POLICE FÉDÉRALE LOS ANGELES TO LIVE AND DIE IN L.A. un film de

« Saisissant » « Ce diamant noir n’a rien perdu de LE MONDE son éclat » TÉLÉRAMA « Un film tendu, violent, coloré, et mené tambour battant » « De l’adrénaline pure » L’EXPRESS LE FIGARO

« Violent, nerveux et très noir, l’un des « Un polar survitaminé, très jouissif » meilleurs films de William Friedkin » LA DISPUTE – FRANCE CULTURE LE FIGAROSCOPE « Un beau classique eighties « Police Fédérale Los Angeles accumule de Friedkin » les bravoures, doté d’une course LES INROCKUPTUBLES poursuite d’anthologie » PLAN LARGE – FRANCE CULTURE « Une virtuosité renversante » CRITIKAT « Un titre phare des années 80 » ARTE « Une œuvre importante, et l’un des plus beaux films de son réalisateur. » « Ce qu’il y a de plus beau dans ce CULTUROPOING portrait urbain : la frénésie, les fuites en avant rythmées par les lignes de basse « Véritable chef-d’œuvre de Wang Chung, la vélocité folle des des années 80. » traques et des filatures. » DVD CLASSIK CHRONIC’ART « Le plus grand polar des années 80. » « Haletant de bout en bout. » TOUTELACULTURE.COM

CINÉ CHRONICLE « Véritable manifeste du cinéma des

années 80, le film n’a pas pris « Le film n’a rien perdu de sa force et de une ride. » son pouvoir de fascination. » CAPTURE MAG DIGITALCINE

AU CINÉMA LE 4 JANVIER « Police fédérale, Los Angeles », une symphonie des bras cassés Réalisé en 1985, le film de William Friedkin, adapté d’un roman de Gerald Petievich, ressort en salles. Par Jean-François Rauger (le 4 janvier 2017)

A l’origine de Police fédérale, Los Angeles, qui ressort en salle, il y a un livre écrit par Gerald Petie- vich, un ancien de ce que l’on appelle le « secret service », une unité de la police fédérale compé- tente à la fois pour la protection des hautes personnalités et pour la répression des contrefaçons et escroqueries monétaires. C’est, selon William Friedkin lui-même, cette particularité « bifonctionnelle » (passer de la protection rapprochée du président des Etats-Unis à la poursuite de voleurs de cartes de crédit) qui l’aurait conduit à s’intéresser au roman de Petievich, avec qui il en écrira l’adaptation pour l’écran, élaguant significativement le matériau d’origine. Le film, sorti en 1985, détaille les étapes de la traque menée par deux agents des services secrets, Chance et Vukovitch (interprétés respectivement par William Petersen et John Pankow), d’un habile faussaire, Masters, qui fabrique de la fausse monnaie et est le meurtrier du précédent coéquipier de Chance. Salué à juste titre comme un retour en grande forme, au milieu des années 1980, de l’auteur de L’Exorciste, le film retrouve ce goût de l’ambiguïté qui définissait les personnages de son French Connection en 1971, mais acclimaté à un nouvel air du temps. Sourd à toute objurgation éthique, Chance est obsédé par un désir de vengeance au nom duquel il multipliera pressions, chantages divers et irrespect des règles s’imposant à un policier. Face à lui, le luciférien Masters (excellent Willem Dafoe), faussaire, artiste peintre et criminel, apparaît porté par une souveraineté flamboyante qui manque singulièrement aux policiers à ses trousses.

Un pessimisme profond Chance est une tête brûlée qui se jette régulièrement dans le vide (un motif central de l’œuvre de Friedkin) à la fois littéralement (il s’amuse à se lancer du haut d’un pont vertigineux pour tenir des paris avec ses collègues) et métaphoriquement. Cette manière de fuite en avant écer- velée favorise dès lors, par un effet paradoxal, un certain nombre d’actes particulièrement mala- droits. Les deux policiers multiplient les bévues et les bavures, assistent impuissants au meurtre d’un homme qu’ils surveillaient, laissent échapper un témoin, font abattre un agent du FBI infiltré. Police fédérale, Los Angeles est une symphonie des bras cassés, un concerto de ratages récurrents et de maladresses diverses. L’époque ne semble plus être celle de l’action efficace (horizon modèle du cinéma américain), mais de l’action se retournant contre elle-même. Saisissant par son montage, sa bande musicale due à Wang Chung et sa photographie signée Rob- by Müller (le chef opérateur de Wim Wenders), le clinquant hédoniste des années 1980, Police fédé- rale, Los Angeles s’affirme comme un pur théâtre de la dépense, désignée tout autant par les initia- tives aveugles des policiers (déclenchant notamment une spectaculaire poursuite en voitures) que par la fureur destructrice de Masters, brûlant régulièrement ses propres tableaux ainsi que des bil- lets de banque par poignées. Le plus remarquable du film reste quelque chose qui semble s’être perdu à Hollywood depuis long- temps : un pessimisme profond et une violence sèche, dénuée de toute emphase, seule façon de rendre intense et tragique un maniérisme typique de son temps et de son espace.

POLICE FÉDÉRALE LOS ANGELES, POLAR NIHILISTE Par Valentin Pimare (le 4 janvier 2017)

Police fédérale, Los Angeles marque l'apogée du style nerveux de William Friedkin. Cette plongée dans un univers paranoïaque cher au cinéaste ressort en copie restaurée. Retour sur un polar comme on n'en fait plus...

Police Fédérale, Los Angeles débarque le 7 mai 1986 dans les salles françaises. Le film est salué par la presse, qui y voit un nouveau tour de force du style propre au réalisateur William Friedkin. Pourtant, le ton est différent du reste de sa filmographie; impression ressentie dès l'étonnant géné- rique, monté avec des plans comme choisis au hasard, affichant des crédits aux couleurs pétantes sur fond de musique de discothèque orchestrée par Wang Chung. Mais, histoire de le rendre plus compréhensible pour le public, en traversant l'Atlantique, ce polar a changé de titre, quitte à faire à disparaître le charme, l'originalité, et, surtout, le sens de cette his- toire vénéneuse. Aux États-Unis, Police Fédérale... s'intitule To Live and Die in L.A. (Vivre et mou- rir à Los Angeles). Or toute l'essence du film, qui ressort en copie restaurée le 4 janvier, se trouve dans ce titre américain. William Friedkin a trouvé l'inspiration dans le livre éponyme d'un ancien agent secret, Gerald Petie- vich. "Obsession, paranoïa, trahisons, frontière ténue entre le policier et le criminel: il y avait là tous les éléments du film noir classique", note le cinéaste dans son autobiographie (1) . Le réalisateur livre un film tendu, violent, coloré, et mené tambour battant. Six ans après La chasse, et quatorze ans après French Connection, ce nouveau polar raconte l'histoire de Richard Chance (William L. Petersen), flic tête brûlée qui cherche à coincer Rick Masters (Willem Dafoe), un faux-monnayeur. Le jour où Masters tue son coéquipier, Chance se transforme en vengeur ob- sédé, et les frontières entre bien et mal volent en éclat.

