Musée Carnets Catalogue des dessins vol. 1

III Musée Picasso

Carnets

Catalogue des dessins vol. 1

par Brigitte Léal Conservateur au musée Picasso

Réunion des Musées Nationaux Couverture: Buste de femme accoudée, 1922 Fusain MP. 1868; cat. 24, f° 9 R°

ISBN: 2-7118-3153-1 (édition complète) 2-7118-3309-7 (volume 1) SS.00.3309 (vol. 1) @ Éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1996 49, rue Étienne-Marcel, 75001 Paris ©Succession Picasso, Paris, 1996 Sommaire

7 Avertissement Références aux catalogues 9 Introduction 17 Planches couleurs 33 Le carnet de Barcelone (cat. 1) 51 Les carnets parisiens (cat. 2 et 3) 75 Les carnets de la période rose (cat. 4 à 6) 110 Les carnets des Demoiselles d'Avignon (cat. 7 à 13) 192 Les carnets cubistes (cat. 14 à 18) 249 Les carnets italiens et espagnols (cat. 19 à 21) 287 Les carnets classiques (cat. 22 à 26) 341 Les carnets de (cat. 27 à 29) Remerciements Je dois d'abord exprimer ma reconnaissance à mes collègues du musée Picasso, Gérard Régnier, Hélène Seckel, Anne Baldassari, Dominique Dupuis-Labbé, ainsi qu'à Colette Giraudon, Jeanne-Yvette Sudour, Véronique Balu et Paule Mazouet. À la Réunion des musées nationaux, j'ai pu constamment compter sur la collaboration de Yolande Manzano, Caroline de Lambertye, Michèle Bellot et Jean Schormans ainsi que, de leur côté, de Bruno Pfaffli et Marie-Hélène Granjon. Enfin, Claire Marchandise et Marie-Louise Sasia m'ont apporté une aide déterminante dans la réalisation de ce catalogue. Que soient chaleureusement remerciés aussi les personnalités, collègues et amis dont le soutien ne m'a jamais fait défaut: Brigitte Baer, Henri de Beaumont, Marie-Laure Bernadac, André Berne-Joffroy, Pierre Bérès, Ernst Beyeler, Irène Bizot, Milton Blay, Maria Bohusz, Judith Cousins, Michel Decaudin, Marie-Noëlle Delorme, Isabel de Falla, Evelyne Ferlay, Michael Fitzgerald, Yves de Fontbrune, Arnold et Marc Glimcher, John Golding, Catherine Hutin-Blay, Maurice Jardot, Pepe Karmel, Jan Krugier, Claude Laugier, Quentin Laurens, Brigitte Level, Jacques L'Hoir, Alexander Liberman, Olga Makhroff, Anne de Margerie, Isabelle Monod-Fontaine, Maria Teresa Ocana, Roberto Otero, Josep Palau i Fabre, Alexandra Parigoris, Yann Pelée de Saint-Maurice, Jorge de Persia, Bernard Picasso, Claude et Sydney Picasso, , Maya Picasso, , Peter Read, Michèle Richet, Dominique Sennelier, Werner Spies, Michael Stone-Richards, Gerrit Valk, Ornella Volta, Jean Wattelet. A special thank for: Elizabeth Cowling et Michael Burry, Ruth Rattenbury et Anthony, Gertje et Gerrik Utley. Avertissement

Les carnets sont classés par ordre chronologique et Une notice technique globale suit le numéro du cata- regroupés en ensembles historiques précédés d'une logue avec les abréviations: introduction. Bibl.: bibliographie de référence Les datations et les localisations globales tiennent compte Cat. : catalogue des dates et des indications manuscrites autographes Coll.: collection portées sur les carnets mais aussi de celles octroyées par Exp.: exposition les ouvrages de référence, essentiellement par Zervos. H.: hauteur (en cm) Les datations entre crochets (date et lieu d'exécution) H ist. : historique sont des propositions de l'auteur fondées sur des appré- Inv. M.P.: numéro d'inventaire du musée Picasso ciations stylistiques et matérielles. Inv. succ.: numéro d'inventaire de la succession Picasso L.: largeur (en cm) Tous les feuillets sont reproduits, y compris les couver- tures, à l'exception des pages vierges ou seulement La bibliographie générale et l'index sont portés à la fin datées, et de celles dont la dégradation ou la reliure du volume 2. prohibaient toute prise de vue photographique. Les dessins exécutés à l'envers sur les carnets sont signalés par la mention («à l'envers ») portée sous les titres dans Références aux catalogues les notices et sous les images elles-mêmes. Cooper Cooper, Douglas, Picasso Théâtre, Paris, Sont mentionnés et distingués les pages blanches, les éditions Cercle d'Art, 1967. feuillets arrachés ou manquants, les pages et les feuillets D.B. Daix, Pierre, et Boudaille, Georges, Picasso volants (dans ce cas, l'information n'est pas répétée 1900-1906, catalogue raisonné de l'œuvre au verso). peint, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1966. D.R. Daix, Pierre, et Rosselet, Joan, Le Cubisme de Les inscriptions qui sont de la main de l'artiste Picasso, catalogue raisonné de l'œuvre peint sont portées en italique et respectent son orthographe. 1907-1916, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1979. Celles qui sont écrites en espagnol sont traduites en Glimcher Glimcher, Arnold, et Glimcher, Marc, Je suis français, entre parenthèses. le cahier, les carnets de Picasso, Paris, Bernard Grasset, 1986. Abréviations: P.i.F. [1] Palau i Fabre, Josep, Picasso vivant 1881-1907, Paris, Albin Michel, 1981. b. : en bas P.i.F. [II] Palau i Fabre, Josep, Picasso vivant 1907-1917, d.: daté Paris, Albin Michel, 1990. dr. : à droite T.l.o.p.(ll) Tout l'œuvre peint de Picasso 1907-1916, g.: à gauche Paris, Flammarion, 1977. h.: en haut S. Spies, Werner, Picasso, das plastische Werk inscr.: inscription (catalogue des sculptures en collaboration m. : au milieu avec Christine Piot), Stuttgart, Verlag Gerd n°: numéroté Hatje, 1983. s.: signé Z. Zervos, Christian, , Paris, éditions Cahiers d'Art (vol. 1, 1932, à vol. XXXIII, 1978). Celles qui ne sont manifestement pas de la main de l'artiste sont qualifiées d'annotations, avec l'abréviation: annot. Les indications de couleurs sur les dessins sont relevées in extenso quand le sens le justifie, précédées de l'abré- . viation: indic. de couleurs.

Introduction

« Vos albums me troublent encore, et leur souvenir me poursuit. Quel merveilleux artiste vous êtes ! » (Erik Satie à Picasso, le 10 octobre 19181)

