qu’il n’a pas commis. Cependant, pour le réalisateur, le véritable enjeu de ce procès c’est de montrer au public que la liberté d’expression n’est pas totalement morte en France. Comme beaucoup de héros dans les films de Jean Renoir, Lory est un être ambivalent : il se décrit lui-même comme « fort à l’intérieur mais faible à l’extérieur ». Au moment du procès il peut enfin exprimer son engagement. Ce renversement s’opère quand Lory prend réellement conscience de ce que l’occupation signifie pour la France : depuis la cellule où il est enfermé en attente de son procès, il assiste à la mort de son ami et mentor, le Professeur Sorel, qui est un otage parmi d’autres fusillé par les Allemands. Dans la première partie du procès, Lory veut être entendu au nom de la liberté d’expression : « Si ceci est une cour de justice, j’ai le droit d’être entendu. Si l’on m’arrête maintenant, comment quiconque pourra croire que nos cours peuvent toujours faire justice, même sous l’Occupation, comme le vantent les journaux ? ». En effet, comme l’explique l’Allemand Von Keller, en charge de la ville : « Un palais de justice est un forum public. Bien sûr, nous les Allemands, nous pourrions prendre le contrôle des cours de justice, des écoles, des mairies, des administrations du pays entiers, mais nous ne sommes pas des tyrans et nous nous refusons à la faire. ». Cependant, ils ont maintenant peur de Lory : la situation initiale est renversée. Lorsque le procès est momentanément ajourné, Von Keller fait une offre à l’instituteur : il lui propose de fabriquer une fausse pièce à conviction qui permettra son acquittement, en échange de son silence dans la deuxième partie du procès. Défiant les Allemands, Albert Lory décide d’utiliser sa liberté de parole, même s’il est conscient qu’il met en danger sa propre vie. Dans un monologue mémorable, Renoir utilise Lory pour critiquer la vision hollywoodienne de la résistance en Europe et pour exprimer son point de vue sur les conséquences de l’occupation pour la société française : C’est facile de parler d’héroïsme dans des pays libres, mais ici on souffre des conditions de vie sous l’occupation. Pour nous, c’est encore plus dur de faire ce choix, mais c’est payant. Il y a plus d’Allemands pour nous surveiller et moins sur le front. Une ville occupée comme la notre peut aussi devenir un champ de bataille. D’abord nous devons nous battre avec nous même, car nous sommes un peuple corrompu. C’est pour ça que l’occupation est possible. Moi-même j’ai été assez lâche pour ne pas protester quand on m’a fait déchirer les pages des livres de classes, ou quand j’ai bu le lait que ma mère a obtenu en privant 48 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

d’autres personnes qui en avait vraiment besoin. Maintenant je sais que je dois mourir car j’ai dit la Vérité. L’occupation survit grâce au mensonge et c’est aussi ce qui fait marcher l’ordre nouveau qui nous est prédit. Lory est bien conscient que les Allemands l’élimineront dès la fin de son procès, mais son exemple peut inspirer d’autres citoyens. Selon lui, la parole libre est contagieuse. C’est ce qui fait fonctionner la résistance civile. D’ailleurs, à ses risques et périls, le jury le déclare non coupable. Grâce à Albert Lory, le village a remporté une victoire morale sur les Allemands. La transmission des idéaux démocratiques à la jeunesse Juste avant d’être arrêté par les Allemands à la suite de son monologue anti-occupation lors du procès, Lory a le temps d’aller voir ses élèves une dernière fois. Il se rappelle les mots du Professeur Sorel à propos de leur devoir en tant qu’enseignants : Nous pouvons préservez la vérité si les enfants croient en nous et suivent notre exemple. Les enfants aiment suivre un modèle, aujourd’hui ils en ont deux. Il y a nous, mais nous sommes faibles, sans armes, nous ne défilons que pour aller nous mettre à l’abri des bombes, et nos héros sont qualifiés de criminels et fusillés. Et il y a un autre modèle. Eux, ils ont des armes, des tanks, des uniformes, ils paradent, ils nous apprennent la violence, l’égocentrisme, la vanité, tout ce qui est attrayant dans l’esprit malléable d’un enfant. Et leurs criminels sont des héros. Ils nous font une sérieuse compétition Lory. L’amour de la liberté, dans l’esprit des enfants, ce n’est pas très parlant, il y va de même pour le respect des droits de l’homme…C’est le combat que nous devons mener Lory. Pour chacun d’entre nous qui est tué, une bataille pour notre cause est gagnée, car nous mourons en héros et, l’héroïsme, ça impressionne un enfant. Dans ce discours, le Professeur use de son influence sur Albert Lory pour qu’il fasse passer le message de la résistance civile aux enfants. Les Allemands aussi sont conscients du potentiel de rébellion qu’il y a dans la jeunesse. Ainsi Von Keller déclare : « Vous pouvez faire croire ce que vous voulez à un enfant et les enfants d’aujourd’hui sont les mères et les soldats de demain. ». Les élèves de Lory sont l’avenir de la nation et c’est maintenant à l’instituteur de leur transmettre les valeurs fondamentales de la nation française. La dernière tâche de Lory avant d’être arrêté est de leur lire la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Les Allemands interrompent sa lecture et il quitte sa classe sur ses mots « Au revoir, citoyens. ». Encore une fois, Renoir insiste sur le fait que les jeunes d’aujourd’hui sont les électeurs de demain.

2) L’exaltation du patriotisme La confusion de plusieurs « France » dans l’imaginaire américain D’après Robert L. McLaughlin, et Sally E. Parry, auteurs d’un livre sur le cinéma américain pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’image de la France vue par Hollywood est fragmentée en plusieurs représentations : la France de Vichy, la France Libre et, la plus importante, la France éternelle67. En ce qui concerne la France de Vichy, le gouvernement américain entretient officiellement des relations diplomatiques avec elle jusqu’à la fin 1942. Mais sur le plan militaire, les Alliés américains et britanniques intègrent les hommes de la France Libre dans leurs opérations contre l’Allemagne nazie. Ce fut notamment le cas en Novembre 1942 67 MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., op. cit., page 188. MICLET Marion_2007 49 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

avec l’invasion de l’Afrique de Nord, ce qui causa la fin des rapports d’entente entre les Etats-Unis et Vichy. Pour les Américains, alors même que le Général de Gaulle n’est pas considéré comme un homme politique, il est le représentant de la France Libre. Cependant, en plus de la France de Vichy et de la France résistante, il existe une troisième image du pays dans l’opinion publique américaine. La France qui compte, c’est la France éternelle, celle de la devise «Liberté, Egalité, Fraternité », de la démocratie, et qui a pour emblème le drapeau bleu blanc rouge et la Marseillaise. C’est cette nation française qui est célébrée, car c’est celle qui a contribué à faire des Etats-Unis une démocratie. En 1940, c’est au tour de l’Amérique de se battre pour le retour de la démocratie en France. Aux yeux de l’opinion publique américaine, la situation est forcément très confuse à l’été 1940. Comment représenter la France sur les écrans sans heurter diverses sensibilités: celle du gouvernement de Vichy, celle du Général de Gaulle avec qui les Américains sont en négociation ? La France vaincue n’est pas vraiment une ennemie, le gouvernement de Vichy est reconnu en théorie comme le détenteur de la souveraineté nationale. Mais elle n’est pas non plus une alliée au même titre que l’Angleterre. Les sympathies de Pétain se portent plutôt vers l’Allemagne hitlérienne et les relations diplomatiques entre la France et la Grande Bretagne sont interrompues depuis l’affaire de Mers-El-Kebir le 5 juillet 1940. Une fois le débarquement en Afrique du Nord réussi fin 1942, les Américains ont moins de scrupules à critiquer ouvertement le gouvernement de Pétain dans les films. De plus, à l’approche du débarquement allié en Normandie prévu pour 1944, les écrans de cinéma deviennent un outil de propagande efficace pour préparer le public à ce plan qui coûtera cher en vies humaines. L’engagement américain doit restaurer la France éternelle. Pour Hollywood, elle est plus que toute autre nation le refuge de la démocratie, et le pays d’origine des quatre libertés fondamentales défendues par Roosevelt. C’est en idéalisant cette France, en la personnifiant, que les studios hollywoodiens résoudront le dilemme de sa représentation au cinéma. « La tactique était de séparer l’idée de la France de sa vraie réalité géographique et politique. »68. Ce processus est à l’œuvre dans deux films qui traitent de la situation du pays pendant la Seconde Guerre mondiale : Reunion in France et Passage to Marseille. L’hommage à la France éternelle L’introduction du film Passage to Marseille contient en quelques lignes le message de propagande qu’Hollywood veut faire passer aux spectateurs américains : « Voici l’histoire d’un escadron des Forces Françaises Libres, mais aussi l’histoire de la France. Car une nation n’existe pas simplement sur une carte et grâce à ses frontières mais aussi dans le cœur des hommes. Pour des millions de Français, la France n’a pas rendu les armes. Et aujourd’hui elle vit, immortelle et rebelle, dans l’esprit des Forces Françaises Libres qui se battent pour la France dans le ciel au dessus de la Ruhr. » C’est cette notion d’immortalité qui est le moteur de l’histoire. Le film raconte comment un Français désabusé, Jean Matrac, retrouve la fibre patriotique au moment où le pays en a le plus besoin. C’est quand il réalise que la France telle qu’il la connue et aimée n’a pas cessé d’exister avec la défaite, l’occupation allemande et le régime de Vichy, qu’il va à nouveau se battre. Le film présente un flashback dans les années 1930, lorsque le héros en question n’est encore qu’un journaliste qui couvre la montée en puissance du fascisme en Europe. Ce personnage joué par Humphrey Bogart croit y voir clair dans les revendications de Hitler. Après les accords de Munich, il publie dans son journal, « La vérité française », un article intitulé « J’accuse Daladier !» Le parallèle avec le « J’accuse ! » d’Emile Zola pendant l’affaire Dreyfus est flagrant. L’union nationale est à nouveau en péril en septembre 1938, mais seule 68 « One strategy was to separate the idea of France from the actual geographic and governmental France. ». MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., op. cit., page 190. 50 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

