Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine

123-4 | 2016 Varia

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/abpo/3419 DOI : 10.4000/abpo.3419 ISBN : 978-2-7535-5365-1 ISSN : 2108-6443

Éditeur Presses universitaires de

Édition imprimée Date de publication : 30 décembre 2016 ISBN : 978-2-7535-5363-7 ISSN : 0399-0826

Référence électronique Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-4 | 2016 [En ligne], mis en ligne le 30 décembre 2018, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/abpo/3419 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/abpo.3419

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© Presses universitaires de Rennes 1

SOMMAIRE

Un exemple de relations commerciales entre le pays de Léon et l’Andalousie au début du XVIe siècle, d’après le compte d’un marchand de Morlaix Enrique Ruiz Pilares et Michel Bochaca

Les Saints de Solesmes : des résurgences dans la statuaire espagnole du Siècle d’Or ? Cyril Peltier

L’Académie protestante de Saumur et les Néerlandais Willem Frijhoff

Sede vacante Les périodes interépiscopales dans les diocèses de Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo aux XVIIe et XVIIIe siècles Olivier Charles

Sébastien de La Haye de Silz : jeunesse tumultueuse et années d’enfermement Camille Le Masne et Pierre Le Masne

Les inventions de la Grande Brière Mottière et de la « légende noire » briéronne (années 1770-années 1820) Alain Gallicé

Comptes rendus

Landévennec, les Vikings et la Bretagne Philippe Guigon

Cartulaire de Saint-Guénolé de Landévennec Daniel Pichot

Les chevaliers bretons Didier Panfili

Histoires des Bretagnes 5. En Marge Julien Bachelier

La revendication bretonne du trône de (1213-1358) Michael Jones

Nantes flamboyante, 1380-1530 Mathieu Pichart

Souvenirs d’un villageois du Maine. Louis Simon (1741-1820) Mathilde Chollet

Les colonnes infernales Youenn Le Prat

Inventer un regard David Bensoussan

Histoire du Petit Séminaire de Quintin (1934-1975) Georges Provost

11 batailles qui ont fait la Bretagne Valeria Pansini

La recherche dans les universités du Grand Ouest en 2015

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Un exemple de relations commerciales entre le pays de Léon et l’Andalousie au début du XVIe siècle, d’après le compte d’un marchand de Morlaix An example of commercial relations between the Léon and Andalusia in the early sixteenth century from the account book of a merchant of Morlaix

Enrique Ruiz Pilares et Michel Bochaca

NOTE DE L'AUTEUR

L’étude s’inscrit dans le projet de recherche I+D HAR 2013-48433-C2-2-P, Solidaridad y/o exclusión en las fronteras marítimas. Castilla en la Baja Edad Media (Eduardo Aznar Vallejo - Universidad de La Laguna).

1 Parmi les rares comptes de marchands conservés pour le royaume de France avant le milieu du XVIe siècle1 figure celui d’un Breton anonyme, originaire de Morlaix, parti en 1530 vendre des toiles en Andalousie et revenu en Flandre avec du vin, du savon et du sel2. Alors que la plupart de ces comptabilités enregistrent les activités commerciales et financières réalisées au détail depuis la boutique du marchand et inscrites dans un espace proche de celle-ci, il s’agit ici d’un état des dépenses et des recettes dans le cadre d’un voyage d’affaires vers un marché lointain3. Cette comptabilité concerne donc un déplacement par mer et un séjour en terre étrangère, ainsi qu’une entreprise relevant du commerce de gros par les volumes de marchandises échangés et les sommes engagées. Les risques étaient supérieurs à ceux du commerce local (fortunes de mer, obligation d’opérer loin des réseaux et des institutions à même de fournir un appui matériel et une protection juridique). Au-delà des marchandises, des acteurs et des

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circuits commerciaux, données habituellement fournies par ce type de source, l’un des intérêts majeurs du compte de 1530 est de montrer les activités d’un marchand « mettant à la mer » à travers les coûts générés par le transport, la manutention, le stockage, la fiscalité, le paiement d’intermédiaires (hôte, courtier, consul) et les frais de séjour (hébergement, repas). Ces multiples dépenses permettent de reconstituer avec une relative précision, étape par étape, le transport par mer d’un chargement de toiles, depuis les préparatifs de départ en Bretagne jusqu’à leur débarquement en Andalousie, de suivre ensuite leur vente à Cadix puis à Sanlúcar de Barrameda, et de voir enfin comment les sommes recueillies ont servi à effectuer des paiements sur place afin de rassembler un fret de retour (vin, savon, sel). Il s’agit d’un compte individuel qui reflète les activités propres de son auteur, mais on peut considérer qu’il a valeur d’exemple parce que le marchand voyagea en compagnie de confrères du Léon et parce qu’il était probablement au service d’un commanditaire plus important en tant qu’employé ou associé.

2 Bien que connu d’un certain nombre d’historiens, le compte de 1530 n’a fait l’objet d’aucune étude approfondie. Dauphin Tempier, archiviste des Côtes-du-Nord, a proposé en 1903 une transcription minimaliste, dépourvue d’appareil critique, sans citer la cote ni indiquer les changements de folios4. Cinq ans plus tard, Jean Pommerol emprunta à ce document des éléments factuels pour illustrer un récit romanesque5. Il y met en scène Jean Le Barbu, présenté comme l’auteur du compte, qui, au gré des menus faits auxquels il participe à Morlaix et dans ses environs un jour d’avril 1575, se remémore par bribes son voyage en Andalousie quarante-cinq ans plus tôt. Les lieux et les personnages sont présentés avec un réalisme qui témoigne d’une bonne connaissance des archives morlaisiennes, mais le récit, écrit dans une langue imitant l’ancien français, n’en demeure pas moins une fiction, dans la droite ligne éditoriale et littéraire de La Revue de où il parut. Cela pourrait expliquer le peu de cas que les historiens en ont fait par la suite. Dans son histoire de Morlaix, Joachim Darsel ne cite ni le compte, ni les marchands et les marins de la ville mentionnés dans celui-ci6 ; Henri Touchard l’utilise brièvement dans le chapitre de sa thèse consacré au commerce breton avec l’Andalousie entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle7 ; il s’est appuyé sur l’édition de Dauphin Tempier et a peu exploité les données fournies, commettant des erreurs sur l’identification de certains lieux et personnages en Andalousie. Les travaux plus récents, qu’il s’agisse des études consacrées à l’industrie textile en Bretagne8 ou de celles qui traitent de la présence des Bretons en Andalousie 9, font mention du compte à travers l’édition de Tempier ou de son résumé dans la thèse d’Henri Touchard.

3 Il y avait donc place pour un nouvel examen en reconsidérant le document tant du point de vue des activités de marchands bretons opérant à l’étranger que de celui des acteurs, des produits et des circuits commerciaux andalous.

Un document comptable : apports et limites

Présentation du document

4 Le compte de 1530 est conservé aux Archives départementales des Côtes-d’Armor dans la série Manuscrits, sous-série 1 Ms (Manuscrits jusqu’en 1939), où il porte le numéro 610. Il se présente sous la forme d’un cahier de 22 feuillets papier, cousus entre

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eux par le milieu. La numérotation en chiffres arabes portée en haut à droite du recto de chaque feuillet est moderne. Selon un usage courant chez les marchands, une croix ayant valeur d’invocation a été tracée en tête de chaque folio, sauf sur les pages laissées en blanc qui sont totalement vierges. L’écriture relativement soignée, uniforme, pratiquement sans ratures, surcharges et ajouts entre les lignes ou en marge11, donne à penser que le document a été rédigé d’un seul jet. On ne peut cependant déterminer s’il s’agit de la mise au propre de papiers divers accumulés pendant le voyage ou de la copie d’un bilan préexistant. Les folios 9 vo, 14 vo, 22 et 22 vo sont en blanc et les 14 et 17 vo partiellement en blanc 12. Le feuillet 22 présente des déchirures sur ses bords supérieurs et inférieurs, alors que le folio 1 est en parfait état. Aucun indice ne permet de supposer la perte d’un folio initial et final ou d’une couverture qui aurait enveloppé le cahier.

5 Conçu pour rendre compte a posteriori des recettes et des dépenses au cours d’un voyage d’affaires en Andalousie, le document s’organise en cinq chapitres introduits par un titre débutant par la formule : « Ensuit […] » ou « Ensuivent […] ». Ces chapitres concernent respectivement « la vante des toilles en Endolousye » (p. 161-168)13, « les mises et avaries que jé poyé, tant pour la marchandise que le navyre, durant ledict voyaige en Endolousye » (p. 168-171), « l’emploiement dudict argent ledict voiaige en Endolousye 1530 » (p. 171-173), « ce que jé envoié d’argent a l’hostel dudict Sainct Lucas 1530 » (p. 173-175), enfin l’emploi de 100 sous reçus « de mon oncle Robert Le Barbu a Mourlaix pour faire mise avant partir audict voiaige14 » (p. 175-176)15. Un récapitulatif indiquant le montant total des sommes clôt chaque chapitre : « Somme de [rappel de la nature des recettes ou des dépenses] en tout monte la somme de […] » ou « Somme de […] vallants en tout […] » (p. 168, 171, 173, 175, 176).

6 L’ordre des chapitres traduit un essai de présentation en forme de bilan, en séparant les recettes liées à la vente de toiles des dépenses (mises et avaries pour les marchandises et le navire, achats de vin, savon et sel, versements en espèces à des tiers, frais de séjour). Le dernier groupe de dépenses mais qui, dans la chronologie du voyage, fut le premier, est imputé sur les 100 sous avancés par Robert Le Barbu à Morlaix avant le départ. Il constitue un chapitre à part dans la mesure où les 102 s. 10 d. obole dépensés ne sont pas comptabilisés dans les compensations opérées entre les quatre autres chapitres16. On ignore avec quel argent les « mises et avaries » antérieures à la vente des toiles en Andalousie ont été réglées, sauf à supposer d’autres avances par Robert Le Barbu si on en croit les sommes importantes qui lui sont remises à Sanlúcar (figure 1).

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Figure 1 – Dépenses et recettes par grands chapitres

7 Les différentes opérations ont été consignées à l’intérieur de chaque chapitre plus ou moins dans l’ordre de leur réalisation17. La précision des informations laisse supposer l’existence de notes prises pendant le voyage, mais l’absence de dates permet seulement d’établir une chronologie relative entre les opérations. L’enregistrement relève d’une comptabilité à partie simple, ce qui est habituel pour des marchands français de cette époque. Les sommes inscrites à la fin de chaque article sont portées en chiffres romains, contrairement à l’année 1530, toujours écrite en chiffres arabes18. Elles occupent la fin de la ligne, l’auteur ayant tracé un ou deux traits horizontaux dans l’espace qui suit les derniers mots du texte, avec parfois un report de la fin du libellé de la somme au début de la ligne suivante. En raison de l’emploi de monnaies différentes (tournois, esterlin) et de pièces de diverses valeurs, tant castillanes (doublons, ducats, réaux) que portugaises (« quatre portugaloix d’or ») ou françaises (écus au soleil ou à la couronne), les sommes sont le plus souvent libellées en deniers utilisés comme unité de compte (tableau 1). Pour ce qui est des unités de mesure, l’auteur emploie celles qui ont servi aux opérations réalisées en Andalousie, la vara pour la longueur des pièces d’étoffe (0,83 m), la bota pour les contenances de liquides comme le vin (5 botas équivalant à 3 tonneaux)19 et le cahíz pour le sel (666 litres ou 500 kg). Il retranscrit phonétiquement les mots entendus : varre, botte, ceron (pour serón, couffin ou cabas). En revanche, la prononciation de cahíz (pl. cahices) par des Andalous lui posa plus de problèmes, d’où la déformation en gays au singulier et en gaisses au pluriel (p. 173).

Tableau 1 – Exemples d’équivalences monétaires

Ducat (or) – double ducat 375 d. – 750 d.

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Réal (argent) 34 d.

Sou tournois 10 d.

Denier esterlin 7 d. obole

« Portugaloix » d’or 3 750 d.

Écu au soleil (or) 357 d.

Écu à la couronne (or) 340 d.

8 Les calculs sont dans l’ensemble exacts. La somme arithmétique des différentes dépenses effectuées à Morlaix avant le départ coïncide à l’obole près avec le montant indiqué à la fin du chapitre : 1 234 d. obole, soit 102 s. 10 d. obole (p. 175-176). Les conversions des ducats et des réaux en deniers donnent parfois lieu à de légères différences. Les 24 réaux payés pour les trois mois de location d’une échoppe à Sanlúcar de Barrameda, comptés à 34 deniers par réal, vaudraient 816 d. et non 818 comme cela est porté sur le compte (p. 170). Quelques montants se terminant par un quart ou un demi-denier (obole)20 ont été arrondis : 830 d. 1/4 ramenés à 830 pour 30 varas 3/4 vendues 27 d. la vara ; 662 d. 1/2 arrondis à 662 pour 26 varas et demie vendues 25 d. (p. 162). La plupart du temps les écarts sont insignifiants et n’entachent pas la justesse globale des calculs. On note cependant des erreurs plus importantes : les 4 pièces contenant 20 varas vendues 23 d. obole la vara coûtaient 4 700 d. et non 4 900 comme l’auteur l’a indiqué. Les 200 d. en trop sont inclus dans le prix total du paquet vendu et ensuite dans le montant global des ventes (p. 162). Le total des sommes portées au chapitre des « mises et avaries » s’élève à 19 416 d. 3/4 (80 l. 18 s. 3/4 d.), soit 701 d. 1/4 de moins que le montant de 53 ducats et demi et 55 deniers obole (20 117 d. 3/4) annoncé dans le récapitulatif final. Un ou plusieurs articles ont pu être omis par inadvertance, ce qui indiquerait que nous sommes en présence d’une copie. On relève une différence de 6 s. 1 d. 1/4 entre les sommes annoncées dans les récapitulatifs portés à la fin des chapitres et les montants effectivement dépensés. La vente des toiles et des autres marchandises à Cadix et à Sanlúcar, une fois les mises et avaries défalquées, rapporta 571 ducats 3/4 et 20 d. obole (214 426 d. 3/4, ou 893 l. 8 s. 10 d. 3/4). Or l’auteur annonce avoir employé 571 ducats 1/2 et 41 d. (214 353 d. obole, soit 893 l. 2 s. 9 d. obole). Le solde net déclaré correspond bien à l’excédent des 72 d. obole annoncés (p. 175), soit 6 s. obole. La différence de 3 pites (3/4 d.) est insignifiante, le montant final ayant pu être arrondi à l’obole. Les compensations entre grands chapitres sont donc arithmétiquement justes, mais 9 021 d. de dépenses ne sont pas explicitement justifiés (37 l. 11 s. 9 d.). Toutefois, si on prend en compte les sommes fournies à certaines personnes (Jean Vincent, Salomon Toulcoet), dont on imagine qu’elles allaient être remboursées, et les 102 s. 10 d. obole dépensés avant le départ de Roscoff et qui constituaient une avance de Robert Le Barbu, on approche les 9 000 d., ce qui permet de penser à une situation plus ou moins à l’équilibre sur l’ensemble des opérations. Ce manque de précision comptable sur le papier – il en allait sans doute autrement dans l’esprit de l’auteur qui devait avoir les sommes en mémoire – donne la mesure de l’écart avec la comptabilité à partie double des compagnies italiennes et castillanes, seule capable de permettre des bilans financiers précis. Cela est habituel chez les

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marchands français de l’époque, dont la modeste envergure commerciale et financière s’accommodait de techniques plus rudimentaires21.

Conjectures sur l’auteur et ses deux aides

9 Le compte ne comporte aucune indication désignant clairement son auteur. Au détour de certaines formules, on entrevoit l’entourage familial de celui-ci en la personne de deux oncles : « a mon oncle, Jehan Forget » (p. 168 et 173), « je recepu de mon oncle, Robert Le Barbu, a Mourlaix » (p. 175)22. Jean Pommerol, sans citer les sources sur lesquelles il s’appuyait ni préciser si, au contraire, son propos relevait de la fiction romanesque, a attribué le compte à Jean Le Barbu qui aurait été, toujours selon lui, orphelin de père et élevé par son oncle paternel Robert Le Barbu23. Compte tenu de l’importance des solidarités familiales, le fait est plausible, d’autant qu’il s’agit de personnages notables de Morlaix, connus par ailleurs comme marchands, bourgeois et membres du corps de ville24. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, un Jean Le Barbu fut sieur de Bigoudou. Signe de sa réussite économique et sociale tout autant que témoignage de sa piété, il offrit un vitrail à la chapelle Saint-François, proche de Morlaix, sur lequel il se fit représenter, vêtu d’une cotte d’armes, avec sa femme, Marie du Bois25. Mais rien ne permet d’établir un lien entre ce personnage et l’auteur du compte en l’état des informations dont nous disposons et faute d’avoir pu mener des recherches plus poussées dans les archives morlaisiennes. L’auteur peut aussi appartenir à la famille Forget, mais le fait qu’il soit davantage en affaires avec Robert Le Barbu plaide en faveur de la première hypothèse.

10 Jean Pommerol a émis une autre hypothèse. Le voyage en Andalousie aurait permis à l’auteur de parfaire son apprentissage de marchand aux côtés de ses deux oncles26. Robert Le Barbu lui avança 100 sous pour les préparatifs du départ en Bretagne (p. 175-176) et Jehan Forget lui confia 25 paires de ciseaux à vendre (p. 168). En retour, il leur versa de l’argent à Sanlúcar (p. 173-174). Les 72 deniers obole de solde final ont fait penser que l’affaire fut peu rentable27. L’explication est à chercher ailleurs car nous ne savons rien de la revente des marchandises achetées en Andalousie et des profits qu’elle a pu rapporter. Après l’Andalousie, si on tient la succession des chapitres pour indicative de la chronologie, l’auteur séjourna en Flandre à « Arremac28 ». Il y rencontra Salomon Toulcoet, auquel il avança de l’argent (p. 174). Ce personnage au nom à consonance bretonne avait prévu de se rendre à Anvers. La rencontre entre les deux hommes fut-elle occasionnelle et fortuite ou bien s’agissait-il d’un partenaire en relation avec les Le Barbu, Forget et consorts, dans le cadre de réseaux d’affaires informels fondés sur des solidarités entre Bretons ? Lui a-t-il confié les marchandises pour aller les vendre à Anvers, marché alors en plein essor ?

11 En raison de son jeune âge et de son manque d’expérience (si on apporte quelque crédit à l’hypothèse de Jean Pommerol) ou/et parce que sa position d’employé ou d’associé limitait sa marge d’initiative, l’auteur du compte réalise des opérations dans un cadre strict à la manière d’un commis ou d’un facteur. Le bilan financier qu’il présente a été mis au net après coup et ne vise pas à évaluer une rémunération ou des gains. Sa tâche était d’employer au mieux l’argent confié, tels les 100 sous avant le départ de Morlaix, de vendre en Andalousie les marchandises, dont il avait la charge mais qui ne lui appartenaient pas, et de réinvestir le produit de cette vente en acquérant un fret de retour et en couvrant ses frais et ceux de ses deux aides, Jean Vincent et François

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Marzin, dont la présence à ses côtés renforce l’idée qu’il avait besoin d’être épaulé29. Les 72 deniers (6 s.) d’excédent final couvraient le dépassement de 2 s. 10 d. obole dans l’emploi de 100 sous lors du départ de Morlaix. Du point de vue comptable et en raisonnant à partir des sommes portées dans les bilans des grands chapitres, on peut conclure que l’apprenti marchand ou l’employé avait correctement tenu les cordons de la bourse qu’on lui avait confiée.

12 Deux personnes apparaissent à plusieurs reprises aux côtés de l’auteur lors des préparatifs en Bretagne et durant le séjour en Andalousie. Présent à Cadix au moment de la vente de toiles et participant au voyage à Villalba pour aller acheter les vins, Jean Vincent fait figure d’aide et de conseiller. Il reste à Villalba pour surveiller la mise en fût, le vin étant sans doute stocké dans des tinajas, grandes citernes en argile, alors que l’auteur s’en retourne à Sanlúcar (p. 170, 173) ; il surveille aussi le chargement du sel sur les bateaux qui doivent le conduire jusqu’à Sanlúcar. Il pourrait s’agir de la même personne que « Juan Vincente, mercader estante, vecino de Morle » qui, le 16 octobre 1516, donna procuration au notaire de Jerez, Juan Ortiz, pour que celui recouvre en son nom et pendant son absence des dettes lui appartenant, signe qu’il comptait revenir pour récupérer son dû30. Mentionné comme « estante » (demeurant), ce n’est pas un Breton établi à demeure à Sanlúcar. De par l’expérience acquise, s’il s’agit bien de la même personne, il a pu servir d’interprète, de guide pour les déplacements et de conseiller lors de certains achats en faisant bénéficier l’auteur de ses connaissances et de ses contacts. Marque de la considération dont il jouissait, il fut convié aux deux repas pris par l’auteur du compte avec le maître du navire, Jean Le Goyc, l’un avant le départ de Roscoff (p. 175) et l’autre à l’arrivée au Puerto de Santa María (p. 169). Enfin, l’auteur lui avança 4 ducats (6 l. 5 s.) « à Sainct Lucas pour luy ayder a payer ses vyns », indice qu’il se livrait à des activités commerciales pour son propre compte (p. 174). On ne perçoit pas la même proximité avec François Marzin qui fait figure d’homme à tout faire. Il transporta des marchandises et un canon de Morlaix à Roscoff, sans doute avec son bateau, ce qui en ferait un marin (p. 175-176) ; il resta à l’échoppe louée à Sanlúcar pendant que l’auteur et Jean Vincent allaient acheter du vin à Villalba (p. 172). On le voit assurer à plusieurs reprises des transports d’argent, pour payer les vins à Villalba et auprès de marchands à Sanlúcar, dont Robert Le Barbu (p. 173 et 174). Ce pourrait être le signe qu’il s’agissait d’un solide gaillard capable de se défendre, qualité que n’avait peut-être pas l’auteur si on admet sa jeunesse. S’il s’agissait bien d’un marin, ce serait un bel exemple de pluriactivité ou de polyvalence31.

Des dates et une durée de voyage difficiles à établir au cours de l’année 1530

13 Les cinq mentions de l’année 1530 qui apparaissent au fil du compte se rapportent toutes à des faits survenus en Andalousie, à commencer par la vente de toiles en avril (p. 161)32. Cette indication pose problème car les Bretons arrivaient d’ordinaire plus tard en Andalousie. Si on rapproche les paiements effectués à l’un des oncles « le XIIe jour de septembre » (p. 174), de toute évidence après la vente des toiles ou pour le moins une fois celle-ci bien avancée, de la location d’une échoppe à Sanlúcar pendant trois mois, précisément pour y vendre les toiles (p. 170), cela situe le début de la vente vers la mi-juin. Les démarches antérieures auprès du consul des Bretons au Puerto de Santa María, le déplacement du navire du Puerto de Santa María à Cadix, les premières ventes de toiles à Cadix, puis le déplacement du navire à Sanlúcar pour porter le reste

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des marchandises n’ont pas dû excéder la durée d’un mois. Le cellier pour exposer les toiles à la vente à Cadix a été loué huit jours (p. 171). L’arrivée en Andalousie ne remonte donc guère au-delà de la première quinzaine de juin, au plus tôt à la fin mai. Avril pourrait correspondre aux préparatifs entre Morlaix et Roscoff et au départ de Bretagne. La durée de ces préparatifs nous échappe. La seule indication a trait à l’hébergement à Roscoff avec le paiement de « XIIII tables », soit sept jours à raison de deux repas par jour, à François de Laulnay qui logea aussi les marchandises avant leur embarquement sur le navire de Jean Le Goyc (p. 176).

14 Nous ignorons la durée de la traversée maritime et celle du séjour en Andalousie. Après des paiements effectués à Sanlúcar le 12 septembre 1530, on a simplement trace de préparatifs qui précédèrent le départ d’Andalousie (p. 170-171) : location d’un cheval pour rapporter les affaires personnelles (« mes besoignes ») de Sanlúcar au Puerto de Santa María, change de monnaies étrangères, achat de vivres, frais de logement et de bouche au Puerto de Santa María avant d’embarquer. L’appareillage fut retardé de deux jours pour attendre le vent. Auparavant, il prit sa « part du desjeuner au capitaine du navyre auquel je m’en vyn ». Le repas eut lieu à l’hôtellerie (« ostel ») où il était logé, sans doute avec d’autres marchands bretons pour commensaux. La somme à régler, 170 d., étonne par son importance, quand les deux journées passées dans cette hôtellerie lui coûtèrent 68 d. On croit comprendre au détour de cet article qu’il a changé de navire. Jean Le Goyc, avec qui il était venu, est toujours nommément désigné ou bien qualifié de « maître ». Ce « capitaine » semble être un autre homme. Il pourrait s’agir d’un maître expérimenté qui s’était vu confier le commandement de la flotte de retour. Les dépenses importantes de ce qui pourrait avoir été le dernier repas à terre avant d’appareiller trouveraient ainsi un début d’explication, surtout s’il s’agissait de régaler par la même occasion les autres maîtres placés sous les ordres de ce capitaine.

15 La traversée de retour nous échappe. Des dépenses d’hébergement indiquent l’attente d’un vent favorable quatorze jours à Rammekens. Après y avoir embarqué sur le navire de Mathelin Tounemouche33, l’auteur fit une escale forcée d’environ douze jours à Rye, sur la côte sud-est de l’Angleterre34. La fin du périple nous est inconnue. La vision comptable de l’auteur évacue la plupart des aspects narratifs que l’on trouve dans les récits de voyage. On entrevoit néanmoins de menus faits qui constituent le quotidien d’un marchand en déplacement pour affaires, dès lors qu’ils occasionnent des dépenses.

Des préparatifs en Bretagne à l’arrivée en Andalousie

16 Regroupés en un chapitre particulier, les préparatifs de départ occupent la fin du compte (p. 175-176). Il faut également y ajouter des dépenses portées au début du chapitre concernant « les mises et avaries […] tant pour la marchandise que pour le navire » (p. 168-169). L’association avec d’autres marchands du Léon et la concentration d’une petite flotte devant ensuite naviguer de conserve ont pu contribuer au choix de Roscoff. Le stationnement dans ce port donnant directement sur la Manche évitait la navigation dans une baie semée d’écueils et balayée par de forts courants ainsi que la remontée et la descente des quelque vingt-cinq kilomètres de la rivière de Morlaix, que son ensablement compliquait, mais cela obligeait les Morlaisiens à y transférer leurs marchandises (figure 2). Les dépenses qui en découlèrent éclairent des opérations de manutention et de transport dont nous n’avons pas trace dans les sources écrites habituellement disponibles, qu’elles soient notariales, judiciaires ou administratives.

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C’est un tableau vivant de l’activité portuaire dans la rivière de Morlaix qui s’offre à nous.

Figure 2 – Dépenses lors des préparatifs entre Morlaix et Roscoff

17 À Morlaix tout d’abord, il fallut transporter les marchandises des celliers où elles étaient remisées jusqu’au quai qui, à l’époque, se situait à la confluence du Jarlot et du Queffleuth35. L’emplacement de ces celliers n’est pas précisé, mais deux tours furent nécessaires, coûtant respectivement 10 et 8 deniers, auxquels s’ajouta le prix du transport par bateau jusqu’à Roscoff, qualifié de « bastellaige », lui aussi effectué en deux temps. Le premier voyage fut assuré « par un bateau de Roscoff », sans plus de précision, et le second par François Marzin, avec son propre bateau semble-t-il, sur lequel furent chargés deux paquets de toiles de Pontivy et une pièce d’artillerie avec deux boîtes et une garde de fer36. Le transbordement entre le bateau de François Marzin et le navire de Jean Le Goyc coûta 16 deniers. Rien n’est dit pour celui de Roscoff, le coût étant peut-être inclus dans les 4 s. 6 d. Une autre partie de la marchandise voyagea par terre, ce qui occasionna des frais de « charreaige » jusqu’à Roscoff, puis de « bastellaige a bord du navyre », 8 s. 1 d. au total. Des dépenses pour le conditionnement des marchandises vinrent alourdir la note : 2 s. 3 d. pour acheter et « taller » une barrique vide afin d’y mettre l’étoupe, 4 s. 4 d. obole pour l’achat de deux barriques vides pour mettre deux paquets de toile Pontivy et 5 d. pour les « taller », enfin 10 d. pour l’achat d’un faisceau de paille par François Marzin pour « seicher les futailles37 », soit 7 s. obole en tout. Il fallut encore payer le « celieraige » à François de Laulnay à Roscoff, chez qui les marchandises furent entreposées en attendant leur embarquement (6 s. 8 d.), acheter du plomb et du fer pour la pièce d’artillerie (22 s. 11 d.) et quatre « manguères38 » (7 s. 6 d.) pour le navire. Diverses dépenses de bouche pour l’auteur du compte (21 sous pour 14 tables chez François de Laulnay, qui fait aussi figure d’aubergiste ; 4 s. 6 d. de « cuisine fresche » embarquée avant le départ ; 13 d.

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pour un pain et une pinte de vin à Jean Vincent et Jehan Le Goyc ; 2 s. 6 d. pour les marins du bord, prix d’une dernière tournée avant de prendre la mer ? ; une potée de beurre achetée par la tante pour emporter) eurent finalement raison des 100 sous en monnaie fournis par Robert Le Barbu à Morlaix. Le total des dépenses s’élevait à 102 s. 10 d. obole. L’oncle de l’auteur avait-il, sur la base de son expérience, estimé au plus juste les dépenses à venir, ou bien celui-ci s’était-il adapté à la somme dont il disposait ?

18 D’autres dépenses relatives aux préparatifs du navire et à la traversée vers l’Andalousie sont portées dans le chapitre des « mises et avaries […] tant pour la marchandise que le navire » (p. 168-169) : vin et breuvage pour le maître et les marins, brefs pris par le maître auprès de l’administration du duc de Bretagne, guindage de l’équivalent de 9 tonneaux, nouvelle dépense pour des « manguères » et des clous. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, les 10 sous en monnaie des « offrandes en la mer » sont consignés parmi les dépenses dans une curieuse association entre rituels des gens de mer et rigueur comptable. Parti de Roscoff, le navire semble avoir fait une route directe jusqu’au Portugal. Rien n’est dit des conditions de la traversée dans la mesure où elles n’occasionnèrent pas de dépenses, sauf lors de deux escales à « Lichebonne [Lisbonne] et Rastelle39 », puis à « Ville Nova40 », avant d’atteindre El Puerto de Santa María, dans la baie de Cadix (p. 169).

19 Plus que les quelques indications relatives au chargement du navire de Jean Le Goyc, ce sont les ventes réalisées à Cadix au début du séjour en Andalousie puis celles effectuées à Sanlúcar au cours des mois suivants qui fournissent a posteriori le plus d’informations sur les marchandises transportées depuis la Bretagne, parmi lesquelles les toiles arrivaient largement en tête. Celles-ci étaient répertoriées selon leur origine géographique.

Tableau 2 – Toiles et produits textiles vendus en Andalousie en 1530

Toiles et produits textiles vendus Valeur des ventes en deniers

Toiles Daoulas 75 986

Toiles Pontivy 61 465

Toiles Locronan 37 936

Toiles de Tréguier 30 587

Olonne Merdrignac 3 818

Courtepointes 4 879

Milondres 4 445

Toiles de Morlaix 3 700

Serpillières 2 000

Toiles écrues 1 625

Toile blanche grosse 677

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20 Les toiles étaient emballées dans des paquets enveloppés par des serpillières et attachés avec des cordes. On peut imaginer qu’une marque était apposée sur ces paquets pour identifier leur propriétaire et sans doute un numéro pour les distinguer entre eux, si on en croit les mentions de paquets portant les numéros 10, 16, 19 et 20 (p. 161, 162, 166, 167). Selon les types de toile, les paquets pouvaient compter de 3 pièces à 3 pièces et demie de tissu, d’une longueur totale allant de 476 à 500 varas, soit de 39,5 à 45 mètres. Lors des préparatifs de départ, l’auteur prit soin de protéger deux paquets de Pontivy et de l’étoupe dans trois barriques achetées de seconde main, préalablement nettoyées au moyen d’un feu de paille par François Marzin (p. 175). Nous ne savons pas si cette pratique fut généralisée à l’ensemble des toiles chargées ainsi qu’aux courtepointes41. La mésaventure survenue à Jean Le Blouch, dont 15 des 16 pièces de Pontivy furent mouillées, laisse penser que non (p. 167-168). L’auteur dut les faire laver avant de pouvoir les vendre ; il en coûta 375 d., ce qui écorna le prix de vente de 2,5 %. De la vaisselle d’étain (pots grands et petits, plats, écuelles, sauciers) fut également chargée dans une barrique (p. 165)42. Faisant argent de tout, l’auteur vendit à Cadix « les serpillières et les cordes desdits paquets » pour 750 d. (p. 161). À Sanlúcar, il retira 1 270 d. de la vente des serpillières et près de 500 d. de celle de 4 pipes et 6 barriques (p. 166).

Séjour et affaires en Andalousie

L’ancienneté de la présence bretonne en Andalousie comme élément de contexte du voyage de 1530

21 Les échanges commerciaux entre la Couronne de Castille et le duché de Bretagne remontent au XIIIe siècle. Le cadre général est connu 43, avec un déficit d’informations pour l’Andalousie par rapport au nord de la Castille. La documentation notariale a permis une étude assez précise des communautés bretonnes de Séville et de Jerez44. Des monographies urbaines consacrent quelques pages aux Bretons établis à Moguer et à Sanlúcar de Barrameda45. Ces travaux, jusque-là dispersés, ont fait l’objet d’une synthèse récente46. La présence de navires bretons dans les ports andalous était chose courante dès le milieu du XVe siècle. En 1446, la municipalité de Tavira, dans l’Algarve, se plaignit auprès du roi de Portugal des attaques perpétrées par les Castillans et les Portugais à l’encontre des navires bretons et galiciens qui se rendaient dans la baie de Cadix et à Sanlúcar de Barrameda47. La crise frumentaire que connut l’Andalousie entre 1462 et 1469 favorisa la venue des Bretons48.

22 Le 16 septembre 1466, ils obtinrent des exemptions fiscales les incitant à vendre leurs produits à Jerez de la Frontera49. La même année, le duc de Medina Sidonia, Enrique de Guzmán, chercha à monopoliser le commerce avec les Bretons sur la côte andalouse en leur accordant des privilèges qui conduisirent à l’établissement d’une communauté à Sanlúcar de Barrameda, ville portuaire placée sous sa juridiction, à l’embouchure du Guadalquivir50. Il les exempta du paiement de toutes taxes pour se loger dans les auberges de la ville, avant de leur concéder un consul disposant d’une juridiction civile et criminelle sur les Bretons résidant dans la ville et autorisé à régler les litiges s’élevant avec les « voisins51 » et les autres habitants de ladite ville52. En contrepartie, le duc leur interdit, sous peine de perdre ces privilèges, de commercer avec les localités relevant de l’autorité de seigneurs avec lesquels il était en conflit, comme ceux de

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Moguer53 ou d’Ayamonte, sur la côte de Huelva54. Ces privilèges favorisèrent les affaires des Bretons à Sanlúcar : ils réinvestirent une partie de leurs gains dans l’achat de propriétés foncières dans la ville. Le 3 décembre 1478, le duc Juan de Guzmán, qui avait entrepris dans la ville la construction du château de Santiago et avait besoin d’argent, traita avec les marchands bretons. Ceux-ci lui offrirent 200 000 maravédis, un peu plus de 830 livres, en échange de la régularisation de la construction des maisons et des boutiques (« casas e tiendas ») qu’ils avaient édifiées sur des terrains acquis hors les murs, près du Guadalquivir. Le duc leur reconnut officiellement le statut de voisins et d’habitants du faubourg de la mer : « arrabal de la ribera de la mar de la mi villa de Sanlúcar55 ». En 1523, le duc rappela que les Bretons, comme les Anglais, étaient sous sa protection à Sanlúcar56. Les 110 d. portés au compte de 1530 « pour l’asseurance poyee au duc » pourraient correspondre au prix de cette protection (p. 169).

23 Sanlúcar abritait à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne une communauté bretonne établie à demeure, que des marchands et des marins venus de Bretagne grossissaient, notamment à la fin de l’été et à l’automne, à l’occasion des foires qui se tenaient à Sanlúcar et à Jerez. Signe de l’influence bretonne, celles de Sanlúcar prirent le nom de ferias de las vendejas, probable déformation du mot français vendanges, en lieu et place du terme castillan vendimias. Des liens s’étaient tissés entre les marchands de Sanlúcar et les Bretons57. L’auteur du compte de 1530, ses deux oncles et les autres marchands bretons mentionnés dans le document avaient organisé leur voyage en Andalousie dans le cadre de relations et de pratiques bien établies et qui laissaient peu de place à l’improvisation.

Déplacements et affaires traitées en Andalousie

24 Sanlúcar de Barrameda, port et marché dans lequel les Bretons jouissaient d’importants avantages fiscaux, était le principal lieu des opérations commerciales. On trouve aussi trace de la présence de marchands bretons dans d’autres villes de l’Andalousie atlantique, tant sur la côte, à Cadix et au Puerto de Santa María, que dans l’intérieur, à Jerez et à Séville. L’auteur du compte et les marchands bretons venus avec lui en 1530 se meuvent dans un espace qu’ils connaissent et dans lequel ils disposent de contacts.

Arrivée au Puerto de Santa María et vente de toiles à Cadix

25 Venant de Vila Nova de Portimão, le navire de Jean Le Goyc alla s’abriter devant El Puerto de Santa María avec l’aide d’un pilote local pour négocier l’entrée de la baie de Cadix (figure 3)58. La rade offrait un mouillage d’attente sûr, pendant que les marchands se consacraient à terre à leurs activités59. La présence d’équipages bretons y est attestée bien avant que l’auteur du compte n’y arrive en 1530. On peut penser qu’ils venaient par groupes pour se défendre et se prêter assistance mutuelle. À la fin de l’été 1482, quatre à cinq maîtres bretons jetèrent l’ancre devant El Puerto de Santa María60. Un conflit s’éleva avec des Biscayens qui prétendaient avoir le privilège de charger leurs navires avant ceux des étrangers. En 1483, Benito de Cárdenas, noble de Jerez de la Frontera, mentionne que les cours du vin sont bas « parce que les navires des Bretons ne sont pas venus, ni ceux des Anglais, à cause de la guerre avec les Biscayens sur le droit de charger le premier61 ». L’année suivante, dans un contexte d’insécurité et de conflits récurrents avec les Biscayens, la municipalité de Jerez s’inquiéta de ce que « les Bretons n’étaient pas venus à cette terre cette année, les raisins ni le vin ne s’étaient

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pas vendus ». Elle s’adressa au duc de Medina Sidonia et aux municipalités de Cadix et du Puerto pour envoyer une supplique commune aux Rois Catholiques parce que la région « tire grand profit des Bretons62 ». Cette démarche ne peut s’expliquer que par l’attente d’un nombre de marchands bretons assez important pour peser sur l’économie régionale et l’existence d’échanges réguliers. Le compte de 1530 donne un aperçu de cette venue groupée des Bretons. Outre l’auteur et ses deux aides, Jean Vincent et François Marzin, ses deux oncles, Robert Le Barbu et Jean Forget, étaient du voyage63. Au moins deux des trois personnes pour lesquelles il vendit des toiles étaient présentes, comme en témoigne deux versements en espèces, l’un à Sanlúcar à Guillaume Jeffroy ou Geffroy (p. 168 et 174), l’autre à Cadix à Nicolas Roperz (p. 174). Un troisième paiement fut fait à Sanlúcar à « Robert Borlandy de Penpoul en Leon » (p. 174) sans que l’on sache s’il faisait partie du groupe, ce qui est plausible compte tenu de son origine léonarde. Autre indice que les Bretons étaient attendus, le consul chargé de veiller à leurs intérêts était présent à leur arrivée au Puerto de Santa María, alors qu’il résidait en temps normal à Sanlúcar (p. 169). On devine les relations de sociabilité tissées autour de ce personnage qui reçut « une potée de beurre » en guise de cadeau (p. 169). Jean Le Goyc lui paya pour son navire un droit de « consolaige » d’un ducat, que l’auteur lui avança et qu’il déduisit ensuite de ses frais envers le maître (p. 169)64.

Figure 3 – Dépenses et recettes entre l’arrivée au Puerto de Santa María et l’établissement à Sanlúcar de Barrameda

26 Cadix était le port le plus important de la côte atlantique de l’Andalousie. Occupant un site quasi insulaire et dépourvue de ressources agricoles propres, la ville abritait 652 voisins contribuables en 1528 et le recensement (censo) précise que s’y « pressaient de nombreux marchands étrangers et leurs facteurs pour acheter toutes sortes de marchandises ». Aussitôt après son arrivée au Puerto de Santa María, une fois les formalités administratives effectuées auprès du consul, l’auteur du compte s’y rendit avec des marins pour s’informer des taxes ou coutumes (p. 169)65. Il faut comprendre qu’il traversa la baie avec l’embarcation du bord. Le navire de Jean Le Goyc appareilla le lendemain pour Cadix où les marchandises furent déchargées et entreposées dans un

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cellier, loué huit jours (p. 170). Les 2 031 d. obole payés au titre de la coutume (2,5 % ad valorem des ventes) représentèrent le principal poste des 5 131 d. 3/4 dépensés pour la vente des toiles (39,5 %). Cette dernière rapporta 81 250 d. (338 l. 10 s. 10 d.). Entre- temps, François Marzin et un marin étaient allés par la route à Sanlúcar « s’enquérir de la vente des toiles ». Les ventes terminées à Cadix, le navire de Jean Le Goyc alla décharger le reste de la cargaison à Sanlúcar. Une autre étape commerciale commençait alors (figure 4).

Figure 4 – Opérations commerciales effectuées à et depuis Sanlúcar de Barrameda

Les affaires réalisées à et depuis Sanlúcar de Barrameda

27 Située sur la rive gauche de l’embouchure du Guadalquivir, Sanlúcar de Barrameda comptait 1 016 voisins contribuables en 152866. À cette occasion, les officiers royaux décrivent la ville comme « un port de mer avec un grand trafic de marchandises ». Le compte de 1530 ne fournit aucune information sur la topographie urbaine. Le cellier et l’échoppe67 loués par l’auteur ainsi que l’hôtellerie (ostel) dans laquelle logèrent certains marchands, dont Jean Forget et Robert Le Barbu, ne peuvent pas être localisés avec précision. Ces bâtiments se situaient peut-être dans le faubourg proche du port. Rien n’est dit d’éventuels contacts avec des Bretons établis à demeure. Parmi les acheteurs de toiles on relève un client prestigieux. Le « grand coustumyer dudict Sainct Lucas pour le duc de Medyna » acquit une pièce de Locronan et, à titre personnel, 329 livres d’étoupe (p. 164 et 165)68. Il est possible que des paquets aient été vendus en bloc si on en croît le prix unitaire à la pièce ou à la vara, à moins que l’auteur ne se soit borné à enregistrer le prix de vente total : « Vendu en la ville de Calix six pacqués de toille contenans sçavoir VI pièces et demye Daoulas, VI pièces bastard Daoulas, plus VII pieces et demie Locrenan,

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faisantz en tout XX pièces, à VIII ducatz la pièce, vallant VIIIxx ducatz […] Plus vendu le pacquet nº 10 contenant V cents varres de toille Pontivi, à XXVI deniers la varre, vallant la somme de XIII mille deniers » (p. 161). La plupart des ventes s’effectuèrent en gros ou en demi-gros et, une fois un paquet entamé, le reliquat était écoulé au détail : « Plus du pacquet nº 19 vendu en gros IIII centz L varres, à XXIIII deniers la varre, vallant VIII mille IIII centz XVIII deniers. Plus dudict paquet en destayll vendu XXVII varres et demie, à XXV deniers la varre, vallent VI centz IIIIxx VII deniers » (p. 16269).

28 Ces achats en gros devaient être négociés par des marchands de Sanlúcar ou de la région qui écoulaient ensuite la marchandise au détail auprès de leur clientèle locale. Dans le cas du duc de Medina Sidonia, il s’agissait d’un grand noble qui se fournissait pour les besoins de sa maison.

29 Tout en s’occupant de vendre les toiles et les autres marchandises apportées à Sanlúcar, l’auteur du compte entreprit de chercher un fret pour le retour dès lors qu’il disposa des liquidités suffisantes provenant des paiements en espèces effectués par les clients. Les vins andalous représentaient un produit demandé sur les marchés de l’Europe du nord, dont les Castillans mais aussi les Italiens installés dans la région faisaient commerce. Un marché fut passé sur place avec Juan de Medina, marchand de Sanlúcar, connu par ailleurs dans les sources de l’époque70, pour la fourniture de 12 tonneaux de « vin sec », c’est-à-dire du vin du royaume de Séville, principalement de Jerez de la Frontera, mais acquis sur place à Sanlúcar auprès dudit Juan de Medina (p. 171)71. À raison de 12 ducats par tonneau, les 144 ducats déboursés (225 l.) donnent la mesure de la haute valeur de ce vin sec, aujourd’hui de robe claire et de saveur un peu amère.

30 Trois botas « de vin de la ville [de] Saint Lucas » complétèrent les approvisionnements. En dépit de l’appellation géographique donnée dans le compte, il devait s’agir d’un vin sec du type manzanilla, du nom du village de Manzanilla72, proche de celui de Villalba del Alcor où l’auteur et Jean Vincent allèrent l’acheter. Les circonstances de l’acquisition de ces trois botas méritent d’être signalées. Accompagné par Jean Vincent, l’auteur se rendit à Villalba del Alcor, petite localité de seulement 138 voisins contribuables en 1528, située à une centaine de kilomètres au nord de Sanlúcar, dans la seigneurie des comtes de Miranda73. L’éloignement et l’accès malaisé du lieu, par des chemins traversant des zones humides (actuels marais de Doñana), inclinent à penser que les deux hommes étaient bien informés. Il est possible que Jean Vincent, déjà familiarisé avec la région à l’occasion de voyages antérieurs, ait été à l’origine de cette aventure, à moins que des renseignements ne leur aient été fournis à Sanlúcar74. Les nombreuses et diverses dépenses que ce voyage entraîna permettent de le reconstituer dans ses moindres détails, donnant à voir par la même occasion un marchand étranger en action sur le terrain. Compte tenu de la quantité limitée achetée (de l’ordre de 7 barriques 1/4), du prix élevé (7 312 d., soit 30 l. 9 s. 4 d.), des frais annexes importants (1 272 d., soit 17,4 % de la valeur des vins) et des tracas que l’opération engendra, il fallait pouvoir escompter une rentabilité élevée. Jean Vincent et l’auteur se rendirent eux-mêmes à Villalba. On ignore le mode de locomotion, mais il en coûta 299 d. avec les frais d’hébergement communs, plus 136 d. pour ceux de Jean Vincent resté sur place à surveiller la mise en fût. L’auteur s’en revint à cheval jusqu’à Nueve Suertes, où il prit un bateau qui le conduisit à Sanlúcar (28 d.). Une fois le marché conclu et, on imagine, l’auteur revenu à Sanlúcar, François Marzin partit de cette ville pour aller porter à Jean Vincent, resté à Villalba, l’argent destiné au paiement des vins (255 d.). Après leur

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arrimage sur une ou plusieurs barques, des bateliers de Mures les convoyèrent jusqu’à Sanlúcar, en descendant le caño Guadiamar puis le Guadalquivir (336 d.)75. Arrivés à destination, ils furent chargés sur le navire mais avant de les arrimer (150 d.) il fallut faire appel à un tonnelier pour « étancher deux botes de vin » qui perdaient (68 d.).

31 L’achat de 30 quintaux de savon à Séville pour un montant de 36 000 d. (150 l.), dans des conditions que l’on ignore, donna également lieu à des frais annexes, entre autres pour l’emballage et le transport en couffins (« cerons »)76, supposant un acheminement par la route à dos de bêtes (p. 172-173). Contrairement au savon pour lequel 989 d. de coutume furent acquittés, les 58 cahices de sel 77 étaient exempts de droits, ce qui fait penser à un marché passé dans le ressort de la seigneurie du duc de Medina Sidonia. Mais il fallut recourir aux services d’un courtier (34 d.) et d’un mesureur (34 d.) et aménager les bateaux pour le transport sur le Guadalquivir ainsi que le navire pour y charger le sel. Les 1851 d. obole déboursés représentaient 17 % de la valeur d’achat du sel. Mis bout à bout, ces divers frais renchérissaient le prix de revient des marchandises. Il fallait en garder la trace afin de les répercuter sur le prix de revente.

32 Document isolé, le compte morlaisien de 1530 n’en présente pas moins une valeur d’exemple à plus d’un titre. Il éclaire l’activité des marchands de Morlaix dans une période où les marins et les marchands bretons sont très actifs à l’échelle de la façade atlantique de l’Europe. Au-delà du cas breton, il illustre plus largement les pratiques en matière de commerce maritime d’autres marchands français, capables d’opérer eux aussi sur les marchés internationaux selon des modalités similaires. Le montage d’une affaire nécessitait la réunion d’un capital de départ, constitué ici principalement par des toiles fabriquées dans différents centres textiles bretons. Ailleurs, cela pouvait être du vin, du sel, du blé, du poisson ou tout autre produit susceptible de trouver un débouché sur le marché prospecté. Le compte n’éclaire pas les connexions entre le port de Morlaix et son hinterland breton car cela n’est pas son objet. Il montre en revanche l’écoulement à partir de celui-ci de paquets de toiles sur un marché extérieur, andalou en l’occurrence, et l’achat d’un fret de retour avec l’argent tiré de leur vente, du vin, du sel et du savon destinés à être revendus à leur tour en Flandre. Nécessitant une bonne connaissance des marchés, un certain sens des affaires et un peu de chance pour échapper aux nombreuses infortunes, le système permettait d’engranger des bénéfices à chaque étape, une fois déduits le transport maritime, les droits fiscaux, les frais de bouche et d’hébergement, mais aussi de nombreux coûts de fonctionnement annexes qui échappent d’ordinaire à l’historien. La masse des informations permet de reconstituer de multiples facettes des activités d’un marchand jusque dans les détails pratiques. Les opérations d’acheminement des marchandises de Morlaix à Roscoff et leur chargement sur le navire de Jean Le Goyc constituent un modèle du genre tant elles illustrent une multiplicité de situations.

33 Bien qu’il ne fournisse guère d’informations sur le retour, le compte ne peut pas être considéré comme incomplet. Son auteur opère au sein d’une organisation commerciale et d’un montage financier qui vont au-delà de sa seule personne et dont il n’est qu’un des rouages. Il se borne à rendre compte des tâches qui lui ont été confiées et qui semblent prendre fin avec la livraison des marchandises à Rammekens. Même si l’hypothèse de Jean Pommerol d’un voyage réalisé dans le cadre d’un apprentissage du

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métier de marchand ne peut pas être vérifiée, on devine à l’œuvre les solidarités familiales et géographiques, les appuis que la présence de compatriotes assurait à l’étranger, sans abolir pour autant des hiérarchies professionnelles et sociales marquées, en place avant le départ de Bretagne. La première s’exerce entre marchands et marins. Parmi ces derniers, seuls les maîtres se mêlent aux marchands en partageant avec eux pichets de vin et quelques repas. Les marins doivent souvent se contenter de « breuvage » (vin de moindre qualité). Ils sont de simples auxiliaires pour conduire l’auteur à Cadix avec l’embarcation du bord, accompagner François Marzin par la route jusqu’à Sanlúcar, décharger et aider à déballer les paquets de toiles à Sanlúcar, tâches pour lesquelles ils sont rémunérés. D’autres lignes de démarcation se maintiennent, comme celles qui passent entre les marchands principaux et leurs commis ou facteurs, d’une part, et avec les simples employés, d’autre part. À partir de menus signes, on devine que les personnes dont les noms défilent dans le compte occupent des places différentes au sein de cette galerie de portraits.

34 Produit par des marchands bretons et à leur usage propre, le compte de 1530 n’en jette pas moins quelques lueurs sur le marché ibérique où ils opèrent. À la différence des Génois, communauté étrangère nombreuse et active de façon régulière, la présence bretonne était moins affirmée, plus sporadique et par conséquence moins visible dans les sources andalouses qui la captent de manière fragmentaire à partir de documents administratifs, fiscaux et judiciaires. Le compte fournit un intéressant contrepoint commercial, financier et humain en montrant non seulement les marchands étrangers à l’œuvre mais aussi en dévoilant leurs contacts et leurs partenaires locaux : consul, coutumier, mesureur, courtier, marchands, bateliers… Les moindres faits et gestes, tout incident ou imprévu dans la mesure où ils constituent une source de dépenses, si menue soit-elle, nous plongent au cœur de la vie quotidienne. On devine les soucis, comme ceux causés par deux des trois botas de vin de Villalba, payées un prix élevé, ramenées à grands frais à Sanlúcar, et qui perdaient, ce qui nécessita l’intervention urgente d’un tonnelier local pour les étancher. Après un voyage à cheval entre Villalba et Nueve Suertes, avec la difficile traversée de zones humides, le repas pris le soir à Nueve Suertes et le retour en bateau jusqu’à Sanlúcar avec « les deulx payns que je mys dedans le basteau au lequel je m’en vyns » peuvent sembler des moments de répit sinon de repos. Pour peu que l’on dépasse la litanie des produits et l’apparente austérité des chiffres, le compte morlaisien de 1530 se révèle être d’une exceptionnelle richesse.

ANNEXES

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Correspondance entre les folios du manuscrit et les pages de la transcription de Dauphin Tempier

Édition de D. Tempier AD Côtes-d’Armor, 1 Ms 6 (folios) (pages)

Ventes de toiles en Andalousie (1-9)

161-168 Au folio 1 vº, un espace laissé en blanc sépare les ventes faites à Cadix de celles réalisées à Sanlucar

Folio 9 vº en blanc

Mises et avaries pour la marchandise et le navire (10-14) 168-171

Folio 14 en partie en blanc et folio 14 vº en blanc

Emploi dudit argent lors du voyage en Andalousie (15-17 vº) – folio 17 vº 171-173 en partie en blanc

Argent envoyé à l’hôtel à Sanlucar (18-19 vº) 173-175

Argent reçu de Robert Le Barbu à Morlaix (20-21 vº) 175-176

Folios 22 et 22 vº en blanc

NOTES

1. Faute de place pour développer cet aspect, nous renvoyons à la présentation des comptabilités des marchands français conservées pour les années 1400-1520 dans : BOCHACA, Michel et MICHEAU, Jacques, Fortaney Dupuy, un marchand de Bordeaux à l’aube de la Renaissance et ses livres de comptes (édition et étude historique), Saint-Quentin-de-Baron, Les Éditions de l’Entre-deux-Mers, 2014, vol. 2, p. 1-3.

2. TEMPIER, Dauphin, « Le compte d’un Breton voyageur de commerce en Espagne (1530) », Société d’émulation des Côtes-du-Nord, t. XLI, 1903, p. 161-176. Les opérations réalisées en Flandre nous échappent. Le retour à Morlaix, totalement passé sous silence, paraît avoir été précédé par une escale forcée en Angleterre à cause de mauvais temps. URL : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207842x. Consulté le 26 janvier 2016. 3. Il s’agit à notre connaissance de la seule comptabilité antérieure au milieu du XVIe siècle faisant exclusivement état d’opérations relevant du grand commerce maritime dont nous disposons pour un marchand français de la façade atlantique du royaume. 4. TEMPIER, Dauphin, « Le compte d’un Breton… », art. cité, p. 161-176. On apprend incidemment que le compte provient des Archives départementales des Côtes-du-Nord par le compte-rendu de la séance du 17 février 1903, au cours de laquelle il fut décidé de le publier (Ibidem, p. 5). L’absence d’indication des folios empêche de saisir certains aspects de l’organisation du compte.

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5. POMMEROL, Jean, « De Morlaix au Guadalquivir », La Revue de Paris, t. IV, 1908, juillet- août, p. 563-582 et septembre-octobre, p. 169-187. Cet auteur, qui connaissait l’édition de D. Tempier, déclare avoir consulté le document original parmi « les papiers anciens des familles Le Bihan-Forget » (p. 576 n. 1 et p. 169 n. 2). 6. DARSEL, Joachim, Histoire de Morlaix des origines à la Révolution, Rennes, 1942, rééd. Morlaix, Le Bouquiniste, 1997. 7. TOUCHARD, Henri, Le commerce maritime breton à la fin du Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 1967, p. 283-284. 8. PENNANGUER, Anne, « Les Bretons en Andalousie aux XVIe et XVIIe siècles », dans MARTINET, Jean et PELLERIN, Yvon (dir.), De la toile au lin. La proto-industrie textile en Bretagne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 167-178 (p. 171 n. 20). 9. GIRARD, Albert, El comercio francés en Sevilla y Cádiz en tiempo de los Habsburgo. Contribución al estudio del comercio extranjero en la España de los Siglos XVI al XVIII, Sevilla, Editorial Renacimiento, 2006, p. 137. 10. Nous remercions Mme Anne Lejeune, directrice des Archives départementales des Côtes-d’Armor, qui nous a communiqué les références exactes et permis d’accéder à une reproduction du document. 11. D. Tempier n’a pas signalé les mots supprimés. Au folio 4, après le premier article, le début d’un nouvel article a été supprimé. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une inadvertance alors que l’auteur recopiait des notes ou la version originale du compte. Quelques mots ont également été supprimés aux folios 16, 18, 18 vo, 19, 19 vo. Un récapitulatif a été ajouté en haut du folio 19 vo, dans la marge de gauche : Somme VI ducados / et XIc LXIIII d. / vallants en ducados IX ducados / et XXXIX d. Cet article n’a pas été transcrit par D. Tempier (p. 174-175). Bien que l’auteur emploie habituellement ducatz et non ducados, l’écriture semble être de la même main. 12. Faute d’avoir consulté le document original nous ne pouvons pas préciser ses dimensions ni la couleur de l’encre. 13. La transcription du compte de 1530 publiée par D. Tempier dans les Bulletins et mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord étant plus aisément accessible que l’original conservé aux Arch. dép. des Côtes-d’Armor, nous renvoyons aux pages de celle-ci. Nous avons indiqué en annexe les correspondances avec les folios du manuscrit, ce qui a permis de préciser des points de l’organisation du compte qui n’apparaissaient pas dans la transcription de D. Tempier. 14. Ce chapitre débute par la formule : « Jé recepu de mon oncle Robert Le Barbu a Mourlaix pour faire mise avant partir audict voiaige la somme de C sols monnoie. » L’article suivant, qui introduit l’énumération des mises, reprend la logique des chapitres antérieurs : « Ensuit ce que jé faict de mise dudict argent. » 15. Voir carte 1. Nous avons représenté sur celle-ci les quatre grands postes de dépenses et de recettes (A, B1, B2, B4) ainsi que des bilans intermédiaires inscrits dans le compte (B3, B5). Les récapitulatifs de dépenses en bas-de-casse (B1) et les montants de dépenses justifiées et non justifiées en italiques (B4) sont de notre fait. 16. Compte tenu d’un montant de dépenses non justifiées de 9 021 d. (B4) et d’un excédent final global de 72 d. obole (B5), on peut supposer que cette somme a été prise en compte.

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17. On devine des entorses à la chronologie : le droit payé au consul des Bretons et les 110 deniers d’assurance versés au duc de Medina Sidonia à Sanlúcar s’intercalent entre la mention du paiement des brefs et d’autres préparatifs en Bretagne (p. 169). L’auteur a manifestement regroupé des dépenses d’un même type indépendamment de leur étalement dans le temps. 18. Les numéros des paquets de toile sont eux aussi indiqués en chiffres arabes (p. 161, 162). L’indication d’une somme de « 8 reaulx » est exceptionnelle, sans doute due au manque de place en bout de ligne (p. 163). 19. La bota de Jerez contenait 30 arrobas et la pipe 25. 20. L’auteur emploie le terme obole pour les fractions de sommes équivalant à un demi- denier, mais il n’utilise pas celui de pite pour les quarts de denier (1 pite = 1/4 d., 3 pites = 3/4 d.). 21. BOCHACA, Michel et MICHEAU, Jacques, Fortaney Dupuy…, op. cit., p. 85-126. 22. Robert Le Barbu est mentionné sans référence de parenté avec l’auteur (p. 173-174). 23. POMMEROL, Jean, « De Morlaix… », art. cité, p. 169 et n. 2. 24. Arch. dép. de Gironde, B 19, fo 295, 22 août 1524, arrêt du parlement de Bordeaux en faveur de Nicolas et Yvon Neuz, père et fils, et de Robert Le Barbu, marchands de Morlaix, appelants contre le juge de l’amirauté de Marennes, et ordonnant la restitution des biens qui leur ont été saisis. 25. PÉRENNÈS, Henri, « Notices sur les paroisses du diocèse de Quimper et de Léon. Morlaix. Instituts religieux. Saint-François de Cuburien », Bulletin diocésain d’histoire et d’archéologie, 1935, p. 1-18 (10-12). Au milieu du XVe siècle, le vicomte de Léon donna aux frères mineurs de Pontivy une chapelle à la lisière de la forêt de Cuburien, près de Morlaix (auj. commune de Saint-Martin-des-Champs, faisant partie de l’agglomération de Morlaix). Reconstruite à partir de 1527, elle fut consacrée en 1531. Le vitrail aurait été offert par Jean Le Barbu et son épouse vers 1560 (LE GUENNEC, Louis, Le Finistère monumental, t. I, Morlaix et sa région, rééd. Société des Amis de Louis le Guennec, Quimper, 1979, p. 52). Occupant la dernière fenêtre à droite de la nef, à l’aplomb de laquelle est placé l’enfeu des donateurs, il représente quatre épisodes de la vie de saint Jean-Baptiste (prédication, baptême du Christ, décollation et festin d’Hérode). La chapelle était proche du manoir de Bigoudou (Saint-Martin-des-Champs), dont les ruines sont encore visibles. 26. POMMEROL, Jean, « De Morlaix… », art. cité, p. 169 et n. 2. Les archives des familles morlaisiennes auraient gardé la trace d’au moins deux autres de ces voyages « verts », comme les appelle Jean Pommerol, sans préciser de quelles familles il s’agit. Selon lui, le compte de 1530 serait le plus intéressant des trois. 27. Henri Touchard ( Le commerce maritime breton…, op. cit., p. 284) considère les marchands morlaisiens qui opèrent en Andalousie en 1530 comme de « petites gens » et émet des réserves sur la rentabilité des affaires. 28. Plutôt qu’Arnemuiden, ancien port situé sur la côte ouest de l’île zélandaise de Walcheren, comme l’a avancé Henri Touchard, « Arremac » est plus probablement Rammekens, mouillage sur la côte sud de cette île, à l’embouchure de l’ancien canal de Welzinge, donnant accès au port de Middelbourg, à quelques kilomètres à l’est de Flessingue, sur l’Escaut méridional. De là, les navires pouvaient se rendre à Middelbourg ou poursuivre vers Anvers. L’auteur y attendit un vent favorable au moins

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quatorze jours, avant de s’en revenir sur le navire de Mathelin Tournemouche, un autre Morlaisien, avec une escale forcée en Angleterre, à Rye dans le comté de Sussex (p. 171). 29. À Roscoff et à Sanlúcar, l’auteur surveille le transbordement des marchandises dont il a la responsabilité. Il n’évoque à aucun moment l’affrètement du navire et n’engage aucune dépense qui pourrait faire penser au paiement du fret. Ce coût était vraisemblablement supporté par le marchand pour lequel il travaillait et qui avait négocié les conditions et le prix du transport avec le maître du navire. 30. Archivo Municipal de Jerez de la Frontera, Archivo de Protocolos Notariales, 1516, escribano Antón García del Pecho, fo 329 vo. 31. LE BOUEDEC, Gérard, « La pluriactivité dans les sociétés littorales XVIIe-XIXe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 109-1, 2002, p. 61-90. TRANCHANT, Mathias (dir.), Face aux risques maritimes. La pluriactivité et la mutualisation comme stratégies individuelles et collectives (XIIIe-XVIIIe siècle), Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 120-2, 2013.

32. TEMPIER, Dauphin, « Le compte d’un Breton… », art. cité, p. 161, « Ensuit la vante des toilles en Endolousye en apvrill 1530 » ; p. 168, « Ensuivent les mises et avaries que jé poyé tant pour la marchandise que le navyre durant ledict voyaige en Endolousye 1530 » ; p. 171, « Ensuit l’emploiement dudict argent ledict voiaige en Endolousye 1530 » et « La mise que jé faict pour ledict vin 1530 » ; p. 173, « Ensuilt ce que jé envoié d’argent a l’ostel dudict Sainct Lucas 1530 ». 33. POTIER DE COURCY, Pol, Nobiliaire et armorial de Bretagne, t. III, Rennes, J. Plihon et L. Hervé, 1890, p. 168. Famille de marins et d’armateurs, les Tournemouche devinrent au XVIIe siècle seigneurs de Kergueff, paroisse de Plougasnou, et du Bodonn, paroisse de Lanmeur. Mathurin Tournemouche, qui vivait en 1543, était le père de Jacques, bailli de Morlaix en 1552, anobli en 1600, et le grand-père de Martin, maire de Morlaix en 1586. 34. BOCHACA, Michel, « D’un port à l’autre : le temps dans les récits de traversée des mers du Ponant au XVe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 122-2, 2015, p. 43-65. L’attente d’un temps favorable au port ou dans un mouillage forain, c’est-à- dire un vent convenablement établi en force et en direction pour faire route, pouvait entraîner des retards importants au moment d’appareiller ou obliger à interrompre la navigation pour chercher un abri. Les passagers qui en avaient les moyens logeaient à terre durant cette attente, évitant l’inconfort et le confinement à bord du navire. 35. LEGUAY, Jean-Pierre, « Un aspect de l’histoire et de l’économie urbaines bretonnes : les petits ports des abers et des rias au XVe siècle », dans CONNOCHIE-BOURGNE, Chantal (dir.), Mondes marins au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2006, p. 297-315. La réunion des deux cours d’eau donnait naissance à la rivière de Morlaix. TANGUY, Jean, Morlaix, Atlas historique des villes de France, Paris, CNRS, 1986. 36. Il devait s’agir d’un canon de petit calibre se chargeant par la culasse. Lors du tir, un coin de fer bloquait dans son logement la « boîte », pièce amovible contenant la charge de poudre et le projectile. Un « quarteron de plomb pour faire des plombées pour l’artillerie » fut également embarqué, soit environ 42 livres de métal d’après le prix payé. 37. Le réemploi de barriques usagées donnait lieu à un marché de seconde main. On devine que les barriques, après démontage d’un des fonds, étaient lavées à grande eau pour enlever les dépôts liés au vin. Avant d’y stocker des marchandises, il fallait sécher l’intérieur au moyen d’un feu de paille.

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38. Maugère, manguère, mangère, petite manche, petit tuyau de toile ou de cuir cloué sur un dalot (JAL, Augustin, Glossaire nautique, vol. 2, Paris, Firmin Didot Frères, 1848, p. 993). Les « mangueres » apparaissent aussi dans les « mises et avaries [...] tant pour la marchandise que le navyre » avec une dépense de 93 d. « pour les mangueres et les clous » (p. 169). 39. Ermitage du Restelo (Ermida do Restelo) situé à l’ouest de Lisbonne, sur une hauteur dominant la tour de Belém et le monastère de Santa María de Belém. 40. Vila Nova de Portimão dans l’Algarve. Cette escale occasionna des dépenses plus importantes que la précédente (75 d.) : 5 sous pour le lamanage du navire, 5 s. 6 d. pour « despans en ladicte ville », 1 s. 12 d. pour l’achat d’huile et de vinaigre. 41. Couvertures de lit ouatées et piquées. Dix-huit furent vendues à Sanlúcar, dont 12 en gros (p. 164). 42. La vaisselle fut vendue au poids, mais il n’est pas précisé si les 246 livres et 5 onces écoulées représentaient la totalité du chargement. 43. TOUCHARD, Henri, Le commerce maritime breton…, op. cit., p. 210-214 et 281-284. FERREIRA, Elisa, « Bretons et Galiciens : une rencontre à la fin du Moyen Âge », dans KERHERVÉ, Jean et DANIEL, Tanguy (dir.), 1491 La Bretagne, terre d’Europe, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 1992, p. 67-79. CASADO ALONSO, Hilario, « La Bretagne et le commerce castillan aux XVe et XVIe siècles », Ibidem, p. 81-98.

44. OTTE, Enrique, Sevilla y sus mercaderes a fines de la Edad Media, Sevilla, Universidad de Sevilla, 1996. MINGORANCE RUIZ, José Antonio, Los extranjeros en Jerez de la Frontera a fines de la Edad Media, thèse inédite, Universidad Pablo Olavide (Séville), 2013. 45. GÓNZÁLEZ GÓMEZ, Antonio, Moguer en la Baja Edad Media, Huelva, Diputación Provincial de Huelva, 1976. MORENO OLLERO, Antonio, Sanlúcar de Barrameda a fines de la Edad Media, Diputación de Cádiz, Cádiz, 1983. 46. AZNAR VALLEJO, Eduardo, « Andalucía y el Atlántico Norte a fines de la Edad Media », Historia, Instituciones y Documentos, t. 30, 2003, p. 103-120. 47. BAQUERO MORENO, Humberto, « Relaçoes marítimas entre Portugal e a Baixa Andaluzia nos sécalos XIV e XV », Estudios de Historia y Arqueología Medievales, t. X, 1994, p. 16.

48. AZNAR VALLEJO, Eduardo, « Andalucía y el Atlántico Norte… », art. cit., p. 113-114. Le chroniqueur sévillan Garcí Sánchez rapporte qu’en 1462 « au mois de novembre, il vint beaucoup de blé par la mer de Bretagne ». Le blé venu de Bretagne représenta en 1469 65 % des importations de Séville. 49. MINGORANCE RUIZ, José Antonio, Los extranjeros…, op. cit., p. 2151-2152. Les Bretons étaient exempts du paiement de droits à Jerez. Le paiement incombait à ceux qui achetaient leurs marchandises (4 % ad volorem) ou leur vendaient des produits (2,5 %). 50. Les possessions des ducs de Medina Sidonia s’étendaient le long de la côte depuis Cadix jusqu’à Huelva, à l’exception de la baie de Cadix et de son arrière-pays (El Puerto de Santa María, Cadix, Jerez, terriroires de realengo) et des petites seigneuries de Moguer y de Gibraleón. 51. Le terme castillan vecino, voisin en français, désigne une personne membre d’une communauté villageoise ou urbaine qui bénéficie des privilèges de celle-ci. Ce statut juridique s’apparente à celui de bourgeois en France.

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52. MORENO OLLERO, Antonio, Sanlúcar de Barrameda…, op. cit., p. 212-213. Ces privilèges sont connus à travers les registres municipaux du XVIe siècle. Ils étaient de même nature que ceux accordés aux Bretons à Jerez en septembre 1466 (Idem, p. 131). Les Bretons pouvaient faire entrer et sortir des marchandises, les vendre et les acheter sans payer de droits. Au début du XVIe siècle, le duc désignait un voisin ou un regidor de Sanlúcar pour faire office de consul. Dans le cas de Jacques de Huete et de Duran Beller, il pourrait s’agir de personnes d’origine bretonne. 53. GÓNZÁLEZ GÓMEZ, Antonio, Moguer…, op. cit., p. 271. En 1485, Pedro de Portocarrero, seigneur de Moguer, se plaignit aux Rois Catholiques que le duc de Medina Sidonia « défendait que les navires des Bretons aillent à ladite ville de Moguer ». 54. MORENO OLLERO, Antonio, Sanlúcar de Barrameda…, op. cit., p. 212. En 1515, les collecteurs de taxes de Sanlúcar (almojarifes) informèrent le duc que le marquis d’Ayamonte incitait les Bretons à venir s’établir dans sa ville. 55. MORENO OLLERO, Antonio, Ibidem.., p. 30. 56. Ibidem, p. 212-213. 57. Ibid., p. 130-132. En 1518, Juan de Córdoba, marchand de Sanlúcar, choisit pour parrains de son fils les marchands bretons Charles Marote, Robert Bago et Jean de la Sega. L’enfant fut prénommé Charles. 58. Un poste de dépenses est consacré au « lamanage d’entrer et sortir dudit port » (p. 169). Le montant élevé (2 ducats ou 750 d.), au regard des 100 d. payés à Vila Nova, devait englober les différents mouvements du navire pendant le séjour entre El Puerto de Santa María, Cadix et Sanlúcar, en plus de l’entrée initiale et de la sortie finale. 59. Censo de Pecheros : Carlos I, 1528, Instituto Nacional de estadistica, II, Mardrid, 2008, p. 141. El Puerto de Santa María comptait 1584 voisins contribuables et, à la différence de Sanlúcar et de Cadix, était « un port très sûr où beaucoup de navires viennent se protéger », ce qui lui assurait un grand trafic : « bois, fruits, toiles, draps ». SÁNCHEZ GONZÁLEZ, Antonio, Medinaceli y Colón : El Puerto de Santa María como alternativa del viaje de Descubrimiento, El Puerto de Santa María, 2006. 60. Archivo Municipal de Jerez de la Frontera, Actas Capitulares, 1482, fo 1-11 vo. 61. ABELLÁN PÉREZ, Juan, Cronicón de Benito de Cárdenas, Jerez de la Frontera, Peripecias Libros, 2014, p. 78. 62. MINGORANCE RUIZ, José Antonio, Los extranjeros…, op. cit., p. 377. 63. Le troisième Breton était Jean Le Blouch (p. 167). 64. MORENO OLLERO, Antonio, Sanlúcar de Barrameda…, op. cit., p. 212-213. Le consul exerçait une juridiction civile et criminelle sur les Bretons résidant à Sanlúcar dans les affaires les opposant entre eux, à des voisins ou à d’autres personnes. En 1513, profitant de l’importance acquise par les Anglais, la municipalité chercha à limiter ses prérogatives. Alvar González, consul en fonction, montra les privilèges dont les Bretons disposaient depuis 1466 et que les ducs successifs avaient confirmés; ses attributions furent cependant limitées aux seuls Bretons. 65. Cadix était une ville de realengo, c’est-à-dire relevant directement du roi, dans laquelle les Bretons ne possédaient pas de franchises fiscales. Alors que l’auteur francise certains termes castillans, il emploie des mots français pour le paiement des droits fiscaux : « costume » (p. 161, 172), « grand coustumyer dudict Sainct Lucas » (p. 164, 165), « coustumer » (p. 170). SÁNCHEZ SAUS, Rafael, « Dependencia señorial y

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desarrollo urbano en la Andalucia Atlántica : Cádiz y los Ponce de León en el siglo XV », Acta historica et archaeologica mediaevalia, no 26, 2005, p. 903-928 ; SÁNCHEZ HERRERO, José, Cádiz la ciudad medieval y cristiana (1260-1525), Madrid, 2001. 66. Censo de Pecheros : Carlos I, 1528, op. cit., p. 140. 67. Maison avec boutique si l’on se fie au sens du mot échoppe en français. Louée durant trois mois, elle servit de lieu de vie et de travail à l’auteur, à Jean Vincent et à François Marzin. 68. Archivo Municipal de Jerez de la Frontera, PN, 1517-04-12, escribano Juan Ambrán, non folioté, le marchand Diego de Lepe, spécialisé dans le commerce des textiles, avait en stock 89 varas « de Bretagne » y 44 varas et demie « de Vitré ». Ibidem, 1521-03-02, escribano Luís de Llanos, fol. 287-290 vo, le capitaine Bartolomé Estupiñán possédait des « artes de Bretaña con fajas amarillas », vraisemblablement des courtepointes « avec des bandes jaunes ». 69. Sept pièces et demie de toiles de Tréguier sont vendues à la pièce, ou à raison d’une pièce et demie ou de deux pièces et demie. Trois ventes de 110,5, de 97,5 et de 54 varas ont lieu « en détail », ne représentant en tout qu’une pièce trois-quarts (p. 163). 70. Archivo Municipal de Jerez de la Frontera, PN, 1516, escribano Antón de Alarcón, fol. 58 vo. En 1516, Juan de Medina acheta du vin de Jerez, pour un montant de 43 000 maravédis, appartenant à un Génois, voisin de Cadix, détenteur de vignobles dans la région de Jerez. Les marchands étrangers avaient pour habitude de fournir un acompte. En 1500, les marchands de vin de Jerez se plaignirent de l’interdiction faite par les Rois Catholiques de vendre du vin aux étrangers au motif que ceux-ci versaient des arrhes (Archivo Municipal de Jerez de la Frontera, AC, 1500, marzo, 24, fol. 25). D’après les ordonnances municipales de Jerez de 1483, la vendange avait lieu durant la première quinzaine de septembre. Les regidores recommandaient de la faire le plus rapidement possible pour prendre de vitesse les villes voisines, sinon les marchands allaient s’y fournir en premier (Archivo Municipal de Jerez de la Frontera, AC, 1483, fo 216 et suiv.). 71. Avec 3 500 voisins contribuables en 1528, Jerez était la ville la plus importante à l’arrière du secteur de côte de Cadix. Elle était réputée pour ses vins, dont les officiers royaux mentionnent le transport « par le fleuve Guadalete jusqu’à la mer, où on les embarquaient » (Censo de Pecheros : Carlos I, 1528, op. cit., p. 136). 72. Aujourd’hui vin sec, de robe blanche tirant sur le doré. 73. Censo de Pecheros : Carlos I, 1528, op. cit., p. 121. 74. Autre hypothèse, l’auteur du compte alla-t-il chercher ces vins pour répondre à la commande d’un marchand qui devaient en prendre livraison à Rammekens ou à Anvers ? Le 9 mai 1514, Ana Suárez de Toledo chargea Juan de Zafra, marchand, voisin du Puerto de Santa María, d’acheter pour elle en Flandre un drap de soie d’Arras de 15 000 maravédis pour sa nièce Marina de Carrizosa (Archivo Municipal de Jerez de la Frontera, Protocolos notariales, 1514-05-09, escribano Luís de Llanos, non folioté). 75. Sur le trafic fluvial du Guadalquivir, voir GARCÍA FUENTES, Lutgardo, « Los libros de Armada, la Casa de la Contratación y los orígenes del Estado de Bienestar », dans VILA VILAR, E. et al. (éd.), La Casa de la Contratación y la navegación entre España y las Indias, Séville, CSIC, 2004, p. 1033-1059. Des travaux interdisciplinaires réalisés dans le cadre du Séminaire Agustín de Horozco (université de Cadix) ont amélioré la connaissance de l’utilisation des ressources hydrologiques sur la côte atlantique de Cadix. Ils ont fait l’objet d’une mise au point récente dans LAGÓSTENA BARRIOS, Lázaro Gabriel (dir.), Lacus

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autem idem et stagnus ubi inmensa aqua convenit. Estudios históricos sobre humedales en la Bética (II), Cádiz, 2016. 76. L’auteur a restitué phonétiquement le mot castillan serón (couffin en français) par « ceron ». Couffin : cabas pour le transport des marchandises. Grand Larousse encyclopédique, Paris, Larousse, 1963, t. 3. Il s’agit de paniers en fibres végétales (osier) utilisés pour le transport de marchandises en vrac. Voir : CÓRDOBA DE LA LLAVE, Ricardo, « Los instrumentos de la relación comercial. Medios, técnicas y útiles de transporte en la España bajomedieval », en En el comercio en la Edad Media, XVI Semana de Estudios Medievales, Logroño, Instituto de Estudios Riojanos, 2006, p. 189-252 (235). 77. Alors qu’un achat de 58 cahices est déclaré, le transport payé à des bateliers de Mures correspond à un volume de 60 cahices.

