Rapport De Recherche
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Plan d’appui à une politique de développement durable Programme « Leviers d’une politique de développement durable » Contrat de recherche n° HL/DD/010 S.S.T.C. La dynamique d’un développement non- durable : le Borinage de 1750 à 1990 Paul-Marie Boulanger et André Lambert ADRASS asbl Rapport de recherche Juillet 2001 1 Introduction : une approche territoriale et historique du développement durable L’analyse rétrospective du destin économique, démographique et social d’une région comme le Borinage se justifie dans le contexte d’un programme d’étude consacré aux « leviers d’une politique de développement durable » pour trois raisons. La première raison est pédagogique : si l’on désire que la population s’approprie le développement durable et s’y investisse, il faut faire la preuve que cette notion trouve sa pertinence, non seulement à propos des grands défis planétaires mais également au niveau le plus proche du citoyen, là où celui-ci peut mesurer les enjeux, percevoir les alternatives et influencer les décisions. Or, avant d’être citoyen du monde, de l’Europe ou même d’une nation, on est membre d’une communauté locale : commune, « pays », région qui s’enracinent dans une histoire dont les traces sont partout présentes au niveau du paysage, du patrimoine immobilier, des traditions culturelles, de la gastronomie, etc. L’intérêt pour une approche locale du développement durable est donc justifié d’abord par un souci de concrétisation de la notion en la mettant en œuvre au plus près du vécu de la population. En se penchant sur l’expérience d’une région spécifique de notre propre pays, on cherche donc à la fois à mettre à l’épreuve d’une réalité qui nous est proche la pertinence d’une approche en termes de développement durable et à nous la rendre plus familière. La seconde raison est éthique : la région boraine est une région qui affiche depuis plusieurs décennies maintenant un retard de qualité de vie important par rapport à la moyenne belge et même par rapport à la moyenne régionale wallonne, que ce soit en termes d’espérance de vie à la naissance, d’emploi, de revenu, de logement, de niveau d’éducation, etc. C’est d’autant plus paradoxal qu’elle fut à la pointe de la révolution industrielle et connut un développement précoce qui augurait d’un meilleur avenir. On peut se demander en quoi la moindre qualité de vie observée dans le Borinage pose un problème éthique et de développement durable. La liberté pour tout citoyen de se déplacer et de se fixer où bon lui semble n’a-t-il pas pour corollaire qu’il ne saurait exister d’injustice géographique ? De même que dans un marché du travail parfaitement concurrentiel1 il ne peut exister de chômage que volontaire, ne faut-il pas considérer comme volontaire le fait de résider dans une région même caractérisée par tant de handicaps ? Qu’est-ce qui empêche les habitants du Borinage de s’installer dans une autre partie du pays ou, même dans un autre pays ? La reconstitution démographique à laquelle nous avons procédé montre qu’ils ne se sont guère privés pour le faire, puisque les soldes migratoires cumulés de la région sont négatifs depuis le début du XIXème siècle. N’empêche : il restait en 1970 (dernier recensement pour lequel nous disposons de données par anciennes communes) 1 Dont on sait qu’il s’agit d’une fiction méthodologique, utile sur le plan épistémologique, néfaste si on se rend coupable, à son propos, de ce que Whitehead appelait « the fallacy of misplaced concreteness ». 1 134 386 habitants dans la région. Faut-il les considérer comme des défavorisés géographiques volontaires ? Après tout, personne n’étant assigné à résidence dans notre pays, la liberté de mouvement ne permettrait-elle pas à chacun de s’établir dans la région de son choix, en fonction de ce que celle-ci lui « propose » en termes d’accès à ces biens essentiels qui, dans nos économies développées, déterminent la qualité de la vie: l’emploi, le revenu, la qualité du travail, la qualité de l’environnement naturel, la qualité de l’environnement humain (en ce compris la sécurité), le logement, les services d’éducation et de santé ? Chaque région offre, en effet, à ses habitants et aux immigrants éventuels un ensemble de combinaisons possibles de chacun de ces biens. En l’absence de restrictions à la mobilité des personnes, les habitants de la région A qui pensent obtenir une combinaison plus avantageuse de ces différents biens compte tenu de leurs préférences, de leur dotation initiale et du coût du déménagement, dans une autre région B ne choisiront-ils pas d’émigrer de A vers B ? Inversement, les habitants de B préférant la combinaison qui leur est accessible en A à celle dont ils jouissent en B, n’émigreront-ils pas de B vers A ? Au bout du compte, une