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Pothier, Jacques, 1966- Arturo Gatti : le dernier round ISBN 978-2-923681-66-5 1. Gatti, Arturo, 1972-2009. 2. Boxeurs - Québec (Province) - Biographies. I. Titre. GV1132.G37P67 2011 796.83092 C2011-940384-6

Directrice de l’édition : Martine Pelletier Éditeur délégué : Yves Bellefleur Conception de la couverture : Ose Design Mise en page : Suzanne Morin Révision : Simon Gravel L’éditeur bénéficie du soutien de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour son programme d’édition et pour ses activités de promotion. L’éditeur remercie le gouvernement du Québec de l’aide financière accordée à l’édition de cet ouvrage par l’entremise du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, administré par la SODEC. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. © Les Éditions La Presse TOUS DROITS RÉSERVÉS Dépôt légal – 1e trimestre 2011 ISBN 978-2-923681-66-5

Président André Provencher Les Éditions La Presse 7, rue Saint-Jacques Montréal (Québec) H2Y 1K9

Extrait de la publication

Extrait de la publication 7 Extrait de la publication Prologue Le testament

À 4 heures cette nuit-là, un taxi au même coloris acidulé que les bâtiments environnants quitta la Tonnelle Avenue de Jersey City et déposa le tout nouveau champion des super-légers du World Council (WBC) à la porte du Ringside Lounge. Arturo Gatti n’y pensa pas sur le moment, mais quand la voiture presque phosphorescente repartit vers ses quartiers, elle emporta avec elle la dernière lueur qu’il verrait au cours des douze prochaines heures. Tout le reste, jusqu’à la fin de l’après-midi de ce mardi de mars 2004, ne serait que pure noirceur.

Il n’était plus venu depuis longtemps au Ringside Lounge et, de l’extérieur du moins, il eut le temps de voir avant qu’on lui ouvre la porte que le bar-restaurant n’avait pas changé. Il y avait toujours, pla- cardées sur sa devanture, ces effigies de grands boxeurs plus ou moins reconnaissables, dont la sienne qui lui rappelait chaque fois, comme une photo d’enfant sur un mur, que c’était bien ici que les choses avaient commencé pour lui dans le New Jersey, que c’était bien ici son berceau américain. Et, certainement, avec ce qu’il avait maintenant en tête, il pensa que sa visite d’aujourd’hui avait valeur de symbole.

Une heure plus tôt, le bar s’était vidé de ses derniers clients et, de la même manière qu’il savait qu’il ne trouverait aucune nunuche avec qui baiser à cette heure-là ni aucun paumé avec qui boire et renifler, il savait, parce que ça aussi c’était immuable, que le seul type à qui il sou- haitait parler allait être encore là à compter les recettes de sa journée. Tantôt, il lui en ferait d’ailleurs la remarque et cela sonnerait comme un regret : « Toi, le succès et l’argent de ta business n’ont pas réussi à te changer et tu as su rester le même. »

7 Extrait de la publication arturo gatti • le dernier round

Il ne pouvait en dire autant de lui, physiquement du moins, et c’est l’un des premiers trucs qui attira son attention une fois à l’intérieur des lieux. Il regardait toutes les photos et les affiches de lui punaisées un peu partout sur les murs et pouvait constater, comme s’il était au musée et que c’était lui le sujet de l’exposition, à quel point la boxe l’avait mutilé. En fait, et c’était bien le pire, il pouvait encore plus le ressentir que le voir, d’abord parce que tout son corps lui faisait terriblement mal et, comme il le révélerait plus tard, parce qu’il voyait « triple de l’œil gauche et à peu près pas du droit. »

Malgré tout, il avait d’abord donné l’impression d’être bien, d’être juste heureux de renouer avec des gens qui, au début des années 1990, faisaient presque partie de sa famille. Deux amis étaient restés avec le propriétaire des lieux à la fermeture des portes, et on aurait dit que même cette scène-là servait à rappeler qu’il avait vraiment été le seul à changer, que Jersey City elle-même avait le même visage cosmopolite qu’au temps où il y vivait : quatre personnes autour d’une table, deux Portoricains, un Portugais et un Canado-Italien.