RÉSUMÉS

Au retour d’un voyage qui l’a conduit en 1530 de Roscoff en Andalousie avec un chargement de toiles, avant de repartir pour la Flandre avec du vin, du savon et du sel, un marchand anonyme de Morlaix dresse un état des recettes et des dépenses générées par ses activités. Le document est exceptionnel par sa rareté, d’abord en tant que livre de comptes de marchands, ensuite parce qu’il détaille une entreprise relevant du grand commerce maritime. La minutie avec laquelle les dépenses ont été consignées permet une plongée au cœur des activités de ce marchand (produits, clients, fournisseurs, intermédiaires et auxiliaires divers), en le suivant d’abord à Morlaix et à Roscoff, puis en Andalousie au Puerto de Santa María, à Cadix, à Sanlúcar de Barrameda, jusque dans un lieu reculé, loin de la côte, comme Villalba.

In 1530, after a trip from Roscoff to Andalusia (El Puerto de Santa María, Cadiz, San Lucar de Barrameda) to send cloths and buy wine, soap and salt, an anonymous merchant of Morlaix recorded all the revenues and expenses generated by his activities. The document is exceptionally rare both as a merchant account book and because it details transactions of maritime trade. The thoroughness with which the expenditure was logged enables us to examine this merchant’s activities (products, customers, suppliers, various intermediaries and auxiliaries). The accounts take us from Morlaix to Roscoff and from there to Andalusia in El Puerto de Santa María, Cadiz, Sanlúcar de Barrameda, and even in as remote a place as Villalba, far from the coast.

INDEX

Thèmes : Andalousie, Morlaix, Léon Index chronologique : XVIe siècle

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AUTEURS

ENRIQUE RUIZ PILARES Université de Cadix

MICHEL BOCHACA Université de La Rochelle

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Les Saints de Solesmes : des résurgences dans la statuaire espagnole du Siècle d’Or ? The saints of Solesmes: artistic resurgence in Spanish statues of the Golden Age

Cyril Peltier

1 Solesmes. 1496. En cette fin de XVe siècle, nombreux sont les ateliers bourguignons1 qui se déplacent vers les pays de la Loire, intéressés autant par l’installation du pouvoir royal dans la région du Val de Loire que par l’établissement de riches mécènes, de communautés religieuses en quête de créations artistiques.

2 Preuve de l’importance politique qu’acquiert le Val de Loire, signalons les visites répétées du roi Charles VIII dont le nom (KAROLO VIII regnante) apparaît dans la date d’exécution de la Mise au tombeau de Solesmes. En effet, le souverain se rend dans le prieuré à trois reprises lors de séjours qu’il fait au château de la Roche-Talbot : le 25 août 1488, le 1er septembre 1488 et le 31 août 14912. Au cours de ces visites, le roi tient à Solesmes des séances de son grand conseil ; en outre, tout porte à croire que Charles VIII n’est pas seulement un admirateur de Solesmes mais aussi un bienfaiteur car sur l’entablement de la Mise au tombeau du Christ figurent les armoiries du roi de France au centre, de la reine Anne de Bretagne à gauche et du dauphin Charles Orland à droite.

3 La Mise au tombeau du prieuré de Solesmes, achevée en 1496, serait le point de départ d’une nouvelle génération de sépulcres diffusée par les ateliers tourangeaux de Michel Colombe et de ses élèves3. Dans ce contexte de forte production artistique, les sculptures conservées dans l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes jouissent alors d’une grande renommée et aiguisent la curiosité d’artistes itinérants, de puissants mécènes ou de simples voyageurs. En 1568, un bénédictin de Saint-Maur écrit précisément que ces sculptures sont travaillées « avec un art si merveilleux qu’aujourd’hui encore une foule de gens de toute condition affluent de tous côtés au monastère pour les voir et admirer4 ».

4 Parmi les visiteurs de Solesmes, intrigués par les louanges5 ou intéressés par les possibilités de travail que le chantier leur offrirait, nous pensons au maître

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bourguignon Jean de Joigny6 (1507-1577) qui y aurait fait halte entre 1530 et 1533 avant de poursuivre sa route vers l’Espagne où il devint Juan de Juni. Évoquons en quelques mots sa biographie. Juan de Juni (1507-1577) est un sculpteur bourguignon, originaire de Joigny dans l’actuel département de l’Yonne, qui a quitté sa région natale pour s’établir en Castille à partir de 1533. Il travaille tout d’abord à Léon sur la façade, les stalles et le cloître du couvent Saint-Marc puis se déplace en Castille (Medina de Rioseco, Salamanque, Capillas) au gré des contrats qui lui sont proposés. À partir de 1540, il s’établit définitivement à Valladolid où il succède à Alonso Berruguete parti travailler à Tolède. On recense à ce jour plus de soixante groupes sculptés, pour la plupart en bois polychrome, consacrés au culte marial et à la Passion du Christ. Son œuvre maniériste se caractérise par une statuaire particulièrement émouvante, de grande intensité dramatique, et indique un faisceau d’influences : la statuaire bourguignonne du XVe siècle, en particulier les travaux de Claus Sluter, la sculpture troyenne du premier quart du XVIe siècle où apparaissent des relations esthétiques avec l’atelier du Maître de Chaource, la Renaissance italienne et notamment les germes du maniérisme, et enfin l’imagerie polychrome castillane, si émouvante et pathétique. À son arrivée en Espagne, il forma avec Alonso Berruguete, Gregorio Fernández, Esteban Jordán, le noyau dur de l’école de sculpture de Valladolid.

5 L’hypothèse que nous formulons dans cet article, déjà émise avant nous par Juan José Martín González7, est un passage du sculpteur bourguignon par l’abbaye de Solesmes. Nous avancerons cette hypothèse avec prudence faute de preuves documentées : en effet, à Solesmes les archives de l’abbaye disparurent lors de la Révolution et quant à Jean de Joigny, il n’a jamais fait mention de sa période d’apprentissage ni de sa pérégrination8.

6 L’unique indice documenté dont nous disposons est la solide relation d’amitié que lia Jean de Joigny avec un sculpteur angevin, Jean d’Angers9. Tous deux firent route ensemble vers l’Espagne où ils arrivèrent en 1533 pour travailler au chantier du couvent Saint-Marc de Léon10. Par la suite, leur parcours est étroitement lié puisque Jean d’Angers intégra l’atelier de son compatriote jusqu’en 1540. Outre les relations professionnelles, ce sont des liens d’amitié qui se tissèrent entre les deux hommes puisque le sculpteur angevin vint témoigner en faveur de son compatriote lors de plusieurs procès en 154511 et 157712. Tout nous laisse à croire que les deux sculpteurs se connurent avant, à Solesmes, au moment des premiers travaux de la Belle Chapelle13.

7 Néanmoins, faute de preuves documentées, il nous faut nous appuyer sur une étude comparative entre le corpus sculpté situé dans les bras du transept de l’abbaye (la Mise au tombeau du Christ réalisée en 1496 et la « Belle Chapelle » dont les travaux commencèrent vers 153014) et la statuaire ibérique du sculpteur bourguignon.

La Mise au tombeau de Solesmes et ses pendants dans la production de Juan de Juni

8 Réalisée à la fin du XVe siècle, la Mise au tombeau de Solesmes est aujourd’hui en parfait état de conservation. L’exécution du sépulcre inaugure la phase de réalisation de statues qui occupent les bras du transept de l’église.

9 À la fin du XVe siècle, Guillaume Cheminart, prieur de l’abbaye de 1486 à 1495, travailla à l’embellissement de son église et fut l’instigateur de la réalisation de cette Mise au

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tombeau. En raison de problèmes de santé, il donna sa démission et fut remplacé par Philippe Moreau de Saint-Hilaire. Cependant, il vécut toujours dans le monastère et la présence de ses armoiries sur la statue isolée de saint Pierre et sur le tombeau indiquerait qu’il est le commanditaire de l’œuvre15. La date de 1496 indiquée par une inscription (MCCCC IIIIXX XVI KAROLO VIIIO REGNANTE)16 portée sur les arabesques saillantes du pilastre gauche de l’encadrement renvoie à la date d’achèvement et situe l’œuvre dans une époque de transition entre l’art gothique finissant et l’art de la Renaissance17.

10 Les sculptures permettent d’étudier, à la fin du XVe et pendant tout le XVIe siècle, les dernières œuvres de la sculpture française du Moyen Âge et l’arrivée de la Renaissance italienne sous Charles VIII. En effet, il s’agit là « d’une œuvre de terroir, bien située dans l’espace et dans le temps18 », écrivit Jacques Hourlier. Outre celle de la sculpture française, l’œuvre présente une influence italienne remarquable dans le décor à candélabres des pilastres19 ou dans l’attitude et l’armure des soldats romains 20. Il est trop tôt pour parler de Renaissance mais plutôt de pénétration artistique italienne, étant donné qu’en 1496 l’influence de l’art italien est encore des plus minimes en France. A priori, elle serait bien extraordinaire à Solesmes et l’étude du tombeau ne permet de la reconnaître qu’en marge de l’œuvre21.

11 Le groupe de l’ensevelissement du Christ occupe tout le pignon du transept droit. Huit personnages sont regroupés, taillés dans plusieurs calcaires issus de carrières d’Anjou ou de Touraine. Le sépulcre occupe la partie inférieure du tombeau où les figures s’engouffrent dans une grotte. L’effet intimiste de la scène est accentué par la présence de la clé pendante qui tombe au centre du monument et par le nombre important de figures imposantes regroupées dans un espace restreint : la Vierge, saint Jean, Marie, mère de Jacques, Marie-Salomé, Nicodème, Joseph d’Arimathie, Marie-Madeleine et un autre personnage qui serait le donateur. Tous se recueillent autour du corps gisant du Christ. Il faut ajouter les deux gardes romains à l’entrée de la grotte et le saint Pierre qui se trouve actuellement dans la nef22.

12 Examinons donc de plus près la Mise au tombeau de Solesmes et tâchons de la comparer avec les œuvres ibériques de Juan de Juni ; d’emblée, les parentés identifiées relèvent de la mise en scène théâtrale, de la composition et de la facture des drapés. Nous ne distinguons pas de similitudes de détails, que ce soit dans la gestuelle, la posture ou l’expression des visages et pour cause, près de cinq décennies séparent la Mise au tombeau gothique de Solesmes de celle maniériste de Valladolid.

13 Les figures de la Mise au tombeau de Solesmes sont disposées dans une grotte, encadrée par deux pilastres qui portent un large entablement. Cet enfeu s’apparenterait à la chapelle qui abritait l’œuvre originale de la Mise au tombeau de Valladolid23, avant que le cloître, le couvent Saint-François et une partie de l’œuvre actuelle ne soient détruits en 1837. En effet, nous savons que les sculptures prenaient place dans un retable, surmonté d’une coupole, qui accentuait l’impression de fermeture et garantissait l’intimité de la scène, comme l’enfeu qui abrite le groupe de Solesmes.

14 Nous retrouvons également des parentés dans la composition iconographique. À Solesmes, deux gardiens en faction sont en avant du sépulcre, postés contre les piédroits de l’enfeu ; il s’agit de « personnages annexes qui empiètent sur notre espace » pour reprendre les termes d’Henri Zerner 24. Ils existaient dans l’œuvre originale de Valladolid25 et sont toujours en place à Ségovie. Enfin, signalons que les premiers commentateurs de l’œuvre de Valladolid écrivent avoir vu les trois Maries26

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placées au second plan, comme à Solesmes et dans de nombreux autres groupes français.

15 D’un point de vue thématique, le sépulcre de Solesmes est semblable à ceux de Juan de Juni : outre la scène de la Mise au tombeau, l’artiste représente également l’embaumement puisque Nicodème porte le vase à parfums à Solesmes et à Valladolid. En outre, comme les groupes de Juan de Juni, la Mise au tombeau de Solesmes témoigne de la relation très marquée avec le théâtre. Chaque figure se distingue par une posture, une attitude, une expression ou une tâche bien définie27.

16 Nous remarquons également la figuration d’un décor avec le monticule de rochers placé derrière les hommes ou celui qui sert de socle à Marie-Madeleine ; l’artiste y représente un petit arbre. Posées sur une pierre, se trouvent les tenailles, preuve que l’artiste ne laisse rien au hasard dans cette mise en scène théâtralisée du drame. On retrouve dans la composition des reliefs de la Piété du musée diocésain de Valladolid et du musée Saint-Marc de Léon un petit arbre sur lequel est déposée la couronne d’épines. Il faut signaler également à Solesmes la présence d’un réceptacle pour déposer l’épine, la même que tient entre ses doigts Joseph d’Arimathie dans le groupe de Juni. Ce détail est rare, pour ne pas dire absent, des autres groupes français et espagnols.

17 En outre, à Valladolid, Joseph d’Arimathie sert de lien avec les spectateurs. Par la main tendue dans laquelle il tient l’épine, le saint homme incite le spectateur à intégrer la scène ; il l’invite à participer à la tragédie. En réduisant la distance entre l’objet et le spectateur, Joseph d’Arimathie cherche à communiquer et à faire partager sa douleur. Dans le groupe de Solesmes, c’est Marie-Madeleine, située en avant du tombeau, qui a la même fonction scénique : réduire la distance avec le spectateur et entrer en contact avec lui. Projetée seule au premier plan, elle incite le spectateur à partager sa sérénité, son recueillement et sa prière28.

18 Dans cet effet de théâtralisation de la statuaire, le sculpteur ne néglige pas la mise de ses personnages. Il montre un soin particulier dans le choix et la taille des habits, comme plus tard Juan de Juni. Ses vêtements semblent « réels ». On y voit parfois, notamment sur le bord du voile de la Vierge, des broderies de lettres entrelacées29. Nous remarquons de nombreux détails : boutons de manche, tresses, franges, des différences de tissus, de broderies, des nuances dans la qualité de l’étoffe, ici souple, épaisse et moelleuse, là finement plissée et ajustée sur la forme du corps ; le travail témoigne d’une conscience artistique admirable. Rien n’est laissé au hasard ; tout est fait avec minutie.

19 Le soin scrupuleux avec lequel sont ciselés tous les ramages, les orfrois, les broderies, le développement aussi des orfèvreries, des colliers, des bijoux et la minutie de leur exécution sont parmi les caractères essentiels du style de l’auteur. Ils montrent une tendance à un art de plus en plus luxueux, de plus en plus riche et amoureux du détail précieux qui s’annonce à la fin du XVe siècle en France et dans les Flandres.

20 Ainsi, à Solesmes, et on peut le supposer aussi dans l’œuvre originale de Valladolid, les soldats romains ont conservé intact leur équipement de personnages « vêtus à l’antique » : la cuirasse, les lambrequins, la cotte de mailles, les genouillères ornées de têtes étranges, un poignard couvert de lettres gothiques fleuries. Nous remarquons ce costume à l’antique chez les soldats de la Mise au tombeau de Ségovie ou chez le soldat

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romain qui complète le martyre de saint Sébastien conservé au musée de la semaine sainte à Medina de Rioseco.

21 Presque tous les personnages du groupe de Solesmes sont revêtus de grandes robes brochées ; on remarque la qualité exceptionnelle des étoffes qui correspondait à la mode et au goût du moment. Ici, ces somptueux vêtements reproduisent les riches étoffes de brocart et de velours qui se fabriquent d’abord dans les ateliers de Dijon, puis dans ceux de Tours avec l’arrivée d’artistes bourguignons30. C’est le cas de Joseph d’Arimathie qui est vêtu d’une lourde robe damassée, aux riches brocarts, bordée d’une fine tresse ; il porte le camail et l’aumônière. Nicodème est coiffé d’un chaperon dont le voile enveloppe son buste. Quant à la figure du donateur, elle se caractérise par le port d’une salade, richement damasquinée, qui ceint le contour de la tête.

22 Intéressons-nous enfin à la composition de ces groupes. Dans le sépulcre de Solesmes, la disposition est « harmonieuse et sans rigidité […] les personnages ne s’alignent pas, ils se répartissent en groupes équilibrés31 ».

23 Jacques Hourlier reprend cette idée en ces termes : « Et que dire de la distribution des personnages dans le Sépulcre même ? On admirera peut-être moins la place de la Magdeleine que la disposition des cinq personnages du fond : c’est simple, harmonieux et sans rigidité. Qu’on se retourne vers le tombeau de Notre-Dame, dans l’autre croisillon, et on sentira cette impression de repos que donne le tombeau de Notre- Seigneur. Les personnages ne s’alignent pas, ils se répartissent en groupes équilibrés. La Vierge n’est pas tout à fait au milieu et elle se penche de côté. Saint Jean, un peu en arrière, s’approche pour la soutenir. Nicodème se range discrètement, complètement séparé de saint Jean, mais il n’en reste pas moins bien en vue. De l’autre côté, les deux Saintes Femmes conduisent de la Vierge au donateur sans heurt et sans vide, par leur mouvement divergent. De cette harmonie de la composition ressort un profond sentiment d’unité. Il est parachevé grâce aux lignes générales que soulignent le mouvement de l’ensemble et la direction des regards : tout se concentre sur le visage du Christ. Et la Magdeleine, qui ne le regarde pas, nous ramène encore à Lui par son attitude et sa position. » La recherche d’unité, d’équilibre harmonieux est également observable dans les Mises au tombeau élaborées par Juan de Juni dans lesquelles la composition des scènes s’organise en respectant les lois de la symétrie.

24 Dans les deux groupes, les figures sont distribuées dans un demi-cercle régulier. La hauteur32 des figures, réparties dans un espace réduit, renforce la sensation d’équilibre. En effet, dans les Mises au tombeau de Juni, l’axe de symétrie sépare la Vierge et saint Jean, avec trois figures parfaitement équilibrées dans chacun des groupes où le mouvement d’une figure renvoie à une autre dans le côté opposé. Un effet de symétrie serait encore plus prononcé si les deux gardes romains n’avaient pas disparu à l’entrée de la chapelle vallisolétaine. L’étreinte de saint Jean et de la Vierge forme la jonction entre les deux groupes.

25 À Solesmes, c’est la figure de la Vierge qui fait office d’axe de symétrie avec là encore trois personnages répartis dans chaque groupe, quatre avec les gardes romains ; enfin, là encore, les deux gardes sont postés à chaque extrémité de la grotte.

26 Outre l’équilibre recherché dans la disposition des figures, remarquons l’effet de symétrie : les figures semblent se répondre par leurs gestes, leurs postures, leurs attitudes33. Dans la Mise au tombeau de Solesmes, les deux officiants sont solidement campés et se font face dans leur tâche ; les bras repliés, les poings serrés énergiquement, ils semblent rivaliser de précautions pour déposer délicatement le

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corps du Christ dans le sarcophage. Au second plan, le geste du bras droit de Marie- Salomé, portant le vase à onguents, assure une parfaite symétrie à l’autre extrémité de la scène avec Nicodème qui lui aussi tient un vase de parfums. La composition de la Mise au tombeau suit un plan magistral. Chaque personnage en équilibre un autre pour former un ensemble unitaire. Ces harmonies ne sont jamais monotones. La Madeleine, assise devant le sarcophage, équilibre le Joseph, anormalement grand, placé à la tête du Christ. Sans elle, Joseph deviendrait trop dominant et les figures derrière lui trop faibles et légères34.

27 À l’entrée de la grotte, ce sont les soldats, légèrement tournés l’un vers l’autre, qui se correspondent par leur posture : tous deux sont en appui sur la jambe droite et le pied gauche est en avant, le bras droit est levé et plié. Quant aux regards, ils sont tous portés vers une seule direction, vers le Christ, « et un même mouvement porte les personnages vers lui35 ».

28 La recherche de symétrie régit les mouvements des figures. Par sa position, le corps allongé du Seigneur établit une ligne horizontale, faisant office d’axe transversal dans la composition. Le linceul participe de cette cohésion puisqu’il forme la contre-courbe de l’arc en anse de panier de l’enfeu. Les figures sont également régies par un effet symétrique rigide et statique. Une somme de détails contribuant à l’harmonie et l’équilibre est remarquable dans ce groupe. Marie, mère de Jacques, les bras repliés devant la poitrine, les doigts scrupuleusement collés, en est un parfait exemple. À ses côtés, la Vierge, en s’apprêtant à étreindre une dernière fois le Fils, a les bras ouverts, parfaitement équilibrés. L’étoffe qui tombe sur les bras de la Vierge est exactement identique chez saint Jean dont la tunique est maintenue par un nœud. Le donateur ou encore Joseph d’Arimathie sont eux aussi empreints d’un caractère symétrique dans leurs gestes : les deux bras sont identiquement pliés, les poings serrés, laissant dépasser de chaque côté du drap mortuaire deux gros pouces. Et que dire de la précieuse Marie- Madeleine ; les pieds sont pliés à l’identique, décrivant à chaque fois le même angle d’ouverture sur lesquels viennent s’accouder symétriquement les bras ; des doigts fins minutieusement croisés se posent délicatement sur les lèvres. Au plus près des personnages, remarquons la taille scrupuleusement symétrique de la barbe chez Joseph d'Arimathie dont les longues boucles se séparent en leur milieu. Le même constat est valable pour la chevelure de saint Jean puisque les mèches ondulantes sont soigneusement réparties.

29 La plupart des étoffes répondent également à ce souci de symétrie. La Vierge se couvre d’un voile dont les courbes tombent en plis réguliers sur son front. Soutenant Notre- Dame, saint Jean porte une tunique qui s’ouvre régulièrement depuis la boutonnière. Quant aux voiles de Marie mère de Jacques et Marie-Salomé, ils s’ornent en leur centre de pierreries, de la même façon que les plis du turban de Joseph d’Arimathie sont parfaitement répartis et ornés également d’un joyau en son milieu36.

La « Belle Chapelle » : œuvre d’inspiration pour Juan de Juni ?

30 Postérieur de trois décennies au groupe de la Mise au tombeau du Christ, le corpus sculpté situé dans le bras gauche du transept est communément appelé la « Belle Chapelle ». Cette dénomination s’explique par la richesse de l’ornementation et le nombre important de statues qu’elle renferme, ce qui en fait « un si admirable musée37

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». « Ici, sculpture, architecture, décor envahissent toutes les parois de l’édifice, en une composition où l’horreur du vide semble la règle générale38 », écrit François Le Bœuf.

31 Si Juan de Juni a fait un passage à Solesmes, ce serait très vraisemblablement en raison des possibilités de travail offertes par l’édification de la « Belle Chapelle ». Sa venue à l’abbaye suppose qu’il observe la Mise au tombeau dans le transept opposé ; l’observation de l’influence du sépulcre sur son art ne suffit pas à expliquer son passage à l’abbaye ; ce sont véritablement les intérêts artistiques et financiers générés par le chantier de la « Belle Chapelle » qui l’incitèrent à venir jusqu’à Solesmes en compagnie de Jean d’Angers, pensons-nous. Comme pour le groupe de la Mise au tombeau dans le bras sud du transept, nous sommes réduit à des conjectures quant à l’autorité de ces sculptures de la « Belle Chapelle ». Les différentes études menées jusqu’à présent n’ont jamais apporté de conclusions probantes et les noms avancés ont souvent donné lieu à des contestations.

32 Dom Guéranger émet la même hypothèse à propos de Germain Pilon en raison de la proximité de son lieu de naissance, Loué, avec Solesmes. Dès lors, on « s’est cru en droit de supposer que l’illustre sculpteur n’avait pu être étranger aux merveilles de son art, qu’on admire si près de son berceau » explique-t-il39. Seulement, vers 1550, période à laquelle s’achèvent les travaux de la « Belle Chapelle », Germain Pilon travaille à Paris. En outre, Dom Guéranger s’interroge sur la capacité d’un seul homme à pouvoir ériger un monument d’une telle envergure.

33 L’autre conjecture, issue d’une tradition merveilleuse, veut que trois artistes italiens, chassés de leur pays et venus trouver refuge à Solesmes en 1550, soient les auteurs de cette « Belle Chapelle » 40. Seulement, l’étude attentive du monument montre que l’œuvre n’est pas le fruit du travail d’artistes italiens, à l’exception de la partie inférieure de la chapelle où le décor, les colonnes ou encore les draperies des docteurs présentent une parenté avec la tradition italienne. Plus exactement, le monument appartiendrait davantage à des artistes « allemands ou à des français, dont le génie s’était transformé au contact de l’Italie41 » précise Alphonse Guepin.

34 La dernière hypothèse est celle de trois artisans d’origine angevine : les sculpteurs Jean Giffard, Jean Desmarais et l’architecte Jean de Lespine. Seulement, là encore, les comparaisons stylistiques avec les sculptures de la façade ouest de la cathédrale d’Angers ou le décor de l’hôtel Pincé ne sont pas des plus convaincantes.

35 Aménagée sous le priorat de Jean Bougler, commencée vers 1530 et achevée en 1553, la « Belle Chapelle » renferme quatre grandes scènes ; l’iconographie est essentiellement consacrée à la célébration de la Vierge et les scènes occupent le fond et les deux côtés du croisillon nord.

36 Dans la partie inférieure de la face nord, sous l’enfeu, se trouve la scène de l’ensevelissement de la Vierge, flanquée des niches de saint Timothée et saint Denys l’Aréopagite, et surmontée de celles de quatre théologiens. Dans la partie supérieure, se déroule la scène de la glorification de la Vierge que son auteur présente comme une Assomption sous le regard des Justes au milieu desquels David joue de la harpe devant l’arche. De part et d’autre, dans une niche plate, prennent place deux personnages tenant des textes de l’Apocalypse. La face se divise elle aussi en deux registres ; dans la partie inférieure, se situe la scène de la pâmoison qui prend place sous un enfeu. Au niveau supérieur, le sculpteur a opposé à la scène terrestre de la pâmoison une scène céleste avec la femme de l’Apocalypse qui, entourée de six Vertus, foule aux pieds le

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monstre. La face ouest reste le mur le moins chargé puisque seule la partie supérieure comporte une scène historiée présentant Jésus parmi les docteurs. Dans la partie inférieure, la porte d’accès à la chapelle a été remplacée depuis par un confessionnal. Enfin, avant qu’elle ne soit déplacée au XVIIIe siècle dans le croisillon sud du transept, près de l’ensevelissement du Christ, la face sud de la « Belle Chapelle » fermait jadis le bras du transept. Dans son état original, on ne pouvait accéder à la chapelle que par une porte située dans le mur ouest qui communiquait avec le cloître. À présent, cette face sud ne comporte que la partie en-dessous de l’entablement. Le panneau présente une Pietà abritée sous un enfeu ainsi qu’un panneau en relief du massacre des Innocents.

37 En raison du manque de cohérence stylistique du travail architectural et de l’ampleur du programme iconographique du monument, il faut envisager une longue durée d’exécution de cet ensemble. La construction débuterait non pas à l’entrée en fonction de dom Bougler, en 1505, mais à partir de 153042 et ne se terminerait que vers 1553, date inscrite sur la colonnade sud.

38 Cultivant l’inattendu, l’instabilité, la confusion, l’œuvre témoigne bien mieux d’une sensibilité proche du maniérisme, comme l’indiqueraient les déformations, les ruptures d’échelle, la juxtaposition d’éléments sans rapport les uns avec les autres, la multiplication des points de vue. Ce jugement doit être nuancé toutefois : la durée, vraisemblablement importante, de la mise en œuvre de la chapelle explique la discontinuité stylistique du cadre architectural qui contraste fortement avec la cohérence de la composition ou du programme iconographique. Le décor de rinceaux et les candélabres des niveaux inférieurs des ensembles est et nord se différencient sensiblement de l’écriture plus nettement antiquisante des parties supérieures et de l’ensemble ouest. Les formes encore caractéristiques de la première Renaissance incitent à situer le début de la construction sinon à l’entrée en fonction de dom Bougler, du moins vers 1530-1535. Le prolongement des travaux jusque vers 1553 expliquerait le changement de parti stylistique et une recherche de formes mieux au goût de l’époque.

39 Cette évolution permet de dégager deux étapes principales dans la réalisation de la chapelle : à la première se rattacheraient les scènes de la pâmoison et de l’ensevelissement, à la seconde l’Assomption, la femme de l’Apocalypse et Jésus parmi les docteurs43. Décrivons en quelques mots les œuvres que Juan de Juni aurait découvertes. Conformément à l’orientation de la chapelle, la table d’autel et la niche crédence se trouvent sur la face est. Cet ensemble est divisé par un entablement en deux scènes : au niveau inférieur, la pâmoison et au-dessus la femme de l’Apocalypse.

40 Dans le registre inférieur, au sein d’un enfeu, la scène de la pâmoison présente la Vierge défaillante, agenouillée, qui s’apprête à quitter la terre et reçoit la communion de la main de son Fils, venu la visiter. Au centre de la composition, elle est doucement soutenue par saint Pierre, debout et cherchant du regard l’hostie que lui tend le Sauveur, et saint Jean, à genoux, la retenant dans un geste plein de tendresse. Devant elle, le Christ lui présente l’hostie, tenant dans l’autre main le calice. Autour de cette communion, se pressent dans la pénombre de l’enfeu deux saintes femmes, à l’expression pleine de douleur comme l’indique le léger froncement de sourcils, la moue de la bouche mais surtout les gestes de leurs mains.

41 À l’arrière-plan de l’enfeu, six apôtres assistent à la scène, le regard chargé d’émotion et d’anxiété à la vue de la défaillance de la Vierge. De part et d’autre, sous un baldaquin

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de pierre, se trouvent saint Denys l’Aréopagite à gauche de l’autel et saint Timothée à droite. Placée dans une grotte profonde au fond du transept, la scène de la sépulture de la Vierge a aussi été exécutée pendant cette première période.

42 Avec pas moins de quinze personnages, elle est le pendant de la Mise au tombeau du Christ dans le transept opposé et se présente comme « l’œuvre principale, celle que l’artiste a traitée avec toute la complaisance de son génie où la figure principale est Marie « si doucement endormie, si gracieusement posée, si chastement drapée. C’est bien là la mère de Dieu » écrit Prosper Guéranger44. Étendue dans le linceul, les mains croisées, la Vierge esquisse un sourire qui contraste avec l’inquiétude qui se lit sur le visage des autres personnages. Incliné au-dessus du corps, saint Pierre, à l’expression sereine, observe une dernière fois le visage apaisé de la mère du Sauveur. À sa gauche et tenant un des coins du linceul, saint Jean présente un regard douloureux. En face de lui, se trouve un moine bénédictin, Jean Bougler, prieur de Solesmes, qui fit réaliser ces statues. Enfin, saint Jacques est la dernière personne qui participe à l’ensevelissement de la Vierge. Assis devant le tombeau, un personnage mutilé, qui serait le neveu de Jean Bougler, cherche dans un livre le texte des prophéties qui viennent de s’accomplir.

43 Contrairement aux disciples qui procèdent à la sépulture et dont les regards se posent sur le corps étendu de la Vierge, les saintes femmes et les apôtres, placés à l’arrière- plan de la scène, sont absorbés par des discussions animées ; ils semblent prêter attention à l’action des ensevelisseurs. Sur le tombeau, des bas-reliefs, abîmés par le temps, illustrent des scènes de l’Ancien Testament dont les personnages féminins préfigurent la Vierge, telles Esther qui sauve son peuple de la mort et Judith qui immole l’ennemi de sa race.

44 Alignés dans des niches surmontant l’enfeu qui abrite la scène de l’ensevelissement de la Vierge, quatre théologiens en buste à mi-corps prennent place : un abbé, deux évêques et un cardinal. Ce sont saint Bernard, saint Anselme d’Aoste, saint Augustin et saint Bonaventure. Enfin, de chaque côté du tombeau, placés dans des niches parfaitement intégrées au cadre architectural, saint Timothée et saint Denys l’Aréopagite semblent entretenir une discussion. Ils sont revêtus d’un rochet, d’une chape et tiennent la mitre et le rouleau de papier.

45 Examinons les parentés possibles avec la production ibérique de Juan de Juni, et ce dans trois domaines : le projet architectural, la grammaire décorative et le travail sculptural.

46 Même si, d’un point de vue chronologique, Juan de Juni ne peut observer les travaux des registres supérieurs, l’artiste a pu avoir connaissance du projet architectural dans son intégralité. La composition architecturale de la « Belle Chapelle45 », aux murs nord et est divisés en deux registres par un entablement, aux scènes encadrées d’entrecolonnements, n’est pas sans rappeler les portails d’église46 ; elle adopte également la formule très en vogue en Espagne des retables et s’apparenterait en particulier au retable-sépulcre de la chapelle de Frère Antonio Guevara dont le projet original divisait l’œuvre en deux corps47.

47 En ce sens, le monument des murs nord et est de la « Belle Chapelle » se présente comme une combinaison des deux types de retables composés par Juni à son arrivée en Espagne. Signalons tout d’abord le retable monumental dont les églises espagnoles sont fréquemment décorées. Placé derrière le maître-autel, ce type de retable s’élève jusqu’aux voûtes, comme les retables de La Antigua ou de la cathédrale de Burgo de Osma. Mais il faut penser aussi et surtout au « retable-sépulcre » comme celui de l’évêque de Mondoñedo conservé au Musée National de sculpture de Valladolid où des

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figures en ronde-bosse prennent place sous un enfeu, dans ce qui constitue le premier registre d’un retable.

48 C’est le cas à Solesmes avec ce corpus sculpté logé dans une grotte profonde dans la partie inférieure du monument. « Juni le connaissait-il? C’est sans aucun doute un autre témoignage pour expliquer son milieu48 » estime Juan José Martín González. À Valladolid, il ne reste que la Mise au tombeau49 mais comme nous l’avons vu, les documents anciens indiquent que le groupe s’insérait dans un retable comme à Solesmes.

49 En outre, la reconstruction originale du retable de la chapelle funéraire de l’évêque de Mondoñedo présente une scène divisée en trois espaces horizontaux avec la scène principale entourée des soldats romains50. À Ségovie, le découpage en trois espaces architecturaux est identique : le relief de la Mise au tombeau au centre et les soldats de chaque côté, dans l’entrecolonnement. On retrouve dans les murs nord et est de la « Belle Chapelle » la même division de l’espace scénique qui forme un triplet par la disposition des colonnes. Ainsi, les soldats de la Mise au tombeau de Valladolid, situés jadis dans des embrasures, tout comme saint Timothée et saint Denys l’Aréopagite dans la « Belle Chapelle », sont placés dans des niches supérieures qui surmontent la scène principale. Autrement dit, les gardiens de la Mise au tombeau originale de Valladolid s’inséraient dans le cadre architectural et occupaient la même place que celle des docteurs dans la « Belle Chapelle ».

50 Nous remarquons également dans les deux Mises au tombeau réalisées par Juan de Juni le nombre important de figures insérées dans un espace restreint. À Solesmes, le principe est identique. Elles ne sont pas moins de quatorze dans les scènes de la « Belle Chapelle », inversant ainsi les proportions du théâtre : « la scène est plus garnie que la salle51 » écrivit François Le Bœuf.

51 À Solesmes, quatre docteurs sont disposés dans les niches situées au-dessus de l’enfeu qui abrite l’ensevelissement de la Vierge. Or, ils sont également mentionnés dans l’œuvre originale de la chapelle de Mondoñedo par Francisco Antón : « Il y avait quelques images en bois polychrome très belles, mais très abîmées par le temps, en particulier quatre des principaux Docteurs de l’Église latine, répartis à côté des cartouches qui accompagnaient les deux blasons de l’évêque dans les pans de murs latéraux, avec les illustres paroles pour notre désenchantement, de ces mêmes Docteurs52. » Il précise qu’il s’agit de saint Augustin, Grégoire, Ambroise et Jérôme. De plus, Canesi Acevedo fait mention des « illustres sentences pour notre désillusion » que tenaient à leurs côtés les quatre docteurs, comme les prophéties que montrent les docteurs dans l’œuvre de Solesmes53.

52 Dans cette perspective, Juni pourrait avoir observé des projets architecturaux de grande envergure, comme celui de la « Belle Chapelle » ; Frère Matías de Sobremonte précise d’ailleurs que pour le groupe sculpté de Valladolid « non seulement le retable mais toute la fabrication de la chapelle et du cloître est l’œuvre de Juan de Juni insigne statuaire français54 ».

53 Intéressons-nous à présent à la riche décoration qui envahit les éléments architecturaux de la « Belle Chapelle » et comparons avec les éléments décoratifs qui ornent les œuvres de Juan de Juni. Nous sommes en 1530 lorsque commencent les travaux ; or, à cette date, les formules décoratives héritées de la Renaissance italienne apparaissent dans la « Belle Chapelle ». Faut-il en déduire que la présence supposée de

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Juni à Solesmes comblerait le lourd héritage de la Renaissance italienne qu’il intègre à son œuvre ibérique ?

54 Ainsi, les colonnes de la « Belle Chapelle » sont entourées du lierre chargé de ses fruits ou ceintes d’une vigne ornée de ses grappes, motifs que nous retrouvons à foison sur les colonnes, entablements et pilastres des retables de La Antigua et de Burgo de Osma. Les têtes de séraphins, les figures mythologiques représentées nues, les deux têtes de mort dans l’entablement qui sépare les deux scènes du mur est figurent également dans l’ornementation du sépulcre de l’archidiacre Gutierre de Castro conservé dans la cathédrale de Salamanque. Les motifs des grappes de raisin, des feuilles de lierre, des vases renversés, de la couronne de fruit de fleurs décorent les éléments architecturaux de la « Belle Chapelle » et des retables de La Antigua et de Burgo de Osma.

55 En outre, nous retrouvons les niches avec les coupoles en forme de coquille Saint- Jacques qui abritent les théologiens dans le sépulcre de l’archidiacre Gutierre de Castro à Salamanque. À Solesmes, la niche de la scène de l’ensevelissement de la Vierge est couverte par une voûte en plein cintre, décorée par des caissons, comme dans le sépulcre de Salamanque.

56 En somme, s’il était prouvé que Juan de Juni ne s’est pas rendu en Italie, alors ce monument français, annonciateur des formules décoratives italianisantes, pourrait expliquer la forte dose d’italianisme introduite, de façon indirecte, dans la conception ornementale des retables et tombeaux élaborés par le sculpteur bourguignon. Pour autant, n’oublions pas également que les motifs de Solesmes sont déjà présents en Espagne en 1530, où Juan de Juni a donc pu les observer ; ils seraient même importés d’Espagne à Solesmes55.

57 Outre le projet architectural et la grammaire décorative, le travail sculptural aurait pu également influencer Juan de Juni pour trois raisons : la composition symétrique et la forte théâtralisation des scènes.

58 Dans l’espace très confiné de la « Belle Chapelle » se serrent quatorze figures, de taille grandeur nature, dans chacune des scènes. Or, en observant la scène de l’ensevelissement de la Vierge, on remarque qu’elle est régie par une disposition parfaitement équilibrée comme la composition des deux Mises au tombeau de Juan de Juni56. Elle est organisée en respectant les lois de la symétrie : les figures situées de part et d’autre du sarcophage se répondent non seulement par leur position, leur posture mais aussi leurs gestes. À Solesmes, le saint Pierre, penché au-dessus du corps de la Vierge, constitue la figure centrale de la scène. De part et d’autre du prince des Apôtres, la disposition iconographique s’organise par binôme : deux ensevelisseurs à chaque extrémité du sarcophage, deux autres apôtres qui échangent un salut de la main ; à l’arrière-plan, entourant toujours saint Pierre, deux saintes femmes et enfin deux groupes de deux apôtres.

59 Intéressons-nous à présent à la théâtralité des scènes. Par une disposition au plus près du spectateur, l’artiste renforce la fonction théâtrale de communication des expressions ou d’un message57. C’est bien là une caractéristique majeure des groupes de Solesmes comme le résume très justement François Le Bœuf : « De toutes parts, le spectacle sollicite le spectateur. De tous côtés on l’apostrophe58. » Par exemple, la présence de la statue de Marc Bougler en avant du tombeau de la Vierge est à la fois une réponse à celle de Marie-Madeleine dans le transept opposé et un moyen de raccourcir la distance entre la scène et les spectateurs. Ensuite, les théologiens alignés dans des niches au-dessus de l’enfeu de l’ensevelissement nous invitent, d’un geste du

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doigt, à lire les écrits qui les accompagnent ; tout comme l’apôtre, au premier plan dans la scène de la pâmoison, qui tend au spectateur un livre manuscrit. Nous l’avons vu à plusieurs reprises : cette volonté d’interpeller le spectateur, de le prendre à témoin de la scène est également un principe récurrent de la sculpture théâtralisée de Juan de Juni. Mais l’échange ne se limite pas à une tentative de communication avec le spectateur ; c’est aussi un échange de regards, d’expressions, de gestes entre les statues. Les deux saints qui entourent le sarcophage de la Vierge se répondent par un geste de salut de la main ; d’autres, en arrière-plan, se lancent dans de vives discussions. Dans la scène de la pâmoison, à l’arrière-plan de l’enfeu, deux disciples échangent un regard chargé d’émotion à la vue de la Vierge défaillante ; « l’œuvre est dans le même temps discours, à l’appui duquel vient le geste : dans la chapelle on débat, oppose, affirme, dénie, prend à témoin, récuse…[…] Bras levé, doigt tendu, main ouverte, fermée, posée sur la poitrine, index accusateur, démonstratif, interrogateur… le geste veut user, ici, de toutes les virtualités de son pouvoir expressif59 ».

60 S’il est hasardeux de se prononcer de manière catégorique sur le séjour de Juan de Juni à Solesmes, la question mérite d’être posée et défendue. Les possibilités de travail que lui offrait le chantier de la « Belle Chapelle » l’incitèrent à y faire séjour comme d’autres sculpteurs bourguignons de l’époque.

61 Nous aurons remarqué la théâtralité des ensembles, le puissant réalisme de leurs expressions, la vitalité de leurs gestes, la précision documentaire de leurs habits, la composition harmonieuse et équilibrée des groupes, la création de cadres architecturaux, autant de formules qui réapparaissent dans l’œuvre ibérique de Juan de Juni, notamment dans la Mise au tombeau de l’évêque de Mondoñedo à Valladolid. En outre, la concordance chronologique des travaux de Solesmes avec le parcours présumé de Juan de Juni, son amitié avec Jean d’Angers plaident pour une visite du maître bourguignon à Solesmes avant qu’il ne poursuive sa route vers l’Espagne et Léon.

62 Pour nombreuses que soient les parentés artistiques, ces convictions ne pourront être entérinées que par la découverte de preuves documentées qui accréditeraient définitivement la présence de Juan de Juni (et Juan de Angers) à Solesmes. En ce sens, de nouvelles recherches archivistiques doivent être menées en France comme en Espagne pour parvenir à jalonner le parcours du maître français dans sa patrie.

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Figure 1 – Mise au tombeau (1496), abbaye Saint-Pierre de Solesmes

Cliché du Frère Rochon.

Figure 2 – Mise au tombeau (1496), abbaye Saint-Pierre de Solesmes

Cliché du Frère Rochon.

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Figure 3 – Belle Chapelle (1532-1535), abbaye Saint-Pierre de Solesmes

Cliché du Frère Rochon.

Figure 4 – Belle Chapelle (1532-1535), abbaye Saint-Pierre de Solesmes

Cliché du Frère Rochon.

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Figure 5 – Mise au tombeau (1540), Musée National de Sculpture, Valladolid

Cliché d’Augustine Peltier-Rolland.

Figure 6 – Mise au tombeau (1540), Musée National de Sculpture, Valladolid

Cliché d’Augustine Peltier-Rolland.

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Figure 7 – Mise au tombeau, cathédrale de Ségovie

Cliché d’Augustine Peltier-Rolland.

NOTES

1. MARTIN, Michel, La statuaire de la Mise au Tombeau du Christ des XVe et XVIe siècles en Europe occidentale, Paris, Picard, 1997, p. 61 et plus généralement le chapitre III, « Diffusion du thème de la Mise au tombeau », p. 49-63.

2. QUENTIN, Henri, Notice historique sur l'abbaye de Solesmes, Tours, Mame, 1924, p. 27.

3. MARTIN, Michel, La statuaire de la Mise au Tombeau…, op. cit, p. 61.

4. COUTEL DE LA TREMBLAYE, Martin (O.S.B. Solesmes). Les sculptures de l'église abbatiale 1496-1553. Reproductions, état de la question d'origine, Solesmes, Imprimerie Saint-Pierre, 1892, p. 60. 5. DE CASALES, Émile, « Voyage à Solêmes », Revue européenne, t. VI, n° XXIII, Paris, Bureau de la revue européenne, 1833, p. 584 : « C’est ainsi qu’il y a quelques mois, je rencontrai dans un coin du Maine des merveilles dont je veux entretenir un moment nos lecteurs, tant à cause de leur importance sous le rapport de notre art catholique et national, qu’à raison de l’œuvre à laquelle la providence semble les avoir rattachées. Quoique prévenu par l’ami qui m’attendait à Solêmes de la magnificence de ce que j’allais voir, je me défiais un peu de son enthousiasme de propriétaire ; mais lorsque j’ai vu, il m’a fallu admirer et admirer sans restriction. »

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6. MARTÍN GONZÁLEZ, Juan José, Juan de Juni : vida y obra, Madrid, Ministerio de Cultura, Dirección General de Bellas Artes, 1974 ; PELTIER, Cyril, « Entre exil et tradition dans l’œuvre du sculpteur Jean de Joigny – Juan de Juni (1507-1577) », L’Écho de Joigny, n° 63, Joigny, Association Culturelle et d’Études de Joigny, 2006, p. 7-25 ; PELTIER, Cyril, « De Jean de Joigny (1507-1533) à Juan de Juni (1533-1577), Histoire de l’art, t. 1, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2012, p. 183-200 ; PELTIER, Cyril, « Sobre el recorrido formativo de Juan de Juni en Francia », Boletín del Museo Nacional de Escultura, no 10, Valladolid, Ministerio de Cultura, 2006, p. 15-21. 7. MARTÍN GONZÁLEZ, Juan José, Juan de Juni..., op. cit, p. 32 et p. 33. 8. La seule information documentée dont nous disposons sur les origines de Jean de Joigny concerne sa nationalité, se déclarant français. Lors d’un procès entamé le 8 avril 1557, son fils Isaac de Juni indique les origines de son père. En déclinant son identité, il déclare être « ISAQUE DE JUNI ouvrier et employé de maison de passage à Cuenca lequel est le fils de JUAN DE JUNI sculpteur français habitant de Valladolid ». DOMINGUEZ BORDONA, Jesús, Proceso inquisitorial contra el escultor Esteban Jamete, Madrid, Blass, 1933, p. 5. 9. PELTIER, Cyril, « Jean d’Angers l’Ancien : itinéraire d’un sculpteur angevin en Espagne au Siècle d’Or (de 1532 à 1576) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, tome 122-4, 2015, p. 31-46. LLAMAZARES RODRÍGUEZ, Fernando, « Una revisión de obras del círculo de Juni », Imafronte, no 16, 2002, Universidad de Murcia, p. 149-166. 10. CAMPOS SÁNCHEZ BORDONA, María Dolores, « El convento de San Marcos de León », Academia, no 86, 1998, p. 231-274. 11. MARTÍ Y MONSÓ, José, Estudios histórico-artísticos relativos principalmente a Valladolid, Valladolid, Imprenta de Leonardo Miñón, 1898, p. 333. 12. Ibidem, p. 365. 13. PELTIER, Cyril, Autour des origines, de l’itinéraire de formation et de l’œuvre du sculpteur français établi en Espagne : Juan de Juni (1507-1577), thèse de doctorat, Centre d’Études Supérieures de la Renaissance, université François Rabelais de Tours, 2008, p. 312-333. 14. Parmi les nombreuses descriptions de la statuaire de l’abbaye de Solesmes, nous renvoyons à : LE BŒUF, François, « Les saints de Solesmes, Sarthe ». Images du patrimoine, no 69, , Association pour le Développement de l’Inventaire des Pays de la Loire, 1990 et GUÉRANGER, Prosper, Essai historique sur l’abbaye de Solesmes, suivi de la description de l'église abbatiale avec explication des monuments qu’elle renferme, Le Mans, Fleuriot, 1846. 15. GUÉPIN, Alphonse, Solesmes et Dom Guéranger, Le Mans, Monnoyer, 1876, p. 40. 16. On sait toutefois que les dates inscrites dans une partie de la décoration n’indiquent pas toujours la date de l’œuvre totale. Le groupe est commencé en 1494 et achevé en 1498. 17. GUERANGER, Prosper, Notice sur le prieuré de Solesmes, Le Mans, Imprimerie de Belon, 1834, p. 9. 18. HOURLIER, Jacques, Les églises de Solesmes, Paris, Plon, 1951, p. 62-63. Le tombeau présente tous les caractères des ateliers qu’on groupe sous la dénomination commode « d’école de la Loire ». Il en a le réalisme puissant, quoique discret. Il est avant tout calme et modéré, ce qui n’exclut pas le souci de la perfection de l’ensemble et du moindre détail. Il rappelle en outre l’héritage de la sculpture gothique de notre pays, marquée par les influences bourguignonnes en raison de similitudes dans la composition, le réalisme puissant des deux larrons, la représentation théâtralisée des

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actions, l’allure un peu lourde et trapue du saint Pierre, la richesse des étoffes, la taille volumineuse des draperies, leurs plis épais, leur chute sur le pied. Sur la définition du terme « d’école de la Loire », nous renvoyons à MARTIN, Michel, La statuaire de la Mise au Tombeau du Christ des XVe et XVIe siècles…, op. cit., p. 282-284.

19. SOLDINI, Simone, « Un décor italien en France au début de la Renaissance : les pilastres du Sépulcre de Solesmes », Histoire de l’art, Paris, 1988, p. 47-56. 20. LES MOINES DE SOLESMES, Les Saints de Solesmes, Paris, Plon, 1950, p. 7. 21. Nous nous trouvons donc en plein tournant de l’histoire artistique, au passage entre deux grandes époques, d’où la difficulté à en déterminer l’auteur. Ancrée dans la tradition française, l’œuvre est d’un point de vue stylistique proche de l’art de la sculpture du Val de Loire. La piste de Colombe est privilégiée. D’une part, l’incorporation d’artistes italiens dans son atelier expliquerait la touche artistique de ce pays. D’autre part, la découverte de l’inscription suivante « G H S Rasione MCT » serait la signature de Michel Colombe. Sous les initiales MCT, il faudrait lire Michel Colombe Tourangeau, selon Jacques Hourlier (Les églises de Solesmes…, op. cit., p. 58). 22. Sur la description de la Mise au tombeau, nous renvoyons notamment à GUÉPIN, Alphonse, Description des deux églises abbatiales de Solesmes, Le Mans, Monnoyer, 1876, en particulier le chapitre I, p. 11-20. 23. BOSARTE, Isidore, Viaje artístico a varios pueblos de España, Madrid, Turner, 1876, p. 181-184 : « Sépulcre du Christ. Dans une chapelle intérieure du couvent Saint- François il y a un autel, qui est très admiré de tous, et que l’on estime comme une excellente œuvre de Juní. Il compte huit colonnes réparties en deux corps, et entre les colonnes du premier [corps] est situé un Sépulcre du seigneur avec les figures de la Vierge, saint Jean, la Madeleine, sainte Marie-Salomé, et les Saints Hommes, figures toutes beaucoup plus grandes que la taille naturelle. […] Dans les entrecolonnements il y a deux soldats prétoriens pour garder le sépulcre, et ce sont des figures de taille beaucoup plus grande et bien meilleures que les gardes hébreux du Tombeau du Christ dans la chapelle de la Pitié de Ségovie […]. » 24. ZERNER, Henri, L'art de la renaissance en France, l'invention du classicisme, Paris, Flammarion, 1996, p. 334. 25. MARTÍN GONZÁLEZ, Juan José, Juan de Juni : vida y obra..., op. cit., p. 185 : « Dans cette même niche du sépulcre du Christ sont représentées des fenêtres du prétoire, d’où apparaissent des soldats prétoriens comme pour voir le sépulcre, dont les têtes sont très jolies. » 26. COMTE DE LA VIÑAZA, Adiciones al diccionario histórico de los más ilustres profesores de las Bellas Artes en España de Don Ceán Bermúdez, tome II, Madrid, Reales Academias de San Fernando y de la Historia, 1889, p. 321-322 : « Couvent Saint-François : Un retable en plâtre qui se trouve dans une chapelle intérieure. Il se compose de deux corps, chacun flanqué de quatre colonnes. Au milieu du premier le Sépulcre du Christ avec des figures plus grandes qu’au naturel : au premier plan celles de Nicodème et de Joseph d’Arimathie, dans des attitudes très expressives : s’ensuit le corps rigide et étendu du Christ sur le drap du sépulcre et au-dessus la Vierge, saint Jean et les trois Maries debout regardant le Seigneur. Entre les colonnes latérales apparaissent deux soldats, de plus grande taille, qui vont surveiller le sépulcre. » 27. Nicodème et Marie-Salomé, soutenant chacun le vase à parfums, sont chargés de répandre la myrrhe ; Joseph d’Arimathie et le donateur procèdent à l’ensevelissement

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du Christ et retiennent le drap mortuaire ; en faction à l’entrée de la grotte, les gardes romains ont pour mission d’assurer l’intimité de la cérémonie ; Marie, mère de Jacques, ou Marie-Madeleine, plongées dans un profond recueillement, prient pour l’âme du Seigneur. À leurs côtés, Jean cherche à soutenir la Vierge chancelante devant le corps du supplicié. 28. La position de la sainte femme, assise aux pieds du Christ, est conforme à l’Évangile de saint Matthieu. Cette disposition ne se rencontre que très rarement en France. Sa situation peut aussi s’expliquer par des impératifs de composition ou la présence d’un personnage supplémentaire, le donateur, qui bouleverse l’ordonnancement traditionnel derrière le tombeau, comme pour le groupe de Valladolid. Si l’on s’en tient là, il est certain qu’elle dérange et rompt l’équilibre attendu des lignes horizontales (le tombeau et le corps étendu) et des lignes verticales (les saints hommes). 29. TONNELLIER, Paul, « Les broderies à alphabet et la Mise au tombeau de Solesmes », Bulletin monumental, Paris, Société Française d'Archéologie, 1962, p. 317-338. 30. MARTIN, Michel, La statuaire de la Mise au Tombeau du Christ…, op. cit., p. 282 et p. 61. En outre, le traitement des drapés renforce la relation entre Solesmes et l’art bourguignon même si l’inspiration n’est que partielle et que l’artiste de Solesmes garde une interprétation libre des étoffes, à la facture souple. Les draperies des artistes bourguignons sont d’une ampleur admirable, aux plis épais et lourds. Le maître de Solesmes, directement ou indirectement, a profité de leurs leçons. Tout en modérant ces débordements d’étoffes magnifiques, et sans tomber non plus dans les cassures multiples où s’amuse la verve des Flamands, il garde la souplesse et l’habileté de ses prédécesseurs ; il conserve même encore un peu de leur amour pour l’abondance et l’ampleur des draperies qui s’atténuent entre 1500 et 1510 dans « l’école de la Loire ». Voir aussi les propos de VITRY, Paul, Michel Colombe et la sculpture française de son temps, Paris, Librairie centrale des Beaux-Arts, 1901, p. 286. En ce sens, en observant l’œuvre de Solesmes, Juan de Juni resterait au contact de la tradition sculpturale bourguignonne. 31. HOURLIER, Jacques, Les églises de Solesmes, op. cit., p. 56. 32. À Solesmes, les figures du fond de la scène (Nicodème, saint Jean, la Vierge, Marie mère de Jacques, Marie-Madeleine) ont une hauteur moyenne de 165 centimètres ; le donateur mesure 180 centimètres et Joseph d’Arimathie est la figure la plus imposante avec ses deux mètres. À cela, il convient d’ajouter les dimensions du monument de 5,40 mètres de large, 2,60 mètres de profondeur et 9 mètres de hauteur. À Valladolid, les dimensions sont sensiblement identiques : Christ gisant : 200 x 65 x 68 centimètres ; sarcophage : 190 x 51 x 33 centimètres ; saint Jean : 140 x 70 x 50 centimètres ; la Vierge : 132 x 70 x 100 centimètres ; Marie-Madeleine : 168 x 108 x 85 centimètres ; Marie-Salomé : 190 x 90 x 80 centimètres ; Joseph d’Arimathie : 140 x 100 x 95 centimètres ; Nicodème : 140 x 100 x 95 centimètres. 33. En effet, dans le groupe de Valladolid, Nicodème et Joseph d’Arimathie sont tous les deux accroupis, tournés vers l’intérieur du sépulcre, facilitant la contemplation des saintes femmes, debout au second plan. Nicodème tend dans sa main droite l’épine en direction du spectateur vers l’extérieur quand Joseph d’Arimathie tient un linge dans la main droite, vers l’intérieur. Leur main gauche est reposée tantôt sur le crâne du Seigneur, tantôt sur un vase de parfums. Illustration de cette symétrie parfaite, les dimensions des saints hommes sont parfaitement identiques. Au second plan, le bras droit levé de Marie-Salomé dans lequel elle tient un linge trouve sa correspondance

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symétrique dans le bras droit de Marie-Madeleine qui tient, elle aussi, un vase de parfums. 34. FORSYTH, William, The entombment of Christ, French sculptures of the fifteenth and sixteenth centuries, Cambridge, Havard University Press, 1962, p. 89. 35. LES MOINES DE SOLESMES, Les Saints de Solesmes…, op. cit., p. 15.

36. Voir aussi les commentaires de FORSYTH, William, The entombment of Christ, French sculptures of the fifteenth and sixteenth centuries, op. cit., p. 88-89. 37. GUERANGER, Prosper, Essai historique sur l’abbaye de Solesmes…, op. cit., p. 114.

38. LE BŒUF, François, « Les saints de Solesmes, Sarthe », op. cit., p. 4.

39. GUERANGER, Prosper, Essai historique sur l’abbaye de Solesmes…, op. cit., p. 128.

40. GUÉPIN, Alphonse, Solesmes et Dom Guéranger, op. cit., p. 48-50. 41. Ibidem, p. 51. 42. Le professeur Raimbault avance l’année 1532 pour la réalisation de l’ensemble des sculptures du croisillon nord : « On sait seulement avec quelque certitude que la “Sépulture du Christ” fut exécutée, vers 1494, sous le priorat de Guillaume le Cheminart, et qu’entre 1532 et 1535, le prieur Jean Bougler fit faire toutes les sculptures de la “Belle Chapelle” du croisillon nord. » (RAIMBAULT, René-Noël, Sablé et son joyau, l'abbaye de Solesmes, Angers, Hirvyl, 1848, p. 35.) Or cette année coïnciderait chronologiquement au passage supposé de Juan de Juni à Solesmes puisqu’en 1530 il réalisa à Joigny la statue équestre de saint Thibault sur le portail de l’église du même nom et en 1533, il arrive à León pour travailler à Saint-Marc. PELTIER, Cyril, « L’œuvre du sculpteur Juan de Juni (1507-1577) dans sa ville natale, Joigny », Le Journal de la Renaissance, volume V, Tours, Centre d’Études Supérieures de la Renaissance, 2007, p. 395-408. PELTIER, Cyril, « Sobre el recorrido formativo de Juan de Juni en Francia », Boletín del Museo Nacional de Escultura, no 10, Valladolid, Ministerio de Cultura, 2006, p. 15-21. 43. LE BOEUF, François, « Les saints de Solesmes, Sarthe », art. cit., p. 7. En raison de la réalisation plus tardive (entre 1550 et 1555) des registres supérieurs de la « Belle Chapelle », nous n’avons à traiter dans notre analyse que des registres inférieurs. 44. GUERANGER, Prosper, Essai historique sur l’abbaye de Solesmes…, op. cit., p. 112-113.

45. PAUWELS, Yves, « L’architecture de la « Belle Chapelle » de Solesmes : une origine espagnole ? », Gazette des Beaux-Arts, Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1999, p. 85-92. 46. GUERANGER, Prosper, Essai historique sur l’abbaye de Solesmes, suivi de la description de l'église abbatiale avec explication des monuments qu’elle renferme, op. cit., p. 38 : « Avant de considérer la scène placée au-dessus des quatre docteurs [dans le mur nord], le spectateur fera bien de s’écarter à quelque distance, pour jouir de l’ensemble du monument. L’architecte a figuré un magnifique portail d’église, avec ses trois portes, ses niches de Saints, ses trois fenêtres et ses tourelles d’ornement, étagées comme les clochetons aériens, que l’artiste du moyen âge découpait sur les portiques de nos vieilles cathédrales. Cette réminiscence des habitudes de l’art gothique, traitée avec tout le fleuri de la Renaissance, époque si courte et si brillante dans l’histoire de l’art, présente un grand charme, sinon par la majesté, du moins par la grâce la plus exquise. Tout l’espace jusqu’à la voûte de la chapelle, est rempli par ces délicieuses fantaisies d’un génie vraiment créateur. »

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47. Rappelons que Juni est désigné dans les documents contractuels en qualité de sculpteur, assembleur, architecte de retables. Pour le retable de La Antigua, conservé aujourd’hui dans la cathédrale de Valladolid, il est en charge du projet architectural et sculptural puisqu’il est engagé en tant que « maître expert dans ledit art d’assembleur ». Dans ce domaine, Juni a pour mission la construction et le montage de l’architecture des retables et il lui incombe donc d’utiliser les ordres architecturaux, de faire le projet d’un ensemble à base de registres, engendrant des notions de proportions et d’harmonie. MARTÍ Y MONSÓ, José, Estudios histórico-artísticos relativos principalmente a Valladolid, Valladolid, Imprenta de Leonardo Miñón, 1898-1901, p. 327. 48. MARTÍN GONZÁLEZ, Juan José, Juan de Juni..., op. cit., p. 33 : « Dans l’abbaye de Solesmes il y a un vaste ensemble architectural et sculptural. Dans la partie inférieure se trouve le groupe de la Mort de la Vierge ; dans la partie supérieure, son Assomption. Les groupes sont situés à l’intérieur de l’architecture. On ne peut qu’évoquer la disposition monumentale du groupe de Saint-François de Valladolid qui à présent se trouve dans le Musée de la ville. Juni le connaissait-il ? C’est sans aucun doute un autre témoignage pour expliquer son milieu. » 49. ANTÓN, Francisco, « Obras de arte que atesoraba el Monasterio de San Francisco de Valladolid », Boletín del seminario de estudios de arte y arqueología, fascicule X-XII, Valladolid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1936, p. 23-24 : « La chapelle est carrée ; la niche de l’autel est formée par une demie coquille. Tout est en plâtre vidé et polychromé avec grand soin. Cette chapelle possède une grille en fer, de très bonne qualité. Et sur la partie orientale des vitraux ornés de scènes de couleur. Dans la niche de l’autel, sous la demie coquille et entre deux grandes statues en ronde-bosse en plâtre vidé qui représente deux soldats chacun entre deux colonnes, se trouve un retable en bois représentant l’enterrement du Christ Notre Seigneur avec cinq figures de taille grandeur nature qui représentent les affres de la douleur avec un grand savoir-faire. Notre illustre Diego Valentín Díaz, très au fait des artistes de peinture et de sculpture, assure que non seulement le retable, mais aussi la fabrication de la chapelle et du cloître, est l’œuvre de Juan de Juni, illustre statuaire français qui était à cette époque en Espagne et à Valladolid. » 50. BOSARTE, Isidoro, Viaje artístico a varios pueblos de España, op. cit., p. 181 : « Dans une chapelle intérieure du couvent Saint-François, il y a un autel, très réputé, que l’on estime être une excellente œuvre de Juni. Il se compose de huit colonnes en deux corps, et entre les colonnes du corps inférieur se trouve un sépulcre du Seigneur avec les figures de la Vierge, saint Jean, la Madeleine, sainte Marie-Salomé et les Saints Hommes, figures toutes plus grandes que grandeur nature. […] Dans l’entrecolonnement, il y a deux soldats pour garder le sépulcre. » 51. LE BŒUF, François, « Les saints de Solesmes, Sarthe », art. cit., p. 30.

52. ANTÓN, Francisco, « Obras de arte que atesoraba el Monasterio… », art. cit., p. 23-24.

53. CANESI ACEVEDO, Manuel, Historia de Valladolid (1750), tome I, Valladolid, Grupo Pinciano, 1996. À côté de la figure d’Augustin, il était inscrit : « Non decet in eo statu vivere in quoi non licet mori. » À côté de celle de Grégoire : « Greporius con este mote; si vere Fratres divites esse cupitis veras divitias amate. » À côté d’Ambroise : « Tedet animan meam vite meg ides vivere erubesco et moris gertimesco. » Enfin, à côté de Jérôme : « Hieronimus y el mole magnum in rebus humanis ni si animus magna despiciens. »

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54. AGAPITO Y REVILLA, Juan, La obra de los maestros de la escultura vallisoletana, Berruguete, Juní, Jordán, Valladolid, E. Zapatero, s.d, p. 180. 55. PAUWELS, Yves, « L’architecture de la “Belle Chapelle” de Solesmes… », art. cit., 85-92. 56. S’il faut se poser la question de l’emplacement original des statues dans l’ensevelissement de la Vierge, on peut logiquement penser qu’elles étaient disposées comme aujourd'hui de par la direction des regards ou des gestes. 57. Outre l’expressivité des statues, il faut signaler la présence des écrits. Les commentaires bibliques accompagnent la gestuelle et sont la voix des figurants. En ce sens, ils participent à la relation théâtrale, visant à informer le spectateur sur les scènes qui se déroulent devant lui ou lui transmettre une morale. Cette particularité du message écrit n’est pas rare dans les retables de Juni. On les retrouve ainsi dans les trois retables de La Antigua, de la cathédrale de Burgo de Osma et de Medina de Rioseco (relief de saint Paul par exemple). Le sépulcre du chanoine Diego González del Barco à Villalón ou la grille qui protège le saint Second à Avila comportent également une inscription funéraire. Mais la particularité de ces messages écrits, transmis par les théologiens ou les apôtres sous la forme de livres manuscrits ou de rouleau de papier, anticipent de quelques années les apôtres sur les stalles du chœur de Saint-Marc de Léon ou encore les deux groupes de saint François d’Assise, dans l’église Sainte-Isabelle de Valladolid, qui tiennent entre leurs mains le livre. Le message écrit était également employé dans l’œuvre qui garde le plus de relations avec la « Belle Chapelle » : la Mise au tombeau de Valladolid. Comme pour la chapelle du transept sud de Solesmes, abritant la Mise au tombeau du Christ, on peut lire d’autres inscriptions, en caractères romains, indiquant la date de réalisation de la chapelle : Carolo V Hispaniarum Rege imperante. Illustris D. Dominus Frater Antonius de Guevara fide Christianus S. Francisco habitu huius combentus profesione Theologus ofitio predicator et chronista cesaris digniate Episcopus Mindonensis fecit anno dom. 1542. Posuit finem curis spes et fortuna valete. 58. LE BŒUF, François, « Les saints de Solesmes, Sarthe », art. cit., p. 30. 59. Ibidem.

RÉSUMÉS

Le corpus sculpté situé dans les bras du transept de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes aiguisa la curiosité de nombreux visiteurs qui, attirés par la rumeur, vinrent contempler ce que la tradition locale appelle aujourd’hui les Saints de Solesmes. Puissants mécènes, artistes de passage, simples érudits et passionnés d’art, tous firent halte à Solesmes. Parmi les nombreux mystères qui subsistent autour de la réalisation de la Mise au tombeau en 1496 et de l’édification de la Belle Chapelle entre 1530 et 1550, nous ouvrons ici la piste des résurgences artistiques de la statuaire de Solesmes dans l’imagerie castillane du Siècle d’Or et plus particulièrement dans la production ibérique du sculpteur bourguignon Jean de Joigny (1507-1577) devenu Juan de Juni au-delà des Pyrénées.

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The sculptured corpus situated in the semitransepts of St Peter of Solesmes Abbey piqued the curiosity of numerous visitors who were attracted by the rumour and came to contemplate what local tradition nowadays refers to as the “Saints of Solesmes”. Powerful patrons, travelling artists, simple scholars or art lovers; they all stopped in Solesmes. There have been numerous unsolved mysteries concerning the realisation of the Entombment in 1496 and the construction of the “Belle Chapelle” between 1530 and 1550. This article suggests a new avenue of analysis by considering the artistic resurgence of the statuary of Solesmes in the Castilian imagery of the Golden Age and more particularly in the Iberian production of the Burgundian sculptor Jean de Joigny (1507-1577), later known as Juan de Juni.

INDEX

Thèmes : Solesme Index chronologique : XVIe siècle

AUTEUR

CYRIL PELTIER Laboratoire Framespa – Université Toulouse Le Mirail

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L’Académie protestante de Saumur et les Néerlandais The Protestant Academy of Saumur and the Dutch

Willem Frijhoff

1 L’attrait combiné du vin d’Anjou, de la pureté de la langue française, de la vigueur, puis de la modération théologique ont fait de Saumur une étape incontournable du grand et du petit tour des jeunes Néerlandais pérégrinant au XVIIe siècle 1. Contrairement à Angers, Bourges et surtout Orléans, où les étudiants venaient soit pour obtenir un grade facile soit, surtout s’ils étaient nobles ou avaient des prétentions aristocratiques, pour parader et se faire valoir dans les Nations Germaniques et autres structures de sociabilité réglée, Saumur était une petite ville où la convivialité était la règle et le protestantisme dominant, ce qui rendait la ville extrêmement populaire parmi les jeunes bourgeois néerlandais désireux d’apprendre l’esprit de la France sans se fatiguer outre mesure, tout en restant dans le droit fil religieux. L’attrait de Saumur était double : la ville se trouvait au cœur de la région réputée la plus agréable du royaume et la plus propice à l’apprentissage d’un français mélodieux, acceptable à la cour ; et contrairement à quasiment toutes les autres villes populaires parmi les jeunes, elle était dotée d’une institution publique d’enseignement supérieur, l’académie protestante, qui était entourée à son tour de maîtres particuliers en toutes sortes de pratiques sociales, de la danse et la musique à l’équitation et au dessin. Pour les jeunes étrangers, l’académie n’était donc qu’un atout de Saumur parmi d’autres, et les malheurs que l’académie connut au cours de son existence n’eurent pas forcément une incidence directe sur la fréquentation de la ville2.

2 Saumur se présentait comme une ville multifonctionnelle. Elle attirait par conséquent plusieurs catégories de jeunes : futurs pasteurs, étudiants, aristocrates au grand tour, touristes authentiques, simples passants. Quelques grands noms de l'histoire hollandaise ont laissé des témoignages de leur passage à Saumur et tout d’abord Pieter de la Court, qui y séjourna en mai et juin 1642. Ce jeune étudiant, fils d'un immigré wallon fabriquant de drap de Leyde, était un intellectuel observateur et brillant ; il songea alors à se faire ministre mais finit sa vie comme un auteur politique influent

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d’esprit républicain, tenant du libéralisme économique. Au cours de son séjour il se montra surtout intéressé par la religion, réformée autant que catholique. L’autre exemple est Joan Huydecoper, fils d'un puissant bourgmestre d'Amsterdam et lui- même futur bourgmestre. Doué lui aussi, mais plutôt pour la vie politique et sociale, il constitue le prototype du touriste fortuné pour qui la religion n’était que la toile de fond ordinaire d’une réalité quotidienne autrement plus attrayante : les excursions en Anjou et dans le Saumurois, les chevaux et le jeu. D’août 1648 à avril 1649, il resta pendant neuf mois plus ou moins bloqué à Saumur par les turbulences de la Fronde et par le refus obstiné de son père de le laisser partir pour l'Italie – refus qu’il vainquit provisoirement par les efforts coordonnés des différents membres de sa famille et sa propre sagacité financière ; mais, dès son arrivée à Genève, son père s’y opposa de nouveau, cette fois pour de bon. Le journal et les notes de voyage de de La Court et les lettres et relevés des dépenses de Huydecoper fournissent donc un excellent tableau des deux formes majeures d'interaction entre les jeunes étudiants ou voyageurs et la société saumuroise, et de la place de l'académie dans leur voyage.

Académies et universités

3 La nouvelle histoire internationale des universités, moins portée sur des critères institutionnels que par le passé, a réhabilité les académies protestantes qui, pour des raisons diverses, n’avaient pas réussi à se faire reconnaître comme universités à part entière et n’étaient donc pas habilitées à délivrer les doctorats nécessaires aux carrières juridiques et médicales et, pour certains postes, dans les Églises. Elle a souligné le potentiel universitaire que les meilleures d’entre elles ont su faire valoir et montré que leur enseignement et le climat des études ne le cédaient en rien à ceux des universités en titre3. Cela vaut certainement pour les académies de Die, Montauban, Saumur, Sedan et Strasbourg en France, pour celles de Herborn, Brême, Steinfurt, Hamm, Marburg, Heidelberg et Hanau en Allemagne, de Lausanne et Genève en Suisse, ou de Deventer et Amsterdam dans la République des Provinces-Unies. Les contemporains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Les jeunes Néerlandais allaient étudier tour à tour dans les universités et les académies (appelées ici et là gymnases académiques, et dans les Provinces-Unies écoles illustres), quitte à clore leur périple par un passage ultra-rapide dans une vraie université, une « université fameuse » comme on disait alors, telles Orléans, Angers, Caen, Bourges, Valence, Padoue, Sienne, Duisburg ou Harderwijk, pour décrocher leur doctorat dans un temps record et moyennant finance, souvent dès le lendemain de leur arrivée. Les académies protestantes se targuaient d’ailleurs de posséder le droit de délivrer des maîtrises ès arts, même si les universités (catholiques) en titre le leur disputaient ; à Saumur, ce diplôme pouvait être dispensé à la fin du curriculum du collège de plein exercice qui constituait l’infrastructure éducative du binôme collège-académie.