Lorsque le musée Picasso ouvrit ses portes en 1985, grande fut la surprise du public devant le nombre d'œuvres présentées pour la première fois, alors que l'on pouvait légitimement penser que plus rien d'important ne restait à découvrir dans la pro- duction de l'artiste le plus connu du xxe siècle. En effet son œuvre avait bénéficié très tôt d'une diffusion et d'une publicité sans précédent, et avait eu la chance, excep- tionnelle, concernant un artiste vivant, d'être l'objet d'un travail de catalogage exemplaire, réalisé par les meilleurs spécialistes. Pourtant, le mentor du musée Picasso, Dominique Bozo, ne s'était pas fait faute de rappeler, dans son introduction au premier catalogue du musée, la stupéfaction des experts à l'ouverture de ces fabuleuses « cavernes d'Ali Baba » constituées par les ateliers de Picasso, regorgeant de quantité de trésors encore inconnus. La révélation majeure ne vint pas pour autant des quelques chefs-d'œuvre igno- rés, qui y gisaient encore, mais surgit de la fouille systématique des fonds d'ateliers qui firent le bonheur des spécialistes. Ils y dénichèrent des pièces charnières occul- tées et les jalons manquants, dont l'apparition inopinée entraîna la révision de la plupart des catalogues de son œuvre2. Une autre mine d'or y était stockée sous forme de liasses de documents de natures diverses (archives personnelles, manus- crits, photographies, etc.) dont l'exploitation progressive allait ouvrir de nouveaux champs de recherches, totalement insoupçonnés parfois, qui sont en train de boule- verser très sensiblement la connaissance que nous avions de cette œuvre3. Et les carnets, dans cette manne? Les responsables de l'inventaire de la succession en retrouvèrent cent cinquante-huit, de toutes les époques (entre 1894 et 1967), y compris donc, trois de la période des débuts que l'on pensait avoir été entièrement reversée par Picasso, en 1970, au musée de Barcelone. S'ils reconnurent, dans la majorité d'entre eux, des albums antérieurement publiés par Zervos, leur désappoin- tement, face à l'absence d'un bon nombre d'unités alignées par lui et qui auraient dû réapparaître à cette occasion, fut largement compensé par l'émergence d'objets dont personne n'avait jamais soupçonné l'existence4.Ce fonds fut réparti entre les héritiers de l'artiste et le musée Picasso, qui s'en réserva trente-deux. Conseillé par des experts comme J. Leymarie ou P. Daix, D. Bozo choisit judicieu- sement, au détriment parfois de morceaux prestigieux mais isolés ou moins détermi- nants, de regrouper, sur pratiquement toute la carrière de Picasso, des ensembles fondamentaux du point de vue historique et génétique et significatifs de ses recherches dans tous les domaines. Négligeant les prémisses qu'il estimait, à juste titre, amplement évoquées à Barcelone, il décida, pour des raisons tant sentimentales que symboliques, d'ouvrir le corpus muséal par un carnet parisien (vol. 1, cat. 2), manifestement créé sous le choc de la découverte de la capitale et de ses peintres. Par contre, la période rose étant sous-représentée dans les collections françaises, trois albums de 1905-1906 (vol. 1, cat. 5 à 7), furent pris en bloc, tant pour leur rôle pivot dans la réalisation des Saltimbanques de Washington, que pour leur arrière-plan littéraire (entre Verlaine et Apollinaire) et leur prolongement sur la période suivante. Sélection heureuse aussi, celle des cinq carnets des Demoiselles d'Avignon (vol. 1, cat. 7 à 11), sur les treize repérés dans la succession, intelligemment ciblée, non seu- lement sur le morceau de choix de l'indispensable carnet du printemps de 1907 (vol. 1, cat. 9), qui fait toute la lumière sur l'évolution spectaculaire et la signification réelle du tableau, mais aussi sur les deux pièces initiales (vol. 1, cat. 7 et 8) insépa- rables du lot de dessins, à plus grande échelle, et des peintures annexes également prises pour le musée et le cahier de brouillon final (vol. 1, cat. 11) qui opère la tran- sition avec les recherches de 1908 menées autour du prototype du Nu à la draperie. Curieusement, la période cubiste, dont le caractère expérimental et polymorphe semblait justifier l'usage de carnets de travail, s'est révélée au contraire quantitati- vement décevante dans ce domaine. Là encore, les options se sont fixées sur les documents fondamentaux, comme ceux du bloc-notes dépareillé de 1908 (vol. 1, cat. 15), riche de tous les projets postcézanniens alors en germe qui déboucheront sur le cycle des figures monumentales, pour la plupart conservées en Russie, et des natures mortes à prétention allégorique de 1909. Faut-il rappeler la portée histo- rique des deux autres albums retenus (vol. 1, cat. 16 et 17), réalisés aux dates cru- ciales de 1912 et 1913, dans les deux villes «cultes» du cubisme, Sorgues et Céret? Ils avaient été repérés de longue date par les spécialistes comme les preuves irréfu- tables de la découverte de l'art nègre et de l'invention des papiers collés par Braque et Picass05. Sur la période classique, au contraire particulièrement féconde (Glimcher en recense vingt-sept entre 1917 et 1924), il fallut se résoudre à retrancher la majorité des objets convoités, en raison du caractère privé, voire familial, de bon nombre d'entre eux, qui les rendait particulièrement chers à certains héritiers de l'artiste (c'était le cas du carnet réalisé à Dinard en 1922 [Glimcher 75], recelant les études pour l'admirable Famille au bord de la mer [M.P. 80] totalement inédite jusqu'en 1985 et soustraite, par contre, pour le musée). Restaient deux temps forts, indispensables à l'appréciation de l'époque, respecti- vement couverts par les deux carnets de théâtre (vol. 1, cat. 19 et 20) rapportés d'Espagne et d'Italie, gonflés de documents, dont l'importance ne passera pas inaperçue, constitués de cartes postales napolitaines utilisées comme points de départ du rideau de et du spectacle de et d'un unique recueil pro- prement classique (vol. 1, cat. 15). Il constitue à la fois le fleuron et la quintessence du phénomène, en mêlant sous forme de pastiches et de trompe-l'œil servis par des techniques appropriées, comme la sanguine, prototypes de statuaire antique, scéna- rios poussinesques et ambitions secrètement autobiographiques, allant des Femmes à la fontaine de 1921 à La Flûte de Pan de 1923. La portée emblématique du travail de Picasso sur Le Chef-d'œuvre inconnu de Balzac n'avait pas échappé à l'œil de l'expert qui eut à cœur de recueillir quatre des six carnets liés à l'illustration du roman (vol. 2, cat. 30 à 33), commandée par Vollard. Ensemble d'une homogénéité rare, remarquable par son propos et ses formes, exclu- sivement vouées au noir et blanc et agencées, de façon tout à fait exceptionnelle chez Picasso, selon des principes abstraits, où seules comptent l'organisation des lignes, la répartition rythmique des surfaces et la répétition systématique des mêmes modules. Aventure sans lendemain, abandonnée au profit de recherches hâtivement qualifiées de surréalistes, représentées dans le premier fonds pan trois albums de 1927-1929 (vol. 2, cat. 34, 35 et 38) effectivement hantés par des apparitions, mons- trueuses, à fortes connotations sexuelles, et d'autant plus troublantes qu'elles se livrent à des occupations terriblement humaines (courir, dormir, rêver, nager, ouvrir des cabines de bain). Il faudra toute la perspicacité de W. Spies, M. Fitzgerald, puis de P. Read pour les assimiler aux gigantesques projets de monuments liés ou dérivés de la malheureuse commande à la mémoire de Guillaume Apollinaire. À cette date, aucun autre carnet, spécifiquement consacré à son œuvre de sculp- teur, n'avait encore rejoint la collection où la présence des grands plâtres de Boisgeloup ainsi que des tôles de la fin, par exemple, faisait d'autant plus regretter l'absence de repères correspondants6. Par contre, des lacunes irremplaçables du fonds, sur les années trente et qua- rante, oblitéré à jamais par l'absence de , la Pêche de nuit à Antibes ou la Femme se coiffant de 1940, sans parler des plus fameux portraits « expressionnistes» contemporains, sont rattrapées par les quatre carnets de Royan (vol. 2, cat. 43 à 46) où percent toutes les avancées nouvelles: investissement dans l'écriture, renouvelle- ment du travail sur le nu, usage symbolique du visage de et début de la reconquête de l'héritage des maîtres. Si l'engagement politique qui fut, qu'on le veuille ou non, l'un des vecteurs déci- sifs de sa popularité, n'affleure ici timidement que par le biais de trois exemples: un des trois carnets - il faut le dire, intégralement publiés en 1954 par Claude Roy -, de La Guerre et La Paix (vol. 2, cat. 48) et deux des recueils entrepris dans la perspective de La Chute d'Icare de l'Unesco (vol. 2, cat. 52 et 53); on regrettera qu'un seul carnet d'études d'après Le Déjeuner sur l'herbe de Manet (vol. 2, cat. 50) - l'une de ses prin- cipales œuvres de référence sa vie durant - n'ait pu rejoindre les collections natio- nales, alors que l'ensemble en compte au moins quatre autres, contemporains des peintures (1962) et plus significatifs de la portée de son travail de «copiste». Par contre, le sens et le cheminement de ses paraphrases des Femmes d'Alger de Delacroix sont parfaitement retracés par le premier carnet à s'y intéresser, en 1940 (vol. 2, cat. 45) et le second (vol. 2, cat. 51) qui incarne ses retrouvailles, quatorze ans plus tard, avec un tableau redécouvert à la lueur du choc causé par la disparition de Matisse, autre champion des odalisques, et l'éveil d'un nouvel amour, en qui il a reconnu le modèle absolu, dont la figure va dominer toute sa création, carnets com- pris, jusqu'à la fin. Le modèle, recherché et redouté, avec lequel le peintre s'empoigne désespéré- ment dans le secret de l'atelier, est le motif central des pages de l'ultime carnet col- lecté dans la première succession, l'album aux couleurs incandescentes de 1963 (vol. 2, cat. 56) dont la couverture porte la fameuse formule sibylline qui clôt magni- fiquement tout le corpus: « La peinture est plus forte que moi, elle me fait faire ce qu'elle veut. » Dès la création du musée Picasso en 1985, la publication d'un catalogue spécifi- quement consacré à l'étude des trente-deux carnets avait été envisagée. Il devait prendre la suite des deux premiers volumes, voués au reste de la collection, publiés en 1985 et 1987. La disparition de Picasso en 1986 et la seconde dation qui s'ensuivit repoussèrent, par la force des choses, le projet déjà engagé par nos soins qui se vit subitement grossi de l'apport de quelque vingt-quatre carnets sup- plémentaires, également répartis équitablement sur l'ensemble de son œuvre, enre- gistrés dans la dation de 1990. Une véritable aubaine, d'autant que l'héritière de Jacqueline fit, de son propre chef, un choix particulièrement sagace. Elle s'attacha à combler les lacunes les plus criantes du premier gisement concernant particulièrement la période classique, désormais considérable, avec quatre pièces nouvelles (vol. 1, cat. 22, 23, 25, 26) et les dernières années, maintenant jalonnées jusqu'à la fin. Elle pensa aussi à renforcer par des ajouts décisifs les ensembles historiques déjà constitués, frayant la voie à une œuvre (dont celui des Demoiselles d'Avignon, forts de deux compléments capitaux sur son achèvement et le rebondissement final [vol. 1, cat. 12 et 13]) ou celui gravi- tant autour du Monument à Apollinaire, qui, ainsi enrichi de trois carnets exception- nels (vol. 2, cat. 36, 37 et 39), y compris le calepin inédit réalisé de concert avec Gonzalez, devient le corpus de référence absolu dans le domaine. Elle n'hésita pas, pour ce faire, à repêcher des œuvres ignorées de l'inventaire de la première succes- sion, dont la résurrection inattendue fut d'autant plus bienvenue qu'il s'agissait sou- vent d'objets absolument inconnus! Six au total, dont on ne s'explique pas l'enfouis- sement, qui font que le corpus rénové des carnets du musée s'ouvre et se referme sur des témoignages nouveaux du génie de l'artiste. Nul ne sait pourquoi il avait jugé bon de conserver ce vieux registre de Barcelone (vol. 1, cat. 1), souvenir des Quatre Gats de sa jeunesse, qu'il avait pourtant délesté, un jour, de plusieurs pages. On ignore aussi les raisons de la mise au secret du grand calepin de 1921 (vol. 1, cat. 23) gorgé d'exercices tributaires à la fois du cubisme et du classicisme. Et faut-il invoquer la malice ou l'indifférence dans son oubli à signaler à son ami Douglas Cooper, gérant de son œuvre théâtrale, le trio des carnets de Mercure (vol. 1, cat. 24 à 26), pourtant quasi uniques témoignages du spectacle? On eût regretté aussi l'absence du dernier carnet, de 1966 (vol. 2, cat. 58), rempli à ras bord de caricatures hilarantes dessinées avec un brio inouï, qui témoignent d'une vitalité et d'un talent inaltérés jusqu'à la fin. Curieux destin que celui de ces carnets ! Quand ils furent exhumés après la dispa- rition de Picasso, cela apparut comme une découverte et un événement tels, qu'une tournée internationale présentant les trésors de trois de ses héritiers fut rapidement montée et rencontra un vif succès de curiosité, tandis qu'un luxueux ouvrage se don- nant des airs de catalogue - d'ailleurs rédigé à partir des fiches d'inventaire de la succession - était hâtivement dressé7. Il recensait cent soixante-quinze numéros échelonnés entre 1894 et 1967 et regroupant, sans d'ailleurs le spécifier, les dix-sept albums gardés à Barcelone, les cent vingt-cinq divisés entre les sept collections issues du partage et le lot échu au musée Picasso8. Il faut voir dans cet engouement les conséquences d'un intérêt récent pour la genèse artistique avec ses brouillons - la critique littéraire parle plus volontiers «d'avant-texte» - et ses rhyzomes révélateurs des processus créatifs. La considéra- tion pour la fabrique - on aimerait appliquer ici à Picasso le mot, trouvé par Deleuze et Guattari à propos du Château de Kafka, le «terriers de l'œuvre avec « ses entrées multiples», «ses lois d'usage et de distribution9» - l'emportant sur le résultat. Pourtant Picasso n'avait jamais cherché à dissimuler leur existence puisque, à l'ex- ception des quelques cas que nous avons évoqués, ils furent, à l'instar des peintures ou des autres dessins, photographiés et répertoriés par Zervos qui, pour des raisons de mise en pages, omit malencontreusement quelquefois de les reproduire dans l'ordre, et intégralement. Par contre, il en signale un bon nombre, jamais récupérés à ce jour et probablement démontés et dispersés feuille par feuille. Par ailleurs, si Picasso ne s'est jamais soucié de prêter les survivants à des expositions, preuve indis- cutable qu'il les considérait comme relevant exclusivement de la machinerie interne et, à fortiori, plus secrète de son œuvre, il existe trace de preuves, documents ou témoignages qui en font état, bien que de façon rare et ponctuelle. Énumérons dans l'ordre: Gonzalez, seul collaborateur, témoin du travail dessiné préalable à la mise au point des sculptures en fer de 1928-1930 (vol. 2, p. 