Et puis l’heure avait tourné, les deux amis portoricains étaient partis aux aurores et il s’était enfin retrouvé dans la situation espérée – pour autant qu’une situation puisse être espérée dans des circonstances comme celles-là –, c’est-à-dire seul avec l’homme à qui il avait décidé de confier son désespoir pour qu’il le rende public une fois son suicide annoncé. « Parce que je sais que je peux te faire confiance, je sais que tu vas ensuite raconter les choses exactement comme je les ai dites. »

Et puis, au travers d’accès de larmes pénibles à supporter, sans jamais demander une goutte d’alcool ni passer son temps à faire des allers-retours aux toilettes, il avait commencé à les lui jeter à la face, ces choses, conscient que ce serait là l’un des plus forts testaments jamais livrés par un boxeur.

« Il y a quatre semaines, j’ai pris la décision d’en finir avec cette putain de vie. Ce jour-là, j’ai dit : je veux partir, je suis exténué, je ne suis plus capable d’en prendre, d’endurer, je ne veux plus me battre,

8 9 le testament

je ne peux plus me battre, mon corps est mort, mes genoux me font souffrir, mes hanches me font souffrir, mes mains sont complètement détruites, ma vision est nulle, j’ai des cataractes, j’oublie les trucs les plus simples, parfois je n’arrive même pas à me rappeler ce que j’ai fait la veille, ma tête est pleine de toutes sortes de choses et ne tourne plus rond. Je sais que si je suis encore ici aujourd’hui, c’est que cette fois-là Dieu n’a pas été capable de me prendre et de me ramener à lui, dans un sens je suis trop fort. Mais ce n’est que partie remise, d’ailleurs tu me rendrais service si tu acceptais de me donner ton gun, je sais très bien que tu en caches un ici. Il est chez toi ? Bon, si tu le dis… De toute façon, j’ai encore le mien, je peux même te dire le calibre, c’est un .22, je n’ai juste pas de balles, mais tu verras, suffit d’être patient, les balles vont venir à moi, et voilà ce que je vais faire quand les balles vont venir à moi, je vais prendre le canon et je vais me l’enfoncer aussi creux que ça dans le fond de la gorge, et je vais appuyer ici, et voilà, juste une balle et ce sera terminé, je ne souffrirai plus, je serai enfin en paix. Je ne sais pas où je serai enfin en paix mais je sais que ce sera aux côtés de mon père. Toute ma vie et toute ma carrière auraient été différentes si mon père était resté en vie. Lui au moins aurait été là pour me témoi- gner de l’amour et je peux te dire que je serais probablement devenu encore plus big que De La Hoya.

« Parce que tu sais, j’étais vraiment tout un boxeur, l’un des meilleurs en fait, et je sais que je le serais resté longtemps si j’avais continué de travailler avec Panama (Panama Lewis). Avec lui, dans le gymnase, il était strictement défendu de me faire frapper, il était toujours à me répéter de bouger la tête, de rester sur le bout des orteils, de lever les mains. Puis c’était pareil à l’extérieur du ring, lui ne rigolait pas avec la discipline, tu pouvais boire ou te geler si tu voulais mais tu ne te battais pas c’est sûr, en fait tu n’avais même pas le droit de t’entraîner. Tu te rappelles ce qu’il disait aux boxeurs, même les plus reconnus, qu’il soupçonnait d’être dopés aux entraînements ? J’en vois encore un qui venait de commencer son sparring et à qui il était venu arracher le casque, lui disant : Allez, débarque de là, va te nettoyer un peu, tu reviendras quand tu seras plus propre. Puis il t’avait ensuite averti qu’il était interdit de booker des combats à ce type pour un bon bout de temps… Et puis