4 Une remarque similaire vaut pour les professeurs. Dans mainte carrière enseignante l’emploi au sein d’une académie s’insère harmonieusement dans une carrière par ailleurs toute universitaire. Il en est ainsi de celle des deux Hollandais qui ont enseigné à Saumur, le théologien Franciscus Gomarus, Gomar ou Gomard (1563-1641) et le philosophe Franco Petri Burgersdijck (1590-1635). Gomarus, le défenseur du calvinisme prédestinatianiste sévère, avait en 1611 quitté son poste de professeur de théologie à Leyde pour rejoindre le nouveau collège théologique de Middelbourg en Zélande, qui

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périclita rapidement. En octobre 1614, il accepta l’offre insistante d’un poste de professeur à Saumur pour le salaire extraordinaire de 1 200 livres ; arrivé le 17 mai 1615, il fut deux fois recteur, mais des problèmes avec ses lettres de naturalité, un conflit avec le « pape des huguenots » Philippe Du Plessis-Mornay (1549-1623), et ses propres ambitions comme patriarche de l’orthodoxie dans les Provinces-Unies protestantes le persuadèrent d’accepter une nomination à la nouvelle université de Groningue, qui avait fait appel à lui par l’intermédiaire de Festus Hommius, le régent orthodoxe du Collège théologique des États à Leyde. Il rentra dans la République en avril 16184. Burgersdijck de son côté entreprit, après ses études à Leyde, un grand tour qui le conduisit d’abord à Saumur et, au lieu de poursuivre son voyage vers l’Allemagne comme cela avait été son intention, il y demeura cinq ans. Pendant la demi-année de ses études en théologie à la nouvelle académie, notamment auprès de logicien Marc Duncan (vers 1570-1640), il se fit remarquer par Du Plessis-Mornay qui, le 9 juillet 1615, le fit nommer professeur de philosophie, en dépit du fait qu’il n’avait encore obtenu aucun grade universitaire. Fin 1619, il échangea cette fonction pour un poste de professeur de logique à l’université de Leyde, qui se hâta de lui conférer le titre de magister artium et où il fit école par ses ouvrages d’un aristotélisme modernisé5.

5 Dans la même année 1615, le jeune Merula se porta candidat à la régence de la IIe puis de la IIIe classe du collège protestant de Saumur. Il s’agit sans doute de Willem Merula, âgé d’une vingtaine d’années, qui avait été étudiant à Leyde en 1612 et qui avait publié en 1614 la chronique historique (Tijdt-Thresoor) de feu son père Paullus Merula (1558-1607), juriste et historiographe de la Gueldre6. En raison de la timidité dont il fit preuve lors de son examen d’admission et de son manque supposé d’autorité, et tout en recevant un témoignage vibrant de ses capacités, il ne fut pas admis. Mais il n’y avait pas que des étudiants à Saumur. Quatre ans après l’échec de Merula, le 18 février 1619, des poursuites furent engagées contre le proposant Jean Bachellé de Metz et François van Lieshout, natif d’Amsterdam, compagnon relieur dans la boutique de Thomas Portau, imprimeur de l’académie7 : ils avaient publié un libelle diffamatoire intitulé Satire démocritique contre les Écossais à l’académie. Le libelle fut détruit, et Van Lieshout dut publiquement demander pardon avant d’être licencié par Portau. Cela ne l’empêcha pas d’ouvrir quelques années plus tard un atelier d’imprimerie sous l’enseigne « In ’t Groot Boeck » (« Au Grand Livre ») sur la place principale d’Amsterdam, le Dam, qui fonctionna de 1625 jusqu’à son décès en 16468.

6 Initialement, la ville de Saumur s’insérait donc harmonieusement dans le circuit d’études supérieures et les perspectives de carrière éducative des jeunes protestants néerlandais, sans doute le plus souvent en théologie, mais parfois aussi dans les humanités, en philosophie ou en mathématiques9. Cela valait également pour certains catholiques de la République car l’académie protestante n’était pas la seule institution théologique à Saumur. Conçue dès 1592 par Du Plessis-Mornay, sa fondation en tant qu’université protestante avait été prévue en 1598 par le synode national de Montpellier et décidée par le synode de Jargeau en 1601 mais réalisée seulement en 1607 comme superstructure du collège protestant ouvert en 1599. On y enseignait d’ailleurs également la philosophie et les mathématiques, et plus épisodiquement le droit et la médecine. Mais la ville était restée majoritairement catholique et dans un esprit de paix de religion pragmatique, le climat de controverse religieuse y tournait tout entier autour du problème de la grâce, parmi les protestants comme – on l’oublie souvent – parmi les catholiques. Ainsi a-t-on pu appeler le couvent de la Fidélité qui se trouvait au centre-ville un « Port-Royal saumurois » : sous la prieure Madeleine

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Gautron, élue en 1634 à l’âge de 23 ans, ce couvent vécut pendant plus de quarante ans dans un régime rigoriste d’une extrême austérité, sanctionnée par ses confesseurs de la congrégation de l’Oratoire10. En 1649 une deuxième institution théologique fut érigée à Saumur auprès du vieux sanctuaire de Notre-Dame des Ardilliers situé hors la ville, sur le bord de la Loire, qui était géré par la même congrégation de l’Oratoire depuis son installation dans cette résidence en 1619. C’était en même temps l’école théologique (ou grand séminaire) de l’Oratoire, fondée pour fournir un contrepoids à l’académie réformée par François Bourgoing, supérieur général de la congrégation mais aussi ancien supérieur de la maison de Saumur. Devenue dès sa fondation un haut lieu du rigorisme catholique, puis du jansénisme naissant, et resté tel sous le très long épiscopat (1649-1692) de l’évêque d’Angers Henry Arnauld, frère aîné du grand Antoine Arnauld, ce séminaire fut transféré à Montmorency en 1720 après la censure d’une thèse janséniste de théologie estimée dangereuse11.

7 Dès avant la fondation de cette académie catholique, le collège royal de Saumur, fondé vers 1615 et confié à l’Oratoire depuis 1624, était couplé avec la maison des Ardilliers. Collège de plein exercice, il faisait fonction de lieu d’études et d’enseignement théologique dans un esprit de controverse12. Dès 1638, dans son répertoire des institutions religieuses, le chanoine anversois Aubert Le Mire (Miraeus) le confirme expressément pour la maison de l’Oratoire de Saumur qui hébergeait alors une trentaine de prêtres, « Theologiam, atque in primis Fidei controversias, adversus Calvinianos Salmurij potissimum obstrepentes, diligenter explicant.13 » Il s’agit dans ce cas d’une première chaire de théologie, attestée dès 1633 dans cette « maison d’études », comme les oratoriens l’appelaient. L’enseignement fut continué et établi sur un plan supérieur en 1649 dans l’école théologique des Ardilliers, lieu de rencontre des catholiques et protestants débattant sur les points de controverse, en particulier la justification et la grâce, sous l’impulsion du père Louis Thomassin arrivé en 164814.

8 Mais dès les années 1640 un cursus d’enseignement formel, sous forme de séminaires, y est organisé pour les jeunes étudiants en philosophie et théologie de l’Oratoire. On y retrouve plusieurs jeunes Néerlandais catholiques de bonne famille entrés à l’Oratoire de Paris ou de Louvain : ainsi, dès 1636, Pierre Pelt d’Utrecht y étudie avec les professeurs Jean Berthad et Léonor de La Barde15. En 1645, il n’y a pas moins de quatre étudiants néerlandais dans cette école, auxquels s’ajoutent en 1646 un étudiant laïque et surtout le jeune oratorien Jean [Johannes] van Neercassel (1625-1686), futur évêque in partibus infidelium de Castorie et vicaire apostolique jansénisant de la Mission de Hollande, un vrai rassembleur et leader spirituel, mort en odeur de sainteté. Ayant fini ses études de théologie à Saumur avec Thomas Bély, il y enseigna lui-même pendant trois ans, de 1647 à 1650, la philosophie avec Jean Berthad puis la théologie avec Louis Thomassin. C’est à Saumur que ce futur prélat apprit les finesses de cette controverse qui par la nécessité d’un contact fréquent et d’un débat compréhensif avec l’adversaire était propice aux tendances jansénisantes. Dans la situation inverse de la République des Provinces-Unies, celles-ci continuaient de caractériser les positions de Neercassel et de son entourage clérical, voire même laïque16

Saumur, le « grand tour » et les jeunes Néerlandais

9 Le séjour des étudiants étrangers à Saumur s’inscrit dans le phénomène moderne qui, avec un nom quelque peu trompeur, est souvent appelé le « grand tour17 ». Ce nom

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générique cache en fait différents types de voyages à l’étranger qui, de surcroît, ont changé de caractère au cours de l’Ancien Régime. Alors que le grand tour du XVIIe siècle concerne essentiellement un vaste public étudiant englobant l’ensemble de l’Europe de l’Ouest et recrutant dans toute la moitié septentrionale de l’Europe, de l’Irlande aux pays baltes en passant par la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Scandinavie, le Saint- Empire et la Pologne, celui du XVIIIe siècle est essentiellement nobiliaire, touristique ou savant, et italien, et il concerne avant tout les couches supérieures très fortunées des empires britannique et germanique, occasionnellement celles de la Hollande et des pays scandinaves, mais le plus souvent sans objectif étudiant. Les « touristes » du XVIIe siècle voyageaient en groupes d’amis, de proches parents ou de camarades d’étude, ceux du XVIIIe siècle se faisaient accompagner de leurs domestiques.

10 Pour le XVIIe siècle, on peut distinguer au moins trois types de voyages accomplis par les voyageurs/étudiants : • la pérégrination académique : le voyage de fin d’études du véritable étudiant, appelé une peregrinatio academica impliquant au minimum l’inscription dans une matricule universitaire, la participation à la vie d’une nation étudiante ou une fraternité estudiantine, ou l’acquisition d’un grade universitaire, même sans études préalables sur place ; • le voyage éducatif : celui du jeune adulte cherchant à se dépayser à l’étranger dans un but éducatif, en y ajoutant l’acquisition de connaissances ou aptitudes particulières qui lui seront utiles dans sa vie ultérieure, tels les rituels de la civilité, l’apprentissage de la langue du pays, l’équitation, l’escrime, la danse, le luth, etc. Pour le dire avec la belle formule de Thomas Erpenius (1584-1624), le professeur surdoué de langues orientales à Leyde mort précocement de la peste, qui lui-même avait passé l’année 1610 à l’académie de Saumur au cours de son grand tour par l’Angleterre, la France, l’Italie et l’Allemagne : « Finis peregrinationis sit notitia sextuplex : linguae, regionis, religionis, rerum gestarum, morum et clarorum virorum18 » ; • le voyage touristique : celui du touriste passant simplement de ville en ville pour découvrir des monuments, des antiquités, les mœurs et coutumes, souvent en attendant un moment de passage dans une université de son choix pour y prendre un grade.

11 Cette distinction se reflète dans les noms qui ont été donnés au voyage à l’étranger à la suite d’un débat scientifique récent dans les Pays-Bas : voyage d’études (studiereis) vers une ou plusieurs des principales universités de l’Empire, de la France et de l’Italie pour la première catégorie, voyage éducatif (educatiereis, ou en allemand Kavalierstour s’il s’agit de nobles ou aristocrates) pour la deuxième, le terme de « touriste » étant appliqué aux trois catégories19.

12 L’analyse des journaux de voyage des touristes néerlandais du XVIIe siècle qu’Anna Frank-van Westrienen a menée dans sa thèse sur le grand tour montre bien comment la tension, puis la séparation, entre l’objectif savant et l’objectif social ont finalement conduit à un clivage entre le grand et le petit tour. Le voyage de la majorité évolue vers un grand tour hybride, surtout caractéristique des Néerlandais en raison des besoins et possibilités de leur milieu d’origine essentiellement bourgeois et de leur destinée sociale, culturelle et politique aux leviers de commande des villes et provinces de leur nouvel État. Par ailleurs, l’accent qui à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle était mis parmi les Néerlandais sur la recherche d’académies et universités réformées, de doctrine éprouvée – telles que Steinfurt, Hamm, Herborn, Marbourg, Heidelberg, Bâle, Lausanne, Genève, Sedan ou Saumur – disparaît au cours de la première moitié du XVIIe siècle. Le voyage éducatif se déconfessionnalise alors rapidement, même si la

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pérégrination académique au sens strict continue d’être importante pour certains, surtout pour les candidats au saint ministère qui, financièrement démunis, jouissent parfois de bourses d’études provinciales ou locales pour l’étranger les obligeant à choisir des universités théologiquement sûres. D’autre part, comme l’a très justement fait remarquer Paul Dibon, la pérégrination académique se rétrécit et se déplace vers le pays modèle de la nouvelle civilité, des bonnes manières et de la culture de l’élite : la France. Dans cet iter gallicum, Saumur prend désormais la place qui avait auparavant été réservée à Heidelberg et Genève comme hauts-lieux du protestantisme réformé.

13 Vers 1650, le voyage type réunit et réconcilie donc au moins quatre exigences : • se faire éduquer à un standard européen de conduite dans les hauts lieux de l’étiquette nouvelle pour apprendre la civilité et assumer le modèle de la société de cour incarnée par la France ; • prendre un grade universitaire en droit ou en médecine (peu importe l’endroit, mais Orléans pour le droit et Angers ou Caen pour la médecine dominent nettement) ; • prendre contact avec des savoirs anciens, universellement reconnus, dans lesquels on peut s’enraciner face à la science internationale, ou encore avec un savoir autre, que l’on ne trouve pas chez soi ; • enfin, acquérir des compétences sociales et se constituer un réseau d’amis, de relations, de patrons ou de clients.

14 Le transfert culturel que le grand tour opère ainsi dans la vie du « touriste » conduit à terme à un vrai changement culturel dans sa propre vie et son propre réseau, par le biais des formes d’appropriation des valeurs et conduites culturelles que le jeune homme sait désormais mettre en œuvre et dont, d’ailleurs, les modalités lui sont enseignées au cours même de son voyage par ses compagnons.

15 Dans tous les cas, le voyage est accompli en compagnie d’autres jeunes, soit étudiants soit commis de marchands ou apprentis, parfois accompagnés d’un domestique ou d’un précepteur. Le séjour lui-même peut s’étaler sur plusieurs années. Ces deux caractéristiques assurent à cette élite aisée, souvent même fortunée, et promise à des charges importantes dans l’État, une cohésion qui dure toute la vie. Le rituel du voyage était donc extrêmement important pour la formation des futures élites dirigeantes. Les jeunes en étaient eux-mêmes aussi conscients que leurs parents. Ils consacraient beaucoup de temps à toutes les formes de socialisation, y compris par le jeu et les excursions de groupe, et ils inscrivaient leurs nouvelles relations dans les livres d’amis, des albums d’armoiries, des correspondances, des collections de poèmes dédiés à leurs compagnons, etc. Dans cette perspective, l’objectif concret du voyage importait moins que le fait même de l’accomplir, même si l’on y reconnaît bien un certain nombre d’itinéraires-type, englobant les sites royaux d’Angleterre et de France, les monuments incontournables (tel le pont du Gard), les principales villes universitaires (Orléans, Bourges, Poitiers, Angers, Caen), les hauts-lieux du protestantisme (La Rochelle), et les lieux de villégiature les plus agréables. Parmi ces derniers, on citera donc en premier lieu Saumur, où la visite de l’académie paraît bien souvent un prétexte commode pour un séjour de formation générale, de visites ciblées et de détente prolongée.

16 Au cours du XVIIe siècle, on voit naître plusieurs types de circuits de substitution à l’ancien grand tour germano-franco-italien, trop long, trop cher et aussi trop dangereux en raison des mouvements de guerre, des périls de la mer, ou des dangers de la route sur le parcours italien. Au cours de la première moitié du XVIIe siècle, du fait même de la longue guerre hispano-néerlandaise et de la Guerre de Trente Ans dans

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l’Empire, le grand tour se réduit déjà insensiblement au royaume de France. Mais le nouveau circuit privilégié par le plus grand nombre est le « petit tour » intra-français, réduit au circuit de la Loire dans un grand quadrilatère limité par Paris, Caen, Nantes, Poitiers et Bourges, avec Orléans et Angers comme épicentres, le tout précédé ou suivi d’une excursion à la cour de Londres et dans les villes universitaires d’Oxford ou Cambridge. Ce « petit tour » rapidement connu comme tel avait l’avantage de pouvoir atteindre tous les objectifs, tout en étant moins cher, moins long et plus sûr que le passage par l’Italie ou l’Allemagne ou la traversée des Alpes.

17 Vers 1600, la fondation de l’académie de Saumur vient à point nommé pour faire jouer à la ville un rôle central, parfois prépondérant, dans le tourisme des jeunes néerlandais, par son site avantageux, son rôle de villégiature, les attraits de la vie locale dans une ville petite au climat doux et au vin agréable à boire, et son caractère de haut-lieu et de refuge réformé dans un univers catholique20. Nous savons par leurs journaux ou lettres et par de nombreuses références dans d’autres sources que Saumur était une ville de passage quasi obligée pour l’ensemble des jeunes voyageurs néerlandais réformés, qu’ils soient de vrais étudiants en théologie ou des proposants, tels le botaniste Adolphus Vorstius (1597-1663) ou le cartésien Louis Wolzogen (1633-1690), des jeunes en quête d’une éducation de qualité, ou de simples passants. Toutefois, le choix restait sujet à des préférences personnelles. Ainsi, le futur philologue Johannes Fridericus Gronovius (1611-1671) qui, en 1640, fait son grand tour en tant que précepteur des richissimes frères De Geer, délaisse Saumur à dessein, préférant Angers, où il prend son grade en droit. La colonie hollandaise y était encore plus nombreuse et davantage à son goût21.

18 D’autres jeunes étrangers, en revanche, faisaient le choix délibéré de Saumur comme lieu d’études, même s’ils n’avaient aucune velléité théologique. Cela vaut pour Johannes Hudde (1628-1704), futur puissant bourgmestre d’Amsterdam, féru d’innovations techniques, lui-même fils d’un grand négociant amstellodamois, directeur de la compagnie de commerce du Levant et de la compagnie des Indes Orientales. Pendant ses études de philosophie et de droit à Leyde, il commence à s’intéresser aux mathématiques, qui continuent de l’occuper pendant de longues années. Son grand tour en compagnie du jeune candidat en médecine Hendrik van Heuraet (1634-1660?) le conduit en juin 1658 à Saumur, où les deux compères séjournent probablement une année entière22. Van Heuraet retourne ensuite à Leyde où il s’inscrit de nouveau en médecine le 7 novembre 1659, mais on perd sa trace peu après. Ce voyage de Saumur est à mettre en rapport avec l’intérêt que les jeunes Néerlandais passionnés des sciences nouvelles portent au mathématicien Melchisédech Thévenot (ca. 1620-1692) et aux réunions hebdomadaires de son académie domestique à Paris, car on retrouve cette combinaison dans d’autres curricula, tel celui de l’Amstellodamois Jan Swammerdam (1637-1680), candidat en médecine et futur insectologue célèbre qui, au printemps 1664, séjourne quelques mois à Saumur pour suivre les cours de Tanneguy Le Fèvre (1615-1672) et discuter avec Isaac d’Huisseau (1607-1672), avant de rejoindre en septembre de cette même année, à Paris, Thévenot, chez qui il restera une année entière en compagnie de son ami danois Niels Stensen (Steno, 1638-1686)23.

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Passants à Saumur

19 S’il n’y a plus de registres matricules des étudiants de Saumur, le passage à l’académie ou dans la ville est mentionné dans de très nombreux journaux de voyage ou alba amicorum (livres d’amis)24. Certaines correspondances nous renseignent sur le concret de la vie, parfois amplement, comme celle du précepteur des frères Kerr séjournant à Saumur en 1654, qui a été publiée sur l’Internet par Jean-Paul Pittion25. Les frères Kerr faisaient partie de l’aristocratie écossaise qui s’était engagée dans l’armée de la République des Provinces-Unies et leur grand tour débuta à Leyde.

20 Quant aux simples « passants », prenons comme exemple le jeune Everhard Avercamp (vers 1595-1666), fils du pharmacien ordinaire de la ville de Kampen dans la province d’Overyssel et frère du peintre de genre Hendrick Avercamp, célèbre pour ses scènes de patinage ; en 1640 il devient lui-même médecin ordinaire de Kampen26. Suivant les données de son album, il s’embarque le 16 août 1619 à Rotterdam pour Nantes, remonte la Loire jusqu’à Angers où il reste au moins quatre mois faisant des excursions plus ou moins prolongées à Thouarcé, Loudun, Saumur et Saint-Mathurin-sur-Loire. Par Orléans il rejoint Paris puis repart pour Valence, Orange (où il reste deux ans), Montpellier et les antiquités romaines du Midi avant de remonter peu avant décembre 1622 vers Angers pour un nouveau séjour angevin de six mois. Enfin, il traverse la Loire aux Ponts-de-Cé pour regagner Thouarcé, puis Nantes d’où il rentre aux Pays-Bas. Le 15 décembre 1620 il est à Saumur, où pendant une semaine pas moins de douze étrangers, futurs médecins, juristes ou magistrats, apportent une dédicace dans son album : Joannes a Velsen de Leeuwarden, Albertus van Loo de Dordrecht, Nicolaus Busch de Groningue, Ewald Graswinckel de Delft, le gentilhomme Bernhardus Bentinck de l’Overyssel, Petrus et Theodoricus Albada de Groningue, Aegidius Godefridi van Blanckendael de Zélande, Cornelius Dosthorne et les Écossais Jacobus Peirsoune, R. Gourlaijus, et David Lermonthus, enfin Johannes Gerhardi de Dieppe – en somme, des représentants de quasiment toutes les provinces néerlandaises et des deux grandes nations réformées, l’Écosse et la France !

21 Un autre exemple est l’album de Johan Kaldenbach (vers 1583-1636), fils aîné d’Adam, procureur ordinaire de la ville de Zutphen, puis secrétaire de justice, depuis 1593 échevin et bourgmestre, et dès 1609 membre du Conseil d’État de la République. Cet album permet de reconstruire le grand tour qu’il a entrepris entre 1607 et 1609 et de reconnaître son passage à Saumur. Il s’agit d’une forme mixte de voyage d’études et d’éducation à la suite de ses études de droit, accomplies depuis 1599 à Franeker, à l’académie de Steinfurt et à Leyde. Passant successivement par l’université de Marbourg, l’académie des nobles à Cassel, l’université de Heidelberg, les académies de Lausanne et Genève, il se rend à Orléans où, en 1608, il devient docteur en droit en étant assesseur de la nation germanique, puis à Angers et Saumur où il a dû séjourner plusieurs semaines. Il gagne ensuite Orléans pour un second séjour comme senior de la nation, puis Paris et enfin, à nouveau, l’université de Leyde. Rentré chez lui en Gueldre il devient avocat, échevin en 1616 et bourgmestre de Zutphen, pour finir en 1620 conseiller gradué à la Cour de Gueldre27.

22 Quatre ans après le séjour de Kaldenbach, le 31 mars 1613, Cornelis van Beveren (1591-1663), fils d’un puissant bourgmestre de Dordrecht, la première ville de Hollande, et lui-même promis à la régence de sa cité, visite Saumur au pas de course au cours de son grand tour, passant par la France, la Suisse et l’Allemagne. Avant de visiter à la

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même vitesse Angers et le collège jésuite de La Flèche, qui le remplit d’admiration, il passe un jour et une nuit à Saumur pour visiter le château et le Collegium Theologiae et Philosophiae. Malgré la précipitation dont il fait preuve, il réussit tout de même à rendre visite au gouverneur Du Plessis-Mornay, qu’il décrit dans ces termes : « Monsieur du Plessis est un homme savant et agréable, d’une belle stature, blanc, les yeux à fleur de tête, qui passe le plus fort de son temps à étudier28 ».

23 D’autres étudiants suivent approximativement le même itinéraire stéréotypé, en particulier les très nombreux passants qui visitent Saumur à partir d’un autre point de chute, le plus souvent Angers et son université célèbre. Angers est alors une ville très appréciée où de très nombreux Néerlandais séjournent et où nombre d’entre eux obtiennent un diplôme en droit ou en médecine.29 Les étapes obligatoires autour de Saumur sont l’amphithéâtre antique de Doué, la ville de Loudun, l’abbaye de Fontevraud et le collège de La Flèche, où les Néerlandais font avidement la connaissance de la grande entreprise éducative des jésuites qui apparemment les reçoivent avec courtoisie et intérêt. Mais au sein même de ces grappes de « touristes » qui ne sont que de simples passants, l’ennui peut frapper, comme le montre cette citation du journal de voyage de deux gentilshommes natifs de La Haye, les frères Zoete de Laecke, qui fréquentent surtout les académies d’équitation. Le 12 février 1657, ils vont voir dans son domicile à Paris, rue aux Ours, Philibert van Tuyl, seigneur de Serooskerke (mort en 1661), un gentilhomme zélandais haut placé, « qui après avoir fait le tour de France, sans y avoir rien appris ny remarqué que les maisons et les rües des villes, retourna au commencement de l’automne à Saumur, où un jour traittant quelques-uns de ses amis, il les fist tant boire, qu’il y eut un d’Amsterdam qui tua un bourgeois30 ».

24 Arnout Hellemans Hooft (1629-1680), fils de l’Amstellodamois Pieter Cornelisz Hooft, bailli de Muiden et un historien et littérateur célèbre dans le paysage culturel néerlandais, fait son grand tour en 1649-1651. Il change quasiment tous les jours de ville, et ses observations d’une brièveté et d’une banalité déconcertantes sont assez caractéristiques de la plupart des journaux de voyage. Le 22 août 1651, il quitte Nantes pour Clisson et Mortagne, le 23 il est à Thouars, le 24 à Loudun, le 25 à Richelieu, le 26 à Montreuil-Bellay puis Doué où l’amphithéâtre le déçoit et Saumur où il loge dans l’auberge « À la Corne [de Cerf] », à sa satisfaction. Le lendemain 27, il y va à l’église, pleine de gens, et visite le château doté de belles murailles et entouré d’eau ; il y rend visite à Monsieur et Mademoiselle Niot. Mais le 28 il est déjà à Tours. Il rencontre continuellement des compatriotes en route et, partout où il va, il cherche leur compagnie. Le dépaysement semble assez limité pour ce jeune homme, mais il est vrai qu’il finit en Anjou son voyage de deux ans à travers l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et la France et qu’après tous ces dépaysements bien peu de choses arrivaient encore à l’enthousiasmer31.

25 Si beaucoup de visiteurs sont donc passés par Saumur, quelques-uns seulement ont laissé des journaux de voyage assez détaillés pour permettre de découvrir quelles étaient exactement leurs occupations et leurs impressions de la ville, sans même parler de leur vie de tous les jours et de l’enseignement à l’académie. Jacob Olfertsz de Jong (1599-1646), par exemple, le second fils d’Olfert Barentsz, bourgmestre de Hoorn en Westfrise, mentionne dans son journal avec précision les étapes de son voyage du 1er avril 1621 au 7 août 1622. Celui-ci ne dépasse pas le circuit du « petit tour » par Rouen, Paris, Orléans, Angers, Caen et Dieppe. Il se déplace le plus souvent en compagnie de

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son frère aîné Jan et de concitoyens qu’il rencontre en route, car les itinéraires des touristes se croisaient souvent et on apprend dans les journaux de voyages qu’ils communiquaient activement entre eux, ne serait-ce que par précaution face aux dangers de toutes sortes qui les menaçaient. Le 11 décembre 1621, il prend le bateau à Blois pour arriver deux jours plus tard à Saumur où il trouve un logement chez un monsieur La Moche, avec son frère qui le quitte cependant quelques jours plus tard pour rentrer chez lui. Tout ce que nous apprenons de son séjour de trois mois et demi à Saumur est son excursion à l’amphithéâtre de Doué et dans quelques autres « petites villes » non spécifiées. Cependant, pendant ce séjour il tombe gravement malade. Son hôte, le médecin et l’apothicaire cherchent à tour de rôle à profiter de sa maladie (ils le « rasaient », comme il écrit), de sorte que ses moyens financiers s’épuisent rapidement. Aussi se fait-il transporter à Bourgueil où, le 26 mars 1622, il trouve pour un prix plus modéré le gîte chez monsieur Olivier à la Fontaine. Il y reste trois mois pour se rétablir, jusqu’au 19 juin 1622. Contrairement aux Saumurois, qu’il décrit comme rapaces, les habitants de Bourgueil, son hôte compris, sont courtois et accueillants. Qui plus est, son français s’y améliore à vue d’œil, étant donné l’absence d’étrangers, à l’exception d’un unique Néerlandais de passage, Otto Valck de Groningue, ce qui du coup lui donne une belle occasion de se débaucher. À Bourgueil, il fournit lui-même l’hospitalité à Monsieur d’Allères, seigneur de Bonnétable, lorsque celui-ci y courtise une femme du cru. Ailleurs en France, on traite notre Jacob Olfertsz de « parpaillot » – nous sommes dans les années critiques de l’offensive antiprotestante. Au Havre il est suspecté d’espionnage et menacé d’emprisonnement, en dépit de son passeport d’étudiant délivré par la Nation Germanique d’Orléans, et en fin de compte il y achète un cheval pour se précipiter à Dieppe où le duc de Longueville lui permet de rentrer chez lui, bien soulagé32.

Joan Huydecoper, un jeune aristocrate en formation

26 Deux voyageurs se détachent clairement du lot, et leurs notes de voyage permettent de souligner les deux fonctions principales de Saumur pour les jeunes étrangers. Pieter de la Court et Joan Huydecoper sont tous deux des figures clé de l’histoire de la province de Hollande, voire de la République des Provinces-Unies, de la Court en tant qu’intellectuel et auteur politique, Huydecoper en tant qu’ acteur politique. Ils correspondent aussi aux deux types de voyageurs précédemment évoqués : Pieter de la Court cherche à Saumur une éducation théologique ou du moins un supplément sérieux de formation dans ce domaine, Joan Huydecoper y passe une bonne partie de son voyage de type éducatif. Commençons par ce dernier.

27 Joan Huydecoper appartenait à une famille qui, grâce à ses riches archives parfaitement conservées, est au cœur de deux études historiques importantes, parues presque simultanément il y a une quinzaine d’années : une étude des réseaux de parenté (dans les termes de l’époque, de la vriendschap, l’amitié), et une autre sur les pratiques éducatives de l’élite bourgeoise de la Hollande33. Selon Benjamin Roberts, l’auteur de ce dernier travail, la famille Huydecoper « symbolized the prosperity of Amsterdam during the Dutch Golden Age. Huydecoper managed to unify wealth, politics, and the cultural elite status in Amsterdam34 ».

28 Joan Huydecoper le jeune était né à Amsterdam le 21 février 1625. Après avoir été maintes fois bourgmestre d’Amsterdam et membre du conseil d’administration

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(directeur) des compagnies de commerce et de l’Amirauté, il y mourut le 1er décembre 1704, au sommet de l’élite de ce qui était encore la capitale mondiale du commerce et de la finance. Il était le fils aîné de Joan Huydecoper l’aîné (1599-1661) et de Maria Coymans35. Son père était lui-même le seul fils survivant issu du mariage de Jan Jacobsz Bal dit Huydecoper (1541/42-1624), un tanneur et marchand pelletier, et de surcroît un calviniste sévère et politicien rusé qui s’était enrichi dans le commerce du sel et, plus discrètement, dans les spéculations financières et foncières qui accompagnèrent la croissance rapide d’Amsterdam dans le dernier quart du XVIe siècle. Il était directeur de la compagnie Magellan pour le commerce sur l’Amérique du Sud. Son fils Joan l’aîné, bénéficiant d’une des fortunes les plus considérables de la ville, allait jouer un rôle actif de mécène des arts et des lettres. Échevin dès 1629, il entre en 1630 au conseil municipal avant de se faire élire bourgmestre en 1651. Adorant jouer le grand seigneur, ce calviniste très modéré rejoint rapidement la faction libérale, ce qui lui permet de se faire réélire de nombreuses fois et de représenter la ville au couronnement de Charles II d’Angleterre en 1660. Joignant à son patrimoine déjà non négligeable la fortune colossale de sa femme Maria Coymans, fille du plus important banquier d’Amsterdam à cette époque, il fait construire vers 1640 à Maarssen, du côté d’Utrecht, une superbe maison de campagne appelée Goudestein (Maison Dorée) et s’achète la grande propriété de Maarsseveen qui, fait exceptionnel dans la République, est élevée à son intention en seigneurie par les États d’Utrecht. Dès lors il s’intitule seigneur de Maarsseveen, comme son fils le faisait déjà à Saumur, pendant son grand tour. Ses prétentions aristocratiques se renforcent encore lorsque le roi de France l’admet en 1650 dans l’Ordre de Saint-Michel.

29 Le réalisme politique caractérise tout autant la carrière de son fils Joan le jeune. Au début de la guerre de Hollande il troque sa veste de républicain contre un habit d’orangiste, ce qui lui vaut une première élection comme bourgmestre en 1673. Son père Joan l’aîné étant non seulement extrêmement ambitieux mais aussi un éducateur très tatillon et très près de ses sous, la correspondance entre le père à Amsterdam et le fils à Saumur s’avère une longue litanie de plaintes paternelles sur les dépenses de son rejeton et ses demandes d’argent, par ailleurs justifiées par une comptabilité très précise dont l’historien ne peut que lui être reconnaissant. Le séjour de Joan le jeune à Saumur s’inscrit dans un vrai grand tour à travers toute la France36. Cependant, alors que l’essentiel du voyage est fait au pas de course, Saumur apparaît comme une étape de longue durée car il est forcé d’y attendre l’autorisation paternelle pour se rendre en Italie ; son père rechigne devant les dépenses qu’il trouve trop considérables et il est visiblement effrayé par les nouvelles sur la guerre civile, la Fronde. Mais par un chantage affectif habile, mettant à contribution ses frère et sœur et d’autres parents en Hollande, par ses insistances répétées invoquant en particulier le séjour de ses trois cousins Deutz à Rome, et par des preuves tangibles de son bon sens financier, notamment en vendant ses deux chevaux, un frison et un espagnol, à un prix assez élevé, et enfin en promettant de se contenter de 1 500 florins pour une année entière (trois à quatre fois le revenu annuel d’un artisan), Joan arrive à vaincre les réticences de son père. Le 24 avril il lui écrit son « extrême joie » d’avoir obtenu la permission de partir pour Orléans, Lyon, Marseille, Gênes, Venise et finalement Rome ; il ira jusqu’à Arles, mais devra malheureusement repartir pour Genève puis regagner la Hollande avant même d’avoir accosté en Italie. Quant à Saumur, arrivé dans la ville le 1er août 1648, il en repart finalement neuf mois plus tard, le 28 avril 1649.

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30 Joan ne voyage pas seul, mais en compagnie de son cousin issu de germain Dirck Schaep, fils d’une nièce de Joan Huydecoper l’aîné, Lijsbeth Kieft. Par ailleurs, il a à son service un domestique, appelé Eustache, probablement un Français engagé en route, car il le quitte lors de l’annonce de son passage en Italie. Il lui paie 20 florins37 par mois, l’entretien de ses habits et ses frais médicaux. Joan et Dirck se séparent à leur départ de Saumur après y avoir rencontré quantité d’autres Néerlandais faisant le grand tour comme eux. Dirck était un homme ambitieux qui allait être secrétaire de la ville d’Amsterdam de 1655 à 1697 et servir pendant la guerre de Hollande (en 1673-1675) comme ambassadeur en Suède, où il fut anobli le 18 novembre 1674. De l’avis de Joan Huydecoper, Dirck était pingre, mais le registre des dépenses de Joan montre qu’il ne savait pas bien gérer ses finances lui-même et que Dirck dut lui avancer de l’argent à plusieurs reprises. Par ailleurs, le registre fourmille de petites dépenses pour les étrennes, les pauvres, les bonnes, les domestiques, les valets d’écurie et les messagers, les apprentis de toutes sortes, les garçons postiers et les musiciens de passage, qui nous font entrer de plain-pied dans la vie quotidienne du riche touriste mis à contribution par les gens du peuple.

31 Ce registre contient également les copies des lettres qu’il a envoyées et reçues, et qui permettent de reconstruire tout son itinéraire. Il part de Genève le 1er mai 1648, est à Montpellier le 18 mai, à Toulouse le 26, à Bordeaux le 3 juin, à Saintes le 10 juin, puis il passe par La Rochelle, par Nantes où il se loge chez le marchand hollandais Van Rhijn, et par Angers, pour enfin arriver à Saumur. Dès son arrivée il écrit une lettre en latin à son père : « Urbem hanc satis iucundam invenio. […] Quoad linguam Gallicam, exercitiaque omnia hic optime addiscuntur », une ville agréable, parfaite pour apprendre le français et les exercices mondains de son état. Il loge d’abord chez le maître tailleur Gotiers, à qui il achète un habit pour tous les jours (53 florins) et un habit de luxe (près de 139 florins – soit pas moins de la moitié du revenu annuel d’un artisan hollandais) et où, pour 8 sous par jour, il peut également mettre ses deux chevaux à l’écurie, le cheval frison de son domestique et le sien propre, un cheval espagnol apparemment racé, dont il prend beaucoup de soin et dont la valeur est près du triple de son cheval frison. En mars 1649, il les vend pour respectivement 30 et 80 pistoles (1 100 florins au total) au marquis de Chassé, probablement par l’intermédiaire du négociant hollandais Van Rhijn de Nantes. Il a déjà repéré deux maîtres d’équitation dans la ville de Saumur et cherche encore un précepteur de français. Le tabac hollandais lui manque ; aussi écrit-t-il le même jour à son fournisseur Van de Sande en Hollande en demandant de lui envoyer une boîte contenant des pipes et du tabac par l’intermédiaire du marchand Cannars. Un mois et demi plus tard, le 14 septembre, le colis arrive enfin. Si Van de Sande est son relais pour les achats hollandais, Cannars est son contact saumurois régulier avec la Hollande, il agit comme son banquier. Il existait d’ailleurs une petite communauté marchande néerlandaise à Saumur, originaire aussi bien d’Amsterdam que de la ville d’Utrecht, à en juger d’après les noms de famille (Van Rossum, Van Wijckersloot, Van Velthuysen, Van Bredenberg, etc.)38.

32 Ce n’est pas l’académie qui constitue l’objectif de son séjour à Saumur, mais la ville elle- même, appréciée pour sa douceur de vivre, la découverte du pays, de ses habitants et de ses coutumes, et les exercices mondains du parfait gentilhomme dont il parlait déjà dans la première lettre à son père. Le gros des dépenses concerne la pension ordinaire, soit 529 florins au total pour les neuf mois. Il les paie par mois à ses logeurs, le premier mois au tailleur Gotiers, puis à Madame Pierson ; il faut y ajouter ses dépenses

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personnelles « extraordinaires » (152 florins) et la dépense nécessaire pour le soin et le logement de ses deux chevaux. Les comptes mentionnent aussi l’achat de quelques spécialités : une paire de perdrix, des melons, plusieurs pots de vin qu’il achète au Lion d’Or, trois boîtes de confitures, des raisins et pistaches, deux fromages, et des huîtres que lui procure la bonne du barbier. La visite des environs de la ville prend une place de choix dans ses dépenses et sa correspondance. Ainsi, du 9 au 25 octobre il part avec son cousin en excursion pour visiter au pas de course Fontevraud, Chinon, Richelieu, Châtellerault, Poitiers, Loudun, Thouars, Doué, Brissac, Angers, La Flèche et Baugé. Ils prennent des guides sur place et se font recevoir dans les châteaux sur leur passage. Ce voyage lui coûtera plus de 110 florins. De retour à Saumur, il se plaint de l’automne pourri qui l’oblige à rester à la maison, et de ses compatriotes hollandais qui restent toujours entre eux et « summopere tabaco deditos ».

33 Il aspire à partir pour Orléans « considérant l’accademie des estudes que l’on exerce, e[s]t la plus fameuse qui soit dedans toutes les villes où j’aije passé », mais il a dû s’intéresser avant tout à la vie sociale de la Nation Germanique d’Orléans, car il avait déjà fini ses études par un grade en droit pris dès 1646 à Leyde. Ce geste rendait son grand tour d’ailleurs atypique car la quasi-totalité des étudiants prenaient leur grade en route dans une université française, à moindres frais, en tant que candidat « forain », non autorisé à pratiquer le droit ou la médecine en France même. L’académie protestante de Saumur, quant à elle, ne figure dans les cahiers de ce calviniste qu’au détour d’une phrase. On apprend juste qu’il a payé 12 florins au relieur (sans doute pour des thèses ou d’autres ouvrages reçus de ses compatriotes ou des professeurs) et des sommes minimes mais régulières pour papier, plumes et crayons. Par contre, ce protestant convaincu s’extasie devant le « superbum ultimumque collegium Patrum Oratorum Nostre Dame d’Ardilliers », sans cependant remarquer les rituels catholiques qui y sont accomplis ou s’en scandaliser, comme l’avait fait quelques années auparavant Pieter de la Court. Il achète pour 5 florins un dessin de Saumur et se fait faire pour 15 florins son propre portrait.

34 Dans toutes les relations de voyage, les exercices dans les académies mondaines et les leçons auprès de maîtres particuliers forment une part substantielle des occupations et dépenses des touristes. Ce sont autant d’instances de sociabilité commune de la faune touristique étrangère. C’est dans ces académies d’équitation, d’escrime, de danse ou de musique, occasionnellement aussi des cercles littéraires, que les Allemands, Polonais, Scandinaves, Néerlandais et Britanniques se rencontraient, non sans rixes et conflits, et parfois de violences, pouvant aller jusqu’à entraîner la mort. Le bouillant Dirck Schaep lui-même avait donné « un sufflet » à l’écuyer Du Meni[l], gendre de Monsieur de La Porte, qui dès lors lui en voulut à mort et le poursuivit de sa haine au point d’obliger Schaep à se cacher pour de bon. Joan se fait lui-même voler son argent à Chinon (il perd 50 florins, et Dirck encore 42 florins) et dépense 5 florins pour récupérer son dû. Il perd d’ailleurs assez souvent de l’argent tombé de sa poche, sommes qu’il enregistre avec précision.

35 Les comptes de Joan le jeune nous renseignent en particulier sur les détails et les prix de ses exercices. Ayant déjà fait quatre mois d’équitation dans le manège de Frobenius à Genève, il reprend maintenant ses exercices à Saumur. C’est en effet l’équitation qui y est au centre de ses soucis, et elle lui coûte assez cher. Il détaille l’entretien de ses chevaux, leur logement à l’écurie, d’abord dans l’auberge de La Corne [de Cerf], chez le sieur Prieur, et chez son hôte Gotiers, puis chez monsieur Chevrières, l’achat des fers,

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des éperons et de la têtière, voire les frais médicaux pour leur guérison, près de 25 florins, plus chers que ses propres dépenses médicales. Fin décembre, il a un maître de langue, un maître de luth et de guitare, chez qui il va pendant tout son séjour, et un maître de danse (deux fois un demi-mois). Le luth aussi est une source de dépenses continuelles. S’il va assez souvent à l’auberge, le plus gros de ses dépenses de loisirs concerne cependant les jeux de société : le jeu de paume, le jeu de maille et le jeu de piquet. Apparemment c’est surtout au jeu de paume qu’il perd régulièrement des sommes importantes au profit de ses compagnons néerlandais Schaep, Van der Duyn et autres, et il semble qu’il n’ait joué pour de l’argent qu’avec des compatriotes. D’ailleurs, le registre de l’académie mentionne au moins une occasion où le jeu de paume a dérapé en querelle sanglante entre un étudiant français et un gentilhomme anglais39.

36 L’apprentissage d’un français de qualité l’occupe également. Joan le jeune avait déjà appris l’espagnol, ce qui le gêne maintenant dans le perfectionnement du français, la solution étant, comme il l’écrit le 8 octobre à son père, de se loger dans un milieu exclusivement francophone. Il trouve aussi un maître de français et lorsque celui-ci le quitte pour la prestigieuse académie d’équitation d’Angers, il en trouve fin novembre un autre qui lui prend 30 florins. Les ambitions et le contrôle tatillon de son père, qui l’inonde de lettres d’avertissement, ont beaucoup travaillé le jeune Joan Huydecoper pendant son séjour à Saumur. Il est vrai que ce grand tour coûtait une petite fortune, 14 000 florins en tout d’après le compte final de son père, soit plus que le prix d’une somptueuse demeure sur le canal le plus huppé d’Amsterdam. Le 28 décembre, accusant réception de trois lettres paternelles à la fois, il répond que le mécontentement sempiternel de son père l’a « réduit en desespoijr de vous contenter iamais ». Sur le reproche qu’il « fréquente la companie des vagabonts », il énumère les personnes avec qui il est en contact à Saumur : tout d’abord le fils de M. Diodati de Genève, qui est le gouverneur de trois frères gentilshommes français, puis « des messieurs de cette ville » (donc l’élite saumuroise), enfin toute une série d’étudiants ou touristes hollandais qui y séjournent : Van Donselaer d’Amsterdam, Barck et son cousin d’Utrecht, Van der Vliet de La Haye, Van der Scheur (« fils de celui-là chez qui j’ai demeuré »), Driewegen et son frère, Rosiers de Zélande, Ravensway cousin de feu le général Van Diemen, Schrijver [mieux connu sous son nom latinisé de Scriverius] d’Amsterdam, Blaulaecken de Hoorn, « et Mond. frères d’Utrecht ».

Pieter de la Court, le théologien manqué

37 Contrairement à Huydecoper, l’autre voyageur qui a laissé des notes abondantes sur Saumur, Pieter de la Court, s’est bien intéressé à l’académie protestante, et cela d’autant qu’il avait encore des velléités dans le domaine des études théologiques40. En raison des frais considérables qu’un voyage de longue durée à l’étranger entraînait, le grand tour était en fait réservé aux jeunes bourgeois issus des couches régentes ou aux fils de négociants fortunés. Aucun de ces deux groupes n’était particulièrement intéressé par la profession de pasteur, mal rémunérée et au statut social assez moyen, en dépit des ambitions théologico-politiques de maint pasteur. Le nombre de ministres réformés néerlandais qui ont étudié à Saumur semble par conséquent réduit. Il était régi par la disponibilité de bourses d’études, ou la possibilité de trouver un poste de précepteur de compagnie, ce qui permet de retrouver certains noms de jeunes étudiants en théologie dans le contexte d’un voyage de grande ampleur.

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38 Il y a des exceptions. Tel Jacobus Revius (1586-1658), fils d’un bourgmestre de Deventer et futur pasteur dans sa ville natale, le centre culturel de la province d’Overijssel, où il contribua à la création de l’école illustre en 1630. Calviniste pur et dur, théologien contra-remontrant41 et anticartésien, mais aussi un des traducteurs de la Bible dite des États (Statenbijbel, 1637) et un poète de qualité, Revius est finalement nommé régent du collège théologique des États à Leyde. Dans ses notes autobiographiques il raconte comment en 1610, après ses études de théologie à Leyde et Franeker, « Galliae visendae avidus », il prend le bateau pour Rouen, gagne Paris puis Orléans par la route, pour suivre la Loire jusqu’à Saumur. Outre le gouverneur Du Plessis-Mornay, il y fréquente les savants : « viri docti ac celebres in ea [Academia reformata] tunc florebant D. Cragius [Craig], D. Bodius Trochoregius [Boyd of Trochregd], Scoti, D. Boucherellus Minister, aliique non pauci ». Il fait les excursions habituelles à l’amphithéâtre de Doué, à Loudun, au collège jésuite de La Flèche et au Mans. Revenu à Saumur, il prend congé du gouverneur et poursuit son grand tour vers La Rochelle, Bordeaux et Montauban, pour rentrer par Cahors, Limoges, Poitiers et de nouveau Saumur, qui était décidément sa ville de référence. Deux ans après le début de son voyage il rentre chez lui42.

39 Vers la même époque, un autre jeune Néerlandais, Isaac Beeckman, passe lui aussi un temps d’études à Saumur. Son curriculum est caractéristique des jeunes ambitieux issus d’un milieu culturellement limité mais sachant saisir les occasions que la nouvelle société encore ouverte leur offre. Né à Middelbourg en Zélande, le 10 décembre 1588, fils aîné d’un maître cirier, Isaac débute en 1607 à Leyde dans la philosophie et les lettres, avec l’intention de continuer dans la théologie et se faire pasteur. Mais son véritable intérêt personnel était plus diversifié, tourné vers la philosophie naturelle et les sciences exactes et il s’est fait connaître plus tard par ses rapports avec Descartes, qui lui a d’ailleurs emprunté quelques-unes de ses idées maîtresses. Dès le début de ses études, Isaac tient un journal qu’il continue tout au long de sa vie. Nous savons ainsi qu’après ses débuts en théologie, il a passé son diplôme de maître cirier, pour se rendre au printemps de 1612 à Saumur où il achève ses études de théologie vers la fin de cette année. Pas question de grand tour pour cet artisan désargenté. Rentré chez lui, à défaut de pouvoir obtenir un poste de pasteur, il s’établit comme maître cirier et fontainier, tout en étudiant la médecine en autodidacte. Pendant l’été de 1618 il se rend de nouveau en France où il obtient le grade de licencié puis, le 6 septembre 1618, celui de docteur en médecine à l’université de Caen. Il poursuit alors sa carrière comme enseignant dans les fonctions de précepteur puis de recteur aux écoles latines d’Utrecht, Rotterdam et Dordrecht, où il meurt le 9 mai 1637 de la tuberculose43.

40 Dans la liste des thèses de théologie soutenues à Saumur, on ne trouve que deux noms néerlandais, à savoir Petrus Sylvius (1610-1653, fils du pasteur amstellodamois Johannes Sylvius), qui soutint sa thèse en 1636 et fut lui-même nommé pasteur à Muiden près d’Amsterdam en 1640, et Adrianus Hessels d’Utrecht, qui soutint en 165144. Mais le Synode wallon donnait parfois une bourse d’études à des candidats prometteurs pour aller étudier à Saumur, tel Jacques Wattelier qui y fut envoyé en septembre 1614 pour six mois afin de perfectionner son français et poursuivre ses études en théologie45. Cependant, l’influence de Saumur sur le débat théologique en Hollande dépassait de loin la présence de ces quelques étudiants néerlandais ou wallons à l’Académie, même si ceux-ci servaient souvent de relais aux échanges d’idées. Tout au long du XVIIe siècle, les positions modérées des théologiens saumurois dans la querelle de la grâce universelle, marquées par leur orientation fondamentalement humaniste, en

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particulier celles de John Cameron (1579-1625) et de ses disciples et successeurs Moïse Amyraut (1596-1664) avec son Bref traité de la prédestination (1634), l’exégète et philologue Louis (ou Ludovic) Cappel (1585-1658), Josué de La Place (vers 1596-1665) et Claude Pajon (1626-1685), ont une grande influence en Hollande46. Dès la fin des années 1640 le conflit y culmine dans une controverse autour des prises de position d’Alexander Morus (1616-1670), qui, originaire d’Écosse mais né à Castres et devenu professeur de théologie à Genève, cherche alors un poste de professeur dans la République. En tant que partisan d’Amyraut, sa candidature est rejetée par plusieurs académies néerlandaises avant être finalement acceptée en 1650 par la nouvelle École illustre de Middelbourg47.

41 La voie moyenne prônée par ce qui est resté connu comme l’École (théologique) de Saumur – ce « calminianisme », mélange de calvinisme et d’arminianisme qui en est issu, bientôt associé au cartésianisme –, demeurait jusqu’au XVIIIe siècle l’alternative critique et tolérante au calvinisme néerlandais sévère de la double prédestination formulée au Synode de Dordrecht (1618-1619), au point qu’il inspira encore au milieu du XVIIIe siècle le « Dessein de tolérance » formulé au sein de cette Église pour réconcilier le calvinisme orthodoxe avec la position arminienne des remontrants48. Cette voie moyenne, loin de toute intransigeance, est probablement ce qui a séduit à Saumur le jeune Pieter de la Court. Son journal de voyage et ses carnets de notes sont d’une force d’observation inhabituelle et d’un caractère personnel prononcé qui les détachent des documents parsemés de stéréotypes et d’observations anodines courants parmi la gent pérégrine49.

42 Pieter de la Court le jeune était né à Leyde en 1618, second fils de Pieter de la Court l’aîné (1593-1657), un immigré d’Ypres, prospère fabricant et négociant de drap dans sa ville d’adoption qui fut probablement un vrai réfugié pour la foi, réformé zélé et ancien de l’Église wallonne de Leyde qui était alors la deuxième ville du pays, après Amsterdam50. Inscrit à l’université de Leyde en 1631 comme élève des classes supérieures du collège, Pieter y accomplit ensuite ses études universitaires avant d’entreprendre un grand tour. Du 25 septembre 1641 au 30 octobre 1643, celui-ci le conduit d’abord en Angleterre, puis le 4 avril 1642 à Dieppe. Il passe ensuite par Paris et Orléans pour se rendre à Saumur. Il y reste deux mois, du 28 avril au 30 juin 1642. De là il voyage jusqu’à Lyon et Marseille, mais le voyage prévu en Italie est finalement annulé en faveur d’un séjour de neuf mois à Genève puis d’un autre mois à Bâle et de quelques semaines à Francfort et à Cologne. Les universités et académies réformées dominent clairement ce voyage et expriment l’intérêt que Pieter de la Court prend à la théologie. D’ailleurs, dès son retour, le 10 novembre 1643, il reprend ses études de théologie à Leyde, sans toutefois persister dans cette voie. Établi dans l’industrie drapière de son père, puis à son propre compte avec son frère cadet Johan (1622-1660), il occupe son temps libre à écrire les traités économiques et politiques de facture libérale et républicaine, clairement anti-orangiste, qui ont établi sa renommée comme un des plus importants penseurs de l’économie politique et des régimes politiques du XVIIe siècle. En 1670 il se rend à Orléans pour prendre un grade en droit, puis s’établit comme avocat à Amsterdam, où il est également un des dix-neuf directeurs de la compagnie des Indes Occidentales. Lors de l’invasion française de 1672 il doit provisoirement se réfugier à Anvers, par crainte d’une revanche des Orangistes. Il meurt à Amsterdam le 28 avril 1685.

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43 Le journal et les notes de Pieter de la Court nous renseignent abondamment sur les étudiants et touristes néerlandais qui l’accompagnent ou qu’il rencontre en route, à commencer par ses deux compagnons fixes à Saumur, l’étudiant en théologie Abraham de Matter (1617-1669), natif de Leyde et qui y finira ministre, et Jan de Mey (1617-1678), natif de Middelbourg, un théologien accompli. Ce dernier, qui avait déjà été ministre dans un petit village de Zélande, l’accompagnera pendant tout son voyage à travers la France, prendra un grade en médecine à Valence et le persuadera à Marseille d’échanger la catholique Italie pour la protestante Genève. Jan de Mey, piétiste plus philosophe que théologien, était un neveu de l’ancien élève de Saumur Isaac Beeckman. En 1650, il est nommé pasteur dans sa ville natale de Middelbourg, puis lecteur en philosophie et professeur de théologie à l’École illustre de cette ville, où il se signalera par une forte réflexion spéculative sur la philosophie naturelle51.

44 Les textes montrent aussi que le voyage a un double but pour Pieter de la Court : d’abord un objectif étudiant, puisque les villes universitaires sont son point d’ancrage, mais tout autant un but professionnel, car le texte abonde en observations sur l’industrie drapière. Autant en Angleterre qu’en France il regarde tout ce qu’il rencontre avec l’œil professionnel du fabricant de drap, détaillant toujours la qualité des étoffes et des produits, les habits, leurs mesures et leurs couleurs, les procédés de fabrication, agissant parfois quasiment comme un espion pour son père. Ayant regardé Paris pendant une semaine en vrai touriste, il se rend à Tours où il s’embarque avec son compagnon de voyage, Jan de Mey. Il s’assied à côté de deux cordeliers avec qui il aurait aimé discuter s’il n’y avait eu un grand nombre de femmes dans la barque ; les moines qu’il rencontre alors sont à son avis « des gens sympathiques mais sans aucune culture ». Arrivé le soir à Saumur, il se loge pour la nuit à La Corne de Cerf, repaire habituel des Néerlandais. En fait, il aurait voulu être logé chez un des professeurs, comme le faisaient d’autres étudiants, mais il ne restait de place ni chez Louis Cappel ni chez Josué de La Place. Dès le lendemain, sur recommandation du médecin Jean Benoist, professeur de langue grecque, il trouve, avec son compagnon, un gîte chez l’apothicaire Haupilet pour 25 florins par mois. Benoist et Cappel lui donneront d’ailleurs des lettres de recommandation lors de son départ.

45 Pendant son séjour à Saumur, son journal s’étoffe d’observations religieuses, beaucoup plus qu’à Genève, même s’il faut tenir compte du non-dit et des évidences, telles que la visite au temple dont il ne parle pas. Une des raisons en est certainement la situation de contact permanent entre catholiques et protestants dans la ville, et le dialogue religieux qui en résultait. Dans son pays d’origine, ce dialogue était occulté par le statut de minorité, voire l’interdit cultuel, dont souffraient les catholiques, mais à Saumur il y est constamment confronté et il donne libre cours à ses réflexions. Ainsi, il s’étonne de voir des moines qui mendient dans la rue, de préférence au cours de l’après-midi, de la multiplication des messes basses simultanées dans les églises, du nombre prodigieux d’autels – vingt-cinq au moins – dans l’église de l’abbaye de Saint-Florent, mais aussi de l’ouverture des boulangeries, halles et auberges le dimanche et de l’afflux des paysans dans la ville pour vendre leurs produits les jours de fête, l’artisanat étant interdit le dimanche mais pas le commerce. L’arrêt subit des Saumurois catholiques dans la rue, au son de la cloche à midi et à 7 heures du soir, pour demander pardon de leurs péchés, le surprend autant que l’usage abondant de clystères qu’il détecte chez les Angevins. Lors de l’orage mémorable du 18 juin 1642, les prêtres catholiques font, à son étonnement, sonner les cloches pour chasser le tonnerre. Les réformés de Saumur

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provoquent aussi quelques remarques étonnées car, curieusement, ils n’observent aucun des jours fériés, même pas Noël ou la Pentecôte, et ils ne choisissent pas de péricope52 du jour, deux omissions qui sont sans doute à imputer au désir de se démarquer des catholiques. Du côté catholique, il note le refus de porter des vêtements particuliers le jour du Seigneur.

46 Dès avant la visite de Saumur, lors de son parcours en Normandie, il s’était montré avide de contacts avec les rituels catholiques, qu’il rejetait bien sûr mais n’arrêtait pas de décrire à chaque occasion, fasciné qu’il était par une religiosité dont il n’arrivait pas à comprendre la rationalité. Outre les excursions obligées à l’amphithéâtre de Doué qu’il décrit en touriste sans montrer beaucoup de surprise, à La Flèche qui ne lui provoque aucun commentaire, même pas à propos des jésuites, ou à la grotte du poète Théophile de Viau qu’il vénère pour son imitation de la nature, il se rend, en revanche, avec une curiosité à peine retenue, à plusieurs reprises à Notre-Dame des Ardilliers dont il détaille avec précision le pèlerinage, les ex-voto, et même les coutumes populaires para-religieuses qui s’exercent hors du sanctuaire. Il refuse d’enlever son chapeau en présence de l’objet du culte, la statue miraculeuse, refus qui commence à devenir dangereux au moment où la situation se détériore pour les réformés, mais il n’ose pas aller jusqu’à demander au religieux qui en est le gardien de pouvoir voir de près la statue dévoilée, en dehors du culte, donc en tant que touriste curieux, comme le fera son compagnon De Matter, plus courageux à cet égard.

47 Pendant le week-end de la Pentecôte, il se rend à plusieurs reprises aux Ardilliers et il détaille les dévotions populaires qu’il y observe autour de la statue et le toucher rituel des manteaux de la Vierge. D’autres fêtes communautaires avec leurs cérémonies religieuses et leurs cortèges dans la ville sont encore décrites avec précision, telle la fête des boulangers, le 17 mai, celle des tailleurs d’habits le dimanche de la Trinité, soit le 15 juin en 1642, ou encore les feux de la Saint-Jean le 24 juin. Le jeudi après la Trinité, le 19 juin, la procession publique de la Fête-Dieu est pour lui une vraie découverte du caractère éminemment confessionnel de la pratique de la foi catholique. Il la décrit quasiment en anthropologue, exactement comme l’enterrement d’un enfant auquel il assiste le lendemain, puis, quelques jours plus tard, celui d’un homme catholique de qualité. Il note d’ailleurs que les rapports entre les religions se détériorent, qu’on injurie les protestants en les invectivant comme « parpaillots », et qu’il arrive que, sur la voie publique, les catholiques tirent les réformés par leur manteau pour les forcer à adorer un crucifix ou à se rendre à la messe, ce qui venait d’arriver au théologien Louis Cappel dont apparemment un fils s’était converti récemment au catholicisme. Lors de la Fête-Dieu, les réformés de Saumur avaient même été obligés d’accrocher des tapis à leurs maisons pour le passage de la procession du Saint-Sacrement.

48 Bien évidemment il veut en avoir le cœur net et discute avec les professeurs Louis Cappel et Moïse Amyraut de ses expériences de la religion catholique et de l’attitude qu’il doit adopter à cet égard. Ainsi, nous le voyons au petit matin du 2 juin, à cinq heures, en promenade savante avec Cappel aux environs de Saumur où il scrute les antiquités locales ; il y discute aussi avec lui de la description du temple de Salomon par le jésuite espagnol Juan Bautista Villalpando et du commentaire écrit par Cappel sur cette reconstruction. D’autres sujets de discussion avec Cappel pendant leurs promenades sont la publication volumineuse de « vieux monuments » parcheminés par les jésuites romains, – peut-être un renvoi aux 12 volumes des Annales ecclesiastici du cardinal oratorien César Baronius (1538-1607), publiés à Rome entre 1588 et 1607 –,

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l’édition de la Septante par François du Jon ou Junius (1545-1602), professeur à Leyde, et les puits dans lesquels les vieux Hébreux tenaient captifs leurs esclaves, d’après Cappel qui invoque Zacharie 9 :11. Amyraut de son côté lui conseille de lire la Theologia scholastica (Mayence, 1612) du jésuite brabançon Martinus Becanus (1563-1624) qui, à son avis, décrit le plus exactement la théologie catholique53. Il fait savoir à de La Court qu’à son avis le Christ avait institué la precatio dominica uniquement à l’usage de ses disciples. Enfin, Pieter note aussi en quelques mots la position des Saumurois dans le grand conflit théologique qui sépare les factions des Églises réformées : « Jos. La Place en Mons. Amyrault negant peccatum Adami nobis imputari ut et justitiam Christ[i] passivam », en ajoutant un peu plus tard « Idem quoque Cappel54 ».

49 La conclusion de ce tour d’horizon se doit de rester simple et ouverte. Situé au milieu d’un itinéraire devenu classique et offrant aux jeunes privilégiés de la société hollandaise toutes les conditions pour un séjour aussi utile qu’agréable, la ville de Saumur a joué pour eux un rôle beaucoup plus important dans la construction de réseaux de sociabilité et d’identification religieuse que dans l’étude de la théologie où elle n’a eu qu’un rôle de relais. Initialement l’académie s’est profilée pour eux comme une étape utile sur la route du savoir, mais assez rapidement le développement des universités et académies néerlandaises a pris le relais, d’autant que les querelles théologiques ont ébranlé le rôle de Saumur comme roc réformé. Il en restait une ville où il faisait bon vivre et où la jeunesse dorée internationale pouvait se rencontrer sans trop de contrôle par des parents inquiets ou tatillons ou par les autorités politiques et ecclésiastiques de leurs pays d’origine.

Figure 1 – Lambert Doomer (Amsterdam, 1624-1700), La ville et le château de Saumur, vus du Nord pendant son voyage en France, 1646 ; dessin achevé vers 1670

The J. Paul Getty Museum, Los Angeles.

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Figure 2 – Exemple d’un itinéraire du Grand Tour passant par Saumur : le voyage d’études de Johan Kaldenbach, fils d’un bourgmestre de Zutphen (Gueldre), (1599-) 1604-1609

Carte dessinée par l’auteur.

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Figure 3 – Deux pages du journal de voyage de Joan Huydecoper : dépenses sur la route de Saumur à Orléans à partir du 28 avril 1649 (Utrecht, Het Utrechts Archief, Familiearchief Huydecoper, nos 66-68, journaux de voyage 1648-1649).

Figure 4 – Pieter de la Court en 1667, peinture par Abraham van den Tempel (1622-1672)

Rijksmuseum Amsterdam, SK-A-2243.

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NOTES

1. D IBON, Paul, « Le voyage en France des étudiants néerlandais au XVIIe siècle », in DIBON, Paul, Regards sur la Hollande du Siècle d’Or, Naples, Vivarium, 1990, p. 109-151.

2. BODIN, Jean-François, Saumur : recherches historiques sur la ville, ses monuments et ceux de son arrondissement [fac-similé de l’édition de 1814], t. II, Paris, Le Livre d’histoire, 2003, p. 155-166, 217-232, 293-298 ; BOURCHENIN, Pierre Daniel, Étude sur les académies protestantes en France aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Grassart, 1882, p. 137-146, 404-428 ; M ÉTEYER, L.-Jules, L’Académie protestante de Saumur, Paris, Éd. La Cause, s.d. [1934] ; LEBRUN, François, « Entre Genève et Rome, Saumur au XVIIe siècle », in MATIGNON, Bernard et LEBRUN, François (dir.), L’Anjou, Paris, Autrement, 1988 ; LEBRUN, François (dir.), Saumur, capitale européenne du protestantisme au XVIIe siècle [3e Cahier de Fontevraud], Abbaye Royale de Fontevraud, 1991 ; LANDAIS, Hubert, Histoire de Saumur Toulouse, Privat, 1997, en particulier POTON, Didier, « Réforme et guerres de religion (1500-1621) », p. 137-163, et POTON, Didier et LEBRUN, François, « Les temps de controverse (1621-1685) », p. 165-185 ; http://archives.ville-saumur.fr/am_saumur/app/03_archives_en_ligne/ 01_academie_protestante/presentation_academie.pdf. 3. D E R IDDER-SYMOENS, Hilde (dir.), A History of the University in Europe. Volume II : Universities in early modern Europe (1500-1800), Cambridge, Cambridge University Press, 1996. Sur les universités des Provinces-Unies, voir dernièrement FRIJHOFF, Willem, « Autonomie, monopole, concurrence : le facteur urbain dans la construction du réseau universitaire dans les Provinces-Unies », in A MALOU, Thierry, NOGUÈS, Boris (dir.), Les Universités dans la ville, XVIe-XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2013, p. 25-49. 4. Archives municipales de Saumur, Papier et regestre des affaires de l’académie royale establie à Saumur depuis le mois d’octobre 1613 (-1685) [transcription dans http:// archives.ville-saumur.fr/am_saumur/app/03_archives_en_ligne/ 01_academie_protestante/viewer.php], fo 11 ro-30 ro, passim ; notice biographique dans Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. VII, Leyde : Sijthoff, 1927 / reprint Amsterdam: N. Israel, 1974, col. 483-486. 5. Arch. mun. de Saumur, Papier et regestre des affaires de l’académie royale, fo 17 ro, 20 ro, 39ro, 40 ro, 49 ro. Notice biographique : Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. VII, col. 229-231 ; DIBON, Paul, « Le voyage… », art. cit., p. 117. Sur son aristotélisme : VAN BUNGE, Wiep, « Philosophy », in FRIJHOFF, Willem et SPIES, Marijke (dir.), 1650: Hard-Won Unity, [Dutch Culture in a European Perspective], Assen: Royal van Gorcum / Basingstoke: Palgrave Macmillan, 2004, p. 283-286, 306-307. 6. Arch. mun. de Saumur, Papier et regestre des affaires de l’académie royale, fo 14ro-14vo. Notice biographique : Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. II (1912), col. 904. 7. Arch. mun. de Saumur, Papier et regestre des affaires de l’académie royale, fo 37 ro-37 vo. BOURCHENIN, Pierre Daniel, Étude sur les académies protestantes…, op. cit., p. 386, n’a pas compris ce passage et a mal identifié le nom du compagnon relieur. L’officine de Portau fut saccagée par les troupes en 1621, et il a dû quitter la ville. Un Thomas Portau, probablement son fils, fut admis en 1648 comme chirurgien ordinaire dans la ville de Zutphen en Gueldre, où il eut une descendance. En 1657 il fut nommé chirurgien- général de la marine de guerre de la République, mais mourut peu après. Son fils

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Thomas (1657-vers 1708) étudia le droit à Leyde mais s’établit comme négociant en grains à Zutphen. 8. GRUYS, Jan Albert et BOS, Jan, Adresboek Nederlandse Drukkers en Boekverkopers tot 1700, La Haye, Koninklijke Bibliotheek, 1999, p. 83. 9. Le catalogue des élèves du collège manque, mais on reconnaît dans le registre de l’académie le nom d’un des nombreux « fils de feu Monsieur de Saumaise » qui remporta le 4 novembre 1657 le second prix de prose latine et le prix du thème en grec. Son père Claude de Saumaise (1588-1653) avait été depuis 1631 professeur et chercheur à Leyde (Arch. mun. de Saumur, Papier et regestre des affaires de l’académie royale, fo 169 r o). Reinerus Neuhusius, fils d’Edo, le très savant recteur de l’école latine de Leeuwarden a été un « vrai » étudiant néerlandais d’humanités à Saumur. Voir la correspondance citée dans P. van Tuinen, « “A deo haec est vocatio” (Fan God komt dit beroep) », It Beaken, t. 44 (1982), p. 97-116. 10. D ELAUNAY, Louis, Un Port-Royal saumurois : les religieuses bénédictines de la Fidélité, Angers, J. Siraudeau, 1917. 11. Voir pour le contexte : MAILLARD, Jacques, L’Oratoire à Angers aux XVIIe et XVIIe siècles, Paris, Klincksieck, s.d. [1975]. 12. Mise au point sur le collège catholique dans C OMPÈRE, Marie-Madeleine et JULIA, Dominique, Les Collèges français, 16e-18e siècles. Tome 2 : Répertoire, France du Nord et de l’Ouest, Paris, INRP-CNRS, 1988, p. 594-599.

13. M IRAEUS, Aubertus, Regulae et constitutiones clericorum in congregatione viventium, Anvers, Trognesius, 1638, p. 126. 14. BOURCHENIN, Pierre Daniel, Étude sur les académies protestantes…, op. cit., p. 445-456 ; CLAIR, Pierre, « La vie intellectuelle à Saumur au XVIIe siècle », Marseille, no 101 (1975), p. 121-124 ; Dray, J.-P., « The Protestant Academy of Saumur and its relations with the Oratorians of Les Ardilliers », History of European Ideas, t. 9 (1988), p. 465-478 ; MAILLARD, Jacques, « L’Oratoire de Saumur et les protestants au XVIIe siècle », in LEBRUN, François, Saumur, capitale européenne du protestantisme…, op. cit., p. 125-135. J’ai pu consulter jadis aux archives de l’Oratoire de Paris le précieux dossier manuscrit de GOISNARD, A.W., L’École de Théologie de Notre-Dame-des-Ardilliers de Saumur (21+177 p.), qui a exploité toutes les sources et recense tous les élèves qu’il a repérés, ainsi que son étude également inédite Le Séminaire de l’Oratoire et l’École de Théologie aux Ardilliers (1635-1745) (ms. Saumur, Les Ardilliers,1966). Voir pour le site : ENGUEHARD, Henri, « L’Église Notre- Dame des Ardilliers et le couvent de l’Oratoire à Saumur », Actes du Congrès archéologique de France, 122e session, 1964 : Anjou, Paris, 1964, p. 584-597. 15. Sur l’Oratoire et la Hollande, voir F RIJHOFF, Willem, « The Oratory in the seventeenth-century Low Countries », Revue d’histoire ecclésiastique, t. 107, no 1 (2012), p. 169-222. 16. Voir S PIERTZ, Mathieu Gerardus, « Jeugd- en vormingsjaren van Johannes van Neercassel, apostolisch vicaris (1663-1686) », Archief voor de geschiedenis van de katholieke kerk in Nederland, t. 18 (1976), p. 169-197 ; VOORVELT, Cornelius Petrus, De Amor poenitens van Johannes van Neercassel (1626-1686). Ontstaansgeschiedenis en lotgevallen van een verhandeling over de strenge biechtpraktijk, Zeist: Kerckebosch, 1984 ; du même, « L’ Amor poenitens de Neercassel », in VAN B AVEL, J. et SCHRAMA, Martijn, Jansénius et le

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jansénisme dans les Pays-Bas. Mélanges Lucien Ceyssens, Louvain, Peeters / University Press, 1982, p. 66-92. 17. DE RIDDER-SYMOENS, Hilde, « Mobility », in DE RIDDER-SYMOENS, H. (dir.), A History of the University in Europe. Vol. I : Universities in the Middle Ages, Cambridge etc., Cambridge University Press, 1992, p. 280-304 ; vol. II : Universities in Early Modern Europe (ibid., 1996), p. 416-448 ; FRIJHOFF, Willem, « La circulation des hommes de savoir : Pôles, institutions, flux, volumes », in B OTS, Hans, WAQUET, Françoise (dir.), Commercium litterarium. La communication dans la République des Lettres / Forms of communication in the Republic of the Letters, 1600-1750, Amsterdam et Maarssen, APA-Holland University Press, 1994, p. 229-258 ; du même, « Éducation, savoir, compétence. Les transformations du Grand Tour dans les Provinces-Unies à l’époque moderne », in B ABEL, Rainer et PARAVICINI, Werner (dir.), Grand Tour : Adeliges Reisen und europäische Kultur vom 14. bis zum 18. Jahrhundert. Akten der internationalen Kolloquien in der Villa Vigoni 1999 und im Deutschen Historischen Institut Paris 2000 [Beihefte der Francia, 60], Ostfildern, Jan Thorbecke Verlag, 2005, p. 609-635 ; VERHOEVEN, Gerrit, Anders reizen? Evoluties in vroegmoderne reiservaringen van Hollandse en Brabantse elites (1600-1750), Hilversum, Verloren, 2009, trad. comme Europe within Reach: Netherlandish Travellers on the Grand Tour and Beyond, 1585-1750, Leyde et Boston, Brill, 2015. 18. E RPENIUS, Thomas, De peregrinatione Gallica utiliter instituenda tractatus, Leyde, Franciscus Hegerus, 1631, p. 2. Notice biographique : Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. VIII (1930), col. 495-496 ; DIBON, Paul, « Le voyage… », art. cit., p. 10.

19. F RANK-VAN W ESTRIENEN, Anna, De Groote Tour. Tekening van de educatiereis der Nederlanders in de zeventiende eeuw, Amsterdam, Noord-Hollandsche Uitgeversmaatschappij, 1983 ; BOTS, Hans et FRIJHOFF, Willem, « Pérégrination académique ou voyage éducatif ? Remarques à propos des voyageurs du Brabant septentrional: nature, fréquence et circuits de leurs voyages sous l'Ancien Régime », in KULCZYKOWSKI, Mariusz (dir.), Pérégrinations académiques. IVe session scientifique internationale, Cracovie, 19-21 mai 1983 [Prace historyczne, 88], Cracovie, Éditions de l’université Jagellone, 1989, p. 117-129. 20. Sur les étrangers à Saumur : B OURCHENIN, Pierre Daniel, Étude sur les académies protestantes…, op. cit., p. 402-404 ; JOUBERT, André, « Les étudiants allemands de l’Académie protestante de Saumur et leur maître de danse (1625-1642) d’après un document inédit », Revue d’Anjou, t. 18 (1889), p. 158-161 ; différents noms de touristes à Saumur chez DIBON, Paul, « Le voyage… », art. cit., p. 119-120, 130-135, 140, 145-150.

21. DIBON, Paul et WAQUET, Françoise, Johannes Fridericus Gronovius, pèlerin de la République des Lettres, Genève, Droz, 1984, p. 7. Louis de Geer figure dans l’album du maître de danse Du Puy-Rideau : JOUBERT, André, « Les étudiants allemands… », loc. cit., p. 161.