80, note 22); Sabartès, seul observateur à décrire Picasso aux prises avec l'écriture et le souvenir des œuvres res- tées achevées à Royan (vol. 2, p. 142); Man Ray, seul modèle à se rappeler avoir posé pour un portrait dessiné dans un carnet10; Alexander Liberman, seul photographe admis à saisir le prodige de la création sur le vif, en 1954, à Vallauris (vol. 2, p. 241, fig. 34 et 35); Roberto Otero, seul complice du regard de deux géants de l'histoire espagnole, dirigé vers un Ingres, revu par Picasso, dans notre carnet de 1966 (vol. 2, p. 281, fig. 48). D'autres raisons, d'ordre strictement professionnel, ont pu le forcer à dévoiler ses carnets. La fonction des carnets de théâtre jouant les rôles de brouillons, carnets d'adresses et journaux de bord, manifestement toujours glissés dans une poche (celui de Barcelone est plié en deux à force d'avoir été manipulé) et toujours prêts à l'emploi, supposent qu'ils ont été utilisés en public, au moins pendant les répétitions, au vu des membres du cercle des Ballets russes. D'ailleurs, s'ils déchaînèrent l'en- thousiasme de Satie, ils firent l'affaire de Cocteau, qui plagie sans vergogne dans son propre «carnet romain» les dessins de Parade, originellement tracés sur des pages de carnets et les croquis érotiques du calepin italien (vol. 1, cat. 19 et p. 253, note 14). De même, on se rappelle que le tristement célèbre Comité Apollinaire découvrit, non sans effroi, les premières esquisses du monument dans un des deux albums de baigneuses de 1927 (vol. 2), tout comme il est certain que les dessins des carnets liés au Chef-d'œuvre inconnu de Balzac étaient des propositions soumises avant repro- duction à l'approbation de Vollard (vol. 2). Enfin, Picasso choisit lui-même de donner à certains albums la chance d'une «seconde vie» à la fois publique et de l'ordre du multiple en autorisant d'une part des éditeurs amis (Zervos, pour Cahiers d'Art en 1948, Berggruen pour son compte en 1958, Charles Feld pour Cercle d'Art en 1959, le spécialiste Jacomet en 1962 et, pour finir, le Barcelonais Gustavo Gili entre 1963 et 1976), à réaliser des fac-similés, préfacés par les complices habituels (Cooper, Sabartès, Duhamel) et d'autant plus précieux quand l'original disparaît corps et biens (carnet dit de « La Californie »). Il laissa, d'autre part, ses meilleurs exégètes reproduire des ensemble complets de carnets dans le cadre de monographies solidement documentées. Claude Roy ouvrit le jeu avec les trois albums préparatoires à La Guerre et La Paix intégralement pho- tographiés en 1954, suivis, en 1961, par Sabartès (A los Toros avec Picasso) et L. M. Dominguin (), qui révèlent des recueils disparus et Cooper, un an plus tard, dont Les Déjeuners répertorie à peu près tous les carnets inspirés par Le Déjeuner sur l'herbe de Manet, sauf ceux retrouvés dans la succession! Enfin, en 1971 et 1972, Gaëtan Picon et Jean Leymarie unirent leur savoir sur l'ensemble de La Chute d'Icare de l'Unesco. Ces dernières années, la multiplication des expositions largement axées sur les carnets (le groupe des Demoiselles d'Avignon fut le point de mire de la manifesta- tion de 1985 et ceux de la seconde dation le clou du rassemblement de 1990 au Grand Palais) ou même, exclusivement consacrées à eux («Je suis le cahier» aux Arts décoratifs en 1987), marquées par le déploiement intégral de certaines pièces («Wege zur Skulptur» centrée sur deux albums de 1928 également brisés et dérou- lés"), ont eu, en raison de leur succès, des répercussions considérables sur le marché; elles ont entraîné une spéculation croissante aux dépens de l'intégrité des objets et le surgissement d'éléments ignorés ou portés disparus (à l'instar du calepin de 1951 dédicacé à F. Gilot, acquis par le musée en 1992, cat. 47) dont on voit, au fil des ventes, les pages s'éparpiller inexorablement (cas d'un carnet de 1900 exposé en feuilles à Paris en 198511 et d'un autre, de 1950, dont des études consacrées aux sculptures de l'époque, circulent13). La contrepartie positive est le renouvellement indéniable de la recherche dont le reclassement, au moins théorique, de certaines pages isolées au sein de leur carnet d'origine14. Ces résurrections posent encore le problème du nombre exact des carnets réali- sés, en dehors de ceux officiellement pointés par Zervos, dans la mesure où il existe des trésors privés, offerts aux proches, totalement soustraits aux regards et que Picasso en détruira lui-même volontairement (Glimcher affirme, par exemple, que la rareté des carnets après 1964 correspond à un désir personnel de Picasso de fournir Kahnweiler en dessins au détriment des carnets, si besoin était'5). Ce phénomène de destruction, amputation et tri, tendrait à rendre la frontière entre carnets propre- ment dits et séries de dessins indépendants, dérisoires, voire caducs. Ce serait oublier que les carnets ne valent pas seulement pour les dessins qu'ils contiennent mais pour la masse d'informations que leur aspect, leur constitution et leur utilisation nous apportent sur les mécanismes de l'œuvre et de l'artiste. Leur aspect même induit un premier classement qui sera d'ordre typologique, articulant entre elles différences matérielles, fonctionnelles et référentielles, préa- lables à toute analyse des contenus qu'elles déterminent largement. Étant donné la réputation de « bricoleur » invétéré de Picasso, la diversité et l'ori- ginalité des objets faisant office de carnets ne surprendra guère. Sans s'attarder sur les catégories traditionnelles, qu'il ne lâchera d'ailleurs jamais, comme les classiques carnets à l'italienne de taille variable, munis de porte-crayon et d'élastiques ou les albums espagnols doublés de cuir à tranches dorées (vol. 1, cat. 21), les beaux spéci- mens reliés de noir ou de papier nuageux et garnis de papier Ingres, de chez Sennelier où il avait ses habitudes, on observe, à la fin de sa vie, des changements radicaux, en faveur des grands cahiers à spirale, ou des cas singuliers dont l'origine demeure parfois inexplicable. On repère ici ou là des objets détournés de leur fonc- tion, parasités par dérision et par jeu avec les fonds préalablement remplis dans le cas du livre de comptes de Barcelone (vol. 1, cat. 1), dont les dessins sortent gagnants, alors qu'ils ignorent l'impeccable géométrie des pages du livret des assu- rances l'Abeille (vol. 1, cat. 14) sans doute remarqué uniquement pour sa jolie cou- verture. Gageons enfin que le caractère luxueux de l'épais album de Gôsol (vol. 1, cat. 6), garni d'un fermoir doré, qui était certainement un bréviaire ou un livre d'heures, ou du recueil précieux de 1919 (cat. 22) dont la couverture est tendue de peau ivoire harnachée de liens chamois et les pages dentelées rugueuses et cra- quantes comme celles d'un vieux parchemin, a dû lui paraître particulièrement approprié à la délicatesse et au raffinement des gouaches et des aquarelles dont il les a décorées. Impossible, en effet, de nier l'impact du support et de son format sur le dessin lui- même. Ainsi, la taille monumentale du carnet de Royan édité par Zervos (vol. 2, cat. 46) valorise incontestablement les formes et explique le recours à des techniques picturales qui en rehaussent encore la beauté. Il joue de même de l'étendue des grandes pages blanches du carnet d'Antibes de 1923 (vol. 1, cat. 26) amplifiant les gros plans et la mobilité des nus en liberté et de celles des carnets à spirale de la fin qui facilite l'expansion démesurée des nus au crayon (vol. 2, cat. 55). Par contre, le choix d'une petite taille peut être symptomatique du journal intime (le cahier de poèmes de Françoise, vol. 2, cat. 47) du recueil d'idées, hétérogènes déversées pêle- mêle sur le papier (vol. 1, cat. 23). Minuscules aussi sont les carnets laboratoires cubistes où la construction prime sur l'observation (vol. 1, cat. 16 et 17). Formats et fonction d'usage sont également inséparables. En voyage, le carnet anglais très plat, apprécié depuis le «Grand Tour», s'impose d'abord (vol. 1, cat. 5) avant d'être supplanté par l'achat sur place (schoetsboek hollandais de 1905, calepin ou rutilant album du Bazar de Los Andaluces de Barcelone en 1917). Transportables et pratiques, les petits carnets font office d'ateliers de poche, toujours prêts à cueillir au vol idées et suggestions (vol. 1, cat. 3 et 23); lieux de la vitesse et de l'inachevé, contaminés par les hasards du quotidien qui les renflouent de notes internes et de documents annexes, extra artistiques (rendez-vous, adresses, billets doux ou profes- sionnels, pense-bête, photographies et souvenirs divers) leur octroyant le double sta- tut de journaux de bord et de journaux intimes (vol. 1, cat. 13). Une multiplicité de services qui est loin d'être exceptionnelle et témoigne de la difficulté à établir une typologie fonctionnelle pertinente des carnets. Si l'on peut considérer que la majorité d'entre eux assume le rôle traditionnel de carnet d'idées ébranlant leur cohérence sans forcément nuire à leur homogénéité. En effet, même dans les ensembles les plus limpides, montés autour d'un projet déterminé d'avance (groupe des Demoiselles d'Avignon ou de Mercure), on trouvera moult écarts, d'ordre privé ou fonctionnel, ou de percées dans d'autres domaines trahissant une utilisation irrégulière, sporadique, transversale. Dès le début, les frontières sont floues et ambiguës: les carnets parisiens (vol. 1, cat. 2 et 3), engrangent en vrac du matériel pris sur le vif dans la rue et mis en mémoire alors que le registre de Barcelone (cat. 1), également ambulant et attrape- tout, thésaurise aussi un stock d'esquisses plus abouties, servant de prototypes préa- lables aux portraits des Quatre Gats. Les carnets de la période rose (vol. 1, cat. 4 à 6) font également double emploi: carnets de voyage et d'idées, alternativement nomades et sédentaires, ils collectent notes de reportage, essais de personnages et embryons de scénarios qui vont, viennent, et se croisent en gonflant les projets de peintures et de sculptures contemporaines. Le fonctionnement «intra muros» des carnets favorise inéluctablement le processus d'autocitation, de palingénésie et de recyclage de ses propres œuvres: on n'en finirait pas d'énumérer les post-scriptum ou les répliques plus ou moins déguisées des compositions ou des figures les plus connues de son répertoire, piochées à intervalles réguliers. Il partira, par exemple, pour parler du cas le plus prestigieux, du filon des Femmes à la fontaine de 1921 (vol. 1, cat. 25) avant de tester toutes les pistes envisageables à la formation de la Flûte de Pan. Extraordinaire machine centrifuge que ces carnets avalant et recra- chant dans la foulée toutes les données et les rouages de son oeuvre ! On trouve en effet des carnets utilisés à contre-emploi, c'est-à-dire à rebours des peintures termi- nées, dans une perspective dynamique. C'est ainsi que l'un des carnets élaborés à Royan en 1939-1940 (vol. 2, cat. 43) lui sert à la fois de mémento et de mémorandum où il enregistre à chaud et catalogue les peintures encore fraîches, à la sortie de l'atelier, en précisant leurs dates d'exécution, mais aussi de reprises et retouches ulté- rieures, informations qui constituent pour nous une série de renseignements incom- parables sur la fabrication de ces œuvres et, pour lui, des points de repères, des bornes nécessaires à d'autres départs. Autre distribution des rôles étonnante et remarquable: celle qui convertit cer- tains carnets des années trente et quarante (id.) en partie dévolus au dispositif bien rôdé d'ébauche et de mise au point préalable au travail, sur toile, en manuscrits. Là encore, le carnet révèle toutes ses astuces puisque, en dehors des premiers jets avec des mots coulant à flot sur les pages, on trouve des feuillets travestis en papiers car- bone dupliquant des textes rédigés préalablement ailleurs. On peut enfin penser que certains carnets ont pu assurer, la tête haute, des missions auxquelles ils n'étaient pas nécessairement destinés. Si le détournement imposé aux albums de 1924-1926 (vol. 2, cat. 30 à 33), pour le plus grand profit de l'illustration du Chef- d'œuvre inconnu de Balzac semble avéré; l'ambiguïté demeure sur le statut des cahiers de Cannes (vol. 2, cat. 35 et 36), gardant les souvenirs des baigneuses à la cabine qu'il proposa en vain au Comité Apollinaire, en les faisant passer pour des dessins d'exécution. Il existe aussi des carnets qui sont tout simplement des choses en soi, parallèles ou concomitants aux œuvres en cours, mais ni préalables ni inférieurs pour autant. Ils fleurissent dans les dernières années, preuve que le temps presse, que les exercices de mise en route ne sont plus utiles ou nécessaires. Reste le plaisir des gammes et de la métamorphose, véritables gymnastiques de la main qui aiguisent l'œil comme la pensée. Doit-on d'ailleurs considérer que les dessins des carnets ont une spécificité propre, différente de celle des feuilles autonomes? Leur regroupement en un seul bloc présente l'avantage, par rapport aux autres, de clarifier leur statut et leur fina- lité et de suivre leur processus génétique. Le phénomène de sérialité domine, en effet, de haut, les carnets, mais sans exclure jamais le beau dessin, purement gratuit ni le ballon d'essai, absurde ou stérile, ni la part de jeu et de fantasmes venant semer le trouble et faire grincer les rouages d'une machinerie trop bien huilée. Les séries fonctionnent à double sens - téléologique ou au contraire palingéné- sique - et n'empruntent pas forcément, comme on a voulu le démontrer16, les voies de la vitesse et de la duplication paroxystique de l'empreinte, visant à l'effet «flip- book ». On observe, au contraire, dans les carnets cubistes (vol. 1, cat. 16 et 17) com- ment Picasso monte ses œuvres page après page, dessin après dessin, à partir d'une grille initiale, tracée au crayon, puis reprise et remplie à la plume, voire coloriée, cal- culant au plus près leur ajustement. Plus tard effectivement, ce processus d'autogé- nération devient plus souple et spontané, tablant sur le geste intense (vol. 1, cat. 44), n'hésitant pas à retrancher le gras ou à effacer le superflu (vol. 1, cat. 55) pour rebondir plus haut, sortes de palimpsestes aux trajectoires plus aléatoires, voires cen- trifuges. On demeure stupéfait devant la variété des opérations et des stratégies parfois acrobatiques mises en œuvre dans les carnets, à long terme, mais aussi - l'exploit n'est pas si rare ! - dans un cercle étroit, le coin d'une feuille. Procédures laborieuses ou coups d'éclat fulgurants, travaux d'approche presque amoureux du détail, cer- nant l'infime ou s'ouvrant à grands fracas sur des ambitions démesurées, il souffle sans cesse le chaud et le froid sur ses propres arrières, les mettant en veilleuse ou les réanimant quand besoin s'en fait sentir, prodigieux deus ex machina, maîtrisant totalement ses mécanismes créateurs, du fin fond de ses carnets, véritables labora- toires de son art et filets capturant des échos de , seuls pions capables de nous offrir toutes les dimensions de son œuvre.