9 arturo gatti • le dernier round

voilà, oui, tu as raison, je suis parti d’ici et j’ai changé de vie, je me suis perdu avec les filles, les bars de danseuses, le pot, la coke, l’alcool, les limos, les bijoux, le gambling, l’argent, et ça c’est juste à l’extérieur du ring. À l’intérieur ce ne fut pas mieux, j’ai pris des coups terribles, je sais pas pourquoi, peut-être par désoeuvrement, avec les mains bien trop basses, sans défense…

« La coke ? Je viens d’arrêter. Mais je continue de fumer de la mari. Je suis aussi un alcoolique, je n’ai pas peur de l’avouer, et j’ai développé une dépendance aux antidouleur, je n’ai pas le choix, sinon je ne serais plus capable de vivre avec mon corps. Mais je sais qu’on ne peut vivre ainsi, que je ne pouvais pas m’attendre à pouvoir garder Vivian (Vivian Penha) auprès de moi plus longtemps. Et je sais qu’elle ne reviendra plus jamais parce que je ne suis pas un homme bon, enfin, c’est peut- être pas tant que je ne sois pas un homme bon, c’est que je suis un fightermort mais encore vivant, tu comprends ? À cause de ça, je me suis souvent demandé ce que je devais faire, je veux dire, peut-être que la meilleure idée aurait été de faire comme Joe (son frère) et de me trouver un bon emploi. Mais la vérité, c’est que j’en suis incapable, je ne peux même pas y penser sérieusement, je suis un homme bien trop diminué.

« Non, je te le dis, je suis épuisé, terriblement épuisé, et je veux enfin aller me reposer, retrouver Dieu. Ma vie me rend malade, ma carrière me rend malade, je suis dégoûté de tout.

« En définitive, la boxe m’a tout pris. Je lui ai donné ma vie et re- garde ce qu’elle m’a fait la boxe, regarde comment elle m’a traité. La boxe a fait de moi ce qu’elle a aussi fait de Tyson, elle nous a utilisés, elle nous a trahis, elle nous a volés, violés même, et c’est pourquoi je me sens si proche de Mike, d’ailleurs pourquoi on ne tenterait pas de le rejoindre en Arizona ? Je suis un boxeur blanc qui essayait de boxer comme un boxeur noir, avec du rythme, comme me le demandait Pa- nama au début de ma carrière, tu t’en souviens ? Et j’ai l’impression que j’aurais été payé davantage si j’avais été noir, j’en ai contre HBO, contre Main Events, contre toute la business qui s’est servie à même mes poches…

10 11 Extrait de la publication le testament

« On dit : Ouais, Gatti il a fait de l’argent, mais je n’en ai jamais fait comme tous les autres autour de moi en ont fait. Je vais te dire, bien honnêtement : les trois combats contre Ward m’ont complètement détruit. J’ai donné mon cœur, j’ai donné mon âme à la boxe durant ces trois combats-là et regarde où ça m’a mené. Au minimum, j’aurais dû toucher pour notre troisième combat 1,5 million, pas 1,5 million brut, 1,5 million net, tous frais payés ! À la place, après toutes les déductions, il ne m’est resté qu’à peu près 500 000 $. Oui, bien sûr, parce que les cotes d’écoute ont fait quelque chose comme 8,8 sur HBO, j’ai eu droit à un bonus, mais j’aime autant ne pas te dire le montant… Non, je ne veux juste plus être partie intégrante de ça, pourtant j’aime encore la game, mais la boxe m’a trop trahi et c’est pour cette raison-là que je tenais à te parler, pour que tu expliques ensuite à tout le monde, comme je viens de le faire, que ma mort sera la réponse à la cupidité de la boxe, en d’autres mots, et je veux que ce soit clair :

« Ma mort sera ma revanche, ma mort sera la malédiction que je veux jeter sur toute l’industrie de la boxe ! »

Une douzaine d’heures plus tard, alors que les voitures avaient re- commencé à siffler depuis longtemps sur l’infernale Tonnelle Avenue, Arturo Gatti remit enfin le nez dehors. Au travers de ce testament laissé à la boxe, il avait aussi pris le temps d’en faire un plus concis pour ses proches, ainsi quand les employés avaient commencé à arriver pour leur quart de travail, il en avait pris certains à témoins et avait déterminé à qui léguer ce qu’il avait sur lui ou à l’intérieur du bar : cette photo-là pour lui, la grande affiche de mon deuxième combat contre Ward pour elle, et ma montre, très important ma montre Rolex à mon frère Fabrizio.