22. Sur Van Heuraet : Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. I, Leyde, Sijthoff, 1911, col. 1098-1099 ; VAN MAANEN, Jan A., « Hendrick van Heuraet (1634-1660?), his life and mathematical work », Centaurus, t. 27 (1984), p. 218-279. Son Epistola de curvarum linearum in rectas transmutatione fut plus tard ajoutée aux éditions de la Geometria de Descartes. Sur Hudde : Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. I, Leyde, Sijthoff, 1911, col. 1172-1176. 23. VAN B ERKEL, Klaas, « Swammerdam, Leeuwenhoek et la science française », Septentrion, t. 13 (1984), p. 58-63 ; BAAR, Mirjam de, « Hartsemblematiek in

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Swammerdams studie van de eendagsvlieg », De Zeventiende Eeuw, t. 21 (2005), p. 312-334 ; KOOIJMANS, Luuc, Gevaarlijke kennis : inzicht en angst in de dagen van Jan Swammerdam, Amsterdam, Bert Bakker, 2007. 24. Cf. sur ces sources : DEKKER, R.M., « Dutch travel journals from the sixteenth to the early nineteenth centuries », Lias. Sources and documents relating to the early modern history of ideas, t. 22 (1995), p. 277-279 ; ainsi que la mise au point amplement annotée de BOEDEKER, Hans Erich, « Sehen, hören, sammeln und schreiben. Gelehrte Reisen im Kommunikationssystem der Gelehrtenrepublik », Paedagogica Historica, t. 38 (2002), p. 505-532. 25. http://archives.ville-saumur.fr/am_saumur/app/03_archives_en_ligne/ 01_academie_protestante/chapitre4/Séjourner à Saumur.pdf. 26. Notice biographique dans Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. X, Leyde, Sijthoff, 1937, col. 27-28 ; NANNINGA UITTERDIJK, Jurgen, « Het Album Amicorum van Dr. Everhardus Avercamp, 1619 », Bijdragen voor de geschiedenis van Overijssel, t. 6 (1880), p. 219-264 ; DIBON, Paul, « Le voyage… », art. cit., p. 134-135 (erreur de date).

27. F RIJHOFF, Willem, « De “grote tour” van een Zutphens burgerzoon : Johan Kaldenbach en zijn album amicorum (1604-1609) », Oud-Zutphen. Tijdschrift van de Historische Vereniging Zutphen, t. 3 (1984), p. 38-54. 28. B EVERE, Cornelis de, Notulen, conservé au Centraal Bureau voor Genealogie (La Haye), Familiearchief Beelaerts van Emmichoven, ms. 119. Sur Du Plessis-Mornay : PATRY, Raoul, Philippe Du Plessis-Mornay, un huguenot homme d’État (1549-1623), Paris, Fischbacher, 1933 ; POTON, Didier, « Réforme et guerres de religion… », art. cit., p. 150-151, pour ses relations précoces avec les Pays-Bas. 29. FRIJHOFF, Willem, « Étudiants étrangers à l'Académie d'équitation d'Angers au XVIIe siècle », Lias. Sources and documents relating to the early modern history of ideas, t. 4, no 1 (1977), p. 13-84 ; FRIJHOFF, Willem et VAN DRIE, Rob, « Het wapenboek van de Nederlandse studentenvereniging te Angers, 1614-1617 », Jaarboek van het Centraal Bureau voor Genealogie en het Iconographisch Bureau, t. 44 (1990), p. 115-148 ; FRIJHOFF, Willem, « Nederlandse promoties in de geneeskunde aan Franse universiteiten (zestiende- achttiende eeuw) », Jaarboek van het Centraal Bureau voor Genealogie, t. 60 (2006), p. 75-112. 30. FAUGÈRE, Armand-Prosper (publ.), Journal du voyage de deux jeunes Hollandais à Paris en 1656-1658, Paris, Champion, 1899, p. 76. 31. HOOFT, Arnout Hellemans, Een naekt beeldt op een marmore matras seer schoon. Het dagboek van een « grand tour » (1649-1651), publ. par GRABOWSKY, E.M. et VERKRUIJSSE, Pieter Jozias, Hilversum, Verloren, 2001, p. 180-181. 32. PAUW VAN WIELDRECHT, « Album amicorum van Jacob Olfertsz de Jong », De Navorscher, t. 53 (1903), p. 658-692 ; « Levensschets van den Westfries Jacob Olfertsz de Jongh 1599-1646 », West-Friesland’s Oud en Nieuw, t. 14 (1940), p. 145-159. 33. K OOIJMANS, Luuc, Vriendschap en de kunst van het overleven in de zeventiende en achttiende eeuw, Amsterdam, Bert Bakker, 1997, p. 113-131 ; ROBERTS, Benjamin, Through the keyhole. Dutch child-rearing practices in the 17th and 18 th century : Three urban elite families, Hilversum, Verloren, 1998, p. 50-54. 34. ROBERTS, Benjamin, Through the keyhole…, op. cit., p. 50.

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35. E LIAS, J.E., De vroedschap van Amsterdam 1578-1795, Haarlem, Loosjes, 1903-1905 ; reprint Amsterdam, N. Israel, 1965, t. I, p. 384-391, 518-519. 36. D IBON, Paul, « Le voyage… », art. cit., p. 131-132, 142, 145-150. Les documents originaux se trouvent dans Het Utrechts Archief, Familiearchief Huydecoper (fonds no 67), dossiers nº 53 (registres des lettres et comptes,1648), 66-68 (journaux de voyage, 1648-1649). 37. L’unité monétaire utilisée par Joan dans ses comptes n’est pas toujours claire. À défaut, j’adopte le florin dans cette analyse. 38. CHAREYRE, Philippe, « Les protestants de Saumur au XVIIe siècle : religion et société », in LEBRUN, François, Saumur capitale européenne du protestantisme…, op. cit., p. 53-62. 39. Arch. mun. de Saumur, Papier et regestre des affaires de l’académie royale, fo 164 vo (au 12 juillet 1656). 40. Pour le grand tour comme marqueur de l’identité religieuse, voir VERHOEVEN, Gerrit, « Calvinist Pilgrimages and Popish Encounters : Religious Identity and Sacred Space on the Dutch Grand Tour (1598-1685) », Journal of Social History, t. 43 (2010), p. 615-634. 41. Partisan de Gomar (n.d.l.r.). 42. Il détaille son itinéraire dans R EVIUS, Jacobus, Daventria illustrata. Leyde, Petrus Leffen, 1651, p. 725-727 ; cf. DIBON, Paul, « Le voyage… », art. cit., p. 120.

43. VAN BERKEL, Klaas, Isaac Beeckman (1588-1637) en de mechanisering van het wereldbeeld / Isaac Beeckman and the Mechanization of the World Picture, Amsterdam, Rodopi, 1983. 44. Sintagma thesium theologicarum in Academia Salmuriensium variis temporibus disputatarum, ed. secunda, Saumur, apud J. Lesnerium, 1665, t. I, p. 117-143 ; DESGRAVES, Louis, « Les thèses soutenues à Académie protestante de Saumur au XVIIe siècle », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, t. 125 (1979), p. 76-97, ici p. 86, no 37, et p. 89, no 58. Hessels ne figure pas dans le répertoire des pasteurs réformés établi par Fred van Lieburg ; il peut s’agir d’un fils ou petit-fils d’Adrianus Hesselius qui fut doyen réformé du chapitre sécularisé de Saint-Jean d’Utrecht depuis 1619 et mourut avant 1633. 45. DIBON, Paul, « Le voyage… », art. cit., p. 140, note 93. Voir plus amplement le Livre synodal contenant les articles résolus dans les Synodes des Églises Wallonnes des Pays-Bas. Tome I : 1563-1685, La Haye, Martinus Nijhoff, 1896.

46. LAPLANCHE, François, Orthodoxie et prédication. L’œuvre d’Amyraut et la querelle de la grâce universelle, Paris, PUF, 1965 ; du même, « Tradition et modernité au XVIIe siècle : l’exégèse biblique des protestants français », Annales ESC, t. 40 (1985), p. 463-488 ; du même, L’écriture, le sacré et l’histoire : érudits et politiques protestants devant la Bible en France au XVIIe siècle, Amsterdam & Maarssen, APA, 1986 ; KRETZER, Hartmut, Calvinismus und französische Monarchie im 17. Jahrhundert. Die politische Lehre der Akademien Sedan und Saumur, Berlin, Duncker & Humblot, 1975 ; VAN STAM, Frans Pieter, The Controversy over the Theology of Saumur, 1635-1650: Disrupting Debates among the Huguenots in Complicated Circumstances, Amsterdam, Holland University Press, 1988. 47. Sur lui : Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. X (1937), col. 652-653 ; ELIAS, J.E., De vroedschap van Amsterdam, t. II, p. 822-825.

48. G RAAFLAND, Cornelis, « Examen van het Ontwerp van Tolerantie », Theologia Reformata, t. 15 (1972), p. 20-36.

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49. Les documents originaux se trouvent dans Regionaal Archief Leiden, Familiearchief De la Court, no 14 (Journal et notes de voyage, 1641-1643). Le journal a été publié par DRIESSEN, Felix, De reizen der De la Courts, 1641-1700-1710, s.l., s.d. [Leyde, 1928], p. 1-30 ; les notes de voyage, ainsi qu’une évaluation du journal, par FRIJHOFF, Willem, « Pieter de la Courts reisjournaal (1641-1643) als ego-document » et « De reisnotities (1641-1643) van Pieter de la Court. Uit het manuscript bezorgd en van commentaar voorzien », in BLOM, Hans W. et WILDENBERG, Ivo W. (dir.), Pieter de la Court in zijn tijd. Aspecten van een veelzijdig publicist, Amsterdam & Maarssen, APA-Holland University Press, 1986, p. 11-34 et 35-64 (p 41-46 concernent des notes prises à Saumur). Voir DIBON, Paul, « Le voyage… », art. cit., p. 130, et VAN WESTRIENEN, Frank, De Groote Tour, passim.

50. Notice biographique dans Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. VII, Leyde, Sijthoff, 1927, col. 335-337 ; WILDENBERG, Ivo W., Johan en Pieter de la Court (1662-1660 en 1618-1685). Bibliografie en receptiegeschiedenis, Amsterdam & Maarssen, APA-Holland University Press, 1986 ; WESTSTEIJN, Arthur, Commercial Republicanism in the Dutch Golden Age : The Political Thought of Johan & Pieter de la Court, Leyde et Boston, Brill, 2012. 51. Z UIDERVAART, Huib J., « Het natuurbeeld van Johannes de Mey (1617-1678), hoogleraar filosofie aan de illustere school te Middelburg » : http:// www.huygens.knaw.nl/wp-content/bestanden/pdf_Zuidervaart_2001_De_Mey.pdf 52. Passage des Livres saints lus à l’Évangile (ndlr). 53. B ECANUS, Martinus, Theologia scholastica, Mayence, 1612, ouvrage qui connut des dizaines de réimpressions. Becanus (1563-1624) était né à Hilvarenbeek au Brabant, entra dans la Compagnie de Jésus, devint professeur de théologie à Würzburg, Mayence et Vienne, et finit comme confesseur de l’empereur Ferdinand II. 54. Notes de voyage, fo 51 vo (FRIJHOFF, Willem, « De reisnotities (1641-1643)… », art. cit., p. 45).

RÉSUMÉS

Au 17e siècle, Saumur était une étape incontournable du grand tour des jeunes Néerlandais, tout d’abord pour une visite ou un séjour d’études à l’Académie protestante qui y a fonctionné jusqu’à la Révocation, mais tout autant en raison du climat agréable, des maîtres particuliers qui y offraient leurs services, du vin d’Anjou et de la pureté reconnue de la langue française que l’on pouvait y apprendre, sans oublier l’académie des Pères de l’Oratoire aux Ardilliers. Saumur était pour les Néerlandais une ville multifonctionelle hautement appréciée qui attirait étudiants, futurs pasteurs et prêtres, savants, marchands, touristes fortunés ou simples passants. À défaut d’un livre matricule (= liste des étrangers ayant fréquenté Saumur, explication pour la traduction, AA), on trouvera des témoignages détaillés et éloquents dans les sources privées de plusieurs grands noms du Siècle d’Or hollandais. Cet article dresse un bilan de l’importance de Saumur pour les Néerlandais avant d’analyser en détail le journal de voyage de Pieter de la Court, fils d’un drapier de Leyde, théologien manqué et important auteur politique républicain, qui y séjourna en 1642, ainsi que la correspondance de Joan Huydecoper avec son père, puissant

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bourgmestre d’Amsterdam, et le journal comptable qu’il a tenu pendant les neuf mois de son séjour à Saumur en 1648-49, sous la Fronde.

During the 17th century, Saumur was a compulsory stage on the Grand Tour of the Dutch, not only because of the local Protestant Academy active until the Revocation of the Edict of Nantes, but also for its pleasant climate, its private teachers supplying a wide range of services, the Anjou wine, and the well-known purity of the French language used in that region - not to forget the Catholic academy of the Oratorian fathers at Notre-Dame des Ardilliers. For the Dutch, Saumur was a multifunctional town, much appreciated by students on their Grand or Petit Tour, by future ministers, priests, scholars and merchants, and by wealthy tourists and foreign passers-by. The absence of matriculation registers is partly compensated by a range of private documents stemming for some of the greatest names of the Dutch Republic. This article takes stock of Saumur’s interest for the Dutch. It draws up a synthesis of the available data before analysing in detail two private sources: a travel journal that young Pieter de la Court, son of a cloth merchant of Leiden, a failed theology student and an influential political and republican author, held during his grand tour in 1642, and the correspondence of Joan Huydecoper with his father, a powerful burgomaster of Amsterdam, including his account book during his nine months stay at Saumur in 1648-49, at the time of the Fronde.

INDEX

Thèmes : Saumur Index chronologique : XVIIe siècle

AUTEUR

WILLEM FRIJHOFF Professeur émérite d’histoire moderne de l’Université Libre d’Amsterdam – Professeur invité à l’Université Érasme de Rotterdam

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Sede vacante Les périodes interépiscopales dans les diocèses de Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo aux XVIIe et XVIIIe siècles Sede vacante. Interepiscopal periods in the dioceses of Tréguier, Saint Brieuc and Saint Malo in the 17th and 18th centuries

Olivier Charles

1 Les curies épiscopales de l’époque moderne en Bretagne n’ont pour l’heure guère retenu l’attention des historiens1. L’étude de Frédéric Meyer sur La Maison de l’évêque dans un large sud-est du royaume de France2 est en la matière cruelle et révèle l’ampleur d’un chantier qu’un très ancien article isolé du chanoine Luco consacré au diocèse de Vannes ne saurait dissimuler3. En particulier, l’action des auxiliaires précieux des prélats que sont les vicaires généraux – d’ailleurs encore inconnus pour nombre d’entre eux – est peu étudiée4, même si quelques travaux, souvent inédits, laissent entrevoir l’importance de tel ou tel dans la mise en œuvre des politiques de réforme et l’administration des diocèses5.

2 À cet égard, les périodes interépiscopales, c'est-à-dire les séquences chronologiques de transition entre deux épiscopats, qui ne coïncident qu’imparfaitement avec la régale, semblent être des observatoires intéressants pour saisir le passage d’une administration épiscopale à une autre, d’autant qu’intervient un autre acteur : le chapitre cathédral. Ces périodes sont en effet le moment où les chapitres, subordonnés aux évêques par le concile de Trente6, relèvent la tête et administrent directement les diocèses. Rarement évoquées7, elles se situent au croisement de deux historiographies aujourd’hui fécondes : l’une récemment renouvelée, celle des chapitres8 ; l’autre faisant l’objet de nouveaux questionnements, celle des évêques9. Il n’est donc pas certain que l’on puisse se contenter de considérer que « l’absentéisme, souvent total au XVIe siècle, l’absentéisme partiel obligé des évêques-politiques, les longues vacances de certains interrègnes […], les valses-hésitations qui font qu’entre la nomination, le sacre et l’entrée effective dans le diocèse, il s’écoule, même au XVIIIe siècle, souvent beaucoup de temps, rendent nécessaire l’emploi de subterfuges : désignation d’un coadjuteur, et surtout remplacement de l’évêque par des vicaires généraux, ou, comme à Nantes, par des archidiacres10 ». Outre que la spécificité des périodes de transition est alors ignorée,

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la qualité des administrateurs est quant à elle passée sous silence. En effet, pendant une période plus ou moins longue, des vicaires capitulaires – et non des vicaires généraux ou des grands vicaires, même si les sources font souvent l’amalgame – et une officialité nommés par le chapitre président aux destinées du diocèse

3 La chronologie est immuable. Après le départ de l’évêque, qu’il s’agisse d’un décès ou d’un transfert, son administration est démise de ses fonctions. Le chapitre cathédral déclare alors prendre les rênes du diocèse jusqu’à l’arrivée d’un nouveau prélat. La prise de possession de ce dernier se traduit par le renvoi immédiat du personnel capitulaire et l’installation d’une nouvelle administration. Pendant ces phases de transition, au-delà de l’identification d’une certaine élite ecclésiastique, celle des administrateurs diocésains de haut niveau, il semble possible de juger de la ligne de conduite des évêques nouvellement installés. Font-ils preuve de pragmatisme en reconduisant le personnel ancien ou nomment-il des collaborateurs de confiance, éventuellement extérieurs à leur nouveau diocèse ? Peut-on repérer une pratique constante, des évolutions ou alors chaque installation est-elle un cas d’espèce ? L’insertion du chapitre dans ce jeu mérite elle aussi d’être interrogée. Se fondant sur une lecture fine des trois temps de la vacance épiscopale, l’étude de trois diocèses du nord de la Bretagne, ceux de Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo, entre le concile de Trente et la Révolution11, permet d’ouvrir le dossier et d’esquisser des réponses à ces questions12.

La fin d’un épiscopat

4 Un décès, une résignation ou un transfert vers un autre siège mettent fin à un épiscopat13. La plupart des évêques du corpus – trente sur quarante-neuf – meurent en charge. Les transferts concernent, quant à eux, surtout – huit sur quatorze – des Trégorrois et des Briochins du XVIIIe siècle14. À cette époque, ces évêchés s’apparentent en effet à des étapes dans des carrières15 que l’on souhaite plus brillantes et plus lucratives. Ceci n’est évidemment pas sans incidence sur la résidence des prélats. Ainsi, à Tréguier, entre 1761 et 1791, « entre les périodes de vacances, les séjours aux États, aux assemblées du clergé et à la cour, les absences pour affaires familiales, c’est plus d’une année sur deux que l’administration est confiée aux vicaires généraux16 ». À Saint-Brieuc, c’est, au même moment, le retour « aux prélats de cour trop souvent absents17 ». Saint-Malo, où se succèdent au cours du siècle plusieurs personnalités de grande qualité dominées par la figure de La Bastie18, se caractérise par un épiscopat très stable19. Ce diocèse a d’ailleurs été dirigé par des évêques dans l’ensemble consciencieux, dans le sillage de la grande entreprise réformatrice menée par Guillaume Le Gouverneur entre 1611 et 163020. À Saint-Brieuc, la mise en œuvre des préceptes tridentins a été pour l’essentiel l’œuvre de quatre évêques – Melchior de Marconnay, André Le Porc de La Porte, Étienne de Villazel et Denis de La Barde21 – entre 1602 et 1675, pendant qu’à Tréguier elle est dominée par les figures de Guy Champion de Cicé (1620-1635), de Balthazar Grangier (1646-1679) puis, plus tard, de François de La Fruglaie de Kerver (1732-1745)22. Partout, l’action réformatrice – certainement amorcée dès avant Trente – avait été retardée par les guerres de la Ligue23.

5 À cette époque comme à la veille de la Révolution, l’organisation des obsèques du prélat défunt revient au chapitre, conformément au Cérémonial romain en vigueur dès les

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premières décennies du XVIIe siècle 24, comme le rappellent d’ailleurs les chanoines briochins à l’occasion de la disparition de Denis de La Barde25. La cérémonie se déroule en général deux ou trois jours après le décès, sauf situation exceptionnelle dont relève la mort de Frétat de Boissieu en 1720. En effet, l’évêque de Saint-Brieuc décède le 30 octobre à Ancenis à la fin des États de Bretagne auxquels il participait mais un incident oblige le convoi qui ramène la dépouille à séjourner à Rennes : il n’arrivera à Saint-Brieuc que le 6 ou 7 novembre26. De même, c’est avec surprise que les chanoines de Saint-Malo apprennent la mort subite d’Antoine Joseph des Laurents à l’entrée de la ville alors qu’il rentre de l’Assemblée générale du clergé le 15 octobre 1785. Afin d’établir les circonstances du décès – un accident cérébral –, un chanoine assiste alors à « l’ouverture de son corps » qui se déroule le 16 au soir au palais épiscopal avant toute forme de cérémonie27. En règle générale, lorsque la fin est imminente, le chapitre prend ses dispositions pour assurer une bonne mort au prélat. Ainsi, à Tréguier, La Fruglaye, comme tous les autres évêques, meurt « après avoir reçu le Saint viatique qui lui fut porté par M. le chantre accompagné de tout le clergé du haut et bas chœur et le même jour à 9 heures du soir il reçut l’extrême-onction par les mains de mond. sieur le chantre28 ». Ensuite, les chanoines se rendent « en corps et avec leurs habits au manoir épiscopal faire aspersion d’eau bénite29 » sur le corps du défunt, après avoir fait chanter un Nocturne. Après le décès de Champion de Cicé, le chapitre avait fait « sonner les cloches lentement » puis était retourné au manoir épiscopal après complies pour chanter le De profundis30. Le chapitre ordonne ensuite la célébration pendant huit jours d’une messe solennelle à la mémoire de l’ancien évêque. Mais l’agonie est parfois longue. Ainsi, c’est deux semaines avant le décès de Denis de La Barde que quatre chanoines de la cathédrale de Saint-Brieuc se rendent à son chevet car, malade, il veut faire devant eux « profession de sa foi orthodoxe, catholique, apostolique et romaine31 ». À Tréguier, la santé de Balthazar Grangier décline à partir du 11 janvier 1679. Le 27, le chapitre décide de lui porter le viatique qu’il reçoit « avec beaucoup de dévotion et merveilleuse édification de tous les assistants32 », honorant ainsi la dignité afférente à sa fonction. L’extrême-onction lui est administrée le lendemain mais il ne mourra que le 2 février vers 22 heures 30.

6 Le jour des obsèques, c’est un cérémonial connu de tous qui est suivi. Ainsi, à Saint- Brieuc, lors des obsèques de Denis de La Barde, « l’on sortira de l’Église par la porte du bas de l’Église et la procession de la conduite du corps retournera dans l’Église en faisant à l’entour et entrera par la même porte, le corps sera déposé dans la nef et sous la chapelle ardente. Le clergé entrera au chœur et les religieux entre les deux ballustres, les dignités et chanoines laisseront les chaires des dignités et adjacents aux parents et assistants et le reste du clergé sera placé ensuite dans les chaires du chœur. À la fin de la messe le clergé sortira du chœur dans la nef pour assister aux cérémonies des cinq absolutions qui seront faites par le célébrant, lesdits Ruellan, Batas, David et Morand et pour porter le drap mortuaire lesdits de Labat, Bouan, Proffit et Nebout33 ».

7 Cette description lapidaire est heureusement éclairée par celle des obsèques de Balthazar Grangier à Tréguier en 167934. On sait ainsi que pendant les quelques jours qui suivent son décès, l’évêché et la cathédrale sont plus que jamais les cœurs de la cité épiscopale où se règle le devenir du peuple des fidèles du diocèse, cœurs unis par les déplacements quotidiens du chapitre en corps. En effet, la compagnie officie sur les deux sites : à l’évêché, elle préside au transfert du corps embaumé de l’évêque de sa chambre à la salle d’apparat avant de le veiller nuit et jour en compagnie d’autres ecclésiastiques ; à la cathédrale, elle célèbre quotidiennement un office solennel ainsi

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qu’une messe de Requiem le 4 février. Le 7 février, à 9 heures, a lieu à l’évêché la levée du corps, puis son transfert à la cathédrale par les récollets, les prêtres du séminaire et le clergé – haut et bas chœur – de la cathédrale. Le cercueil de plomb est placé dans le chœur tendu pour l’occasion de velours noir. Pour garantir la solennité du moment, les portes de l’église sont fermées à clé à l’exception de « la grande porte qui est sous les orgues », par laquelle est entrée la dépouille et devant laquelle veillent des hallebardiers chargés d’« empêcher le désordre », tout comme devant l’évêché d’ailleurs. La cathédrale est en effet comble. La nef accueille « le peuple », c'est-à-dire la bonne société : « les gentilshommes du côté de l’épître, les juges et les bourgeois du côté de l’évangile et les dames au milieu ». Les ecclésiastiques sont quant à eux assemblés dans le chœur. Tous s’apprêtent à participer à un long office de cinq heures : une messe au cours de laquelle « on n’a rien chanté en musique sinon la prose après l’épître et le De profundis pendant l’élévation », précédée de l’Invitatoire et de trois Nocturnes. Si le chapitre est le véritable maître d’œuvre de la cérémonie, il reçoit l’appui de nombreux ecclésiastiques qui contribuent à lui donner toute la pompe nécessaire. Le chantre, premier dignitaire du chapitre, assiste l’abbé de Lusignan, neveu de Balthazar Grangier, qui officie, alors que le scolastique, Jean Cadier, chante la messe. Deux autres chanoines participent à l’office en tant que diacre et sous-diacre d’honneur pendant que l’ensemble du chapitre chante les leçons des Nocturnes. Par ailleurs, quatre vicaires sont désignés pour porter la chape et dix recteurs pour porter le cercueil. Pendant toute la cérémonie, six domestiques portent six flambeaux allumés.

8 Puis vient le moment de l’inhumation. À Saint-Brieuc, le très tridentin Le Porc de La Porte est inhumé aux ursulines en juin 1631, La Villazel est enterré en 1641 entre le chœur et le maître-autel « proche le trône où se mettaient les évêques pour officier dans l’ancien chœur35 », alors qu’en 1675 le corps de Denis de La Barde « sera déposé dans la chapelle de la Trinité pour être au jour qu’il sera avisé par ci-après mis en terre36 » dans le chœur. À Tréguier, La Fruglaye est enterré le 24 décembre 1745 dans le chœur de la cathédrale « vers le trône épiscopal37 », ce qui est la pratique courante38 mais n’exclut pas des entorses. Ainsi, en 1679, conformément au testament du prélat39, le cœur de Balthazar Grangier est transféré dans une logique toute tridentine, après l’enterrement de son corps à la cathédrale, au séminaire de Tréguier « où Monsieur le célébrant a porté ledit cœur couvert d’un drap et d’un crêpe noir40 ». L’évêque de Saint- Malo Jean Du Bec est inhumé en 1610 selon la même pratique – assez classique au sein des élites – mais en délaissant la cathédrale : son corps est inhumé dans son abbaye de Mortemer en Normandie, province dont il est originaire41, alors que son cœur et ses entrailles sont déposés au pied du grand autel de l’église de Saint-Malo-de-Beignon42. C’est cependant comme partout dans la cathédrale que les prélats sont le plus souvent inhumés. Si en règle générale leurs dépouilles sont placées dans un caveau dans le chœur, cette règle souffre quelques exceptions. Ainsi, en 1646, Achille de Harlay est mis en terre dans la nef « proche les fonts baptismaux sous une grande tombe de marbre bordée de tuffeau blanc43 ». Quant à Antoine-Joseph Des Laurents, constatant l’inconvenance qu’il y aurait à placer son corps sur celui de son prédécesseur encore bien conservé, le chapitre décide de le déposer dans une nouvelle fosse « en dehors mais joignant la grille du chœur du côté de l’épître sous une tombe de marbre blanc attenante au dit tombeau44 ».

9 La mort ou la translation d’un évêque marque également l’ouverture de la régale, cette période – qui se termine avec le serment de fidélité au roi du nouveau prélat – pendant

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laquelle, dans le domaine spirituel, le souverain nomme aux bénéfices sans charge d’âmes du diocèse vacant et, en matière temporelle, perçoit les revenus de la manse45. Débutent aussi les procédures qui conduisent au règlement de la succession de l’évêque46 : on procède ainsi rapidement à l’inventaire de ses biens en cas de décès et, dans tous les cas, à l’estimation des travaux à accomplir à l’évêché47. Dans le même temps, il convient de veiller à l’application des dispositions testamentaires du défunt48.

10 Toutes ces opérations sont les indices patents d’une logique sous-jacente. Si les évêques s’affirment progressivement au cours de la période comme les hommes forts des diocèses, le chapitre assure quant à lui symboliquement la continuité de l’autorité et leur direction spirituelle. Aux yeux des chanoines, les évêques se succèdent pendant que le chapitre incarne la permanence, les accompagnant les uns après les autres vers leur dernière demeure. L’image est forte et symbolique dans les cités épiscopales les jours d’obsèques. Elle l’est d’autant que dès la disparition du prélat le chapitre s’est vu confier l’administration du diocèse.

Le chapitre au pouvoir

11 Entre la fin du XVIe et la fin du XVIIIe siècle, les diocèses de Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo connaissent respectivement vingt vacances pour le premier et treize pour les deux autres49. Leurs durées, sans atteindre celle qui, à la suite du décès de Nicolas Langelier à Saint-Brieuc, s’étend de manière exceptionnelle de 1595 à 160250, sont variables. Officiellement, la vacance s’ouvre au décès de l’évêque et se termine lors de la prise de possession de son successeur. Ainsi, à l’annonce du décès subit d’Antoine Joseph des Laurents51, les chanoines de Saint-Malo s’empressent de déclarer « le siège épiscopal vacant et toute la juridiction spirituelle leur appartenir dans tout le diocèse52 ». Leurs confrères de Saint-Brieuc mentionnent quant à eux lors de l’arrivée de François Bareau de Girac que « les vicaires généraux (sic) ont déclaré que par la prise de possession de Monsieur notre évêque de cet évêché, la juridiction que le chapitre leur avait donnée d’exercer le vicariat pendant la vacance du siège a cessé53 ». En cas de démission ou de résignation, c’est la date de la préconisation à Rome qui marque le début de la vacance54. Si entre le milieu du XVIe et la fin du XVIIIe siècle les durées moyennes des vacances sont de l’ordre de 14 mois à Tréguier, 15 à Saint-Brieuc et 16 à Saint-Malo55, l’essentiel réside dans la tendance au raccourcissement des périodes de transition. Sans surprise, les vacances de la période des guerres de religion sont les plus longues56 ; la stabilisation politique, l’application des décrets tridentins, la volonté des nouveaux évêques d’exercer la plénitude de leurs pouvoirs et de leurs droits après une phase d’affaiblissement de leur autorité au profit des chapitres57 produisent ensuite leurs effets et la durée des interépiscopats a tendance à diminuer, surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle58, d’autant qu’un seul des trois diocèses est concerné par les conséquences de l’affrontement entre Louis XIV et les papes Innocent XI et Innocent XII autour de la régale entre 1682 et 169359.

Tableau 1 – La durée des interépiscopats (données arrondies au mois inférieur)

Saint-Brieuc Saint-Malo Tréguier

2de moitié du XVIe siècle 78 mois (1 cas) 25 mois (2 cas) 12 mois (1 cas)

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XVIIe siècle 14 mois (5 cas) 22 mois (3 cas) 34 mois (3 cas)

XVIIIe siècle 7 mois (7 cas) 9 mois (4 cas) 7 mois (7 cas)

12 Dès l’annonce de la vacance du siège, le chapitre fait procéder à un inventaire des biens et archives de l’évêché et organise la perception de ses revenus dans une double optique : veiller à la fois sur les intérêts de la compagnie et de l’ordinaire. En réalité, souvent, la procédure est lancée par le nouvel évêque ou les héritiers de l’ancien… sous le regard vigilant des compagnies. Ainsi, après la mort d’Adrien d’Amboise, alors que l’inventaire a commencé « se sont présentés vénérables messires Mathurin Lostis, Guillaume André chanoines en l’église cathédrale de Tréguier, lesquels nous ont dit avoir ce jour été députés par le vénérable chapitre dudit Tréguier pour assister au présent inventaire en conservation des droits qu’ils peuvent prétendre dans la succession dudit feu seigneur évêque60 » ; à Saint-Malo, lors du décès d’Antoine-Joseph des Laurents, les chanoines Mathurin Frostin et Guillaume Potier du Parc61 « sont priés d’assister à l’apposition et à la levée du scellé, ainsi qu’à l’inventaire des titres et papiers de Monseigneur, à l’effet de revendiquer ceux qui intéressent l’évêché et le chapitre62 ». Le chapitre dispose de huit jours pour, conformément au concile de Trente, établir un official ou grand vicaire « gradué ou autrement capable » sachant que « s’il y a des chanoines capables dans le chapitre, ils doivent être préférés » à tout autre. En effet, le chapitre ne gouverne pas le diocèse en corps mais par l’intermédiaire de vicaires dont le nombre « dépend de l’état et de la grandeur du diocèse, et même de l’usage63 ». Dans la pratique, les chapitres nomment sans tarder une nouvelle administration à la tête du diocèse. Ainsi, à Saint-Brieuc (7 cas sur 10 exploitables) et à Saint-Malo (dans les 4 cas connus) l’opération a lieu en général dans les deux jours64 ; à Tréguier, le délai est souvent un peu plus long (3 cas sur 8 à 4 jours ou plus). Il s’agit en règle générale de nommer des vicaires capitulaires – dans les trois diocèses les vicaires sont choisis au sein des chapitres65 – et un official, parfois un secrétaire et un vice- gérant de l’officialité. Malheureusement, la documentation mise en œuvre ne permet pas toujours d’identifier tous les vicaires capitulaires66. Sources idéales, les registres d’insinuations ecclésiastiques et les registres de délibérations capitulaires sont inégalement conservés ou accessibles67 et ne recèlent pas toujours toutes les informations souhaitées68. En définitive, il est possible de s’appuyer sur 17 cas bien documentés69 – sept à Saint-Brieuc, trois à Tréguier, sept à Saint-Malo – complétés par quelques dossiers d’appoint70.

13 Ce sont moins les usages de chacun des chapitres que les évolutions de longue durée qui semblent intéressantes ici. En effet, plus que le nombre de vicaires capitulaires, variable selon les compagnies, leur inflation avec un décalage chronologique certain selon les diocèses frappe l’observateur. En effet, dès 1720 ils passent à 5 ou 6 à Saint- Brieuc, alors qu’il faut attendre 1767 pour les voir passer de 2 ou 3 à 5 ou 6 à Tréguier et de 1 ou 2 à plus de 4 à Saint-Malo71. À quoi attribuer une telle tendance ? À défaut de certitudes, quelques pistes peuvent être suggérées : les leçons tirées des répercussions des absences de l’évêque sur l’efficacité de l’administration diocésaine ? l’augmentation des tâches liées à une bureaucratisation accrue de l’appareil épiscopal ? le partage mieux assuré des travaux en découlant ? une approche plus collégiale des responsabilités ? À défaut d’analyses diocésaines fines, il faut se contenter des stipulations intemporelles des lettres de mission remises par le chapitre. Elles rendent

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compte des droits et responsabilités étendus des chapitres pendant les vacances72 : accorder les dispenses, absoudre de l’excommunication, corriger et punir les ecclésiastiques délinquants, instituer les candidats aux bénéfices à charge d’âmes présentés par les patrons, administrer et enregistrer les résignations et les permutations. En revanche, en matière d’ordre, le chapitre ne peut qu’accorder des dimissoires. Avant toute chose, les vicaires capitulaires s’inscrivent dans la continuité de l’action de l’évêque précédent. Ceux de Tréguier indiquent en 1731 qu’ils entendent continuer à faire observer les statuts du diocèse et rappellent le rôle important du séminaire et des conférences ecclésiastiques dans le bon encadrement des fidèles73. Plus spécifiquement, à Saint-Brieuc, le chapitre doit de surcroît défendre son droit à lever les dîmes de l’évêché pendant la régale. C’est un privilège dont il jouit au moins depuis le XVe siècle, mais qui est régulièrement contesté par les nouveaux évêques et lui a été confirmé par le roi en 1525, 1596, 1618, 1653, 1705, 172774. Il lui faut parfois rappeler son bon droit très longtemps : par exemple, en 1767, il réclame à François Bareau de Girac le montant des dîmes que Hervé Nicolas Thépault du Breignou, son prédécesseur, ne lui a pas versées75.

14 L’administration du diocèse est confiée à un personnel bien typé. Les vicaires capitulaires sont en effet des chanoines expérimentés : leur âge et leur ancienneté dans les compagnies en témoignent. Par ailleurs, ils sont plus gradués que la moyenne de leurs confrères. Un nombre non négligeable a de plus une expérience préalable de vicaire général, voire, en fonction des aléas, de vicaire capitulaire. Enfin, plusieurs peuvent se prévaloir d’autres fonctions importantes à la tête des diocèses. Jacques Doremet est ainsi l’inamovible secrétaire de l’évêque de Saint-Malo Jean Du Bec, Guillaume Allain de Beaulieu celui de l’évêque de Saint-Brieuc Louis Marcel de Coëtlogon, Pierre Nicolas Rousselin du Rocher celui de La Bastie à Saint-Malo. Six ont rempli la fonction d’official diocésain, trois ont représenté le clergé diocésain lors d’un concile provincial à Tours, trois Briochins ont occupé l’important poste d’examinateur du concours pour les cures. Certains présentent ainsi un profil particulièrement adapté à la mission. Par exemple, lorsque le Briochin Mathias-Claude Soubens est désigné en 1775, il a été chanoine de la cathédrale de Quimper, recteur de Plusquellec dans le diocèse de Quimper, vicaire capitulaire en 1766 et 1770 ; il est chanoine de la cathédrale de Saint-Brieuc depuis 1753, scolastique du chapitre et official du diocèse de Saint- Brieuc depuis 1760, théologal du chapitre cathédral depuis 1763, vicaire général depuis 177076. En définitive, les chanoines en apparence ordinaires qui accèdent à cette fonction sont largement minoritaires77. C’est donc l’impression d’une savante combinaison entre les hommes forts des chapitres – au titre desquels les dignitaires – et ceux qui ont une expérience à la tête du diocèse qui semble se dégager, le tout au service de la meilleure transition possible.

Tableau 2 – Le profil des vicaires capitulaires

Saint-Brieuc Saint-Malo Tréguier

Corpus 20 14 23

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22 ans 19 ans 21 ans Ancienneté dans le chapitre

Durée moyenne d’un canonicat au XVIIIe siècle78 19 ans 21 ans 17 ans

Dignités 10 4 10

12 soit 60 % 8 soit 57 % 15 soit 65 % Gradués

Proportion dans le chapitre au XVIIIe siècle79 44 % 47 % 50 %

Expérience de vicaire capitulaire 10 2 4

Expérience de vicaire général 10 10 13

Age moyen 56 ans 62 ans 47 ans

15 Ces périodes de vacance sont tout sauf anecdotiques pour les chapitres. En effet, elles s’inscrivent dans une temporalité de long terme qui leur est défavorable. Certes, au spirituel, ces corps intermédiaires de la société d’Ancien Régime conservent leurs attributions tout au long de la période. Ils assurent bien la permanence du culte divin dans l’église-mère du diocèse et demeurent des acteurs majeurs de la vie sociale et économique des villes et des campagnes proches. Mais, tout en restant localement des institutions de premier plan, ils perdent en plusieurs étapes une partie de leur influence sur les affaires diocésaines. D’abord, le concordat de Bologne leur retire au début du XVIe siècle l’élection des évêques dont le choix devient une prérogative du souverain. Quelques décennies plus tard, le concile de Trente les soumet étroitement à la juridiction épiscopale, notamment au droit de visite des prélats à des fins disciplinaires et spirituelles. Dans le contexte de la mise en œuvre de la Réforme catholique, ils ne sont donc plus le sénat de l’évêque mais un corps qui lui est étroitement subordonné. Cette nouvelle réalité est cause de crispation dans de nombreuses cités épiscopales au cours du XVIIe siècle surtout, en Guyenne80 comme dans le Trégor81 ou ailleurs en Bretagne 82, mais parfois jusqu’au début du siècle suivant comme à Saint-Malo83. Par la suite, la résistance de ces corps, dont les racines s’ancrent dans la période médiévale, à l’esprit réformateur post-conciliaire cède le pas à une cohabitation apaisée. Cependant, la tendance au raccourcissement des transitions traduit certainement autant un souhait réel de mettre rapidement fin à la régale qu’une volonté stratégique des évêques de prendre en main au plus tôt leur territoire afin d’affirmer très vite la plénitude de leur autorité. L’intermède prend ainsi fin avec la prise de possession du nouvel évêque qui reçoit en général auparavant des lettres de vicaire général du diocèse84. Cela dit, l’on comprend bien l’importance que revêt la direction du diocèse sede vacante pour un chapitre dans un tel contexte. C’est bien ce que rappelle très clairement à tous le chapitre cathédral de Quimper au travers de l’un des huit panneaux de la chaire qu’il commande en 1679. Face au prélat agonisant (sous les traits de saint Corentin), on y voit en effet, debout, un chanoine qui, après lui avoir administré les derniers sacrements, lui adresse « une ultime exhortation en une spectaculaire inversion des rôles85 ».

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La prise en main du diocèse par le nouvel évêque

16 Depuis le concordat de 1516 conclu entre François Ier et Léon X les évêques sont désignés par le souverain qui leur adresse un brevet de nomination et auquel ils prêtent serment86. Entre ces deux formalités, le souverain pontife leur donne l’investiture canonique par bulle après une enquête – l’information romaine – qui aura conduit les futurs prélats à répondre de leur état civil, à présenter leur carrière et à envoyer à Rome, avant que la logique gallicane ne s’oppose à cette pratique au cours du XVIIe siècle87, un rapport ad limina88. La cérémonie du sacre peut alors avoir lieu. Il ne restera plus aux nouveaux prélats qu’à prendre possession de leurs bénéfices, souvent en deux temps. En effet, seulement 11 des 36 évêques pour lesquels nous sommes renseignés prennent directement possession. Les autres confient d’abord cette procédure à un procureur qui, accompagné d’un ou plusieurs notaires apostoliques, présente leurs bulles de nomination au président du chapitre89. Puis, sous la conduite de deux ou trois chanoines, il accomplit les gestes symboliques de la prise de possession90 et prête serment au nom de son évêque91, mettant ainsi fin à la vacance du siège. Qui sont ces procureurs ? À de rares exceptions près, on a affaire à des chanoines ou à des dignitaires de la cathédrale, conformément à la pratique en vigueur dans les cathédrales du royaume92. Ceci apparaît clairement lorsque l’on examine les profils de onze procureurs briochins bien documentés93 : la mission revient quatre fois au doyen, premier dignitaire, une fois au trésorier, second dignitaire, deux fois à l’archidiacre de Penthièvre, troisième dignitaire, une fois au scolastique, cinquième dignitaire. Il semble bien que la clé soit ici : le chapitre, titulaire de l’évêché en l’absence de l’évêque, reçoit, au travers notamment de ses dignitaires, la mission d’en confier la destinée à l’impétrant. Seul Pierre Demay, choisi par Melchior de Marconnay94, et François Lestic de Vaudurand, chanoine de la collégiale Saint-Guillaume de Saint-Brieuc choisi par Hardouin Fortin de La Hoquette95, dérogent. L’existence de relations antérieures peut certainement être invoquée si l’on se fie à la désignation de René Porée du Parc par Vincent-François Desmaretz en 1702 à Saint-Malo96. Mais il est vrai que ce dernier est également chantre et premier dignitaire du chapitre. Peut-être un tel lien est-il également opérant dans le cas du briochin Charles Jacques Denis de Becdelièvre, chanoine non-dignitaire, procureur de Jules Ferron de La Ferronnays en avril 177097, d’autant que l’évêque l’a nommé vicaire général dès qu’il en a fait son procureur le jour de son sacre et reconduit un mois après98 ; de Pierre Demay, prêtre du diocèse d’Amiens dont Marconnay fera un chanoine, un archidiacre et un vicaire général99 ; ou encore du chanoine trégorrois Jean Le Soulfour, « particulier ami100 » et vicaire général de Balthazar Grangier. Des liens familiaux peuvent vraisemblablement aussi expliquer certains choix : à Saint-Malo, Guillaume Le Gouverneur a ainsi fait de son neveu son procureur… avant de le pourvoir du doyenné du chapitre et d’un mandat de vicaire général101. Cela étant, constat qu’il conviendrait de réinterroger, les sept procureurs du corpus briochin du siècle des Lumières sont vicaires généraux de l’ancien évêque et cinq sont vicaires capitulaires102. C’est donc le visage d’un administrateur chevronné – dignitaire, ancien vicaire général, vicaire capitulaire – que semble présenter le procureur de l’évêque.

17 L’entrée solennelle des évêques dans les cités épiscopales, dont la prise de possession personnelle est le point d’orgue103, n’est malheureusement pas systématiquement

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mentionnée dans les registres d’insinuations ecclésiastiques ni d’ailleurs obligatoirement décrite dans les registres de délibérations des chapitres, pas plus que dans les registres des communautés de ville. Par exemple, lorsque Hardouin Fortin de La Hoguette arrive à Saint-Brieuc en 1676, le secrétaire du chapitre se contente de noter que « Monsieur notre évêque fit hier son entrée et prit possession en personne avec les cérémonies ordinaires et prêta le serment aussi ordinaire104 ». Le cérémonial est en effet fixé depuis longtemps et connu de tous105 et il faut se contenter d’informations éparses106. Cela n’exclut cependant pas des changements comme le montre l’arrivée des prélats aux abords des cités épiscopales. Longtemps, un gentilhomme de haut rang y a accueilli l’évêque avant de le conduire à pied jusqu’au palais épiscopal en tenant la bride de la haquenée sur laquelle il est installé puis de se faire remettre cette dernière. À Tréguier et à Saint-Brieuc, de hauts seigneurs conservent de surcroît la vaisselle dans laquelle l’évêque a bu et mangé. Vraisemblablement sous l’effet de la Réforme catholique ces pratiques jugées démodées et onéreuses sont peu à peu tombées en désuétude, ce qui permet au chanoine briochin Ruffelet de parler au XVIIIe siècle de « cérémonies baroques […] qui ne s’observent plus depuis longtemps mais qui ont été longtemps à la mode107 ». Dès le début du XVIIe siècle, on n’en trouve en effet plus trace à Saint-Brieuc, où le rituel s’est mué en taxe – contestée – due par le nouveau prélat108, alors qu’à Saint-Malo on l’observe semble-t-il pour la dernière fois lors de l’entrée de Guillaume Le Gouverneur en 1611109. Partout, les opérations se déroulent globalement selon le même schéma110. Le nouvel évêque fait étape la veille de son entrée à proximité de la cité (sauf à Saint-Brieuc) ; il est ensuite accueilli aux portes de la ville par les autorités civiles et le clergé avant de rejoindre le palais épiscopal ou la cathédrale selon les lieux. La journée se termine à la cathédrale, où a lieu la prise de possession personnelle de l’évêché, ou au palais épiscopal. C’est certainement à Tréguier que cette arrivée est la mieux décrite111. Les chanoines, en habits, se portent au-devant du nouveau prélat soit à l’église des ursulines soit à celle des hospitalières où ils chantent « l’antienne accoutumée ». De là, la procession rejoint la cathédrale où l’évêque sera successivement conduit dans le chœur – où est chanté un Te Deum en action de grâce pour son arrivée –, au grand autel, à la cathèdre, dans la chambre capitulaire112.

18 Ce cérémonial est animé d’une double logique. D’abord, bien des usages, par ailleurs largement exposés dans le Cæremoniale Episcoporum paru en 1600113, mettent en scène la primauté de la fonction épiscopale ainsi que l’autorité de seigneur spirituel et temporel du nouveau prélat. À Saint-Malo, il est accompagné au palais puis à la cathédrale non seulement par le clergé mais aussi par les autorités municipales, les représentants de la noblesse locale qui l’ont auparavant accueilli et complimenté114, et est même escorté par « la milice bourgeoise sous les armes115 ». À Saint-Brieuc, on précise d’ailleurs qu’« il sera fait un port général d’armes des habitants de la ville116 ». L’entrée est donc un véritable spectacle visuel qui marque les esprits. Ainsi, à Tréguier, « tout le clergé a commencé la marche en forme de procession, monsieur le chantre avec chape précédé de la croix, du massier et bedeau et avaient ainsi marché jusqu’au palais épiscopal, d’où monseigneur l’évêque revêtu de ses ornements pontificaux assisté de messieurs les archidiacres et trésoriers revêtus de leurs ornements ordinaires, avait été conduit ainsi processionnellement jusqu’à la porte occidentale de cette église117 ». À Saint-Brieuc, on n’hésite pas à illuminer la façade de l’hôtel de ville ainsi que celles du palais épiscopal et du séminaire118. Mais cette arrivée est aussi un spectacle sonore. L’arrivée de l’évêque de Saint-Malo est ainsi saluée par les sonneries des cloches de toute la ville119 et par les

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coups de canons tirés depuis le château et la grande porte, salves qui accompagnent également son confrère briochin120. Partout, la traversée de la ville s’effectue au son des cloches et des chants121. Il s’agit donc bien « de donner à voir et à entendre dans la ville122 » l’entrée du prélat.

19 En même temps, toutes les phases de l’accueil de l’évêque témoignent de la position particulière du chapitre cathédral qui vient d’administrer le diocèse. Ce sont ainsi des chanoines qui escortent l’évêque jusqu’à la ville : à Saint-Malo, deux chanoines vont chercher Gabriel Cortois de Pressigny au séminaire de Saint-Servan123 ; à Saint-Brieuc, « il fut quatre chanoines à Lamballe au-devant de l’évêque124 » Denis de La Barde en 1642 et trois pour se porter à la rencontre de Hardouin Fortin de La Hoquette le moment venu en 1676125 ; à Tréguier en 1746, deux chanoines « ont été priés d’aller à Saint-Brieuc ou plus loin au-devant de Mgr notre illustre prélat aussitôt qu’ils apprendront le temps de son arrivée, et de l’accompagner jusqu’en cette ville126 ». Mais le plus important est ailleurs. C’est en effet le chapitre qui va véritablement introniser l’évêque. À Tréguier, la première étape se déroule devant les portes closes de la cathédrale où le trésorier lui présente le livre des statuts de la compagnie. C’est seulement après avoir promis de « continuer les droits et franchises de cette Église et chapitre et de garder les dits statuts127 » qu’il peut pénétrer dans l’église. À Saint-Malo, l’évêque prête les serments sur les Évangiles après avoir été encensé par le président du chapitre. Au préalable, le prélat avait béni l’encens ainsi que les personnes présentes au moyen de l’aspersoir qui lui avait été remis128. Les prises de possession livrent quelques éléments relatifs à la liturgie animée par les chanoines. La cérémonie débute par un Te Deum puis l’évêque s’agenouille ou embrasse le maître-autel avant de rejoindre son trône. À Tréguier, le chantre « étant au coin de l’autel à côté de l’épître » entonne alors le verset Protector noster « et autres marqués dans le Pontifical avec l’oraison Deus omnium fidelium pastor129 ». À Saint-Malo comme à Tréguier, l’évêque chante ensuite les oraisons en l’honneur des saints locaux, respectivement Malo et Tugdual. Les indications quant à l’accompagnement musical sont rares : à Saint-Malo, le Te Deum est annoncé par le chantre et continué en plain-chant par le chœur, alternativement avec l’orgue130. Les cérémonies s’achèvent partout par la bénédiction du nouveau prélat. Ce dernier assiste ensuite à une assemblée capitulaire « avec l’aumusse » au cours de laquelle la compagnie ne manque pas, comme à Saint-Malo en 1786, de lui demander « de vouloir bien l’honorer souvent de sa présence131 » : autorité suprême du diocèse, il se voit rappeler avec élégance qu’il n’est aussi que l’un des membres – certes particulier – du corps qui assure la continuité de l’institution ecclésiale. Toute l’ambigüité de la relation entre l’évêque et le chapitre semble ainsi résumée. De même, le repas d’accueil du prélat permet au chapitre de rappeler son statut particulier à l’ensemble de la bonne société locale : les chanoines malouins invitent en effet, outre Mgr Gabriel Cortois de Pressigny, « le commandant de la place, le Lieutenant de Roi, M. le comte de Rosnyven conseiller au Parlement au cas qu’il se trouve encore en cette ville ; le commandant du Régiment en Garnison à St-Servan, les Commandants du Génie et de l’artillerie, le Sénéchal, le Lieutenant Général de l’amirauté, le Maire de Ville, le commissaire de la Marine, le Directeur des Économats, le Précepteur de cette ville, le Supérieur du Séminaire de St-Servan, le Prieur de Saint-Benoît, le Gardien des Récollets et celui des Capucins132 ».

20 L’entrée des évêques est donc un moment entièrement ritualisé. Le jeu entre les deux acteurs clés – l’un nouveau et de passage ; l’autre ancien et permanent – témoigne d’une transmission du pouvoir. La journée revêt donc une dimension contractuelle

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incontestable et ne témoigne pas d’un simple assujettissement du chapitre à l’évêque. C’est en effet au chapitre que revient l’intronisation du chef du diocèse et ce n’est qu’après sa promesse de respecter les droits du chapitre que la cérémonie peut se déployer et que ce dernier va définitivement repasser au second plan. Ce repli est en réalité amorcé à partir du moment où la nouvelle administration épiscopale est désignée, c'est-à-dire dès la possession par procuration. C’est en effet à cette occasion que sont enregistrées aux insinuations ecclésiastiques les premières lettres de nomination de vicaires généraux accordées par le nouvel évêque. Par ces documents, ce dernier leur délègue sa juridiction volontaire, ou administrative, et contentieuse, ou judiciaire, leur conférant ainsi des pouvoirs étendus133.

21 En général, les nominations se poursuivent pendant quelques mois134. À Saint-Malo, Achille de Harlay nomme ainsi André Régnard en février 1632 avant de le remplacer par Louis Morainvilliers d’Orgeville et Jacques Doremet en juin ; à Tréguier, les neuf désignations de Jean-Augustin de Frétat de Sarra s’étalent de mars à octobre 1774. La phase de stabilisation peut être encore plus longue : à Saint-Brieuc, Jean-Gabriel de Robien, nommé dès septembre 1766 par François Bareau de Girac est rejoint par René de La Villéon en mai suivant et Thomas L’Ollivier du Tronjoly en octobre, puis par René Louis Le Mintier en mai 1769. On le voit, le nombre de vicaires généraux est inégal selon les diocèses. La photographie de la situation au lendemain des transitions de 1766-1767 dans les trois diocèses le confirme : quatre vicaires sont nommés à Saint-Brieuc, cinq à Saint-Malo et douze à Tréguier. On observe également une tendance à l’augmentation du nombre de vicaires, patente à Saint-Malo et à Tréguier, moins nette à Saint-Brieuc. L’hypothèse consistant à y voir le résultat de deux logiques complémentaires est ici envisageable. La première, locale, le vicaire général étant attaché à l’évêque et révocable à sa convenance135, fait de chaque épiscopat un cas particulier, cela même si le nouvel évêque semble reprendre le modèle de son prédécesseur selon une sorte de modèle diocésain. La seconde, générale, est celle de l’accroissement des tâches d’administration, reflet de la bureaucratisation des appareils épiscopaux et/ou des absences plus ou moins fréquentes des prélats.

22 Les interrogations qui accompagnent certaines nominations, comme à Tréguier où le vicaire général Borie s’étonne auprès de son évêque « que M. l’abbé du Lézart notre grand chantre et 1er dignitaire n’ait pas reçu un mandement de grand vicaire en même temps que votre procuration à prendre possession136 », montrent bien que le vicaire général est avant tout l’homme de l’évêque… qui ne justifie pas son choix. C’est ainsi que se dégage une petite élite diocésaine d’administrateurs de confiance dont le portrait collectif soulève trois questions de fond. Il convient d’abord de se demander si l’accès à la fonction est lié à un type de profil intellectuel, sachant que les évêques ne sont tenus que par une double contrainte : ne nommer que des prêtres gradués137. Nos évêques nomment autant de licenciés que de docteurs (21 contre 20) et avant tout des spécialistes de la théologie, spécialité plus adaptée à la fonction que le droit dont la place n’est pour autant pas anecdotique (29 contre 16). Il est d’ailleurs à noter que partout les équipes de vicaires généraux constituées associent le plus souvent théologiens et juristes.

Tableau 3 – La formation des néo-vicaires généraux

Saint-Brieuc Saint-Malo Tréguier

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bacheliers licenciés docteurs bacheliers licenciés docteurs bacheliers licenciés docteurs

Droit 3 1 6 2 3 1

Théologie 3 6 9 2 5 4

13 cas documentés sur 14 15 cas documentés sur 17 17 cas documentés sur 17

23 Par ailleurs, le rapport des nouveaux vicaires aux chapitres mérite d’être examiné. Contrairement à une idée certainement trop rapidement reçue, la proportion de chanoines varie fortement selon les lieux : 70 % à Saint-Malo, 57 % à Saint-Brieuc et 47 % à Tréguier138. Les vicaires ne sont donc pas tous, loin s’en faut, issus du vivier capitulaire. Et même si, partout, quelques-uns deviennent chanoines après avoir reçu des lettres de vicaire général, le constat n’épuise pas la question des motifs de leur choix par les évêques139. À défaut d’une proposition de quantification, il est possible de repérer plusieurs logiques. La parenté explique certains choix. Deux évêques de Saint- Malo du début du XVIIe siècle nomment par exemple des neveux : Le Gouverneur nomme Guillaume Blanchard en 1611 et Harlay appelle Louis Morainvilliers d’Orgeville en 1632140. Des origines communes, derrière lesquelles on peut suspecter l’influence de la fidélité et/ou de la protection, peuvent vraisemblablement éclairer d’autres choix. Par exemple, toujours à Saint-Malo, Claude-Joseph Babin, nommé par Des Laurents en 1767, est originaire de l’évêché d’Avignon comme le prélat. D’ailleurs, il a été pourvu d’une prébende par l’évêque précédent, La Bastie, lui aussi avignonnais. Le prestige spirituel d’un ecclésiastique peut aussi expliquer sa bonne fortune : ainsi de William Gifford, alias Guillaume de Sainte-Marie, à Saint-Malo en 1611141. Dernière option pour les nouveaux évêques, le choix de l’expérience – de vicaire général et/ou de vicaire capitulaire – semble prévaloir au XVIIIe siècle dans les trois évêchés considérés 142. En revanche, au sein de notre échantillon de 48 néo-vicaires, seul François de Crussoles d’Uzès illustre le portrait de l’épiscopable pour lequel le vicariat fait office de stage professionnel143.

24 Quelles tâches sont dévolues aux vicaires généraux nommés par les nouveaux évêques ? La correspondance adressée par Anne Nicolas Borie à Augustin René Louis Le Mintier à Tréguier est à cet égard des plus précieuses144. D’abord vicaire capitulaire, Borie confirme à l’évêque qu’après sa prise de possession par procuration du 10 mai 1780, il a « repris l’administration du diocèse en vertu du mandement dont vous m’avez honoré 145 ». En tant que vicaire général146, il s’assure d’abord de la bonne installation de la nouvelle administration puis se propose d’actualiser les documents du secrétariat puisqu’ils doivent porter au plus vite les armes de l’arrivant147. Le Mintier diffère sa prise de possession personnelle car, en route pour Tréguier depuis Paris qu’il quitte fin août ou début septembre, il assiste aux États de Bretagne à Rennes où il séjourne dès la mi-septembre 1780 et toujours fin janvier 1781. Il n’entre à Tréguier que le 12 février. Entre les deux prises de possession, Borie administre le diocèse en contact avec son évêque au rythme moyen de cinq lettres par mois, soit une tous les six jours, auxquelles l’évêque répond le plus souvent. Une première approche – nécessairement insuffisante – de cet ensemble documentaire semble montrer que, parmi les multiples questions abordées par le vicaire général, les plus fréquentes portent sur les usages du diocèse, les relations de l’évêque avec les institutions ou les personnalités, l’attitude du chapitre

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cathédral et des chanoines, des suggestions pour les nominations aux cures, l’affectation des vicaires dans les paroisses, des portraits du personnel diocésain : il rend donc compte à Le Mintier de la vie du diocèse… sans occulter des sujets plus personnels. En toutes choses, Borie s’efforce de maintenir un équilibre entre l’obéissance et l’esprit d’initiative. En effet, d’une part, il applique scrupuleusement les consignes de l’évêque comme, par exemple, lorsqu’il explique avoir instauré « l’aumône de 30 livres pour les ondoiements » suggérée par Le Mintier qui veut en limiter le nombre148 mais, d’autre part, il décide, contraint d’agir rapidement, d’affecter l’abbé Le Bescond auprès de Jean-Hyacinthe Chrestien de Tréveneuc149 à Pommerit et de le remplacer « à M. le recteur de Plesidy par M. Parantoen prêtre de la dernière ordination150 ». Dans ce cas, bon connaisseur des réalités diocésaines, il explique et justifie sa décision auprès de l’évêque. Par ailleurs, il demande l’avis de ce dernier quant à la marche à suivre pour régler des questions épineuses, comme lorsque l’on découvre « plus de cent brochures à relier des plus détestables » chez Le Roux, marchand libraire à Tréguier151. Le vicaire général Borie apparaît donc au travers de cette correspondance comme les yeux et les oreilles mais aussi la voix et le bras de l’évêque absent dans son diocèse152.

25 En définitive, l’examen des périodes interépiscopales des évêchés de Saint-Brieuc, Saint-Malo et Tréguier permet de discerner quelques grands modèles de transition153. Quatre d’entre elles se traduiraient par un renouvellement complet des vicaires, c'est- à-dire par une rupture franche avec l’ancienne administration. À l’opposé, onze permettent d’observer la reconduction par le nouvel évêque de personnalités ayant bien souvent été vicaires généraux et vicaires capitulaires. Enfin, à deux reprises semble se dégager un modèle mixte. Cependant, dans bien des cas, il importe d’avoir une vision dynamique de ces moments importants. En effet, des nominations postérieures plus ou moins rapides viennent compléter le dispositif rapproché de l’évêque. S’agit-il pour lui de placer ses créatures, des hommes de confiance, afin de ménager une rupture en douceur une fois que, directement ou par l’intermédiaire des premiers vicaires généraux, le terrain lui est devenu plus familier ? On peut légitimement le penser lorsque certains, parfois étrangers au diocèse, sont ensuite placés dans les chapitres cathédraux. Par exemple, le limougeaud Jean-Marc de La Royère fraîchement nommé à Tréguier désigne son compatriote Jean-Charles Armand Courtin de Masnaudau comme vicaire général le 8 août 1767 avant de le pourvoir d’une prébende le 26 octobre 1768154. À Saint-Malo, Achille de Harlay avait placé son neveu Louis de Morainvilliers dans le chapitre cathédral en janvier 1633 après lui avoir confié le vicariat général en juin 1632155. À Saint-Brieuc, c’est Louis François de Vivet de Montclus qui choisit François de Crussoles d’Uzès comme vicaire en décembre 1728 puis lui octroie une prébende en juillet 1730156. Mais il peut aussi s’agir de corriger la première initiative en faisant appel au bout de quelque temps à un ecclésiastique expérimenté et efficace : ainsi du rappel de Jacques Doremet à Saint-Malo en février 1612 ; vraisemblablement de ceux de Jean-Gabriel de Robien et de René de La Villéon à Saint-Brieuc en mai 1770.

26 En l’état, l’analyse souffre malheureusement de deux limites : la difficulté à étudier les réalités locales au plus près, d’abord ; la moins bonne documentation des périodes reculées ensuite. De ce fait, même s’il faut se garder de projeter sur les périodes les plus

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anciennes un schéma tardif, il semble bien que les nouveaux évêques ont tendance à accorder à un moment ou à un autre leur confiance à des hommes expérimentés. Faut-il y voir un indice d’un processus sous-jacent, d’un passage d’une logique des liens personnels à celle d’une administration indépendante selon une logique wéberienne157, d’une autonomisation progressive du travail de bureau par rapport à la figure de l’évêque ? La présence de quelques administrateurs inamovibles, de quelques hommes forts, peut le laisser penser. Ainsi, Louis de Labat de Plaineville meurt à Saint-Brieuc en 1718 « ayant gouverné le diocèse pendant près de 40 ans158 » : il aura été vicaire général de Coëtlogon puis de Frétat de Boissieux et vicaire capitulaire entre leurs épiscopats. Son confrère Jean-Baptiste du Plessis de Kersaliou sert quant à lui La Vieuxville, Vivet et Thépault, assurant trois interrègnes et assumant la charge de vicaire général de 1721 à 1749. Il en est de même pour Jean-Gabriel de Robien, inamovible vicaire entre 1761 et 1790. À Saint-Malo, on retiendra la longévité à la tête du diocèse de Jacques Doremet au service de trois évêques entre 1607 et 1633, de Pierre Henri Nouail de La Contrie également aux côtés de trois prélats sans discontinuer entre 1738 et 1782. Joseph Alexandre Goret de Villepépin apparaît quant à lui à la tête du diocèse au début de la vacance de 1739-1741 entre Desmaretz et La Bastie ; il assurera les deux vacances suivantes et sera vicaire général de La Bastie et Des Laurents. Au-delà, cette étude peut- elle être une contribution à celle de la bureaucratisation du gouvernement des diocèses ? au dossier de la naissance de diocèses de papier 159 ? L’augmentation du nombre de vicaires capitulaires et généraux pourrait militer en ce sens en traduisant une augmentation et/ou une spécialisation des tâches de gestion. Est donc induite la question délaissée pour la Bretagne du travail au quotidien des vicaires, de leurs bureaux, de leur lien avec le terrain – courriers, déplacements, convocations –, le tout en relation avec la vigueur de la mise en œuvre de la Réforme catholique.

27 Stabilité ou non des administrations ? Continuité administrative ou non ? Quelle que soit la réponse, il s’agit d’une administration imparfaite dans la mesure où c’est par l’évêque que l’on devient vicaire général, même dans le cas de la reconduction d’une personnalité ayant fait ses preuves : il n’existe en effet pas de structure indépendante avec ses propres procédures de recrutement. Cela étant, en l’état, le dossier conduit à privilégier l’hypothèse d’une certaine stabilité du personnel de direction des diocèses – abordée il est vrai au travers de la seule figure des vicaires capitulaires et des vicaires généraux – au moins en fin de période160, quelques exemples semblant par ailleurs montrer, sous réserve d’analyses plus poussées, que la continuité est aussi de mise en ce qui concerne le secrétariat et l’officialité161.

ANNEXES

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Annexe 1 – Les évêques de Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo (XVIe-XVIIIe s.)

Les données ci-dessous ont été puisées, sauf précision, dans : • CHAPEAU, F. COMBALUZIER, Episcopologe français des temps modernes (1592-1973), Paris, Letouzey et Ané, 1977, 52 p. • les registres d’insinuations ecclésiastiques et les registres de délibérations capitulaires conservés aux Archives départementales des Côtes-d’Armor pour Tréguier et Saint-Brieuc, aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine pour Saint-Malo. Références complémentaires :

G. MINOIS, La Bretagne des prêtres dans le Trégor d’Ancien Régime, Spézet, Beltan, 1987, p. 87, 100. A. GUILLOTIN DE CORSON, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, Rennes-Paris, Fougeray- Haton, t. I, 1880, p. 597-603. B. RESTIF, La Révolution des paroisses. Culture paroissiale et Réforme catholique en Haute- Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 93.

F. JOUON DES LONGRAIS, Jacques Doremet, sa vie, ses ouvrages, Rennes, Plihon et Hervé, 1894, p. 34.

Saint-Brieuc

Prise de Prise de Bulles possession Fin de Nomination Sacre possession romaines par l’épiscopat personnelle procuration

24 septembre 1595 Nicolas 1564 Langelier (décès à Saint-Brieuc)

7 mars 1618 Melchior 3 mars 1602 18 mars 19 novembre de janvier 1601 1602 1601 (décès à Marconnay (Paris) Saint-Brieuc)

22 juin 1631 André Le 3 septembre 31 décembre Porc de La 1618 21 avril 1619 1618 1618 Porte (décès à Saint-Brieuc)

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1er février 1er juin 1641 Étienne de 10 novembre 1632 septembre 1631 17 février 1632 Vilazel 1631 (décès à (Paris) Saint-Brieuc)

6 juillet juillet 1642 22 mai 1675 Denis de La 1642 10 juin 1641 26 mai 1642 septembre 1642 Barde (refus du (décès à (Paris) chapitre) Saint-Brieuc)

2 février Hardouin 3 mai 1676 1680 Fortin de 12 septembre 23 mars 1676 10 mai 1676 22 octobre 1676 La 1675 Hoquette (Paris) (transfert à Poitiers)

Louis- 14 décembre 11 avril 1705 Marcel de 6 septembre 1er septembre 1681 16 juin 1682 18 mars 1683 Coëtlogon- 1680 1681 (transfert à Méjusseaume (Paris) Tournai)

30 octobre 11 octobre Louis 1720 7 septembre 1705 21 octobre Frétat de 11 avril 1705 1705 1705 Boissieu (décès à (Paris) Ancenis)

4 septembre Pierre- 6 juillet Guillaume 1727 1721 14 juillet de La 8 janvier 1721 28 mai 1721 1721 Vieuxville- (décès à (Paris) Pourpris Saint-Brieuc)

13 septembre Louis- 9 mai 1728 1744 François de 20 octobre 1727 8 mars 1728 4 mai 1728 30 juillet 1728 Vivet de Montclus (Senlis) (transfert à Alès)

26 janvier Hervé- 1766 Nicolas 13 septembre 18 décembre 20 mars 7 mars 1745 Thépault 1744, 1744 1745 de Brignou (décès à Saint-Brieuc)

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22 décembre 13 décembre François 31 août 1766 1769 2 octobre 1766 Bareau de 6 juillet 1766 6 août 1766 1766 Girac (Paris) (transfert à (ADCA – 1 G 84) Rennes)

8 décembre 8 avril 1770 Jules-Basile 18 juillet 1770 1774 Ferron de 26 décembre 12 mars 1770 27 avril 1770 La 1769 (Saint- (ADCA – 1 G 84) (transfert à Ferronnays Lizier) Bayonne)

Hugues- 16 décembre François 25 juin 1775 8 décembre 1er juillet 1775 Régnault 29 mai 1775 1791 1774 1775 de (Issy) Bellescize (ADCA – 1 G 84)

Saint-Malo

Prise de Prise de Bulles Fin de Nomination Sacre possession par possession romaines l’épiscopat procuration personnelle

31 décembre 1534 29 août 1569 (coadjuteur)

François (décès à Paris) 5 janvier Bohier 1535 (A. Guillotin de Corson) (A. Guillotin de Corson)

4 juillet 1572 1570 (transfert à Guillaume Angers)

Ruzé (A. Guillotin de Corson) (A. Guillotin de Corson)

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1586 16 novembre 28 février 15 mars 1574 1573 1573 François (résignation)

Thomé (A. Guillotin de (A. Guillotin (A. Guillotin Corson) de Corson) de Corson) (A. Guillotin de Corson)

26 novembre 30 octobre 1596 1586 Charles de (Rome) 1590 (B. Restif) Bourgneuf (transfert à (A. Guillotin Nantes) de Corson)

20 janvier 1610 4 avril 1599 14 mars 1599 30 octobre 18 septembre Jean du Bec (décès à Saint- 1596 1598 (A. Guillotin de (Paris) Malo-de- Corson) Beignon)

20 février 20 mars 1611 25 juin 1630 Guillaume Le 29 janvier 1611 30 août 1610 18 mars 1611 Gouverneur 1610 (Jouon des (décès à Saint- (Paris) Longrais) Malo)

20 novembre 29 mai 1632 1646 Achille de 10 novembre 5 janvier 16 août 1631 27 février 1632 Harlay 1631 1632 (A. Guillotin de (décès à Saint- Corson) Malo)

20 novembre 1646 19 mai 1657 Ferdinand de (coadjuteur Neufville (transfert à depuis le Chartres) 15 avril 1644)

29 juin 1660 19 octobre 1670 François de 4 novembre 19 janvier 20 mai 1657 Villemontée 1659 1660 (Paris) (décès à Paris)

2 mars 1702 5 juillet 1671 Sébastien du 31 octobre 4 mai 1671 Guémadeuc 1670 (décès à Saint- (Vincennes) Malo-de- Beignon)

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25 septembre 17 septembre Vincent- 1739 31 juillet 1702 23 octobre Début François 15 avril 1702 1702 1702 mars 1703 Desmaretz (décès à Saint- (Paris) Malo)

Jean-Joseph 27 novembre 29 janvier 1767 de Fogasse 11 novembre 30 septembre 1740 18 février 1741 d’Entrechaux 1739 1740 (décès à Saint- de La Bastie (Paris) Malo)

15 octobre 1785 Antoine- 2 août 1767 10 juillet Joseph des 19 avril 1767 17 octobre 1767 1767 (décès à Saint- Laurents (Compiègne) Malo)

15 janvier Gabriel 1786 6 novembre 19 décembre Cortois de 13 février 1786 8 juin 1786 1791 1785 1785 Pressigy (Mussy-sur- Seine)

Tréguier

Prise de Prise de Bulles possession Nomination Sacre possession Fin de l’épiscopat romaines par personnelle procuration

26 novembre 27 octobre 1566 Jean VIII 1548 Juvenal des Ursins (décès à Paris) (G. Minois)

1572

Claude de 1566 (résignation) Kernevenoy

(G. Minois)

Jean- 22 février 1583 Baptiste Le 1572 Gras (G. Minois)

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19 février 1584 1586 ou 1587 François II 1583 de La Tour (ADCA – 2 G (G. Minois) 3)

Guillaume III du 1593 29 octobre 1602 Halgoüet

Georges du 1602 1604 Loüet

1604 20 et 29 juillet 1616 Adrien 21 novembre 1604 2 août 1604 d’Amboise 1604 (ADCA (Paris) – 2 G 3) (décès à Tréguier)

7 mai 1619 Pierre 1616 3 avril 1617 Cornulier (transfert à Rennes)

Guy 1620 1620 14 septembre 1635 2 octobre Champion 1619 1619 de Cicé (Paris) (G. Minois) (décès à Tréguier)

1636 19 août 1645 Noël des 22 septembre 28 janvier

Landes 1635 1636 (Paris) (décès à Tréguier)

18 novembre Balthazar 2 février 1679 22 février 16 juillet 1646 8 décembre Grangier de 27 mai 1647 1646 1646 1646 Liverdis (décès à Tréguier) (Paris)

23 juillet 26 avril 1686 François- 24 février 1679 Ignace de 12 juin 1679 1679 Baglion (transfert à (Paris) Poitiers)

7 septembre Eustache Le 15 mai 1694 Sénéchal de 7 juillet 1692 3 janvier 1er juin 1686 Carcado (ou 1692 1693 (décès à Paris) Kercado) (Paris)

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3 octobre Olivier 2 août 1731 1694 11 octobre 8 décembre Jégou de 29 mai 1694 30 août 1694 1694 1694 Kervilio (décès à Tréguier) (Paris)

François- Hyacinthe 23 décembre 1745 25 décembre 31 mars 4 mai 1732 de La 29 mai 1732 1731 1732 Fruglaye de (décès à Tréguier) Kervers

Charles-Gui 29 juin 1746 30 septembre 1761 Le Borgne 13 février 2 mai 1746 8 août 1746 de 1746 Kermorvan (Paris) (décès à Tréguier)

2 novembre 1766 25 avril 1762 Joseph de 15 novembre 29 mars 15 juillet 28 mai 1762 Cheylus 1761 1762 1762 (transfert à (Paris) Cahors)

27 juillet 1773 26 avril 1767 Jean-Marc 2 novembre 16 février 14 mai 1767 4 août 1767 de Royère 1766 1767 (transfert à (Paris) Castres)

Jean- 25 janvier 9 avril 1775 Augustin de 20 décembre 1774 16 mars 22 août 1773 10 mai 1774 Frétat de 1773 1774 (transfert à Sarra (Le Puy) Nantes)

6 février 1780 Jean- 6 avril 1775 Baptiste- 14 juillet 7 septembre 9 avril 1775 21 mars 1776 Joseph de 1775 1775 (transfert à (Versailles) Lubersac Chartres)

Augustin- 30 avril 1780 6 février 20 mars 12 février René-Louis 10 mai 1780 1791 1780 1780 1781 Le Mintier (Paris)

Annexe 2 – Les acteurs des vacances épiscopales

Les tableaux présentés ci-dessous rassemblent les informations relevées dans les registres de délibérations capitulaires et les registres d’insinuations ecclésiastiques. On y trouve, dans l’idéal, les vicaires généraux (VG) en place lorsque débutent les vacances, la liste des vicaires capitulaires nommés par les chapitres – avec la durée de la vacance et la date de nomination des vicaires entre [ ] – et les vicaires généraux désignés par les

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nouveaux prélats au cours des premiers mois de leurs épiscopats avec l’indication de la date des lettres de vicariat. L’inégale documentation des périodes est liée à la conservation des registres et à l’incommunicabilité de certains documents (pour Tréguier).