Polar atypique Poussé par son enthousiasme et épaulé par le producteur Irving H. Levin, Friedkin se lance sans attendre dans le projet. "Je ne me suis jamais senti aussi confiant ou inventif que lorsque j'ai fait Police Fédérale, Los Angeles [...] Tout semblait couler de source", note le réalisateur. Il écrit le scénario en trois semaines avec une vision claire: "Je ne voulais pas que le film soit une copie de French Connection. J'allais laisser tomber l'aspect rugueux et macho de ce dernier pour quelque chose qui s'apparenterait au style unisexe typique du Los Angeles des années 80". Le cinéaste laisse aussi de côté les têtes d'affiche au profit d'acteurs peu connus. Il embauche Willem Dafoe juste en le voyant quelques instants lors du casting et ira chercher William L. Peter- sen sur les planches à Chicago. "Réaliser un film d'action populaire avec des acteurs totalement inconnus, c'était comme sauter dans le vide, mais j'étais sûr que je pouvais m'en tirer." Le réalisateur réussit son pari. Reste que le film ne rencontre pas le succès escompté. Police Fé- dérale... marque un nouveau coup d'arrêt pour Friedkin. Une succession d'échecs entamée avec Le convoi de la peur, son film maudit, ou encore La chasse, dont le sujet, un polar dans les milieux homos, fait scandale et se heurte à la censure. Des films jusqu'au-boutistes qui débous- solent les spectateurs, mais pas Friedkin, qui continue sur cette lancée en faisant de Police Fé- dérale... un polar atypique.

Ambiance crépusculaire En ce qui concerne les années 90, Heat, de Michael Mann, fait office de référence incontour- nable. Pour de nombreux cinéphiles, Police Fédérale... est, lui, le polar emblématique des an- nées 80. Un statut acquis grâce au traitement qu'opère Friedkin sur le genre, prenant ses codes pour mieux les retourner. Il dépeint notamment des personnages atypiques. Le méchant à des allures de gentleman mystérieux. De façon plus incisive, Friedkin dynamite la figure du flic. Le personnage de Chance est décrit comme un chien fou bouffé par la violence, qui n'hésite pas à bafouer la loi pour arriver à ses fins. De quoi le rendre profondément antipathique. Rien n'est vraiment comme les choses semblent être dans ce polar qui explore des thèmes comme la paranoïa et l'ambiguïté. Friedkin s'amuse d'ailleurs à jouer sur les apparences, comme le note Thomas D. Clagett dans son ouvrage sur Friedkin (2): "Lorsque Chance saute du pont, on dirait qu'il se suicide avant que l'on ne voit l'élastique accroché à sa jambe. Quand Masters re- trouve sa copine dans le vestiaire du théâtre d'avant-garde où elle se produit, il semble que ce soit un homme qu'il embrasse passionnément sur la bouche, jusqu'à ce que Friedkin inverse l'angle de vue". Toute cette approche renforce l'ambiance crépusculaire que dégage le film. Et Friedkin n'hésite pas à enfoncer le clou. D'abord en s'attardant sur les relations qu'entretiennent les personnages. Exemple: Ruth, amante et indic' de Chance, lui demande: "Si j'arrêtais de te donner des tuyaux, qu'est-ce que tu ferais?" Chance répond froidement avant de tourner les talons: "Je ferais annu- ler ta conditionnelle." Amour, amitié, tout est perdu. L'émotion fond sous un soleil de plomb.

Mais le moment le plus radical de Police Fédérale... survient dans le dernier tiers - attention, spoiler. "Arrivé à la moitié du tournage, l'idée m'est venue qu'il fallait que le personnage de Peter- sen meure [...] J'ai pensé que c'était à la fois surprenant et justifié, étant donné qu'il vivait cons- tamment sur le fil du rasoir", explique le réalisateur. Une mort qui a du sens mais qui déstabilise le spectateur. Tout comme la production, qui demande à Friedkin de tourner une autre fin. Le ci- néaste réussira à imposer sa vision, qui est en accord total avec le ton du film: "Vivre et mourir à Los Angeles". L.A., prison à ciel ouvert Los Angeles. Personnage à part. La cité des anges fascine Friedkin, mais, une fois encore, sous un aspect inhabituel. "Je souhaitais faire le portrait de la ville sans en montrer les lieux les plus aisément identifiables; je ne voulais pas de quartiers ou de lignes d'horizon de gratte-ciel ico- niques", explique-t-il. Le cinéaste filme donc les coins chauds où sévissent les gangs. Une quête d'authenticité, symbole de son cinéma, que l'on retrouve dans une séquence voulue comme la pièce maîtresse du film: avec Police Fédérale..., Friedkin a l'occasion de réaliser une nouvelle scène de course-poursuite. Le but affiché est simple : surpasser celle de French Connec- tion, devenue culte et mythique. "La course-poursuite est la forme cinématographique la plus pure, c'est quelque chose qui ne peut être réalisé dans aucune autre forme d'art", enchaîne le réalisateur. La scène démarre dans des rues encombrées, se poursuit sur une voie ferrée, puis passe par la célèbre Los Angeles Ri- ver, immortalisée de nombreuses fois au cinéma, comme dans Terminator 2 ou Drive. Elle se ter- mine à cent à l'heure et à contresens sur l'autoroute de Terminal Island. Cette image est un élément qui traverse tout le film. Tout n'est qu'éphémère dans une ville que le réalisateur décrit comme gangrenée par le cynisme. Los Angeles devient une prison à ciel ouvert dont on ne s'évade pas. Pire, la ville finit par consumer ceux qui s'y trouvent, comme John Vu- kovich, le coéquipier de Richard Chance. De personnage effacé et soucieux des règles, il devient littéralement Chance: lunettes vissées sur le nez, gueule abîmée, col retroussé, il adopte son look et son attitude. À la fin du film, Vu- kovich se présente chez Ruth, qui s'apprête enfin à quitter la ville. Elle n'ira nulle part. "Ruth, la traîtresse, ne peut briser ce cercle de la normalité, de la vie et de la mort dans un monde où le chaos est la règle, tel que le voit Friedkin", observe Thomas D. Clagett. Le pont Vincent-Thomas se dessine en arrière-plan. Si proche, si loin. Le film se termine sous la forme d'une nouvelle boucle. Comme si l'histoire reprenait là où on l'avait commencée. Police Fédérale, Los Angeles marque un tournant dans la carrière de son réalisateur. Une certaine apogée de sa mise en scène à travers une œuvre profondé- ment nihiliste.

(1). Friedkin Connection (éd. de la Martinière).

