Les D6bats Parlementaires Du Qu6bec (1792-1964) Ou La M6moire Des Mots
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Les d6bats parlementaires du Qu6bec (1792-1964) ou la m6moire des mots Gilles Gallichan Au Quebec, comme dans tout le Canada, un citoyen averti peut suivre, jour apres jour, sur son ecran de tel6vision, les discours et les 6changes de ses repr6sentants.l II peut aussi, s'il le d6sire, s'abonner, pour quelqjues dol- lars, au Journal des debats ou le retrouver a sa bibliotheque pour y lire le detail des activites parlementaires et ainsi mieux juger les commentaires journalistiqlues sur ses elus. Au premier chef, cet enregistrement des d6bats sert le depute lui-même dans son travail parlementaire; il est aussi fonda- mental pour la presse, pour le monde juridique et pour maints aspects de la recherche universitaire. C'est done un fait d6sorma·is acquis pour nous; la tel6vision et I'edition se sont install6es dans les coulisses de nos assemblees parlementaires et diffusent une information que tous considerent enrichissante pour la qualit6 de notre d6mocratie. Cependant, ce·tte realit6 quotidienne peut nous faire oublier qlue la dif- fusion des debats parlementaires est un ph6nomène relativement r6cent et qu'au Québec, le journal des debats est le fruit d'une longue et difficile 6vo- lution de la conscience politique. Même si le Parlement québ6cois est presqlue deux fois centenaire, son journal des debats n'a que vingt-cingl ans. L'Assembl6e 16gislative de la province de Québec, comme on la d6signait a I'6poque, éditait, en janvier 1964, son premier journal officiel des d6bats. Cette première avait 6te precedée d'une année de tentatives et d'exp6riences visant a mettre en place un bon système d'enregistrement.2 Depuis un qluart de siecle, I'Assemblee nationale a publié pres de 3oo,ooo pages de d6bats oil sont inscrites les grandes lignes de l'histoire du Quebec contemporain. Reflets des idees et des actions politiqlues, les millions de mots prononc6s par les parlementaires traduisent l'évolution de la soci6t6. Le Journal des ddbats repond done ainsi a une autre vocation, celle de conserver une memoire du Q~uebec a travers ses institutions politiqlues. Mais ce Journal des debats, nous le devons a la volonte de plusieurs genérations d'hommes politiqlues et de journalistes qlui, pendant des d6cennies, ont r6clam6 la parution d'un hansard qu6becois.3 Cet article veut rappeler les efforts de ceux qui, depuis la fin du dix-huitieme siècle, 39 Gallichan: Les d6bats parlementaires du Qu6bec ont souhait6 enrichir la vie d6mocratiqlue canadienne de cet instrument d'information politique. II veut aussi rappeler les efforts qlui ont ete deployes depuis une vingtaine d'annees pour eclairer, par des reconstitu- tions, les larges zones encore obscures de l'histoire parlementaire du Qu6bec. En annexe, on trouvera un essai bsibliographiqlue sur les debsats par- lementaires du Bas-Canada, du Canada uni et de la province de Quebec jusqlu'a l'6tablissement de son journal officiel des debats, il y a vingt-cing ans. La presse du Bas-Canada et l'activiteparlernentaire En décembre 1792, lorsque le lieutenant-gouverneur Alured Clarkte ouvrit la premiere session de la première 16gislature du Bas-Canada, la Gazette de Québec souligna ostensiblement I'6v6nement. Le journal de la capitale d6crivit la cer6monie et publia le discours du trine,4 illaugurant ainsi dans la colonie, la chronique parlementaire locale. Les remous souleves autour de l'election d'un Orateur et les debats entourant I'usage de la langue frangaise attirèrent aussi l'attention de la Gazette qui publia, pendant les semaines suivantes, les premiers discours prononces au parlement de Quebec.s De fait, les editeurs de la Gazette connaissaient bien ce genre de chroniqlue puisqu'ils publiaient souvent des d6bats des chambres britan- niques qlu'ils reproduisaient a partir des journaux anglais." Mais seuls furent imprimes, a cette epoqlue, les discours redig6s et remis a I'editeur par le d6put6 lui-même.7 Le journal n'engageait pas encore de stenographe; on ne pouvait done rapporter habituellement qlue de vagues resumés et de sommaires comptes rendus. En 1794, le redacteur de la Gazette commen- tant une s6ance de l'Aissembl6e ecrivait: Il est a regretter que quelque personne versee dans 1'art de la stenographie n'ait pas pris, par cette voie exp6ditive d'ecrire, les discours prononces a cette occasion. Ils 6taient remplis d'une 61oquence extraordinaire et quelques-unes des comparaisons present6es dans ces discours etaient peintes dans les couleurs les plus vives.8 Malgr6 ces regrets louangeurs, la Gazette preferait presqlue s'abstenir de publier les debats de peur de s'exposer a des griefs de la part des deput6s." Les annales parlementaires anglaises contenaient de nombreuses pour- suites contre des journaux accus6s d'atteinte aux privileges parlementaires en rapportant des debats. La fondation du Quebec Mlercury (1805) et du Canadien (I806) modifia le paysage politique. Ces journaux clairement engag6s d6fendaient des interêts