une poignée d’hommes éclairés, comme Matrac, voient venir le danger. D’ailleurs, lorsque la rédaction du journal est attaquée par une foule qui défend la politique de l’« apaisement » face à Hitler, la police française laisse faire. Du point de vue américain, la France éternelle a été trahie de l’intérieur. Le rôle des films est de convaincre les Etats-Unis que la France est une nation amie depuis toujours, qui traverse une période d’occupation temporaire. La flamme de la démocratie n’est pas éteinte, mais doit être ravivée grâce à la Résistance. Cependant, après les accords de Munich, le héros a perdu ses illusions. Il justifie sa désinvolture vis-à-vis du sort de la France après l’armistice en ces termes : « Je me fiche de mon pays, la France que vous et moi nous aimions est morte ! ». Or, tout le film raconte comment il se réconcilie avec cette France éternelle. Pour cela il faut mettre de côté les imperfections actuelles et regarder vers l’avenir : la France est un idéal qui existe dans le cœur des patriotes dont Hollywood aime tant faire le portrait. Au début, Matrac est particulièrement pessimiste. D’après lui, la guerre est inévitable car la France a perdu trois batailles fondamentales contre Hitler dans les années 1930. Premièrement, celle de « la Rhénanie », ce qui fait référence à l’échec de l’application des causes du traité de Versailles de 1919. En effet, après la défaite de son ennemi, la France ordonna la démilitarisation de cette région d’Allemagne, située près des frontières françaises. En mars 1936, en violation du traité, Hitler organisa l’entrée de troupes allemandes en Rhénanie. Le pouvoir politique français étant profondément divisé, la réponse de la France fut de laisser faire le nouveau chancelier. La deuxième bataille perdue c’est « Vienne », soit l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne décidée unilatéralement par Hitler en 1938 et appelée « l’Anschluss ». Encore une fois, le gouvernement français n’intervient pas. La troisième défaite de la France aux yeux de Matrac c’est « Munich », allusion à la crise diplomatique de septembre 1938 au cours de laquelle la stratégie de l’ « apaisement » (« appeasement ») atteint son paroxysme. Matrac perd ses derniers espoirs lorsqu’il est envoyé au pénitencier de l’Ile du Diable, en Guyane, pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Sur place, il fait la connaissance d’un groupe d’homme qui se définissent comme des patriotes français et qui n’ont qu’une obsession, s’échapper afin de pourvoir aller combattre les Allemands. Dans une scène où ils sont tous réunis, chaque prisonnier laisse libre cours à ses souvenirs. Se dessine alors une version Hollywoodienne de la France éternelle où se mêlent certains clichés habituellement associé à la France et des valeurs communes au deux pays. L’un des hommes pense à sa famille et sa ferme (le droit à la propriété) ; le second évoque Montmartre, le Moulin Rouge et les femmes parisiennes (la France est le pays du romantisme dans l’esprit des Américains) ; un troisième se fait l’avocat de la beauté du paysage ; le dernier évoque l’histoire et les traditions françaises : Versailles, Jeanne d’arc, les statues et monuments, les Invalides, la place Vendôme. Après cette énumération qui ne dépareillerait pas dans un guide touristique, l’un des hommes énonce des motivations plus sérieuses. Ayant déserté, il souhaite maintenant payer sa dette envers la société et mourir pour rendre la liberté à « sa » France. Lorsqu’un vieux prisonnier leur propose de s’évader ensemble pour aller se battre pour leur pays, ils font tous le serment d’être des patriotes sincères. Mais pour le héros désabusé, les motivations sont plus égoïstes. Matrac ne pense qu’à revoir sa femme et son fils pour s’échapper avec eux en Amérique du Sud. Lorsque que les hommes en fuite sont repêchés par un navire de guerre français, Matrac refuse d’aller vers l’Angleterre pour poursuivre la lutte au nom de la France éternelle, car cela l’éloignera de sa famille. Le capitaine le prévient : « Ta femme a épousé un patriote, si tu abandonnes tes convictions, tu n’es plus le même homme à ses yeux. Tu devras régler ça avec ta conscience. ». Après un face à face

MICLET Marion_2007 51 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

avec un avion allemand attaquant le navire, Matrac comprend que la France est une idée abstraite qui existera toujours quelque soit les circonstances politiques à l’intérieur du pays. Il décide de sacrifier son bonheur personnel pour mieux défendre sa patrie depuis l’étranger, aux côté des Alliés et des Forces Française Libres, qui sont les vrais représentants de la France éternelle pour Hollywood. La France personnifiée Michèle de la Becque, l’héroïne du film Reunion in France, devient la personnification de la France. Comme sa patrie, elle sortira plus forte des épreuves de la guerre. Le film commence à la veille de l’invasion allemande en France, le 9 mai 1940. En introduction on retrouve les repères visuels et sonores auxquels sont habitués les Américains quand il s’agit de voir la France au cinéma. La Tour Eiffel et les Champs Elysées servent d’arrière plan, tandis que la Marseillaise retentit régulièrement en leitmotiv musical. On nous montre d’abord une nation insouciante : des Parisiens en train de boire un café ou de fumer des cigarettes. Pour les Américains, La France de la « drôle de guerre » est, avec le recul, inconsciente face au danger que représente l’Allemagne en 1940. Il s’agit pour les spectateurs de faire le lien entre la situation de la France à la fin des années 1930 et la situation des Etats-Unis au début des années 1940 : personne n’est à l’abri de la puissance allemande. Dans le film, la France devient une démocratie détachée de tout repère temporel et géographique. Cette France porte des idéaux et des symboles dans lesquels le peuple américain peut se retrouver, il doit donc tirer les leçons de la défaite française. En guise d’introduction, les spectateurs peuvent lire sur l’écran, comme un avertissement direct : « Pour les Français, la guerre était trop inintéressante pour être prise au sérieux et trop lointaine pour s’en soucier. ». Au moyen d’un montage rapide d’images d’archives, le public assiste au tourbillon d’évènement auxquels la France a dû faire face après le début des hostilités avec l’Allemagne. Le but est de montrer qu’une situation de paix relative peut se métamorphoser très rapidement en chaos. Ainsi, la conclusion devient simple : puisque la France a échoué comme bouclier de l’Europe, l’Amérique doit jouer ce rôle pour le monde démocratique. L’héroïne, interprétée par Joan Crawford, personnifie la France. Dans un premier temps elle semble inconsciente du danger réel: elle a confiance dans la parole rassurante des généraux amis de son fiancé. Elle va passer des vacances à Biarritz comme si de rien n’était. C’est une jeune femme que son fiancé qualifie de « jolie, éternellement jeune, gâtée, égoïste, incroyablement romantique ». Et il ajoute : « Tout comme la France ». Elle se plaint des restrictions qui empiètent sur son confort : « Moi je ne suis en guerre avec personne ! » explique-t elle. Une de ses employées, que Michèle fait tourner en bourrique, s’exclame à propos de sa patronne: « La gloire de la France, c’est du passé ! ». Le film donne l’impression d’une nation française qui se repose sur ses privilèges, une société de classes sclérosée. Mais elle reste, malgré tout, la France. La guerre sera une épreuve initiatique pour le personnage de Joan Crawford et pour le pays lui-même. Cependant, après la défaite, Hollywood tire un portrait morose de la France : les croix gammées remplacent le drapeau français et la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » sur les frontons des bâtiments officiels. Comme l’héroïne, la France souffre, elle est humiliée et spoliée. Michèle connaît l’exode, puis découvre que des Allemands ont réquisitionné sa maison. Mais certaines valeurs sont inaltérables : son goût pour la démocratie, son refus de sympathiser avec l’ennemi. Malgré son statut d’aristocrate, elle se plie volontiers aux nouvelles conditions de vie. Elle cherche du travail comme vendeuse et prend comme taxi une charrette tirée à cheval. Le chauffeur commente laconiquement : « Cette fois, les taxis