(2). William Friedkin: Films of Aberration, Obsession and Reality (éd. Silman-James Press).

POLICE FÉDÉRALE LOS ANGELES de William Friedkin Par Olivier Père (le 25 décembre 2016)

Splendor films ressort en salles mercredi 4 janvier un titre phare du cinéma américain des an- nées 80, dans une restauration numérique. Un duo de flics traque un faux-monnayeur maléfique. L’un des deux policiers, une tête brûlée, va dangereusement basculer dans l’illégalité pour parve- nir à ses fins et entraîner son collègue dans sa descente aux enfers. Cinéaste de l’expérience des limites, fasciné par la frontière ténue entre le Bien et le Mal, la raison et la folie, le réel et le cauchemar, William Friedkin a réalisé en 1985 avec Police fédérale, Los Angeles (titre français idiot de To Live and Die in L.A.) un de ses meilleurs films, et une étape importante du cinéma criminel américain, qui a rarement montré des antihéros aussi suicidaires.

Sous-estimé à l’époque de sa sortie, ce polar urbain qui capte magnifiquement l’atmosphère de la Cité des Anges (Nicolas Winding Refn s’en souviendra pour Drive) est pourtant aussi réussi et surtout encore plus tordu que les titres de gloire de la carrière erratique de Friedkin, L’Exor- ciste et French Connection.

On se situe, comme pour les chefs-d’œuvre du cinéaste à ce jour (Sorcerer, son remake pa- roxystique du Salaire de la peur et Cruising descente aux enfers d’un flic dans les bas-fonds des clubs gays sado maso de Greenwich Village où rôde un tueur en série) à mi-chemin entre la pré- cision hyperréaliste d’un contexte documentaire, et la plongée fantastique dans l’intériorité de personnages en proie à leurs démons. Le film est devenu emblématique de l’esthétisme des an- nées 80, empruntée aux vidéos musicales dans certaines séquences, à l’instar des polars de Mi- chael Mann. Il est toujours remarquable par la frénésie de son montage, la perversité de son scé- nario et l’incroyable maîtrise de l’espace dont fait preuve Friedkin. La scène pivot du film est une hallucinante et très longue poursuite en voiture, à contresens sur une bretelle d’autoroute, dans laquelle le cinéaste parvient à effacer le souvenir de la course anthologique de French Connec- tion sous le métro new-yorkais.

POLICE FÉDÉRALE LOS ANGELES par Yal Sadat (le 9 janvier 2017)

Note: 5 sur 5

La véritable histoire de Police fédérale, Los Angeles se joue dans ses dix premières minutes. Motards et voitures-pies du LAPD escortent une limousine, guidée par une première mélodie las- cive de Wang Chung vers un palace bien gardé où se tient un meeting politique. Richard Chance, agent fougueux du Secret Service, et son partenaire Jimmy Hart, plus âgé, y évitent le pire en jetant dans le vide un djihadiste muni d’une ceinture d’explosifs. Puis un second morceau de Wang Chung amorce le générique, martelant l’angoisse diurne de L.A : friches industrielles baignées de lumière sanguine, méandres d’échangeurs autoroutiers, transactions de billets fabri- qués par les faussaires que traquent Hart et Chance. Le plus dangereux d’entre eux, Rick Mas- ters, achève dans son loft la peinture d’une croûte rougeoyante, qu’il fait flamber après l’avoir contemplée un instant. À l’autre bout de la ville, c’est maintenant Richard Chance qui, à son tour, s’élance dans le vide depuis le pont Vincent-Thomas. L’élastique qui le retient se devine à peine ; le flic se balance quelques mètres au-dessus de l’eau, riant par-dessus les cornes de brume. On ne le voit pas remonter. L’intrigue officielle démarre ensuite, et elle tient sur un faux billet de vingt dollars : Masters tue le vieux partenaire de Chance qui, enragé, fomente l’attaque d’un convoyeur de fonds pour piéger ce dandy criminel et artiste à ses heures. Qu’importe les ficelles épaisses, le méchant trop repti- lien, et le sous-texte un peu voyant (Chance et Masters ne sont que l’envers et l’endroit d’un même monstre malade). Car le prologue a donc raconté l’essentiel, peignant une ville possédée par les flux divers – tout n’y est que trafic, qu’il soit automobile, narcotique ou financier – dont personne ne s’extrait à moins d’oser un saut de l’ange mortel. Pas que cette peinture-là soit spé- cialement subversive, le roman noir ayant depuis longtemps fait de Los Angeles l’empire grouil- lant du crime. Le plus frappant, c’est que Friedkin perpétue ce portrait de la même manière que son bad guy pyromane. C’est-à-dire en contemplant la beauté vénéneuse de son sujet et en éprouvant aussitôt l’urgence de l’immoler, en proie à une étrange pulsion punitive. Les teintes rougeâtres de la toile détruite par Masters répondent d’ailleurs à celles du L.A. lon- guement ratissé par le prologue. Comme si le faussaire avait orchestré – ou « maîtrisé », ainsi que le suggère son nom – ces images urbaines, comme s’il en était l’auteur au même titre que Friedkin. Police fédérale peut dès lors se lire comme un bras de fer entre deux démiurges : Friedkin et Masters, tous deux mus par le désir de faire de Los Angeles leur œuvre d’art ba- roque, puis d’en pulvériser les motifs. De fait, le film est en soi le croquis hirsute et outrancier de la Cité des anges telle que Hurricane Billy l’arpentait dans la première moitié des années 80. De son propre aveu, son ambition première était de briser « l’imagerie touristique » de la mégapole, particulièrement vivace dans les années Reagan. L.A. n’a effectivement jamais tant ressemblé à cette version dévoyée du vieux rêve de promoteur immobilier à l’origine de son développement, décrite par Morrow Mayo dans son essai Los Angeles, fer de lance d’une littérature iconoclaste consacrée à la cité : « il faut bien comprendre que Los Angeles n’est pas qu’une ville. Au con- traire, elle est, et cela depuis 1888, une marchandise ; quelque chose dont on fait la publicité et qu’on vend au peuple américain comme les automobiles, les cigarettes ou du dentifrice ». Friedkin jette sur sa toile les fragments de cette imagerie putassière, puisant dans les multiples représentations que la ville génère d’elle-même – clips, feuilletons à flics, réclames hygiénistes – pour mieux confronter l’ensemble à son propre style des débuts, marqué par le réalisme nerveux de l’école de Chicago (les courses-poursuites se laissent bien sûr contaminer par la griffe de French Connection). Mais il ne s’agit pas de filmer L.A. comme joyau postmoderne, ni d’inven- ter un lyrisme criard à base de néons, de hangars agglutinés et de filles aux gueules d’auto- mates. Le geste de Friedkin a plutôt quelque chose de baudelairien : il s’agit de laisser Los An- geles exsuder le mal par tous les pores, pour mieux en extraire la beauté. De gratter sous le ver- nis du cauchemar yuppie pour révéler la charogne sur laquelle a poussé la cité. C’est que l’obsession de Friedkin n’a pas changé depuis L’Anniversaire : traquer le Mal en train de nidifier ou de se propager insidieusement, ventilé par une force transcendante et insinué dans les corps et les plans. Le protocole reste le même : comme toujours, un mauvais œil balaie la ville depuis les hauteurs (en l’occurrence, depuis les hélicos du LAPD) comme s’il cherchait à lo- caliser le Mal, plonge par exemple sur le pénitencier pour en faire le foyer d’un fléau viral, dont la circulation se joue évidemment au travers des échanges de fausse monnaie. Chance, premier contaminé du récit, passera le virus de sa rage vengeresse à son nouveau co-équipier Vukovich. Sournois, l’œil observe ce manège se dérouler sur le terrain de jeu idéal qu’est Los Angeles, dont la topographie réticulaire, avec ses rampes d’autoroutes, ses artères sinueuses, ses villes dans la ville, permet au virus de se propager à loisir. L’œil se réjouit de ce spectacle meurtrier, puis il jette la punition divine : tout comme Masters met le feu à ses toiles, Friedkin fait tomber ses su- per-flics, les calcine comme on se débarrasse de corps viciés. C’est sa différence avec Baude- laire : de L’Exorciste à Police fédérale en passant par Sorcerer, Friedkin extrait la beauté du Mal mais désire tout de même éradiquer celui-ci, comme saisi par la superstition médiévale qu’une œuvre modelée dans une matière maléfique mérite en fin de compte la destruction. Quand Mas- ters enflamme son atelier de faux billets – la fabrique du Mal –, c’est tout Los Angeles qui brûle, et le film avec elle. Mais une relative échappée est possible, pour les habitants de cette ville-tableau condamnée au bûcher. Elle se trouve donc dans la dégringolade vers le néant, figurée au début par la chute de Chance : une manière de défier le vide et les particules, comme le faisaient les casse-cous de The Bold Men – documentaire de Friedkin tourné vingt ans plus tôt sur une bande d’experts en cascades ahurissantes, déterminés à tromper littéralement la mort. Mais l’issue se trouve aus- si dans le cœur de la ville elle-même : le film y dessine de multiples autoroutes et rails qui sont autant de pistes de course destinées aux personnages, afin que ceux-ci puissent s’oublier dans la vitesse et conjurer le Mal. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus beau dans ce portrait ur- bain : la frénésie, les fuites en avant rythmées par les lignes de basse incisives et in- quiètes de Wang Chung, la vélocité folle des traques et des filatures dans ce dédale so- laire et ramifié à l’extrême qu’on appelle Los Angeles. Chance ne peut s’en échapper, mais il dispose d’une infinité de circuits l’autorisant à foncer toujours plus vite entre ses murs. La seule porte de sortie de L.A. se trouve dans ses propres boyaux. L’AMOUR DU RISQUE par Juliette Gronffart Le 3 janvier 2017