1. Extrait d'une lettre manuscrite datée d'«Arcueil- nent une fois faites, regroupées dans les hangars 11. Le livre de Werner Spies, Wege zur Skulptur. Die Cachan, le 10 octobre 1918», adressée à Picasso le ateliers; sortes de documents souvenirs anticipant Carnets. Paris und Dinard von 1928, Munich, 1975, même jour à l'hôtel Lutétia à Paris. Archives Picasso. sur les photographies prises sur le site par Brassaï en est l'aboutissement de toute une série de publica- 1932. tions de l'auteur, liées à l'ouverture de la collection 2. Elles obligèrent Werner Spies et Christine Piot à de Marina Picasso, et accompagnant la circulation reprendre le catalogue des sculptures, en 1983, et 7. L'exposition partit de la Pace Gallery de New York de ces carnets démontés. Brigitte Baer à revoir de fond en comble les cata- avant de circuler à la Royal Academy de Londres logues de gravures de Geiser et Bloch. Elles ont per- (1986) et au musée des Arts décoratifs à Paris (1987), 12. Des feuilles de cet album espagnol étaient mis aussi à Pepe Karmel d'entreprendre le cata- toujours accompagnée du même livre Je suis le accrochées dans le cadre de l'exposition « Les Noces logue sommaire des dessins cubistes entre 1910 et cahier, au titre dérivé de la couverture de l'un de catalanes, Barcelone-Paris, 1870-1970 », Paris, 1914 (New York, 1993, thèse à paraître). nos carnets des Demoiselles d'Avignon (cat. 11), Artcurial, 1985, avec un catalogue préfacé par reproduite en couverture de l'ouvrage, alors qu'il Henry-François Rey. 3. Après Picasso, Écrits, publiés par M.-L. Bernadac et n'y était pas exposé. C. Piot (Paris, 1989), ce sont ses recherches photo- 13. En 1992, neuf dessins liés aux sculptures-assem- graphiques qui font l'objet d'études récentes 8. Un carton à dessin contenant un portrait à la blages de 1950-1951, La Petite Fille jouant à la (A. Baldassari, Paris, 1994 et 1995) et des correspon- plume, daté: Cannes, le 75 août 1933, reproduisant corde, La Chèvre et La Guenon et son petit, datés dances qui sont peu à peu dévoilées (Apollinaire, celui d'un partisan photographié sur la coupure de entre le 20 mars et le 21 mai 1950 (crayon sur 1993, Max Jacob, 1994). presse jointe, fut classé abusivement dans le fonds papier, 27 x 21 cm), étaient encore visibles à des carnets et inventorié au musée sous le numéro l'ARCO, la foire d'art contemporain de Madrid. 4. Songeons, par exemple, que quatorze des trente- M.P. 1876. Nous l'avons exclu de notre catalogue. deux carnets de la première dation étaient inconnus 14. Exercices d'école facilités par les empreintes jusqu'à la disparition de Picasso. Six d'entre eux 9. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Kafka. Pour une lit- laissées sur le papier par les dessins qui nous permi- furent publiés par Zervos en 1982, 1983 et 1989 seu- térature mineure, Paris, Les Éditions de Minuit, rent de reconnaître, sans l'ombre d'un doute, la lement. Treize des vingt carnets de la seconde 1975, p. 7. page recto verso d'un carnet de 1907 (vol. 1, dation étaient des découvertes, seuls cinq ayant cat. 12, fig. 23 et 24) ou encore celle d'un nu du paru partiellement dans les mêmes numéros tardifs 10. Témoignage recueilli par Jean Leymarie, Picasso: bloc ficelé de 1908 (cat. 14, fig. 28). de Zervos. Dessins, Genève, éditions Skira, 1967, p. 60. «J'allai poser pour lui dans une pièce non chauffée - c'était 15. Dans sa préface à Je suis le cahier, A. Glimcher 5. Les dessins (Z. 112, 741 et 744) de têtes du carnet de en janvier - et je gardai mon manteau. Il s'accroupit précise (p. 3): «Après 1964, Picasso vendit des Sorgues (vol. 1, cat. 16) et celui attestant du passage sur un petit tabouret avec, par terre, à côté de lui, cahiers de dessins complets à Kahnweiler, son ache- de Picasso à Marseille avec l'achat probable du un litre d'encre et, sur ses genoux, un carnet à des- teur à la galerie Leiris. Avec l'accord de Picasso, ils masque Wobé décisif (Z. 112, 754) ont fait l'objet des sin. Il trempa sa plume dans l'encre, sans faire atten- furent décortiqués et leurs pages vendues comme interprétations d'E. Fry et de P. Daix, reprises dans le tion à ses doigts tachés de noir, et se mit à gratter le des croquis indépendants.» catalogue Georges Braque. Les papiers collés, Paris, papier... Il posa un doigt sur sa langue, le frotta sur 1982 (pp. 18 et 19; p. 25, notes 21 et 22). le dessin, puis recommença. Bientôt sa langue, ses 16. Théorie développée par Rosalind Krauss (The lèvres et ses doigts furent couverts d'encre noire. » Il Optical Unconscious, 1993) à partir des exemples 6. Les deux carnets fondamentaux de Boisgeloup s'agissait du dessin daté du 3 janvier 1934 (Z. VIII, des carnets des Déjeuners de 1962 et effectivement (Glimcher 101 et 103) ne se contentent pas d'esquis- 165). valable pour ce type d'albums. ser les projets de sculptures de 1931, mais les dessi- Nu debout aux bras tendus, 1899-1900 Barcelone Fusain, rehaut d'huile M. P. 1990-93 Cat. 1, f° 5 R° Portrait de femme au grand nœud, 1899-1900 Barcelone Fusain et crayon de couleur rose M. P. 1990-93 Cat. 1, f°19 R° Profil de jeune hollandaise, été 1905 Alkmaar Crayon graphite, gouache et encre noire M.P. 1855 Cat. 4, f° 1 R° Hollandaise au bord d'un canal, été 1905 Alkmaar Aquarelle M.P. 1855 Cat. 4, f° 3 R° Étude pour Le Joueur d'orgue de Barbarie, 1905 Plume, encre noire et gouache M.P. 1856 Cat. 5, f° 27 R° Étude pour Le Harem: la toilette, été 1906 [Paris-Gôsoll Crayon graphite et gouache M.P. 1857 Cat. 6, f° 52 R° Couple de danseurs, été 1906 Gôso! Plume, encre noire et gouache M.P. 1857 Cat. 6, f° 62 R° Tête, été 1912 Sorgues Plume et encre noire Empreinte de collage d'une fleur avec inscr. au m., à la plume et à l'encre noire: Sorgues M.P. 1864 Cat. 16, fas 27 V° et 28 R° Femme à la mandoline, 1915 Paris Crayon graphite et aquarelle M. P. 1990-98 Cat. 18, f° 8 R° Femme à la mandoline, 1915 Paris Crayon graphite et aquarelle M.P. 1990-98 Cat. 18, f° 11 R° Guitare et compotier sur un guéridon devant une fenêtre ouverte Paris 24 décembre 1919 Aquarelle M.P. 1990-99 Cat. 22, f° 3 R° Guitare et compotier sur un guéridon, 1919 Paris Crayon graphite et craies de couleurs M. P. 1990-99 Cat. 22, f° 29 R° Femme au voile debout et deux hommes assis, 1922 Paris Sanguine M.P. 1868 Cat. 24, f° 22 R° Tête d'homme: étude pour La Flûte de Pan, [1922-1923] Encre noire et lavis d'encre brune M.P. 1990-101 Cat. 25, f° 54 R° Danseur, 1924 Paris Crayon graphite et crayons pastel gras M.P. 1990-106 Cat. 29, f° 40 R° Étude pour le rideau de scène de Mercure: deux danseurs, 1924 Crayon graphite et crayons de couleurs M.P. 1990-106 Cat. 29, f° 70 R° Le carnet de Barcelone