Mais surtout, au plus profond de sa détresse, Arturo Gatti avait consenti à recevoir de l’aide professionnelle. La nature de cette aide lui importait peu, que ce soit entrer en cure ou consulter un psycho- logue, voire un hypnotiseur comme le lui suggéraient certains, il avait accepté que son manager Patrick Lynch soit de suite informé de sa condition pour voler à son secours et stopper cette déchéance publique qui prenait encore la forme d’une carrière professionnelle.

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Parce qu’entre-temps, au moment de quitter Jersey City pour re- tourner à son condominium d’Hoboken, à 15 minutes de là, il ne s’était pas empêché d’apeurer tout le monde : « Tantôt, quand je vais partir d’ici et marcher dans la rue, dites-vous bien que ce sera la dernière fois de votre vie que vous allez me voir vivant. »

12 13 Extrait de la publication Chapitre un Uncasville, 18 mai 2002

Six mille deux cent cinquante-quatre spectateurs. Deux fois moins que le chiffre des meilleures assistances à Atlantic City. Une foule mo- deste si le combat s’était tenu à Montréal. Il n’empêche : demain, les coupures de presse rapporteront qu’il s’agit d’un record d’assistance pour de la boxe dans la jeune histoire des casinos du Connecticut. Le Mohegan Sun d’Uncasville a payé 450 000 $ pour battre justement Montréal et obtenir ainsi le droit d’organiser ce combat entre « Irish » et Arturo « Thunder » Gatti. Son pari est gagné, du moins en ce qui a trait au retour sur l’investissement : la salle du Mohegan Sun Arena est pleine comme un œuf. Une preuve d’un intérêt excep- tionnel généré par le combat ? Oui et non. L’endroit est surtout rempli de partisans du Massachusetts qui ont fait le déplacement au Connec- ticut pour soutenir Ward, peut-être le plus célèbre citoyen de Lowell après Jack Kerouac. Mais ailleurs ? La vérité oblige à dire que l’intérêt est plus mitigé. Aujourd’hui à l’hiver de leur carrière, les deux boxeurs se retrouvent un peu dans un cul-de-sac et ne peuvent tellement qu’être promis l’un à l’autre que Russel Peltz, réputé matchmaker à ESPN, a dit au moment où les négociations ont traîné : « Ils sont fous si ce combat-là n’a pas lieu, c’est le seul possible pour l’un comme pour l’autre… »

Pourtant, parmi tous ces gens qui savent bien que les deux boxeurs sont indissociables, nombreux sont ceux qui ne tiennent quand même pas à les voir. Pour eux, Gatti contre Ward était une bonne idée au temps où on avait commencé à en parler, il y a trois ans. Maintenant, la confrontation leur apparaît plus comme un anachronisme, ils sont sûrs qu’il y a des gens qui vont voir ce soir les deux vétérans sur HBO et qui vont ensuite téléphoner pour avertir : vous avez passé le mauvais

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ruban, c’était un vieil épisode. Ou encore faire comme Mayweather et jouer les critiques de télévision : ce truc, c’était rien de plus qu’un club fightermis sur HBO contre un autre club fighter !