52 MICLET Marion_2007 Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

ne sont pas revenus de la Marne ! ». Cette allusion rappelle que la France fut victorieuse en 1918. Elle doit se relever à nouveau. Pour cela, elle doit subir un choc salutaire. Pour Michèle, ce choc ce sera la découverte des sympathies de son fiancé vis-à-vis de l’Allemagne nazie. Quand il veut la convaincre, elle se rebiffe : « Je ne suis plus égoïste et gâtée, et la France non plus. Ce qu’est devenu la France aujourd’hui, je le suis aussi. ». L’héroïne épouse la destinée de son pays corps et âme, quitte à en subir les conséquences. Elle a foi dans l’avenir de la nation et le film salut son patriotisme. La création de l’association « La France quand même » L’association « La France quand même » fait vivre le mythe de la France éternelle au-delà des écrans de cinéma américain. Elle est la concrétisation du désir de présenter l’image de la France en dehors du régime de Vichy. Elle fut créée par des expatriés français en Amérique le 20 septembre 1940 à Philadelphie, une ville symbole de la démocratie américaine qui abrite la « Liberty Bell ». « Ces hommes réunis à Hampshire House virent qu’une France survivait à sa défaite—La France Quand Même—La France éternelle. »69. Ses fonctions sont le soutien des idéaux américains de liberté ; au cas où les Etats-Unis entreraient en guerre, la participation active à la défense du pays ; l’éveil et le maintien de l’intérêt porté aux institutions françaises70… C’est Jacques de Sieyès qui fut chargé par le Général de Gaulle de maintenir l’esprit de la Résistance en Amérique. Cependant, à cause de la législation américaine sur l’association et des Lois de Neutralité toujours en vigueur en 1940, l’impact de l’organisation en Europe fut minime. Dans l’impossibilité de soulever des fonds, l’association n’eut qu’une portée symbolique au début, mais son impact sur l’opinion américaine méritait d’être mentionné. Cette deuxième partie résume les thèmes abordés par le cinéma américain dans le cadre de la propagande patriotique. Pour le gouvernement américain, la Deuxième Guerre mondiale est le combat entre l’axe du mal et l’axe du bien. D’un côté, la puissance ennemie allemande est ridiculisée et déshumanisée et la collaboration en Europe est romancée, mais toujours dénoncée. De l’autre, Hollywood nous montre quels sont les idéaux communs à l’Europe et à l’Amérique : la résistance à l’oppression et la défense de la démocratie. L’image de la France sur les écrans devient celle d’une nation immortelle, momentanément envahie par les forces allemandes. Cependant, le patriotisme des studios a ses limites. Parallèlement à la transformation de l’industrie cinématographique en un outil de propagande, certains éléments du système se dérèglent. La création par Roosevelt d’une agence pour contrôler la production de films est un échec et des sujets controversés sont abordés au cinéma par des réalisateurs comme Jean Renoir et Leo McCarey.

69 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 140. 70 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 141. MICLET Marion_2007 53 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

« - Par décret, les Nazis décident de qui aura des enfants. - Ca dépend désormais de Hitler ? - Avant c’était la volonté de Dieu, Hitler n’aime pas ça, les nouveau-nés pourraient être des ennemis. - Sa mère aurait dû y penser avant ! ». Dialogue entre Cary Grant et Ginger Rogers Lune de miel mouvementée,(Leo McCarey, 1942) Les films produits à Hollywood pendant les années 1940 participent à l’effort de guerre comme toutes les industries médiatiques de l’époque. La presse et la radio aussi sont mobilisées. Le gouvernement commande au réalisateur Frank Capra de superviser une série de films documentaires, intitulée Why We Fight, vantant les efforts de l’Amérique dans son combat contre les régimes totalitaires. Hollywood n’échappe donc pas à l’élan patriotique caractéristique de l’époque. Non seulement les films de fiction livrent des messages de propagande afin de motiver l’engagement américain dans la guerre, mais certains membres de l’industrie cinématographique mettent leur notoriété en jeu. Plusieurs acteurs célèbres s’engagent dans l’armée, comme Henry Fonda ou James Stewart, dès mars 1941. Les starlettes participent aux tournées de promotion des bons de guerre. Carole Lombard, l’actrice principale du film To be or not to be, meurt lors d’une de ces tournées dans un accident d’avion. Cependant, l’influence du gouvernement sur la production de films reste limitée. L’agence gouvernementale chargée de coopérer avec Hollywood, le Bureau of Motion Pictures,a une fonction de conseil et n’exerce pas un contrôle strict. La seule censure est de l’ordre de l’autocensure. Les patrons de studios, pris dans l’élan patriotique qui emporte la nation américaine au début des années 1940, suivent volontairement les conseils du gouvernement pris. A propos du rôle du Bureau of Motion Pictures, James M. Myers conclut à un échec : son impact sur la production hollywoodienne est resté limité. Le véritable moteur de l’industrie cinématographique reste économique. C’est plus la recherche du profit que l’influence du gouvernement qui explique l’omniprésence du thème de la guerre au cinéma. De plus, en dépit du fonctionnement bien huilé de la machine hollywoodienne, certains réalisateurs européens expatriés aux Etats-Unis profitent de la confiance qui leur est accordée pour faire financer des films avec un message différent. C’est le cas de Jean Renoir avec Vivre Libre en 1943. Enfin, l’industrie du film se penche même sur un sujet tabou à l’époque : la situation des Juifs en Europe. Dans les années 1940, les relations entre l’Amérique et la population juive sont pour le moins ambigües. Un film comme Lune de miel mouvementée (Leo McCarey, 1942) a le mérite d’aborder frontalement le thème des persécutions nazies contre les Juifs : il comporte une scène qui se passe dans le ghetto de Varsovie. Malgré l’existence d’une agence gouvernementale tel que le Bureau of Motion Pictures, visant à contrôler la production filmique, des thèmes controversés apparaissent sur les écrans pendant la Deuxième Guerre mondiale.

54 MICLET Marion_2007 Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

A. L’influence du Bureau of Motion Pictures

James M. Myers, auteur d’une étude sur le Bureau of Motion Pictures, nous explique que cette agence gouvernementale ne fut jamais réellement un outil de censure. Cependant, les relations entre Hollywood et Washington se sont clairement resserrées pendant la Deuxième Guerre mondiale.

1) Hollywood, la guerre et le gouvernement Le gouvernement et la censure Depuis la Première Guerre mondiale, les techniques de propagande étaient fortement discréditées. C’est donc dans l’intérêt du gouvernement américain d’éviter une propagande trop ouverte en 1940. La première raison est que le combat contre les puissances de l’Axe s’inscrit dans le thème de la lutte pour la liberté et la démocratie. Les Etats-Unis ne peuvent donc pas à la fois restreindre la liberté d’expression chez eux et prétendre se battre pour la faire appliquer dans le reste du monde. La deuxième raison est qu’il ne faut pas donner de fausses illusions aux soldats et à leurs familles à propos de ce qui les attend sur le front. Mais l’auteur ajoute : « Cela ne revient pas à dire que le gouvernement fédéral n’utilisa pas des techniques de propagande. La différence fondamentale entre la presse, la radio, les films au Etats-Unis et en Allemagne nazie, c’est que ces médias étaient dignes de confiance et l’information fournie était fiable. »71. Roosevelt est conscient de la nécessité de fournir des informations en temps réel sur la progression du conflit, mais également d’éduquer le public américain sur la signification d’une guerre totale. Hollywood et la censure La censure dans le cinéma américain existait déjà bien avant la Deuxième Guerre mondiale. En 1934, le « Code de la Production » fut mis en place et il limita sérieusement la liberté d’expression des réalisateurs jusque dans les années 1960. Cependant, cette censure se concentre plutôt sur des valeurs morales : la pudeur est de mise dans les relations hommes-femmes, les jurons et les allusions racistes sont éliminés. Après l’attaque sur Pearl Harbor, les préoccupations du gouvernement en ce qui concerne la production de films changent radicalement. La priorité ce n’est plus de contrôler la morale mais de véhiculer un double message patriotique : d’une part, motiver les soldats ; d’autre part, justifier, aux yeux des Américains restés à l’arrière, le bien fondé de cette guerre. La sécurité nationale Avant l’entrée en guerre des Etats-Unis, ni le Congrès, ni le haut commandement militaire, ne s’étaient jamais sérieusement posé la question de la menace que constitue le contenu de certains films pour la sécurité nationale. Or, par le biais des films, des informations importantes peuvent être révélées à l’ennemi. Rapidement, les vraies images d’aéroports, de ponts, d’usines disparaissent des écrans. Il ne reste que la solution de filmer en studio les plans nécessitant ces éléments. Cela explique l’aspect « carton-pâte » de certains films de l’époque et aussi le mélange entre images de fiction et images d’archives, quitte à désorienter le spectateur. L’attention portée à ces détails peut surprendre car le

71 « This is not to say that federal offices did not resort to propaganda techniques. The fundamental difference between America’s press, radio and motion pictures and those of Nazi Germany was the trustworthiness and reliability of the information. ». MYERS, James M., The Bureau of Motion Pictures and its influence on film content during World War II, the reasons for its failure, New York, Edwin Mellen Press, 1998, page 51. MICLET Marion_2007 55 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

total de films produits entre 1942 et 1944, dont le sujet est explicitement lié à la guerre, ne constitue que 28% de la production globale72. Il semble que les comédies musicales, les comédies et les thrillers intéressent d’avantage les soldats. Le public concerné en premier lieu par les films de guerre est donc l’ensemble des Américains restés à la maison : le gouvernement envisage Hollywood comme un outil capable d’influencer des millions de citoyens. Le cinéma pour informer et éduquer le public américain Jusqu’en 1943, pour rester aussi fidèle que possible à la réalité, il était impossible de montrer les victoires du côté allié. Les films de guerre donnaient plutôt l’image d’une Amérique déterminée à s’engager dans le combat et à surmonter les premières défaites militaires. Le gouvernement est préoccupé par le manque de prise de conscience de la population, même après l’attaque sur Pearl Harbor. C’est pourquoi « Hollywood concentra ses efforts afin de confronter une population encore sous le choc à ses responsabilités. Il fallait maintenir le moral des Américains à la hausse tout en freinant leur conviction que la guerre serait courte. »73. Roosevelt est convaincu que le cinéma est le média le plus efficace pour informer et distraire les Américains. Par conséquent, le 18 décembre 1941 il crée une nouvelle agence, le Bureau of Motion Pictures. Voici un extrait de la lettre qu’il envoie à celui qu’il place à la tête du Bureau, Lowell Mellett : « Le cinéma doit rester un média libre dans la mesure où la sécurité nationale le permet. Je ne veux pas de censure, pas de restrictions autres que celles dictées par le besoin de sûreté. »74. Roosevelt définit aussi dans cette lettre les trois fonctions principales de la nouvelle agence gouvernementale : faire la liaison entre Hollywood et Washington, informer et éduquer le public américain, veiller à ce que les films servent l’effort national de façon utile. Implicitement, avec la création de cette agence, le gouvernement américain commence néanmoins à exercer un véritable contrôle sur la production des films de guerre. Comment les studios vont-il réagir à cette intrusion politique ?