Jusqu'à une date récente, l'existence de ce carnet de des- sins était totalement ignorée: le volume VI (1954) de Zervos, riche en reproductions de dessins de cette période restés chez Picasso le passe totalement sous silence et il n'avait pas été répertorié dans les inventaires de la pre- mière succession en 1979. C'est pourtant à Mougins qu'il fut redécouvert, après la disparition de Jacqueline Picasso, et enregistré dans la dation de 19901. Quelle ne fut pas alors notre surprise de reconnaître sur deux pages du carnet les reports (les «fantômes» en quelque sorte) bien visibles de deux dessins tracés sur une même feuille recto verso, appartenant au de Barcelone (ils sont exécutés au fusain et au pastel, matières particulièrement volatiles et grasses, qui se dépo- sent rapidement et imprègnent durablement le papier). Le f° 44 V° reproduit le dessin Rosita (fig. 1), tandis Fig. 3 Fig. 4 que le f° 46 R° porte l'empreinte du Portrait de Caries Couple, 1899-1900 Deux figures, 1899-1900 Barcelone Barcelone Casagemas (fig. 2). La page peut ainsi retrouver sa place Crayon Conté sur papier Crayon Conté sur papier en f° 45 Ro/Vo. On reconnaît bien sur les versants de la Barcelone, Museu Picasso Barcelone, Museu Picasso page les colonnes imprimées caractéristiques du registre que l'on retrouve sur deux autres dessins du musée de ché certaines pages (une quinzaine en tout) du carnet et Barcelone: Couple et Deux Figures (fig. 3 et 4) également le sort des dessins disparus - comme celui qui représentait tracés recto verso sur une même feuille. Cette fois, faute des prostituées au lit dont le f° 44 R° conserve l'empreinte de «fantôme» conservé, il est difficile de réintégrer le - demeure, pour l'instant, inconnu. feuillet à sa place initiale mais la similarité des sujets et L'aspect même de ce carnet en fait un objet à part, du style avec des dessins de la fin du carnet et notamment exceptionnel, non seulement dans le corpus particulier les couples des fos 48 V° et 50 R° nous incite à le placer en des carnets «espagnols» des débuts2 mais dans celui de f° 49 Ro/Vo où subsiste le talon d'une page arrachée. On tous les carnets de Picasso qui, du commencement à la fin ignore pour quelles raisons et à quelle date Picasso a arra- de sa carrière, est resté en général fidèle aux carnets de dessins, de toutes sortes, mais traditionnels3. Ici, il se sert pour la première et dernière fois d'un objet trouvé, un vieux registre appartenant comme l'indique la page de titre (f° 2 R°) à un cercle de propriétaires et d'industriels installé dans «l'Ensanche de la villa de Gracia», c'est-à- dire dans la partie moderne de la ville4. Les pages du registre commencé le 1er janvier 1886, sont couvertes de colonnes imprimées où sont enregistrés à la plume les noms des adhérents et leurs consommations mensuelles au bar du club. Il est impossible de déterminer dans quelles circonstances - le fruit du hasard, sans doute - le registre a fini par échouer entre les mains de Picasso. Mais on comprend qu'il ait été attiré par son aspect vieillot, austère et bourgeois, par la minutieuse calligraphie de ces pages qui servent en quelque sorte de repoussoir aux des- sins, au contraire pleins de vie, modernes et drôles qui les «parasitent». On retrouvera, en 1912-1913, des dessins exécutés sur des pages de registres administratifs anciens Fig. 1 Fig. 2 couverts d'inscriptions à la plume5, sans parler de l'usage Rosita, 1899-1900 Portrait de Cartes Casagemas, du papier journal comme forme et comme fond, qui est Barcelone 1899-1900 Fusain et pastel sur papier Barcelone fait dans les papiers collés. Barcelone, Museu Picasso Fusain et pastel sur papier Si les annotations qui farcissent les pages du recueil Barcelone, Museu Picasso - entre autres les adresses au fos 13 V°, 16, 21 Vos 6 - se rap- portent toutes à la vie barcelonaise et rendent la localisa- tion du carnet indiscutable, par contre l'absence de date écrite ou autre signe tangible (comme ailleurs, sa signa- ture qui change avec les époques) empêchent toute data- tion exacte. Mais la présence des portraits d'artistes recon- naissables: C. Casagemas, Pere Romeu, Angel F. de Soto, R. Casas et S. Rusinol, qui sont peu ou prou des études pré- paratoires ou dans la mouvance de l'ensemble historique des 150 dessins exposés le 1er février 1900 dans la salle des Quatre Gats, détermine un terminus ad quem indiscutable de réalisation du carnet avant cette date, vraisemblable- ment entre décembre 1899 et janvier 19007, sur une durée forcément courte, étant donné la relative homogénéité de l'ensemble (unité de temps, de lieux, de techniques Fig. 5 Portrait de Ramôn Casas, 1899-1900 graphiques, cohérence des séquences parfois éclatées Barcelone mais suivies) et le caractère extrêmement vivant et spon- Plume, encre de Chine et aquarelle sur papier tané des dessins. Il s'agit de toute évidence, malgré son New York, the Metropolitan Museum of Art, grand format peu pratique et sa rigidité (mais l'habileté coll. Mrs. Raymonde Paul déjà consommée de Picasso pouvait facilement surmonter ce type d'obstacles), d'un carnet ambulant, qu'il empor- tait partout avec lui: ne représente-t-il pas régulièrement sa main au centre ou dans le coin d'une page, au milieu d'autres études, pour bien montrer sa proximité physique avec les sujets dessinés (fos 15 R°, 22 V°, 25 R°). On l'ima- gine dehors dans la rue, ou dans la chaleur d'un atelier, d'un café, d'une maison de passe (f° 13 V°) attraper au vol une figure connue ou inconnue, enregistrer une décou- verte, consigner un souvenir, fixer une idée, et noter un nom, une adresse. Au fil des jours, victime de l'avidité visuelle du peintre, de sa boulimie de travail et de vie, le carnet, qui est avant tout un outil de travail et d'études, se remplit et devient aussi un carnet d'adresses (f° 21 V°), un pense-bête, un livre de comptes (fos 16 R°, 22 R°, 55 V°), Fig. 6 voire un journal intime (dominé par le profil pointu de son Portrait de Santiago Rusinol, 1899-1900 Barcelone amie Rosita8 mais ponctué de visions charnelles): en bref, Plume, encre de Chine et aquarelle sur papier le carnet de bord de l'homme et de l'artiste. New York, the Metropolitan Museum of Art, On est frappé en tournant les pages du registre, coll. Mrs. Raymonde Paul grouillantes de dessins nerveux, volontaires, exécutés à toute vitesse pour ne perdre aucun détail, par le caractère d'un Picasso définitivement acquis à la vision moderne. extrêmement vivant de ces scènes de rues saisies sur le vif, Les scènes urbaines sont dessinées avec une telle intensité, comme Picasso ne nous le laisse pas ignorer, en écrivant en une telle proximité de regard qu'on a l'impression, à gros caractères en pleine page: D'APRES NATURE (f°3 R°) les regarder, d'entendre palpiter le pouls de la ville. Il uti- et en marge d'un portrait: Del natural (f° 14 V°): déclara- lise toutes les techniques du dessin impressionniste et tions en forme de programme esthétique d'un artiste de l'objectif photographique, voire cinématographique: dont la méthode, plus intuitive que réfléchie, s'inspire en plans d'ensemble, contre-champs, vues partielles, plon- même temps de l'exemple des impressionnistes, les pre- geantes, compositions décentrées, chaotiques et fragmen- miers à être descendus dans la rue pour en rapporter des tées, effets de «zoom», figures qui passent hors cadre, visions fraîches et sensibles, de l'objectif du reporter pho- raccourcis, déformations, schématisations et fragmenta- tographe capable à la fois de fixer la succession des mou- tions des modèles pour mimer l'animation et le désordre vements, le détail qui fait sens, et du coup de crayon de la rue, le perpetuum mobile du monde, le défilé pro- du caricaturiste de presse. En dépit de ses références prement cinématographique des images de la femme au appuyées à Goya (mais le caractère griffonné et grinçant balcon, déclinées en trois séquences légèrement diffé- de ses pochades «goyesques» (fos 26 V°, 27 R°/V°) renvoie rentes (fos 11 R°/V°, 12 R°). Il matérialise de même le pro- au peintre halluciné, moderne avant la lettre des Caprices cessus du travail d'hommes dans la rue par un enchaîne- et de la grimace) et à ses prétendus pères spirituels, ment de gros plans et de raccourcis disséminés sur la Ramôn Casas et Santiago Rusinol dont les portraits feuille (fos 23 R°/V°). Sur d'autres pages, d'esprit nette- ouvrent et referment le carnet, on assiste ici à l'émergence ment cézannien, des cadrages serrés proposent des vues alternées de plan large et de détail qui provoquent des rapprochements inattendus d'objets (fos 21 R°, 22 V°). C'est tout naturellement dans ce vivier d'études foi- sonnantes que Picasso va pêcher ses idées pour des com- positions plus ambitieuses comme le montre ici l'élabora- tion des portraits projetés en vue de l'exposition des Quatre Gats. Si ceux de Casas et de Rusinol (fig. 5 et 6) semblent avoir surgi du premier jet pour être transposés presque directement, dans l'étape finale, par contre ceux de Pere Romeu, de Casagemas et d'A. F. de Soto provenant tout droit du stock d'images préalablement engrangées dans le carnet et sur d'autres feuilles indépendantes où on voit des portraits, ici toujours rapides avec des formes échevelées - celui de Romeu est un graffiti à peine lisible - mais expressifs, frappants de vérité, se figer (Z. VI, 173) avant d'acquérir leurs formes et leurs poses définitives, Fig. 7 nettement plus traditionnelles, guindées et artificielles. Portrait de Caries Casagemas, 1899-1900 Quant au saisissant portrait de Casagemas, hélas définiti- Barcelone vement détaché du carnet, avec son regard halluciné Huile sur toile de prophète et cette géométrisation quasi abstraite des Barcelone, Museu Picasso traits - il vient entre une esquisse (Palau, 448) plus libre et l'huile finale (fig. 7), presque semblable mais moins érotiques avec voyeurs aux pupilles exorbitées), le dessin vivante. caricatural de Picasso - outre son humour ravageur - La caricature est présente sur toutes les pages du car- ouvre indiscutablement la voie à sa découverte du primiti- net, soit qu'elle imprègne les figures au point de les visme et de l'abstraction. tordre, de les désarticuler, de les réduire à l'état de gri- Ce carnet qui, faute d'études historiques ou de rensei- maces, de signes, voire de sténogrammes (révélateur de gnements capitaux sur sa vie ou son art, pouvait sembler quelle turpitude sociale ou morale?), soit qu'elle se mani- à première vue d'un intérêt secondaire, anecdotique, feste par un procédé de miroir déformant, sous forme de apparaît finalement comme un ensemble hautement doublons ironiques des figures dessinées de façon clas- significatif de l'évolution de Picasso à une date charnière, sique, soit encore qu'elle se déguise sous l'apparence au moment où il va basculer du modem' style à l'art naïve, enfantine du bonhomme (fos 53 R°) qui vient pertur- moderne tout court, avec les armes du dessinateur aigui- ber le cours moral des choses. sées par la vision impressionniste et photographique, et La filiation avec le style elliptique et grinçant des dessi- par l'exemple de Goya et des caricaturistes. Véritable nateurs de presse avec les images de Forain et de Caran machine à dessins d'un artiste boulimique qui vivait le d'Ache (fos 3 R°, 31 R°) est évidente. S'il n'évite pas toujours crayon à la main, le carnet est aussi un miroir tendu à le poncif fin de siècle (les portraits de rapins, les postures Barcelone.