région A devrait connaître un solde migratoire positif s’il existe plus de personnes dans les autres régions (B,C ,….N) qui préfèrent les possibilités de bien-être offertes par A que de ressortissants de A qui peuvent prétendre à et préfèrent les combinaisons accessibles dans les autres régions. Théoriquement, dans un monde où chacun disposerait de toute l’information sur les combinaisons « revenu-travail-logement-environnement- services » accessibles dans les différentes régions et sur les coûts du changement, un équilibre spatia l ne devrait-il pas s’établir tel que personne ne puisse améliorer son bien-être en changeant de région de résidence, compte tenu de ses dotations initiales (patrimoine, santé, capacités, formation, etc.) ? Il est vrai que les différentes régions d’un même pays sont en compétition les unes avec les autres et avec les régions d’autres pays pour attirer et retenir certains types de populations et, éventuellement en repousser d’autres. Il faut bien voir que cette compétition peut engendrer des injustices dès lors que certaines régions ne peuvent proposer à leurs ressortissants que des combinaisons de biens inférieures à un seuil minimum ou à une norme nationale 2 et que, par ailleurs, leurs ressortissants ne disposent pas de la possibilité de trouver ailleurs de meilleures conditions d’existence. Ce problème est d’autant plus crucial que les possibilités en matière d’éducation, de culture et de santé offertes par une région influencent de façon déterminante les dotations des populations qui y vivent. Un cercle vicieux peut alors se créer où l’insuffisance de moyens au niveau régional se traduit par une offre de services collectifs de qualité inférieure qui constitue un handicap pour les populations résidentes lesquelles, moins bien dotées que les personnes originaires d’autres régions, ne peuvent ni prétendre aux emplois, revenus, logements etc. de meilleure qualité dans leur 2 De même que le caractère injuste du retard de développement de nombreux pays de la planète s’évalue par rapport au niveau de vie de l’ensemble des autres pays du globe, la qualité de la vie offerte par une région à ses habitants s’évalue d’abord en termes relatifs, c’est-à-dire en comparaison avec celle à laquelle les habitants des autres régions de l’ensemble national peuvent accéder. 2 propre région, ni envisager d’en changer à cause de coûts prohibitifs de recherche d’emploi et de logement, de déménagement, etc. Comme l’écrit Le Grand 3: « Poor families, or those who for some other reason are “locked into” a location that is poorly endowed with facilities, could well be viewed as suffering inequitable differences in access “4 De fait, pour la grande majorité des résidents d’une région comme le Borinage, il n’existe guère de choix réel. Ils sont tout simplement dans l’impossibilité matérielle de supporter les coûts que représente la recherche d’un logement dans une autre région, le déménagement, etc. A cela s’ajoute un autre phénomène : le fait que certains puissent préférer demeurer dans une région pauvre parce que leur situation relative, par rapport aux voisins, y est moins dévalorisante que dans une région plus riche. Migrer vers un environnement plus aisé risquerait de les stigmatiser socialement davantage et leur rendre moins supportable - car plus visible – leur « infériorité » sociale. Cela revient à admettre que, malgré les inconvénients qu’ils subissent du fait de vivre dans une région déshéritée, ils ne pourraient améliorer leur condition subjective et donc leur qualité de vie en la quittant en faveur d’une autre, mieux dotée et offrant plus de possibilités d’emplois, de revenu, etc. Jouerait alors un phénomène spontané – parce que résultant de préférences individuelles - de ségrégation spatiale, conduisant, à cause du « qui se ressemble s’assemble » à des poches durables de pauvreté. Ainsi, même là où existe une liberté formelle, rien ne garantit qu’existe aussi la liberté réelle et il nous semble que le développement durable ne peut se concevoir que comme l’extension la plus large possible de la « sphère de la liberté par rapport à la sphère de la nécessité » pour reprendre l’expression célèbre de Marx, A.Sen ne disant d’ailleurs rien d’autre lorsqu’il définit la liberté comme la fin ultime du développement 5. Dans l’esprit du développement durable, on ne peut accepter la persistance de poches de précarité et de pauvreté, l’existence de régions durablement à la traîne de leurs voisines et telles que les individus qui y naissent et grandissent ont d’emblée moins de chance que ceux qui naissent à quelque km de là de réaliser leur potentiel humain, leurs capacités (capabilities) parce que les infrastructures éducatives y sont de moindre qualité, l’environnement plus dangereux pour la santé et le développement harmonieux des enfants, etc.