2) Le fonctionnement du Bureau of Motion Pictures Le gouvernement et le Bureau : des intérêts mutuels Quand les Etats-Unis entrent en guerre, les studios eux-mêmes sont demandeurs d’une intervention du gouvernement dans l’industrie cinématographique. Soucieux de contribuer à l’élan patriotique, Hollywood se tourne vers Washington afin d’obtenir des informations précises sur la situation militaire. Les producteurs de cinéma veulent présenter au public américain des films aussi réalistes que possible. La création du Bureau of Motion Pictures est donc le fruit d’intérêts mutuels entre le gouvernement et les studios. Dans un premier temps, le lancement de cette nouvelle agence sert les intérêts économiques des patrons des studios. Si le gouvernement reconnaît officiellement la machine hollywoodienne comme

72 KOPPES, Clayton R. et BLACK, Gregory D., What to show the world: The Office of War Information and Hollywood, 1942-1945, Journal of American History, numéro 64, juin 1977, page 90. 73 « Hollywood embarked on a concentrated effort to awaken a stunned population to its responsibilities, while at the same time bolstering morale and holding down the overconfident belief of a short war. ». LINGEMAN, Richard R., Don’t you know there’s a war on?, New York, G.P. Putnam’s Sons, 1970, page 270-271. 74 « The motion picture must remain free insofar as national security will permit. I want no censorship of the motion picture, I want no restrictions placed thereon which will impair the usefulness of the film other than those very necessary restrictions which the dictates of safety make imperative. ». ROOSEVELT, F. D., lettre adressée à MELLETT, 18 décembre 1941. 56 MICLET Marion_2007 Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

une industrie de guerre, alors les producteurs sont assurés de ne pas manquer de matière première. Le celluloïd est en effet une denrée rare et indispensable pour produire de la pellicule. Hollywood ne perd donc jamais réellement de vue ses intérêts économiques. Comme l’affirme, James M. Myers, auteur de l’essai sur le Bureau of Motion Pictures, « L’industrie cinématographique, toute patriote qu’elle soit, n’avait pas l’intention de perdre de l’argent. »75. Si les studios veulent avant tout éviter la faillite, le gouvernement leur est très favorable pour deux raisons. D’abord, un film populaire peut avoir un impact phénoménal sur le public. Les Américains peuvent ainsi être mieux informés grâce aux films. Ensuite, Washington souhaite aider la production de films qui ont un effet positif sur le moral des Américains. En montrant des combattants utilisant les produits de l’industrie de guerre américaine, on contribue à rendre les travailleurs plus productifs. Ainsi, l’industrie du film est-elle déclarée « essentielle à l’effort de guerre ». L’ Office of War Information (O.W.I) et le rôle du Bureau Les efforts de l’administration américaine pour influencer le moral de la nation continuent tout au long de la guerre. Quelques mois après la création du Bureau of Motion Pictures, Roosevelt ordonne la création d’un nouvel organisme pour superviser tous les média d’information, cinéma inclus. Le 13 juin 1942, l’Office of War Information (O.W.I) est né et le Bureau of Motion Picture devient l’une de ses branches. D’après le Président, le rôle de l’O.W.I est de donner « une explication informée et intelligente, à l’arrière et à l’étranger, du statut et des progrès de l’effort de guerre et des buts du gouvernement. »76. En tant que branche de l’Office of War Information, le Bureau of Motion Pictures doit visionner tous les films faisant référence à l’armée ou au gouvernement américain en guerre avant de donner le feu vert pour leur distribution nationale et internationale.

3) L’échec de l’influence du gouvernement dans la production de films La tentative de propagande patriotique En 1942, l’O.W.I fait paraître un manuel afin de donner des objectifs précis aux producteurs hollywoodiens. Il divise les films de guerre en six catégories : 1) Pourquoi nous nous battons et pourquoi le monde est en guerre. 2) La nature de l’ennemi. 3) Les peuples unis prouvent leur fraternité sous les drapeaux. 4) L’importance de l’industrie dans l’effort de guerre. 5) Les sacrifices à l’arrière à cause de la guerre. 6) Les tâches des combattants77. De plus, avant de se lancer dans la production d’un film, les studios doivent se poser les questions suivantes : De quelle façon ces films aident-ils à gagner la guerre ? Vont-ils servir à expliquer au public les problèmes de la guerre ? Les intérêts financiers passent-ils avant le message politique ? Est-ce qu’au moment de sa sortie le film est déjà dépassé par les derniers rebondissements militaires ou politiques ? Est-ce que le film est fidèle à la réalité et si non, quelle image donne t-il des Etats-Unis ? Est-ce que les générations futures seront en droit de qualifier ce travail de propagande ? Ces consignes strictes ont pour but d’inspirer le patriotisme des studios. Chaque Américain présenté à l’écran doit faire preuve d’une certaine forme d’engagement dans 75 « It was never the purpose of the industry, patriotic as it was to lose money. ». MYERS, James M., op. cit., page 56. 76 « An informed and intelligent understanding, at home and abroad, of the status and progress of the war effort and of the aims of the Government. ». MYERS, James M., op. cit., page 67. 77 Voir annexes Government Information Manual for the Motion Picture Industry. MICLET Marion_2007 57 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

la guerre. Malgré les victoires du fascisme au début des années 1940, le gouvernement souhaite que les films montrent la force, le courage et l’ingéniosité de la démocratie américaine. La promesse d’une victoire alliée dans le futur contrebalance certains thèmes pessimistes. En effet, l’ennemi doit être présenté de manière réaliste : farouche et engagé dans un combat de longue durée pour la domination du monde libre. L’image des nations alliées est fondée sur la confiance et le respect. L’objectif du Bureau est de monter sur grand écran le courage des Alliés sans pour autant présenter l’Amérique comme une nation supérieure aux autres. Le choix de suivre ou non les suggestions du Bureau appartient entièrement aux producteurs. Au début, ils font des efforts pour les suivre à la lettre. Dans la première année qui suit l’entrée en guerre des Etats-Unis, les studios, dans un élan patriotique, envoient systématiquement les scripts au Bureau. Cependant, rien ne les y oblige légalement. Le but de ces relectures est de proposer des histoires aux producteurs, de les guider pour intégrer un message gouvernemental sous une lumière favorable ou encore de corriger des erreurs factuelles. A l’été 1942, la plupart des films hollywoodiens qui évoquent le sujet de la guerre sont des films d’espionnage. Pas un seul projet ne concerne les Alliés combattants les forces de l’Axe ou la situation à l’arrière78. Mais à partir de 1943, suite aux conseils du Bureau of Motion Pictures, le public américain peut déjà se faire une idée plus juste de la guerre grâce à la plus grande variété de thèmes abordés sur les écrans. Au fur et à mesure, le Bureau commence à signaler des scènes où de subtils messages de propagande peuvent être insérés et à réclamer la modification ou la suppression de certains autres passages nuisant à l’effort de guerre. L’échec relatif du Bureau of Motion Pictures La contrainte majeure pour le Bureau est l’insistance du Président Roosevelt à ne pas tomber dans la censure. Plutôt qu’un outil de propagande, le Bureau est donc un agent de liaison entre, d’un côté, le monde du cinéma et, de l’autre, le gouvernement fédéral et l’armée américaine. L’intervention du Bureau of Motion Pictures ne doit pas être négligée. Elle repose sur le principe démocratique du « voluntary system » (coopération volontaire). Les changements apportés aux films le sont dans un esprit de suggestion plutôt que de coercition. C’est pourquoi James M. Myers insiste sur le fait que la fonction d’information et de conseil l’emporte souvent sur la fonction de contrôle : Certainement, le thème du film importait pour le Bureau et l’Office of War Information. C’était le rôle de son chef, Nelson Poynter, de suggérer des changements dans le script, dans certaines scènes ou dans les dialogues. Poynter était capable de menacer les producteurs de ne pas leur accorder la licence d’exportation afin d’obtenir les changements souhaités. Cependant, la plupart des menaces du Bureau étaient des menaces en l’air et les studios furent prompts à repérer ses faiblesses pour les utiliser à leur propre avantage79. Ce qui cause l’échec du Bureau of Motion Pictures après seulement dix-neuf mois d’existence n’est pas son manque de légitimité. En réalité, les lignes de communication multiples et confuses entre les studios, le gouvernement et l’armée compliquent la situation.