1. Il est répertorié sous le n° 90 (carnet 1) du cat., Picasso, une nouvelle dation, 5. Par exemple notre Feuille d'études: guitares , 1912-1913, plume, encre 1990, pp. 180-183. Dix fos sont repr. (1re de couverture, 3 V°, 5 R°, 8 R°, 13 Va, de Chine et crayon graphite au verso d'une feuille de registre, Z. XXVIII, 282 27 R°, 47 R°, 52 R°, 3e de couverture et 16 R° en couleurs). (MP. 683) ou Trois Têtes, 1913, plume et encre sur papier, Z. XXVIII, 283 (coll. part.). 2. Les seize autres carnets de la période 1894-1900 (Glimcher, n° 1 à 16) sont de quatre types: albums de fabrication espagnole, reliés de maroquin rouge, petits 6. En f° 13 V° on voit un couple sur un lit avec l'inscr., en espagnol: Dessin fait calepins avec porte-crayon reliés de toile beige, «sketchbooks» et «drawing dans mon Palace de la rue de Ramallerras n° 17 moi le Roi, qui évoque certaine- books», de fabrication anglaise. ment une maison de passe de cette rue dite mal famée, située entre les Ramblas de Estudis et de Canaletes. En f° 16 V°: l'adresse des 4 Gats est écrite au crayon 3. À l'exception du carnet Glimcher n° 111 qui est un livre illustré. bleu: Pere Romeu, Montesiôn Barna; Barna est l'abréviation de Barcelone. 4. Jusqu'en 1854, Barcelone était enfermée dans ses fortifications. Un projet 7. Pour Palau (1981, p. 183), « la plupart de ces portraits ont été exécutés en d'extension (Ensanche) de la ville - le Plan Cerdé - fut mené à bien à partir de décembre 1899 et janvier 1900 ». 1861. Un quartier neuf, moderne, se dressa peu à peu au nord de la vieille ville, au-delà de la place de Catalogne. Le paseo de Gracia - à l'origine, un chemin 8. Le personnage de Rosita était déjà connu (voir notamment les dessins du reliant le bourg de Gracia à Barcelone, devint l'axe central, une sorte de grand Museu Picasso de Barcelone, mais c'est à Richardson (1991) que revient le mérite boulevard, de la ville nouvelle, fief de la riche bourgeoisie industrielle. Voir sur le de l'avoir identifié comme l'écuyère Rosita del Oro (p. 151) et non comme on sujet, Cristina et Eduardo Mendoza, Barcelona modernista, Barcelone, Editorial l'écrivait toujours comme une prostituée. Voir aussi le dessin Picasso présentant Planeta, 1989. Rosita à Casagemas, Barcelone, 1900. (D.-B. 11.8). Cat. 1