Saut à l’élastique, courses-poursuites, accélérations en quatrième vitesse – Police fédérale Los Angeles de Willliam Friedkin filme avant tout la prise de risque pleine d’adrénaline. Après l’échec public du Convoi de la peur et de Cruising, Friedkin cherche alors à faire « un film d’action popu- laire » [1] en adaptant le roman autobiographique de Gerry Petievich, agent du Secret Service expert dans la chasse aux faussaires. À la suite de French Connection, il revient donc à un ciné- ma de la « traque » ininterrompue, cette fois-ci entre le fabricant de faux billets Rick Masters (Willem Dafoe) et l’agent fédéral Richard Chance (Bill Petersen), assoiffé de vengeance suite à l’assassinat de son ancien coéquipier. L.A. la venimeuse Comme dans la plupart des films de Friedkin, cette chasse à l’homme est un voyage, une immer- sion dans un univers parallèle et underground contaminant à jamais ses personnages. Chance accompagné de son nouveau coéquipier John Vukovich (John Pankow) rôde dans les quartiers les plus pauvres de Los Angeles, ses bars à strip, ses no man’s lands pleins de poussières et de broussailles, et franchit peu à peu les limites de la légalité. Toujours dans le sillage de French Connection, Friedkin montre ainsi avec réalisme le paysage d’une autre Amérique rongée par le crime et la violence, auxquels les héros du film n’échapperont pas. Chance est au fond aussi dur et brutal que le criminel qu’il traque, n’hésitant pas, par exemple, à faire chanter froidement son indic féminine. Lui et Masters se rapprochent d’ailleurs par leur goût pour la transgression, sym- bolisé par le thème de la « brûlure » : Chance adepte du base-jump et de la prise de risques est surnommé « la tête brûlée », tandis que le génial Rick Masters ne manque pas d’enflammer au petit matin, avec émerveillement, les toiles qu’il a peintes durant la nuit – voire ses propres faux billets. Courses-poursuites À l’instar du faussaire contemplant la destruction de ses propres œuvres, le cinéaste filme avec plaisir ce déploiement de l’énergie folle et incontrôlable de l’agent Chance. L’objet central du film est bien là, dans l’envie de restituer cet élan destructeur et aveugle, cette course à tombeau ou- vert du personnage à travers des séquences de courses-poursuites vertigineuses. Pour Friedkin, « la course-poursuite est la forme cinématographique la plus pure » [2]. La vérité du personnage s’exprimera donc par elles. Celles-ci s’enchaînent à toute vitesse, atteignant leur point d’orgue lors d’une séquence haletante de dix minutes sur l’autoroute de Los Angeles. Filmée en plus de six semaines, mobilisant soixante-quinze cascadeurs, trois caméras, un chef-opérateur spéci- fique (Bob Yeoman, simple cadreur pour le reste du film), la séquence embarque le spectateur comme une montagne russe à travers d’innombrables points de vue en mouvement, externes et subjectifs, balance les obstacles en plein champ à toute vitesse, accumule les twists, les temps morts et les sursauts. Ainsi Friedkin accomplit avec une virtuosité renversante son rêve à l’ori- gine du film entier, celui de surpasser sa propre scène de course-poursuite dans French Connec- tion.