78 KOPPES, Clayton R. et BLACK, Gregory D., page 90. 79 « Certainly, movie themes were important to the BMP-OWI. It was Poynter’s job to suggest changes in scripts, scenes and dialogues. Poynter was not above threatening denial of overseas licences to get the changes he wanted. For the most part, however, Bureau’s threats were hollow, and the studios were quick to perceive the Bureau’s weakness and use it for their own benefit. ». MYERS, James M., op. cit., page 146. 58 MICLET Marion_2007 Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

Certains studios s’adressent directement au War Department, au Navy Department ou au State Department, sans passer par le Bureau, pour recevoir la permission de faire un film. La bataille des egos entre les deux chefs du Bureau et de l’Office of War Information n’arrange pas les choses. Lorsque Mellett, le président du Bureau, tente de dénouer la situation, c’est le début du déclin pour l’agence gouvernementale. D’après James M. Myers, « Le Bureau fut la victime de la politique nationale américaine. Il servit de bouc émissaire à Roosevelt qui le supprima pour répondre aux accusations de censure. »80. Enfin, quelque soit l’impact réel du Bureau of Motion Pictures sur la production de films pendant le Guerre 1939-1945, James M. Myers estime qu’il ne faut pas le surestimer. Selon cet auteur, l’influence de ces films sur le grand public est faible, comparée à d’autres moyens d’information utilisés plus fréquemment par les Américains tels que la presse et la radio. Certes, les spectateurs ne regardent pas un film de cinéma comme ils regardent un documentaire sur la guerre ou les actualités de l’époque. C’est pour cette raison que le potentiel subtil de propagande des films a été utilisé par le gouvernement. Tandis que le public, à la recherche d’évasion, a simplement l’impression de profiter d’un spectacle hollywoodien, il perçoit inconsciemment une quantité de messages de propagande. La création du Bureau correspond bien à cette double volonté de l’administration de Roosevelt d’informer et d’éduquer via un divertissement apparemment innocent.

B. Des thèmes controversés sur les écrans

Malgré l’esprit patriotique ambiant des années 1940, certains réalisateurs ont su tirer avantage de leur liberté d’expression pour faire passer des messages différents au public américain. Après l’échec de son film La Règle du Jeu (1939), Jean Renoir fait le choix de s’expatrier aux Etats-Unis. Même si cela signifie faire partie du « studio system », Renoir est plus libre de parler de la situation de la France. Dans le film Vivre Libre, le réalisateur aborde des thèmes controversés qui expliqueront la mauvaise réception du film à sa sortie en France en 1946. Un autre tabou qu’Hollywood fait tomber avec un film comme Lune de miel mouvementée (Leo McCarey, 1942) est celui du sort réservé aux Juifs en Europe nazie. Sous ses aspects de comédie romantique, le film aborde des questions politiques et notamment celle des rapports ambigus entre les Juifs et l’Amérique pendant la Deuxième Guerre mondiale.

1) Jean Renoir : un réalisateur européen engagé expatrié à Hollywood A qui s’adresse le film Vivre Libre ? Sorti en France en 1946, Vivre Libre reçut un mauvais accueil dans le pays d’origine du réalisateur. Renoir affirma qu’il voulait « donner une image un peu moins conventionnelle de la France occupée »81. Pourtant, le film semble s’adresser directement à l’Amérique. Pour Pour Robert L. McLaughlin, et Sally E. Parry :

80 « The Bureau became the victim of American national politics and Roosevelt’s scapegoat as a response to the critic of censorship. ». MYERS, James M., op. cit., page 202. 81 BROMBERG, Serge, introduction du DVD, Vivre Libre MICLET Marion_2007 59 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Vivre Libre est le meilleur exemple de ce que les films qui traitent de l’occupation, de quelque façon que ce soit, essayaient de réaliser : permettre aux Américains de s’identifier totalement aux peuples des pays occupés […] Ils pouvaient ainsi voir les types de comportements adoptés par les peuples occupés et se poser la question de ce qu’ils feraient si les Etats-Unis étaient conquis et occupés. Ils apprirent également que l’arrière pouvait être un front combattant et que les gens ordinaires avaient un rôle aussi important que les soldats à jouer dans la lutte contre le fascisme82. Dans les années 1940, le genre « film d’occupation » s’adresse donc principalement aux spectateurs américains. Vivre Libre, comme tant d’autres films de l’époque tend un miroir aux Etats-Unis. Ces films montrent l’engagement d’individus qui choisissent de résister et de se battre pour un idéal commun à l’Europe et à l’Amérique : la démocratie. Les héros sont souvent confrontés au même dilemme : faut-il survivre en ne se préoccupant que des ses intérêts personnels ou se battre pour une cause plus grande et plus noble même si cela comporte des risques ? Galvanisés par ces spectacles, moins violents que les films de combats, et plus efficaces moralement, les Américains absorbent ainsi le message d’engagement martelé par l’administration Roosevelt. Le lieu où se déroule l’action du film est volontairement laissé flou par Renoir, « quelque part en Europe », car il envisage sans doute son film comme une parabole de la situation européenne à destination des Américains. Le nom des personnages et la nationalité du réalisateur font penser que l’histoire se passe en France. Mais certains éléments du film font clairement référence à la situation américaine, comme une affiche encourageant l’achat de « War bonds » (les bons du gouvernement vendus aux Américains pendant le conflit). Il y a, d’autre part, une allusion directe à la situation des Etats-Unis. L’Allemand du film s’exclame : « Les Américains se croient à l’abri grâce à leur océan, mais ils sont déjà envahis ! » ; il ajoute « Après tout, qu’est ce que l’Amérique ? Un cocktail d’Irlandais et de Juifs ! ». Avec cette réplique Renoir tente de capter l’attention des spectateurs américains et n’hésite pas pour cela à aller contre le « politiquement correct ». En évitant d’aborder directement la question de la nationalité, Vivre Libre peut être considéré comme un conte moral qui traite de sujets controversés en France comme aux Etats-Unis dans les années 1940 : le choix de la collaboration, de la Résistance ou tout simplement de la passivité. L’interprétation personnelle de l’auteur est enrichie par son statut d’expatrié. Renoir vivait déjà aux Etats-Unis au moment où la France fut envahie par les Allemands. Le film est donc imprégné de son point de vue en tant que Français avec le recul qu’implique son exil américain. Dans Vivre Libre il met face à face des personnages riches de contradictions, afin que le spectateur puisse se mettre à leur place et comprendre leur engagement, quel qu’il soit. Quant le film sort en France en 1946, c’est sans doute ce qui choque le plus les spectateurs : ils condamnent désormais unanimement la collaboration et le collaborationnisme. La représentation ambigüe de la force allemande

82 « The Land is Mine is the best example of what most occupation films, in one way or another, were trying to do : let the Americans walk in the shoes of people in occupied countries.[…] They could see the types of behaviors exhibited by occupied people and ask themselves how they would behave if the United States were conquered and occupied. They also learned that the home front could be a fighting front and that ordinary people could be as important in defeating fascism as soldiers. ». MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., op. cit., page 215. 60 MICLET Marion_2007 Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

Dans Vivre Libre, le portrait de l’Allemand en charge des forces d’occupation de la ville, Von Keller, prête à controverse. Par exemple il affirme que l’occupation est tolérable pour les Européens : « Nous préférons collaborer et laisser la liberté aux nations que nous avons vaincues sur le champ de bataille. Mais la liberté doit être limitée par les nécessités de la guerre. Nous nous battons sur d’autres fronts. C’est un petit sacrifice que nous exigeons de vous, quand nous nous sommes en train de sacrifier nos vies pour le bonheur futur du monde entier. ». Dans cette réplique de Von Keller, le fascisme est présenté dans les même termes que le serait la démocratie du point de vue américain : c’est ce qui sauvera l’humanité. Ainsi, l’on constate que le réalisateur français, plutôt que de discréditer de façon caricaturale les propos de l’Allemand, préfère donner une vision plus réaliste de la situation. C’est au spectateur se faire ses propres opinions ; elles ne sont pas imposées de l’extérieur comme c’est souvent le cas dans les films de propagande. Pour le public américain, le résultat est le même : la haine de l’Allemand. Les moyens de conviction utilisés dans Vivre Libre sont cependant plus subtils que ceux de la plupart des autres films étudiés. Par ailleurs, dans une scène où il est en conversation avec Lambert le collaborateur, Von Keller avoue qu’il préfère ne pas assimiler l’accident qui a eu sur la voie ferrée à un acte de sabotage. En effet, si ce geste est officiellement reconnu par les autorités comme un acte de résistance, il faudra prendre des otages, pour rester cohérent avec la politique d’intimidation pratiquée par l’ordre nazi dans les pays occupés. Von Keller est réticent, contrairement aux autres Allemands dont Hollywood fait le portrait, il ne se jette pas sur la première occasion qui se présente pour faire plus de victimes. Son choix est stratégique : gagner la confiance des autochtones afin de les convaincre que l’occupation allemande n’est pas une si mauvaise chose pour eux. « Je n’aime pas tuer des innocents et je n’aime pas faire des martyrs. » confie-t-il à Lambert. « Par ailleurs, si nous prenons des otages, les coupables seront plus prudents à l’avenir. Si nous les exécutons, cela rendra les résistants encore plus rebelles. ». Jacques Semelin explique le fonctionnement de cette stratégie : « Pour l’occupant, il fallait intimider l’opinion sans la ‘‘braquer’’ par une attitude trop brutale […]. Plus l’occupant estime que l’occupé peut lui être utile à quelque chose, plus son intérêt est de le ménager. »83. Renoir donne une interprétation subtile et non caricaturale de la domination allemande en Europe. Von Keller n’est pas la brute assoiffée de sang que l’on croise habituellement dans le cinéma hollywoodien. Il est raffiné, cultivé et rusé, d’ailleurs c’est ce qui le rend dangereux. Les divisions franco-françaises La carrière de Jean Renoir avant son départ pour Hollywood a été marquée par une série de films engagés sur la société française de l’entre-deux-guerres. Le réalisateur se pose en observateur des divisions politiques des années 1930, ce que certains historiens ont qualifié de « guerre franco-français »84. L’une des répliques du héros de Vivre Libre y fait directement allusion : « Avant même le début de la guerre, le maire était convaincu que l’ennemi ce n’était pas les Allemands mais une partie de son propre peuple, les ennemis de l’intérieur. ». Cela explique de quel courant idéologique vient le maire, la droite française traditionaliste, et pourquoi il est plus enclin à s’engager dans la collaboration d’Etat. Il prétend vouloir défendre les intérêts de sa ville, mais en réalité seulement ceux d’une fraction de la population. Lorsque dix personnes sont prises en otages, il n’accuse pas les Allemands et affirme: « Leur mort sera causée par la lâcheté du criminel qui refuse d’avouer sa culpabilité ! ».