[Hiver 1899-1900] Le carnet (reliure à la française) se présente sous la forme d'un Barcelone grand registre de fabrication espagnole portant en 1re de couver- Fusain, crayons de couleurs, huile, sur papier imprimé ture une étiquette d'une librairie-papeterie de Barcelone, située H. 31,5; L. 22 (couverture) au n° 23 de la rue Angel Rosals, Paia. Sa couverture cartonnée H. 30,5; L. 21 (feuillets) est reliée de papier nuageux brun beige. Il contient cinquante feuilles de papier beige imprimé de colonnes remplies à la plume Hist. et à l'encre brune (avec les numéros d'ordre, mois d'entrée, Atelier de l'artiste baisse, prénom, nom, adresse, montant des dépenses des Coll. Jacqueline Picasso membres du cercle) et quatre feuillets de papier blanc avec Dation, 1990 le filigrane « P. VIDAL» au début et à la fin du carnet. Dix feuillets Inv. M.P. 1990-93 arrachés manquent (deux sont dans les collections du Museu Picasso de Barcelone). Plusieurs pages ne sont pas dessinées mais Exp. portent l'empreinte marquée des dessins au fusain qui leur font Paris, Grand Palais, 1990-91 (cat. 90) face. Les quarante-quatre feuillets restants portent tous des des- Paris, musée Picasso, 1991 (cat. 117) sins tracés recto verso, parfois à l'envers notamment au début et à la fin du carnet, preuve que Picasso a sans doute utilisé le car- Bibl. net en commençant par les deux extrémités. Léal, 1990-91 (pp. 180-183) Léal, 1991