1) Saint-Brieuc

Interépiscopat

Anciens VG La Barde/Fortin Nouveaux VG

24 mai 1675-10 mai 1676

[24 mai 1675]

Jean Henry de La Plesse

Toussaint Auffray de Robien

Interépiscopat

Coëtlogon/Frétat

7 septembre 1705 – 21 octobre 1705

[10 septembre 1705]

Louis de Labat de Plaineville Michel Le Bel de La Gavoyère Louis de Labat de (14 novembre1705) Plaineville Pierre-Yves Proffit de Catuellan Quinot (26/06 1706)

Louis de Labat de Plaineville

Interépiscopat

Frétat/La Vieuville

30 octobre 1720-14 juillet 1721

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[6 novembre 1720]

Guillaume Allain de Beaulieu

Bonnaventure-François Le Bigot de Neufbourg

André de Ville (17/07 1721) Michel Le Bel de La Gavoyère André de Ville Jean-Baptiste du Plessis de Kersaliou [7 novembre 1720] (10 octobre 1721)

Guy-Bonnaventure de Guersans

[13 novembre 1720]

Jean-Baptiste du Plessis de Kersaliou

Interépiscopat

La Vieuville/Vivet

4 septembre 1727-4 mai 1728

Jean-Baptiste du Plessis de Kersaliou [5 septembre 1727] (13/05 1728 puis 14 mars 1729)

Jean-Baptiste du Plessis de Kersaliou Jean-Baptiste du François de Crussolles d’Uzès Plessis de Kersaliou (28 décembre 1728) Cyr-Marc-Antoine du Bois de L’Isle puis Guy-Bonnaventure de Guersans André de Ville Cyr-Marc-Antoine du Bois de L’Isle(3 mars 1729) Bonnaventure-François Le Bigot de Neufbourg Jacques Du Mans (14 mars 1729)

Interépiscopat

Vivet/Thépaut (1744-1745)

13 septembre 1744-20 mars 1745

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[?]

Jean-Baptiste du Plessis de Kersaliou Cyr-Marc-Antoine du Cyr-Marc-Antoine du Bois de L’Isle Bois de L’Isle (20 mars 1745) Cyr-Marc-Antoine du Bois de L’Isle

Jean-Baptiste du Jean-Baptiste du Plessis de Kersaliou Plessis de Kersaliou Jacques Caillet (20 mars 1745)

Florian-François-Célestin du Merdy de Catuellan

Interépiscopat

Thépaut/Bareau (1766)

26 janvier 1766-2 octobre 1766

[27 janvier 1766]

Florian-François-Célestin du Merdy de Catuellan Florian-François-Célestin Du Merdy de Catuellan Jean-Gabriel de Robien du Pont-Lô

Jean-Gabriel de Robien du Pont-Lô Laurent Chouesmel de La Salle

René de La Villéon

Mathias-Claude Soubens

Interépiscopat

Bareau/Ferron

26 février 1770-10 mai 1770

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[26 février 1770] Charles-Jacques-Denis de Becdelièvre René-Louis Le (8 avril 1770) Mintier René-Louis Le Mintier René de La Villéon (10 mai 1770) Jean-Gabriel de Jérôme-François de La Nouée Robien du Pont-Lô Jean-Gabriel de Robien du Pont-Lô Jean-Gabriel de Robien du Pont-Lô (10 mai 1770) René de La Villéon

Mathias-Claude Soubens Jacques Doyharçabal d’Iturbide Mathias-Claude (19 juillet 1770) Soubens René de La Villéon Jean-Joseph du Fau (27 juillet 1770)

Interépiscopat

Ferron/Bellescize

30 mars 1775-1er juillet 1775

[30 mars 1775]

René de La Villéon Jean-Joseph du Fau

Jean-Gabriel de Jérôme-François de La Nouée René de La Villéon (1er juillet 1775) Robien du Pont-Lô

Mathias-Claude Soubens Jean-Gabriel de Robien du Pont-Lô Jacques Doyharçabal (1er juillet 1775) d’Iturbide René de La Villéon

Jean-Joseph du Fau Jean-Gabriel de Robien du Pont-Lô

François-Marie Boulard

2) Saint-Malo

Interépiscopat

Anciens VG du Bec/Le Gouverneur Nouveaux VG

20 janvier 1610-18 mars 1611

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Guillaume Blanchard (7 mai 1611)

[?] Jacques Doremet Guillaume de Gifford alias Sainte- Marie (fin 1611) Jacques Doremet

Jacques Doremet (13 février 1612)

Interépiscopat

Le Gouverneur/Harlay

25 juin 1630-27 février 1632

Jacques Doremet [?]

Guillaume Blanchard Guillaume Blanchard

Interépiscopat

Harlay/Neufville

20 novembre 1646-?

[?] Louis Morainvilliers Louis Morainvilliers d’Orgeville d’Orgeville Louis Morainvilliers d’Orgeville

Interépiscopat

Neufville/Villemontée

7 décembre 1657-19 janvier 1660

[7 décembre 1657]

Pierre Berthaud Guillaume Blanchard Jacques Symon (31 décembre 1659)

Julien Crosnier

Interépiscopat

Du Guémadeuc/Desmaretz

2 mars 1702-23 octobre 1702

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-4 | 2016 106

Jean-Louis Mellet de Mivoys (17 octobre 1702) Jean Oréal [?]

Pierre Eon de La Mettrie (17 octobre 1702)

Interépiscopat

Desmaretz/La Bastie

25 septembre 1739-18 février 1741

Henri-Marie Du Breil de Pontbriand

Pierre-Vital Perrée Joseph-Alexandre Goret de [27 septembre 1739] Villepépin (18 février 1741) Pierre-Henri Nouail de La Contrie Joseph-Alexandre Goret de Pierre-Henri Nouail de La Contrie Villepépin (28 février 1741) Louis Clinet de La Chateigneraye

Alain Le Large

Interépiscopat

La Bastie/des Laurents

29 janvier 1767-17 octobre 1767

Joseph-Alexandre Goret de Villepépin (17 octobre 1767) [31 janvier 1767]

Pierre-Henri Nouail de La Julien Le Bourgeois Contrie(17 octobre 1767) Pierre-Henri Nouail de La Contrie Pierre-Henri Nouail de La Contrie Julien Le Bourgeois (17 octobre 1767) Antoine-Joseph des Laurents Joseph-Alexandre Goret de Villepépin Claude-Joseph-Marie Babin(17 octobre 1767)

Antoine-Joseph des Laurents René Du Breil de Pontbriand de La Caunelais (10 novembre 1767)

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Interépiscopat

des Laurents/Cortois

15 octobre 1785-13 février 1786

[16 octobre 1785]

Joseph-Alexandre Goret de Villepépin François-Marie-Toussaint Du Fresne des Saudrais (13 février Jacques-Julien Meslé de Grandclos 1786)

Gilles-Nicolas Durand de La Furonnière Etienne-Jérôme Croupier de Alexandre-Basile Rozy (13 février Keraudran 1786)

Alexandre-Basile Rozy Pierre-Nicolas Rousselin Du Gilles-Nicolas Durand de La Rocher Furonnière (13 février 1786) François-Marie-Toussaint Du Fresne des Saudrais Gilles-Nicolas Durand de La Jacques-Julien Meslé de Grandclos Furonnière (13 février 1786)

Alexandre-Basile Rozy

François-Marie-Toussaint Du Fresne des Saudrais

3) Tréguier

Interépiscopat

Anciens VG Champion/Deslandes Nouveaux VG

14 septembre 1635-?

[15 septembre 1635]

René de Rosmar

Guillaume André

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Interépiscopat

Deslandes/Grangier

19 août 1645-8 octobre 1646

[21 août 1645]

René de Rosmar

Pierre Fanoys

Interépiscopat

Le Sénéchal/Jégou

15 mai 1694-11 octobre 1694

Michel Sevin (mentions à partir du 4 septembre 1694 ; lettre le 15 août [ 21 mai 1694] 1695)

Marc-Antoine Deslandes Mathurin Fournier (mentions à partir Michel Sevin du 4/09 1694 ; lettre le 15 août 1695) Michel Sevin Marc-Antoine Deslandes

Mathurin Fournier (mentions à partir du 4/09 1694 ; jusque début 1695)

Interépiscopat

Jégou/La Fruglais

2 août 1731-29 mai 1732

[6 août 1731]

Jean-Jacques de Bizien du Lézart

Philibert Le Gendre

Jean-Hyacinthe Chrestien de Tréveneuc

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Interépiscopat

La Fruglais/Le Borgne

23 décembre 1745-2, 3 ou 4 août 1746

[24 décembre 1745]

Louis-Marie-Hypolithe de Bizien du Lézart

Yves de Calloët de Lanidy

François-Gabriel de Kérouzy

Philibert Le Gendre

Interépiscopat

Le Borgne/Cheylus

30 septembre 1761-?

[?]

Louis-Marie-Hypolithe de Bizien du Lézart

Claude-Charles de Perrien

Eléonore-Marie Le Gendre de Villorbaine

Interépiscopat

Cheylus/La Royère

15 janvier 1767-14 mai 1767

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Claude-Charles de Perrien (15 mai 1767)

Anne-Nicolas Borie (15 mai 1767)

Laurent-Charles du Breil de Rays (22 mai 1767)

Louis-Emmanuel de Bizien du Lézart (1er mai 1767) [15 janvier 1767]

Philibert-Claude Chiquet de Claude-Charles de Louis-Emmanuel de Bizien du Fontenaye (? juillet 1767) Perrien Lézart

Jean-Hyacinthe Chrestien de Jean-François de La Claude-Charles de Perrien Tréveneuc (4 août 1767) Marche

Jean-François de La Marche Jean-Charles-Armand Coustin de Fidèle-François-Suzanne Masnadau (8 août 1767) Le Mercier de Montigny Anne-Nicolas Borie Joseph-Mathurin Le Mintier (29 août 1767) Fidèle-François-Suzanne Le Mercier de Montigny Pierre-Claude du Crot (14 juillet 1768)

Laurent-Marie Bouden de Tromelin (29 septembre 1768)

Sébastien-Corentin Le Dall de Tromelin (4 octobre 1768)

Yves-Marie de Bizien du Lézart (26 novembre 1768)

Interépiscopat

La Royère/Sarra

1er octobre 1773-16 mars 1774

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Yves-Marie de Bizien du Lézart (16 mars 1774)

Anne-Nicolas Borie (16 mars 1774)

[6 octobre 1773] Claude-Charles de Perrien (12 mai 1774) Sébastien-Corentin Le Yves-Marie de Bizien du Lézart Dall de Tromelin Jean-Hyacinthe Chrestien de Tréveneuc (12 mai 1774) Jean-Charles-Armand Coustin de Yves-Marie de Bizien du Masnadau Lézart Laurent-Marie Bouden de Tromelin (22 mai 1774) Anne-Nicolas Borie Toussaint-Joseph-Pierre du Boisboissel Antoine-Joseph de Boissieu de Jacques-Joseph de Montaudouin Servière (20 juin 1774) Jean-Charles-Armand Coustin de Masnadau Sébastien-Corentin Le Dall de Toussaint-Joseph-Pierre du Tromelin Boisboissel (10 octobre 1774) Anne-Nicolas Borie Toussaint-Joseph-Pierre du Jean-Charles-Armand Coustin de Boisboissel Masnadau

(10/10 1774)

Sébastien-Corentin Le Dall de Tromelin (24 octobre 1774)

Annexe 3 – les procureurs des évêques de Saint- Brieuc

Evêques Procureurs Qualités des procureurs

Melchior de Marconnay Pierre Demay Prêtre du diocèse d’Amiens (1602)

André Le Porc de La Jean Charpentier Prêtre, doyen du chapitre, chanoine Porte (1618)

Hardouin Fortin de La François Lestic de Prêtre, chanoine de la collégiale Saint-Guillaume Hoquette (1676) Vaudurand de Saint-Brieuc

Pierre-Jean Le Prêtre, docteur de Sorbonne, scolastique du Chapelier chapitre, chanoine Louis-Marcel de Coëtlogon (1682)

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Michel Le Breton du Prêtre, docteur de Sorbonne, chanoine Pré

Louis Frétat de Boissieu Louis de Labat de Prêtre, archidiacre du chapitre, vicaire général (1705) Plaineville de Coëtlogon, vicaire capitulaire

Pierre-Guillaume de La Prêtre, docteur en théologie, archidiacre du Vieuxville-Pourpris André de Ville chapitre, vicaire général de Frétat de Boissieu (1721)

Prêtre, docteur en droit canon et civil, doyen du Louis-François de Vivet Jean-Baptiste du Plessis chapitre, chanoine, vicaire général de La de Montclus (1728) de Kersaliou Vieuxville, vicaire capitulaire

Prêtre, docteur en droit canon et civil, doyen du Hervé-Nicolas Thépault Jean-Baptiste du Plessis chapitre, chanoine, vicaire général de Vivet de du Breignou (1745) de Kersaliou Montclus, vicaire capitulaire

Florian-François- Prêtre, licencié « in utroque jure », doyen du François Bareau de Célestin du Merdy de chapitre, chanoine, vicaire général de Thépault Girac (1766) Catuélan du Breignou, vicaire capitulaire

Jules-Basile Ferron de Charles-Jacques-Denis Prêtre, licencié en théologie, chanoine, vicaire La Ferronnays (1770) de Becdelièvre général de Bareau de Girac

Hugues-François Prêtre, docteur de Sorbonne, trésorier du Régnault de Bellescize René de La Villéon chapitre, chanoine, vicaire général de Ferron de (1775) La Ferronnays, vicaire capitulaire

NOTES

1. Ce que constatait déjà Jean Quéniart il y a une trentaine d’années ( QUÉNIART, Jean, « Bulletin historique : l’histoire religieuse de la Bretagne à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles) », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. XIII, 1986, p. 267).

2. MEYER, Frédéric, La Maison de l’évêque. Familles et curies épiscopales entre Alpes et Rhône (Savoie-Bugey-Lyonnais-Dauphiné-Comtat Venaissin) de la fin du XVIe à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2008, 621 p. 3. LUCO, Jean-François, « Organisation de l’ancien personnel ecclésiastique du diocèse », Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, 1874, p. 41-60. Signalons aussi, dans un travail ancien mais toujours très précieux, les listes des personnels des curies de Dol, Rennes et Saint-Malo, proposées par GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, Rennes, Fougeray/Haton, t. I, 1880, 808 p. 4. Valable à l’échelle de la province, le constat l’est également largement à celle du royaume : CHÂTELLIER, Louis, « Une enquête à ouvrir : les collaborateurs directs de l’évêque (suffragants et vicaires généraux) dans l’Europe des XVIe-XVIIe siècles », dans CHAIX, Gérald (dir.), Le diocèse. Espaces, représentations, pouvoirs. France, XVe-XXe siècle, Paris, Cerf, 2002, p. 179-198 ; MEYER, Frédéric, « Vicaires généraux et administrations diocésaines en France et en Italie à la fin du XVIIIe siècle », dans MEYER, Frédéric, MILBACH,

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Sylvain (textes réunis par), Les échanges religieux entre l’Italie et la France, 1760-1850. Regards croisés, Sociétés, Religions, Politiques, n° 15, Université de Savoie, 2010, p. 27-42. S’agissant de la Bretagne, on dispose de trois portraits : FRELAUT, Bertrand, « Un portrait inconnu d’un vicaire général de Dol, Jean-Baptiste Drillet de Pénamprat (1728-1788) », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. XXIX, 2001, p. 103-106 ; TUDO, Michèle et Joseph, « Notice sur Jean-Gabriel Le Gofvry, vicaire général du diocèse de Saint-Brieuc (1724-1796) », Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-d’Armor, t. CXXXI, 2003, p. 113-132 ; MONNIER, Marcel, « Le parcours de Jean Lemarié, chanoine de la cathédrale Saint-Vincent de Saint-Malo (1577-1638) », Bulletin et mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. CXI, 2007, p. 27-53.

5. Voir en particulier : RESTIF, Bruno, La Révolution des paroisses. Culture paroissiale et Réforme catholique en Haute-Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 93, 100-101, 130 et 133-134 ; PÉRENNEC, Ronan, L’épiscopat de Mgr de La Bourdonnaye, évêque et comte de Léon (1702-1745), mémoire de maîtrise (Fanch Roudaut, dir.), université de Bretagne occidentale, 1986, p. 14-16 ; BRAY, Isabelle, La vie religieuse dans le diocèse de Cornouaille sous les épiscopats de monseigneur de Plœuc du Tymeur et monseigneur Farcy de Cuillé, mémoire de maîtrise (Fanch Roudaut, dir.), université de Bretagne occidentale, 1987, p. 20-21 et 260-274 ; PÉRÈS, Georges Henri, La réforme du clergé séculier dans le diocèse de Vannes d’après le Catalogue de 1654, mémoire de master 2 (Georges Provost, dir.), université Rennes 2, 2011, p. 34-39 et JAFFRÉNOU, Andreï, Le clergé de Haute-Cornouaille à la fin de l’Ancien Régime, mémoire de master 2 (Georges Provost, dir.), université Rennes 2, 2014, t. I, p. 282-286 et t. II, annexe 47. 6. Ce qui ne signifie pas nécessairement soumission et passivité des chapitres comme le montrent bien MINOIS, Georges, La Bretagne des prêtres dans le Trégor d’Ancien Régime, Spézet, Beltan, 1987, p. 99-109 ou CHARLES, Olivier, « Quand un évêque visite son chapitre… Le chapitre cathédral de Saint-Malo au début du XVIIIe siècle : un corps à réformer ? », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. LXXXIX, 2011, p. 59-79. 7. Le chanoine manceau Nepveu de La Manouillère dépeint précisément l’une de ces périodes entre janvier et juillet 1778, preuve s’il en est de l’importance que revêt cette transition pour lui et sa compagnie, dans GRANGER, Sylvie, HUBERT, Benoît, TARONI, Martine (éd.), Journal d’un chanoine du Mans. Nepveu de La Manouillère (1759-1807), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 302-313. Pour la période médiévale, on pourra consulter LE BLÉVEC, Daniel, « Sede vacante. Administrer l’évêché à la mort de l’évêque. Viviers, juin 1382 », dans BARRALIS, Christine, BOUDET, Jean-Patrice, DELIVRÉ, Fabrice, GENET, Jean-Philippe (dir.), Église et État, Église ou État ? Les clercs et la genèse de l’État moderne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2014, p. 215-224. 8. Dans le sillage de LOUPÈS, Philippe, Chapitres et chanoines de Guyenne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1985, 590 p. S’agissant de la Bretagne, je me permets de renvoyer à CHARLES, Olivier, Chanoines de Bretagne. Carrières et cultures d’une élite cléricale au siècle des Lumières, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, 456 p. 9. Voir par exemple GOMIS, Stéphane ( dir.), Les évêques des Lumières : administrateurs, pasteurs et prédicateurs, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2015, 162 p. (PDF). 10. DEVAILLY, Guy (dir.), Histoire religieuse de la Bretagne, Chambray, CLD, 1980, p. 131-132.

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11. Cette réflexion associe ainsi deux diocèses déjà bien étudiés – Saint-Malo ( RESTIF, Bruno, La Révolution des paroisses…, op. cit.) et Tréguier (MINOIS, Georges, Un échec de la Réforme catholique en Basse-Bretagne : le Trégor du XVIe siècle au XVIIIe siècle , thèse dactylographiée (Jean Delumeau, dir.), université Rennes 2, 1984, 4 volumes, 1044 p.) et un autre encore bien mal connu – Saint-Brieuc (pour lequel il convient de consulter PROVOST, Georges, « Les “fastes de l’Église briochine” : Ruffelet et la construction d’une identité diocésaine », dans CHARLES, Olivier (dir.), Christophe Michel Ruffelet, Les Annales briochines (1771). Saint-Brieuc : histoire d’une ville et d’un diocèse , Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 97-121). 12. Précisons que pour le sud de la province, LE MENE, Joseph Marie, Histoire du diocèse de Vannes, Vannes, Lafolye, 1889, t. 2, 555 p. offre de très intéressants développements sur les transitions. 13. Pour des présentations solides des évêques bretons, se reporter à : POCQUET DU HAUT- JUSSÉ, Barthélemy Amédée, « Les évêques de Bretagne dans la Renaissance religieuse du XVIIe siècle », Annales de Bretagne, t. 54, 1947, p. 30-59 ; MEYER, Jean, « La vie religieuse en Bretagne à l’époque moderne », dans DEVAILLY, Guy (dir.), Histoire religieuse de la Bretagne …, op. cit., p. 127-135 ; CHÉDEVILLE, André, PROVOST, Georges, « Évêques », dans CASSARD, Jean-Christophe, CROIX, Alain, LE QUÉAU, Jean-René, VEILLARD Jean-Yves (dir), Dictionnaire d’histoire de Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2008, p. 278-279. 14. L’annexe 1 présente l’ensemble des épiscopats des trois diocèses. Les données rassemblées permettent de bien baliser les périodes de transition. 15. S’agissant des carrières, seuls trois évêques (sur 21) à Tréguier, un à Saint-Brieuc (sur quatorze) et à Saint-Malo (sur quatorze), sont originaires de leur diocèse. 16. MINOIS, Georges, La Bretagne des prêtres…, op. cit., p. 242.

17. NIÈRES, Claude (dir.), Histoire de Saint-Brieuc et du pays briochin, Toulouse, Privat, 1991, p. 74. Cela étant, seule une étude fine des registres d’insinuations ecclésiastiques permettra de préciser le nombre et la durée des séjours des évêques hors de la cité épiscopale. 18. BERTHELOT DU CHESNAY, Charles, Les prêtres séculiers en Haute-Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1984, p. 639. 19. Quatre évêques nommés au cours du siècle contre sept à Saint-Brieuc et à Tréguier. 20. RESTIF, Bruno, La Révolution des paroisses…, op. cit., p. 125.

21. NIÈRES, Claude (dir.), Histoire de Saint-Brieuc…, op. cit., p. 64.

22. MINOIS, Georges, La Bretagne des prêtres…, op. cit., p. 100-109, 240-241.

23. RESTIF, Bruno, La Révolution des paroisses…, op. cit., p. 118-119 et, pour l’examen de la position des évêques pendant les événements, LE GOFF, Hervé, La Ligue en Bretagne. Guerre civile et conflit international (1588-1598), Rennes, PUR, 2010, p. 110-121 notamment, ainsi que LAFAYE, Elsa, « La religion fut le prétexte ? » le rôle des évêques dans les guerres de la Ligue en Bretagne de 1588 à 1598, mémoire de master 2 (Ph. Hamon, dir.), université Rennes 2, 2007, 251 p. 24. Bréviaires, rituels, missels, cérémonials romains sont vraisemblablement adoptés dès les épiscopats d’André Le Porc de La Porte à Saint-Brieuc, Guillaume Le Gouverneur à Saint-Malo et Guy Champion de Cicé à Tréguier, dans ce dernier cas au prix d’un sévère affrontement avec le chapitre. Voir respectivement : CHARLES, Olivier (dir.),

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Christophe Michel Ruffelet, Les Annales briochines, 1771…, op. cit., p. 280 ; RESTIF, Bruno, La Révolution des paroisses…, op. cit., p. 203 ; MINOIS, Georges, « Réforme catholique et liturgie en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 89, 1982, p. 454 et 459-461. 25. Archives diocésaines (désormais Arch. dioc.) de Saint-Brieuc, 1 CH 2, délibération capitulaire du 24 mai 1675. 26. Sur cette anecdote, se reporter à CHARLES, Olivier, Chanoines de Bretagne…, op. cit., p. 148. 27. « …où l’opération ayant été commencée par la tête, le sieur Métayer chirurgien juré de cette ville qui y présidait me fit observer que tous les vaisseaux qui rampent à la superficie du cerveau étaient engorgés, et qu’il y avait épanchement d’environ un verre de sang fort épais dans les fosses occipitales inférieures siège du cervelet, cause plus que suffisante de la fin du prélat… » (Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 G 268, délibération capitulaire du 17 octobre 1785). 28. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 302, délibération capitulaire du 23 décembre 1745. 29. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 278, délibération capitulaire du 29 juillet 1616. 30. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 278, délibération capitulaire du 15 septembre 1635. 31. Arch. dioc. de Saint-Brieuc, 1 CH 2, délibération capitulaire du 7 mai 1675. 32. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 3, mémoire du chapitre dressé à l’occasion du décès de Balthazar Grangier, 1679. 33. Arch. dioc. de Saint-Brieuc, 1 CH 2, délibération capitulaire du 24 mai 1675. 34. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 3, mémoire du chapitre dressé à l’occasion du décès de Balthazar Grangier, 1679. 35. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 218, délibération capitulaire du 1er juin 1641. 36. Arch. dioc. de Saint-Brieuc, 1 CH 2, délibération capitulaire du 24 mai 1675. 37. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 302, délibération capitulaire du 24 décembre 1745. 38. Un siècle plus tôt, c’est déjà le cas pour Noël des Landes (Arch. dép. des Côtes- d’Armor, 2 G 287, délibération capitulaire du 20 août 1635). 39. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 3, testament de Balthazar Grangier, évêque de Tréguier, 15 février 1676. 40. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 3, mémoire du chapitre dressé à l’occasion du décès de Balthazar Grangier, 1679. 41. GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Récits de Bretagne. Deuxième série, Rennes, Plihon et Hervé, 1892, p. 144. 42. Paroisse du centre du diocèse où les évêques de Saint-Malo possèdent une résidence. Deux autres évêques sont enterrés dans l’église paroissiale : François Thomé, mort en 1586, et Sébastien du Guémadeuc, décédé en 1702 (GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique…, op. cit., p. 599 et 604. 43. Ibidem, p. 603. 44. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 G 268, délibération capitulaire du 24 octobre 1785.

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45. En réalité, à partir de 1641, le roi fait don du revenu de l’évêché vacant au nouvel évêque (BLET, Pierre, « Régale », dans BÉLY, Lucien (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 1064). 46. Qui ne relève pas de la responsabilité du chapitre ( DURAND DE MAILLANE, Pierre Toussaint, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, Paris, Bauche, 1761, t. 2, p. 743). 47. Pour Tréguier, par exemple, Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 4, succession épiscopale : inventaires du manoir épiscopal après décès ou mutation de l’évêque (1694, 1762, 1767, 1768, 1773, 1775). 48. Précisons qu’en dépit de l’étroitesse du corpus, les testaments d’évêques de nos trois diocèses devront faire l’objet d’une étude. On dispose comme cadre général de l’article de référence de BERGIN, Joseph, « Les évêques du Grand Siècle devant la mort d’après leurs testaments », Revue d’histoire de l’Eglise de France, t. 94, 2008, p. 263-281. Pour Saint-Brieuc, sont conservés ceux de Denis de La Barde (Arch. dép. des Côtes- d’Armor, 1 G 5, testament, 1675) et de Hervé-Nicolas Thépault du Breignou (Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 40 J 8, testament, 1766) ; pour Tréguier, ceux d’Adrien d’Amboise et de Balthazar Grangier (Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 3, testaments, 1616 et 1679) ; pour Saint-Malo, celui de Jean du Bec (1610) est donné dans JOUON DES LONGRAIS, Frédéric, Jacques Doremet, sa vie, ses ouvrages, Rennes, Plihon et Hervé, 1894, p. 27-33. 49. Sont exclues de l’étude les fins d’épiscopat liées au début de la Révolution de Le Mintier à Tréguier, Régnault de Bellescize à Saint-Brieuc, Cortois de Pressigny à Saint- Malo. 50. Langelier décède le 24 septembre 1595. Le chapitre élit les officiers pour la vacance le 2 octobre, un nouvel official étant nommé le 9 juin 1597 (Arch. dép. des Côtes- d’Armor, 1 G 218, registre des délibérations capitulaires, 1587-1733). L’évêché n’est de nouveau pourvu qu’une fois la paix revenue et la région acquise à Henri IV en 1601, mais ce n’est que le 18 mars 1602 que le nouveau prélat, Pierre de Marconnay, prend possession par procuration (Id.). Au titre des longues vacances, on observe aussi celle qui débute à Tréguier à la mort de François de La Tour en 1587 pour se terminer après 1593, ou à Saint-Malo celle qui s’étend du décès de François Thomé en 1586 à l’arrivée de Charles de Bourgneuf en 1590. Notons par ailleurs qu’à Saint-Malo le successeur de Guillaume Le Gouverneur, décédé le 25 juin 1630, ne sera nommé que le 16 août 1631 à cause du refus persistant d’un premier successeur, le capucin Octavien de Marillac dit le père Michel de Paris (JOUON DES LONGRAIS, Frédéric, Jacques Doremet…, op. cit., p. 47). 51. Voir supra note 27. 52. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 G 268, délibération capitulaire du 16 octobre 1785. 53. Il s’agit de sa prise de possession par procuration : Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 50, insinuations ecclésiastiques, 2 octobre 1766. Notons que les mentions claires de début et de fin de vacance sont rares et concernent le XVIIIe siècle. La plupart du temps, il faut donc procéder à une lecture attentive des registres d’insinuations afin de repérer les changements de formule initiale des actes (« le chapitre le siège vacant »). 54. DURAND DE MAILLANE, Pierre-Toussaint, Dictionnaire de droit canonique…, op. cit., p. 744. 55. Données fondées sur respectivement onze, treize et neuf vacances exploitables.

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56. À la charnière des XVIe et XVIIe siècles, Dol, Nantes, Vannes et Rennes sont aussi plus ou moins longtemps privés d’évêque (POCQUET DU HAUT-JUSSÉ, Barthélemy Amédée, « Les évêques de Bretagne… », art. cit., p. 36-37). 57. RESTIF, Bruno, « Synodes diocésains, concile provincial et législation dans la province ecclésiastique de Tours du concile de Trente au milieu du XVIIe siècle », dans AOUN, Marc, TUFFERY-ANDRIEU, Jeanne-Marie (dir.), Conciles provinciaux et synodes diocésains du concile de Trente à la Révolution française. Défis ecclésiaux et enjeux politiques ?, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2010, p. 209. 58. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les données sont les suivantes : 6 mois 1/2 à Saint-Brieuc (3 cas), 6 à Saint-Malo (2 cas) et à Tréguier (5 cas). 59. En effet, seule la confirmation pontificale du Trégorrois Eustache Le Sénéchal de Carcado est retardée (MINOIS, Georges, La Bretagne des prêtres…, op. cit., p. 142). Dans les diocèses concernés, le candidat de la monarchie participe souvent au gouvernement de son diocèse en tant que vicaire capitulaire jusqu’à réception de ses bulles romaines (BERGIN, Joseph, Crown, Church and Episcopate under Louis XIV, New Haven, Yale University Press, 2004, p. 140). 60. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 5, inventaire des titres de l’évêché de Tréguier fait après la mort de Mgr d’Amboise, 13 novembre 1616. Sur les chanoines cités, se reporter à MINOIS, Georges, « Liste alphabétique et biographique des chanoines de Tréguier aux XVIIe et XVIIIe siècles », Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, t. CXI, 1982, p. 133 et 145.

61. CHARLES, Olivier, Chanoines de Bretagne…, op. cit., notices 240 p. 383 et 623 p. 433. 62. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 G 268, délibération capitulaire du 16 octobre 1785. 63. DURAND DE MAILLANE, Pierre Toussaint, Dictionnaire de droit canonique…, op. cit., p. 488. 64. Les conditions particulières de la mort de Frétat de Boissieux, déjà évoquées, allongent exceptionnellement le délai à sept jours. 65. Nous n’avons repéré que quatre vicaires capitulaires non chanoines sur un échantillon de 57 individus (annexe 2) : Antoine Joseph des Laurents à Saint-Malo et Louis Emmanuel de Bizien du Lézart à Tréguier en 1767, René Louis Le Mintier à Saint- Brieuc en 1770 et Yves-Marie de Bizien du Lézart à Tréguier en 1773. 66. Que les sources appellent aussi vicaires généraux ou grands vicaires. 67. Ainsi, à Tréguier, du fait de l’incommunicabilité de plusieurs registres d’insinuations ecclésiastiques, quatre des huit transitions potentiellement relatées échappent au chercheur. À Saint-Brieuc, les actes capitulaires sont quasi inexistants alors qu’à Saint-Malo ce sont ceux des périodes interépiscopales qui font défaut. 68. C’est notamment le cas des actes les plus anciens. 69. Avec identification des vicaires généraux en place à la fin de l’épiscopat, des vicaires capitulaires de la vacance, des vicaires généraux nommés par le nouvel évêque. 70. Au total, l’échantillon contient 24 vacances : huit pour chaque diocèse. 71. Voir annexe 2. Le caractère dualiste de l’administration malouine doit-il être invoqué ? L’existence de deux officialités (Dinan et Porhoët), donc de deux officiaux, deux promoteurs, un vice-official et un vice-promoteur justifierait-elle la nomination d’un seul vicaire capitulaire jusqu’à la transition entre Desmaretz et La Bastie en 1739 ?

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72. DURAND DE MAILLANE, Pierre-Toussaint, Dictionnaire de droit canonique…, op. cit., p. 742-743. 73. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 278, mandement pour la conduite du diocèse de Tréguier pendant la vacance du siège, 9 août 1731. 74. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 201, confirmation des privilèges du chapitre de Saint-Brieuc par lettre patente, 13 novembre 1727. 75. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 40 J 8, réclamation du chapitre cathédral de Saint- Brieuc à la mort de Thépault du Breignou, 4 octobre 1767. 76. Données provenant d’une enquête collective en cours sur les chanoines de la cathédrale de Saint-Brieuc entre le XIIIe et le XXIe siècle. 77. 14 sur 57. 78. CHARLES, Olivier, « Les nobles dignités, chanoines et chapitres » de Bretagne. Chanoines et chapitres cathédraux de Bretagne au siècle des Lumières, thèse de doctorat (Jean Quéniart, dir.), université Rennes 2, 2002, volume III, annexe 7, p. 493. 79. Ibidem, annexe 23, p. 571. 80. LOUPÈS, Philippe, Chapitres et chanoines de Guyenne…, op. cit., p. 343-366.

81. MINOIS, Georges, La Bretagne des prêtres…, op. cit., p. 99-109.

82. POCQUET DU HAUT-JUSSÉ, Barthélemy Amédée, « Les évêques de Bretagne… », art. cit., p. 37-39. 83. CHARLES, Olivier, « Quand un évêque visite son chapitre… », art. cit. 84. On en trouve rarement trace dans les registres d’insinuations ecclésiastiques. La mention de celles qui sont envoyées par le chapitre de Saint-Brieuc à Jules-Basile Ferron de La Ferronnays en 1770 constitue en cela une exception (Arch. dép. des Côtes- d’Armor, 1 G 51, lettres de grand vicaire et de chanoine, 23 février 1770). 85. PROVOST, Georges, « Quand saint Corentin monte en chaire. Hagiographie et jeux d’influence à la cathédrale de Quimper vers 1680 », dans CASSARD, Jean-Christophe, LAMBERT, Pierre Yves, PICARD, Jean-Michel, YEURC’H, Bertrand, (dir.), Mélanges offerts au professeur Bernard Merdrignac, Britannia Monastica no 17, Landévennec, 2013, p. 386. 86. Sur la procédure de nomination des évêques sous l’Ancien Régime, se reporter à PLONGERON, Bernard, La vie quotidienne du clergé français au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1974, p. 94-101 et PERONNET, Michel, « Évêques », dans BÉLY, Lucien (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime…, op. cit., p. 524. Précisons que, du fait de son rattachement postérieur au royaume, le concordat de Bologne ne s’applique pas à la Bretagne qui demeure pays d’obédience pontificale. Ce sont donc des indults pontificaux qui donnent au roi ses droits de nomination aux évêchés de la province (BERTHELOT DU CHESNAY, Charles, Les prêtres séculiers…, op. cit., p. 219). 87. VENARD, Marc (dir.), Histoire du christianisme. T. 8. Le temps des confessions (1530-1620), Paris, Desclée, 1992, p. 253. 88. Depuis 1585, les évêques français sont théoriquement obligés de se rendre tous les quatre ans à Rome pour y faire un rapport sur l’état de leur diocèse. Cette visite ad limina Apostolorum (« sur le seuil des apôtres ») se résume aux XVIIe et XVIIIe siècles au simple envoi d’un rapport établi devant un notaire parisien en présence du nonce par le futur évêque. Il se décompose théoriquement en plusieurs chapitres : situation, limites et état matériel du diocèse, notices sur l’évêque, le chapitre, le clergé séculier, le clergé

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régulier – masculin et féminin –, le séminaire, les confréries, les fidèles. En conclusion, l’évêque peut formuler des questions ou des requêtes. Celui du dernier évêque de Saint- Brieuc (Arch. nat., minutier central des notaires parisiens, étude LXXXII, 532, information pour l’évêché de Saint-Brieuc pour M. Regnault de Bellescize, 19 décembre 1774) offre ainsi une description succincte du diocèse à la fin de l’Ancien Régime. Dans la mesure où aucun rapport ad limina n’est conservé dans les archives romaines pour la France du nord-ouest (VENARD, Marc, « Les rapports de visites ad limina des évêques de France sous l’Ancien Régime », dans VINCENT, Bernard, BOUTRY, Philippe (dir.), Les chemins de Rome. Les visites ad limina à l’époque moderne dans l’Europe méridionale et le monde hispano-américain (16e-19e s.), Rome, Ecole française de Rome, 2002, p. 101-121), celui d’un évêque rennais de la fin du XVIe siècle étudié par Bruno Restif n’en est que plus précieux (RESTIF, Bruno, « Le rapport ad limina d’Arnaud d’Ossat, évêque de Rennes, en 1598 », dans CALVEZ, Ronan, GUILLOU, Chantal, JARNOUX, Philippe, TRANVOUEZ, Yvon (dir.), Langues de l’histoire, langues de la vie. Mélanges offerts à Fañch Roudaut, Brest, Association Les amis de Fañch Roudaut, 2005, p. 107-118). Cela dit, la promesse de se rendre régulièrement à Rome figure jusqu’à la fin de l’Ancien Régime dans le serment de fidélité au Siège romain (PLONGERON, Bernard, La vie quotidienne du clergé français…, op. cit., p. 98). 89. Cette proportion est certainement sous-estimée si l’on en croit Anne-Nicolas Borie, vicaire capitulaire puis vicaire général de Le Mintier à Tréguier, qui confie à son évêque : « tous vos prédécesseurs ont pris comme vous possession par procureur et ensuite en personne à leur entrée solennelle » (Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 2, lettre de Borie à Le Mintier, 11 décembre 1780). 90. Ainsi, à Saint-Brieuc, Louis de Labat, agissant pour Louis Frétat de Boissieu en 1705, après être sorti de la cathédrale, va « y rentrer, ouvrir et fermer la porte, prendre et donner de l’eau bénite, toucher la chaire destinée aux prédicateurs, monter en icelle et descendre, faire à genoux dévotes prières dans la nef devant l’image du crucifix et au chœur devant le grand autel qu’il a baisé au milieu et touché le tabernacle du Saint- Sacrement et icelui ouvert et refermé, et descendu au chœur a touché et tourné l’aigle du pupitre, s’est assis dans l’une et l’autre chaire destinée aux stalles et séances des seigneurs évêques dudit Saint-Brieuc, s’y est tenu debout et prosterné à genoux pendant lesquelles séances dudit sieur de Labat lesd. sieurs chanoines députés ont exposé, et l’un d’eux a publié à l’aigle du pupitre, la teneur desd. bulles » (Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 38, délibération capitulaire du 21 octobre 1705). 91. Il s’agit de respecter les droits du chapitre (voir, par exemple Arch. dép. des Côtes- d’Armor, 1 G 4, touchant les prises de possession par les évêques mes prédécesseurs de l’évêché de Saint-Brieuc, 9 mars 1632) ; de payer les droits coutumiers du chapitre : sommes en argent pour le pain du chapitre, vin d’Espagne pour les dignitaires et les simples chanoines, les officiers du chapitre, les choristes, une chapelle garnie, des chasubles, des chappes à Saint-Malo par exemple (Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 G 54/1, délibération capitulaire du 23 octobre 1702). 92. Voir sur ce point BRUNET, Jean-Louis, Le parfait notaire apostolique et procureur des officialités (seconde édition complétée par P.-T. Durand de Maillane), Lyon, Duplain, 1775, p. 527. 93. Voir annexe 3. 94. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 218, délibération capitulaire du 18 mars 1602.

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95. Arch. dioc. de Saint-Brieuc, 1 CH 2, délibération capitulaire du 10 mai 1676. 96. CHARLES, Olivier, « Quand un évêque visite son chapitre… », loc. cit., p. 72. 97. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 51, délibération capitulaire du 8 avril 1770. 98. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 51, lettres de vicaire général pour Charles- Jacques-Denis de Becdelièvre, 8 avril et 10 mai 1770. 99. Informations provenant d’une enquête collective en cours sur les chanoines de la cathédrale de Saint-Brieuc du XIIIe au XXIe siècle. 100. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 3, testament de Balthazar Grangier, évêque de Tréguier, 15 février 1676. 101. JOUON DES LONGRAIS, Frédéric, Jacques Doremet…, op. cit., p. 39. 102. Voir annexe 3. 103. Elle intervient en général cinq mois après la prise de possession du procureur à Saint-Brieuc, trois mois et demi à Tréguier (l’échantillon malouin n’est pas suffisamment étoffé pour permettre ce calcul). Mais certains évêques, comme Le Mintier à Tréguier en 1781, qui séjourne à Rennes pendant les États de Bretagne, peuvent attendre jusqu’à neuf mois avant d’entrer dans leur cité. Il en est de même pour Coëtlogon à Saint-Brieuc en 1683. 104. Arch. dioc. de Saint-Brieuc, 1 CH 2, délibération capitulaire du 23 octobre 1676. La même formule lapidaire accompagne la prise de possession de Louis-Marcel de Coëtlogon (Id., délibération capitulaire du 20 mars 1683). 105. Ainsi, à la fin de notre période, le chapitre précise clairement que la prise de possession de Gabriel Cortois de Pressigny sera organisée « conformément au Cérémonial romain et aux usages de cette Eglise » (Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 G 268, délibération capitulaire du 6 juin 1786). 106. On peut, en complément, consulter l’étude fouillée de Bertrand Yeurc’h sur les entrées des évêques des neuf évêchés bretons au Moyen Âge. Il en étudie la chronologie, la géographie et les acteurs, identifiant ainsi les similitudes et les différences de cérémoniaux somme toute assez proches. Il conclut son analyse par une présentation accompagnée de commentaires d’un certain nombre de sources. YEURC’H, Bertrand, « Les premières entrées épiscopales », dans YEURC’H, Bertrand, La noblesse en Bretagne. Titres et offices prééminenciers sous les ducs de Bretagne, Perros-Guirec, 2014, p. 101-158. 107. CHARLES, Olivier (dir.), Christophe-Michel Ruffelet, Les Annales briochines, 1771…, op. cit., p. 347. 108. Sur cette question, se reporter à Ibid., note 599 p. 347-348. Certains évêques comme Ferron de La Ferronnays refusent catégoriquement de verser la somme de 300 livres qui remplace le don de la haquenée : le seigneur du Boisboissel, qui ne renonce pas, se retourne alors contre ses héritiers à son décès (Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 87). 109. GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique…, op. cit., p. 623. 110. Qui, incluant évidemment des variantes locales, n’est pas propre à la Bretagne. Les développements suivants doivent beaucoup à GOMIS, Stéphane, « Les entrées solennelles des évêques dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles », dans DOMPNIER, Bernard (dir.), Les cérémonies extraordinaires du catholicisme baroque, Clermont-Ferrand, Presses universitaire Blaise Pascal, 2009, p. 509-523. Voir également JULEROT, Véronique, « La

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première entrée de l’évêque : réflexions sur son origine », Revue historique, n° 639/3, 2006, p. 635-675 et RIVAUD, David, Entrées épiscopales, royales et princières dans les villes du centre-ouest de la France (XIVe-XVIe s.), Genève, Droz, 2013, 276 p. SAUPIN, Guy, « Les entrées de ville à Nantes au XVIIe siècle », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. LXXI, 1994, p. 153-180 et le dossier « Les entrées royales », Dix-septième siècle, n° 212, 2001 permettent également d’intéressantes comparaisons avec les entrées des souverains qui, alors qu’elles sont fréquentes sous Henri IV et Louis XIII, tombent en désuétude sous Louis XIV. 111. Les récits, plus ou moins détaillés, de huit prises de possession sont insérés dans les délibérations capitulaires. 112. L’évêque de Tréguier, comme ceux de Saint-Brieuc et Saint-Malo, est chanoine de droit. 113. Sur cet aspect, se reporter à S. GOMIS, « Les entrées solennelles des évêques… », loc. cit., p. 521-523 et, plus largement, à DAVY-RIGAUX, Cécile, DOMPNIER, Bernard, HUREL Daniel Odon (éds.), Les cérémoniaux catholiques en France à l’époque moderne. Une littérature de codification des rites liturgiques, Turnhout, Brepols, 2009, 560 p. 114. Pour Saint-Malo, GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique…, op. cit., p. 624 ; pour Tréguier, par exemple, 2 G 302, délibération capitulaire du 29 mai 1732. 115. GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique…, op. cit., p. 624. 116. Arch. mun. de Saint-Brieuc, AA 45, extrait des délibérations de la communauté de ville, 20 septembre 1766. 117. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 95, délibération capitulaire du 3 janvier 1693. 118. Arch. mun. de Saint-Brieuc, AA 45, extrait des délibérations de la communauté de ville, 20 septembre 1766 119. GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique…, op. cit., p. 623. 120. Arch. mun. de Saint-Brieuc, AA 45, extrait des délibérations de la communauté de ville, 20 septembre 1766. 121. Pour Saint-Malo, GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique…, op. cit., p. 625 ; pour Tréguier, par exemple, Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 302, délibération capitulaire du 29 mai 1732. 122. RIVAUD, David, Entrées épiscopales, royales et princières…, op. cit., p. 39. 123. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 G 268, délibération capitulaire du 4 juin 1786. 124. Même si le seigneur du Boisboissel vient attendre le nouvel évêque porte Saint- Guillaume afin de faire valoir ses droits quelle que soit l’heure de l’arrivée : 17 heures en 1766, 10 heures en 1770, 3 heures en 1775 (Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 40 J 8, procès verbaux de l’entrée de l’évêque dans la cité épiscopale, 1766-1775). 125. Arch. dioc. de Saint-Brieuc, 1 CH 2, délibération capitulaire du 28 septembre 1676. 126. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 203, délibération du 1er août 1746. 127. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 302, délibération capitulaire du 29 mai 1732. 128. GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique…, op. cit., p. 625. 129. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2 G 69, délibération capitulaire du 8 août 1767. 130. GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique…, op. cit., p. 626.

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131. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 G 268, délibération capitulaire du 9 juin 1786. Rappelons que dans nos trois chapitres, l’évêque diocésain jouit des revenus d’une prébende. 132. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 G 268, délibération capitulaire du 30 juin 1785. 133. DURAND DE MAILLANE, Pierre Toussaint, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, Lyon, Duplain, 1770, t. IV, p. 662-663. Cela dit, seul l’examen des lettres de vicariat permettra de saisir les attributions précises de chacun tant en terme de missions que d’espace géographique. On sait par exemple qu’à Nancy, La Fare divise son diocèse en districts dont il confie l’administration à ses vicaires généraux (BRYE, Bernard (de) Un évêque de l’Ancien Régime à l’épreuve de la Révolution : le cardinal de La Fare (1752-1829), Paris, Publications de la Sorbonne, 1985, p. 206). 134. Voir annexe 2. 135. Le concile de Trente n’impose pas la nomination de vicaires généraux, contrairement à celle d’officiaux. 136. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 2, correspondance de Mgr Le Mintier (1780-1781), lettre du 17 mai 1780. Yves Marie de Bizien du Lézart est chanoine et chantre depuis 1769. Il a pris possession de l’évêché pour Augustin Le Mintier le 10 mai 1780. 137. Selon l’article 45 de l’ordonnance de Blois de 1554, qui ne précise pas le degré (DURAND DE MAILLANE, Pierre Toussaint, Dictionnaire de droit canonique…, op. cit., p. 661). 138. Soit douze sur dix-sept à Saint-Malo, huit sur quatorze à Saint-Brieuc, huit sur dix- sept à Tréguier. 139. Les remarques suivantes doivent être considérées comme des pistes concernant les raisons des choix des vicaires généraux. Se fondant uniquement sur les vicaires de quelques débuts d’épiscopats, elles n’épuisent évidemment pas le sujet et, surtout, ne permettent pas de hiérarchiser ces motifs à différentes époques. Seules une pesée globale du phénomène vicarial à l’échelle de la province permettra de le faire 140. JOUON DES LONGRAIS, Frédéric, Jacques Doremet…, op. cit., p. 39 et 49.

141. Ibidem, p. 39-43 et RESTIF, Bruno et Manonmani, « Un Anglais, théologal de Saint- Malo, vicaire général puis archevêque de Reims : Gabriel de Sainte-Marie (1554-1629) », dans GALLICÉ, Alain, REYDELLET Chantal (textes réunis par), Talabardoneries ou échos d’archives offerts à Catherine Talabardon-Laurent, Rennes, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2011, p. 161-168. Anglais réfugié sur le continent en 1573, il rencontre Charles Borromée à Milan, occupe la fonction de théologal à Rome avant de devenir doyen du chapitre Saint-Pierre de Lille. Un temps recteur de l’université de Reims, il entre chez les bénédictins en 1608 et change de nom. C’est sous Guillaume Le Gouverneur qu’il devient prieur d’une toute nouvelle communauté bénédictine à Saint- Malo et théologal du chapitre. 142. Voir annexe 2. 143. Sur cette question, se reporter à PÉRONNET, Michel, Les évêques de l’ancienne France, Paris, Champion, 1977, volume 1, p. 94. Crussoles est originaire du diocèse de Clermont, abbé commendataire dans celui de Poitiers, vicaire général de Saint-Brieuc à partir de 1728, chanoine à compter de 1730, évêque de Blois de 1734 à 1753 puis de Toulouse jusqu’à 1758 (CHARLES, Olivier, Chanoines de Bretagne…, op. cit., notice 148, p. 369).

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144. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 2, correspondance de Mgr Le Mintier (1780-1781). Il s’agit d’un riche dossier fort de 45 lettres reçues entre le 26 avril 1780 et le 29 janvier 1781. Une étude approfondie en cours permettra d’étudier au plus près l’activité d’un vicaire général – dans le cadre d’un travail à venir sur le vicariat général en Bretagne – et laisse entrevoir la possibilité de dresser un état du diocèse à l’arrivée de Le Mintier. 145. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 2, lettre du 17 mai 1780. 146. L’évêque lui a fait parvenir sa commission début mai (Arch. dép. des Côtes- d’Armor, 1 G 2, lettre du 3 mai 1780). 147. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 2, lettre du 3 mai 1780. 148. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 2, correspondance de Mgr Le Mintier (1780-1781), lettre du 20 septembre 1780. 149. Ancien chanoine de la cathédrale de Tréguier (1724-1725), recteur de Pommerit de 1725 à 1783, vicaire général du diocèse de 1725 à 1774. 150. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 2, correspondance de Mgr Le Mintier (1780-1781), lettre du 6 octobre 1780. 151. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 2, correspondance de Mgr Le Mintier (1780-1781), lettre du 30 octobre 1780. Il s’agit du début de l’affaire Guino – du nom d’un chanoine de la cathédrale, également vicaire général de Lubersac (évêque de 1775 à 1780) puis de Le Mintier, auquel appartiennent les brochures – qui va agiter Tréguier au début des années 1780 (voir DANIEL, René, « La bibliothèque de Jacques-Louis Guino », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 98, 1972, p. 265-296). 152. Ce qui vaut également à la même époque pour Guillaume Floyd de Rosneven, le vicaire général de Quimper en Haute-Cornouaille (JAFFRÉNOU, Andreï, Le clergé de Haute- Cornouaille à la fin de l’Ancien Régime, mémoire de master 2 (Georges Provost, dir.), université Rennes 2, 2014, tome I, p. 282-286). 153. Il s’agit de comparer les listes des vicaires généraux des anciens évêques, celles des vicaires capitulaires, les premières nominations des nouveaux évêques. À cette fin, il est possible de s’appuyer, rappelons-le, sur dix-sept transitions (voir annexe 2). La typologie proposée se fonde sur la ou les premières nominations opérées par les évêques. 154. Voir annexe 2 et MINOIS, Georges, La Bretagne des prêtres…, op. cit., p. 243.

155. JOUON DES LONGRAIS, Frédéric, Jacques Doremet…, op. cit., p. 49. 156. Voir supra, note 143. 157. Ce que suggère MEYER, Frédéric, La Maison de l’évêque…, op. cit., p. 495. Il convient cependant d’envisager ce changement dans l’entourage des évêques comme une mutation de longue durée, vraisemblablement inachevée lorsque survient la Révolution. En effet, on ne peut raisonnablement pas y observer dans toute sa pureté l’idéal-type forgé par Max Weber pour qui l’appareil administratif se caractérise par la formation d’un corps de fonctionnaires stables et compétents, des règles régissant des carrières, une hiérarchie claire des responsabilités (se reporter à WEBER, Max, « La domination bureaucratique », dans La domination. Nouvelle traduction, Paris, La Découverte, 2015, p. 63-118). 158. Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1 G 218, délibération capitulaire du 6 juin 1718.

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159. Tels que les évoque JULIA, Dominique, « L’administration épiscopale au XVIIIe siècle : de l’inspection des âmes au service public », dans JOUTARD, Philippe (dir.), Histoire de la France religieuse. T. 3. Du roi Très Chrétien à la laïcité républicaine (XVIIIe -XIXe siècle), Paris, Seuil, 1991, p. 369-376 notamment. 160. Cette continuité n’est peut-être pas aussi manifeste partout : ainsi à Vannes, dans la première moitié du XVIIIe siècle lorsque le diocèse est agité par les soubresauts de l’affaire janséniste (MAHUAS, Joseph, Le diocèse de Vannes et le jansénisme, thèse, université de Rennes, 1967, 2 volumes, 622 p.). 161. Je remercie vivement Georges Provost et Bruno Restif qui, après avoir lu une première version de ce texte, ont accepté de me faire bénéficier de leurs remarques et suggestions.

RÉSUMÉS

L’entourage proche des évêques bretons d’Ancien Régime n’a guère été étudié. Les périodes de transition entre deux épiscopats sont en la matière des postes d’observation privilégiés pour amorcer une étude des administrations épiscopales et de leur personnel. Leur examen permet de mettre en lumière les stratégies des nouveaux évêques à l’égard des personnages clés que sont les vicaires généraux, d’autant qu’ils doivent composer avec un autre acteur de poids, les chapitres cathédraux qui réaffirment leur position en administrant temporairement le diocèse par l’intermédiaire de vicaires capitulaires. L’examen des interrègnes des diocèses de Tréguier, Saint- Brieuc et Saint-Malo entre la Ligue et la Révolution semble montrer que la confiance accordée à des personnalités expérimentées s’impose progressivement au détriment de la nomination de fidèles. Ce sont ainsi les prémices de la mise en place de véritables administrations qui sont dévoilées.

The close entourage the Breton bishops of the Ancient Regime has hardly ever been studied. The periods of transition which occurred between two episcopacies provide a highly privileged vantage point from which to commence a study of episcopal administrations and of the personnel of which they were composed. Close study of these transition periods allows us to shed light upon the strategies of the new bishops and their dealings with key staff (i.e. the Vicars General), who had to deal with the formidable Cathedral (diocesan) chapter, which, for its part, was reaffirming its own position by temporarily taking charge of the diocese via the vicars capitular. Through examination of the interregnums of the dioceses of Tréguier, Saint Brieuc and Saint Malo, during the period between the Wars of the Catholic League and the French Revolution, it seems that when it came to appointing staff, experience was gradually favoured over mere loyalty. These are the first signs of a gradual move towards the creation of the model of administration in France that we know today.

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INDEX

Thèmes : Saint-Brieuc, Saint-Malo, Tréguier Index chronologique : XVIIIe siècle, XVIIe siècle

AUTEUR

OLIVIER CHARLES Chercheur associé, CERHIO-UMR 6258 – Université de Rennes 2

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Sébastien de La Haye de Silz : jeunesse tumultueuse et années d’enfermement Sébastien de la Haye de Silz’s tumultuous youth and years of imprisonment

Camille Le Masne et Pierre Le Masne

NOTE DE L'AUTEUR

Les auteurs descendent d’Auguste de Silz, frère de Sébastien. La seconde fille d’Auguste de Silz, Clara de Silz, a épousé en 1817 Henry Le Masne, arrière-arrière-grand-père de Pierre Le Masne. Camille Le Masne est le fils de Pierre Le Masne.

1 Sébastien de La Haye de Silz a été le chef de la chouannerie du Morbihan en 1794-1795 et a su s’imposer à ce titre aux guerriers redoutables qu’il dirigeait, Cadoudal, Guillemot, Jean Jan. Le nom de Silz est évoqué, à propos de la chouannerie, par des auteurs comme Victor Hugo dans Quatrevingt-Treize ou Paul Féval dans Chouans et Bleus1 mais ces romanciers ne disent rien de bien précis sur le Silz dont ils parlent ni sur sa famille.

2 La famille de La Haye de Silz est mal connue. Il n’existe pas d’archives familiales des La Haye de Silz et ce nom a disparu, le dernier à le porter étant décédé en 19032. Des reconstitutions historiques d’origine familiale3 apportent toutefois des éléments. La famille de La Haye de Larré, de très ancienne noblesse bretonne, – on retrouve sa trace dès le XIVe siècle –, est installée de part et d’autre de la Vilaine. Elle possède le manoir de la Cour de La Haie à Larré4, le manoir de Coroller (aujourd’hui La Carolais, à Camoël), le château de Silz à Arzal. En 1673, Pierre de La Haye de Silz acheta le fief de Lauvergnac, fief qui joua un rôle dans le conflit de Sébastien de Silz avec son père.

3 Sébastien est le fils aîné des huit enfants que compte cette famille noble en 1791. Six s’engagent contre la Révolution. Un ou peut-être deux frères (Sébastien et Auguste, qui sont parfois confondus) font partie de la conspiration de La Rouërie. Trois frères

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(Sébastien, Auguste, Jacques) participent à l’insurrection du printemps 17935 ; Jacques est arrêté et guillotiné en 1794, à 21 ans. Plusieurs sœurs sont également engagées6.

4 Sébastien de Silz a été incarcéré par lettre de cachet à Angers de 1781 à 1785, à la demande de son père et à la suite d’un conflit lié au décès de sa mère et au remariage de son père. Cet enfermement est évoqué par deux fonds d’archives : le fonds de l’intendance de Bretagne à Rennes retrace la procédure de son enfermement et de sa libération et un fonds des archives départementales du Morbihan donne des lettres de Sébastien lors de son emprisonnement. En s’appuyant notamment sur ces archives, cet article se propose deux objectifs liés : d’abord retracer la vie d’une famille intéressante du fait de son rôle en Bretagne durant la Révolution, et évoquer la vie de Sébastien de Silz et de sa famille avant la Révolution ; ensuite évoquer les raisons de l’enfermement de Sébastien de Silz en 1781, et ses efforts pour sortir de prison.

5 Sébastien n’a pas eu une jeunesse exemplaire et le conflit avec son père ne peut s’expliquer seulement par la dureté de ce dernier : les familles de la noblesse sont, comme les autres, affectées par les décès et les remariages. Mais le conflit de Sébastien avec son père a abouti à un enfermement de quatre ans. Les circonstances de cette détention apportent divers éléments sur la société d’Ancien Régime. Cet enfermement montre, à partir d’un cas concret, le fonctionnement des lettres de cachet et les circuits administratifs de ce système. Le paiement de la pension par la famille est un préalable indispensable à tout enfermement. La vie de celui qui est enfermé n’est pas rose : les lettres de Sébastien montrent comment l’existence d’un jeune homme plein de vie est bouleversée du jour au lendemain. Elles permettent de comprendre pourquoi l’enfermement dure quatre ans, alors que les faits de départ ne sont pas très graves. En outre, Sébastien engage, depuis sa prison, une procédure de retrait lignager ; cette procédure d’Ancien Régime, plutôt désuète, aboutit à un résultat étonnant : le fils, enfermé par son père et sans ressource, finance la rente viagère de son père. Les hommes et les femmes que Sébastien sollicite pour sa libération dessinent des alliances entre une moyenne noblesse locale et des membres de la haute noblesse, qui ont un pied à Versailles. Au travers de l’enfermement de Sébastien, les relations de la famille de La Haye de Silz avec d’autres lignages de la même région, les Cramezel de Kerhué et les Le Sénéchal de Kerguizé, sont mises en lumière, apportant un éclairage original sur la moyenne noblesse du Vannetais.

6 Dans une première partie, nous décrivons la famille de Sébastien de La Haye de Silz et nous retraçons la rupture familiale consécutive au remariage de son père. Nous évoquons ensuite le conflit entre Sébastien et son père et l’enfermement qui en découle (2e partie), enfin la libération de Sébastien et sa vie jusqu’au décès de son père en 1791 (3e partie).

La famille de La Haye de Silz et le décès de Marie Élie, mère de Sébastien

7 Le père de Sébastien, Jean-Sébastien de La Haye de Silz, est né en 1727 à La Ville-au- Fevre (Saint-Nazaire). Il est comte de Larré, seigneur de Coscat (Arzal), du Plessis, de Lauvergnac, de Trescalan, de Clis, de Kermoisan (Guérande), de La Ville-au-Fevre (voir la carte 1). Il poursuit une carrière militaire, puis épouse en janvier 1750 à Missillac Marie Élie (parfois Eslye), âgée de 17 ans, également de très ancienne noblesse bretonne7. Les deux premiers enfants, des garçons nés à Saint-Nazaire et Pénestin,

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meurent en bas âge ; puis vient Antoinette, née en 1753 à Saint-Nazaire. La famille s’installe en 1754 au château de Silz, que Jean-Sébastien reprend après le décès d’une cousine restée sans descendance. En ce château naît le 13 mars 1756 Sébastien Antoine Honoré Marie de La Haye de Larré de Silz, baptisé le lendemain en l’église d’Arzal ; c’est l’aîné des garçons. Ensuite viennent d’autres enfants, jusqu’à Jacques en 1773. Au total 14 enfants8 (voir tableau 1), dont 10 atteignent l’âge adulte et 8 sont encore vivants au décès de leur père en 1791. La jeunesse de Sébastien, ainsi que celle de ses frères et sœurs, paraît heureuse tant que leur mère est vivante9.

8 La famille, qui possède de nombreuses propriétés foncières, est à l’aise sur le plan économique. Elle ne fait cependant pas partie de la haute noblesse, au train de vie fastueux et qui accapare pensions et charges mais plutôt de la moyenne noblesse10, restée provinciale. Les de La Haye de Silz appartiennent à une noblesse d’épée, dans laquelle les garçons sont militaires, plutôt qu’à une noblesse de robe privilégiant des carrières administratives. La famille vit des revenus de ses terres, des soldes ou retraites militaires pouvant s’ajouter.

Carte 1 – Principaux lieux cités en Bretagne

9 Un évènement imprévu survient à Arzal durant l’hiver 1759-1760 : plusieurs vaisseaux de ligne français, poursuivis par les Anglais jusque dans la Vilaine, s’abritent au port de Vieille-Roche11 ; ils y resteront bloqués plusieurs années. Des officiers sont parfois invités au château de Silz. Jean-Sébastien participe – c’est une source de revenus pour lui – à l’approvisionnement de ces vaisseaux bloqués sur la rivière, en bas de son château.

10 Marie Élie se remet difficilement de la naissance de Jacques au début de 1773 ; elle semble épuisée par des grossesses successives. Antoinette de Cramezel de Kerhué, sa cousine germaine (sa mère est également une Élie), née la même année que Marie (1732) mais restée célibataire, vient l’aider et s’installe au château de Silz12.

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Tableau 1 : Les enfants de Jean-Sébastien de Silz (1727-1791) et de Marie Élie (1732 -1773)

1 Jean-Marie, baptisé le 21/12/1750 à Saint-Nazaire, décédé 13/1/1751 à Pénestin

2 Jean-Marie, baptisé le 29/3/1752 à Pénestin, décédé en 1752

Antoinette Renée Marie, née le 2/9/1753 à Saint-Nazaire, épouse le 11 floréal An II (30/8/1794) 3 Samuel Robin, officier républicain ; décédée le 12/10/1820 à Nantes [1 garçon] 13

Sébastien Antoine Honoré Marie, né le 13/3/1756 à Arzal, baptisé le lendemain, décédé le 4 9 prairial an III (28/5/1795) à Grandchamp

Marie-Françoise, née le 18/6/1757 à Arzal, épouse René Osmond de Centeville (dates de 5 mariage et de décès inconnues) [1 garçon]14

Auguste Marie, né le 9/11/1760 à Arzal, épouse le 10/1/1792 à Arzal Jeanne Marie de 6 Kermasson de Kervail (1773-1807), décédé le 4/1/1822 à Arzal [2 filles]15

7 Anne Marie Louise, née le 25/1/1762 à Arzal, décédée le 4/10/1789 à Guérande

8 Armand Désiré Marie, né le 12/10/1763 à Arzal, décédé le 21/2/1765 à Arzal

9 Anne Louise Marie, née le 16/10/1764 à Arzal, décédée en bas-âge à une date inconnue

Jean-Marie, né le 20/2/1766 à Arzal, épouse Jeanne Philippe (1762-1827) le 7/2/1792 à Pénestin, 10 décédé le 2 germinal an VII (22/3/1799) à Pénestin [2 garçons, dont 1 décédé en bas-âge]

11 Cassien Jean-Marie, né le 3/3/1767 à Arzal, prêtre, décédé avant son père (date inconnue)

Louis Marie, né le 29/7/1768 à Arzal, épouse le 21 nivôse an I (10/1/1793) Marie Hardoin à Saint-Nazaire, puis (après le décès de celle-ci) le 30 thermidor an VII (17/8/1799) à Herbignac 12 Marie-Jeanne Lizeul (1772-1814), décédé le 1er Thermidor an IX (20/7/1801) à Saint-Nazaire [pas de descendance connue]

Eugénie Armande, née le 6/2/1771 à Arzal, épouse le 13/8/1792 à Arzal Jean Benjamin Thomas 13 de La Borde [1 garçon et 1 fille], date de décès inconnue16

Jacques Marie, né et ondoyé le 10/2/1773, baptisé le 2/7/1788, condamné à mort et guillotiné à 14 Nantes, le 28 ventôse an II (18/3/1794)17

11 Marie Élie meurt le 19 décembre 1774 et est enterrée dans l’enfeu des Rhuys au couvent des jacobins de Guérande. Jean-Sébastien se remarie quelques mois plus tard, le 15 mai 1775 à Missillac. Il épouse, après dispense d’affinité, Antoinette de Cramezel de Kerhué ; cette dernière est la sœur de Jacques de Cramezel (1742-1795)18, qui a accompagné Bougainville lors de son tour du monde sur La Boudeuse. Les enfants n’apprécient pas le remariage ; aucun d’entre eux ne figure parmi les nombreux signataires de l’acte de mariage.

12 Jean-Sébastien et sa nouvelle épouse partagent leur temps entre le château de Silz, l’été, et, l’hiver, un hôtel que Jean-Sébastien a loué à Vannes, après la mort de sa première épouse, pour 500 livres par an ; cet hôtel est situé rue des Cordeliers. Jean- Sébastien dispose d’une chaise à porteurs pour son épouse, de deux voitures et de trois

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chevaux19. D’après Thomas de Bénéac (subdélégué de l’intendant de Bretagne à La Roche-Bernard), trois des quatre sœurs de Silz sont en pension dans des couvents, chacune pour 200 livres par an20 : l’aînée, Antoinette, dans un couvent près de Rennes, deux autres chez les carmélites de Ploërmel21; la dernière sœur habite avec son père et sa belle-mère. Le plus âgé des 5 frères de Sébastien, Auguste, est officier de marine ; les quatre autres sont au collège à Vannes.

13 Thomas de Bénéac note en 1783 que M. de La Haye de Silz lui parait « peu heureux en enfants ». Quelques années auparavant, une de ses filles a quitté nuitamment le domicile familial avec un garçon cuisinier et s’est placée comme domestique chez un cafetier. Son père l’y a fait arrêter et conduire chez les carmélites de Ploërmel, où elle est encore. Le père de Sébastien a envoyé en 1776 son fils à Rennes pour qu’il apprenne le métier des armes, payant à cet effet une pension de 400 livres par an mais Sébastien a entretenu à Rennes de très mauvaises fréquentations et s’est mis à boire. Il s’est engagé dans un régiment de dragons22. Sa conduite y fut si mauvaise – du moins c’est ce qu’affirme Thomas de Bénéac – que des officiers du régiment écrivirent à son père pour lui demander de l’en retirer. Au printemps 1781, Sébastien, qui n’est plus dans son régiment, est employé surnuméraire dans les Fermes des devoirs de Bretagne23. Il a donc cherché une réorientation : les emplois dans les fermes des impôts indirects offrent de nombreux emplois, très prisés, et qui constituent une alternative à une carrière militaire24.

14 Les lettres de Sébastien concordent sur de nombreux points avec les informations données par Thomas de Bénéac mais insistent sur le peu d’intérêt apporté par le père et la belle-mère aux enfants. Sébastien reproche à son père d’enfermer ses sœurs dans des couvents et de placer ses frères, très jeunes, dans les gardes de la marine à Brest (lettre du 17 décembre 1783)25. Le reproche de Sébastien paraît fondé, car ses sœurs sont au couvent et ne se marient pas : en 1783, Antoinette a 30 ans, et Marie-Françoise 26 ans. Aucun mariage d’enfant n’interviendra avant le décès de Jean-Sébastien en 1791 ; quatre enfants se marient alors très vite, en 1792 et 1793. Jacques avait été seulement ondoyé à sa naissance en 1773 et l’état de santé de sa mère n’avait pas permis qu’il soit baptisé de son vivant ; il ne fut baptisé qu’en 1788, à l’âge de 15 ans26 : la question de son baptême a été oubliée après le décès de sa mère.

15 Les tensions entre les enfants de Silz et Antoinette de Cramezel et sa famille persistent jusqu’en 1792-1793 : aucun Cramezel de Kerhué n’est invité à signer les actes de mariage d’Auguste (1792), Jean-Marie (1792), Eugénie Armande (1792), ou Louis Marie de Silz (1793).

La personnalité de Sébastien de La Haye de Silz

16 Sébastien est allé au collège, sans doute à Vannes ; ses lettres indiquent une bonne connaissance de la langue française et une certaine culture. On dispose à son propos d’une description de police, ainsi que pour son frère Auguste, donnée après l’insurrection du printemps 1793 ; elle n’est pas bienveillante : « Signalement des deux de Silz qui ont été à la tête des brigands. L’aîné des deux, âgé d’environ 39 à 40 ans, né à Silz paroisse d’Arzal, district de La Roche-Sauveur, taille environ 5 pieds 3,4 pouces, fluette, bien étagée, droit, beaucoup gravé de petite vérole, le teint bourgeonné comme un yvrogne, physionomie ronde et intéressante, il mâche beaucoup de tabac surtout en poudre. Il a servi quelque

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temps dans un régiment de dragons, il en est sorti avec une cartouche jaune. C’est lui qui au mois de mars dernier a livré aux brigands la ville de Guérande27… »

17 Cette « cartouche jaune » signifie que les déboires militaires de Sébastien étaient connus28.

18 Un témoignage plus favorable est celui du Vendéen Bertrand Poirier de Beauvais29, qui rencontre Sébastien de Silz en 1795 au moment de la signature des accords de La Mabilais (à Rennes), et se lie d’amitié avec lui. Poirier de Beauvais, souvent critique vis- à-vis des chefs chouans, parle à propos de Sébastien de sa loyauté, de sa bravoure, de son désintéressement, le voit comme un être sensible, d’« une délicatesse qu’il est difficile de peindre, d’un cœur aimant, fait pour n’avoir que des amis en ce monde. »

19 Sébastien est installé en 1781 à Guérande, où il mène joyeuse vie. Peu avant sa majorité –il a 25 ans en mars 1781 –, son père, mécontent de son comportement et peut-être inquiet de l’approche de cette majorité, rédige un placet demandant son enfermement par lettre de cachet du roi.

Lettre de cachet et arrestation de Sébastien

20 L’arrestation de Sébastien résulte d’une procédure compliquée. La délivrance de lettres de cachet manifeste la justice personnelle du roi. Certaines lettres de cachet correspondent à la volonté du souverain d’enfermer des opposants mais, le plus souvent, les lettres de cachet sont rédigées par l’administration royale à la demande des familles : le roi entend les protéger notamment contre la prodigalité ou les mésalliances. Des affaires sensibles, concernant souvent des familles nobles ou des ecclésiastiques, sont ainsi traitées discrètement30. La procédure est la suivante, selon J. Hautebert31 : la famille écrit un placet à l’intendant de la province ; ce placet détaille les faits répréhensibles qui motivent la demande d’enfermement. Le mémoire est signé par le principal requérant auxquels s’associent d’autres demandeurs, qui peuvent être de la famille ou des extérieurs32. Le placet précise le lieu d’enfermement, ce qui suppose l’accord préalable du responsable de ce lieu, et l’accord de la famille pour payer la pension ; le lieu d’enfermement peut être extérieur à la province, sans pour autant que soit dessaisi l’intendant qui a reçu le placet. Ce dernier est ensuite envoyé au secrétaire d’État à la maison du Roi qui, s’il est d’accord, réexpédie le placet à l’intendant et lui demande de s’enquérir de la véracité des faits énoncés. L’intendant fait faire une enquête sur place par son subdélégué local puis écrit au secrétaire d’État à la maison du Roi et émet un avis. Si la maison du Roi décide d’octroyer les « ordres du Roi », la lettre de cachet est expédiée à l’intendant en vue de son exécution. Lors de l’arrestation, l’officier de police présente la lettre de cachet à la personne arrêtée, qui est transférée dans le lieu de détention prévu. Le responsable du lieu d’enfermement signe la lettre de cachet, qui ne précise pas le motif d’enfermement.

21 Les demandes de lettre de cachet sont nombreuses au XVIIIe siècle, en Bretagne comme ailleurs. Les fonds de l’intendance de Bretagne aux archives départementales d’Ille-et- Vilaine comportent 1 700 dossiers de demandes de lettre de cachet pour les années 1731-1789 ; elles proviennent de familles à 78 %33. L’un des lieux d’enfermement, mentionné par J. Hautebert34 et utilisé par les familles bretonnes, bien que situé en Anjou, est la maison de force des frères des Écoles chrétiennes d’Angers, La Rossignolerie35.

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Première demande d’enfermement de Jean-Sébastien, au début de 1781

22 Le dossier de Sébastien de Silz à l’intendance de Bretagne comprend 17 pièces, relatives à l’enfermement de 1781, à la mise en cause de cet enfermement en 1783, enfin à la libération de 1785. Il est néanmoins incomplet et ne contient pas les deux placets envoyés en 1781 par Jean-Sébastien pour demander l’enfermement de son fils, ni celui de Sébastien en 1783 pour demander sa libération.

23 La première demande de Jean-Sébastien est de janvier 1781. Elle ne figure pas dans le dossier, et on ne sait pas si elle a été faite auprès de l’intendance de Bretagne, ou directement auprès de M. Amelot36, secrétaire d’État à la maison du Roi à Versailles. Elle est en tout cas répercutée auprès de l’intendance de Bretagne : Jean-Sébastien demande à ce que son fils soit enfermé à la prison du Taureau37 mais il ignore que cette prison n’accueille plus de pensionnaire à cette période ; il ne s’est donc pas entendu préalablement avec le responsable d’un lieu d’enfermement et sa demande ne peut alors aboutir. La demande de janvier 1781 est envoyée par l’intendant de Bretagne à son subdélégué à La Roche-Bernard, Thomas de Bénéac. Ce dernier explique par courrier à Jean-Sébastien de Silz qu’il doit trouver lui-même un lieu de détention. Jean-Sébastien de Silz vient le voir à La Roche-Bernard, puis lui écrit le 17 mars qu’il a contacté le supérieur de l’hospice de Saint-Méen à Rennes ; ce dernier n’a pas de place38.