83 SEMELIN, Jacques, op. cit., pages 167-168. 84 LAROULANDIE, Fabrice, La France de 1898 à 1940, Ellipses, 1996, page 139. MICLET Marion_2007 61 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

D’après Jacques Semelin : « Les divisions d’avant l’invasion risquent d’engendrer beaucoup plus la collaboration, ou la passivité des populations, que leur résistance, laquelle a toutes les chances d’être limitée. Le consensus commença à se refaire à travers les valeurs patriotiques, c’est-à-dire au nom de la défense de leur identité contre l’intrusion de l’étranger. »85. C’est ce qui se produit dans le film lors d’une scène de procès où le héros réussit à convaincre toute l’assemblée du bien fondé de la résistance civile. L’attentisme Enfin, Renoir aborde un sujet rarement traité dans le cinéma américain mais pourtant très représentatif de l’état d’esprit de la population française sous l’occupation : l’attentisme. Il dénonce le trop grand individualisme des Français à travers le personnage de la mère du héros. Au début du film, celle-ci n’est ni pro-collaboration, ni pro-résistance, elle s’intéresse juste à son bien-être et à sa tranquillité. Elle s’exclame par exemple à propos de l’occupation : « Au moins, l’ordre règne, alors nous ne devrions pas nous plaindre ! ». D’un coté, elle dénonce le fait que les habitants de la ville doivent supporter les restrictions, tandis que les riches s’alimentent sur le marché noir ou que le maire vit bien grâce à la politique de collaboration. De l’autre, elle profite du système et se fait prescrire du lait par son médecin alors qu’elle n’en boit jamais, pour le donner à son fils. Comme beaucoup de Français, elle ne penche pas d’un côté ou de l’autre de la balance politique et morale de la France occupée. Ce qui la préoccupe c’est la survie au quotidien dans un pays où les conditions de vie sont de plus en plus difficiles.

2) La Deuxième Guerre mondiale, l’Amérique et les Juifs Des relations ambigües entre le gouvernement et la communauté juive Dans son ouvrage sur l’Amérique en guerre, l’historien américain, William O’Neill fait état des discriminations dont la minorité juive fut victime aux Etats-Unis. Il explique comment la xénophobie et l’isolationnisme ne firent que croitre dans les années de dépression économique, pour aboutir au renforcement des quotas pour tous les immigrés durant la Deuxième Guerre mondiale. Après l’Anschluss en 1938, les persécutions juives en Europe augmentent, mais de nombreuses mesures sont prises par les Etats-Unis pour limiter l’entrée de personnes venant d’Allemagne et des pays occupés par les Nazis : les garanties financières exigées pour entrer sur le territoire américain sont augmentées ; les consuls reçoivent la consigne d’être plus stricts quant à l’immigration d’« éléments subversifs ». De plus, en juillet 1940, le Congrès vote une loi mettant fin à l’immigration légale depuis l’Allemagne ou ses territoires occupés. En 1943, la procédure d’application pour obtenir un visa de réfugié est compliquée et rallongée. Le prétendant doit avoir deux sponsors américains, et eux-mêmes doivent avoir deux références. En conséquence, seulement 21 000 réfugiés entrent sur le territoire américain entre Pearl Harbor et la défaite de l’Allemagne. Ce chiffre ne constitue que 10 % du total d’entrées autorisées au titre des quotas86. A la même époque, l’antisémitisme grandit aux Etats-Unis. O’Neill donne les résultats d’un sondage d’opinion qui conclut que plus de la moitié des Américains pense que les Juifs sont avares et malhonnêtes. Et 40 % des personnes interrogées répondent qu’elles

85 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 108. 86 O'NEILL,William, A Democracy at War, America's Fight at Home and Abroad in World War II, Harvard University Press, 1998, page 311-312. 62 MICLET Marion_2007 Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

auraient approuvé une campagne allemande contre les Juifs. Pourtant, le sort réservé aux Juifs en Europe n’était pas un secret. Les journaux en parlent régulièrement, seulement, pas en couverture. Une comédie politique A première vue, Lune de miel mouvementée (Once upon a honeymoon, Leo McCarey, 1942) est une comédie légère. Le film raconte l’histoire d’amour entre une fausse ingénue (Ginger Rogers) et un journaliste individualiste (Cary Grant). Pourtant, ce film est l’un des seuls à évoquer de façon directe la situation des Juifs en Europe occupée. Les références aux persécutions nazies était présentes dans d’autres films hollywoodiens, mais celui-ci va jusqu’à pénétrer dans le ghetto de Varsovie. Ce sont les deux héros qui, en voulant sauver une famille juive vont se retrouver enfermés dans le ghetto juif. Au départ, l’héroïne est loin d’avoir une conscience politique. Arriviste, elle cache son passé d’ancienne danseuse pour épouser un baron autrichien, sans se rendre compte que c’est un fervent collaborateur. Lorsque son mari lui annonce « Hitler est là ! » (sous-entendu, il vient d’envahir l’Autriche), la jeune femme répond : « Je ne peux pas le voir, je m’habille. ». Elle est convaincue que le baron déteste Hitler. Lorsqu’une tentative d’assassinat contre son mari échoue en Tchécoslovaquie, elle s’exclame : « Quelle honte après tout ce qu’on a fait pour eux ! – Un Allemand, j’aurais compris mais un Tchèque ! ». Et ensuite à propos de l’arrestation du coupable par la Gestapo : « Tu as été si noble a son égard, tes hommes l’ont même soustrait à la police. ». Ignorante des agissements de son mari auprès des Nazis, elle commente ainsi la chute successive des pays d’Europe dans lesquels ils se déplacent lors de leur lune de miel : « Mon mari semble porter malheur, dès qu’il arrive dans un pays, c’est le désastre… ». Tous ces sous-entendus montrent à quel point le public américain de l’époque était informé de la situation en Europe : ils connaissent la liste des pays qui sont tombés face au nazisme, les nouveaux régimes implantés dans chaque Etat, la collaboration, la Résistance, le traitement réservé par les Allemands aux ennemis du régime. Il y a des inexactitudes car le film s’adresse avant tout à un public américain à la recherche de divertissement, mais les producteurs font tout de même passer quelques messages d’avertissement. La conquête de l’Europe est montrée comme incontrôlable : Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne, Norvège, Belgique, Pays-Bas, France (où l’on aperçoit un panneau « villa Laval » !) Les agissements du baron collaborateur sont tellement efficaces qu’il semble au spectateur que l’Europe est un château de cartes. Le mythe de la cinquième colonne ou de l’ennemi intérieur, qui fascine tant les Américains, est présent dans ce film. Si l’Europe est vaincue, c’est à cause du baron, un homme d’affaires qui vise à s’enrichir en collaborant politiquement. Or, les capitalistes à la recherche du profit on en trouve aussi aux Etats-Unis. Le film est une métaphore de la situation en Amérique. Pour les spectateurs, il est facile de s’identifier à la jeune femme américaine mariée au baron : au début elle est naïve, et ne voit pas les dangers qui sont sous son nez, mais grâce au journaliste américain dont elle tombe amoureuse, elle ouvre les yeux. Elle finit agent secrète et va même jusqu’à se débarrasser de son mari collaborateur en le jetant par-dessus le bord d’un bateau en route… pour l’Amérique. Sur le mode de la comédie, le patriotisme américain est ici remis en question. D’un côté l’un des personnages vante les mérites de l’Amérique : « J’ai hâte de revoir cette femme qui se trouve à l’entrée du port. Je prête serment au drapeau américain et à la République qu’il représente, une nation indivisible où la liberté et la justice règnent pour tous. ». De l’autre, le héros fait passer sa vie sentimentale avant les intérêts de son pays: « Je veux bien me passer de café et de sucre, mais qui ferait don de sa femme à sa patrie ? ». L’évocation du ghetto de Varsovie