Le « saut dans le vide » de William Friedkin Si ce pari était pour le moins risqué, le tournage de Police fédérale Los Angeles se fit lui-même « sur le fil du rasoir », au point d’étrangement refléter le caractère kamikaze de son héros. En réalisant un film d’action « populaire » avec des acteurs alors très peu connus – William Peter- sen y tenait un premier rôle pour la première fois – Friedkin eut justement l’impression de « faire un saut dans le vide » [3]. Pour montrer l’activité du faussaire Masters, le cinéaste reprit si préci- sément la technique de fabrication de faux dollars que certains billets du tournage furent vrai- ment utilisés. Le FBI, alerté par l’incident, somma le cinéaste de tout arrêter, qui refusa catégori- quement, prétextant l’absence de mandat. La séquence de fabrication des faux billets a beau avoir mis en danger le film, elle est aussi l’une des plus belles : dans les lueurs rouges et vertes de son entrepôt infernal, Willem Dafoe, méticuleux, découpe des plaques de métal, les enduit délicatement d’épaisses couches de peintures (l’acteur aurait passé trois jours entiers à ap- prendre vraiment la technique des faussaires), transformant cette scène à la fidélité presque do- cumentaire en fantaisie sensuelle et vive. Le générique du film est à lui seul un autre monument de fantasmagorie survoltée, aussi bigarrée qu’un clip de MC Hammer, mêlant l’image rou- geoyante de l’aube sur les palmiers de LA à des intertitres vert fluo, le tout sur la musique pop- rock savoureuse et caricaturale du groupe Wang Chung. C’est aussi cela que l’on retient de Police fédérale Los Angeles – une incessante transfiguration du réel en fantasme très eighties ultra coloré et rythmé, à la fois daté et fascinant.

[1] Cf. Friedkin Connection, Les Mémoires d’un cinéaste de légende, Éditions de la Martinière, 2014. [2] Ibid. [3] Ibid.

William Friedkin – « Police Fédérale Los Angeles » (To Live And Die In L.A) par Lucien Halflants (le 4 janvier 2017)

William Friedkin ; un nom que l’imaginaire collectif associe à L’Exorciste ou à French Connec- tion mais qui résonne aussi dans les esprits cinéphiles comme celui du réalisateur de Police Fé- dérale, Los Angeles, sorte de variation de French Connection aux accents de Big Heat (Fritz Lang) gonflée aux pixels télévisuels et aux drogues nouvelles qui palpitent comme le botox dans le corps d’une époque en proie asservie à l’ultralibéralisme. Un film qui ressemble à ses sujets, nerveux, sensibles et désabusés mais qui se voudrait aussi en lutte permanente contre tout ce qui les entoure, à l’image du cinéaste jetant ses poings dans le vent.

C’est autour d’une structure libre (parfois même déroutante) que s’articule le récit. Un enchaîne- ment d’actions en chutes et remontées incessantes comme le héros plonge littéralement (à plu- sieurs reprises il saute à l’élastique) vers le vide substantiel de son existence bien plus tenue par l’insondable goût du risque que par quelconques idéaux, limites, repères, par l’amour de soi ou l’amour lui-même. Un trait souligné par le titre original – bien plus beau et porteur – To Live And Die In L.A. Le film est alors à envisager comme bien plus pessimiste et représentant la quête ef- frénée, mais un peu veine, d’un héros dans une ville portant en berne tout ce que Friedkin exècre de la société moderne. (Trente ans plus tard, rien n’a changé…) En pleine lumière et dans un flo- rilège de couleurs saturées de néons, ce sont les abysses des structures immorales (sociétales, humaines…) qui forment le monde que le film et les héros embrassent et auxquels ils finiront par ressembler quitte à en devenir détestables. A l’an zéro de ce projet cinématographique, il y a un livre (Gerald Petievich) qui aurait stimulé l’intérêt de Friedkin spécifiquement pour ces mouvements permanents entre l’intime ombrageux de ses personnages et le caractère colossal et quasi documentaire de son discours. (Impossible de ne pas penser au cinéma de Michael Mann qui fonctionne avec tant de génie par ce même systématisme). Bien loin de la commande (auxquelles le réalisateur est plutôt habitué), To Live And Die In L.A. conte la traque d’un faussaire par deux agents fédéraux que rien ne rassemble sinon cette chasse qui deviendra pour l’un d’eux une question de vengeance menant aux actions les plus immorales et aux plantages sans limites. Point alors une forme de nihilisme souvent pré- sente chez Friedkin et faisant du film un anti-modèle de thriller américain, qui pourtant en utilise – et en détourne – très régulièrement les codes. (Cf. la brillante scène de course poursuite à contre -sens des autoroutes dédaléennes de la cité des anges, ici, calcinée, la magnifique lumière de Robby Müller réinterprétant son travaille sur les lumières vénéneuses de L’Ami Américain de Wenders ou la musique pop de Wang Chung que Friedkin parvient à intégrer dans le corps même de son sujet…) Tous les intervenants carburent à la passion (jusqu’à l’obsession) et le film s’en ressent jusque dans sa forme, dans son rythme virevoltant mais surtout dans les interprétations privées de rete- nues de ses acteurs. William Petersen, insondable et manipulateur, ne laisse que la profondeur de son regard pour être jugé, John Pankow, sans charisme, incarne à lui seul le désintérêt inter- mittent qu’ont les personnages entre eux, Willem Dafoe, infernal, rend sa folie et son dévoue- ment à l’anéantissement le plus obscur presque touchant, John Turturro semble aussi perdu dans ses actes que détestable pour cette même raison… Toutes ces choses amènent le film à un point culminant de violence froide et directe, peut être l’unique manière de représenter sans cérémonie le profond pessimisme de ce cinéma de l’adéquation que de très rares artistes ose- raient encore mettre en images dans le Hollywood moderne affublé de manichéisme et d’une éternellement nouvelle forme de censure. Chez Friedkin les limites sont ténues et de mani- chéisme il n’y a guère, c’est donc de cette façon que les personnages finissent pas se ressem- bler, pourris mais compréhensibles, réels mais intangibles, irraisonnables mais méticuleux… To Live And Die In L.A. est donc une œuvre importante et l’un des plus beaux films de son réalisateur, une œuvre qui naît et meurt dans les flammes et brûlera en route les éphémères qu’elle aura frôlé, une œuvre qui embrasse – les lèvres barbouillées de venin – toute une image- rie du cinéma américain et jusqu’au coeur d’une structure fondée par et pour le profit financier et contre toute humanité, une oeuvre qui semblerait se demander à quoi bon ? Puisque par le feu peuvent périr : art, monnaie et quelconque forme de vie… Par Marilou Duponchel (le 5 janvier 2017)