24 Jean-Sébastien écrit le 9 avril 1781, directement à Versailles, semble-t-il, pour dire qu’il est peu fortuné, que le prix de la pension de Saint-Méen lui convient, mais que, comme il n’y a pas de place pour le moment, son fils pourrait être provisoirement enfermé dans une prison de Rennes. M. Amelot écrit le 12 avril à l’intendant de Bretagne, Caze de la Bove, en lui renvoyant cette lettre ; l’intendant transmet à son subdélégué le 18 avril et lui demande son avis. Thomas de Bénéac répond le 24 avril ; il confirme le contenu du placet de Jean-Sébastien, de façon sévère pour Sébastien : « Dans le temps mesuré où je reçus vos ordres, ce fils scandaleux et vraiment méprisable étoit depuis plusieurs jours dans un cabaret de notre ville avec un jeune homme de sa trempe, et lui et d’autres y donnaient des preuves les plus éclatantes d’inconduite ; d’ailleurs depuis longtemps, je suis personnellement convaincu de la crapule inconcevable dans laquelle croupit depuis plusieurs années M. de Silz fils ».

25 Selon Thomas de Bénéac, Jean-Sébastien hésite sur l’enfermement de son fils, notamment à cause du prix de la pension. Jean-Sébastien écrit de son côté à l’intendant de Bretagne le 25 avril, explique qu’il ne trouve pas de place et lui demande de trouver une place, pour un maximum de 400 livres par an. L’intendance de Bretagne considère que ce n’est pas son rôle et lui renvoie son placet fin avril.

La majorité de Sébastien et ses conséquences

26 Sébastien devient majeur le 13 mars 1781. Les biens de sa mère Marie Élie font l’objet d’un acte de partage le 16 mai 178139. Il est le seul enfant concerné ; Antoinette, également majeure, ne bénéficie pas du partage, ne l’ayant peut-être pas exigé. Il hérite de sa mère, et donc de la famille Élie, d’une maison au bourg de Missillac, et de terres affermées. Les fermages rapportent 189 livres par an. La propriété sert de base au versement d’une rente établie sur la base d’une valeur de la propriété de 1120 livres. L’héritage de Sébastien est soumis à de fortes contraintes, sans doute voulues par son

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père et il ne peut en espérer qu’une cinquantaine de livres de revenu par an. Un certain Chailloux de l’Étang perçoit les revenus de la propriété et verse une rente à partir de ces revenus, pour 2/3 aux demoiselles Michelle et Jeanne Françoise Cramezel de Kerhué (sœurs d’Antoinette de Cramezel) et pour 1/3 à Marie Élie (ou son époux)40. Sébastien de Silz s’engage à en rester au système en cours, ou, s’il en change, à payer lui-même la rente des demoiselles de Kerhué. Jean-Sébastien a gardé le droit de stocker ses récoltes dans un grenier de la maison de Missillac.

27 Sébastien dépense trop ; en particulier, il achète de beaux vêtements41. Pour pouvoir régler ses achats, il vend à Jean Loiseau, marchand de bois, le 21 juin 1781, des terres de Missillac pour environ 400 livres, et le 22 août 1782 la maison de Missillac et d’autres terres pour 1 500 livres. Dans les deux cas il est prévu qu’une partie de la somme sera payée par Loiseau après la vente. Le 22 août, apparaît dans les actes un certain Le Pied, marchand de draps de soie à Guérande, à qui Sébastien doit de l’argent. Le Pied accepte d’être payé par ce dernier en échange d’une créance d’environ 200 livres qu’il a sur Loiseau depuis le 21 juin, correspondant à la partie non payée de la première vente.

28 Loiseau ne verse pas tout qu’il doit à Sébastien de Silz ; Le Pied n’est pas non plus payé par Loiseau et se retourne contre ce dernier. Les demoiselles de Cramezel, inquiètes pour le paiement de leur rente, intentent dès juillet 1781 une action contre Loiseau au tribunal de La Roche-Bernard, en demandant que les biens achetés par Loiseau à Missillac soient saisis à titre conservatoire42. Elles mettent en garde Sébastien de Silz, dont elles affirment que les dépenses sont considérables ; elles lui rappellent qu’il est responsable du paiement de leur rente. Elles intentent ensuite plusieurs autres actions au tribunal, notamment une action en retrait lignager43 pour reprendre à Loiseau les biens de Missillac ; en mars 1782, elles assignent Sébastien de Silz et lui demandent de payer 1 200 livres. Entre-temps, fin janvier 1782, Jean-Sébastien de Silz est intervenu au même tribunal de La Roche-Bernard : il expose que son fils est maintenant enfermé en vertu d’ordres du roi dans la maison de la Rossignolerie à Angers et ne peut plus gérer ses biens. Il a obtenu du présidial de Vannes le 21 janvier 1782 le droit de les administrer à sa place44. Il fait sommation à Loiseau de payer et s’engage pour lui-même dans une procédure de retrait lignager, concurrente de celle des demoiselles de Cramezel45.

29 Sébastien a agi de façon irréfléchie en vendant la propriété de Missillac ; les sommes en jeu ne sont pas très importantes, mais il s’est attiré de nombreuses inimitiés, notamment au sein de sa famille.

Aboutissement de la lettre de cachet

30 Les évènements précédents ont incité Jean-Sébastien à reprendre la recherche d’un lieu d’enfermement pour son fils. Il écrit début septembre à Versailles pour dire qu’il est tombé d’accord avec la maison des frères des Écoles chrétiennes d’Angers. M. Amelot écrit à l’intendant de Bretagne à ce propos le 9 septembre 178146 et répond parallèlement à Jean-Sébastien qu’il n’a pas de dossier au nom de Sébastien : il n’y a plus de procédure en cours, puisque la procédure précédente a été interrompue.

31 Jean-Sébastien s’adresse le 10 novembre 1781 à l’intendant de Bretagne, se plaint du rejet de sa demande précédente et renvoie un nouveau dossier complet, avec l’accord du Supérieur de la maison d’Angers, le frère Liboire. L’intendant de Bretagne envoie ce

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dossier le 20 novembre à M. Amelot ; il donne son accord pour une lettre de cachet et justifie en même temps l’arrêt de la procédure précédente : « Je crois donc que pour arrêter les désordres du sieur de La Haye, il est à propos d’accorder à son père les ordres du Roi qu’il sollicite. Si j’ai tant tardé à vous rappeler cette affaire, c’est que le père du sieur De La Haye ne pouvant trouver de maison dont le prix put lui convenir, et d’ailleurs espérant toujours que son fils reviendrait de ses égarements, on lui avait renvoyé toutes ses pièces le 25 avril dernier. »

32 Le dossier comprend une pièce par laquelle Jean-Sébastien s’engage à payer 522 livres. Le 23 novembre, M. Amelot donne son accord et joint la lettre de cachet. Le secrétaire de l’intendant de Bretagne, Claude Petiet, écrit le 28 novembre à Thomas de Bénéac, lui donne l’ordre d’arrêter Sébastien et joint la lettre de cachet. Thomas de Bénéac répond le 8 décembre 1781 : il vient d’envoyer une brigade de la maréchaussée de La Roche- Bernard pour arrêter Sébastien et le conduire à Angers. La brigade a reçu une somme de 522 livres pour une année de pension ainsi que pour les frais de capture et de transport de Sébastien47. Ce 8 décembre 1781, Sébastien de Silz est arrêté à Guérande, dans le logement qu’il loue chez Me Hardoin ; il est transféré à La Rossignolerie, où il entre le 11 décembre48. Ses ennuis ne s’arrêtent pas là : il avait quitté son régiment de dragons pour s’installer à Guérande ; quelques jours après l’avoir conduit à Angers, la maréchaussée de La Roche-Bernard reçoit l’ordre de l’arrêter comme déserteur49.

La vente de la seigneurie de Lauvergnac

33 Quelques jours après, le 24 décembre 1781, Jean-Sébastien de Silz vend la seigneurie de Lauvergnac. Cette dernière était, au XVIIe siècle, la propriété de Pierre de La Haye de Silz. Elle était alors centrée sur le château de Lauvergnac (aujourd’hui commune de La Turballe), mais elle comprennait des terres au nord de ce château, jusqu’à La Roche- Bernard. À la suite d’un double mariage de Pierre de La Haye de Silz50, la seigneurie de Lauvergnac fut divisée en deux parties à partir de 1749, avec d’un côté la seigneurie de Lauvergnac en Piriac et Guérande, centrée sur le château de Lauvergnac, et de l’autre la seigneurie de Lauvergnac en Herbignac et Férel, qui appartient à Jean-Sébastien de La Haye de Silz. Cette seconde seigneurie ne comporte pas de château, mais des terres, un hameau (Lauvergnac, à Herbignac), des maisons et deux moulins.

34 La vente s’effectue en faveur de Pierre Marie Le Sénéchal de Kerguizé et de son épouse Marie-Geneviève Maudet de Penhouët. La famille Le Sénéchal de Kerguizé, de vieille noblesse bretonne, réside à la belle saison dans son château de Cohanno et passe l’hiver à Vannes. L’acte de vente est signé en l’hôtel de Jean-Sébastien de Silz dans cette ville ; il a disparu, mais nous disposons d’un résumé de cette vente chez le notaire et de copies partielles dans d’autres actes. Le prix de vente est de 40 000 livres51 : d’une part un principal de 6 000 livres, qui ne paraît pas mentionné dans l’acte et ne fait l’objet d’aucune quittance, ce qui aura des conséquences importantes ; d’autre part une rente viagère de 4 000 livres52 par an, sur deux têtes, celle de Jean-Sébastien et celle de son épouse Antoinette. Le prix de 40 000 livres peut paraître élevé, car il n’y a pas de château. À titre de comparaison, le château de Silz sera vendu en 1797 pour 27 000 francs (environ 27 000 livres). Mais la seigneurie de Lauvergnac comporte un grand nombre de terres et de maisons, ce qui explique son prix. Accompagné de deux notaires, Pierre Marie Le Sénéchal de Kerguizé entre en possession de la seigneurie le 30 janvier 1782 ; l’entrée en possession se déroule jusqu’au 27 mars 1782 et nécessite 36

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jours de travail des notaires. Un acte très long et précis de 179 pages décrit les éléments de la seigneurie, maison par maison53. Les maisons et les terres se trouvent sur Herbignac, Férel, et La Roche-Bernard.

35 Pourquoi Jean-Sébastien vend-il Lauvergnac juste après l’incarcération de son fils ? Dans son rapport de 1783, Thomas de Bénéac répond que c’est peut-être pour payer les pensions de ses enfants et celle de Sébastien. On peut se demander si ce n’est pas pour assumer un train de vie élevé et si l’enfermement de Sébastien ne favorise pas une vente à laquelle il se serait opposé. La vente de Lauvergnac aggrave le conflit entre le père et le fils.

Les années d’enfermement

La nouvelle vie de Sébastien

36 La Rossignolerie, aujourd’hui lycée David d’Angers à Angers, a été achetée en 1773 par les frères des Écoles chrétiennes. Outre l’institut éducatif, La Rossignolerie comporte une maison de force, avec une soixantaine de détenus de force (dont des aliénés)54. L’institution, dont les plans de l’époque nous sont parvenus55, a des locaux séparés pour les pensionnaires ordinaires et les détenus de force, qui ont une cour et un réfectoire à part. La chapelle seule réunit les deux publics mais les détenus de force accèdent à une tribune de la chapelle par une entrée séparée et ne sont pas en contact avec les autres pensionnaires.

37 La vie de Sébastien à La Rossignolerie nous est connue grâce à la correspondance reçue par son avocat Me Guibert, gradué en droit et avocat au parlement de Bretagne. Cette correspondance se trouve aujourd’hui dans le fonds Le Sénéchal de Kerguizé des archives départementales du Morbihan56. Guibert est aussi l’avocat de Mme de Kerguizé, puis son chargé d’affaires pour Lauvergnac ; révoqué par elle en 1787, il lui a vraisemblablement rendu sa correspondance concernant Lauvergnac, ce qui explique la présence des lettres de Sébastien de Silz dans ce fonds. La correspondance contient 16 lettres écrites par Sébastien de Silz à Me Guibert, la première le 17 novembre 1782, la dernière le 11 février 178457. D’autres lettres concernant Sébastien et reçues par Guibert sont également dans ce fonds, par exemple une lettre de la marquise du Guesclin ou une lettre du frère Eunuce58. À La Rossignolerie, Sébastien peut recevoir des visites ; il peut également écrire et recevoir des lettres, même si le courrier est préalablement lu. Il a obtenu le droit de gérer ses affaires, certainement après une procédure d’appel contre la décision du 21 janvier 1782 du présidial de Vannes qui en confiait la gestion à son père ; dès le mois de juillet 1782, Guibert est son avocat, et Sébastien lui donne des ordres sur ses affaires.

38 Sébastien se plaint dans presque toutes ses lettres d’être enfermé contre sa volonté. Il écrit par exemple le 27 juillet 1783 : « Liberté, ma chère liberté ; je suis né français et je suis esclave ». Il ne fait pas de reproche particulier à La Rossignolerie et a en bonne estime les frères, notamment le frère Eunuce et le frère Liboire. Au bout de quelques mois, il change de bâtiment à l’intérieur de La Rossignolerie (lettre du 27 février 1783)59 : « Il y a longtemps que j’ai quitté le logement où vous m’aviez vu60. Le marquis du Guesclin voulut bien en demander un autre qu’il obtint du Directeur par le bon témoignage que rendit de ma conduite le frère Antoine qui nous dirigeait. Je

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pouvais me promener toute la journée. Depuis nous sommes dans le nouveau bâtiment et je n’ai pas lieu de me plaindre. Car enfin, je suis prisonnier, je dois paraître coupable et en subir le sort. »

39 Les pensionnaires, s’ils ont de l’argent, peuvent améliorer leur ordinaire : on peut acheter du bois pour faire du feu ; Sébastien (lettre du 12 octobre 1783) évoque la possibilité d’acheter une pièce de vin d’Anjou pour 50 livres. Il décrit ainsi sa vie, non sans humour (lettre du 27 août 1783) : « Personne n’est aussi sensible que moi, j’en suis honteux mais je suis né ainsi. Comme j’oublie dans le moment ici mes malheurs passés, et que je me flatte de l’espoir de vous voir en peu, je travaille jours et nuits à élever et démolir des châteaux en Espagne, digne et seule occupation d’un grand homme tel que moi. Car quant à l’écriture, on ne s’amuse pas ici à de telles bagatelles. Ce n’est pas l’ordre de la maison : être sage et exact observateur des règles, voilà tout ce que l’on exige, voilà à quoi je m’étudie ; aussi, ai-je la consolation de vivre assez tranquille. Dans mon malheureux état, je n’ai qu’à me louer de la manière honnête dont le frère Liboire, notre directeur, a travaillé à faire expédier mes affaires. Je suis redevable à tout le monde. C’est dans mon malheur ma seule consolation. »

40 Et (lettre du 27 juillet 1783) : « Au sujet de l’écriture et du chiffre, ce n’est pas la coutume d’enseigner les pensionnaires de force ; aussi on ne le fait pas. Quant à la promenade, il n’y a point de distinction ; ici, tout le monde sort à certaines heures et rentre de même. Voilà la règle et il faut s’y conformer. »

41 La direction de l’établissement, dans un souci d’anonymat des pensionnaires et d’égalité entre eux, les oblige à prendre des pseudonymes. Ils sont appelés et s’appellent entre eux du nom d’un saint ; pour simplifier le service du courrier, il est recommandé que le courrier reçu porte le nom de ce saint. Sébastien de Silz s’appelle « saint Félix61 » ; il signe ses deux dernières lettres (8 janvier et 11 février 1784) de ce nom et demande à Guibert de lui envoyer son courrier avec ce nom sur l’enveloppe.

42 Le frère Eunuce, dans une lettre du 6 décembre 1782 à Guibert, explique que Jean- Sébastien est en retard pour le paiement de la pension. Sébastien se plaint dans ses lettres de l’attitude de son père et de sa belle-mère, sur le plan affectif et financier. Il considère que son père l’a trompé lors de la succession de sa mère, en s’appuyant sur la faiblesse du notaire (lettre du 24 mai 1783). Son père s’est ensuite approprié des récoltes du grenier de Missillac qui devaient lui revenir en partie (lettre du 23 décembre 1783). Il ajoute dans cette dernière lettre : « De tout ce que ma mère possédait, il n’avait rien fait passer dans l’inventaire que la montre qu’il m’avait donné et qu’il m’a bien fait payer. Il a vendu chez Deguye à Nantes la boëte d’or et le reste pour acheter une toilette d’argent à Madame la Comtesse et voilà comment mon père en a agi à mon égard, ne m’ayant jamais donné un sol, exigeant quittance de moi pour tout ce qu’il me donnait et d’après même mes quittances il ne m’en envoyait pas le montant. A la vérité, Mme de Silz me marquait qu’on y aurait eu égard, j’en doute. Il ne m’a donné que sept chemises depuis deux ans que je suis renfermé. J’ai été obligé d’en rendre deux que je devais. Resté à cinq. On nous rend le linge que tous les mois d’hiver, aussi je suis forcé à porter des lambeaux. Cela paraît incroiable, mais c’est la vérité. J’ai eu l’honneur de lui écrire une fois et je lui marquais que deux ans de prison pourraient bien faire oublier mes fautes ou que sinon, j’espérais qu’il ne trouverait pas mauvais que je sollicite auprès du ministre pour obtenir une espèce de liberté sans sortir de la maison où j’étais, ou, si cela était impossible, comme cela l’est, dans un château et que je ne craignais pas de vivre sous les yeux de gens qui sans partialité auraient pu rendre à sa majesté un témoignage de ma façon d’agir. Il ne

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m’a pas répondu mais je gémis toujours dans l’espoir et jamais je ne vois la fin de mes maux. »

43 Sébastien n’est pas tendre avec sa belle-mère (lettre du 17 décembre 1782) : « Je ne puis pas être plus malheureux que depuis que j’ai une marâtre, car tant que cette charmante femme vivra, mon père pensera toujours de la même façon. » Et dans sa lettre du 4 octobre 1783 : « Vous savez que les de Silz, de tout temps bonne pâte de gens, ont été en femme les plus malheureux de tous les hommes. J’en ai même un exemple de bien frappant devant les yeux. »

44 Jean-Sébastien de Silz était en froid avec son frère cadet Honoré, le chevalier de Silz, officier au régiment d’Enghien. Ce dernier avait désapprouvé le remariage de Jean- Sébastien. Selon Sébastien, sa belle-mère avait tout fait, pour réconcilier le chevalier avec son père, en lui permettant notamment de passer l’hiver au château de Silz, alors qu’il passait ses congés d’hiver chez un cousin à Rennes, pour empêcher Sébastien d’en faire un allié (lettre du 17 décembre 1783) : « Le chevalier de Silz étant réconcilié avec mon père, il ne voudra sûrement pas rompre avec lui et avec Mme de Silz pour moi ? Je ne le blâme pas, le chevalier doit être fort content d’avoir la maison de mon père pour passer les cartiers d’hiver et je crois pouvoir vous assurer que c’est encor un coup parti de la rusée Mme de Silz car enfin, quand mon père l’épousa, le chevalier, qui était chez mon oncle de Kerhaude lui écrivit. Mon père ne voulut point le voir et Mme de Silz ne le sollicita qu’autant que la bienséance l’exigeait. J’étais pour lors à la maison mais maintenant que je suis renfermé et qu’elle ne voit point mes frères qui sont dans la marine, qu’elle a fait mettre mes sœurs au couvent et n’ignorant pas que le chevalier comme frère de mon père pouvait beaucoup et par rapport à moi pour me tirer d’ici et par rapport à elle-même pour empêcher la dissipation qu’elle fait des biens de mon père, elle ne l’a fait venir chez elle que pour en faire ce qu’elle voudra. Si vous voyez mon oncle, il vous dira sûrement le portrait qu’elle lui a fait de moi. Il vous dira aussi qu’il a vu une lettre d’un de mes officiers et une du marquis de Sérent62 : je sais ce qu’elles contiennent, je les ai vu avant lui. Je souhaite qu’il s’intéresse à mon sort. »

45 Sébastien reconnaît des fautes dans son comportement dans une lettre à son père (lettre citée plus haut du 24 mai 1783), et dans d’autres lettres : « J’ai été jeune et étourdi » (lettre du 12 octobre 1783) ; « Faites paraître aux yeux du ministre ma conduite telle qu’elle a été, soit au régiment, soit en Bretagne. L’une ne fait pas mon éloge mais l’autre parle bien en ma faveur car l’on est toujours repentant lorsqu’on reconnaît sincèrement ses fautes » (lettre du 27 juillet 1783).

46 Malgré les reproches qu’il lui adresse, Sébastien n’est pas rancunier envers son père (lettre du 12 octobre 1783) : « Vous me marquez que mon père est indisposé : je l’ignorais, je ne suis pas assez heureux pour recevoir de ses nouvelles. Aussi, le plus grand plaisir que vous puissiez me faire, c’est de m’en donner toutes les fois que vous m’écrirez. Quoique malheureux par son ordre, personne ne l’aime plus sincèrement que moi et ne désire plus ardemment le rétablissement de sa santé. S’il avait voulu croire des gens bien intentionnés, je serais Capitaine de Dragons. »

47 Il hésite même, pour sa défense, à signer lui-même le placet de son avocat et à critiquer publiquement son père (lettre du 6 février 1783) : « Je trouve fort inusité de [m’] avoir fait signer votre placet étant renfermé, je suis sensé ignorer tout ce que peut faire mon père. De plus, je vous avoue que vouloir être soi-même l'accusateur de son père, répugne trop à la nature. Je sais que mon père a bien des torts mais il n’est pas de moi à le juger, c’est à ma famille, qui doit faire le tout pour le mieux. Tâchez d’avoir mon élargissement, voilà ce que je

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souhaite, d’après cela je suis un Caton capable de supporter tous les malheurs qui peuvent arriver dans la vie, puisque je vis encore et me porte assez bien, moi qui suis depuis quatorze mois privé de ma liberté, de ce trésor de la vie, de ce bien si naturel à tous les hommes nés libres. »

48 Sébastien, dès qu’il a un avocat, organise sa défense pour être libéré et contre-attaque à propos de Lauvergnac. Nous commençons par ce second point.

Contre-attaque à propos de Lauvergnac

49 Sébastien s’oppose à la vente de Lauvergnac en entamant une procédure de retrait lignager contre la famille Le Sénéchal de Kerguizé. Le retrait lignager est une procédure d’Ancien Régime par lequel un tiers, le « retrayant », se substitue à l’acquéreur d’un bien pour se l’approprier. Il permet aux membres d’un lignage de reprendre un bien qui est vendu au membre d’un autre lignage, à condition de rembourser à l’acquéreur le prix d’achat du bien. S’il bénéficie du retrait lignager, Sébastien de Silz pourra reprendre la seigneurie de Lauvergnac, à condition de rembourser la famille de Kerguizé.

50 La demande de retrait lignager de Sébastien sur Lauvergnac a été précédée d’une demande de M. et Mme de Rivière, qui sont des cousins des de Silz63. Il y a donc deux demandes concurrentes de retrait lignager pour Lauvergnac. M. et Mme de Rivière, en étudiant l’acte de vente de Lauvergnac, ont constaté que le principal de 6 000 livres n’était pas mentionné et qu’on n’évoquait pas de quittance donnée lors de l’achat pour cette somme. La famille de Rivière avance donc que ce principal n’existe pas ou n’a pas été payé (il a sans doute été payé, mais dissimulé pour des raisons fiscales). Comme, juridiquement, le principal est inexistant, il suffit de verser la rente viagère annuelle de 4 000 livres pour devenir retrayant de Lauvergnac. Une décision en appel du parlement de Rennes du 4 avril 1782 tranche sur ce point en faveur de la famille de Rivière64, sans cependant leur attribuer le retrait lignager, qui fera l’objet d’une décision ultérieure. La demande de retrait lignager de Sébastien de Silz, représenté par Guibert, arrive au tribunal d’Assérac en juillet 1782, en concurrence avec la demande de la famille de Rivière. Le 26 août 1782, le tribunal d’Assérac privilégie la demande de Sébastien, plus proche sur le plan familial ; il est maintenant « retrayant » de Lauvergnac65, se fait appeler « Monsieur de Lauvergnac » et signe des lettres sous ce nom.

51 Compte tenu de la décision précédente du parlement de Rennes, Sébastien n’a pas de principal à rembourser à la famille de Kerguizé ; il doit seulement lui verser 4 000 livres de rente annuelle, que la famille de Kerguizé reversera à M. et Mme de Silz. Sébastien se retrouve dans une situation singulière : bien qu’enfermé à La Rossignolerie par son père, il finance lui-même la rente viagère de son père et de sa belle-mère. Sébastien compte sur les revenus de Lauvergnac pour payer la famille de Kerguizé ; en 1782 et 1783, il perçoit, par l’intermédiaire de Guibert, ces revenus et effectue des reversements à Pierre Marie de Kerguizé, qui lui en donne quittance66. Sébastien de Silz ne peut pas payer 4 000 livres par an : comme l’indiquent les livres de comptes de Lauvergnac67, les recettes de la seigneurie sont d’environ 2 000 livres par an. Sébastien, enfermé et sans autre ressource, ne pourra pas payer à la longue. C’est ce qu’a compris la famille Le Sénéchal de Kerguizé, qui, déçue de la décision judiciaire, fait contre mauvaise fortune bon cœur ; elle pense que tout ceci se terminera avec la libération de Sébastien, qu’il vaut mieux garder de bonnes relations avec lui et l’aider à être libéré.

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Comment sortir de La Rossignolerie ?

52 Sébastien fait tout ce qu’il peut pour être libéré ; son avocat escompte au début une libération rapide, qui ne se produit pas. Sébastien mobilise famille et amis, et intervient auprès de la maison du Roi. Il a sans doute tenté d’impliquer ses frères et sœurs mais ils avaient peu de moyens, étant tous mineurs sauf Antoinette, placée dans un couvent. Auguste de Silz, officier de marine, participe à ce moment à la guerre d’indépendance américaine : il est blessé lors du combat des Saintes en avril 178268, emprisonné à La Jamaïque et en Angleterre. Leur père n’entendait pas les arguments de ses enfants.

53 Dans les lettres reçues par Guibert, Sébastien dit avoir écrit à de nombreux oncles ou cousins plus ou moins proches, son oncle le chevalier de Silz, son oncle de Kerhaude à Rennes, son oncle de Couëssel, son cousin Payen, les cousins de Sérent, d’autres qui sont peut-être seulement des amis, le marquis de Grégo, Mme de la Bretèche, Mme de Chalus. Il est également en relation avec le marquis du Guesclin, la marquise du Guesclin, enfin la duchesse de Gesvres (née du Guesclin).

54 Ces membres de la famille du Guesclin sont probablement des cousins éloignés. Il existe à cette époque encore deux branches de la famille du Guesclin, la branche La Roberie, et la branche de Beaucé. Françoise Marie du Guesclin, née en 1737, a épousé le duc de Gesvres et sera la dernière descendante de la branche La Roberie. L’autre branche, installée à Beaucé en Anjou, a pour dernier descendant Bertrand Henri Michel du Guesclin, né en 1743. Le marquis du Guesclin, dont la marquise du Guesclin est la mère, n’est pas marié ; il est brigadier dans les chevau-légers de la garde, maître de camp d’infanterie, et est souvent à Versailles. Si la duchesse de Gesvres ne répond pas aux sollicitations, le marquis du Guesclin est sensible à l’enfermement de Sébastien ; il vient souvent le voir à La Rossignolerie, mais il est absent à certains moments et malade. La marquise du Guesclin agit également en faveur de Sébastien : elle envoie auprès de lui diverses personnes, dont l’abbé de Villeneuve, doyen de l’église d’Angers. Ce dernier rend visite une fois à Sébastien puis écrit à Guibert le 7 octobre 1782 qu’il n’ira plus : le lieu n’est pas « attrayant » et « il y a toujours du risque à se mêler des affaires des personnes qui y sont détenues ou par ordre du Roy ou par la volonté de leurs parents ».

55 Une première tentative pour libérer Sébastien a lieu dès la première année. Le frère Eunuce s’en fait l’écho dans une lettre à Guibert (6 décembre 1782), en évoquant une lettre de Jean-Sébastien de Silz : « il [Jean-Sébastien] ignore le projet qu’a la famille de notre pensionnaire de le retirer à la fin de son année qui sera le 11 courant ». Cette première tentative aboutit début 1783 à l’envoi d’un placet à M. Amelot, signé par Sébastien, avec des lettres de soutien de personnes de sa famille et d’amis ; ce placet n’a pas été conservé, mais Thomas de Bénéac donne des éléments sur son contenu dans sa lettre du 6 avril 1783.

56 Une autre tentative pour le faire libérer se met en place ensuite : elle vise à remettre un placet directement à M. Amelot. Sébastien signe un texte, rédigé par Guibert et envoyé au marquis du Guesclin par l’intermédiaire de sa mère ; il écrit à Guibert le 27 février 1783 à propos de ce placet : « Je l’ai lu et signé le 24. Mme [du Guesclin] partait pour Paris le lendemain. Elle veut bien s’en charger et je ne doute point que son fils ne le présente lui-même à Mr Amelot. Avant sa maladie et son départ pour Paris, il venait me voir deux fois par semaine et m’a toujours promis de s’intéresser pour moi. Aussi j’espère que nous réussirons. »

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57 La chance n’est pas du côté de Sébastien : le marquis du Guesclin est très malade et meurt à Paris le 20 mars 178369. Le placet ne sera jamais présenté. Toutefois, une autre intervention, de la part de Pierre Marie Le Sénéchal de Kerguizé, a lieu à peu près au même moment ; elle a permis de rencontrer M. Amelot et montré que Jean-Sébastien de Silz restait seul maître de la décision de maintenir en détention son fils, qui raconte ainsi les évènements (lettre du 5 avril 1783) : « Mme la marquise du Guesclin, comme vous le savez, se chargea de mon placet et devait le faire présenter par Mr son fils. Jugez de la douleur en arrivant à Paris. Mr se trouve mourant et quelques jours après, l’incroyable mort m’enlève un sincère ami et un respectable protecteur. Vous devez bien penser que dans un si triste moment, Mme toute accablée à sa douleur, n’a guère pensé à mes affaires et en voilà la preuve : j’ai reçu en date du 28 mars, une lettre de Mr de Kerguizé qui me marque qu’il a été voir Mr Amelot avec son parent le Comte de Carcado, lieutenant général des armées du roi, aux fins d’obtenir ma liberté. Telle fut, pour conclusion, la réponse du ministre : la moindre lettre de son père lèvera tous les obstacles et obtiendra sa liberté. Mr de Kerguizé ne m’en dit pas davantage, si ce n’est qu’il me marque qu’il est sur le point de partir pour Vannes et qu’il fera son possible auprès de mon père. Cela ne m’offre pas une heureuse perspective, toutes vos peines et vos soins ont été en vain : je suis né malheureux, il faut que je subisse mon malheureux sort. »

58 Sébastien semble ensuite découragé, dépressif. Son écriture est très nerveuse, malhabile (lettre du 27 juillet 1783). Toutefois, il se reprend vite. Après le premier placet, Amelot envoie le 15 mars 1783 une lettre à l’intendant de Bretagne en demandant des explications, car les arguments de Sébastien lui semblent mériter attention : « C’est, Monsieur, sur votre avis que j’ai expédié le 23 novembre 1781 les ordres du Roi en vertu desquels le sieur de La Haye de Silz a été conduit dans la maison des Écoles chrétiennes d’Angers. Il demande sa liberté par le mémoire que vous trouverez ci-joint. Ses représentations paroissent mériter quelques attentions. Je vous prie de vous en faire rendre compte et de me marquer ce que vous en pensez. »

59 Le placet de Sébastien est transmis le 17 mars à Thomas de Bénéac. Ce dernier répond le 6 avril par un rapport assez long sur Sébastien et sa famille, déjà évoqué dans la première partie de cet article ; il est à charge contre Sébastien et démonte systématiquement tous ses arguments. Thomas de Bénéac remarque que, parmi les personnes qui se sont associées à ce placet, peu sont de sa famille, seulement les Payen, père et fils, alors que Sébastien a à Guérande d’autres gentilshommes de sa famille, M. de Couëssel, M. de la Bourdonnaie, M. de Trévelec, qui ne se sont pas joints à la demande de libération. Thomas de Bénéac nous apprend néanmoins que quatre prêtres, un avocat, deux procureurs, un chirurgien, et d’autres personnes se sont associés au placet : c’est peut-être ce qui a inquiété à Versailles. Il minore systématiquement l’importance de ces soutiens, souligne que les deux procureurs sont du même siège, que certaines personnes ne sont pas de Guérande. Le placet de Sébastien critique les affaires financières et les ventes conduites par son père depuis qu’il est enfermé ; au contraire Thomas de Bénéac les défend, justifiant des ventes qu’il ne connaît pas toujours bien. L’une d’elles associe Jean-Sébastien à son frère le chevalier de Silz, dans un remboursement commun de dette : elle explique peut-être pourquoi ce dernier n’est pas intervenu pour soutenir son neveu. En ce qui concerne la vente de Lauvergnac, Thomas de Bénéac affirme que le retrait lignager de Sébastien est une simulation et que Le Sénéchal de Kerguizé continue à signer les papiers de Lauvergnac, ce qui est faux70.

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Sébastien critiquait également les avantages consentis à sa belle-mère lors du contrat de mariage de 1775, avec un douaire de 20 000 livres en faveur d’Antoinette de Silz ; cette somme ne paraît pas exagérée à Thomas de Bénéac. Ce dernier conclut que le mémoire de Sébastien est faux ou exagéré. Les pièces remises par son père en 1781 « manifestent le danger qu’il y auroit à lui rendre sa liberté ». Sur la base de ce rapport, l’intendant de Bretagne conclut la lettre qu’il envoie à M. Amelot en affirmant : « les représentations du sieur Delahaye ne méritent aucun égard ». Sébastien reste emprisonné.

60 La libération semble maintenant devoir venir de Bretagne. Des interventions sont faites auprès du père de Sébastien. Sébastien, qui pense que l’évêque de Vannes a participé à la demande de lettre de cachet, charge Guibert d’agir auprès de lui (lettre du 22 octobre 1783)71 et lui demande aussi d’aller voir M. de Kerguizé pour qu’il intervienne à nouveau. Mais Jean-Sébastien de Silz ne veut pas que son fils sorte de La Rossignolerie. D’autres raisons feront retrouver la liberté à Sébastien.

La sortie de La Rossignolerie

61 Les relations de Sébastien avec son avocat et avec la famille de Kerguizé se dégradent. Il est libéré en 1785 et Lauvergnac reste à la famille de Kerguizé. Jean-Sébastien meurt quelques années plus tard, en 1791.

Les relations de Sébastien de Silz avec Me Guibert et avec la famille de Kerguizé

62 Dans sa lettre du 11 février 1784 à Guibert, la dernière dont nous disposons, Sébastien s’étonne que son avocat ne lui ait pas rendu compte de l’entrevue qu’il a eue avec son père ; il veut faire un nouveau placet, par l’intermédiaire de Guibert. Son cousin de Trévelec lui a écrit, il lui a dit que lui et d’autres parents le soutenaient, comme la comtesse de Francheville ; que son oncle le chevalier de Silz l’aimait beaucoup et serait prêt à faire quelque chose pour lui. Pour cette nouvelle tentative, Guibert devait contacter le comte de Goyon, lieutenant général de la province, la duchesse de Gesvres ou la duchesse de Lorge (dont il dit qu’elle est sa parente) pour qu’ils présentent le placet au baron de Breteuil, nouveau secrétaire à la maison du Roi depuis l’automne 1783. Guibert, avec qui Sébastien a jusque-là de bonnes relations personnelles, n’est pas très actif. Né en 1710, il a 74 ans en 1784 et traite les affaires de Sébastien avec une certaine distance. Par ailleurs, il est aussi depuis longtemps le chargé d’affaires de Mme de Kerguizé. Il est dans une situation délicate vis-à-vis de Sébastien, à mesure que les relations de celui-ci se tendent avec la famille de Kerguizé. Sébastien a sans doute changé d’avocat au cours de l’année 178472, ce qui expliquerait l’arrêt de sa correspondance avec Guibert.

63 Le 10 février 178473, Pierre Marie Le Sénéchal de Kerguizé reconnaît avoir reçu de Guibert 1 000 livres provenant de « Monsieur de Silz de Lauvergnac ». Sébastien est toujours « retrayant » pour Lauvergnac mais il ne peut verser l’intégralité des 4 000 livres de rente viagère à la famille de Kerguizé. M. de Kerguizé l’a assigné par deux fois, le 19 août 1783, puis le 16 avril 1784, devant le tribunal d’Assérac. Le 30 août

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1784 le tribunal condamne Sébastien de Silz à payer à M. de Kerguizé 1 490 livres en retard74.

64 Guibert, chargé d’affaires de Mme de Kerguizé, lui donne désormais des conseils à propos de Sébastien. Dans une lettre du 24 octobre 178475, il lui dit : « J’ai donné avis à M. de Kerguizé de la dernière lettre de M. de Lauvergnac, et ai aussitôt répondu à cette lettre comme je le devais faire. Je pense qu’il y réfléchira. Ce qui le fait chanceler, c’est qu’on lui promette son élargissement pour mieux le surprendre ».

65 Guibert juge la stratégie de M. de Kerguizé vis-à-vis de Sébastien « bien cimentée ». M. de Kerguizé tente-t-il d’échanger son soutien à Sébastien contre un désistement de Lauvergnac ?

La libération de Sébastien de Silz

66 La libération de Sébastien est liée à deux décisions politiques. La première est essentielle : elle s’exprime dans une circulaire du 25 octobre 1784 du baron de Breteuil, qui a remplacé M. Amelot à la tête de la maison du Roi. La circulaire Breteuil prévoit que, pour les lettres de cachet au motif de prodigalité ou débauche, la durée de détention ne puisse pas dépasser deux ans. Le baron de Breteuil exige que l’intendant ou ses subdélégués se déplacent chaque année dans les maisons d’enfermement pour recueillir des informations sur les détenus76. La seconde décision est l’ordonnance royale du 17 décembre 1784 « portant amnistie générale en faveur des soldats, cavaliers, hussards, dragons et chasseurs qui ont déserté des troupes de Sa Majesté avant le 1er janvier 1785 ». L’ordonnance prévoit que les commandants de troupes sont autorisés à admettre dans leurs régiments les déserteurs qui, ayant profité de l’amnistie, se présenteront pour y servir.

67 En application de la circulaire Breteuil, chaque intendant doit remettre un état des détenus par lettre de cachet de sa généralité, avec un avis sur leur comportement. L’intendant de Tours (dont dépend Angers), Daine, envoie le 26 décembre 1784 une liste au nouvel intendant de Bretagne, Bertrand de Molleville ; douze détenus bretons de la maison d’Angers y figurent. Une observation est faite sur chacun, « par une personne sûre », dit l’intendant de Tours. Trois observations sur douze sont favorables à une libération77. Il est dit de Sébastien : « Âgé d’environ 30 ans, cy-devant étourdy, à présent tranquille, paraissant avoir l’esprit et le caractère bon : il est du nombre de ceux qu’il convient de mettre en liberté. »

68 Le document parvient au baron de Breteuil, qui écrit le 31 décembre à l’intendant de Bretagne. Il propose, pour Sébastien78, « de lui rendre la liberté dont il y a lieu d’espérer qu’il fera un bon usage à l’avenir, les motifs qui ont déterminé à l’emprisonner ne portant que sur des faits d’inconduite, de débauche et de dépravation dont il me paroit suffisamment puni par une détention qui dure depuis plus de 3 ans ». Le motif de désertion n’est pas évoqué par le baron de Breteuil et ne paraît pas avoir joué de rôle.

69 Après approbation de l’intendant de Bretagne, le baron de Breteuil donne l’ordre de libération le 6 janvier 1785 : « Vous trouverez ci-joint, Monsieur, les ordres que vous m’avez proposés pour la liberté du sieur de La Haye de Silz détenu dans la Maison des Écoles Chrétiennes d’Angers. Je vous prie de les faire exécuter. » L’intendant de Bretagne transmet le 12 janvier l’ordre à l’intendant de Tours et confirme à Versailles avoir transmis. L’intendant de Tours répondra le 5 mars avoir fait libérer le 21 janvier

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trois détenus bretons de la maison d’Angers, et transmet le récépissé signé par frère Liboire : « Le greffier à la subdélégation d’Angers m’a remis l’ordre du Roy pour remettre en liberté le sieur de La Haye de Silz détenu dans notre maison, auquel ordre je m’oblige de me conformer. Fait à Angers le 21 janvier 1785. Frère Liboire. »

70 Nous ne savons pas quelle a été la vie de Sébastien entre 1785 et 1790, s’il a tenté de revenir à la Ferme des devoirs ou bien de retrouver du service dans l’armée ; en 1793 il fait partie de la Garde nationale de Guérande79.

Qu’advient-il de Lauvergnac ?

71 M. de Kerguizé meurt au début de 1785. Mme de Kerguizé gère désormais Lauvergnac, avec l’aide de Guibert. Celui-ci semble ignorer jusqu’à la fin de 1785 la libération de Sébastien. Dans une lettre du 23 septembre 1785 à Mme de Kerguizé, il affirme que Jean- Sébastien de Silz, qui avait refusé de remettre les titres de Lauvergnac à son fils80, vient de les remettre à Mme de Kerguizé. Dans la lettre du 29 octobre 1785, Guibert, parlant de Sébastien, conseille à Mme de Kerguizé de « se méfier des chiens enragés ». Les procédures judiciaires continuent entre Sébastien et la famille de Kerguizé. Dans une lettre du 8 décembre 1785, Guibert avise Mme de Kerguizé, que M. de Silz père, « bien mal conseillé » veut assigner son fils à propos de Lauvergnac. Guibert nous apprend dans sa lettre à Mme de Kerguizé du 18 décembre 1785 que Sébastien s’est enfin désisté.

72 La famille de Kerguizé voit ses droits sur Lauvergnac confortés du fait de ce désistement, mais elle n’en a pas fini avec la famille de Silz. En 1787 Mme de Kerguizé a pris l’avocat Thomas du Cordic comme chargé d’affaires, en remplacement de Guibert. En 1787, elle lui écrit81 pour lui demander de régler ses affaires avec les de Silz. Elle doit à Jean-Sébastien de Silz 2 500 livres ; mais elle se plaint que ce dernier n’a jamais voulu lui payer les 543 livres que lui doit Sébastien. Les 17 juin et 20 juillet 1788, et encore le 2 janvier 1789, elle écrit devoir de l’argent à M. de Silz.

73 En 1789, Mme de Kerguizé se dit prête à vendre le domaine de Lauvergnac, pour seulement 26 000 livres ; elle a trouvé un acheteur, mais celui-ci se désiste finalement. En juillet 1789, elle envoie 1 602 livres à M. de Silz et demande à Thomas du Cordic de le faire patienter pour les 398 livres impayées de la rente semestrielle, affirmant : « M. de Silz est toujours pressé ». En août 1790, elle reçoit une lettre de Mme de Silz, qui se plaint de ne pas avoir été payée et qui lui indique que M. de Silz est malade. En septembre 1790, ce dernier écrit lui-même à Mme de Kerguizé : il n’a pas été payé, et a besoin de son argent. Le 15 octobre 1790, Mme de Kerguizé dit ne pas pouvoir payer la rente de M. de Silz ; le meunier, et d’autres, ne versent plus ce qu’ils doivent, et elle va devoir emprunter. En 1791, elle a toujours du mal à payer : elle écrit le 29 mai 1791 que M. de Silz la menace d’un procès s’il n’a pas son argent le 1er juillet82.

74 L’achat de Lauvergnac ne s’avère pas une bonne affaire. Fin 1791, les Kerguizé auront payé à Jean-Sébastien et son épouse 10 ans de rente, soit 40 000 livres, plus un principal de 6 000 livres, 46 000 livres au total.

Le décès de Jean-Sébastien

75 Jean-Sébastien décède le 13 juin 1791 en son château de Silz ; Sébastien devient comte de Silz. Le décès du père renforce la position des enfants vis-à-vis de leur belle-mère. Trois enfants sont émancipés durant l’été 179183.

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76 Le 2 août 1791 commence un inventaire des meubles du château de Silz, en présence de plusieurs enfants, qui déclarent habiter au château. L’inventaire dure six journées complètes, jusqu’au 23 août 1791. L’inventaire de l’argenterie et des bijoux est conflictuel ; les relations des enfants avec leur belle-mère ne sont pas apaisées. Le 23 août, Antoinette de Silz accuse sa belle-mère, qui a quitté le château 15 jours après le décès de son mari, d’avoir emporté avec elle des bijoux de Marie Élie et une partie de l’argenterie (notamment 16 plats en argent). Elle l’accuse également d’avoir fait enlever du château une valise de vêtements par son frère cadet de Cramezel, avant même le décès de Jean-Sébastien84. L’ensemble est noté par écrit dans l’acte d’inventaire. Benjamin Thomas de La Borde répond fermement à Antoinette, en tant qu’avocat de sa belle-mère85.

77 Le 24 août, les comptes de la communauté entre Jean-Sébastien de Silz et Antoinette de Cramezel sont soldés. Du 29 août au 7 septembre 1791, les enfants réalisent une vente publique de meubles au château de Silz.

78 Une négociation a commencé en juillet, par avocats interposés, entre les enfants de Silz et leur belle-mère à propos de la rente viagère de Lauvergnac. La rente a pour origine la vente de biens appartenant à leur père, dont les enfants s’estiment privés. Ils voudraient récupérer la moitié de la rente mais Antoinette de Cramezel dit avoir contribué pour des sommes importantes à la communauté avec son mari, sommes au moins équivalentes à la rente perçue. Elle a sans doute de bons arguments juridiques, car les enfants reconnaissent le 28 août 1791 son droit à continuer à percevoir la rente de 4 000 livres86. La seule concession faite est d’opérer sur cette somme un reversement annuel de 150 livres en faveur de Sébastien de Silz. Selon l’acte notarié, cette rente de 150 livres est, de la part de la veuve de La Haye de Silz et envers Sébastien, « une preuve de l’attachement particulier qu’elle a conçu pour lui ». Presque tous les enfants signent l’acte ; la veuve de Silz est représentée par Thomas de La Borde. Auguste de Silz est absent de toutes les opérations de l’été 1791 : il a été arrêté à Brest le 22 juin 1791, à bord du Duguay-Trouin, et est détenu durant trois mois et demi à Brest pour des propos jugés contre-révolutionnaires87. Une nouvelle partie de la vie des enfants de Jean- Sébastien de Silz a commencé.

79 Un éclairage nouveau a été porté sur la jeunesse de Sébastien de Silz et sur un conflit avec son père dont a résulté un long enfermement. Sébastien, dont la jeunesse est difficile, est victime de la dureté de son père et d’une situation familiale compliquée. Le sort de ses sœurs au couvent ne paraît pas non plus heureux. Sensible et intelligent, Sébastien est aussi fier et volontaire. S’il n’est pas rancunier envers son père, il ne s’est jamais laissé faire au cours de son enfermement, a constamment lutté pour être libéré. Ses années de détention l’ont endurci, renforcé psychologiquement.

80 Marqué peut-être par le remariage de son père, qu’il estime désastreux, il ne se mariera jamais. À La Rossignolerie, Sébastien comprenait que sa vie ne serait pas facile à sa sortie (lettre du 12 octobre 1783) : « Mais pouvez-vous croire que je puisse chercher à m’établir en sortant d’une maison de force ? Quelle opinion peut-on avoir de moi dans le monde ? Les mieux intentionnés me feront la grâce de me regarder comme un étourdi et d’autres comme un libertin : voilà de beaux titres et quel sera celui qui voudra se charger de me présenter chez une femme ? Ce ne peut-être que moi qui par une conduite

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soutenue et décidée sera dans le cas de faire oublier que j’ai été jeune et étourdi. C’est ce que je désire établir aux yeux de ma province si sa Majesté daigne m’en accorder les moyens, c’est-à-dire [mon] élargissement. »

81 La carrière de Sébastien, compte tenu de l’épisode de 1781-1785, n’a pas été brillante lorsqu’éclate la Révolution. Sébastien est désireux de se racheter ou se rattraper, de montrer ses véritables capacités à toute la Bretagne, au service du roi. Ceci contribue à expliquer ses engagements ultérieurs.

82 On pourrait comparer l’enfermement de Sébastien de Silz à celui d’Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau, futur tribun de la Révolution. Ce dernier a été enfermé à peu près à la même époque par son père, le marquis de Mirabeau, également très dur avec son fils. Le comte de Mirabeau88 en vint, à partir de son cas personnel, à une mise en cause des lettres de cachet et de l’arbitraire de la société d'Ancien Régime. Sébastien regrette son emprisonnement, déplore la perte de sa liberté mais ceci ne débouche pas sur une critique sociale de l’enfermement, du système des lettres de cachet et de la société dans laquelle il se trouve.

83 Nous avons suivi Sébastien de Silz jusqu’en 1791. Une nouvelle vie commence alors pour lui, ainsi que pour d’autres membres de sa famille ; elle se termine pour Sébastien par la mort au combat le 28 mai 1795 au hameau de Kervehein à Grandchamp89. Cette autre vie mériterait aussi d’être racontée. Les auteurs remercient les personnes sans lesquelles cet article n’aurait pu être écrit : Suzanne Cochois (également descendante de Clara de Silz) qui a reconstitué un historique de la famille de La Haye de Silz (publié par Roger Le Masne), en s’aidant de travaux de Yves Morineaux ; Marcel Couëdel, originaire d’Arzal, qui nous a signalé les lettres de Sébastien de Silz à la Rossignolerie et les a transcrites ; Olivier Hilbert (descendant d’Auguste de Silz par sa première fille Marie Cassienne) pour son travail généalogique ; enfin Chantal Méxès pour son aide.

NOTES

1. FÉVAL, Paul, Chouans et bleus, Victor Palmé, 1879, p. 5-70. HUGO, Victor, Quatrevingt- Treize, Quantin et Cie, 1874 ; dans ce dernier roman, Hugo fait dire à La Vieuville : « À cette heure, dans cette armée de paysans, il y a des héros, il n’y a pas de capitaine. D’Elbée est nul. La Rochejaquelein est un magnifique sous-lieutenant ; Silz est un officier de rase campagne impropre à la guerre d’expédients… » BALZAC, Honoré (de), s’intéresse dans Les Chouans, Le Livre de Poche, 1972 [1829], à une chouannerie plus tardive. Son roman se déroule à l’automne 1799, vers Fougères. 2. Charles Pierre Marie Louis de La Haye de Silz, petit-fils de Jean-Marie de La Haye de Silz (1766-1799) est décédé à Vannes. Sébastien de Silz n’a pas eu d’enfant mais plusieurs de ses frères et sœurs en ont eu (voir tableau 1). 3. COCHOIS, Suzanne, La famille de La Haye de Silz, document manuscrit, reproduit en partie dans LE MASNE, Roger, Vingt générations de Gascons et de Bretons, 2 t., Viroflay, 1998.

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4. Sur les murs de ce manoir du XVe siècle figurent encore les armes de la famille, « de gueules à trois étoiles d’or ». 5. DUPUY, Roger, De la Révolution à la Chouannerie, Flammarion, 1989 et Les Chouans, Hachette, 1997, donne certains éléments à leur propos. 6. Voir les notes du tableau 1 les concernant. 7. Marie Élie est à l’occasion de ses fiançailles, en décembre 1749, décrétée de majorité par jugement du tribunal de Pénestin. Elle est assistée par son oncle René de Cramezel de Kerhué, époux de Madeleine Élie, sœur de sa mère. 8. NASSIET, Michel, Noblesse et pauvreté, la petite noblesse en Bretagne, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1997, p. 259-260, montre qu’une très forte fécondité est caractéristique de la petite noblesse, mais peut concerner aussi la moyenne noblesse. Dans cette moyenne noblesse, certaines épouses mettent au monde plus de 20 enfants. 9. Selon COCHOIS, Suzanne, La famille de La Haye…, op. cit. , « Jean-Sébastien est un personnage influent, riche, autoritaire, intéressé, Marie fut une épouse douce, une mère attentionnée, pleine de tendresse et d’affection pour ses enfants. » 10. MEYER, Jean, La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Paris, SEVPEN, 1966, p. 24, donne de nombreuses indications sur cette moyenne noblesse qui représente 30 % du total de la noblesse dans le Vannetais, plus que dans d’autres parties de la Bretagne. 11. PLUYETTE, Henri, Le blocus de la Vilaine 1759-1762, édité par l’auteur, 1980. L’un de ces vaisseaux est Le Glorieux, sur lequel sert ensuite Auguste de Silz et sur lequel il est blessé au combat des Saintes en 1782. Dans sa correspondance de 1760 avec son frère le marquis de Mirabeau, le bailli de Mirabeau, officier en tournée d’inspection, évoque ces bateaux coincés dans la Vilaine (Musée Paul Arbaud, Aix-en-Provence, Dossier 25). Il est reçu en Bretagne chez la duchesse de Lorge, que Sébastien de Silz tentera d’impliquer dans sa libération. 12. COCHOIS, Suzanne, La famille de La Haye…, op. cit. 13. Le deuxième chiffre de son jour de naissance est illisible sur l’acte ; elle est née entre le 20 et le 29 septembre 1753. Antoinette de Silz est arrêtée en avril 1793 puis condamnée à mort en 1794 pour activités contre-révolutionnaires ; elle échappe à la guillotine en acceptant la proposition de mariage d’un officier républicain. Sur ce point, CHASSIN, Charles Louis, Les pacifications de l’Ouest 1794-1801, Paris, Dupont, 3 t., 1897, t. II, p. 553 ; GABORY, Émile, Les Vendéennes, Paris, Perrin,1935, p. 189. 14. Marie-Françoise est arrêtée en mars 1793 puis relâchée. Elle s’oppose en 1796 à l’arrestation de son frère Auguste. 15. Auguste est un des chefs chouans du Morbihan. Il se rend en 1796 aux autorités républicaines, mais, contrairement aux accords de reddition, il est condamné à la déportation en Guyane et enfermé 3 ans à la prison de Saint-Martin-de-Ré. 16. Benjamin Thomas de La Borde est révoqué de son poste d’officier judiciaire à La Roche-Bernard pour sympathies royalistes 17. Jacques de Silz a participé à l’insurrection du Morbihan de 1793. Il est arrêté, condamné à mort et guillotiné place du Bouffay à Nantes. Sur ce point, Arch. dép. de Loire-Atlantique, L 1502, et LALLIÉ, Alfred, La Justice révolutionnaire à Nantes et en Loire- Inférieure, Les Éditions du Choletais, 1991, p. 132. Les descendants de Jacques de Silz ont reçu en 1828 une indemnité concernant son exécution. (État détaillé des liquidations faites par la Commission d’indemnités du 31 décembre 1827, Paris, Imprimerie nationale, 1828,

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vol. 2, p. 437-438). Tous les frères et sœurs de Jacques de Silz sont décédés à cette époque. Reçoivent des indemnités : Pierre Marie de La Haye de Silz (fils de Jean-Marie), Marie-Cassienne Piard-Deshayes (fille d’Auguste), Clara Marie Le Masne (fille d’Auguste), Prudent Thomas de La Borde (fils d’Eugénie Armande), Jean-Pierre Osmond (fils de Marie-Françoise), enfin Armand Robin (fils d’Antoinette). Le montant total des indemnités est réduit, 250 francs au total. Armand Robin reçoit moitié moins que les autres descendants, compte tenu des circonstances très particulières du mariage de ses parents. 18. Il sera fusillé en 1795 à Vannes, pour avoir pris part à l’expédition royaliste de Quiberon. 19. Ces renseignements très précis proviennent du rapport administratif de Thomas de Bénéac, subdélégué à La Roche-Bernard (Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 161, dossier Sébastien de La Haye de Silz, lettre du 6 avril 1783 à l’intendant de Bretagne). À propos des subdélégués de l’intendance de Bretagne, FRÉVILLE, Henri, L’intendance de Bretagne, Rennes, Plihon, 1953, 3 t., ainsi que DIDIER, Sébastien, « Du réseau au maillage administratif, la construction territoriale des subdélégations bretonnes de 1689 à 1789 », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2014, no 4, p. 81-106. 20. Il n’est pas possible de donner un équivalent monétaire en euros de la livre tournois, mais les salaires de l’époque permettent des comparaisons. Selon MORRISSON, Christian et SNYDER, Wayne, « Les inégalités de revenus en France du début du XVIIIe siècle à 1985 », Revue économique, p. 119-154, janvier 2000, le revenu annuel d’un salarié agricole en 1788 est en moyenne de 160 livres. Les différences entre régions sont importantes. 21. Il ne s’agit pas ici d’un enfermement du type de celui décrit par Diderot dans La Religieuse. Certaines filles de la noblesse étaient placées dans des couvents, au-delà de l’âge des études, et des veuves pouvaient également s’y réfugier. Louis XV avait placé plusieurs de ses filles pendant 10 ans à l’abbaye de Fontevrault. CHODERLOS DE LACLOS, Pierre, Les Liaisons dangereuses, Œuvres complètes, NRF-La Pléiade, 1979 [1782], Lettre Première, p. 11-12, évoque les bonnes conditions de vie de Cécile Volanges dans une pension religieuse. Certains couvents faisaient payer des pensions importantes, jusqu’à plusieurs milliers de livres par an, aux familles de ces jeunes pensionnaires. Les conditions de vie pouvaient être agréables, voire luxueuses. Mais le montant des pensions versées par Jean-Sébastien pour ses filles est réduit, 200 livres par an pour chacune ; les conditions de vie étaient sans doute spartiates chez les carmélites de Ploërmel, et le degré de liberté réduit. Sébastien de Silz affirme que ses sœurs ont été placées dans des couvents par son père, à la demande de sa belle-mère. 22. Sa carrière militaire n’a pu être reconstituée. Nous avons consulté aux Archives militaires de Vincennes les livres de nombreux régiments de dragons, parmi les 24 qui existent en 1781, sans retrouver trace de Sébastien de Silz. 23. La Ferme des devoirs est l’organisme chargé de la perception des impôts et droits sur les boissons en Bretagne. 24. NASSIET, Michel, Noblesse…, op. cit., p. 349-351 indique que 189 gentilshommes étaient employés dans les fermes indirectes en Bretagne en 1729, et que 64 surnuméraires attendaient un emploi. Selon AZIMI, Vida, « Le traitement des agents publics sous l’ancien régime », Revue historique de droit français et étranger, 1989, no 3, p. 429-468, les

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surnuméraires n’étaient pas rémunérés en attendant d’obtenir un poste et restaient à la charge des familles. 25. Auguste de Silz commence sa carrière comme garde-marine à 18 ans (Arch. nat., F/ 7/1760, dossier d’Auguste de La Haye de Silz). Jean-Marie et Louis Marie ont été également gardes-marine, après le collège. NASSIET, Michel, Noblesse…, op. cit., p. 355-356, précise que seule la moyenne noblesse pouvait envisager de placer ses enfants dans les garde-marine. Il fallait des recommandations importantes pour y entrer et payer une pension d’environ 600 livres par an, qui n’était pas à la portée de la petite noblesse. 26. Le parrain est Jacques de Cramezel, et la marraine une de ses sœurs. Ils avaient été choisis du temps de Marie Élie, comme l’indique le prénom de Jacques, qui est celui de son parrain. 27. Arch. dép. du Morbihan, L 1529 et NICOL, Pierre, « Un soulèvement en frimaire an II », Revue morbihannaise,1903, no 11, p. 353-368, et no 12, p. 46-59. La description ajoute : « Il était commandant de la Garde Nationale : il est marié à Guérande. Depuis il a erré dans le département du Morbihan ; il a été caché longtemps chez son frère, le chevalier, à Vieille-Roche, paroisse d’Arzal ». Sébastien n’était pas marié, contrairement à ce qu’affirme la description précédente, mais aimait certainement les femmes. CADIC, François, Histoire populaire de la Chouannerie en Bretagne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, t. 1, p. 548-549, note qu’en 1795 à Grandchamp, « Le comte de Silz, tué en combattant, avait passé la revue des soldats en compagnie de sa maîtresse à cheval derrière lui ». La description donnée d’Auguste de Silz est la suivante : « Chevalier, âgé d’environ 32 ans, est né à Silz, paroisse d’Arzal ; taille environ 5 pieds 1 pouce, gros, trapu, bien constitué, la jambe forte, un peu arquée, le visage gros, rond, un peu soufflé ; bonne carnation ; les yeux un peu enfoncés et petits, bouche petite ; les lèvres épaisses, un peu élevé surtout la supérieure. Il porte ordinairement un chapeau à cuve élevée ; il a servi dans la marine ci-devant royale ; il était lieutenant de vaisseau quand il a été chassé. Il est marié à Vieille-Roche avec une demoiselle Kermasson Kerval qui est au Petit Couvent. C’est lui qui était à la tête des brigands de Rochefort. Tout l’été dernier, il travaillait avec son frère aîné dans la paroisse de Berric, Sulniac, Lauzach, comme journalier. Il a été caché quelque temps chez son fermier à Coscat, distance de Vieille-Roche d’environ une portée de fusil à balle. » Le Petit Couvent est la prison de Vannes où l’épouse d’Auguste a été internée en 1793 avec sa fille de 3 mois et son père. Auguste et son épouse demeurent dans leur maison de Vieille-Roche (appelée aujourd’hui « Caserne des douaniers »). 28. Selon NICOL, « Un soulèvement.. », art. cit., on donnait le nom de cartouche sous l’Ancien Régime à la feuille remise au soldat à son départ de l’armée. Elle était blanche, verte, rouge ou jaune selon que l’homme était simplement libéré, réformé, puni ou dégradé. Selon CORVISIER, André, Histoire militaire de la France, Paris, PUF, 1992, t. 2, p. 46, une cartouche jaune était crainte des soldats ; en effet, s’ils voulaient se réengager, ils avaient intérêt à cacher leur passé militaire et à recommencer leur carrière militaire sans aucune ancienneté. 29. POIRIER DE BEAUVAIS, Bertrand, Mémoires inédits, Paris, Plon, 1893, p. 372.

30. À propos des lettres de cachet, QUETEL, Claude, De par le Roy, Toulouse, Privat, 1981, ainsi que ROLLAND, Muriel, « L’exercice de la puissance paternelle sur les mineurs en Bretagne (1731-1789) ou les moyens d’éviter les mésalliances », dans PLESSIX-BUISSET, Christiane (dir.), Ordre et désordre dans les familles, Rennes, PUR, 2002, p. 12-49.

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31. HAUTEBERT, Joël, L’internement par lettre de cachet d’après les archives de l’intendance de Bretagne 1769-71 et 1786-89, Mémoire de DEA, Université de Rennes, 1990.

32. Le livre de FARGE, Arlette et FOUCAULT, Michel, Le désordre des familles (lettres de cachet des archives de la Bastille), Paris, Gallimard, 1982, donne certains dossiers de ce type. 33. ROLLAND, Muriel, « L’exercice… », art. cit., p. 15.

34. HAUTEBERT, Joël, L’internement…, op. cit., p. 53.

35. MEYER, Jean, La Noblesse .., op. cit., t. 2, p. 1085-1087, montre que le recours aux lettres de cachet a fortement augmenté au sein de la noblesse bretonne au cours du XVIIIe siècle, et donne une liste des lieux de détention. 36. Antoine Jean Amelot de Chaillou (1732-1795) est secrétaire d’État de la maison du Roi de mai 1776 à novembre 1783. Il est chargé à ce titre des lettres de cachet. 37. Le château du Taureau, fort militaire situé en mer au nord de la baie de Morlaix, sert aussi de prison. Il a accueilli à certaines périodes des gentilshommes enfermés par lettre de cachet, comme le procureur La Chalotais en 1765. 38. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 161. Lettre du 24 avril de Thomas de Bénéac à l’intendant de Bretagne. 39. Arch. dép. de Loire-Atlantique, E 1344. 40. Le système a été mis en place longtemps avant, sur la base de biens de la famille Élie, avec l’accord de Marie Élie. 41. Après son arrestation à Guérande, son logeur, Me Hardoin envoie à Guibert un état des effets que Sébastien vient d’acheter et qui sont restés chez lui : « un petit chapeau bordé en or, un fraque bord galonné en argent, une veste bleue, une culotte de prunelle, un gillet de cotton croisé, quatre chemises, huit cols, 2 mouchoirs, deux paires de bas de laine et deux de fil ». Dans une lettre (12 octobre 1783), Sébastien dit que ces achats ont coûté 25 louis (75 livres). 42. Une lettre de Sébastien de Silz (23 novembre 1783) parle de Loiseau et des demoiselles de Cramezel. 43. Nous expliquons un peu plus loin ce qu’est cette procédure. L’ensemble des documents relatifs à cette affaire figure aux Arch. dép. de Loire-Atlantique, E 1344, Famille de Cramezel de Kerhué. La procédure continue jusqu’en 1784. Les sœurs de Cramezel l’emportent sur Jean-Sébastien de Silz en ce qui concerne le retrait lignager : il s’agit d’un bien de la famille Élie. Jean-Sébastien de Silz leur transmet en 1784 les titres de propriété qui n’ont pas été donnés en 1781 à Sébastien. 44. Sur ce point, Arch. dép. du Morbihan, B 749, Présidial de Vannes. 45. Ce retrait lignager permettrait à Jean-Sébastien ou aux demoiselles de Cramezel d’annuler la vente à Loiseau, en se substituant à Sébastien de Silz. Loiseau serait remboursé, aux frais de justice près, seulement de ce qu’il a payé à Sébastien. 46. Ces faits sont mentionnés dans la lettre d’Amelot à Caze de la Bove du 21 novembre 1781, mais la lettre du 9 septembre n’est pas dans le dossier. 47. Le prix de la pension n’est pas clair. Il est tantôt dit qu’il est de 522 livres, tantôt que ce prix comprend aussi les frais de la maréchaussée. Le prix de la pension pourrait donc être un peu plus faible. 48. Arch. dép. du Morbihan, E 5236. Lettre de frère Eunuce à Guibert, 8 décembre1782, 49. Arch. dép. du Morbihan, E 5236. Lettre de Thomas de Bénéac, 6 avril 1783.

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50. Arch. dép. du Morbihan, 1 J 556. BAUDRY, Gilbert, La Seigneurie de Lauvergnac…, op. cit., 51. C’est ce que mentionne le résumé de l’acte, qui parle d’un principal de 6 000 livres (Arch. dép. du Morbihan, 6 E 2177). Selon une autre source, un principal de 6 535 livres est mentionné (Arch. dép. de Loire-Atlantique, B 10437, Juridiction d’Assérac). 52. Cette rente viagère de 4 000 livres par an représente le salaire annuel de 25 journaliers agricoles, si on admet pour ces derniers un salaire annuel de 160 livres. Il s’agit donc d’un revenu important. 53. Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1 J 185. 54. CELLIER, Dominique, Les pensionnats des Frères des Écoles chrétiennes au XVIIIe siècle, Mémoire de Master 2, Université de Paris IV Sorbonne, 2014, donne de nombreuses indications sur cette institution. Les frères des Écoles chrétiennes tiennent 3 maisons de force en France. La proportion d’aliénés est d’environ 50 % en 1790. Le prix de la pension des détenus de force est au minimum de 500 livres. Il n’existe pas de liste de détenus. 55. CELLIER, Dominique, Les pensionnats…, op. cit., donne quatre gravures des locaux avant la Révolution. 56. Arch. dép. du Morbihan, E 5235 à E 5245. 57. Les 14 premières lettres, en 1782-83, figurent aux Arch. dép. du Morbihan dans le dossier E 5236, les deux dernières, en 1784, dans le dossier E 5244. 58. Ces lettres sont dans le dossier Arch. dép. du Morbihan, E 5236. 59. Ce changement de bâtiment correspond en fait à une réorganisation de La Rossignolerie, terminée fin 1782, et évoquée par CELLIER, Dominique, Les pensionnats…, op. cit. 60. Guibert est venu le voir une fois, en 1782. 61. Nous avons contacté à ce propos le service des archives des frères des Écoles chrétiennes à Rome. Le frère Alain Houry nous a confirmé que les pensionnaires de force recevaient à l’époque un nom de saint pour assurer leur anonymat. Les archives de Rome conservent une correspondance entre le frère Liboire et M. Amelot. 62. Armand Louis de Sérent (1736-1822) est maréchal de camp, et à partir de 1780 gouverneur des jeunes ducs d’Angoulême et de Berry. Sa famille est originaire de Sérent, à proximité de Malestroit. 63. Dans sa lettre du 24 mai 1783, Sébastien parle de sa cousine Madame de Rivière, qui lui a écrit et à laquelle il n’a pas voulu répondre. 64. Arch. dép. du Morbihan, E 5236. 65. Arch. dép. du Morbihan, B 10435, Tribunal d’Assérac, 1781-1782. 66. Ces quittances figurent dans le fonds Le Sénéchal de Kerguizé (Arch. dép. du Morbihan, E 5236). 67. Arch. dép. du Morbihan, E 5235. 68. ANTIER, Jean-Jacques, L’amiral de Grasse vainqueur à la Chesapeake, Éditions maritimes et d’outre-Mer, 1971, p. 165-221, analyse en détail la bataille des Saintes. 69. Gazette de France, 25 mars 1783. 70. Les archives de la famille Le Sénéchal montrent au contraire que les revenus de Lauvergnac sont versés au nom de Sébastien et non à celui de Pierre Le Sénéchal.

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71. Monseigneur Sébastien Michel Amelot (1741-1829), évêque de Vannes depuis 1775, est un cousin éloigné d’Antoine Jean Amelot. 72. Guibert est encore son avocat en août 1784, devant le tribunal d’Assérac. 73. Arch. dép. du Morbihan, E5244. 74. Arch. dép. de Loire-Atlantique, B 10436. 75. Arch. dép. du Morbihan, B 5244. 76. HAUTEBERT, L’internement…, op. cit., p. 62. La circulaire du baron de Breteuil est aux Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 161. 77. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 158. 78. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 161. Dossier Sébastien de La Haye de Silz. 79. Arch. dép. de Loire-Atlantique, L 1477, et ASSOCIATION NANTES HISTOIRE, L’insurrection de mars 1793 en Loire-Inférieure, 1993, p. 11. 80. Sébastien lui a fait écrire à ce propos en 1783 par l’intermédiaire de Guibert. 81. Toutes les lettres évoquées dans ce paragraphe proviennent des Arch. dép. du Morbihan, E 3035, Fonds Thomas du Cordic. 82. Il s’agit de la dernière lettre de Mme de Kerguizé dans le dossier E 3035 des Arch. dép. du Morbihan. 83. Arch. dép. du Morbihan, 17 C 3083, notaire Gillot. 84. Antoinette de Cramezel a deux frères cadets, dont l’un est Jacques de Cramezel. 85. Il épousera l’année suivante Eugénie Armande de Silz et deviendra ainsi le beau- frère d’Antoinette. 86. Arch. dép. du Morbihan, 6 E 10381, notaire Fricot, pour tout ce paragraphe. 87. Arch. nat., F/7/160, Auguste de La Haye de Silz. Selon LEVOT, Prosper, Histoire de la ville et du port de Brest, Paris, 1866, t. 3, p. 274-275, il est reproché à Auguste des commentaires désobligeants sur l’aumônier du navire, prêtre jureur. 88. MIRABEAU, Des lettres de cachet et des prisons d’État, Hambourg, 1782.

89. LE FALHER, Jules, Le royaume de Bignan, p. 455, Laffitte reprints, 1994.

RÉSUMÉS

Cet article retrace la vie de Sébastien de la Haye de Silz et de sa famille jusqu’en 1791. Avant d’être chef de la Chouannerie du Morbihan en 1794-1795 et de diriger à ce titre des guerriers redoutables comme Cadoudal, Guillemot et Jean Jan, Sébastien a eu une jeunesse tumultueuse, que nous relions au décès de sa mère et au remariage de son père Jean-Sébastien, comte de Silz. Un conflit familial s’engage entre Sébastien et son père, qui demande l’enfermement de son fils par lettre de cachet. À l’issue d’une procédure compliquée impliquant l’intendance de Bretagne à Rennes et la maison du roi à Versailles, Sébastien est enfermé de 1781 à 1785 à la maison de La Rossignolerie d’Angers. Seize lettres de lui nous renseignent sur sa vie en prison. Il s’oppose tout du long à sa détention, en mobilisant tout un réseau, famille, amis et connaissances. La lettre de

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cachet dont il fait l’objet, et sa défense en réponse (que nous connaissons par ses lettres), apportent un éclairage sur la société d’ancien régime et sur la noblesse bretonne à la veille de la Révolution.

This article examines the life of Sébastien de la Haye de Silz and of his family until 1791. Before becoming leader of the Morbihan Chouannerie in 1794-1795 and commanding formidable warriors like Cadoudal, Guillemot and Jean Jan, Sébastien had a tumultuous youth that can be linked to his mother’s death and to the remarriage of his father Jean-Sébastien, count of Silz. A family conflict began between Sébastien and his father in which the latter asked for the imprisonment of his son by lettre de cachet. After a complicated procedure involving the Breton intendant in Rennes and the house of the king in Versailles, Sébastien was imprisoned from 1781 until 1785 at La Rossignolerie in Angers. Sixteen letters written by Sébastien allow us to understand his life in jail. There, he rebelled against his detention and enlisted the help of a whole network of family, friends and acquaintances. The lettre de cachet and his defence, known thanks to his letters, throw light on Ancien Régime society and the nobility of Brittany on the eve of French Revolution.

INDEX

Thèmes : Bretagne Index chronologique : XVIIIe siècle

AUTEURS

CAMILLE LE MASNE Docteur en géographie, chercheur au CESSMA (UMR 245)

PIERRE LE MASNE Maître de conférences HDR en sciences économiques à l’université de Poitiers, chercheur au CRIEF (EA 2249)

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Les inventions de la Grande Brière Mottière et de la « légende noire » briéronne (années 1770-années 1820) The fabrications of the Grande Brière Mottière and the Brieronese black legend (1770s-1820s)

Alain Gallicé

1 Le nom de Grande Brière Mottière a une histoire. Longtemps, le territoire a été inclus dans une zone plus vaste de marais désignée par le terme général de Brière (ou Brières ou Bruyère) et, afin de l’individualiser, il lui était accolé un qualificatif – « grande1 » – ou une périphrase faisant allusion à l’exploitation de la tourbe2. Puis, dans les années 1780, s’impose l’expression « Brière, motière et terreins contenant des tourbes et mottes à brûler » avant que, dans les années 1820, n’apparaisse l’expression actuelle qui s’institutionnalise progressivement avec la création de la Commission syndicale de Grande Brière Mottière3.

2 Ces mutations lexicales correspondent à deux temps forts de l’histoire briéronne au cours desquels le territoire a été jugé menacé : les années 1770-1780 sont marquées par l’affaire des Équibadeaux et un projet de dessèchement des marais de Donges afféagés par le vicomte de Donges et le seigneur de Besné à la compagnie de Bray ; entre 1817 et 1825, le dessèchement des marais de Donges est réalisé par cette même compagnie.

3 Ces événements suscitent un fort mécontentement, une large mobilisation de l’opinion locale et régionale et une agitation qui génèrent des actions nombreuses aux formes variées (publications de mémoires, instances judiciaires, voies de faits, voire émeutes…). Dans ce contexte, au cours des années 1770-1780, afin de trouver des soutiens, les défenseurs du territoire forgent une certaine image du territoire qui, cohérente et organisée, s’impose comme un stéréotype. En cela, nous pouvons parler d’invention4. Les événements des années 1820 contribuèrent à préciser certains points

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de cette représentation, mais surtout ils suscitèrent une autre « invention », celle de la « légende noire » briéronne.

4 Le retour sur ces événements permet de comprendre comment se forgent les représentations des zones humides et l’identité de leurs habitants, représentations trop souvent attribuées à leur seule altérité. Après avoir étudié l’invention du territoire dans les années 1771-1780, en précisant son contexte, ses aspects, ses stéréotypes, ses acteurs et les raisons de sa réussite, nous envisagerons, au cours des années, entre 1817 et 1830, le devenir de cette image du territoire avant de présenter la légende noire briéronne, ses aspects, les raisons de sa mise en place et celles de son succès.