MICLET Marion_2007 63 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Dans la partie du film qui se déroule en Pologne, l’héroïne sympathise avec sa bonne qui semble très effrayée. Elle explique à sa patronne : « Nous sommes juifs, mes enfants ont connu ça en Allemagne, on nous arrêtera à la frontière car c’est écrit dans notre passeport. ». Touchée par ce récit, le personnage de Ginger Rogers lui donne son propre passeport, de l’argent, et un camion pour partir. Elle conseille à la bonne de trouver un endroit sûr. Celle- ci lui répond avec ironie : « Ici ? ». L’héroïne réalise enfin que le pays est en guerre et que ceux qui en souffrent le plus ce sont les Juifs. Lorsque les autorités nazies trouvent les deux héros en possession des passeports juifs échangés contre les leurs, ils comprennent immédiatement la gravité de la situation. Pour un court moment (car ce n’est que comédie) on craint le pire pour eux. La caméra pénètre dans un ghetto de Varsovie construit en carton-pâte. Même à des années lumières de la réalité, cette image inédite dans les autres films est assez choquante pour le spectateur. Au premier plan, les héros paraissent soudain fragiles et démunis, tandis que derrière eux on aperçoit une foule d’anonymes juifs qui ont été coupés du reste de la société par les nazis. Le journaliste se désespère : « Personne ne peut nous aider, je ne peux pas écrire ou téléphoner, j’ai exigé de voir le consul, ils m’ont ri au nez. ». C’est toute l’arrogance des Américains à l’étranger qui ressort de cette réplique. Le réalisateur semble critiquer implicitement leur égoïsme face à la situation. Pourtant les deux héros sont bien conscients que leur sort n’est pas réellement scellé et que, contrairement à la situation des Juifs d’Europe, ce n’est qu’un malentendu. La jeune femme soupire : « On est dans le pétrin ! ». Ce à quoi son compagnon d’infortune rétorque « Et eux alors ! ». Les deux Américains sont finalement libérés. Après ce court instant de gravité, le rythme comique du film reprend le dessus. Et l’humour noir revient à la charge. Le journaliste demande à la jeune fille quelle était la prochaine étape de la lune de miel et celle-ci répond : « La Norvège, chez Quisling… surement quelqu’un dont ont entendra parler ! »… Ou encore cet échange qui fait référence aux politiques eugénistes de Hitler : «- Lui : Par décret, les Nazis décident de qui aura des enfants. - Elle : Ca dépend désormais de Hitler ? - Lui : Avant c’était la volonté de Dieu, Hitler n’aime pas ça, les nouveau-nés pourraient être des ennemis. - Elle : Sa mère aurait dû y penser avant ! ». Finalement, le film peut se voir soit comme une simple comédie, soit comme un film politique. Si Lune de miel mouvementée a le mérite d’aborder clairement la situation des Juifs d’Europe c’est sans doute parce que David Sarnoff, le patron du studio RKO qui a produit le film était d’origine juive. La plupart des patrons de studios de cinéma dans les années 1940, les « movie moguls », était des immigrés juifs européens venus faire fortune aux Etats-Unis. A l’époque, Hollywood était donc plus sensibilisé à la cause des Juifs persécutés par les Nazis que le reste de l’Amérique. Certains d’entre eux mirent leur pouvoir au service de la défense de leurs intérêts87. Si ce film le fait sur le ton de la comédie la plupart du temps, la scène dans le ghetto de Varsovie, plus grave, a d’avantage d’impact sur le spectateur car parfois le rire est nécessaire pour faire passer des messages importants au public américain.

87 Cf. GABLER, Neal , et traduit par HEL GUEDJ, Johan-Frédérik, Le royaume de leurs rêves : La saga des Juifs qui ont fondé Hollywood, Calman-Lévy, 2005. 64 MICLET Marion_2007 Conclusion

Conclusion

Les films hollywoodiens des années 1940 montrent la situation de l’Europe en guerre contre le nazisme avant même que le pouvoir politique et l’opinion publique américaine ne soient totalement en faveur d’une intervention militaire. Le but de ces films de fiction est d’influencer les spectateurs : l’Europe est prise comme un modèle pour la nation américaine. Etant donné que les Etats-Unis entrent en guerre à cause de l’attaque sur Pearl Harbor, plutôt que dans un climat d’unanimité, il faut habituer le public à l’idée que l’engagement répond à un choix idéologique véritable. Le sacrifice des résistants européens est une métaphore du nécessaire engagement des Américains, qui hésitent encore entre isolationnisme et interventionnisme. Les civils comme les militaires sont galvanisés : Hollywood les conforte dans leur sentiment de servir la nation, de se battre pour un monde plus juste. Un autre effet des films dont l’action se situe en Europe occupée est d’encourager indirectement le travail des femmes américaines dans les industries de guerre, car de nombreux films montrent les montrent combattant comme les hommes pour la libération de leur pays. Pour les spectateurs américains, le message est limpide : les années 1940 seront des années de sacrifice glorieux. Par ailleurs, Hollywood donne une image idéalisée de ces sociétés européennes unies dans la lutte contre le nazisme. Cette cohésion sociale qui semble se renforcer, malgré l’occupation, doit servir d’inspiration pour une nation qui entre à son tour dans le combat contre les puissances totalitaires. Du point du vue américain, la situation en Europe doit aider les Etats-Unis à se positionner idéologiquement. La propagande du gouvernement Roosevelt définit la Deuxième Guerre mondiale comme la lutte entre un axe du bien, représenté par l’Europe et l’Amérique et un axe du mal, représenté par les puissances totalitaires. Hollywood applique ce modèle en présentant une Europe divisée où s’affrontent, d’un côté, les Nazis et les collaborateurs assimilés à des traitres, et de l’autre, les résistants assimilés à des patriotes.La situation en Europe est utilisée comme une métaphore de l’état d’esprit américain au moment de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans les films sur la Résistance des scènes qui font référence à l’un des fondements de la nation américaine : l’attachement à la démocratie. En effet, il faut rappeler aux Américains que leur devoir est de se battre au nom des « four freedoms » défendues par le président Roosevelt : liberté d’expression, liberté de conscience, droit à la subsistance et droit à la sécurité. L’image de la nation française qu’Hollywood promeut dans ce but est celle d’un pays ami où le patriotisme est glorifié : la France éternelle. Les ambigüités de l’occupation en Europe sont évacuées. Simplifier les enjeux dans les films correspond à un besoin de créer un sentiment d’union nationale et de balayer les derniers doutes aux Etats-Unis. Si les Américains ont un ennemi clairement identifié et peuvent se reconnaitre dans des valeurs patriotiques communes à l’Europe et aux Etats-Unis, alors la guerre devient non seulement acceptable mais nécessaire. Cependant, la propagande patriotique a ses limites et l’influence d’Hollywood sur l’imaginaire américain reste difficile à mesurer. Il convient de rappeler que ces films ont été réalisés dans un contexte où la démocratie est restée intacte. L’intervention du gouvernement dans la production des films pendant la guerre s’est traduite par la création de plusieurs agences qui ont eu une fonction d’information, plutôt que de contrôle. Mais si Roosevelt refuse la censure en général, les relations entre Hollywood et Washington MICLET Marion_2007 65 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

se sont clairement resserrées pendant la Deuxième Guerre mondiale. Par ailleurs, chaque production répond à des enjeux économiques plus que politiques. Les studios mettent en route des projets de films avec l’idée qu’ils doivent s’adresser avant tout à un public avide de divertissement, et plus que jamais en temps de guerre. L’influence des réalisateurs européens expatriés à Hollywood a également permis des nuances. Grâce à eux, l’image de l’Europe en guerre sur les écrans de cinéma américain est devenue, dans une certaine mesure, plus ambigüe. Enfin, le rôle des hommes à la tête des grands studios hollywoodiens des années 1940, les « movie moguls », a contribué à faire tomber l’un des tabous des films antinazis : le sort réservé aux Juifs dans l’Europe occupée. Malgré le patriotisme zélé des années 1940, certains réalisateurs ont donc su tirer avantage de leur liberté d’expression pour faire passer des messages différents au public américain. Pendant les années de conflit, la première audience pour les studios hollywoodiens est la nation américaine, à qui l’on veut montrer comment aborder la lutte contre le fascisme. Mais, la plupart des films de guerre sont vendus dans le monde entier. Avant d’obtenir un permis d’exportation, le contenu de chaque film est vérifié : il ne doit pas révéler de secret d’Etat ni être offensant pour le public à l’étranger. Mais à Hollywood, la motivation première reste la recherche du profit. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale s’achève, les échanges économiques entre l’Amérique et l’Europe se multiplient et la tendance à utiliser le Vieux Continent comme modèle pour l’Amérique s’estompe rapidement pour deux raisons. Premièrement, les studios américains se soucient moins de produire des films qui pourraient correspondre aux attentes du public européen puisque le continent, en ruines, accepte de distribuer en masse les films hollywoodiens en échange de l’aide financière apportée par l’Amérique dans le cadre du plan Marshall. L’American way of life se banalise sur les écrans de cinéma partout dans le monde. En France, les Accords Blum-Byrnes sont signés le 28 mai 1946 et permettent un spectaculaire renversement au profit du cinéma américain sur le marché français. Deuxièmement, l’Amérique, meurtrie par la guerre, se replie sur elle-même. La situation nationale passe à nouveau au premier plan : les événements politiques et sociaux américains sont davantage représentés dans le cinéma d’après-guerre. Par exemple, le réalisateur William Wyler, qui s’est servi en 1942 de la situation de la Grande Bretagne pour enflammer le patriotisme américain dans Mrs Miniver, aborde un sujet très différent en 1946. Dans le film The best years of our lives, il choisit de traiter le thème de la réinsertion des soldats dans la société américaine. Le film remporte de nombreux Oscars dont celui du meilleur réalisateur et du meilleur film. Il peut se voir comme un hommage aux vétérans de la Deuxième Guerre mondiale et comme un manuel de comportement à l’usage de leurs familles. Cependant, la caractéristique principale de ce film, comme celle de tous les films produits à Hollywood depuis la naissance du cinéma, c’est d’être en adéquation avec les attentes du public américain, avide de divertissement. Le cinéma hollywoodien est avant tout une industrie du loisir dont la fonction principale est d’engendrer du profit. Il ne perd jamais réellement de vue cet objectif. Certes, la politique est un thème présent dans les films américains, mais, le plus souvent, elle est le fruit des circonstances historiques. A Hollywood, l’engagement politique est rarement à l’origine d’un film. Cependant, une œuvre artistique est le produit de son époque et peut être analysée à cet égard comme un document historique. L’Europe comme modèle patriotique pour l’Amérique est un phénomène qui apparaît sur les écrans en 1939 et disparaît en 1945. C’est une réponse temporaire aux attentes du gouvernement et de la nation à ce moment de l’histoire des Etats-Unis. Réagir aux désirs du public en fonction de l’actualité et de son goût du moment, tel est le véritable moteur de la production hollywoodienne. Après les années 1940, Hollywood continuera de se pencher sur les problèmes de l’Amérique sans dévier

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de la priorité qui a toujours été la sienne : attirer le plus de spectateurs possibles dans les salles de cinéma.