En fait, la chaîne câblée elle-même n’attend pas grand-chose de ce combat, son descripteur Jim Lampley affirme qu’elle envisage ses pires cotes d’écoute de la saison ! Arturo Gatti, longtemps une figure de proue sur HBO, a beaucoup donné à la chaîne, mais elle le sait moissonné par toutes ses guerres et, loin d’être prête à s’attacher à lui par contrat, elle cherche à s’en défaire comme d’un vilain sparadrap. Oh bien sûr, elle lui verse ce soir 1 million de dollars, et lui avait donné même plus pour affronter De La Hoya il y a un an, mais autant le manager que le promoteur d’Arturo le diront plus tard : dans les deux cas, il s’agit moins d’une bourse que d’un cadeau d’adieu, de remercie- ment pour services rendus. Comme si HBO se disait : il n’a pas compris la première fois, essayons encore ce soir.

Mais des deux boxeurs, n’en doutez pas, c’est encore plus Ward l’in- trus. Paveur de rues quand il ne boxe pas, Ward est aussi un col bleu des rings et on ne trouvera pas meilleure façon de l’illustrer qu’en rap- pelant qu’avec une défaite ce soir il atteindra la… douzaine ! D’accord, cela ne l’a jamais empêché de faire de la télévision, il en a peut-être même fait plus qu’Arturo, il l’a juste surtout fait là où les boxeurs de son rang en font : sur ESPN, dans les ligues mineures de la boxe télévi- sée. Mais l’homme n’en est pas moins rempli de qualités. C’est entre autres peut-être le plus lucide et le plus réaliste de tous les boxeurs, et cette semaine il s’est justement assuré de brosser pour tout le monde le portrait le plus fidèle de la situation : « Il n’est pas un grand boxeur et moi non plus », a-t-il dit au Boston Globe, comme pour éclairer sur les attentes à avoir avec un si modeste casting.

Non vraiment, la question de l’intérêt pour ce combat-là peut réel- lement se poser. Même le site retenu donne à penser que, si tout ce monde se retrouve ce soir dans la réserve indienne des Mohegans, c’est uniquement parce que les sites ayant l’habitude d’accueillir les com- bats importants ont levé le nez sur cette proposition Ward-Gatti.

14 15 Extrait de la publication uncasville, 18 mai 2002

Et puis imaginez, ce n’est même pas un combat de championnat, il n’y a même pas de titre en jeu, pas de ceintures importantes et essen- tielles telles que WBU (World Boxing Union) et IBC (International Boxing Council) pour donner de la crédibilité à l’événement. Pas de slogan promotionnel non plus susceptible de nous faire vraiment croire que ce à quoi nous allons assister sera vraiment le combat du siècle, de l’année, de la semaine, de la rédemption, de l’honneur, de la vérité, ou du destin.

Et pour finir : même pas de confrontation physique à la conférence de presse, pas de boxeurs qui se regardent en chiens de faïence, pas de joute verbale pour relever une sauce un peu fade. Juste de l’exemplaire fair-play. Ward : « Ce type est un dur de dur et ce sera un combat très dif- ficile… » Gatti : « Lui aussi est un vrai dur, et je le respecte beaucoup… »

Non vraiment, HBO fait bien d’imaginer le pire, on voit mal ce soir d’où peut venir le spectacle.

Ah oui, nous allions oublier : tous s’attendent à une guerre entre les deux hommes. D’Arturo, le Knockout Boxing Magazine a déjà dit que son visage n’a jamais rencontré un coup de poing qu’il n’a pas aimé ; et qu’il saigne toujours comme un robinet, sur lui, sur l’adversaire, sur l’arbitre et tous ceux assis dans les trois premières rangées. Sa publication-sœur, le Ring, a écrit qu’il avait fait plus de guerres que Napoléon. Accessoire- ment, il a à ce jour été impliqué dans deux combats de l’année. Quant à Ward, il n’est pas en reste, s’il en compte en ce moment un seul à son palmarès, il vaut pour deux : c’était il y a un an contre Emanuel Burton et on avait calculé qu’il avait lancé 175 coups dans le… dernier round, pour un total de 1000 dans tout le combat ! Pour tout cela et pour bien d’autres choses, le fondateur de l’Association américaine pour l’amé- lioration de la boxe, Steve Acunto, a dit que c’est chez les fous que ces deux-là vont finir leurs jours. Ce sera à voir pour leurs jours, mais pour ce qui est de leurs soirées, c’est connu, ils ont coutume de les termi- ner à l’hôpital. À ce chapitre, les dispositions sont prises, la commission athlétique du Mohegan Sun s’est assurée comme toute commission qui se respecte qu’il y en ait bien un tout proche. Le Backus Memorial