L’invention de la « Brière, Mottière et terreins contenant des tourbes et mottes à brûler » (années 1770-1780)

Le contexte : un territoire jugé menacé

5 Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, deux affaires, en lien avec la Grande Brière Mottière, bien qu’indépendantes l’une de l’autre, s’entremêlent : celle des Équibadeaux (1754-1789) et celle du projet de dessèchement des marais de Donges (1771-1782)5.

6 Leurs liens avec la Grande Brière Mottière sont d’ordre différent. Dans l’affaire dite des Équibadeaux – du nom d’un terrain afféagé par le roi au seigneur de Saint-Denac –, ce lien est direct puisqu’il s’agit d’un empiétement perpétré par cet afféagiste sur la Grande Brière Mottière que lui contestent les riverains en arguant du statut de ce territoire. Précisons : ce territoire est un commun qui ne relève d’aucun seigneur et dont les droits d’usage (attestés par un acte du duc François II du 8 août 14616) ne sont pas réservés aux habitants d’une seule seigneurie mais sont partagés par l’ensemble des habitants des paroisses riveraines. Au terme d’un long combat juridique, ces droits d’usage sont assimilés à des droits de propriété par les lettres patentes du 28 janvier 1784 qui reconnaissent aux riverains la « propriété, possession et jouissance commune et publique » de la « Brière, Mottière et terreins contenant des tourbes et mottes à brûler ». Un tel statut est original par rapport au droit et à la rationalité juridique qui s’impose alors7 : en effet, fondée sur l’exercice d’anciens droits d’usage, cette propriété est collective et inaliénable puisqu’elle n’inclut ni le droit de vendre, ni celui de louer.

7 Quant au projet de dessèchement des marais de Donges, le lien avec la Grande Brière Mottière est indirect. En effet, la compagnie de Bray, constituée le 2 décembre 1771 pour réaliser leur dessèchement, a très rapidement exclu d’intervenir en Grande Brière Mottière. Cependant, ses adversaires lui prêtent des intentions cachées – dessèchement du territoire ou appropriation de l’exploitation et de la commercialisation de la tourbe – et, surtout, ils estiment que le dessèchement des marais de Donges menace la Grande Brière Mottière et ses productions. En effet, leur dessèchement, voire le simple approfondissement de la rivière du Brivet qui les traverse, entraînerait, prétendent-ils, celui de la Grande Brière Mottière et la disparition de ses productions. De fait, la Grande Brière Mottière est instrumentalisée par les opposants à la compagnie de Bray afin de s’assurer les plus larges soutiens. Dans cette perspective, ils ont, par leurs prises de position, brossé une certaine image du territoire8.

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La Grande Brière Mottière selon ses défenseurs

Un territoire doté d’un sol, d’une végétation et d’un sous-sol originaux

8 Située sur le « territoire de Guérande », « entre et dans les paroisses de Guérande, Saint-Lyphard, Saint-André-des-Eaux, Escoublac, Saint-Nazaire, Montoir, Donges, Crossac, Prinquiau, Pontchâteau et Herbignac », occupant une « surface de 7 à 9 lieues9 », la Grande Brière Mottière se distingue d’abord des zones voisines par la nature de son sol tourbeux.

9 Ce sol est constitué d’« un terrain spongieux, de médiocre épaisseur [4 pieds] composé de fibres boiseuses et de matière sulphureuse ». Aussi est-il « combustible et inflammable » et « le feu [y] prend presque tous les ans », le réduisant en cendres. Un tel sol est inapte à la vie agricole. Mêlé à d’autres, il ne se mélange pas, s’assèche, reste inflammable et les « amaigrit », sauf si la tourbe est préalablement réduite en cendre.

10 Un tel sol est couvert d’une végétation particulière. Les « avortes », qui « ne croissent que dans la Brière », sont des sortes de petits saules dont les feuilles et les fruits, pressés entre les doigts, dégagent « une odeur forte et agréable » et dont le bois est utilisé pour cuire le pain. Lorsque l’eau se retire, au sol ne se voient « guère que de mauvaises herbes », dont les espèces, « propres à la seule tourbière », forment « un tissu de plantes marines et filamenteuses dont il serait véritablement impossible d’extirper le germe ». La plupart sont « rousses, maigres et sèches » tel le lin de Brière. Cette végétation, qui « répugne aux bestiaux, les amaigrit et leur donne des poux », est en lien avec la tourbe et la qualité de celle-ci. Aussi « tous ceux qui pratiquent la Brière connaissent, même avant de fouiller la terre, à la seule différence des mauvaises herbes de la surface, quelle est la qualité bonne ou médiocre du mottage10 ». Ainsi, « l’essence » de la Grande Brière Mottière est-elle la tourbe, et elle est sa seule ressource.

11 Mais l’originalité de ce territoire ne se limite pas à sa surface. Son sol est « soutenu sur un volume d’eau dont on ne trouve pas le fond11 » : on peut y introduire un bâton sans rencontrer de résistance, une perche de 20 pieds s’y enfoncerait toute entière et si l’on fait un trou, il se remplit « d’une eau fade mais bienfaisante qui s’élève en forme de jet d’eau et dont boivent les Briérons pendant leurs travaux12 ». Si le sol dessèche en surface, en profondeur subsiste toujours une « terre molle, détrempée, et sans résistance13 ». Dans ces conditions, établir des chemins est chose impossible : « une charrette ne pouvant pas s’engager dans l’ornière d’une autre qui y auroit déjà passé, sans courir les risques presque inévitables de se perdre » : « dix chevaux ne l’en tireroient point ». Le « bourbier de la Brière n’est susceptible d’aucun chemin fixe », ce qui rend « indispensable que les bords de cette tourbière soient libres, pour pouvoir y porter et y amonceler les mottes14 ».

12 La spécificité de la Grande Brière Mottière est telle qu’« il y a plus de différence entre le terrain des Équibadeaux et la Brière qu’entre un lac et une montagne quoique l’un soit bas et l’autre élevé. Il y a plus de différence entre ces deux terrains qu’entre une falaise et une saline, quoique l’une soit toujours sablonneuse et l’autre nécessairement argileuse15 ».

Un territoire sain

13 Selon Emmanuel Olivaud, maître en chirurgie exerçant au bourg de Montoir, qui s’exprime le 11 juillet 1775, les populations locales sont sensibles « aux fièvres putrides

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et malignes », mais il attribue celles-ci à « l’air de la mer » et non pas aux zones humides qui avoisinent le bourg qui sont naturellement saines. Cependant, cet état de choses est fragile et des travaux de dessèchement seraient cause d’une catastrophe sanitaire : « [le] fossoyement des terres pour l’excavation des canaux » libérerait « des substances putrides et malignes, ennemies de l’espèce humaine, provenant des amas de boue et autres matières fétides » et de la putréfaction des végétaux et d’animaux amoncelés par le temps, génératrices de maladies contagieuses et mortelles. Il se réfère à l’exemple des marais du haut Brivet, récemment desséchés, où règne « une fièvre putride et maligne qui tue presque tous les vieillards et beaucoup de jeunes personnes16 ».

14 Cependant, alors que la compagnie de Bray insiste à l’envi sur le gain économique et social à attendre du dessèchement, du côté des opposants, cette question de la salubrité du marais n’est guère exposée que par Olivaud, sans doute en raison de la prégnance des idées aéristes qui dominent à la fin du XVIIIe siècle, en particulier dans l’administration pour qui dessèchement signifie progrès économique, amélioration sanitaire et mieux être social17.

Un territoire doté par la Providence (ou la nature) de ressources spécifiques sans cesse renouvelées

15 Ce milieu particulier est conçu comme un véritable écosystème. En effet, il « végète », c’est-à-dire que ses ressources se renouvellent naturellement. Si la régénération de la tourbe – qui intervient, dit-on, tous les « huit à dix ans » – est contestée par quelques- uns, et donne lieu à des explications différentes, elle est, à n’en pas douter, admise par les Briérons qui l’attribuent à la présence de l’eau en surface durant une partie de l’année et continuellement à une certaine profondeur. Un dessèchement « tarirait » la « source précieuse de sa formation et de son entretien », la « dénaturerait » et l’exposerait à une destruction complète par incendie. Aussi la Grande Brière Mottière est-elle un système dont la cohérence ne peut avoir été pensée que par la Providence18. Il en découle que « La Brière ne peut être que la Brière », qu’elle ne peut permettre « aucune autre culture » que celles dont elle dispose, et quand bien même pourrait-elle être convertie « en terre labourable ou en prairie », le revenu serait infime, équivalant tout au plus au dixième de ce qu’il est, car elle offre « trop peu de liaison, de consistance et de fond » pour pouvoir donner de « vraies prairies » ou des terres cultivables19.

16 Une conclusion s’impose : « en un mot prétendre entreprendre de dessécher les marais, c’étoit vouloir être plus sage que la Providence qui avoit tout disposé et arrangé de la sorte pour les différents besoins du pays20 » en lui procurant des ressources spécifiques et en assurant leur continuelle reproduction.

Un territoire aux ressources largement suffisantes pour assurer la vie des riverains21

17 Cette nature particulière est généreuse. Sa principale ressource est la tourbe. Pour les « pauvres riverains de la Brière », elle est la « seule récolte d’un grand nombre d’entre eux ». Son extraction leur assure le chauffage mais aussi les moyens de vivre car « ils vendent l’excédent de leurs provisions ». Présents sur les lieux durant l’été 1774, les commissaires des états de Bretagne évoquent des Briérons « zélés et laborieux

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journellement occupés à l’extirpation pénible des mottes », alors que « les hommes coupent des mottes […] leurs femmes et leurs enfants tout petits les portent et les tournent au soleil ». Ainsi, la vie des Briérons ne serait liée qu’à l’exploitation de la tourbe et ne serait assurée que par son commerce. Sans ce « pain des riverains », « 6 à 7 000 personnes seraient réduites à mourir de faim, ou à s’expatrier, et 40 à 50 000 seraient ruinées ».

18 Toutefois, certains n’omettent pas de mentionner que le territoire offre à ses riverains d’autres ressources : pâturage, litière et donc fumier, roseaux qui alimentent les fours et servent à la couverture de leurs maisons, portée par des charpentes faites parfois de mortas – arbres fossiles extraits du sous-sol tourbeux –, ce qui est une aubaine pour un territoire où le bois manque cruellement. Mais rares sont ceux qui signalent que les « terres de labour », situées à l’intérieur des îles briéronnes, sont cultivées, sinon pour dire qu’elles n’assurent de quoi vivre que pour « un mois par an ». De même, l’usage des cendres de tourbe comme engrais et celui de la tourbe comme amendement des terres lourdes ne sont qu’épisodiquement évoqués. Quant à l’exploitation de l’osier, à la production de poterie ou du lin, et, surtout, à la pratique de la chasse et de la pêche, activités pourtant inhérentes aux zones humides, il n’en est pas fait état. Sans doute que chasse et pêche, dont les droits sont liés aux seigneuries, auraient pu conduire à poser la question du statut du territoire, ce qui n’est pas souhaité…

Un territoire nécessaire aux lieux avoisinants et à la province22

19 La tourbe fait l’objet d’un « commerce prodigieux ». Elle est « d’une nécessité absolue » pour « le grand territoire de Guérande », où il n’y a pas ou peu bois de chauffage. La tourbe est également utilisée comme combustible dans toutes les paroisses de l’estuaire de la Loire, à Nantes, à La Roche-Bernard, à Redon, sur toute la côte jusqu’à Vannes et au-delà jusqu’à Lorient, à Port-Louis, à Belle-Île, à Brest et au sud de la Loire dans les îles de Bouin, d’Yeu, de Noirmoutier, de Ré et d’Oléron, ainsi qu’à Beauvoir, à Bourgneuf, à La Rochelle et à Bordeaux. Au total, dans tout le comté nantais, dans « la moitié du continent de la province de Bretagne », dans « 42 paroisses de la côte de Bretagne et du Poitou », la tourbe briéronne évite à 200 000 personnes de « périr de froid et de misère », et à 500 000 autres d’être privées « des choses les plus nécessaires à la vie », car sans elle, elles seraient dans « l’impossibilité de faire cuire leur pain, et bouillir leur pot » et souffriraient « une misère affreuse ». Ce combustible serait même le seul utilisé dans certaines villes (Nantes, Guérande, Le Croisic, Paimbœuf et La Roche- Bernard), par les pauvres (« tout le peuple de Nantes ») – et certaines institutions – (hôpitaux, prisons, et « autres maisons publiques »). À tous, la tourbe de la Grande Brière Mottière « est aussi nécessaire que le pain qu’ils mangent et que l’air qu’ils respirent, puisqu’ils ne pourraient pas vivre sans feu. »

20 Quant aux tourbeurs et à ceux qui assurent le commerce de la tourbe, si la ressource venait à disparaître, ils seraient « obligés de s’expatrier, comme des pêcheurs à qui on ôteroit la liberté de prendre du poisson dans la mer ». Les « chaloupes, chasse-marées et bateaux », au total 500 à 600 unités d’un tonnage de 6 à 50 tonneaux, dont à Méan 70 chaloupes depuis 20 jusqu’à 50 tonneaux et plus de 100 petits bateaux », seraient désarmés et leurs équipages sans emploi. Or, ces marins représentent « les deux tiers des habitants de quelques paroisses riveraines de la Brière », en fait essentiellement de Montoir. Formés sur le tas, dès leur « plus tendre enfance », ils s’avèrent être « d’excellents matelots qui se sont toujours distingués par leur adresse, leur force et

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leur valeur », ce qui en fait les « meilleurs marins de la Bretagne ». Ils peuvent être appelés « au service des vaisseaux de Sa Majesté » et, lors de la « dernière guerre » (guerre de Sept Ans, 1756-1763), la seule paroisse de Montoir a fourni « plus de 800 » (voire « 850 à 900 », ou pour être précis, « 824 »), « matelots au service de Sa Majesté », « nombre qu’aucune paroisse maritime n’a jamais égalé », et qu’« aucune n’a même jamais approché ». En effet, « le pays a fourni cent hommes au roi », alors que « chacune des autres paroisses de la côte » n’en fournissait que « six ». En cas d’arrêt du commerce de la tourbe, « l’État perdroit une pépinière de marins qui servent si avantageusement la patrie ».

21 Par ailleurs, en l’absence de tourbe, le bois, déjà rare – d’autant plus que suite à la « disette et la cherté » que vient de subir le pays, il a été abattu bon nombre d’arbres émondables afin de se procurer des ressources pour acheter du pain –, le serait encore plus, les prix flamberaient, ce qui affecterait « considérablement » divers secteurs économiques : la construction navale, les manufactures de verre, de faïence et d’indiennes, ainsi que l’exploitation des mines de fer et la métallurgie, les fers français verraient leurs prix renchérir, alors que leurs prix sont déjà excessifs.

22 Au final, la Grande Brière Mottière est remarquable par son utilité publique. Elle est un bien public et y porter atteinte est « une entreprise meurtrière, ruineuse pour quarante ou cinquante mille habitants riverains, nuisible à toute une province par ses effets, et préjudiciable à l’État par ses conséquences ».

L’image de la Grande Brière Mottière : une construction « locale » liée à sa défense et fondée sur des stéréotypes

23 Élaborée par les opposants à la compagnie de Bray et au seigneur de Saint-Denac, l’image de la Grande Brière est exposée dans des requêtes et des plaidoyers. Elle a été développée en tenant compte de la jurisprudence et en particulier d’un arrêt du Conseil du roi en date du 21 juillet 1764 qui déboute Forestier de Bonabry de sa demande pour dessécher des marais en Bas-Poitou et en Aunis. Cet arrêt, maintes fois invoqué par les opposants au dessèchement – car « les mêmes motifs militoient en faveur des habitants de Montoir et de Saint Joachim, mais qu’ils en avoient encore d’infiniment plus puissants » – précise les conditions à satisfaire afin qu’un dessèchement soit autorisé par le roi. Il impose d’examiner : s’il est techniquement possible, si le résultat à atteindre est avantageux, s’il ne nuit pas aux anciens dessèchements, s’il ne prive par les bestiaux de fourrage et plus généralement les populations de ressources telles que, dans l’affaire Forestier, les roseaux pour la couverture de leurs maisons et le bois blanc pour leur chauffage23.

24 La question de la difficulté technique du dessèchement de la Grande Brière Mottière n’est abordée que par le marquis de L’Estourbeillon – un partisan du dessèchement – qui le dit fort difficile mais non impossible à réaliser. Pourquoi cette question n’est-elle pas abordée par les opposants au dessèchement ? Est-ce l’aveu qu’ils n’ont jamais envisagé qu’un pareil projet existait et qu’ainsi ils n’auraient pas à en combattre la faisabilité ? Mais sans doute faut-il penser à un positionnement plus tactique ; introduire la question de la faisabilité du dessèchement n’aurait pas manqué de faire émerger une série de propositions : dessèchement partiel, mise en place d’une exploitation rationalisée de la tourbe, éventualités que les opposants au dessèchement ne veulent pas aborder.

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25 En effet, ils campent sur une position simple : maintien en état d’un territoire, de ses caractères bien particuliers et de son exploitation traditionnelle. Selon eux, le dessèchement anéantirait ses ressources, tout particulièrement la tourbe qui ne « végéterait » plus et serait détruite par l’incendie, alors que la mise en culture ne saurait créer de ressources équivalentes et appauvrirait le territoire, et que le creusement de canaux le rendait insalubre. Le dessèchement aurait des effets désastreux sur place mais aussi au-delà. La disparition de la tourbe priverait de chauffage surtout des classes populaires et affecteraient gravement des pans entiers de l’économie provinciale, alors que la Marine royale, elle-même, serait affectée en perdant des marins aguerris. Économiquement, socialement, politiquement même, le dessèchement serait une catastrophe et quoi qu’on fasse, « elle ne pouvoit jamais produire des avantages plus importants et plus précieux24 ».

26 Or, un tel projet, « cruel et révoltant », existe, porté par quelques dessicateurs : « trois ou quatre particuliers », « hommes cupides et avides », désireux de « grossir leur fortune », en provoquant la ruine d’« un très nombre d’individus25 ». À un tel discours, une conclusion s’impose : le territoire doit être préservé en son état « naturel ». Bien entendu, une telle défense au nom de la conservation de la « nature » n’a rien à voir avec nos préoccupations actuelles dans ce domaine. Il s’agit alors de défendre l’exploitation traditionnelle du territoire et non pas un biosystème. L’image d’ensemble proposée est une construction bâtie en fonction d’un but à atteindre. Elle est défensive mais également offensive : elle est employée par les défenseurs de la cause – des Briérons et leurs relais – afin de convaincre des institutions (états de Bretagne, communautés de ville, généraux de paroisse) et plus largement l’opinion.

27 Devant différentes juridictions (cour de Guérande, présidial de Nantes, parlement de Bretagne, Conseil du roi), les arguments employés doivent beaucoup aux juristes, procureurs en cour de justice (tel Rouaud de La Villemartin agissant également en tant que député de la communauté de ville de Guérande aux états de Bretagne), notaires et procureurs de seigneurie (tel Alain Le Borgne, procureur du général de Saint-André- des-Eaux), avocats locaux (Chaillon), rennais (souvent consultés) et parisiens en poste à la Cour (Bocquet des Tournelles pour les paroisses). Cependant, ni Espivent de La Villeguevray, seigneur de L’Écurais (en Prinquiau), ni L’Estourbeillon (seigneur du Bois- Joubert en Donges), ni Wlieglen de Luzenbourg (d’origine irlandaise mais possessionné à Donges), dont le rôle est important, ne sont avocats, mais leur statut social (nobles disposant de vastes propriétés pour les deux premiers ; en relation avec les milieux d’affaires pour le troisième), leur capacité à développer des argumentaires et à les diffuser sous forme de mémoires les placent au-devant de la scène.

28 Les « locaux » ont joué un rôle essentiel. Ils sont à l’origine de « l’invention » de la Grande Brière Mottière car l’image qu’ils en proposent fait la part belle aux stéréotypes. Le plus souvent, les ressources du territoire sont réduites à la seule tourbe, et les activités des Briérons, dépeints comme un peuple nombreux, pauvre et laborieux, se limitent à son extraction ou sa commercialisation, vision singulièrement réductrice, et qui gomme notamment les différences entre Briérons des îles et Briérons du pourtour de la Grande Brière Mottière. Territoire et habitants sont placés sous le sceau de la tourbe, ils sont assimilés à une ressource et à sa mise en valeur, et leur importance est appréciée à l’aune de cette ressource.

29 Cette « invention » s’impose parce qu’elle est en phase avec l’opinion briéronne et l’opinion régionale. Sur place, elle reçoit le soutien des Briérons, soucieux de préserver

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un territoire sur lequel ils estiment avoir des droits et dont ils tirent leur subsistance grâce à des ressources dont l’eau, pensent-ils, assure le renouvellement. Leur soutien se manifeste par des actions légales (présence en masse aux assemblées convoquées par les généraux de paroisse), mais également par des actions à caractère illégal : résistances passives, voies de faits, voire « sorte de révolte à main armée », en 1782, qui paraît avoir provoqué l’arrêt des travaux engagés pour le dessèchement des marais de Donges. L’opinion publique des lieux voisins consommateurs de tourbe est sensible à des affaires que lui font craindre pour son ravitaillement en combustible bon marché. La défense d’un territoire menacé et l’utilité publique de la tourbe à l’échelle de la province conduisent à l’intervention des états de Bretagne, qui, avec quelques réserves, se rallient aux arguments exprimés dans les requêtes des généraux de paroisse. Enfin, à une époque où l’opinion est de plus en plus sensible aux questions sociales, la dénonciation de l’action de la compagnie de Bray, présentée comme formée de quelques particuliers avides et cupides, désireux de s’approprier les ressources d’un territoire tout entier au détriment des populations locales et des consommateurs de tourbe dont il est souligné la pauvreté et le caractère laborieux, a cimenté ces diverses opinions.

Le devenir de l’image de la Grande Brière Mottière et la légende noire briéronne (1817-années 1820)

Le contexte : l’affaire du dessèchement des marais de Donges

30 Avec l’ordonnance royale du 2 juillet 1817, qui accorde la concession du dessèchement des marais de Donges à la Compagnie de Bray, s’ouvre un nouveau temps fort de l’histoire briéronne. Cette « affaire des marais de Donges » est marquée par une série de conflits qui se poursuivent jusqu'aux années 1870, ayant trait successivement au dessèchement (achevé en 1825), au partage des terres desséchées (prononcé en 1829), à la délimitation de celles-ci, à la levée de la plus-value, puis aux dommages réclamés par la compagnie de Bray aux communes. Contre cette compagnie, la mobilisation des Briérons est générale et multiforme – instances juridiques, résistances passives, voies de faits, voire véritables émeutes… La tension est parfois si forte qu’au début des années 1820 puis des années 1830, des troupes de ligne casernent sur place.

31 D’après l’article 4 de cette ordonnance, la Grande Brière Mottière est exclue du dessèchement. Or, pour la période que nous envisageons, son nom est omniprésent. En effet, elle est immédiatement placée au cœur de la querelle judiciaire que soulève cette ordonnance : les opposants à la Compagnie de Bray se réclament d’une Grande Brière Mottière dont certains aspects sont revus à l’occasion.

L’image de la Grande Brière Mottière : invariants et révisions

32 Les opposants à la compagnie de Bray proposent une nouvelle délimitation de la Grande Brière Mottière. Elle se fonde sur un passage des lettres patentes du 28 janvier 1784 : celui qui énonce que « tout le peuple commun des paroisses voisines de la Brière » est maintenu « dans la propriété, possession et jouissance commune et publique de ladite Brière mottière [la virgule du texte initial est désormais supprimée, parfois remplacée par un tiret] et terreins contenant des tourbes et mottes à brûler, situés entre et dans lesdites paroisses ». Cette expression, redondante, est interprétée comme désignant

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deux ensembles : d’une part, la Grande Brière Mottière et, d’autre part, tous les autres terrains tourbeux situés « entre et dans lesdites paroisses » riveraines mais qui, au final, ne forment qu’un seul et même ensemble tourbeux26. Aussi la ligne de séparation ordinairement retenue pour distinguer ces territoires, et que reproduit l’article 4 de l’ordonnance de concession, est-elle déclarée « imaginaire ».

33 Cet argument, qui n’est pas le seul employé, est juridiquement fondamental puisqu’il vise à sanctuariser les marais de Donges. Dès le début, il est asséné par Odilon Barrot, l’avocat des opposants à la compagnie de Bray auprès du conseil d’État27. Ce recours à un talent déjà affirmé du barreau change les conditions de la production juridique qui ne fait plus appel comme précédemment à des prises de paroles « locales » et de la « société civile ». Toutefois, cette déconnexion du « local » n’est pas totale puisqu’Odilon Barrot travaille à partir des actes fournis lors des anciennes procédures dont il fait un large usage. Il en résulte une différence de tonalité : le ton est beaucoup plus juridique tant dans la forme que dans l’argumentaire. Cette évolution enregistre la mutation judiciaire intervenue sous la Révolution et l’Empire (effort législatif, codification du droit) ainsi que la réorganisation administrative (disparition des provinces) qui fait que les communes briéronnes se pourvoyant au conseil d’État ne disposent plus de l’appui des états de Bretagne. Dans ces requêtes, les arguments juridiques se veulent péremptoires. Certes les arguments de fait, d’ordre économique et social, ne sont pas omis mais ils restent conformes à l’image traditionnelle du territoire, avec cependant des évolutions.

34 L’identité de la Grande Brière Mottière était, au travers des pièces de procédure des années 1770-1780, suffisamment établie pour qu’Odilon Barrot n’ait pas à innover. La Grande Brière Mottière dont il fait état est marquée par de nombreux invariants : nature originale, ressources sans cesse renouvelées, importance de la tourbe qui assure la vie des riverains et est un combustible utilisé dans les lieux avoisinants et au delà.

35 Le fait d’associer dans un même ensemble Grande Brière Mottière et marais de Donges – désignés sous le seul nom de Brière – conduit à ne plus insister sur la spécificité de la Grande Brière Mottière mais, au contraire, à souligner les aspects communs aux deux territoires : zone humide recouverte par les eaux une grande partie de l’année, présence et exploitation de tourbe (voire de roseaux, analogie de végétation, au moins, sinon seulement, entre Grande Brière Mottière et marais de la Boulaie).

36 Deux aspects donnent cependant lieu à des précisions. D’une part, est fortement souligné le caractère salubre du territoire qui est mis en rapport avec les propriétés antiseptiques de la tourbe, et, d’autre part, sont décrits les conditions et le processus de sa formation en faisant appel aux idées les plus récentes28. Cette insistance nouvelle est en relation avec la législation récente : la loi du 16 septembre 1807 sur les dessèchements affirme qu’ils ne s’imposent que pour les zones insalubres et improductives et la loi du 21 avril 1810 sur les mines et minières fait des tourbières des territoires soumis à une législation spéciale. Aussi, selon ces lois, les marais de Donges ne peuvent-ils être concédés à la compagnie de Bray.

37 Autre évolution : le recours à la Providence, sauf exception29, n’est plus de mise, ce qui traduit l’évolution générale de l’esprit public au lendemain de la Révolution.

38 Globalement, l’image de la Grande Brière Mottière connaît peu d’évolutions et ses stéréotypes sont confirmés, preuve s’il en est que l’invention de la Grande Brière Mottière lui a conféré une identité extrêmement forte. Toutefois, l’affaire du

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dessèchement des marais de Donges a été l’occasion d’une réécriture de l’histoire récente du territoire et elle est à la base de la « légende noire » briéronne.

Une révision de l’histoire récente du territoire

39 Dans les différentes requêtes présentées pour la défense du territoire, sont rappelés les événements qui l’ont affecté récemment30 : afféagement des marais de Donges consenti, en 1771, par le vicomte de Donges à la compagnie de Bray ; arrêt du Conseil du roi du 11 juin 1774 ordonnant la levée d’un plan et une enquête préalables au dessèchement ; opposition de la population ; intervention des états de Bretagne, le 9 février 1775 ; obtention par la compagnie de Bray en 1779 de la concession du dessèchement ; opposition de la population et des états de Bretagne ; octroi par le roi, le 28 janvier 1784, de lettres patentes qui, en reconnaissant la propriété des Briérons sur la Brière, en interdisent le dessèchement.

40 Si le récit est ancré sur des dates et des faits et s’il est cohérent, il n’en donne pas moins aux lettres patentes un sens qu’elles n’ont pas. Selon ce récit, en 1784, en interdisant le dessèchement de la Brière (Grande Brière Mottière et marais de Donges) Louis XVI reviendrait, en raison de l’opposition des Briérons, sur la décision qu’il a prise en 1779. Or, cette présentation est doublement fautive. Elle ne correspond pas à l’enchaînement des faits : la demande de lettres patentes est une démarche autonome dont l’intendant de Bretagne, lui-même, assure qu’elle n’entrave pas l’action de la compagnie de Bray dont les travaux paraissent d’ailleurs interrompus depuis 1782. D’autre part, elle ne correspond pas à la portée géographique des lettres patentes qui ne concernent, quant à elles, que la Grande Brière Mottière.

41 Cette révision des faits, en dépit des dénégations répétées de la Compagnie de Bray et de l’administration, est acceptée par l’opinion, par la juridiction civile, tant par le tribunal de première instance de Savenay31 que par la cour d’appel de Rennes32, et elle trouve des échos auprès du préfet de la Loire-Inférieure Villeneuve33 et du sous-préfet de Savenay Normand34.

42 Comment expliquer une telle acceptation ? D’une part, les faits évoqués sont déjà anciens (les lettres patentes ont été accordées en 1784, soit, en 1817, il y a trente-trois ans) et leur souvenir a dû être fortement troublé par la tourmente révolutionnaire35. D’autre part, la formule « entre et dans lesdites paroisses » paraît explicitement confirmer la lecture des opposants à la compagnie de Bray. Or, cette formule est en partie fausse : en effet, la Grande Brière Mottière ne révèle d’aucune paroisse, aussi l’usage d’une formule usuelle du langage juridique s’avère-t-il inadapté et crée la confusion. Par ailleurs, d’un point de vue géographique, la présentation faite correspond à une réalité physique incontestable : la plus grande partie des terrains est tourbeuse. Cette réalité est d’autant plus ressentie que cette tourbe a, de tout temps, donné lieu à une exploitation tant en Grande Brière Mottière que dans les marais de Donges, mais une exploitation de nature différente puisque celle qui est extraite en Grande Brière Mottière est commercialisée alors que celle des marais de Donges, en raison de sa moindre qualité, n’est destinée qu’à être consommée sur place. Toutefois, selon les renseignements recueillis par le sous-préfet de Savenay, à partir de 1817, les zones d’extraction et leur finalité évoluent, les marais de Donges font l’objet d’une exploitation plus importante et destinée, surtout dans les marais de la Boulaie où la qualité de la tourbe est assez analogue à celle de Grande Brière Mottière, à être

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commercialisée36. De la part des tourbeurs, cette nouveauté a une double portée : juridique et de fait. En effet, elle affirme leurs droits – ils exploitent une terre dont ils estiment avoir la propriété – et l’extraction de la tourbe est un obstacle physique à la réalisation du dessèchement.

43 Cette réécriture de l’histoire37 donne un sens particulier au combat des Briérons contre la compagnie de Bray. Elle le fonde sur des droits de propriété attestés par des « titres » (encore invoqués de nos jours). Or, les dessèchements étant considérés comme une œuvre d’intérêt public, leur réalisation relève du droit administratif et les recours civils ne peuvent en arrêter la marche et le dessèchement est mené à bien. Les Briérons, convaincus que leurs droits sont méprisés, estiment alors justifié leur recours aux voies de fait, voire à des « événements tumultueux ». L’image de Briérons « maîtres chez soi », soucieux de défendre leur territoire, obstinés et prompts à la révolte, prend ici, sinon son origine, du moins toute sa consistance.

44 Cette image est empreinte de stéréotypes. Le sous-préfet de Savenay, qui s’exprime le 5 août 1821, c’est-à-dire au lendemain de l’émeute du 31 juillet38, affirme que la « nature des habitants n’est pas en cause », tout au plus les habitants de Crossac et surtout ceux de Saint-Joachim sont-ils « raisonneurs, tracassiers, insubordonnées », et d’autant plus virulents que leurs intérêts sont plus « froissés » par le dessèchement que ceux de leurs voisins, jugés plus pacifiques. Selon lui, ces « scènes tumultueuses » qui pourraient être « sanglantes » sont le fait d’« hommes égarés peut-être perfidement excités à la révolte, mais qui au fond sont dévoués au gouvernement du roi39 ». Volonté de se rassurer de la part d’un administrateur que la révolte a traumatisé ? Sans doute, mais seulement en partie, puisqu’il persiste dans ses convictions, en affirmant, le 29 août 1823, que les Briérons sont « naturellement bons et tranquilles40 ». Une telle opinion n’est pas en accord avec la légende noire briéronne.

La légende noire briéronne

45 La légende noire briéronne s’exprime dans un article intitulé « La Brière41 », signé Ludovic. Sous ce pseudonyme se cache Ludovic Chapplain, le gérant responsable de la revue Lycée armoricain, éditée par Camille Mellinet42.

46 L’image qu’il donne de la Grande Brière Mottière est, d’entrée, totalement négative : « Ici, plus de champs, plus de culture, la civilisation s’arrête, et la Bretagne disparaît […] c’est l’immensité de ses landes, mais sans leur imposant aspect et leur lointain horizon […]. Autour de nous, une nature âpre, sauvage, étrange, sous vos pieds, une terre brune, fangeuse et mobile ; au loin un cercle noir qui vous entoure, et comme un long voile de deuil semble ceindre cette misérable contrée… » Dans un tel environnement « que demander ici à l’imagination ? […]. Ses prismes sont brisés et ses fantômes évanouis […]. Plus de poésie dans le cœur, de charme dans les souvenirs, ce noir horizon est là, devant vous, comme une pensée pénible, inévitable… ».

47 Certes, « à travers cette vapeur qu’exhale le sol humide » dans ces « noires savanes, il y a des bourgades, des hommes, des familles, un peuple qui vit en société et se dit français… ». Cette constatation, somme toute surprenante au vu de l’environnement, conduit immédiatement l’auteur à s’interroger : « Français ! […] et le moyen d’y croire […]. N’est-ce pas plutôt une terre étrangère rejetée bien loin au-delà des mers ? […]. Car de la France, autour de vous, pas la plus légère trace, pas un faible reflet […], pas un

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bouquet d’arbres qui rappelle ses frais paysages, pas le moindre murmure qui rende le bruit de la vie… »

48 De ce triste constat témoignent diverses descriptions. Et d’abord, celle du cadre de vie du Briéron. Sous le toit de chaume d’une « cabane », toute emplie d’une « fumée âcre et noire » provenant de la combustion de la tourbe, se distinguent « aux quatre coins du taudis, quelques grabats recouverts de sacs de laine, sur lesquels s’entassent, pêle-mêle, hommes, femmes, enfants et valets ; puis les têtes des bestiaux qui se montrent à travers les barreaux de la cloison à claire-voie ». Dans ce cadre, des « fantômes […] se meuvent lentement ». Leurs portraits sont brossés. Celui du chef de famille : « Figure jaune et sèche, morne et stupide, que recouvre à moitié une barbe épaisse et qu’abrite un bonnet de laine brun, puis vient un corps immobile enveloppé de sombres vêtements. » Puis celui d’une autre créature « qui ressemble à l’ébauche informe d’un sculpteur ; et cette peau noire et ridée, cet œil fixe ? Que pensez-vous que ce puisse être ? Vous ne devinez pas ? Tout cela forme l’ensemble de la physionomie de l’épouse ; oui, vous pouvez m’en croire, c’est véritablement une femme, et telle que vous la voyez, elle fait partie de ce sexe qu’ailleurs on adore, on divinise »… Quant aux enfants : « L’influence du pays pèse déjà sur eux de tout son poids, la fleur de la jeunesse s’est fanée chez eux, et les voilà mornes, blêmes, impassibles comme leur père. »

49 La conclusion s’impose, nette et tranchante : on se croirait « chez une famille du Kamschatka ou du pays des Hottentots »… Destiné à rendre compte de l’étonnante altérité des Briérons, le recours à des comparaisons exotiques se retrouve encore dans l’évocation des « villes de la Basse-Égypte, durant les inondations du Nil », pour évoquer les îles qui parsèment la Grande Brière Mottière, et celle des embarcations de Venise pour évoquer celles de Brière ; mais Ludovic a soin de souligner la dissemblance des deux lieux qui se lit « avec des toits de chaume pour palais, avec des barques grossières au lieu de gondoles élégantes ». L’exotisme est encore convoqué avec l’indication de possibles mirages, analogues à ceux des « déserts d’Afrique et d’Égypte ».

50 Ludovic poursuit son propos en insistant sur l’anachronisme du Briéron en le montrant insensible au spectacle de la beauté et de l’animation de la Loire ainsi qu’aux attraits de Nantes qu’il fréquente pourtant « dix fois par an ». Bref, « il n’a pas fait un pas dans la civilisation ; tel il était il y a quatre siècles, tel il est encore »…

51 Ludovic évoque également la formation de la tourbière, l’extraction et le commerce de la tourbe. Le Briéron exploite cette terre particulière où, par une « étrange prévoyance », la nature « pour protéger son ignorance et lui épargner la peine d’ensemencer pour vivre, a placé à ses pieds des trésors faciles à exploiter. Cette terre noire qui attriste vos regards, voilà sa richesse ; et il ne l’échangerait pas pour la poudre d’or du Nouveau Monde ». Elle fait vivre ces habitants en assurant à la « ménagère » l’argent dont elle a besoin, et aux enfants le « vieux lard et […] la soupe à la graisse qui vont, pendant quelques jours, varier agréablement leurs maigres repas composés de pain sec et de pommes de terre ».

52 La Grande Brière Mottière assure la vie des Briérons et il y a symbiose entre elle et la population qui l’exploite. Le Briéron est donc une sorte d’émanation de la Grande Brière Mottière et sa vie est une allégorie de ce territoire qui lui offre une ressource « primaire » pour subsister, et qui est l’objet d’un commerce tout aussi « primaire » quant à son organisation. L’existence du Briéron est tout aussi « primaire ». Le mariage n’est qu’une simple « spéculation qui n’interrompt en rien le cours monotone de la vie », et la cérémonie qui l’accompagne est expédiée rapidement et sans joie. La vie

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familiale se résume en une formule : « une femme pour tremper la soupe, des enfants pour recueillir la tourbe » ; et la vie sociale en une autre : « accumuler les profits qu’il retire de son commerce, voilà sa règle de vie, voilà tout son bonheur ». « La mort n’est qu’un simple passage obligé et accepté, aussi n’est-il rien tenté par ses compatriotes quand un Briéron tombe à l’eau, ils se contentent d’énoncer : “c’est son bon ange qui l’appelle vers lui” ; et, muets, les bras croisés, ils se soumettent à la volonté du ciel en murmurant quelques prières ». Le deuil est tout aussi « primaire » : il est célébré par des « hurlements sauvages », et c’est « à qui criera le plus fort pour honorer le défunt ». Dans ce monde « primaire » où les mirages ne sont pas absents, le Briéron est en proie aux superstitions. Les « flammes bleues qui scintillent parfois sur la Brière » sont identifiées comme étant des « esprits malins prêts à égarer le voyageur et à l’entraîner dans les fondrières », et les vapeurs blanches sont reconnues comme « les ombres de leurs parents, de leurs amis ». Quant aux événements dramatiques qui pèsent sur les hommes, leurs bestiaux ou leurs récoltes, ils sont attribués à des sorciers jeteurs de sort qui vivent en marge de la communauté.

53 Cette description qui affecte la forme du récit d’un voyageur soucieux de rendre compte de ce qu’il observe autour de lui est en totale contradiction avec ce que rapporte le député Frénilly43 ou le docteur Olivaud44. Aussi le sens de cette charge doit-il être recherché. Il est à trouver dans l’évocation par Ludovic de la question du dessèchement des marais de Donges. Il met en exergue l’ambition des dessicateurs qui, en assurant la mise en culture et l’assainissement du marais, affirment apporter la richesse au pays et le bonheur aux populations45, ambition hautement affirmée et partagée par l’administration46, et plus largement par l’opinion « éclairée »47.

54 Mais les Briérons ne l’ont pas entendu ainsi : « alors ce peuple que l’on croyait mort à toute sensation s’éveilla, terrible ». Par leur révolte, modernes Mazaniello48, les Briérons – donc la violence, signifiée par les mots « insurrection », « révolte à main armée », « guerre », « lutte sanglante », « victimes », est exagérée – affirment les liens consubstantiels et fusionnels qui les unissent à la Brière, car « qu’importait au Briéron, et ces richesses promises, et cette métamorphose qu’il ne demandait pas […] La terre noire et fangeuse qu’on voulait lui enlever faisait vivre sa famille ; elle avait nourri ses pères, elle était aussi belle à ses yeux que les plus riants paysages, aussi riche que les plus fertiles coteaux […]. Le bien présent était tout pour lui : qui lui assurait que l’avenir serait meilleur ? »

55 Le texte s’achève sur une phase qui pourrait paraître teintée d’ironie : « On continua à se disputer ce marais ni plus ni moins que si c’eût été un paradis terrestre. » En fait, la phrase révèle le sens du récit. Elle exprime que les uns et les autres se font des représentations idéalisées de leur monde et qu’elles sont antagonistes, incompatibles et irréductibles l’une à l’autre. La Brière telle que la voient les Briérons ne peut que disparaître sous la pelle et la pioche des dessicateurs, et, pour la conserver, ils s’opposent à leurs travaux par des moyens de droit ou encore par la force. Mais dans cet affrontement qui engage l’existence du monde traditionnel briéron, la lutte ne se développe pas seulement dans les prétoires et sur le terrain, elle se situe aussi au niveau des représentations. Les dessicateurs par un double jeu de miroirs déformants font, d’une part, de ce monde traditionnel, un monde de misère, d’ignorance, que son altérité rend étrange, exotique et anachronique et qui, de ce fait, n’a plus de raison d’être. Et, d’autre part, un autre miroir déformant fait du monde que ces modernes démiurges promeuvent un monde d’abondance, de progrès, qui ferait entrer les

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Briérons « dans l’histoire ». Aux yeux des Briérons, ces représentations sont inacceptables : le monde traditionnel leur assure la vie, certes une vie sans doute fruste mais analogue à celle de leurs pères et indépendante, alors que le monde qu’on leur promet signifie leur dépossession et ne paraît leur offrir aucune certitude d’une vie meilleure.

56 En paraphrasant une formule de l’auteur, – celle où il évoque « le droit de bouleverser leur pays pour faire leur bonheur en dépit d’eux-mêmes » –, on peut énoncer la morale qu’appelle cette histoire : on n’a pas le droit bouleverser un pays et de faire le bonheur de sa population contre son gré.

57 Ce sont ces visions croisées que Ludovic donne à lire ; mais d’une lecture rapide, au premier degré, se dégage un portrait éminemment défavorable des Briérons49. Cette vision s’est imposée. Pourquoi ? La raison essentielle est que les milieux éclairés la partagent tant la réputation des zones humides est alors exécrable et que l’attitude des Briérons leur apparaît être irrationnelle. À ce propos, les témoignages sont nombreux, contentons-nous d’en citer deux émanant de l’administration préfectorale : le 16 juillet 1832, le sous-préfet de Savenay évoque le sort de ses habitants « entourés d’eau, sans communication », restés « étrangers au progrès de la civilisation » et formant « un peuple à part », hostile à toute « innovation » et attaché « à de vieilles traditions qui ne sont le plus ordinairement que de vieux préjugés50 » ; le 8 août 1832, le préfet de la Loire-Inférieure fustige les « habitudes invétérées des habitants misérables et ignorants de ces communes » incapables de concevoir le « sort nouveau et plus heureux qu’on veut leur faire connaître51 ». D’autre part, beaucoup parmi les plus compréhensifs envers les Briérons finirent, en raison de la longueur du conflit, par perdre patience et se lasser du continuel refus de compromis des Briérons. Et puis encore, et peut-être surtout, les Briérons n’hésitèrent pas à l’utiliser pour leur cause comme le montre un épisode de l’année 1841. Pour éviter des sanctions, le maire de Montoir plaide la clémence de l’administration en ces termes : « Nos communes sont déjà trop malheureuses ». Le 2 septembre 1841, le sous-préfet de Savenay transmet ce courrier au préfet, et, reprenant la pensée du maire, afin d’appuyer la requête du maire, il s’exprime ainsi : « Cette population est ignorante et presque sauvage, la civilisation qui a fait tant de progrès dans les autres parties de la France, n’a pu pénétrer dans les marais de Saint-Joachim, où l’empire de la routine et de l’habitude l’emporte sur le respect qui est dû aux lois ; mais il est aussi vrai, toutefois, qu’elle est misérable et que la tourbe est sa seule ressource52. »

58 Dans l’affaire, il s’agit pour les autorités locales d’éviter des sanctions, aussi disent-elles aux autorités supérieures ce qu’elles veulent entendre. Elles évoquent l’opinion que l’on a de l’extérieur de la Brière, celle de la légende noire, opinion admise, sinon partagée par l’administration : celle de Briérons, attardés, misérables, dépendants de la seule tourbe pour vivre, toujours prêts à intervenir pour défendre leur territoire et sa ressource.

59 La seconde moitié du XVIIIe siècle voit l’invention de la Grande Brière Mottière. Entre 1817 et 1830, cette vision du territoire est confortée et précisée. Elle est intimement liée à la tourbe avec laquelle les Briérons ont un lien si fort que l’idée s’impose qu’ils sont issus de la tourbe, idée que le mythe de Cadmus vient magnifier53. Cette construction

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s’est nourrie de la production d’écrits issus du territoire et destinés à défendre la Grande Brière Mottière lugée menacé. Elle est valorisante et insiste sur ses ressources, son utilité pour les riverains et les environs, son caractère sain, mais fragile qu’il faut en conséquence préserver. Cette défense du territoire est encore fondée sur les droits que les Briérons affirment avoir sur le territoire qu’ils font valoir au prix d’arrangements avec l’histoire en faisant d’un simple mandement ducal de 1461 des lettres patentes et en étendant la portée géographique de celles de 1784 aux marais de Donges.

60 Face à cette image visant à maintenir en l’état un monde traditionnel, entre 1817 et les années 1830, apparaît une autre invention, celle de la légende noire briéronne. Ici la tonalité est totalement dévalorisante. Venue de l’extérieur, destinée à montrer ce que, par opposition, le dessèchement des marais de Donges apporterait de progrès et de mieux-vivre, elle s’impose, portée qu’elle est par les milieux favorables au dessèchement, mais aussi instrumentalisée par les Briérons au profit de leur cause.

61 Le fait que l’impact de ces inventions forgées par les uns et les autres ne soit de nos jours pas encore entièrement dissipé montre toute la force de ces représentations. Cependant, leur bilan doit aussi être apprécié à l’aune des objectifs pour lesquels ces inventions ont été forgées. En 1825, certes, la Grande Brière Mottière reste en l’état, mais elle n’est pas directement menacée, alors que les marais de Donges sont desséchés. Cependant, à long terme, pour les Briérons, le bilan n’est pas négatif : les pressions sur la zone humide restant fortes, les représentations du territoire et des hommes auront alors leur part dans le positionnement des acteurs et elles ont contribué à faire échouer un à un tous les projets ou les tentatives de dessèchement54.

NOTES

1. OGÉE, Jean-Baptiste, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne ; dédié à la nation bretonne, 4 vol., Nantes, Vatar, 1778-1780 ; nouv. éd. par MARTEVILLE, Alphonse et VARIN, Pierre, 2 vol., Rennes, Molliex, 1843-1845, t. II, p. 522, dit ce qualificatif de « grande » être de règle chez les habitants de Montoir. 2. Ainsi, sur les cartes de Cassini figure l’expression « Friches où l’on tire de la Tourbe ou Mottes ». 3. Cette commission, premier organisme d’administration du territoire, est créée par l’ordonnance du 3 octobre 1838. Lors de sa première réunion, le 3 février 1839, elle s’intitule « Commission syndicale pour l’exploitation de la tourbe de la Grande Brière Mottière », Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1713 S 1. 4. À l’image de l’« invention de la Bretagne », voir BERTHO, Catherine, « L’invention de la Bretagne. Genèse sociale d’un stéréotype », dans L’identité, Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 35, novembre 1980, p. 45-62. 5. Présentation de ces affaires dans GUIHAIRE, Albert, La Brière dans le droit coutumier, Rennes-Quimper, Impr. M. Simon/Librairie M. Le Dault, 1942, p. 144-174 ; GALLICÉ, Alain,

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« La défense de la Grande Brière Mottière dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : l’affaire des Équibadeaux, le projet de dessèchement des marais de Donges, et les lettres patentes du 28 janvier 1784 », à paraître. Sur la question plus générale du dessèchement des marais, voir DIENNE, comte de, Histoire du dessèchement des lacs et marais en France avant 1789, Paris, Champion, 1891, ouvrage qui reste de référence ; plus récemment pour le XVIIe siècle, MORERA, Raphaël, L’assèchement des marais en France au XVIIe siècle , Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, qui renouvelle les perspectives ; et encore BOURDE André J., Agronomie et agronomes en France au XVIIIe siècle, Paris, SEVPEN, 1967, en particulier t. III, p. 1455-1457, pour le cas de la Brière.

6. GALLICÉ, Alain, « Des “titres” médiévaux de la Grande Brière Mottière ou de l’histoire au mythe : “lettres patentes” du 8 août 1461 et “donation” d’Anne de Bretagne », Bulletin de la Société archéologique et historique de la Loire-Atlantique et de Nantes, t. 150, 2015, p. 85-112. 7. Rappelons que selon le principe, « nulle terre sans seigneur », même en l’absence de titres attestant la possession seigneuriale, tous communs ou terres vagues, vaines et décloses, sont attribuables à la seigneurie dans laquelle ils sont enclavés et que, toujours en l’absence de titres d’inféodation, si les droits d’usage sont exercés à titre gratuit par les vassaux (ce qui était le cas de la Grande Brière Mottière), le seigneur garde la propriété entière des terrains concernés et peut en disposer quitte, par un cantonnement, à dédommager les habitants de la perte de leurs droits de « communer ». 8. Cette étude repose sur divers documents : Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 111-112 ; ibidem, E, dépôt, 8, Guérande, DD 1-3, qui concernent soit l’affaire des Équibadeaux, soit le projet de dessèchement des marais de Donges, soit les deux à la fois, et qui souvent se répètent. Les citer tous alourdirait considérablement les notes de bas de page, aussi limitera-t-on les références à ceux dont sont extraites les citations retenues. 9. Arch. dép. de Loire-Atlantique, Guérande, dépôt 8, DD 3, « Mémoire ». 10. Arch. dép. de Loire-Atlantique, Guérande, dépôt 8, DD 3, 12 et 13 avril 1785, procès- verbal de délimitation des Équibadeaux. 11. Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 112 ; ibidem, E, dépôt, 8, Guérande, DD 2, « Requête présentée au Roy en son Conseil par les vassaux bien tenants et habitans des paroisses dépendantes de la vicomté de Donges, savoir des paroisses de Donges, de Montoir, de Crossac, de Prinquiau et du bailliage de Crévy ». 12. Arch. dép. de Loire-Atlantique, E, dépôt, 8, Guérande, DD 2, procès-verbal de délimitation des Équibadeaux. 13. Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 111, p. 16, procès-verbal de levée du plan figuratif des marais de Donges. 14. Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 112, procès-verbal de levée du plan figuratif… ; ibidem, dépôt, 8, Guérande, DD 2, « Moyens précis, procuration des paroisses circonvoisines de la Brière ». 15. Arch. dép. de Loire-Atlantique, E, dépôt, 8, Guérande, DD 2, « Requête au Conseil du roi des paroisses de Guérande, Saint-Lyphard et Saint-André-des-Eaux », 16 mai 1777. 16. Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 111, procès-verbal de levée du plan figuratif…, p. 119-120.

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17. Entre autres, DEREX, Jean-Michel, « Pour une histoire des zones humides en France (XVIIe-XIXe siècle). Des paysages oubliés, une histoire à écrire », Histoire et sociétés rurales, no 15/1, 2001, p. 17-21. 18. Entre autres, Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 111, procès-verbal de levée du plan figuratif…, p. 142-144 ; ibidem, E, dépôt, 8 ; Guérande, DD, 2 ; « Moyens précis, procuration des paroisses circonvoisines de la Brière », « Mémoires ». « Requête présentée au Roy en son Conseil par les vassaux bien tenants et habitans des paroisses dépendantes de la vicomté de Donges… ». 19. Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 112 et ibidem, E, dépôt, 8, Guérande, DD 25, « Moyens précis, procuration des paroisses circonvoisines de la Brière » ; « Mémoires » de Rouaud de La Villemartin aux états de Bretagne. 20. Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 111, procès-verbal de levée du plan figuratif…, p. 144. 21. Ce développement repose sur de très nombreux documents qui répètent à satiété les mêmes arguments, Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 111, procès-verbal de levée du plan figuratif… ; ibidem, E, dépôt, 8, Guérande, DD 1, entre autres « Moyens précis, procuration des paroisses circonvoisines de la Brière », « Mémoire »… 22. Voir note précédente. 23. Arch. dép.de Loire-Atlantique, C 111, procès-verbal de levée du plan figuratif…, p. 111-112 ; ibidem, C 112 ; ibid., E, dépôt, 8, Guérande, DD 1, non daté, requête d’Espivent de La Villeguevray et de Pierre Marie Le Sénéchal. 24. Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 111, procès-verbal de levée du plan figuratif…, p. 143. 25. Arch. dép. de Loire-Atlantique, C 112 et ibidem, E, dépôt, 8, Guérande, DD 2 « Moyens précis, procuration des paroisses circonvoisines de la Brière ». 26. « Enclavé par les communes de Prinquiau, La Chapelle-Launay, Donges, et Montoir, vers l’est ; Saint-Nazaire, Saint-André et Escoublac, au sud, Guérande, Saint-Lyphard, Herbignac et La Chapelle-des-Marais, à l’ouest, et Missillac, Sainte-Reine, Crossac et Pont-Château, vers le nord. La commune de Saint-Joachim est formée de plusieurs îles, au centre », voir référence note suivante. 27. Mémoire au roi en ses conseils, pour les habitants des communes de Montoir, Saint- Joachim, Donges, Saint-Nazaire, Crossac, Besné, Prinquiau, Sainte-Reine, etc., arrondissement de Savenay, département de la Loire-Inférieure contre la compagnie de Bray, Arch. de dép. Loire-Atlantique, 1768, S 1; ibidem, Donges Br in 4e, 1333/7 ; Bibl. mun. Nantes, 51731, non daté (début 1819) ; Au roi en son conseil d’État. Mémoire en réplique, pour les communes de Montoir, Saint-Joachim, Donges, Saint-Nazaire, etc., arrondissement de Savenay, département de la Loire-inférieure. Contre des observations faites par son excellence le ministre de l’intérieur dans l’intérêt de la prétendue compagnie de Bray, Arch. de dép. Loire-Atlantique, Donges, Br in 4e, 1336/6, non daté (été 1819). 28. Voir référence note précédente. Sur la question de la salubrité de la Brière : GALLICÉ, Alain, « La question de l’insalubrité de la Brière au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle : choc et évolution des représentations d’une zone humide », Histoire et patrimoine, Association préhistorique et historique de Saint-Nazaire, no 86, 2016, p. 48-59.

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29. Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1768 S 1, 21 et 25 juillet 1820, délibération des conseils municipaux de Crossac et de Donges ; ibidem, 1767 S 1, sous-préfet de Savenay. Le député de Frénilly fait de la présence de roseaux un véritable don du Ciel (FRÉNILLY, François Auguste Fauveau de, Notice sur l’arrondissement de Savenay au mois de septembre 1822 Paris, Imp. Boucher, 1823, p. 82). 30. Sur ceux-ci, GALLICÉ, Alain, « La défense de la Grande Brière Mottière dans la seconde moitié du XVIIIe siècle… », art. cit., pour tout ce développement. 31. Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1768 S 2, jugement en date du 29 juillet 1823. 32. Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1768 S 2, jugement en date du 23 août 1825 33. Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1767 S 1, 24 octobre 1825, rapport confidentiel du préfet de la Loire-Inférieure au ministre de l’Intérieur. 34. Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1767 S 3, 22 et 29 mars 1832. Sa prise de position en faveur des opposants de la Compagnie de Bray lui valut d’être déplacé à Châteaubriant sous la pression de la Compagnie. 35. Cet oubli est également le fait de la Compagnie de Bray qui ne fait pas écho à l’affaire des Équibadeaux, et attribue les lettres patentes du 28 janvier 1784, à une demande de quatre communes désireuses de faire reconnaître leurs droits sur le Grande Brière Mottière, droits reconnus par le Conseil du roi le 4 janvier 1779 aux paroisses de la vicomté de Donges. 36. Arch. dép. de Loire-Inférieure, 1767 S 1, 29 août et 2 septembre 1821, Voir encore : FRÉNILLY, François Auguste Fauveau de, Notice sur l’arrondissement de Savenay…, op. cit., p. 80-81 ; rapport confidentiel du préfet de la Loire-Inférieure au ministre de l’Intérieur, Arch. dép. de Loire-Inférieure, 1767 S 1, 24 octobre 1825 ; Emmanuel Joseph Olivaud, maire de Montoir, Bibl. mun. Nantes, ms. 1748, p. 20. 37. Encore acceptée en particulier par GUIHAIRE, Albert, La Brière…, op. cit., p. 183-184 et plus récemment par LE MAREC, Yannick, « Les émeutes de la Brière dans la première moitié du XIXe siècle », dans ANTOINE, Annie, MISCHI, Julian, Sociabilité et politique en milieu rural, Rennes, PUR, 2008, p. 51-63. 38. Ibidem. 39. Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1767 S 1, 5 août 1821. 40. Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1766 S 1. 41. LUDOVIC, « Esquisses bretonnes : la Brière », Revue de l’Ouest, 1, 1829-1830, p. 161-170. En 1830, le Lycée armoricain fusionne avec la Revue de l’Ouest fondée en 1828, et les deux revues sont livrées en même temps. En 1831, le titre devient Revue de l’Ouest, ancien Lycée armoricain. 42. Ludovic Chapplain, qui fut plus tard bibliothécaire de la ville de Nantes et archiviste du département, a utilisé également d’autres pseudonymes, tels ceux de Budic l’Armoricain ou du Flâneur Breton, et, sous ce dernier, il publie, dans les premiers numéros du Lycée armoricain des chroniques sur la vie et les mœurs à Nantes dont la forme est « vivante et spirituelle » (CHANTREAU, Alain, « Camille Mellinet, sa famille et son temps », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de la Loire- Inférieure, t. 120, 1984, p. 142). 43. FRÉNILLY, de, François Auguste Fauveau de, Notice sur l’arrondissement de Savenay…, op. cit., p. 74-83, il dépeint des Briérons habillés de « bure noire », « barbe hérissée, la figure enfumée et sauvage, encadrée de deux rivières de cheveux noirs », et comme

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formant une « nation qui semble être sortie de la tourbe bretonne ». Les Briérons sont « rudes, impatients et guerriers », mais « bretons, c’est-à-dire religieux, probes et fidèles ; religieux dirait tout : qui craint Dieu, aime son prochain et ses maîtres ». Il souligne encore la qualité de la mise en valeur des îles « corbeille ravissante de richesse, de vie et de végétation », et des maisons, « toutes propres, la plupart bien bâties, quelques-unes toutes neuves ». 44. En réponse à un questionnaire du comité de salubrité de Nantes, le docteur Emmanuel Joseph Olivaud, maire de Montoir, insiste sur la bonne santé des Briérons, leur alimentation variée et les progrès de l’habitat : désormais construites au même niveau que le sol, les chaumières les plus récentes sont dotées d’une fenêtre ; un feu de tourbe est allumé en permanence pendant « la saison froide et pluvieuse », ibidem, 5 M 86/3 ; GALLICÉ, Alain, « La question de l’insalubrité de la Brière… », art. cit., p. 48-59. Cependant, le 31 juillet 1821, le sous-préfet de Savenay fait état du fait que les soldats envoyés pour rétablir l’ordre ont préféré, à Besné, coucher sur la paille dans une grange du presbytère plutôt que d’habiter les « demeures étouffantes et malpropres des paysans » (Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1767 S 1, 12 août 1821). 45. Par exemple, Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1768, S 1, octobre 1817, texte envoyé par la Compagnie de Bray (relayé par l’administration préfectorale) sous forme de placards destinés à être affichés dans les communes et vantant les bienfaits du dessèchement : « Autour de ces eaux croupissantes et pestilentielles, qui annoncent aujourd’hui la misère, les villages vont s’accroître, les troupeaux se multiplier. Cette inondation immense, dont l’aspect attristait, a fixé les regards de notre bon roi, aussitôt elle doit disparaître, et faire place à un sol fécond, créateur, à l’une des plus riantes et des plus riches contrées. » 46. Par exemple, Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1738 S 1, 13 avril 1819, lettre du ministre de l’Intérieur au garde des Sceaux ; ibidem, 1768 S 2, non daté (1825), exposé de l’affaire du dessèchement de Donges. 47. Voir, par exemple, le discours de Freteau, président de la Société académique du département de la Loire-Inférieure, prononcé lors de la séance publique de la Société, tenue le 3 août 1820, Bulletin de la société académique, 1820, p. 35-38. 48. Nom donné aux Napolitains révoltés contre les Espagnols en 1646. 49. Le texte a fait l’objet d’une réédition ultérieure qui en retranche le début et surtout la fin et donc dénature le sens en ne retenant que la charge anti-briéronne. 50. Arch. dép. de Loire-Atlantique, 1767 S 3. 51. Arch. dép.de Loire-Atlantique, 1767 S 3. 52. Arch. dép. de Loire-Atlantique. 1705 S 1 ; ibidem, 1706 S 1. 53. FRÉNILLY, de, François-Auguste Fauveau de, Notice sur l’arrondissement de Savenay…, op. cit., p. 79, évoque une « nation qui semble être sortie de la tourbe bretonne, comme les enfants de Cadmus de la terre Thébaine ». 54. GALLICÉ, Alain, « Pourquoi et comment la zone humide de la Grande Brière Mottière a-t-elle été préservée ? Indivision des terres, exploitation de la tourbe et commission syndicale jusqu’en 1921 », Bulletin de la société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, t. 145, 2010, p. 177-232.

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RÉSUMÉS

Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’affaire des Équibadeaux et le projet de dessèchement des marais de Donges font craindre que la Grande Brière Mottière ne soit desséchée et que ses habitants ne perdent ainsi ses ressources. Pour défendre le territoire, dans les années 1770-1780, des hommes issus de la société locale élaborent une image du territoire centrée sur la tourbe et son exploitation par les Briérons. Cette représentation valorisante et fortement empreinte de stéréotypes est confirmée et enrichie entre 1817 et les années 1830 à la suite de l’affaire des marais de Donges. En opposition, la forte opposition des Briérons au dessèchement des marais de Donges fait naître la « légende noire » briéronne, fortement dévalorisante et faisant appel encore plus largement aux stéréotypes. La force de ces inventions, en termes de représentations, est telle qu’elles ont pesé sur l’histoire de la Grande Brière Mottière (dont le nom s’impose progressivement), et que leur impact ne s’est pas totalement, encore de nos jours, dissipé.

During the second half of the eighteenth century, the affair of Équibadeaux and the project of draining the Donges marshes threatened to dry up Grande-Brière Mottière and thus endangered the livelihood of local inhabitants who relied on its resources. To defend the area in the years 1770-1780, local people sought to portray themselves as being dependent on peat and its commercialisation. This positive representation, strongly influenced by stereotypes, was further confirmed and strengthened between 1817 and the 1830s following the affair of the Donges marshes. In contrast, the strong opposition of Briérons to the draining the Donges marshes created a " Brieronese black legend " that resulted in a much more negative portrayal that appealed even more widely to stereotypes. The strength of these fabrications, in terms of representation, was such that they had a profound impact on the history of Grande-Brière Mottière (as it became known) – so much so that their influence can still be perceived today.

INDEX

Thèmes : Brière Index chronologique : XVIIIe siècle, XIXe siècle

AUTEUR

ALAIN GALLICÉ Docteur en histoire médiévale, chercheur associé au CRHIA, EA 1163, université de Nantes – Président du conseil scientifique et de prospective du Parc naturel régional de Brière

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Comptes rendus

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Landévennec, les Vikings et la Bretagne

Philippe Guigon

RÉFÉRENCE

COUMERT, Magali, TRANVOUEZ, Yvon (dir.), Landévennec, les Vikings et la Bretagne. En hommage à Jean-Christophe Cassard, Brest, Université de Bretagne Occidentale/Centre de Recherche Bretonne et Celtique, 2015, 270 p.

1 « DCCCCXIII eodem anno destru[ctum est] monasterium sancti [Uuinwa]loei a Normannis » : cette simple annotation marginale d’un manuscrit conservé à la Bibliothèque royale de Copenhague, révélée par Léopold Delisle en 1890, offre l’occasion de rappeler la destruction de la plus ancienne abbaye bénédictine de Cornouaille, et de rendre hommage au regretté Jean-Christophe Cassard, décédé le 10 janvier 2013, exactement lors du 11e centenaire de ces ravages des Vikings. Cette doublement triste occurrence permet de rapprocher un site unique et ce regretté professeur de l’université de Bretagne occidentale, qui fut l’un des meilleurs spécialistes de ces aventuriers redoutables.

2 Le présent hommage ne doublonne pas celui qui a été publié sous la direction de Yves Coativy, Alain Gallicé et Laurent Héry, Jean-Christophe Cassard, historien de la Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2014. Après des siècles d’historiographie cléricale présentant ces peuples migrateurs comme des ennemis de Dieu et de la chrétienté, le besoin se faisait sentir de les observer de façon plus subtile, ce à quoi, pour la péninsule armoricaine, travailla notre collègue pour remettre largement en cause des idées énoncées dès le IXe siècle. Dans son introduction à l’ouvrage, Magali Coumert montre de quelle façon une bonne partie de l’œuvre scientifique de J.-C. Cassard s’articula autour des questions liées à la période des raids vikings, et ce dès 1986, avec la parution des Vikings en Bretagne, ouvrage réédité dix ans plus tard sous le titre Le siècle des Vikings en Bretagne. À la liste de ses travaux portant sur le haut Moyen Âge, il convient d’ajouter sa contribution « Les Vikings en Bretagne », dans Les Vikings en France. Une synthèse inédite,

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Les Dossiers d’Archéologie, no 277, octobre 2002, p. 46-49. Sans minimiser le caractère sauvage des raids à répétition, J.-C. Cassard a montré de quelle façon ils « se trouvent sans doute à l’origine de la croissance économique continue qui animera l’Occident médiéval à partir du XIe siècle », en mettant fin à la thésaurisation des objets précieux et en obligeant à la circulation monétaire qui facilita les échanges économiques.

3 Ceci étant, qu’en est-il plus particulièrement pour Landévennec, et quelle mémoire a été conservée de cette période ? Répondre à cette question est l’objectif de cet ouvrage qui se décline en trois parties d’étendues inégales, un peu curieusement dénommées Structure, Conjoncture, Mémoire. La première s’ouvre par deux contributions d’archéologues et d’historiens de l’art, d’une part Annie Bardel et Ronan Pérennec, d’autre part Yves Gallet, à laquelle répond celle de l’historienne de la Cornouaille médiévale, Joëlle Quaghebeur. Tous s’attachent à décrire l’état du savoir sur l’abbaye, bien connue au IXe siècle, à la fois par des textes, mais également par des sources archéologiques qui permettent de remonter à des époques où l’histoire hésite à séparer mythe et réalité : pour résumer à grands traits, disons que Landévennec est l’abbaye européenne du IXe siècle qui semble correspondre le mieux à celle qui est dessinée sur le plan idéal de Saint-Gall vers 830. La Bretagne participe aux grands courants créatifs contemporains du continent, ce qui se vérifie pour d’autres réalisations, l’abbaye de Maxent et la cathédrale d’Alet. Notons qu’Yves Gallet date l’édifice bipolaire de la fin du Xe siècle et celui qui lui est antérieur, à plan en tau, du siècle précédent, opinion que nous partageons mais qu’Anne Lunven a récemment contestée : pourtant, le plan de l’abbatiale de Landévennec de la seconde moitié du IXe siècle rappelle étonnamment celui de la cathédrale avec annexes situées de part et d’autre du chœur. L’un des apports important de la fouille de l’abbaye cornouaillaise est la mise au jour, à partir d’une sépulture privilégiée contiguë au chœur, de la pratique viking consistant à incinérer des ossements déplacés.

4 La deuxième partie de l’ouvrage, Conjoncture, met le cap au large sur la route des Vikings, de proche en proche : Noirmoutier (Cédric Jeanneau), les îles Anglo- Normandes (Élisabeth Ridel), Montreuil-sur-Mer (Stéphane Lebecq), enfin la Bretagne insulaire (Gary German). Les pérégrinations des reliques de saint Philibert, très bien connues (synthèse récente par Isabelle Cartron, 2010), évoluent de l’Herbauge (où l’abbatiale carolingienne de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu a fait en 2015 l’objet d’un réexamen archéologique) jusqu’à la Bourgogne, trajectoire compliquée assez semblable à celles de saint Maixent. Plus risquée de prime abord, l’émigration des moines de Landévennec vers le Ponthieu où circulaient encore les Vikings. Stéphane Lebecq (directeur de l’édition en 2015 du cartulaire de Landévennec), après étude d’un corpus diplomatique peu épais mais complexe, conclut que, contrairement à l’hypothèse selon laquelle les moines de Fleury auraient amené à Montreuil-sur-Mer les reliques de Guénolé, les bénédictins cornouaillais se sont bien exilés en ce lieu, dans l’attente d’un passage jamais effectué vers l’Angleterre.

5 La dernière partie, Mémoire, pratique un grand écart chronologique entre les sources hagiographiques médiévales, et le XXe siècle. Dans la première contribution, André-Yves Bourgès examine ce que les Vies de saints et autres récits nous disent des Vikings, de façon rare, brève, et convenue. Les « Normands » y sont évidemment présentés sous le jour le plus noir, mais il est parfois possible de décrire la généalogie de ces textes édifiants, travestissant à leur manière les faits : ainsi, l’assassinat de l’évêque Gohard dans la cathédrale de Nantes, le 24 juin 843, est-il un topos hagiographique dont existent

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de multiples exemples, entre l’époque mérovingienne et… 1935 (Murder in the Cathedral, de Thomas Stearns Elliot). Un texte du cartulaire de Redon, dont Hubert Guillotel avait naguère démontré la falsification, évoque le destin du vir ferus, genere normannus Gurki, (un prototype de Gurguy/Tanguy, vénéré au XVe siècle par les Du Chastel en Léon ?) : repenti, replié au fin fond de la presqu’île de Locoal qu’il dut restituer à Redon, cet « homme chien », berserkr édenté, ne devait plus avoir beaucoup de mordant en 1027 ! Ces forgeries connurent une belle prospérité. Yvon Tranvouez, écrivant plaisamment que « le talent des médiévistes est de savoir faire quelque chose à partir de presque rien », s’attache à retracer la résurrection par l’ineffable Arthur de La Borderie de l’abbé quasi-inconnu des textes Jean de Landévennec, mais surtout sa destinée théâtrale dans les années 1921 à 1937. S’il n’est pas certain que la pièce du chanoine François Cornou ait été propulsée en tête du box-office, la comparaison avec « une sorte de Jean Moulin unifiant la Bretagne libre et la résistance intérieure », pour surprenante qu’elle soit, semble, une fois replacée dans le contexte de l’entre-deux-guerres, « une apologie intemporelle du fondement religieux de la nation » dont l’auteur décrit de façon passionnante les avatars.

6 À Landévennec au moins (la pièce fut jouée dans l’abbatiale le 4 septembre 1935, Xavier de Langlais tenant le rôle-titre), cette histoire laissa une trace, sous forme d’une plaque encore visible dans les années 1980, dénommant une placette du petit bourg, « Yann Landevenneg, libérateur de la Bretagne ». Mais, postérité éphémère, ce carrefour ne s’appelle plus aujourd’hui prosaïquement que « Place Yann Landevenneg ». Est-ce ainsi que les mythes meurent ?

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Cartulaire de Saint-Guénolé de Landévennec

Daniel Pichot

RÉFÉRENCE

Stéphane (dir.), Cartulaire de Saint-Guénolé de Landévennec, Rennes, PUR/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, coll. « Sources médiévales de l’histoire de Bretagne », 2015, 456 p., avec des préfaces du père Jean-Michel Grimaud et de Ludovic Jolivet

1 La collection Sources médiévales de l’Histoire de Bretagne publiée par les PUR s’enrichit d’une nouvelle unité particulièrement prestigieuse : Le Cartulaire de Saint-Guénolé de Landévennec. Ce fort volume de 450 pages ne se propose pas de rééditer le cartulaire, ce qui est chose déjà faite, mais, suivant la formule initiée par le Cartulaire de Redon puis celui de Quimperlé, d’offrir un fac-similé en photographies numériques accompagné d’un important dossier faisant le point sur les recherches autour du cartulaire et de l’abbaye. Inutile de souligner l’intérêt de cette publication concernant un monument de l’histoire de Bretagne. L’entreprise lancée dès 2006 par le CirDoMoc (Centre international de recherche et de documentation sur le monachisme celtique) n’a abouti qu’après bien des débats, des difficultés, et surtout après deux décès, celui du père Simon, infatigable historien de son abbaye auquel le volume est dédié, et celui de Bernard Merdrignac, l’une des chevilles ouvrières du CirDoMoc. Finalement, sous la direction de Stéphane Lebecq, professeur émérite d’histoire médiévale de l’Université de Lille 3 et grand spécialiste du haut Moyen Âge, ce volume a pu voir le jour avec le soutien de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, il s’agit donc bien d’une entreprise et d’une réussite collective s’il en fut.

2 Le choix de ne pas rééditer le cartulaire se comprend, l’ancienne édition de La Borderie, malgré ses imperfections demeure utilisable. Par contre, les diverses contributions qui accompagnent cette publication, souvent assez courtes, multiplient les angles d’approche du cartulaire, en éclairent le contexte sans oublier de restituer ce qu’était

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alors l’abbaye de Landévennec. Ainsi regroupés les différents textes apportent beaucoup à la compréhension du cartulaire en donnant accès au lecteur à des travaux qui se sont multipliés mais qui demeuraient le plus souvent inédits ou presque, comme toute l’archéologie de l’abbaye ou la thèse de Yves Morice sur les écrits de Landévennec.

3 Sébastien Barret présente d’abord, fort légitimement, une étude codicologique et paléographique du manuscrit conservé à la Bibliothèque de Quimper. Rédigé sous l’abbatiat d’Elisuc, au milieu du XIe siècle, le cartulaire ne va pas sans présenter une grande originalité. Il comprend, en effet, deux parties nettement inégales, une première qui occupe la grande majorité des pages se compose de textes hagiographiques et liturgiques à la gloire du fondateur, saint Guénolé, tandis que les chartes, souvent réduites à de courtes notices, voire à des extraits, n’occupent qu’une faible place. Cela témoigne de la conception du cartulaire selon ses auteurs : plus qu’une simple mise en forme des éléments du temporel, il s’agit bien d’une exaltation de l’abbaye et de son fondateur, assurant son identité et sa puissance. Si l’insertion de textes hagiographiques n’est pas unique (cf. le cartulaire de Sainte-Croix de Quimperlé), elle prend ici une place considérable et confère une originalité évidente au cartulaire, cette présence forte vient peut-être suppléer à un manque d’archives, les notices retenues semblant bien limitées en nombre. Le manuscrit a été composé à Landévennec et deux mains se sont succédé correspondant pratiquement aux deux parties. Deux pages de la vita de Guénolé présentent des décors peints en pleine page, dont une crucifixion, et un certain nombre de lettrines rehaussent le manuscrit. L’écriture comme le décor attestent des liens de l’abbaye, avec le nord de la France, mais on notera surtout sa place à l’interface entre la Bretagne et l’Angleterre.