MICLET Marion_2007 67 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Bibliographie

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Bibliographie en Anglais :

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Annexes

Résumés des films

Casablanca , de Michael Curtiz, 1942, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, se déroule au Maroc. Au début des années 1940, Casablanca est un lieu de passage entre l’Europe et l’Amérique pour ceux qui espèrent fuir la guerre. Rick est un Américain, patron d’un café où il retrouve par hasard Ilsa, une femme qu’il a aimé à Paris avant le début de la guerre, mais qui l’a abandonné le jour où ils devaient partir ensemble. En effet, Ilsa venait d’apprendre que son mari Victor Lazlo, un héros de la résistance en Europe qu’elle croyait mort, venait de s’échapper d’un camp de concentration. Ilsa réalise à Casablanca qu’elle préfère vivre son histoire d’amour avec Rick plutôt que de se consacrer à la cause de son époux. Elle demande à Rick, qui détient des précieuses lettres de transit signées par le Général de Gaulle, d’organiser leur fuite. Mais Rick, qui est pourtant un individualiste convaincu, décide de faire passer ses propres intérêts au second plan et de faire partir en avion Ilsa et Lazslo. Ce dernier est surveillé de près à la fois par les autorités vichystes, représentées par le Préfet Renault, et par les forces allemandes présentes à Casablanca. Le film s’achève avec une scène où l’on voit Rick sympathiser avec Renault qui, de collaborateur a été converti à la cause de la Résistance. « C’est le début d’une belle amitié ! » est la dernière réplique de Rick à Renault.

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To be or not to be ( Jeux dangereux ), de Ernst Lubitsch, 1942, avec Carole Lombard et Jack Benny, se déroule en Pologne. Cette tragi-comédie raconte l’histoire d’une troupe de théâtre dont la dernière production a été censurée à cause de l’invasion allemande de Varsovie en 1939. Les comédiens vont alors devoir utiliser leurs talents dramatiques et se faire passer pour des membres de la Gestapo afin de sauver le mouvement de résistance intérieure.

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Once upon a honeymoon ( Lune de miel mouvementée ), de Leo McCarey, 1942, avec Cary Grant et Ginger Rogers, se déroule en Europe occupée. Le couple formé par un riche baron autrichien qui collabore avec les Nazis et une jeune Américaine, qui ignore tout des activités de son mari, attire l’attention d’un journaliste qui décide de les suivre dans leur lune de miel à travers l’Europe. Les jeunes mariés sont partis de Vienne en 1938 au moment de l’Anschluss et passent d’un pays européen à l’autre au fur et à mesure qu’ils sont envahis par les Allemands. La jeune femme, de plus en plus proche du beau journaliste, réalise peu à peu que son mari est un traître. Sa conscience politique s’éveille et elle accepte de devenir une espionne antinazie, avec tous les risques que cela comporte.

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Mrs Miniver , de William Wyler, 1942, avec Greer Garson et Walter Pidgeon, se déroule en Grande- Bretagne. C’est l’histoire d’une famille anglaise modèle au moment où le pays entre en guerre avec l’Allemagne, mais refuse de capituler malgré les bombardements incessants qui touchent fortement la population civile.

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Reunion in France , de Jules Dassin, 1942, avec John Wayne et Joan Crawford, se déroule en France. Michèle de la Becque est une Parisienne aisée dont la vie est radicalement transformée au moment où la capitale est envahie par les Allemands. La guerre lui révèle que ses valeurs sont en contradiction avec celles de son fiancé, un industriel qui collabore avec les Nazis, et elle décide de s’éloigner de lui. Lorsqu’elle rencontre un pilote en fuite de la Royal Air Force, elle accepte de le cacher, puis doit se résoudre à demander de l’aide à son ex-fiancé pour qu’elle et son nouvel ami puissent tous deux s’échapper en Angleterre. Finalement, elle découvre que l’industriel ne collabore officiellement que pour mieux résister en secret et elle se réconcilie avec lui au moment où le pilote est abattu.

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The Edge of Darkness ( L’ange des ténèbres ), de Lewis Milestone, 1943, avec Errol Flynn et Ann Sheridan, se déroule en Norvège. Le récit se déroule dans un petit village norvégien et suit les aventures d’un pêcheur qui va prendre la tête du mouvement de résistance de la ville.

The Land is mine ( Vivre Libre ), de Jean Renoir, 1943, avec Charles Laughton et Maureen O’Hara, se déroule en France. Albert Lory est un instituteur dans une petite ville de la France occupée. Tiraillé entre l’amour secret qu’il porte à sa très jeune collègue Louise Martin et sa loyauté envers une mère étouffante, il est incapable de se faire respecter par ses élèves. Paul, le frère de Louise est un résistant qui organise le sabotage d’un train. Pour se venger, les forces d’occupation allemandes prennent des otages, dont Albert. Pour libérer ce dernier, sa mère dénonce Paul auprès du fiancé collaborateur de la jeune institutrice,Georges Lambert. Regrettant d’avoir dû trahir un ami, Georges met fin à ses jours. Albert est alors accusé de son meurtre. Oubliant sa lâcheté habituelle, il saisit l’occasion du procès pour dénoncer l’occupation et avouer son amour à Louise au cours d’une magnifique plaidoirie. MICLET Marion_2007 75 La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Hangmen also die ( Les bourreaux meurent aussi ), de Fritz Lang, 1943 , avec Walter Brennan et Anna Lee, se déroule en Tchécoslovaquie. Le film raconte l’histoire de l’assassin de Reinhard Heydrich. Ce leader de la résistance intérieure tchèque trouve refuge chez une jeune femme dont le père est un professeur résistant qui fait partie des otages pris par les Allemands. Ils sont exécutés les uns après les autres en attendant que le meurtrier se dénonce ou soit dénoncé. Cependant, la fille du professeur tient bon et peu à peu c’est toute la population qui va s’unir pour protéger leur héros.

Watch on the Rhine ( Quand le jour viendra ), de Herman Schumlin, 1943, avec Paul Lukas et Bette Davis, se déroule aux Etats-Unis. La famille de Karl Muller, un résistant allemand qui fuit la Gestapo, se réfugie dans la maison d’enfance de sa femme Sara à Washington. Mais il retrouve malgré tout la menace nazie sur le territoire américain.

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To have and have not ( Le Port de l’angoisse ), de Howard Hawks, 1944, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, se déroule en Martinique. L’action se situe en 1940 à Fort-de-France, une colonie française soumise au régime de Vichy. Un marin cynique qui gagne sa vie en promenant des touristes à bord d’un bateau se trouve impliqué avec la résistance locale. Malgré son histoire d’amour naissante avec une femme fatale mystérieuse, il décide de faire passer la cause des résistants avant ses intérêts personnels et révèle ainsi sa vraie nature d’homme engagé.

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Passage to Marseille , de Michael Curtiz, 1944, avec Humphrey Bogart et Michèle Morgan, se déroule en France. Jean Matrac est un pilote d’avion des Forces Françaises Libres dont le passé nous est révélé par un long flash-back. Ce patriote français est en réalité un évadé du bagne de l’Ile du Diable, en Guyane. Accompagné d’un groupe de prisonniers, il entreprend une fuite périlleuse vers la France. Leur but est d’honorer la promesse faite à celui qui les a aidé à s’échapper de défendre le pays contre la menace allemande. Cependant, plus la destination finale approche et plus Matrac songe à retrouver sa femme et son fils, plutôt que d’aller risquer sa vie d’homme à nouveau libre au combat. Lorsque leur bateau est sauvagement attaqué par des avions allemands, il réalise que son devoir est de les affronter, et depuis l’Angleterre s’il le faut. Il ne rentre donc jamais chez lui, mais envoie des messages à sa famille lorsqu’il peut survoler sa maison en avion.

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Uncertain Glory ( Saboteur sans gloire ), de Raoul Walsh, 1944, avec Errol Flynn et Paul Lukas, se déroule en France. Jean Picard est un criminel qui échappe de justesse à la guillotine au moment d’une attaque aérienne allemande sur Paris. Il tente de s’enfuir vers Bordeaux mais est capturé par le détective qui le poursuivait depuis de nombreuses années. Lorsque le train qui devait le ramener vers Paris déraille à cause d’un sabotage et que les nazis décident de se venger en prenant des otages, Picard propose au détective de se faire passer pour le saboteur, puisqu’il est condamné à mort de toute façon.

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