15 Extrait de la publication arturo gatti • le dernier round

Hospital de Norwich est à moins de deux kilomètres du Mohegan Sun et on peut y être en moins de 10 minutes. Cela fait d’ailleurs penser que, avant même les 450 000 $ du Mohegan Sun, c’est peut-être le temps d’attente dans les salles d’urgences qui a incité le promoteur Main Events à ne pas choisir Montréal…

Mais de toute façon, le personnel de l’hôpital peut se préparer à vivre une soirée tranquille et les amateurs à être déçus : il n’y aura pas de guerre, Arturo l’a annoncé dans le Boston Globe : « Je viens ici pour dominer Micky Ward pendant tous les rounds, et j’ai tout ce qu’il faut pour me faire un combat facile. »

Un combat « facile ». Non vraiment, quand on dit que ce sera une moche soirée…

* * *

Il a gagné, mais quelque chose nous dit que ce ne fut pas si facile. Il a réussi à lui asseoir les miches dans un siège d’avion et à le diriger vers Vero Beach, où il va tenir son camp d’entraînement. C’est sa pre- mière victoire et elle n’est pas mince, arracher Arturo Gatti à sa vie de cocagne est toujours ce qu’il y a de plus compliqué pour le manager Patrick Lynch. La plupart du temps, il doit épuiser la pile de son por- table en téléphonant à droite et à gauche pour juste tenter de retracer « Thunder », et quand il y parvient le challenge ne fait que commencer, il reste ensuite à être capable de le traîner jusqu’à l’aéroport. Et même encore là, si on a prévu le faire voyager avec son entraîneur, il peut arriver à Arturo de s’essayer à une ultime négociation avec ce dernier : dis coach, est-ce que je pourrais passer 24 heures de plus à New York, je te promets que je te rejoins demain en Floride ! Mais aujourd’hui, c’est fait, Lynch a bel et bien gagné, encore qu’il ait un peu triché et reçu de l’aide. D’abord, le dernier combat de « Thunder » remonte à tout juste six semaines et il est toujours plus aisé à Lynch de déchiffonner le pli de l’indiscipline après six semaines d’inactivité que six mois. Mais il y a surtout qu’Arturo est toujours un peu moins rétif quand il partage sa vie avec une femme, comme maintenant, plutôt qu’avec plusieurs. Il

16 17 uncasville, 18 mai 2002

y a un peu plus de sept mois, le 24 juillet 2001, il s’est fiancé à Vivian Penha, une sculpturale Brésilienne qui habite avec lui à Weehawken dans un condo faisant face à New York, et s’il la laisse aujourd’hui der- rière lui, elle devrait quand même lui payer une courte visite au cours du camp d’entraînement. Le couple a prévu se marier en septembre, c’est la première prévision, la seconde c’est que les préparatifs seront joyeux dans la foulée de la victoire sur Ward.

C’est la deuxième semaine du mois de mars, deux mois seulement séparent Arturo du combat du 18 mai au Mohegan Sun et cela lui re- vient maintenant au moment où l’avion s’apprête à lever pour la Flori- de : il y a une année ou presque, c’est lui qui crashait sur un ring de Las Vegas. Le 24 mars 2001, il affrontait en effet dans ce qu’il avait plus tard qualifié du « plus important combat de ma car- rière ». Coupé sous l’œil droit et envoyé au sol à la fin de la re1 reprise au cours de laquelle il avait pourtant extrêmement bien fait, injuste- ment privé à notre avis d’un knock-down dans le 2e round, il avait été très compétitif et s’était montré comme à son ordinaire touchant de bravoure, mais cela n’avait pas payé : dans des circonstances un peu nébuleuses, il avait été arrêté par son coin au milieu du 5e round. Le dénouement l’avait laissé avec un goût amer, instillé en lui beaucoup de doutes et mené à une série de changements dont le combat contre Ward le mettait en plein cœur.