differents et leurs reportages parlementaires susciterent souvent 40 Papers of the Bibliographical Society of Canada xxvIl de vives r6actions.10 Après la disparition du Canadien, ferm6 en 1810 par ordre du gouverneur Craig, peu de journaux osaient reproduire des discours parlementaires susceptibles d'attiser I'opposition de l'Aissembl6e contre le gouverneur et I'executif. Cette qluasi absence des d6bats dans la presse fut bientit pergue comme un handicap a la libert6 de l'information au Bas- Canada. En 1816, Pierre Bédard, ancien leader de la majorit6 canadienne a l'Aissemblee, constatait que La Chambre n'ira pas bien, tant qlu'il n'y aura pas une presse qlui publie tout ce qlui s'y passe et qlui la soustrait à l'influence de la galerie et des charlatans pour la mettre sous celle de la province entiere." L'eqluation ·entre la publication des debats, l'6ducation politique des citoy- ens et une certaine qlualit6 de la vie democratiqlue commenga ainsi a s'imposer parmi les journalistes-editeurs et certains politiciens. Lors de sa reouverture en 1817, Le Canadien, dirig6 par Flavien Valleran, souhaitait egalement une publication regulière des d6bats car 'c'est souvent sur ces rapports qlu'une partie du public forme ses opinions sur la conduite de ses representants.;12 Les journalistes, de plus en plus conscients de leur rôle social, percevaient 6galement I'interit qlue soulevait la politique chez les lecteurs de gazettes. La liberté de la presse 6tait proclam6e 'Une des premieres lois contre les vices pubslics'' et, pour jouer son rôle, elle devait diffuser ce qlui se passe a l'Aissemblee pour atteindre le 'meilleur moyen d'avoir de vraies informations.'l C'est a cette epoqlue qlue furent publiees les premières brochures consacrees aux délbats parlementaires.'s De nouveaux journaux, comme le Spectateur· canadien ou la Gazette de Trois-Rivieres consacraient une chroniqlue aux debats de l'Assembl6e.'b Certains d6putes s'eleverent con- tre ces 'precis des d6bats' qui selon eux d6naturaient leurs propos. En 1819, George Van Felson, d6pute de la Haute-Ville de Qu6bec attaqlua ainsi violemment la chroniqlue parlementaire publiée dans Le Canadien. D'autres representants, comme lui, dressaient leur immunite contre ces journalistes qlui rapportaient mal leur paroles et qui risqluaient même, selon certains, 'de renouveler les excès se la Révolution frangaise.''" Les journaux recevaient cependant I'appui de d6putés qlui comprenaient qlue les editeurs ne pouvaient publier qlu'un resume des interventions et qlue les premiers journalistes engag6s pour suivre les debats dans les tribunes tra- vaillaient assurement dans des conditions difficiles.l Même entre eux, les journaux s'attaqluaient au chapitre des reportages parlementaires s'accusant mutuellement de 'd6fendre la r6putation de leurs heros' ou de publier des 'd6bats tout tronqlues et faits pour servir des vues particulieres.''" Le choix des interventions, le r6sumé de longs 41 Gallichan: Les d6bats parlementaires du Qu6bec discours, les in6vitables coqluilles ou erreurs d'interpr6tation exposaient des journaux a des critiques souvent injustifiées. Occasionnellement, des intitiatives personnelles permettaient la publi- cation 'mot pour mot des d6bats dans la Chambre d'assembléee20 et une brochure paraissait grice à une souscription publiqlue, mais de telles entreprises étaient exceptionnelles. L'int6rêt pour une publication des débats fut relanc6 en 1822-23 après les discussions anim6es et les assembl6es populaires autour de la qluestion de l'union des deux Canadas. En janvier 1823, Le Canadien annonga fièrement qu'il reprenait la publica- tion des d6bats mais avouait ses limites et celles de son stenographe.21 Le Parlement du Haut-Canada donna, quantaà lui, un exemple remarqlue en votant un subside pour encourager la publication de ses débats.22 Cette intiative posait le principe de la responsabilit6 des Assembl6es face a cette qluestion. 'La publication des d6bats,' écrivait un correspondant du Cana- dien, 'est une chose due au peuple par la generosit6 de ses repr6sentants [...], c'est même un acte de justice et de devoir en même temps.;23 Quelqlues mois plus tard, un autre correspondant reprenait le même theme en insis- tant sur l'importance d'une edition officielle des debats parlementaires.24 En ces années de grande effervescence politiqlue, la publication des d6bats apparaissait comme une composante de la vie d6mocratiqlue. L'exemple de la France (1791), de la Grande-Bretagne (1803) et des Etats- Unis (1789) qlui publiaient d6ja leurs d6bats devait stimuler une emulation politique au Canada. Cependant, la majorite parlementaire demeurait refractaire a l'idée d'une prise en charge d'un journal des d6bats par l'Assembl6e. En 1825, elle rejeta une motion du d6put6 Frangois Blanchet demandant qlue la Chambre forme un comit6 pour etudier le projet de 'donner plus de publicite aux d61ibeérations de la Chambre.;25 Elle refusa egalement, en 183I, la p6tition du journaliste S.H. Wilcokte qui demandait une subsvention pour l'aider à publier les debats.