Alors que Police Fédérale Los Angeles (1985), polar cynique de William Friedkin, ressort en salles en version restaurée, on a déniché dans sa passionnante autobiographie Fried- kin Connection, Les mémoires d’un cinéaste de légende, une amusante anecdote qui au- rait bien pu compromettre la réalisation du film. En 1985, quinze ans après le succès de French Connection (le film a reçu cinq Oscars), William Friedkin réalise Police Fédérale, Los Angeles, un thriller adapté du roman publié en 1984 To Live and Die in L.A. de Gerald Petievich, ex-agent secret devenu scénariste. Le film suit les mésaven- tures de Richard Chance, un flic écorché vif, obsédé par la traque d’un faussaire de billets nom- mé Rick Masters (Willem Dafoe, bien flippant) qui vient d’assassiner son coéquipier. Dans un Los Angeles rétro et délabré inondé de lumières fluo, la folie meurtrière contamine peu à peu le héros. Friedkin ne cesse de questionner la fine frontière qui sépare ses personnages ambiva- lents, des « agents secrets anticonformistes » et des criminels. Dans Friedkin Connection, Les mémoires d’un cinéaste de légende (éditions La Martinière, 2014), le réalisateur de L’exorciste consacre notamment un chapitre à Police Fédérale Los Angeles et y livre quelques réjouissantes anecdotes. On y apprend que Friedkin fit sortir de taule, avec l’aide de Petievich, un ancien faux-monnayeur pour qu’il lui enseigne le processus d’impression des faux billets. LE SALE GOSSE, LES FAUX BILLETS ET LE PROC’ Au début du film, c’est dans un grand hangar décrépi qu’apparaît pour la première fois le faux- monnayeur Rick Masters. Le faussaire au visage émacié s’affaire avec précaution à copier, cou- per et rassembler les billets factices. Dans un montage alerte, composé exclusivement de gros plans, Friedkin filme avec précision toutes les étapes du processus, du découpage à l’impression en masse des faux-billets, ensuite passés à la machine à laver pour leur donner un aspect vieilli. Pour cette séquence, l’équipe du film s’était alors procurée de véritable faux billets « imprimés seulement au verso ». Une pratique pas vraiment légale mais qui aurait pu passer inaperçue. C’était sans compter la bourde du fils de l’un « des mecs en charge des effets spéciaux », qui déroba quelques faux billets à son père pour se ravitailler en bonbons dans le supermarché du coin. Quelques minutes après le larcin, les agents des services secrets débarquaient sur place pour interroger le môme, qui a alors expliqué qu’il s’agissait de faux billets fabriqués dans le cadre d’un film. Plus tard, vers 4h du mat’, l’accessoiriste fut réveillé en sursaut par les mêmes agents et l’info a bien évidemment fini par remonter à Friedkin. Le lendemain, le procureur fédé- ral du District Central de Californie convoqua le cinéaste par téléphone pour l’interroger. C’est finalement grâce aux précieux et délicats conseils de Petievich, contacté la vieille (« C’est juste une bande de couilles molles qui ont lancé leurs filets à l’aveuglette. S’ils veulent te parler, dis- leur qu’ils doivent avoir un mandat »), que Friedkin pu sortir de cette affaire sans encombre. Après la sortie du film, on annonça aux infos que plusieurs personnes avaient tenté de fabriquer des faux billets après avoir vu le film. Interpellé par la nouvelle et sans se soucier de l’incident passé, Friedkin, fidèle à sa réputation de tête brûlée, réitéra l’expérience lui-même : « J’ai pris quelques-uns des billets de vingt dollars (…) je les ai fourrés dans mon portefeuille, et puis je les ai dépensés, dans des restaurants, auprès de cireurs de chaussures, et dans d’autres endroits. C’est dire à quel point ils étaient bien imités. » Par Charles Villalon (le 4 janvier 2017) ♥♥♥♥♥

À la vision de la première scène de Police Fédérale Los Angeles, on est frappé par son appa- rente actualité, qui pourrait expliquer sa ressortie en version restaurée par Splendor Films le 4 janvier. Sur fond de discours de campagne électorale, on y suit l’arrestation d’un terroriste isla- miste qui finit par se faire exploser. Situation dans l’air du temps. Qu’on ne s’y trompe pas pour autant, dès son générique, très eighties, et sa bande son à l’avenant, le polar de Friedkin appa- raît assez daté. Rien de surprenant à cela quand on sait que celui-ci avait confié lors de la sortie du film avoir voulu lui donné « le style unisexe typique des années 80 ». Ceci dit, daté ne signifie pas vieillot, et s’il est marqué par son époque et sa situation dans l’histoire du polar américain, il n’en est pas un simple produit. À bien des égards, To Live and Die in L.A. (son titre original) est le chant du cygne du polar naturaliste hollywoodien tel qu’il est né à la fin des années 60, avec des films comme Bullitt de Peter Yates (1968), ceux de Don Siegel comme Police sur la ville (1968) et le célèbre Inspecteur Harry (1971), ou encore le beau Les flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer, récemment ressorti en DVD. On y retrouve l’atmosphère violente des grandes métropoles, le flic solitaire mu par son désir de vengeance plus que par le sens de la justice… Friedkin, qui a lui-même participé à l’essor de cette mouvance en réalisant French Connection en 1971, truffe Police Fédérale Los Angeles de réminiscences des plus belles ré- ussites du genre, comme dans la superbe scène de course-poursuite – évoquant forcément celle de Bullitt – qui nous conduit sur le lit bétonné de la Los Angeles River où avait déambulé Lee Marvin dans Le Point de non-retour de John Boorman (1968). Mais s’il s’inscrit dans la conti- nuité du genre, il en marque aussi le point limite, annonçant par maints détails la fin d’une ère. De fait, si la figure du héros correspond aux archétypes du genre, celui du hors-la-loi en diffère sensiblement. Jusque-là, le gangster dans le cinéma américain était resté sans foi ni loi, une me- nace effrayante pour la société.

Ici, dès sa première apparition, Masters (Willem Dafoe, en grande forme) est présenté moins comme un criminel que comme un artisan. Son travail de faussaire nous est montré dans le dé- tail, étape par étape, comme une œuvre demandant un savoir-faire. On peut y voir l’amorce d’un virage qui amène dans les années 90, à nous présenter les gangsters comme des gens ordi- naires (cf. Pulp Fiction, entre autres). Si Police Fédéral Los Angeles est un point limite du po- lar naturaliste, c’est aussi parce que la tonalité du film policier mainstream se modifie au cours des années 80. On abandonne les ambiances réalistes et les héros taiseux pour des films d’ac- tion au second degré assumé, portés par des personnages dopés à la punchline cinglante. Ainsi, certains détails, sans valeurs particulières au moment de la sortie, témoignent aujourd’hui d’une mutation du cinéma américain. Revenons d’ailleurs à notre première scène pour y piocher un exemple. Richard Chance (William Petersen), le flic tête brûlée, a donc repéré un terroriste dans l’hôtel dont il assure la sécurité. Il est sur le point d’être tué quand son partenaire, qui est à quelques jours de la retraite, projette l’assaillant dans le vide juste avant l’explosion. S’asseyant pour reprendre ses esprits, celui-ci lâche alors « Je suis trop vieux pour ces conneries ». À l’époque de la sortie, cette phrase n’était rien d’autre que le témoignage d’un dur à cuire sur le retour, un cliché usité destiné à faire valoir son statut de héros fatigué. Mais c’est la dernière fois qu’une telle réplique est utilisée sans ironie. Deux ans plus tard, dans l’Arme Fatale (1987), cette même phrase prononcée par un autre officier prêt à prendre sa retraite, devient un gimmick co- mique. Ainsi, William Friedkin est pris entre deux feux, d’un côté cherchant à faire avancer les pions du polar naturaliste dans l’univers pop des années 80, de l’autre menacé par une récente vague de second degré qui désamorcerait l’enjeu dramatique de son film. Cela ne l’empêche pas de se tenir sur la crête et de livrer un polar très réussi, haletant de bout en bout… ou presque. Car cette réussite globale est mise à mal par un dénouement grotesque assez inexplicable. Ba- zardant in fine son sens de la mesure et la ferme tenue de son récit, il nous jette brusquement dans les dix dernières minutes trois scènes abracadabrantes dont on peine à comprendre si elles sont censées faire office de twist ou d’apogée. Si cette fin laisse un petit goût amer, elle n’ef- face pas ses indéniables qualités. POLICE FÉDÉRALE LOS ANGELES par Olivier Bitoun (le 5 janvier 2017)