1re de couverture Inscr., à la plume et à l'encre brune: Entrada de socios/recaudacion [mot effacé] sur une étiquette de «La Imprenta PapelerÍa LibrerÍa Angel Rosals, Paia, 23 - Barcelona» 2e de couverture Portrait d'homme avec pipe et lavallière (à l'envers) Fusain 1 R° Deux têtes d'hommes dont Casagemas de profil; esquisse d'un homme assis Fusain 1 V° Portrait de Caries Casagemas Fusain 2 R° Profil de Caries Casagemas Fusain Annot., à la plume et à l'encre violette: Libro de entrada de socios/del/ «Centro de Proprietarios é IndusI triâtes de la izquierda del/ensanche de la villa de Gracia »/ 1° Julio de 1886 (Registre des membres du « Cercle des Propriétaires et Industriels à la gauche du quartier de Gracia », 1er juillet 1886) 2 V° Nu assis Fusain 3 R° Scène de rue Fusain Inscr. h. m., au fusain: D'après/NATURE 3 V° Portrait de Ramôn Casas; tête d'homme barbu Fusain et crayon de couleur marron 4 R° Portrait de Ramôn Casas; esquisse d'un homme assis écrivant Fusain et crayon de couleur marron 4 V° Page blanche 5 R° Nu aux bras tendus Fusain, rehaut d'huile 5 V° Rose Fusain Inscr. b. dr., au fusain : Pedro Gomez 6 R° Fleur Fusain Inscr. b. g., au fusain: Juan Rodriguez 6 V° Nu assis aux bras levés Fusain 7 R° Nu debout aux bras levés Fusain et rehauts d'huile 7 V° Page blanche 8 R° Femme aux bas noirs se déshabillant Fusain et rehauts d'huile 8 V° Page blanche 9 R° Femme à l'éventail Fusain 9 V° Tête d'homme de profil ; tête de personnage accoudé Fusain 10 R° Deux portraits de Rosita de profil Fusain 10 V° Le baiser Fusain 11 R° Femme au balcon Fusain 11 V° Femme au balcon Fusain 12 R° Femme au balcon Fusain 12 V° Portrait de Santiago Rusinol de profil; deux têtes caricaturées: deux études de compositions Fusain et crayon graphite 13 R° Esquisse du profil de Santiago Rusinol; esquisse d'une composition raturée Fusain et crayon graphite 13 V° Homme allongé et femme assise sur un lit Fusain et crayon de couleur bleu Inscr. b. m., au fusain et au crayon de couleur bleu: D. hecho en mi Palacio de la calle/de Ramalleras n. 17 Yo el/Rev (D [essin] fait dans mon palace de la rue Ramalleras n. 17 Moi le Roi) 14 R° La rencontre Crayon de couleur bleu 14 V° Portrait d'homme au chapeau Crayon de couleur bleu Inscr. m. dr., au crayon de couleur bleu: El charpas/ afamado/ca rteris I ta / (Dell natural) (Le charpas, célèbre chapardeur [D'après nature]) Réunion des Musées Nationaux

Premier catalogue des carnets de dessins de Picasso, ces deux volumes regroupent l'ensemble in extenso des cinquante-huit carnets conservés au musée Picasso de Paris. Réalisés entre 1899 et 1966, ils recouvrent toutes les étapes de la création de l'artiste et contiennent de nombreux inédits qui sont d'importantes révélations sur la naissance de ses œuvres phares, comme Les Demoiselles d'Avignon en 1907. Véritables laboratoires centraux de son art, ils nous permettent de pénétrer dans les arcanes de la genèse du cubisme, du dialogue peinture-sculpture, de ses décors de théâtre et de ses portraits intimes. La surprise vient de ce que Picasso leur faisait jouer toutes sortes de rôles: maquettes des peintures et creusets des sculptures, mais aussi albums de voyages, carnets d'adresses, recueils de notes ou de confidences, manuscrits de poèmes, journaux intimes. Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.