Dans un premier temps, il avait d’abord douté de lui. En dépit de sa très honorable performance face au « Golden Boy » américain, la stricte froideur du résultat l’avait peut-être incité à croire tous ceux, nombreux, qui l’estimaient fini. Dans cette période de remise en ques- tion, il avait notamment cherché à se rassurer en communiquant avec l’entraîneur qui l’avait modelé à son arrivée dans le New Jersey, Carlos « Panama » Lewis. Encore meurtri par la défaite, il avait cette fois-là beaucoup pleuré et fini par lui demander au téléphone : « Tu crois aussi que je suis rincé, Panama ? » Toujours très au fait de sa vie et de sa car- rière même en vivant alors en Floride, le Panaméen l’avait éclairé le plus honnêtement possible : « Bien sûr que non, tu as encore des habi- letés, ta puissance est intacte, mais tout ça ne sert plus à grand-chose

17 Extrait de la publication arturo gatti • le dernier round

parce que tu dois d’abord mettre de l’ordre dans ta vie, recommencer à vivre comme un athlète, être plus souvent dans le gym que dans les clubs. Après cela, mais après cela seulement, les résultats devraient suivre. » C’étaient des mots qui lui avaient fait du bien, mais le plus important était qu’ils allaient dans le même sens que la réflexion qu’il avait aussi entreprise sur sa carrière. C’était simple, il n’y avait que des avantages à redevenir sérieux, à avoir une meilleure hygiène de vie, et le plus commode de ces avantages était qu’il pourrait ainsi mieux contrôler ses problèmes de poids et continuer d’évoluer chez les super- légers plutôt que chez les welters. Et maintenant, une année plus tard, il voyait bien que ses efforts payaient déjà, il allait affronter Ward à 141 livres, une livre au-dessus de cette catégorie où sa puissance pré- valait beaucoup plus.

Mais en raison des circonstances, le combat contre De La Hoya l’avait aussi fait douter de l’un des plus importants membres de son clan, l’entraîneur Hector Roca. Au milieu du 5e round, alors qu’il vivait des moments difficiles mais paraissait encore en mesure de se défendre et de riposter, Roca avait en effet curieusement lancé la serviette, signifiant ainsi sa reddition. « Si je n’avais pas arrêté le combat, avait-il expliqué au New York Times, Arturo aurait été tué sur place. Il n’aurait pas abandonné de lui-même. » Sur le ring, Arturo avait d’abord manifesté son désaccord, avant de donner l’impression, dans ses commentaires aux journalistes, de vouloir calmer le jeu pour ne pas embarrasser son coin publique- ment. « J’aurais pu continuer, avait-il dit, mais je respecte le jugement de mes hommes de coin. » Dans les coulisses, l’histoire avait toutefois été différente. Arturo avait blâmé Roca de l’avoir arrêté prématurément, ce que n’avait pas cherché à nier ce dernier, mais en nous ajoutant l’expli- cation suivante : « Arturo était d’accord avec l’arrêt du combat jusqu’à ce que ses amis réussissent dans les jours suivants à lui faire croire qu’il aurait pu continuer. C’est le problème des boxeurs, quand ils deviennent célèbres comme Arturo, le cercle d’amis augmente, et ils se mettent tous à donner leur opinion. Dans les faits, cette décision, je suis loin de la regretter et j’en suis même fier. Ce soir-là, j’ai empêché Arturo de prendre plus de coups et de mal paraître pendant plus longtemps. Je l’ai préservé, voilà ce que j’ai fait. Et parce que j’ai fait ça, je lui ai permis de

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