Après avoir marqué définitivement le film policier des années 70 avec French Connec- tion, William Friedkinrécidive en 1985 avec LE polar des années 80. Film imprévisible, désespé- ré, To Live and die in L.A. (oublions le titre français) transfigure la vision esthétisante du chef opérateur Robby Müller par une noirceur absolue. Le film tire d’abord sa force de la tension entre ces deux pôles, faisant pleinement corps avec son sujet. Derrière l’apparat clinquant de Los An- geles, derrière le glamour du policier solitaire seul en lutte contre le crime, s’ouvrent des abîmes. La frontière entre le bien et le mal, crime et légalité, s’atténue jusqu’à devenir poreuse. L’un et l’autre se contaminent, les figures se mélangent. Porté par William Petersen, alors au début et au sommet de sa carrière (il tournera Le Sixième sens de Michael Mann l’année suivante), et un Willem Dafoe halluciné, le spectateur suit hagard cette descente aux enfers qui prend souvent une tournure fantastique malgré le réalisme du propos.

Tiré d’un roman autobiographique de Gerald Petievich, ancien agent des services spéciaux, adapté par Friedkin et l’auteur, To Live and Die in L.A. est d’une densité et d’une précision ma- niaque dans sa description des rouages du crime et de son pendant légal. Ce cadre permet au spectateur de se fondre dans le parcours de Richard Chance (nom bien ironique) et de com- prendre chacun de ses actes, même les plus absurdes de prime abord. Refusant toute leçon de morale, Friedkin suit les hommes, décortique leur comportement et leur motivation, met à nu leurs doutes et leurs erreurs. Et surtout, Friedkin ne fait pas une œuvre psychologique mais bien un polar palpitant, mené à cent à l’heure, qui reste trente ans plus tard un sommet du genre. Mais à l’image de sa célèbre course poursuite, qui nous fascine autant par sa maestria que par son virage quasiment onirique, To Live and Die in L.A. est avant tout une œuvre hors norme, portée par une véritable vision d’auteur. Un film innovant, parfois quasi expérimental, véri- table chef-d’œuvre du cinéma des années 80 à redécouvrir aujourd'hui en salle grâce à Splendor films ! POLICE FÉDÉRALE LOS ANGELES: REPRISE DU PLUS GRAND POLAR DES ANNÉES 80 ! Par Grégory Marouzé (le 3 janvier 2017)

Pour cette rentrée 2017, Toute La Culture revient sur une reprise incontournable, à voir et revoir toutes affaires cessantes : Police Fédérale Los Angeles ! Le polar culte de William Friedkin (The French Connection, L’Exorciste) ressort dans une copie numérique restaurée – supervisée par William Friedkin en personne ! -. Toute La Culture ne pouvait décidément pas passer à côté de la re- prise du plus grand polar des années 80 !

Lorsqu’il réalise Police Fédérale Los Angeles en 1985, William Friedkin n’est plus depuis bien long- temps le « Wonder Boy » célébré pour ses triomphes de The French Connection (1971) etL’Exor- ciste (1973). Ceux qui ont pu lire son étourdissante autobiographie (Friedkin Connection : Les mé- moires d’un cinéaste de légende aux Editions de La Martinière) savent à quel point Friedkin, étourdi par Oscars, récompenses, triomphes publics et critiques, est devenu imbuvable. Il le reconnaît lui- même avec beaucoup d’honnêteté: son melon est énorme ! Il est un artiste de génie, qu’aucun être humain n’est en droit de contrarier. Il est « Dieu » ! Sauf que « Dieu » va connaître une série de déconvenues. Sorcerer (titre français : Le Convoi de la peur) son interprétation du film de Clouzot Le Salaire de la peur – et adaptation du roman de Georges Arnaudau titre éponyme – sort en 1977 en pleine Star Wars mania. Le bide est absolu ! Le tournage de Sorcerer (infernal) s’est éternisé, le budget a explosé. Friedkin fut imbuvable sur toutes les étapes de fabrication du film – on n’est pas loin des futurs délires de Coppola sur Apocalypse Now (1979) et de Cimino sur La Porte du Paradis (1980). S’ensuivent pour William Friedkin une séries de fours monumentaux : Tête vides cherchent coffre- plein (1978) avec Peter Falk, Cruising (1980) polar sur fond de sadomasochisme homosexuel inter- prété par Pacino (tournage compliqué avec la Star et scandale des associations gay qui y voient un film homophobe), Le Coup du Siècle (1983) qui traite de l’Irangate et n’intéresse personne ! Bref, Friedkin est totalement largué, à la ramasse, plus personne ne veut de lui. Il est quasi déjà un paria. Et ce sera encore pire après la sortie de Police Fédérale Los Angeles ! C’est le producteur Irv Levin qui finance ce film, persuadé d’avoir commis une erreur monumentale en ne produisant pas The French Connection. Police Fédérale Los Angeles s’inspire de To Live and Die in L.A., roman autobiographique de Gerry Petievich, agent secret durant 19 ans, ayant protégé Présidents des Etats-Unis et poursuivi de faux- monnayeurs. De ce bouquin, Friedkin veut tirer un grand polar. Une référence qui sera aux années 80 ce qu’a été The French Connection pour les années 70 ! Mais comment y parvenir sans se répé- ter ? Le cinéaste opte pour un polar autant stylisé que The French Connection était réaliste, brut de décoffrage. N’oublions pas que les 80’s voient l’explosion des vidéos-clips, de la chaîne musicale MTV , que les yuppies sont rois, que Reagan est le maître du monde.

Forcément, le look des films et séries TV US s’en trouve bouleversé. Tout est plus clinquant. Michael Mann crée Miami Vice en 1984: série où les flics sont fringués en Giorgio Armani, habitent dans des lofts pharaoniques, et dont la BO est constituée des titres affreux de Phil Collins et autres fossoyeurs de la musique pop. La série marque tout de même durablement les esprits car son ton est révolu- tionnaire. En 1986, Mann signe le splendide Manhunter (première apparition de Hannibal Lecter au cinéma). On ne peut décemment plus tourner un polar en 1987 comme on le faisait en 1971. Cela, Friedkin l’a bien compris ! Il fait appel à Robby Müller – chef-opérateur autrichien de Wenders sur Paris Texas– afin de styliser l’image de Police Fédérale Los Angeles. William Friedkin engage le groupe britannique de Pop-New Wave Wang Chung pour signer la musique de son film. On peut sans doute voir dans ces choix de William Friedkin l’influence de Michael Mann. Il n’empêche : Friedkin réalise un polar et film noir qui ne ressemble à aucun autre ! Alors que ses camarades font tourner des Stars, le réalisateur engage deux acteurs peu connus pour incarner ses flics : William Petersen (qui sera aussi du Manhunter de Mann, et deviendra le Grissom des Experts) et son pote John Pankow. Côté méchant, c’est le vénéneux Willem Dafoe qu’on retrouve dans la peau de Rick Masters: faux-monnayeur magnétique du film (après le tournage, Friedkin s’est amusé à dépenser les faux billets utilisés par Dafoe). D’autres grands acteurs sont de la partie : Dean Stock- well et John Turturro ! Qu’est-ce qui différencie Police Fédérale Los Angeles des autres polars et en fait une pierre angu- laire du genre ? Si Police Fédérale ne rencontre aucun succès à l’époque de sa sortie et signe la mort artistique du cinéaste pour plusieurs années avant sa résurrection, il n’en demeure pas moins une expérience « traumatisante » pour les spectateurs qui le découvrent ! Déjà, le film contraste sa photographie lumineuse par une grande noirceur ! Un peu à l’opposé des Outrenoirs du peintre Pierre Soulages (qui fait naître la lumière de ses peintures charbonneuses), Friedkin fait surgir le noir de la lumière ! C’est assez neuf et révolutionnaire pour un polar de cette époque. Ça le demeure aujourd’hui ! Beaucoup de scènes d’ambiance et d’action de Police Fédérale Los Angeles sont diurnes, alors que la tradition du film noir impose depuis toujours des ambiances nocturnes. Une poursuite à pieds se déroule en pleine journée. Tout comme la poursuite en voitures d’antholo- gie du film (la plus grande de l’Histoire du cinéma?) qui surpasse celle – légendaire – de The French Connection (mais Friedkin aurait-il tourné Police Fédérale s’il n’y avait pas vu ce défi personnel?). Surtout, Friedkin impose dans son script un twist courageux, complètement barge, que nous ne dé- voilerons pas pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui n’ont pas vu le film. Quand on revoit Police Fédéraleaujourd’hui, on se dit que le Friedkin avait de sacrées « corones ». Tout comme ses produc- teurs ! On peut d’ailleurs voir dans ce retournement de situation incroyable, l’une des raisons de l’échec commercial du film au box-office… Pour son rythme, son intelligence, son culot, l’ambiguïté sexuelle de ses personnages, la force de sa mise en scène, la direction artistique de Lily Kilvert, la musique de Wang Chung, Police Fédérale Los Angeles s’impose comme le plus grand polar des années 80. Peu de films du genre (à part en 1992, le Heat de Michael Mann et L’Impasse de Brian De Palma en 1993) ont atteint une telle force ciné- matographique. Depuis, le grand Bill Friedkin est revenu aux affaires en signant les indispensables autant que déjan- tés Bug (2007) et Killer Joe (2012) ! Toujours vert, irrévérencieux et rock’n’roll, Friedkin annonce à 81 ans des séries dérivées de Police Fédérale Los Angeles et Killer Joe ! Aurant vous dire qu’à Toute La Culture, on en trépigne à l’avance. DigitalCiné

Par Sandy Gillet (le 7 janvier 2017)

Police Fédérale, Los Angeles est adapté du roman du même nom de Gerald Petievich qui était un ancien membre des services de renseignement américain reconverti en romancier et scéna- riste. De véritables ex-détenus ayant été condamnés pour trafic de fausse monnaie ont été engagés en tant que consultants sur Police Fédérale, Los Angeles et quelques agents de police ont contri- bué à l’élaboration de certaines scènes du film. Par ailleurs, les scènes de la prison ont été tour- nées dans le pénitencier de San Luis Obispo. Ce sont d’ailleurs de véritables détenus qui font of- fice de figurants. « Je voulais faire une scène de course-poursuite qui serait la pièce maîtresse du film. Pendant de nombreuses années, je me suis demandé ce que je pourrais faire pour surpasser la course- poursuite de French Connection. Pour Police Fédérale, Los Angeles elle se déroulerait à grande vitesse, à contre-sens sur une autoroute. » – William Friedkin in Friedkin Connection : Les Mémoires d’un cinéaste de légende (Édition de La Martinière) Avis express : Dernier très grand film signé Friedkin, Police Fédérale, Los Angeles est aussi quelque part une relecture de French Connection et surtout l’antithèse de la série Miami Vice qui cartonnait à l’époque. Mais qu’il serait bien malaisé de réduire Police Fédérale, Los Angeles à cet incipit forcément réconfortant pour qui aime ranger et caser. Car Police Fédérale, Los Angeles c’est d’abord un film qui s’inscrit à la fois dans les années 80 tout en s’en désolida- risant d’une façon exemplaire. Cinéaste des années 70, Friedkin regarde la nouvelle décennie avec une certaine morgue doublée d’un viol caractérisé. Ce que n’est rien d’autre au final ce Police Fédérale, Los Angeles, un produit un peu mutant reprenant ce qui avait fait le succès de French Connection certes (mise en scène minérale, acteurs inconnus, course-poursuite en- core plus spectaculaire) tout en y mixant des ingrédients plus dans l’air du temps tels que cette musique pop signée Wang Chung ou encore cette photo un brin pubarde censée être le miroir d’une ville artificielle et anxiogène. Et puis Friedkin n’oublie pas de nous balancer à nouveau quelques unes de ses thématiques récurrentes comme la quête obsessionnelle qui peut aller jus- qu’à l’autodestruction et l’échec qui va avec. Les personnages ne sont ainsi jamais tout blancs ou tout noirs. En cela celui joué par Willem Dafoe, le faussaire Rick Masters, est juste exceptionnel. Perfectionniste jusqu’au-boutiste, artiste peintre brûlant systématiquement ses toiles une fois ter- minées, impitoyable pour qui se met sur son chemin, ayant toujours un coup d’avance, Il est le héros friedkinnien par excellence qui fascine tout autant qu’il rebute. Pour tout cela, Police Fédé- rale, Los Angeles n’a rien perdu de sa force et de son pouvoir de fascination. Depuis, Fried- kin n’a jamais pu faire mieux même si chacune de ses nouvelles réalisations demeurent sans conteste un événement en soi. 4,5/5 – SG