4 Viennent ensuite trois courtes contributions sur l’analyse des textes. Le regretté Bernard Tanguy nous livre l’un de ses derniers travaux, une étude des noms de lieux contenus dans le cartulaire, et Pierre-Yves Lambert fait de même pour les noms de personnes. Outre une analyse de la formation des noms, de leur évolution et de leur signification, cela nous apporte surtout des listes référencées qui constituent, en fait, de très utiles indices. Enfin, Stéphane Lebecq présente une série de chartes, éventuellement réunies en dossiers, traduites et commentées. Il introduit, en particulier, la lettre de Louis le Pieux aux évêques de Bretagne (818) relatant sa rencontre avec l’abbé Matmonoc de Landévennec. Malheureusement absente du cartulaire à cause d’une lacune, elle est connue par une copie ancienne de la BnF. L’empereur impose alors à Landévennec et aux autres abbayes qui demeuraient fidèles à une règle à caractère insulaire la réforme définie par Benoît d’Aniane. Le dossier de l’église de Sanctus permet d’évoquer ensuite l’exil à Montreuil des moines fuyant les Vikings. Ces quelques pages offrent un bon aperçu de ce que peut apporter le cartulaire ainsi qu’une une remarquable leçon de méthode.

5 Un long chapitre consacré à l’étude archéologique de l’abbaye dépasse de loin le titre, « l’abbaye au temps du cartulaire » car il s’agit d’une synthèse menée par les deux acteurs principaux des enquêtes archéologiques de l’évolution des bâtiments de l’abbaye après le retour des moines. Cette étude très neuve fait connaître des travaux peu diffusés et dépasse le cas de Landévennec en brossant l’histoire de l’évolution d’une abbaye. Les bâtiments érigés dans la seconde moitié du IXe siècle, comprennent l’église, une chapelle et deux grands bâtiments en équerre qui déterminent une cour fermée par un mur et traversée par un ruisseau alimentant plusieurs bassins. En 913, un raid

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viking incendie l’ensemble. À leur retour, les moines procèdent à quelques rapides travaux de remise en état avant qu’un vaste programme se développe à partir de 1020-1025. Les conditions de vie sont alors très difficiles en raison de l’état des constructions et de la remontée de la nappe phréatique qui transforme une bonne partie de l’abbaye en bourbier. Les moines y remédient tant bien que mal en apportant remblais et matériaux. Cette humidité a eu l’heureuse conséquence de nous conserver bois et objets divers. À cette date, des planchers de madriers stabilisent les sols. Une importante reconstruction, incluant assez largement le bois, est entreprise. Une nouvelle abbatiale romane en croix latine est érigée, beaucoup plus grande que la précédente, et elle est dotée d’un chœur avec déambulatoire favorable aux pèlerinages, même si les reliques de saint Guénolé ne sont plus là. Cette église est ensuite complétée par une chapelle et le cloître prend vraiment forme grâce à la construction d’un bâtiment qui ferme le carré à l’ouest. Tous ces travaux montrent la reprise de puissance de l’abbaye et s’associent sans doute au développement d’un bourg. Ainsi la rédaction du cartulaire pourrait correspondre à l’achèvement des travaux et au retour de l’influence de l’abbaye. En même temps, le faible nombre des chartes et leur texte lacunaire pourraient (c’est l’hypothèse proposée) avoir été les restes du chartrier échappés à l’incendie et aux malheurs des temps, ce qui justifierait encore plus la place accordée à l’hagiographie, faisant du recueil un texte plus symbolique que juridique.

6 Yves Morice prend le relais pour envisager l’histoire de l’abbaye dans le temps long, des origines au XIe siècle en s’appuyant avec sagacité et prudence sur l’archéologie et les textes. Mettant en relation les plans et la Vie longue de Guénolé, il discerne une première communauté d’abord fortement influencée par les pratiques scottiques, puis qui progressivement se rapproche des usages bénédictins, faisant de Matmonoc – l’abbé qui rencontre Louis le Pieux – l’un des initiateurs de la Règle de Saint-Benoît en Bretagne tandis que la reconstruction du IXe siècle produit une solide église accompagnée de ce qui ressemble déjà à un cloître. Landévennec devient alors un pilier de la renaissance carolingienne et les écrits du cartulaire en attestent. Gurdisten possède une vaste culture biblique, certes, mais aussi latine, il connaît Virgile et cite abondamment Grégoire le Grand ou Isidore de Séville. Prose et poésie sont élaborées avec soin, ce qui peut conduire à une évidente complication, rendant la traduction difficile. Yves Morice, interprète un peu différemment la naissance du cartulaire. Après l’exil et la reconstruction, la rédaction du cartulaire intervient dans le cadre de la réforme grégorienne mais l’abbaye par son intermédiaire tente de retrouver sa « prééminence » menacée, en particulier par la nouvelle abbaye Sainte-Croix de Quimperlé. Forte de son passé carolingien, elle fonde son cartulaire sur Guénolé partout présent et met en valeur la Vita de Gurdisten. Cette tentative de renouer avec le passé mais aussi de le reconstruire n’est peut-être plus vraiment adaptée aux temps nouveaux qui se dessinent.

7 Le grand spécialiste des sources hagiographiques bretonnes, Joseph-Claude Poulin se penche ensuite sur les citations et les sources formelles de la Vie longue ; il recense avec soin les nombreux emprunts déjà évoqués et met aussi en évidence leur intensité et leur disposition volontaire dans le texte. Il en ressort la vaste culture de Gurdisten bien sûr, mais aussi et surtout, l’originalité de son projet. Il a voulu une grande vita rédigée selon l’opus geminum qui voit deux livres en prose suivis d’une reprise de la vita en vers. Les multiples citations qui souvent s’enchaînent et peuvent prendre une tournure franchement homilétique ne relèvent pas d’un procédé formel mais, par la dextérité de

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Gurdisten, élaborent un texte portant un projet spirituel évident. La vision de l’hagiographie conçue par l’abbé, par son niveau très exigeant, dépasse largement les réalisations des autres auteurs bretons.

8 Une partie essentielle – les traductions – rendra de multiples services. Se basant sur le travail antérieur du père Simon et de Louis Cochou, Armelle Le Huërou propose une traduction de la Vita longue de saint Guénolé. Il faut se féliciter d’une telle entreprise quand on connaît la difficulté linguistique extrême du texte rédigé par Gurdisten au IXe siècle. Il y distille toute sa culture savante, dans une langue élaborée et peu accessible au latiniste, même chevronné. Cette traduction permettra, sans aucun doute, de revenir sur cette vita, complétée par l’hymne alphabétique de Clément.

9 La reproduction numérique du cartulaire occupe logiquement la majeure partie du volume. Les photos sont excellentes mais évidemment souffrent de l’état du manuscrit qui a subi les injures du temps. Le chercheur pourra en tirer un certain nombre de détails matériels aujourd’hui largement intégrés dans les recherches en codicologie et paléographie. On retiendra aussi le décor, plus riche que la moyenne pour un cartulaire. Les deux pleines pages consacrées à des illustrations évoquent le style classique de Landévennec mais associé aux diverses influences que les moines ont rencontrées et les lettrines décorées abondent, tout cela constitue un intérêt supplémentaire. Pour faciliter le repérage et informer les nombreux lecteurs peu familiers du latin, dans les marges, les éditeurs ont pris soin de faire figurer les titres et rubriques permettant de se familiariser avec le contenu.

10 On le voit, l’entreprise longtemps attendue offre de multiples qualités. Si ce n’est pas la nouvelle édition du cartulaire, il faut souligner l’intérêt majeur des traductions hagiographiques et les abondantes informations rassemblées dans ce volume ne peuvent que favoriser la recherche sur l’histoire de la Bretagne des temps anciens.

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Les chevaliers bretons

Didier Panfili

RÉFÉRENCE

MORVAN, Frédéric, Les chevaliers bretons. Entre Plantagenêts et Capétiens, du milieu du XIIe siècle au milieu du XIIIe siècle, Spézet, Coop Breizh, 2014, 359 p.

1 Le titre ne semble pas avoir été choisi par l’auteur. Jamais Frédéric Morvan ne se limite à la chevalerie ; il s’intéresse plus globalement au groupe des hommes d’armes comme en témoignent à la fois l’introduction ainsi que le plan de cet ouvrage issu d’une partie de sa thèse (une première partie a été publiée aux PUR sous le titre La chevalerie bretonne). L’ensemble est bâti sur la chronologie de la domination éminente, celle des ducs qui, après avoir été d’obédience anglo-normande, passent non sans difficultés sous le contrôle capétien : le temps des choix (Plantagenêts ou Capétiens), le temps de la réorganisation, le temps de la guerre (civile).

2 Si l’on souhaite connaître par le menu les guerres et conflits qui ont frappé la Bretagne du milieu du XIIe siècle au milieu du XIIIe siècle, cet ouvrage constitue une base chronologique solide où l’on voit défiler différents niveaux d’acteurs. Si en revanche on cherche, dans ce contexte perturbé de recomposition des réseaux, à connaître les hommes d’armes et leurs comportements autres que militaires et politiques, il vaut mieux passer son chemin. Le résultat est d’autant plus surprenant que l’auteur annonce en introduction avoir consacré les premières années de sa recherche à une approche prosopographique. Mais à quoi sert donc la prosopographie si ce n’est à dégager de solides informations sur les comportements tant « collectifs » qu’individuels du groupe étudié ? En limitant l’approche du groupe des guerriers à ses seules implications politiques et militaires, en écartant toute véritable approche sociologique, anthropologique et archéologique sérieuses, l’auteur se prive et nous prive de points essentiels qui auraient également aidé à la compréhension des seuls aspects militaires étudiés. Comment peut-on parler des hommes d’armes sans même approfondir la question des résidences, plus ou moins fortifiées, plus ou moins monumentales, qui témoignent tout à la fois des niveaux de fortune très divers mais aussi de la

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hiérarchisation interseigneuriale ou encore de la capacité à trouver ou non des ressources financières par le biais du prêt (auprès des établissements religieux notamment) ou par la pression sur les dépendants ? Toutefois, on saura gré à l’auteur de fournir une imposante série de schémas de filiation improprement appelés généalogies.

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Histoires des Bretagnes 5. En Marge

Julien Bachelier

RÉFÉRENCE

BOUGET, Hélène, COUMERT, Magali (dir.), Histoires des Bretagnes 5. En Marge, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique/Université de Bretagne Occidentale, coll. « Histoires des Bretagnes », 2015, 349 p.

1 Ce dernier volume d’Histoire des Bretagnes, dirigé par Hélène Bouget et Magali Coumert, s’inscrit pleinement dans la dynamique et l’esprit des quatre premiers tomes. Il ouvre de nouvelles perspectives et aborde des thématiques originales. Au sein d’un projet interdisciplinaire (histoire, littérature, histoire de l’art et archéologie) avec des chercheurs venus notamment d’Angleterre, du Pays de Galles, d’Irlande et de Bretagne, ce volume regroupe les communications de trois journées d’étude tenues à Brest et Quimper en 2013 et 2014 autour de la thématique des « marges ». Loin, en périphérie, à la limite ou à la frontière, la marge a longtemps été assimilée à ce qui était négligeable, ce qui méritait à peine d’être connu. Or Hélène Bouget et Magali Coumert le soulignent en introduction : les marges, les « pourtours […] circonscrivent le centre et permettent de mieux le définir » (p. 13).

2 L’ouvrage est divisé en quatre parties. La marge est d’abord envisagée sous l’angle spatial ; les compétences de l’auteur de ces lignes plus limitées que le présent objet d’étude nous amènent à davantage développer cet aspect. Après un prudent préambule où elle souligne la fragilité des qualificatifs de « Francs » et « Bretons », Caroline Brett revient sur la marche bretonne durant les époques mérovingienne et carolingienne. Si l’idée de marche implique une certaine centralité de la région étudiée, l’auteur met en avant qu’elle n’était pas une zone convoitée, encore moins un espace des confins mais bien plutôt une marge, un espace délaissé fautes de richesses, de ressources, distant des cœurs du monde franc, de ses souverains et de ses aristocrates. Les VIIe-VIIIe siècles restent ceux de l’éloignement. Le modèle social, politique et économique de la marche demeure encore à comprendre. Que la zone ait été rurale et agricole est une certitude, par contre, et à la différence de l’auteur, il ne nous paraît plus possible de soutenir

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l’idée d’une forêt frontière, vide d’hommes. L’absence de découvertes archéologiques (nécropoles du haut Moyen Âge notamment) n’est pas nécessairement le reflet du passé. D’une part, certaines découvertes très récentes ont mis au jour d’importantes villæ romaines dont la période d’occupation a dépassé la limite traditionnelle admise, v. 250. Ainsi, en Noyal-Châtillon-sur-Seiche et La Mézière (act. Ille-et-Vilaine), des villæ furent en usage jusqu’au IVe siècle, la question de la crise du IIIe siècle doit donc être revue. D’autre part, l’image d’une forêt frontalière doit davantage être analysée selon le prisme d’une construction historiographique, politique, voire identitaire – du moins du côté breton. Caroline Brett invite donc à revoir nos conceptions sur la marche, au-delà des quelques raids bretons et francs documentés par l’écrit, elle s’interroge sur l’existence de modèles socio-économiques plus nuancés, alternatifs à ceux proposés par les lectures privilégiant le centre. À l’autre extrémité chronologique, Marie-Pierre Baudry rappelle à quel point le filtre du XIXe siècle a été et reste important pour décrire les marches de Bretagne. À partir de l’exemple poitevin, elle rappelle que les marches séparantes remontent au XIIe siècle et non à l’époque carolingienne, qu’on ne saisit leur fonctionnement qu’à partir du XVe siècle et que le concept de marche, confisqué par une certaine historiographie dans un sens bien particulier, n’est « pas une spécificité bretonne » (p. 104). Patricia Victorin s’attaque de son côté à un autre mythe identitaire : le Combat des Trente. Reprenant les textes de Froissart, de d’Argentré et La Villemarqué, elle montre la construction d’une légende pour « la patrie bretonne et […] la nation bretonne » (p. 124). L’auteur souligne la complexité de ce campanilismo régional étroitement lié à la construction du patriotisme national dont il fut l’un des vecteurs ; en effet, le XIXe siècle fut à la fois celui de la fabrique du roman national et celle des romans régionaux, les deux étant loin d’être incompatibles comme l’illustrait Arthur de La Borderie. Patrick Kernévez dresse un bilan de la situation castrale en Bretagne. On retiendra notamment son analyse de l’inversion des logiques spatiales au cours du Moyen Âge central, écho aux travaux sur la polarité (Alain Guerreau) et la territorialisation (Florian Mazel) de l’espace médiéval. Les cours d’eau, « anciennes marges », voient se fixer des agglomérations, parfois sur deux paroisses (Hennebont), parfois encore sur deux évêchés (Quimperlé). Intervient ici un classique jeu d’échelle selon le sens géographique et non cartographique (Jacques Lévy) : à petite échelle le cours d’eau sert bien souvent de frontière et à grande échelle la nécessité de points de franchissement a encouragé le développement de localités plus ou moins importantes. Enfin, on partagera les regrets de l’auteur quant à l’histoire maritime, littorale et portuaire bretonne qui reste un chantier à ouvrir. De son côté, Roy Flechner relit les lettres de Grégoire le Grand adressées aux Britanniques et montre que le pape a habilement concilié le droit canonique à la situation du christianisme insulaire.

3 Le second axe s’intéresse aux « Individus en marge ». Alban Gautier revient sur Æthelfrith roi de Northumbrie entre 592 et 616/7, connu par quelques mentions écrites (surtout des batailles) pour l’essentiel postérieures à sa disparition, soulignant ainsi son importance. Personnage à la marge de multiples manières, d’abord comme maître de territoires périphériques, puis comme « païen et tueur de moines » et enfin au sein des sources le mentionnant, puisque les sources anglo-saxonnes et bretonnes livrent de lui un portrait tantôt négatif, tantôt ambigu ne recouvrant pas les divisions traditionnelles. Bernicien comme Æthelfrith, Bède le Vénérable réécrivit son histoire et gomma ses aspérités marginales car il fut à la fois le père de saint Oswald et l’ancêtre direct de la lignée royale sous laquelle Bède commença à rédiger son Histoire ecclésiastique. Jean-Claude Meuret s’intéresse aux ermites, difficiles à repérer dans les

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sources. En effet, ils doivent paradoxalement leur renommée à l’échec de leur vocation première puisqu’ils finissent par intégrer une communauté régulière. L’auteur met bien en valeur le fait que les ermites reçurent des lieux loin d’être des déserts (Pontpierre, Landivy, Nyoiseau…), l’exemple de Daniel en Riaillé (act. Loire-Atlantique) est sur ce point parlant. Vers 1135, tous les dons qu’il avait reçus correspondaient à des biens déjà exploités. La pancarte donne la curieuse impression de déjà-vu dans d’autres contextes, peut-on aller jusqu’à parler de seigneurie érémitique ? Bien souvent, les ermites établirent une ecclesia, nombre d’entre eux furent aussi prêtres, vivant en communauté et ayant des activités agro-pastorales. Certains refusèrent la territorialisation et partirent vers d’autres horizons, se jouant des frontières des principautés. D’autres virent leur idéal rattrapé par l’institution ecclésiale et la réforme grégorienne, leur communauté devenant une abbaye d’un « ordre » nouveau (Savigny) ou bien un prieuré d’une abbaye bénédictine classique (Riaillé). Dans ce vaste panorama étudié par Jean- Claude Meuret, on se permettra toutefois d’ajouter l’exemple de l’abbaye de Saint- Sulpice-la-Forêt fondée par Raoul de la Futaie permettant de contrebalancer – légèrement – la faiblesse des fondations abbatiales d’origine érémitique du côté breton, tout comme on mentionnera l’existence d’ermites dans la forêt de Rennes en Acigné et La Bouëxière. Ermite et forêt se retrouvent dans l’article de Annaïg Queillé analysant Perceval, personnage marginal car différent des autres héros arthuriens. Marginal aussi car il vient des tréfonds de la « gaste forest soutaine [perdue] ». Marginal enfin, car il ignore les codes chevaleresques et courtois. Et c’est pourtant cette triple marginalité qui permet à Perceval de restaurer la souveraineté contestée d’Arthur. L’auteur poursuit en rapprochant cette figure du dieu Lug et en l’inscrivant dans une tradition littéraire et mythique celtique. Marion Poilvez présente un autre personnage du cycle arthurien : Tristan. L’auteur revient en particulier sur le chapitre 85 (Spesar páttr) de la Grettis saga qui a posé des problèmes aux spécialistes des sagas qui bien souvent l’ont déconsidéré. Ce passage est la rencontre de deux figures : Grettir pour les sagas du Nord et Tristan pour la matière de Bretagne. Plus que Tristan, c’est le matériel tristanien qui se retrouve dans d’autres figures de hors-la-loi des sagas islandaises.

4 La troisième partie, « Frontières symboliques et culturelles », s’ouvre sur deux contributions liées au Pays de Galles et l’usage de la langue galloise. Brynley Roberts montre que les clercs gallois n’ignoraient en rien le latin participant au vaste écoumène culturel de l’Occident chrétien médiéval. Mais utilisé dans un contexte particulier – celui des conquêtes anglo-normandes – le gallois a bien été un élément de résistance identitaire et culturelle comme le montre Barry Lewis. Artus de Bretagne avait tout pour faire du duché breton un thème central, tant avec la matière de Bretagne qu’avec le domaine arthurien. Or, comme le démontre Christine Ferlampin-Acher, il n’en est rien. Autant sur le plan géographique que littéraire, la péninsule reste marginale dans cette œuvre rédigée au début du XIVe siècle. Hildegard Tristram nous ramène au XIXe siècle et aux constructions nationales avec son étude du récit héroïque irlandais Táin Bó Cuailnge. Comme d’autres régions des marges (Écosse, Bretagne, Finlande et Estonie), l’Irlande a érigé une histoire ancienne en « national epic of the Irish people », à ceci près qu’il s’agit bien d’une œuvre médiévale puisque les copies les plus anciennes remontent au XIIe siècle.

5 L’ouvrage se clôt sur les « marges du parchemin ». À partir des sceaux, Vincent Launay expose les choix opérés par les sires de Rais dont la seigneurie se situait à la marge entre Bretagne et Poitou. Après avoir eu recours au sceau du sénéchal de Nantes jusque

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dans les années 1270, ils se tournèrent ensuite vers l’autorité royale, plus éloignée, garantissant ainsi une plus grande marge de liberté. Suivent trois contributions sur les marges des manuscrits dont plusieurs exemples sont reproduits en couleurs éclairant les observations des auteurs. Les dessins ou lettres (marginalia) des manuscrits gallois médiévaux sont présentés par Ceridwen Lloyd-Morgan, si dans certains cas les marginalia commentent, illustrent ou aident à comprendre le texte, parfois ils paraissent être un simple divertissement tant pour l’exécutant que pour l’éventuel lecteur. En effet, dans Peniarth 23, f o 57 vo l’auteur émet l’hypothèse que les dessins réalisés en marge l’ont été ici car le mécène du manuscrit ne consultait vraisemblablement que les premières pages. À l’inverse et dans un autre type de manuscrit, Mégumi Tanabé montre que les ornements marginaux des Heures de Pierre II (1455-1457) et ceux des Heures de Marguerite d’Orléans (avant 1435) entrent en écho « avec les aspirations profondes du commanditaire ». L’iconographie du manuscrit du duc breton est truffée d’allusions politiques, Pierre II reprend les codes royaux ou bien rappelle son soutien au mariage de sa nièce Marguerite avec son cousin François de Bretagne, union qui permit d’éviter une crise de succession car Pierre n’eut pas d’enfant. Le Missel Pontifical de Michel Guibé, évêque de Rennes (1482-1502), permet à Sophie Cassagnes-Brouquet de rappeler la place du commanditaire. Ses armoiries et la crosse épiscopale sont omniprésentes dans les décors marginaux. Et si parfois des scènes fantaisistes et des monstres surgissent il ne faut pas en conclure à une liberté créative et débridée des trois enlumineurs sans lien avec le lecteur, au contraire, tout comme les sculptures en bois et en pierre des cathédrales ces décors étaient « consubstantiel[s] » au christianisme médiéval, ils devaient conduire à une réflexion, une méditation.

6 Il s’agit donc d’un volume riche, dense et varié. Une question notamment le parcourt : celle de l’identité. Galvaudée depuis quelques années, elle mérite justement d’être revue. Si des études ont été menées il y a maintenant trente ans sur le « bretonnisme » (Jean-Yves Guiomar), la question vaut d’être reprise dans son ensemble à la lumière de travaux récents dont une partie des auteurs de ce volume sont précisément les contributeurs. Enfin, ce recueil fait mentir Lucien Febvre lorsque ce dernier estimait que « peu importe le cadre, la marge. C’est le cœur qui vaut, et qu’il faut avant tout considérer ».

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La revendication bretonne du trône de France (1213-1358)

Michael Jones

RÉFÉRENCE

COPY, Jean-Yves, La revendication bretonne du trône de France (1213-1358), Paris, Alain Baudry et Cie, 2016, 310 p.

1 Il y a trente ans dans son livre Art, société et politique au temps des ducs de Bretagne. Les gisants haut-bretons (Paris, Aux Amateurs des Livres, 308 p.), Jean-Yves Copy publiait une étude révolutionnaire sur les gisants médiévaux ; cette étude se fondait sur un inventaire de 272 monuments, tant disparus que conservés, du début du XIIIe siècle à 1514, répertoriés principalement dans les trois départements des Côtes-du-Nord (maintenant Côtes-d’Armor), Ille-et-Vilaine et Loire-Atlantique. Il essayait quand cela était possible, à partir des aspects stylistiques et des changements dans la mode de la sculpture, de déterminer les influences que d’autres monuments dans d’autres régions avaient pu avoir sur les familles commanditaires ou sur la production des artisans de ce riche corpus de monuments. Mais cela mis à part, l’un des aspects les plus provocateurs de la synthèse de Copy était qu’il démontrait que derrière beaucoup de ces tombeaux on trouvait des facteurs politiques et idéologiques qui avaient contribué à déterminer leur forme ou leur symbolisme. Pour prendre un seul exemple, Copy a été le premier à porter une attention sérieuse, dans l’abbaye de Saint-Gildas-de-Rhuys, à l’apparition sur une pierre tombale d’une couronne soutenue par deux anges volant au-dessus de la tête du gisant de Jeanne, fille aînée de Jean IV, duc de Bretagne, et de sa troisième femme, Jeanne de Navarre, et qui mourut encore enfant en 1388 alors qu’elle était la seule héritière du duché. Il a relié ce symbolisme aux prétentions émergentes de la dynastie des Montfort à la royauté et à la monarchie, question depuis longtemps importante dans l’évolution du duché à la fin du Moyen Âge et sur son idéologie.

2 Dans le présent ouvrage il revient juste sur deux des monuments qu’il avait brièvement examinés dans Art, société et politique, en appliquant la même méthode et en insistant à

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l’aide d’arguments de poids sur leur signification politique ainsi que sur leur nouveauté artistique. Ce sont en réalité deux exemples tout à fait extraordinaires de l’art funéraire médiéval, en métal semi-précieux (principalement en alliage de cuivre), d’une richesse d’éléments héraldiques qui a peu d’équivalent en Europe, a fortiori en France (Signalons à ce sujet qu’une précieuse synthèse vient de paraître : BADHAM, Sally et OOSTERWIJK, Sophie, « “ Monumentum aere perennius ?” Precious-metal effigial tomb monuments in Europe 1080-1430 », Church Monuments, t. XXX, 2015, p. 7-105).

3 La mode des monuments funéraires en métal est apparue dans l’Allemagne de la fin du XIe siècle et a été introduite en France par la cour des comtes de Champagne avec le gisant élevé à la mémoire du comte Henri le Libéral (mort en 1180). Mais c’est le savoir- faire des émailleurs de Limoges qui encouragea l’ajout d’un décor héraldique qui atteignit son apogée dans les dernières années du XIIIe siècle, avant de se raréfier dès le début du XIVe siècle. C’est aussi une catégorie de monuments qui a énormément souffert des déprédations et destructions des générations suivantes à cause de leur attrait esthétique mais aussi de la valeur intrinsèque du métal dont étaient faits ces gisants ainsi que les plaques décoratives, ornementations et autres détails qui les accompagnaient, ce qui explique qu’il en reste très peu actuellement dans l’ensemble de l’Europe occidentale.

4 Les deux tombeaux étudiés sont – ou plutôt étaient puisqu’ils ont tous les deux disparu à la Révolution – celui d’un cadet de la famille ducale, Robert, troisième fils de Jean Ier et de Blanche de Champagne, qui mourut en 1260 n. st. et fut enterré dans le couvent des Franciscains de Nantes, et un monument à la mémoire d’Alix de Thouars, duchesse de Bretagne sua jure, épouse de Pierre Mauclerc, décédée en 1221, et de leur fille Yolande de Bretagne, sœur de Jean Ier et épouse de Hugues XI de Lusignan, comte de la Marche, décédée en 1272 après un long veuvage et enterrée dans l’abbaye de Villeneuve, fondée par leur mère et grand-mère la duchesse Constance dans la commune des Sorinières au Pays de Retz. Les deux tombeaux sont maintenant connus principalement grâce aux descriptions qu’en a faites Dubuisson-Aubenay dans son Itinéraire de 1636 et à des dessins réalisés un peu plus tard dans ce siècle par l’antiquaire Roger de Gaignières qui en révéla la splendeur héraldique. Dans le cas du tombeau de Robert, sur un petit coffre de pierre « élevée de 2 piés sur terre, longue de viron cinq et large viron de 2 » (Dubuisson-Aubenay), ou approximativement 153 x 64 cm, se trouvait un petit gisant de bois « élevée encore prez d’un pié, couverte d’une lame de cuivre émaillée à fleurs » tandis que tout autour sur le dessus et la base du tombeau se voyaient des plaques comportant 32 blasons héraldiques identifiables « le tout émaillé de diverses couleurs ». Si on laisse de côté le fait que très probablement, d’après l’analyse artistique, la tête d’Alix provient d’une tombe antérieure, le double tombeau d’Alix et Yolande, sous la forme où il existait au XVIIe siècle, « longue de 6 piés ou environ et large de 4 à 5, élevée sur terre de deux piés », présentait les gisants des deux femmes allongées l’une à côté de l’autre « couverte d’une couverture entière ou lame qui déborde sur les costés, de cuivre doré, émaillé de moresques, orné d’écussons de aultres alliances et seigneuries, comme Bretagne, Angleterre, Navarre, etc. tout autour ». Les deux gisants étaient aussi de « cuivre doré, gisantes et vestues, celle du costé gauche [i.e. Alix] coronée d’une coronne aulte, mais simple et unie, sans fleurons, et tenant en sa main droite un sceptre fleuronné », tandis que des inscriptions révélaient l’identité des deux femmes. La particularité la plus remarquable et semble-t-

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il, sans équivalent, résidait dans le fait que pas moins de 357 écus décoraient le dessus et les côtés du monument.

5 C’est principalement à l’identification des familles représentées sur ce tombeau et sur celui de Robert de Bretagne et aux implications politiques de ces programmes artistiques que J.-Y. Copy consacre sa pénétrante analyse. Dans le cas de Robert, de précédents chercheurs avaient déjà attiré l’attention sur les blasons héraldiques qui faisaient allusion aux revendications de Jean Ier et Blanche de Champagne sur le trône de Navarre : celui-ci avait été détenu entre 1234 et 1253 par le père de Blanche, Thibaut IV, comte de Champagne, mais le couple ducal avait été forcé en 1254 d’y renoncer en faveur du demi-frère de Blanche, Thibaut V, né d’un mariage ultérieur. J.-Y. Copy ici installe ces prétentions dans une perspective beaucoup plus longue, celle des premiers membres de la famille de Dreux-Bretagne en quête d’une couronne, puisque la « revendication » première du titre remonte à l’époque où les droits de Robert, quatrième fils de Louis VI (1108-1137), à la succession de la couronne de France à la suite de la mort de ses frères aînés, semble avoir été ignorés en faveur de ceux de son jeune frère le futur Louis VII. Ce fut fait au motif de la supposée incapacité de Robert et celui-ci fut plus tard dédommagé partiellement par l’attribution du comté de Dreux érigé en apanage. Pour J.-Y. Copy, cela explique pourquoi les descendants de Robert, parmi lesquels Pierre Mauclerc, son petit-fils, et Jean Ier, apparemment floués de leurs droits à la couronne capétienne gardaient des ambitions politiques royales. Cela explique aussi, avance-t-il, pourquoi ils investirent si massivement dans des entreprises architecturales et artistiques qui devaient à travers le langage des blasons et d’autres symboles informer les observateurs avertis de leur statut élevé et de leurs prétentions. De là s’ensuit une intéressante analyse sur le patronage des Dreux sur l’église collégiale de Saint-Yved de Braine (act. Aisne) qui devint la nécropole familiale, sur la rose du transept sud de la cathédrale de Chartres sur laquelle les armes de Pierre Mauclerc sont prééminentes (ce qui aurait prétendument provoqué une réponse royale dans la rose du transept nord) ainsi que sur les deux tombeaux précédemment décrits. Dans celui d’Alix et de Yolande de Dreux-Bretagne-Champagne l’héraldique est inextricablement mêlée à celle de la famille de Lusignan qui manœuvrait de son côté entre les couronnes d’Angleterre et de France de la fin du XIIe siècle à la fin du XIIIe siècle. Le domicile de ses membres en Angleterre au XIIIe siècle, l’identification de nombreux autre écus anglais figurant sur le tombeau et les questions de la rivalité franco-anglaise dans les provinces voisines de la Gascogne, surtout après le traité de Paris (1259), forment ainsi une partie importante de l’étude de J.-Y. Copy.

6 Dans les limites d’un compte rendu, il est impossible de traiter aisément des nombreux fils que J.-Y. Copy a tissés en une riche synthèse subtile et imaginative à partir d’un important faisceau de témoignages, à la fois documentaires et matériels, pour soutenir sa thèse principale de « la revendication bretonne du trône de France » affichée dans l’héraldique des deux tombeaux. À cela il ajoute encore une dernière partie importante dans laquelle il argumente encore avec brio sur la façon dont les ambitions royales les plus anciennes des Dreux, ses prédécesseurs, ont laissé un héritage qui a influencé jusqu’à la manière dont le duc Charles de Blois (1341-1364) a choisi d’afficher ses propres ambitions monarchiques, même s’il s’appuya beaucoup plus sur les prétentions historiques plus lointaines des princes du duché à la royauté aux époques mérovingienne et carolingienne. Tous les lecteurs ne seront pas convaincus par tous ces arguments sur ces liens et sur la continuité d’une idéologie et des ambitions politiques de différentes générations à travers les siècles à une époque où la France et

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l’Angleterre médiévales elles-mêmes évoluaient rapidement. En particulier certains trouveront peut-être problématique l’association occasionnelle des noms « Plantagenêt » et « Anglais », alors que, pour la plus grande partie de la période qui nous préoccupe, la famille des Plantagenêts était et se considérait elle-même, même après 1204 et la perte de la Normandie et de l’Anjou, comme faisant partie d’une France élargie plutôt que d’une Angleterre au sens étroit. Il y a aussi inévitablement un certain degré de spéculation sur les intentions de ceux qui ont commandité ces œuvres particulières, même des incertitudes quant à leur identité ainsi qu’à celle de certaines familles dont les armes sont représentées. Yolande de Bretagne, comtesse de la Marche, peut difficilement avoir agi seule en ordonnant le double tombeau de Villeneuve. Jusqu’où les autres membres de la famille de Lusignan (alors puissante en Angleterre) ou le duc Jean Ier et ses conseillers sont-ils intervenus ? Qui a proposé que la duchesse Alix soit représentée tenant l’attribut royal d’un sceptre ? Mais ce que J.-Y. Copy a démontré sans ambigüité d’une manière astucieuse, passionnante et stimulante, c’est que les relations entre les dynasties régnantes de Bretagne et de France dans le dernier siècle du règne des Capétiens et sous les premiers Valois sont encore plus compliquées qu’on ne le savait auparavant et que l’histoire de l’art peut aider à les éclairer d’une manière plus spectaculaire que beaucoup d’entre nous pouvaient le penser.

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Nantes flamboyante, 1380-1530

Mathieu Pichart

RÉFÉRENCE

FAUCHERRE, Nicolas, GUILLOUËT, Jean-Marie (dir.), Nantes flamboyante, 1380-1530, Nantes, Société archéologique et historique de Nantes et de la Loire-Atlantique, 2014, 282 p.

1 Ce livre regroupe les contributions du colloque organisé en novembre 2011 par Nicolas Faucherre et Jean-Marie Guillouët à l’université de Nantes. Il est constitué de vingt- deux études qui se concentrent sur les biens matériels, architecturaux et décoratifs datant de cette période de transition entre le Moyen Âge et les Temps modernes, articulées à l’histoire politique d’un espace urbain et provincial en mutation et en essor. L’ambition de cet ouvrage collectif est de définir la « forme de la ville » dans sa complexité entre 1380 et 1530, période charnière de l’histoire de l’architecture, entre gothique et Renaissance. Une douzaine de lieux parfaitement situés et disséqués dans leur intimité architecturale sont étudiés sur le temps long, donnant au lecteur une image très nette de ce que fut un dispositif topographique nantais qui a aujourd’hui presque intégralement disparu. Sa restitution relève, à bien des égards, de la performance archéologique et historique.

2 C’est donc ici avant tout l’histoire matérielle d’un espace, le bâti urbain d’une capitale ducale située sur la Loire, et, en conséquence, la parole est surtout donnée à des spécialistes voire à des professionnels de l’archéologie de l’Ouest français. Ce parti pris donne à l’ouvrage une très nette orientation patrimoniale qui s’accorde avec une précision technique et illustrative particulièrement minutieuse. Si celle-ci court parfois le risque de décontenancer les non-spécialistes, elle est le plus souvent parfaitement connectée aux éléments sociaux et politiques de son environnement urbain et l’analyse topographique et architecturale autorise souvent une mise en perspective plus générale que les cas particuliers ici étudiés. Deux contributions, celle de Michaël Jones sur la période flamboyante à Nantes et celle de Pierre-Gilles Girault sur la relation si décisive de la duchesse Anne à la ville, si elles n’apportent rien de nouveau par rapport

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à l’état de la recherche, font œuvre fort utile de contextualisation (première partie : « Le contexte de la création »).

3 L’ouvrage est ensuite découpé en trois parties incluant chacune six contributions qui portent respectivement sur l’architecture religieuse, les arts figurés et enfin l’architecture militaire et civile. La cathédrale occupe une place importante dans l’économie générale de l’ouvrage et de la démonstration, tant l’édifice en général que certaines de ses composantes ou annexes (chapelle de la Madeleine, tombeau de Guillaume Guégen, verrière occidentale commandée par Anne de Bretagne, portail central et son cycle vétérotestamentaire). Pour l’architecture civile, c’est l’inévitable château des ducs et ses « logis » et trois exemples de résidences seigneuriales qui sont au centre du propos général. Jérôme Pascal dissèque en particulier les conditions d’élaboration du chantier en additionnant à l’enquête de terrain des sources évoquant les nombreux litiges fonciers ayant opposé les châtelains successifs (comtes puis ducs de Bretagne) aux évêques et aux Jacobins de Nantes. D’une manière générale, les auteurs ne manquent pas d’utiliser des archives issues de la pratique administrative, comme Emmanuel Maugard qui associe le projet de reconstruction de l’église Saint- Nicolas à la volonté de rayonnement de la plus étendue des paroisses nantaises à partir des comptes de sa fabrique.

4 Un des atouts de l’ouvrage – même si la démarche n’est pas tout à fait originale pour la période de la Renaissance bretonne – est de tenter d’estimer le poids du politique, et au-delà de certaines catégories sociales, dans l’élaboration de nouveaux projets architecturaux, la redéfinition des structures bâties existantes, et l’encadrement des activités artisanales ou artistiques. Certains niveaux de pouvoir sont en toute logique particulièrement considérés : le pouvoir ducal dans sa variété d’intervention (en particulier les fondations) et, à l’échelle locale, les édiles municipaux ou les élites aristocratiques et religieuses qui commandent la construction de bâtiments privés ou se manifestent par des donations. C’est d’abord vrai de l’architecture religieuse qui occupe la deuxième partie de l’ouvrage. Mathieu Laurens-Berge montre ainsi, à partir de relevés archéologiques menés en 2010 comment quelques grands lignages nantais ont conçu l’élaboration des chapelles nord de la collégiale Notre-Dame (disparue) dans une perspective de prestige et d’ostentation, au-delà de la mort et de l’inhumation. Les hôtels particuliers nantais semblent jouer le même rôle, la construction de l’hôtel Saint-Aignan étant par exemple contemporaine de l’ascension sociale du noble François Goheau et exprimant sa soif de prestige social.

5 Dans le domaine civil mais à une autre échelle, Jean Guillaume parvient à établir une corrélation riche de sens entre l’extension du volume des logis au château des ducs, la complexification du dispositif représentatif et la volonté de reprise en main de l’espace politique ducal par la veuve de Charles VIII, Anne de Bretagne, en 1498-1499. À travers certains détails, comme par exemple la surélévation inhabituelle du « Grand logis » telle que voulue par Anne, on devine l’expression d’une souveraineté ducale hautement exprimée dans un contexte d’intégration (avec ce qu’elle compta de résistances) aux structures politiques mais aussi de représentation de la couronne française. Toujours dans le domaine civil, la porte Saint-Pierre est présentée comme l’illustration d’une fusion progressive entre le groupe architectural épiscopal (elle devient l’un de ses logis) et le système défensif de la ville. Maël Pacaud parvient à montrer comment, sous l’épiscopat de Guillaume Guégen (1500-1505), la porte de la ville est retravaillée en fonction d’une volonté de hiérarchisation des espaces et c’est l’un des intérêts

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fondamentaux de cette méthode que d’articuler l’analyse architecturale à l’examen de stratégies de représentation sociale, politique ou religieuse. Elle nous invite à mieux saisir en quoi cette articulation est l’un des marqueurs « culturels » d’une ville capitale.

6 Enfin, ce livre met en lumière la façon dont les créateurs et leurs motifs architecturaux ou décoratifs se sont intégrés pendant cette période à des espaces plus vastes et à des réseaux dont les racines se trouvaient souvent fort loin de la capitale bretonne. Ainsi l’achèvement du cycle de l’Ancien Testament sculpté sur le portail de la cathédrale de Nantes se situe à une époque d’échanges artistiques soutenus entre Nantes et l’Anjou. Dans les pérégrinations des maîtres sculpteurs, autant qu’on peut les distinguer, Christine Seidel parvient à percevoir quelques « routes » de la production artistique à l’échelle française. Les sources artistiques ayant guidé la conception des Heures de Marguerite de Foix apparaissent quant à elles comme un possible amalgame entre des modèles bretons et angevins (encore) mais aussi probablement flamands et parisiens. Il s’agit cette fois du métier d’enlumineur. L’ouvrage apporte ainsi une nette contribution à la compréhension du fonctionnement géographique des ateliers de production artistique. À ce titre, bien que ce soit peut-être surtout un effet de sources, le destin particulier de la duchesse et reine Anne et son intégration, dans un contexte peu commun, dans des réseaux politiques hors le duché, ne furent pas sans conséquence sur la mobilité des hommes et des idées dans un espace notamment ligérien dont on sait depuis longtemps à quel point il fut fertile dans le domaine de la création.

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Souvenirs d’un villageois du Maine. Louis Simon (1741-1820)

Mathilde Chollet

RÉFÉRENCE

GRANGER, Sylvie, HUBERT, Benoît (dir.), Souvenirs d’un villageois du Maine. Louis Simon (1741-1820), Rennes, PUR, coll. « Mémoire commune », 2016, 511 p.

1 En 1996, Anne Fillon publiait les mémoires de Louis Simon, étaminier, sacristain, hôte puis maire de La Fontaine Saint-Martin (entre Maine et Anjou), mémoires qu’elle avait transcrits dans sa thèse en 1984. Ce texte apportait un éclairage inédit sur l’« outillage mental » des villageois au siècle des Lumières. Sur ses vieux jours, Louis Simon a voulu se remémorer particulièrement, par écrit, « la grande affaire de la vie », soit le temps où il a rencontré sa femme, la tourière Nanon Chapeau, et les péripéties qui ont précédé leur union : bagarres, jalousies, bouderies, fausses réconciliations, cadeaux, arrangements… tout ce qui est ordinairement négligé par les sources normatives et rend le texte de Louis Simon si précieux et si savoureux. Louis Simon insère aussi dans son manuscrit des conseils à ses enfants, une liste des nouveautés des Lumières arrivées dans son village, ou encore des prédictions ou des notes sur le passage des Chouans. Un témoignage direct exceptionnel donc, au point que l’ouvrage Louis Simon villageois de l’ancienne France paru en 1996 aux éditions Ouest-France est vite épuisé.

2 Sylvie Granger et Benoît Hubert deux anciens « élèves » d’Anne Fillon, ont voulu, après son décès en 2014, lui rendre hommage en rappelant l’actualité de ses travaux de recherche, basés sur Louis Simon et son univers culturel (culture matérielle au village, histoire des idées, histoire des représentations populaires…). C’est pourquoi ce « Louis Simon 2016 » reprend d’une part, le texte des souvenirs de Louis Simon tels que transcrits par Anne Fillon en 1984 le plus fidèlement possible (144 pages sur les plus de 500 du volume actuel), et d’autre part, la structure de l’ouvrage de 1996. On y retrouve donc l’appareil critique d’Anne Fillon (les notes de bas de page, « La traque de l’historien » et « La plume du notaire »), mais augmenté d’une introduction des deux

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nouveaux éditeurs (70 pages), de notes de bas de pages actualisées ou inédites, de nouveaux documents complémentaires (sources, cartographie, généalogie, 36 pages de belles illustrations couleur) et d’une bibliographie thématique actualisée. Dans un souci pédagogique et scientifique, les nouvelles notes de bas de page (plus d’un bon millier !) définissent des termes aujourd’hui obscurs, précisent les recherches d’Anne Fillon et avancent des conclusions nouvelles, ce qui fait de ce livre un outil pratique, dans la lignée du travail déjà accompli par Sylvie Granger et Benoît Hubert dans le cadre de l’édition du journal du chanoine manceau Nepveu de La Manouillère (Rennes, PUR, 2013). Les nouveaux documents annexés au manuscrit de Louis Simon replacent, comme le faisait déjà l’édition de 1996, l’étaminier dans son environnement proche, ils contextualisent son récit et l’ouvrent au reste de la société villageoise moderne. En effet, si Louis Simon est le seul à avoir raconté ses amours et ses tourments dont la trace a été conservée, ses contemporains les ont vécus aussi, sans les mettre forcément par écrit.

3 Retrouver la saveur originale de la plume de Louis Simon n’empêche pas cette nouvelle édition d’être accessible à un large public, de l’amateur éclairé d’histoire locale au chercheur universitaire. L’introduction fait ainsi utilement le point sur l’« héritage » de Louis Simon et contribue à une plus large reconnaissance des actions de l’Association des Amis de Louis Simon et des travaux de recherche de l’« école du Mans » (au sein de l’université du Maine) en matière d’écrits du for privé. Dans cette introduction, les deux éditeurs accordent en outre une attention particulière à des détails des Souvenirs, qui n’en sont pas : le personnage de la mère de Louis Simon, la façon dont l’auteur restitue les dialogues, l’amour qu’il portait à sa sœur décédée à son retour de voyage, etc. Autant de petites indications qui rendent ensuite le lecteur plus attentif au texte, dont il aura une lecture plus sensible qu’avec l’édition précédente.

4 C’est pourquoi l’on peut regretter la modestie de Sylvie Granger et Benoît Hubert : leur système de notes de bas de page, conservant celles d’Anne Fillon, fait paraître les leurs – ou leurs compléments aux notes initiales –, signalées par des astérisques, comme de simples rajouts, alors que leur appareil critique est bien plus intéressant et riche que l’originel. On peut aussi s’interroger sur le choix de renvoyer en note à des comptes rendus d’ouvrages plutôt qu’aux ouvrages eux-mêmes. Plusieurs coquilles, enfin, viennent gêner la lecture, notamment le doublement de l’appel de note de bas de page quand celui-ci est placé dans la colonne marginale du texte.

5 En voulant rendre hommage et à Anne Fillon et à Louis Simon, le risque était de noyer le petit étaminier et l’enjeu était de réactualiser son témoignage et lui offrir un lectorat qui ne le considérera pas uniquement comme une étude de cas de villageois lettré, mais aussi comme le texte d’un homme qui a aimé, pleuré, souffert, vécu : pari réussi.

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Les colonnes infernales

Youenn Le Prat

RÉFÉRENCE

ROLLAND-BOULESTREAU, Anne, Les colonnes infernales. Violences et guerre civile en Vendée militaire (1794-1795), Paris, Fayard, 2015, 335 p.

1 On sait que la guerre de Vendée se prolonge en une guerre des mémoires et une historiographie longtemps très clivée. La question des « colonnes infernales » qui opérèrent en Vendée militaire entre le mois de janvier et l’été 1794 participe pleinement de la « machine à fantasmes » révolutionnaire.

2 Anne Rolland-Boulestreau a rouvert ce dossier en étudiant les rapports conservés au Service Historique de la Défense rédigés par les officiers généraux commandant les colonnes. Cela lui permet de compléter la documentation publiée, entre 1824 et 1827, par l’ancien adjudant-général d’une des colonnes de 1794, Jean-Julien Savary, dans sa Guerre des vendéens et des chouans contre la République. Elle fait le choix de ne prendre en compte « aucun écrit postérieur […] malgré les informations qu’il pourrait apporter sur les actions républicaines […] ». Un tel corpus comporte donc le risque de ne donner qu’une vision unilatérale de ce conflit lui-même asymétrique. De fait, les combattants comme les habitants de la Vendée militaire ne sont vus ici qu’à travers les rapports adressés au pouvoir politique par des officiers généraux. Les soldats républicains eux- mêmes semblent fondus dans la masse de leur unité. C’est donc bien la vision d’une « généralocratie » menant une guerre contre-insurrectionnelle qui est analysée. L’auteur s’essaie d’ailleurs à une prosopographie des 32 officiers généraux qui se sont succédé à la tête les colonnes. Pour la plupart, ces « généraux ordinaires » étaient déjà dans l’armée avant la Révolution, qui a joué pour eux le rôle d’un « accélérateur de carrière ».

3 L’auteur nous plonge donc au cœur de la période qui s’étend de janvier jusqu’à l’automne 1794. Si l’on peut regretter que le bilan militaire et politique de l’insurrection vendéenne de 1793 ne soit guère présenté de manière détaillée, Anne Rolland-Boulestreau renouvelle notre connaissance des colonnes de Turreau – et de ses

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successeurs – en s’appuyant sur l’historiographie récente de la guerre. Un premier versant de l’ouvrage consiste en l’analyse du « vécu de guerre et ce qui en forme le cœur : l’expérience individuelle de la violence », pour reprendre les mots de Christian Ingrao. Les combats eux-mêmes sont rarement décrits dans les sources, mais ils ne constituent que des moments paroxystiques. Ce qui frappe, c’est le sentiment de peur, omniprésent chez les soldats républicains. Cette peur obsidionale, c’est « la certitude où est le soldat […] que, s’il tombe vivant dans les mains des rebelles, il est sûr d’être tué et souvent de la manière la plus cruelle » comme l’écrit Turreau. C’est qu’il ne s’agit pas là d’une guerre réglée entre armées régulières. Ce n’est d’ailleurs qu’en conclusion qu’est abordée la question de savoir comment qualifier ce type de guerre. Génocide ne convient pas, faute d’un plan conscient d’extermination, selon Anne Rolland- Boulestreau, et elle conclut prudemment qu’il ne s’agit pas non plus une guerre totale faute d’une mobilisation complète des ressources par la République. Elle privilégie le concept de guerre civile en insistant sur la crise extrême que traverse l’État. Sans doute, mais les notions de conflit asymétrique ou d’opérations contre- insurrectionnelles auraient pu enrichir l’analyse. Pour désigner les violences commises par les colonnes, elle retient le terme de massacre.

4 On le sait, la guerre civile, comme le processus de totalisation de la guerre, se caractérisent par une entreprise de déshumanisation. L’auteur, qui porte au lexique employé par les généraux une attention constante, souligne les nombreuses métaphores médicales et cynégétiques qui servent à désigner l’ennemi vendéen. Elles participent d’une déshumanisation de l’ennemi et prennent place dans une montée vers les extrêmes. La Vendée « enragée » risque de contaminer le corps politique républicain, selon les généraux et des mesures prophylactiques s’imposent en conséquence : il convient d’isoler et de purger la Vendée de ses « brigands ». Les opérations militaires s’apparentent à des chasses aux nuisibles, loups ou renards, et en particulier à des battues.

5 C’est dans ce contexte qu’est mis en place le système des colonnes, dont l’analyse constitue un autre axe majeur de l’ouvrage. Le général Turreau propose, à la mi-janvier 1794, de faire traverser le pays insurgé par des colonnes avec l’intention « de tout incendier » et de rafler les grains. Le Comité de salut public lui donne son aval le 9 février. Le plan est constamment confronté aux difficultés pratiques. Ainsi, les effectifs des colonnes – douze, réduites en fait à onze – sont mal évalués par les généraux et très fluctuants. Les effectifs de l’armée de l’Ouest dans leur globalité donnent d’ailleurs lieu à des estimations très variables. En outre, les opérations sont compliquées par la méconnaissance du pays, véritable terra incognita en dehors des axes principaux, le long desquels se déploie la violence des colonnes. Les combattants vendéens ont la maîtrise du reste de la trame viaire, véritable « labyrinthe » selon le général Ferrand. Les « mauvais chemins », souvent remplis d’eau et de boue, ralentissent la progression des colonnes qui s’y aventurent. Les insurgés attaquent régulièrement les convois qui empruntent les routes, au risque d’asphyxier bastions et colonnes. Ces dernières sont en outre constamment aux prises avec les difficultés logistiques, du fait de la conjoncture difficile de l’hiver et du printemps 1794, mais aussi de leur mobilité. Une colonne en marche ne peut en effet transporter avec elle toute la nourriture dont elle a besoin. Le soldat républicain manque de pain, de poudre, de souliers et d’uniformes. Les soldats exposés aux éléments et mal nourris sont sujets aux maladies, en particulier à la dysenterie. Les difficultés logistiques renforcent le recours

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au pillage. Divers trafics s’organisent d’ailleurs au sein de l’armée républicaine en toute impunité.

6 Le bilan de cette guerre menée par les colonnes républicaines constitue un troisième aspect de l’ouvrage. Anne Rolland-Boulestreau s’emploie ainsi à établir le décompte des victimes des colonnes et propose un total de 19 174 Vendéens déclarés tués entre janvier 1794 et le printemps 1795. Le propos ne convainc pas toujours, cependant, car la base documentaire est étroite. L’auteur souligne qu’à peine plus de 15 % des rapports donnent un tableau précis des pertes vendéennes. En outre, peut-on prendre pour argent comptant les chiffres donnés par les généraux quand ceux-ci rendent compte de leur action ? Vimeux, qui a remplacé Turreau, estime à la fin de sa mission que, du point de vue militaire, l’armée de l’Ouest a perdu la guerre. La dévastation du pays insurgé ne permet pas de briser l’insurrection et plusieurs rapports s’alarment au contraire du cercle vicieux qui se met en place : le « fer et le feu » portés au cœur de la Vendée militaire renforcent les rangs des insurgés. D’ailleurs, dès le printemps 1794, on perçoit une inflexion de la politique menée en Vendée. En avril, la dénonciation des violences faites aux femmes vendéennes par le représentant du peuple Lequinio y a contribué et Turreau est désavoué en mai. Le pouvoir politique met bientôt à l’ordre du jour la pacification en distinguant les « brigands » du reste de la population.

7 Bien qu’elle s’en tienne aux comptes rendus des généraux, en multipliant les angles d’attaque qui s’inspirent de l’historiographie récente, Anne Rolland-Boulestreau renouvelle profondément notre connaissance des « colonnes infernales ». Son ouvrage, qui tient à distance les discours militants et livre une analyse dépassionnée mais souvent passionnante de ce conflit asymétrique, est donc une entreprise salutaire.

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Inventer un regard

David Bensoussan

RÉFÉRENCE

BOULOUCH, Nathalie, ANDRÉ Louis, Inventer un regard. Rennes et la Bretagne à travers les collections de la société photographique de Rennes (1890-1976), Rennes, PUR, 2015, 128 p.

1 Créée le 13 juin 1890, à l’hôtel de ville, la société photographique de Rennes (SPR) a commémoré l’an dernier son 125e anniversaire. Commémoration qui s’est, entre autres, traduite par la publication de cet ouvrage destiné à relater brièvement son histoire et à exposer un certain nombre de photographies réalisées par ses membres tout au long de son existence. Des deux introductions, parfois un peu redondantes, on retiendra surtout le parcours historique de cette société photographique dont la fondation relève autant de l’entrée de la photographie dans l’ère industrielle que du vaste mouvement de multiplication des sociétés d’amateurs à la fin du XIXe siècle. De fait, deux ans après sa création, la SPR adhère à l’Union nationale des Sociétés photographiques de France, nouvellement créée, participant ainsi à l’animation d’un réseau de plus en plus dense à l’échelle nationale et internationale. Elle devient également membre de l’Union internationale de photographie. Devenue plus accessible depuis la mise au point des appareils portatifs et l’utilisation de plaques prêtes à l’emploi, puis par l’introduction de la pellicule souple, la photographie attire, à Rennes comme ailleurs, un nombre croissant d’amateurs qui, tout en s’intéressant à ses multiples applications, entendent aussi perfectionner leurs pratiques. Comme le souligne Nathalie Boulouch, ces amateurs « éclairés » élaborent, au sein d’une expérience associative spécifique, la construction d’un regard photographique forgé par des références collectives et la volonté de faire accéder la photographie au rang d’un art à part entière. D’origine bourgeoise pour l’essentiel, ils trouvent dans les excursions photographiques que la société organise aux beaux jours, notamment au Boël (en Bruz), sur les bords de la Vilaine, un type de loisir qui leur convient parfaitement. Convivialité et formation par l’échange s’affirment ici dans un cadre propice à l’expérimentation de la maîtrise de la lumière et du calcul du temps de pose.

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2 Progressivement cependant, l’essor de la pratique photographique dans l’entre-deux- guerres entraîne une plus grande diversité sociale des membres de la société tandis que l’avènement à la présidence de l’architecte Georges Nitsch en assure le rayonnement. En son sein, les échanges se multiplient entre « anciens » et « nouveaux » tandis que des formations en ateliers ainsi que des cours répondent à une demande croissante d’apprentissage et de perfectionnement. Concours et expositions se développent également, notamment dans les galeries de l’École des beaux-arts de Rennes. On note alors le développement de la couleur avec l’utilisation des autochromes qui séduisent nombre de membres de la SPR et qui font parfois l’objet de projections. Parallèlement, la société s’ouvre au cinéma amateur, s’appuyant là encore sur les progrès techniques en ce domaine. L’intérêt est tel qu’en 1935, elle décide de créer une section cinéma qui adhère à l’Union des amateurs cinéastes de France fondée en 1933. Cette dynamique s’exprime plus nettement encore durant les Trente glorieuses particulièrement avec l’essor de la diapositive qui favorise, surtout dans les années 1960 et 1970, les échanges entre membres autour de « diaporama » associant le son et l’image. Si la multiplication des « photo-club » témoigne de l’éclatement de la scène associative en ce domaine, l’organisation en 1976 des premières « Rencontres photographiques de Rennes », à l’initiative de son président Pierre Chemin, conforte cependant la place de la SPR dans la cité. C’est d’ailleurs sur cette date que s’arrête ce panorama historique qui, bizarrement, fait l’impasse sur toute la période suivante.

3 Tout le reste de l’ouvrage est consacré à la présentation de nombreuses photographies émanant des membres de la société depuis sa création. Il faut regretter ici l’absence de classement et la faiblesse des commentaires qui, trop rarement du reste, les accompagnent. Sur ce point, le propos préalable de Nathalie Boulouch ne suffit pas, même s’il ouvre des perspectives de classement qui auraient gagné alors à être mises en œuvre et confrontées aux photographies exposées. Nombre de ces réalisations s’inscrivent, en effet, implicitement ou explicitement, dans les préoccupations de l’Union nationale des Sociétés photographiques de France qui entend constituer, par le biais des sociétés qui la composent, les archives pittoresques des provinces. « Documenter le monde proche » est ainsi, sans conteste, le fil directeur d’une bonne partie des photographies exposées. Conservatoire des traditions, la Bretagne se donne donc ici à voir dans de nombreux clichés, dans tous les sens du terme. Bretonnes en coiffe, scènes de la vie religieuse, activités agricoles et maritimes constituent tout un ensemble de réalisations d’inégal intérêt. On remarque l’influence persistante, du moins jusqu’à la veille du second conflit mondial, du courant pictorialiste qui cherche le dialogue avec la peinture. Les effets de lumière sur les bords de mer, les fumées produites par le brûlage du goémon offrent alors des effets visuels qui s’inscrivent dans ce cadre. Certaines photographies de Georges Nitsch, la plupart du temps réalisées sur des plaques de verre au gélatino-bromure d’argent, se singularisent alors par la qualité du coup d’œil et de la maîtrise technique à l’instar de cette scène de labour (p. 33), prise vers 1930, d’où se dégage une image saisissante du rapport de l’homme à la nature.

4 Ce souci d’inventaire documentaire se perçoit également dans les nombreuses photographies de la ville de Rennes. Au sein de cet ensemble, là encore très inégal, nombre de réalisations n’offrent qu’un intérêt historique, nullement négligeable du reste. Ainsi en est-il des photographies autour du procès Dreyfus ou du champ de course des Gayeulles, à la charnière des XIXe et XXe siècles. Les clichés sur les funérailles du cardinal Charost, en novembre 1930, puis ceux sur la construction du quartier

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Colombier ou du square des Hautes Ourmes dans les années 1970 s’inscrivent également dans cette dimension. On leur préférera les clichés dont l’intérêt documentaire se situe dans la capacité à rendre compte de l’atmosphère d’un moment du quotidien, grâce à une qualité artistique qui ouvre des horizons d’observation et de sensation à l’exemple de la vue stéréoscopique d’Ambroise Poirier prise sur les quais (p. 44), le 17 février 1924, ou de cette scène de noce captée par Georges Dorer à la fin des années 1950 depuis les étages de l’Hôtel de ville (p. 52).

5 Si le regard de l’amateur ne suscite pas toujours l’adhésion, il n’en reste pas moins que cet ouvrage, dont on peut regretter cependant qu’il n’ait pas pris une forme plus aboutie, permet avec intérêt de replacer la pratique photographique dans le temps et dans l’espace d’une ville de province en soulignant les sociabilités spécifiques qu’elle met en œuvre.

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Histoire du Petit Séminaire de Quintin (1934-1975)

Georges Provost

RÉFÉRENCE

MOIGNO, Yves, Histoire du Petit Séminaire de Quintin (1934-1975), Quintin, Association des Anciens élèves du Petit Séminaire de Quintin, 2012, 353 p.

1 Quarante ans après l’étude pionnière de Jean-René Chotard sur Guérande (1977), le temps semble opportun d’un retour sur l’histoire des Petits Séminaires bretons qui ont joué un rôle éminent dans la formation des jeunes garçons. Que l’éditeur de cet ouvrage sur le Petit Séminaire de Quintin, soit l’Association des anciens élèves, dont l’auteur est lui-même membre actif, ne saurait être anodin : l’entreprise est largement le fruit d’une démarche participative qui a permis de rassembler clichés, témoignages personnels (85), bulletins imprimés… et de compenser heureusement la faiblesse des archives provenant de l’institution. L’ouvrage témoigne donc d’abord d’une démarche de mémoire mais il offre aussi l’occasion d’une véritable enquête historique sur une institution très illustrative des bonheurs, malheurs et surtout ambiguïtés constitutives d’un mode spécifique de formation destiné à « fabriquer des curés » à partir de garçons très inégalement motivés.

2 De cette exemplarité, la fondation tardive du Petit Séminaire de Quintin est sans doute la première clé : fondé en 1931, l’établissement témoigne très précisément de la volonté de Pie XI, relayée par les évêques, de contrer la chute des vocations en développant des Petits Séminaires homogènes en ce qu’ils conduisent naturellement au Grand, en décalage avec le modèle en vigueur précédemment d’institutions préparant aux carrières civiles au moins autant qu’au sacerdoce. Dans l’esprit de Mgr Serrand – qui avait également fait construire le Grand Séminaire de Saint-Brieuc (1924-1927) – le Petit Séminaire de Quintin correspondait aussi à un objectif d’unité dans un diocèse très éclaté où la formation des futurs clercs se partageait jusqu’alors entre Saint-Joseph de Lannion (qui avait pris le relais de Tréguier) pour les Trégorrois, Notre-Dame de

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Campostal à Rostrenen (qui avait pris la succession de Plouguernével) pour les Hauts- Cornouaillais, les Cordeliers de Dinan pour les Gallos. Quintin, géographiquement central, représentait de ce point de vue un choix rationnel. Les bâtiments neufs qui s’élèvent à partir de 1933 sur la colline de Haute-Folie traduisent une logique qui est à la fois de visibilité et de mise à l’écart du monde, pour mieux préserver et cultiver des vocations que l’on sait fragiles. Très soutenue par l’évêque, la nouvelle institution attire à elle les meilleurs enseignants des collèges religieux du diocèse. La réalité est rapidement en deçà des projets, prévus pour 300 élèves : les bâtiments inachevés (seules deux ailes sur trois prévues sont réalisées) n’accueillent à la rentrée 1937 que 191 petits séminaristes dans des conditions spartiates. Malgré le secours éventuel de bourses diocésaines, le placement d’un garçon y demeure peu envisageable pour nombre de familles rurales. Au cours de « l’époque héroïque des débuts » (1934-1952), marquée notamment par les difficultés de l’occupation allemande, la maison parvient néanmoins à s’enraciner dans son environnement.

3 La rupture identifiée par l’auteur au début des années 1950 tient à plusieurs évolutions dans la manière de mettre en œuvre l’objectif vocationnel, plus impérieux que jamais à l’heure où la diminution sensible des ordinations sacerdotales laisse déjà craindre une « course à l’abîme » (1953). Le renouvellement passe par des enseignants détenteurs de licences universitaires, par un esprit plus ouvert aux innovations culturelles (théâtre, veillées, projections, éducation physique…) et une pédagogie qui mise sur des « équipes » de trois ou quatre élèves. L’ouvrage met très bien en relief l’incidence des conditions matérielles à compter du jour où, en 1952, les Petits Séminaristes peuvent bénéficier de bourses d’État. Bien des familles nombreuses des campagnes des Côtes- du-Nord saisissent alors l’occasion de placer un ou plusieurs garçons à Quintin. Les effectifs croissent en conséquence : 175 élèves en 1952, 346 en 1961 dont 70 % sont boursiers. Le doublement numérique – servi par une très active politique de recrutement via les « Journées des vocations » dans les paroisses, les « retraites d’enfants » et le relais des vicaires-instituteurs – témoigne de l’« âge d’or du Petit Séminaire » (1952-1962). Vers 1960, le déséquilibre traditionnel en faveur du pays gallo (jusqu’à 80 % des élèves !) paraît même se réduire. Mais rétrospectivement, les faux- semblants apparaissent comme autant d’évidences. La plus large ouverture de la maison rend nécessairement plus floue la dimension vocationnelle, même si personne ne se l’avoue vraiment alors, qu’il s’agisse du clergé dirigeant la maison, des élèves (dont certains disent clairement aujourd’hui qu’ils n’ont jamais songé à la prêtrise), ou de leurs parents trop heureux de pouvoir leur payer des études, quoi qu’il advienne ensuite. L’histoire des années 1950 semble pouvoir être lue au prisme de ces contradictions : le P. Thomas, directeur en 1954, présente le Petit Séminaire comme un « carrefour » et non un « rail » – il est donc normal d’y accueillir des enfants sur d’autres critères que le désir de la prêtrise – mais il n’est guère d’autre avenir présenté aux élèves que la perspective du sacerdoce. Les vacances s’allongent (aux Gras et à la Toussaint à partir de 1955) mais il importe qu’en famille ou en « colo », la surveillance du recteur ou le maintien de cadres collectifs de piété conserve le petit séminariste dans l’esprit de « sa » vocation.

4 L’optimisme est de rigueur au seuil des années 1960, à l’heure où s’élèvent enfin les murs de la chapelle définitive. Quand les élèves en creusent les fondations, au printemps 1957, la Voix du Petit Séminaire envisage l’avenir sans inquiétude : « J’étais là quand on a commencé, diront bon nombre de recteurs dans cinquante ans ! » On le devine : très peu de ces élèves sont devenus prêtres et tous ne le sont pas « restés ».

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Mais en 1957, plus des trois quarts des élèves de terminale du Petit Séminaire vont encore au Grand et chaque promotion d’ordinands compte 60 % d’anciens de Quintin… Comment imaginer alors que la promotion de 6e admise à la rentrée précédente sera la première à ne fournir aucun prêtre ? D’autant que la nouvelle chapelle regarde résolument vers l’avenir : ses volumes, dessinés par le dominicain Cocagnac de la revue Art sacré, convergent vers l’autel, anticipant les réformes conciliaires. L’aspiration au changement semble alors irrépressible, tant elle semble correspondre aux désirs de la jeunesse : on pourra méditer, p. 171, sur cette photo de grands élèves posant derrière des barbelés en 1956… À partir de 1962 s’ouvre « le temps difficile des mutations », que signale la plongée rapide des effectifs. Distincte de la chute des vocations, elle s’explique d’abord par la multiplication des CES – pourquoi envoyer, dès lors, les garçons à Quintin ? – et la désaffection des familles pour les pensionnats. Mais les responsables de la maison y voient un motif supplémentaire d’ouvrir largement l’établissement sur un monde qui bouge et que l’on veut envisager positivement, loin du « cocon » et de la « serre chaude » désormais récusés. Comme d’autres Petits Séminaires, Quintin s’avère donc très réceptif aux expérimentations nouvelles – du journal des élèves en 1962 à l’autodiscipline après 1968 – en raison inverse de la rigidité du modèle initial.

5 À partir de 1966, sous la direction du P. Colleter, la dimension vocationnelle devient de facto périphérique : « séminaire de jeunes » en 1966 puis « centre Jean-XXIII » deux ans plus tard, Quintin devient surtout un collège-lycée catholique rayonnant avec succès sur le secteur alentour. Les contrats d’association avec l’État (1968 et 1970), l’accueil d’externes et la mixité (1971), la fusion avec les deux autres écoles catholiques de Quintin (1975), la laïcisation du corps enseignant (un directeur laïc en 1979) jalonnent les étapes d’une reconversion d’autant plus réussie qu’elle est rare parmi les anciens Petits Séminaires bretons (le lycée-collège de Sainte-Anne d’Auray offrirait cependant un autre exemple). Sans doute le lecteur aurait-il aimé que l’histoire retracée par Yves Moigno ouvre davantage de points de comparaison mais la bibliographie sur le sujet et le récent colloque consacré au Petit Séminaire de Sainte-Anne d’Auray (octobre 2015) permettront ici d’utiles extensions. Riche de témoignages sans apprêt, fort de données statistiques patiemment réunies et analysées, nourri des questions de la « génération de la rupture » avec ce mélange de distance et d’empathie qu’autorise le recul du temps, l’ouvrage d’Yves Moigno va, à l’évidence, bien au-delà des seuls anciens élèves.

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11 batailles qui ont fait la Bretagne

Valeria Pansini

RÉFÉRENCE

LE PAGE, Dominique (dir.), 11 batailles qui ont fait la Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2015, 359 p.

1 L’ouvrage collectif dirigé par Dominique Le Page couvre, à travers les faits de guerre qui ont touché la région, deux millénaires d’histoire de la Bretagne, de l’affrontement entre la flotte romaine et les Vénètes du Morbihan en 56 av. J.-C. à la bataille du maquis de Saint Marcel en juin 1944. L’attention portée par les onze contributions à la mémoire de l’événement analysé rend ce très impressionnant laps de temps étudié encore plus long, en emmenant l’attention du lecteur jusqu’à nos jours, des célébrations des batailles passées aux exploitations muséographiques et touristiques de ces faits de guerre.

2 L’ouvrage a le mérite certain de proposer au lecteur, chercheur ou passionné d’histoire de Bretagne, une analyse historique établie avec rigueur. Dans chaque contribution, les récits des faits de guerre sont mis à l’épreuve. Le lecteur retrouve ainsi une critique précise des sources qui permettent (ou pas) de connaître le déroulement factuel des événements et une analyse lucide des enjeux de la construction de la mémoire de la bataille. Le schéma commun aux contributions, expliqué par Dominique Le Page dans son introduction (p. 15), prévoit que la présentation des sources utilisées soit suivie d’une reconstitution factuelle du déroulement de la bataille et que, dans un troisième temps, on s’attache à étudier la mémoire des événements « en s’intéressant à ceux qui ont contribué à la construire et à l’entretenir ». Lire avec la même grille des faits se déroulant sur deux millénaires d’histoire de la Bretagne est un défi : si le triple questionnement est effectivement utilisé dans pratiquement toutes les contributions, le plan n’est pas toujours régulièrement suivi et les chapitres sont trop différents en taille, des 11 pages sur la bataille de Ballon écrites par Yves Coativy (p. 34-45) aux 60 pages d’Alain Gallicé et Dominique Le Page sur Saint-Aubin-du-Cormier (p. 74-133) pour que l’effet encyclopédique, qui demanderait plus de régularité, puisse opérer.

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3 L’unité de l’ensemble des contributions est construite, ou plutôt donnée pour acquise, sur base géographique : les batailles étudiées se sont déroulées en Bretagne ou peuvent être considérées comme « bretonnes » en raison de leur insertion dans « une situation politique et militaire régionale » (Hervé Le Goff à propos de la bataille de Craon en 1592, p. 155) ou à cause de la participation importante de combattants d’origine bretonne à l’événement et à la construction successive d’un « récit légendaire », d’une « construction mémorielle érigée sur une historiographie très partielle » (p. 267) dans lesquels la composante bretonne est fondamentale : c’est le cas de la bataille de Dixmude (Belgique), efficacement étudiée par Jean-Christophe Fichou, qui s’interroge dès le titre – « La bataille de Dixmude (octobre-novembre-décembre 1914) : une bataille bretonne ? » – sur l’appartenance de ce fait de guerre à ceux « qui ont fait la Bretagne ». Paradoxalement, nous devons chercher les lignes de construction de l’unité thématique dans l’étude de ces batailles « excentrées » : la nécessité d’en motiver l’insertion dans le récit bimillénaire des onze batailles qui ont fait la Bretagne porte à expliciter les critères de cette construction d’unité, qui resteraient autrement cachés. Dans l’ensemble de l’ouvrage, l’unité géographique est donnée comme évidente, mais même si on ne questionne pas la permanence des limites de cette unité sur 2 000 ans, il aurait été souhaitable de discuter davantage la portée historiographique de cette localisation. La continuité artificielle du « récit régional » (p. 18) et les « approximations » (p. 19) dont ce récit s’est nourri sont clairement expliquées dans l’introduction et régulièrement mises à l’épreuve de la rigueur historiographique dans les différentes contributions. Néanmoins, l’ouvrage rassemblant en ordre chronologique strict des études de faits de guerre, et le titre, 11 batailles qui ont fait la Bretagne, évoquant clairement l’apport de ces faits de guerre à la construction d’une identité bretonne, une réflexivité plus constante aurait été souhaitable.

4 La première bataille bretonne connue et traitée dans cet ouvrage est en réalité armoricaine : il s’agit de la bataille des Romains contre les Vénètes en 56 av. J.-C., étudiée par Jean-Yves Eveillard. La richesse du questionnement, l’attention aux conséquences de la bataille sur la population, comme elles peuvent être perçues à travers les sources écrites et les observations archéologiques, font de cette contribution un exemple de comment on peut à travers l’étude de la guerre percevoir la réalité historique des populations qui s’y engagent et questionner leurs structures sociales et leurs évolutions. Le parcours dans l’histoire de la Bretagne continue par Ballon, bataille étudiée par Yves Coativy, extrêmement critique envers le « roman breton ». L’auteur explique, de façon très intéressante, comment deux événements distincts mais proches géographiquement, la bataille de Ballon (845) et celle de Jengland-Beslé (851), ont fini par se contaminer (p. 36). La superposition des récits, avec celui des faits de Jengland- Beslé, plus récents et mieux documentés, en position dominante, « la répétition des informations erronées [qui] les transforme en vérité » (p. 45), ont créé une vision des événements largement orientée, où Ballon devient un point culminant de l’histoire bretonne : « la bataille fondatrice de la Bretagne médiévale, moderne et contemporaine » (p. 41). Les deux contributions suivantes, celle de Laurence Moal sur Auray (1364) et de Alain Gallicé et Dominique Le Page sur Saint-Aubin-du-Cormier (1488), sont très riches et complètes sur ces deux très célèbres batailles : les aspects techniques, tactiques, mais aussi mémoriels sont pris en compte et traités de façon exhaustive. On regrettera pourtant qu’il n’y ait pas davantage de dialogue entre le texte de Laurence Moal, qui évoque déjà les faits de Quiberon en 1795 et la contribution de Youenn Le Prat, qui est totalement consacrée à cette bataille. Plus généralement, les

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références en commun, parfois les sources communes à plusieurs contributions portant sur l’époque médiévale et moderne, auraient pu générer plus d’échanges entre les chapitres.

5 Pour l’époque moderne, la suite des batailles bretonnes est complétée par les débarquements dans la zone de Brest : la descente du Conquet en 1558, étudiée par Pol Vendeville ainsi que le combat de Camaret en 1694, analysé par Yann Lagadec et Stéphane Perréon. La documentation de Pol Vendeville est très riche et permet de questionner les motivations de cette descente en force sur les côtes bretonnes : prendre Brest, ou ravager le littoral pour pousser le roi de France à détourner ses troupes des autres fronts (p. 145) ? Pour Camaret aussi, la question du véritable objectif de l’expédition reste importante, tant la prise de Brest apparaît ardue pour les assaillants. Yann Lagadec et Stéphane Pérréon mettent en évidence le fait que la stratégie du blocus, réalisée seulement dans les années 1740, a ses origines dans la bataille de Camaret et l’abandon qui s’en suit du projet de prise du port (p. 213). Pour Camaret, au niveau mémoriel, « le monument – la tour Vauban – est venu comme effacer l’événement » (p. 221) : « la tour est ainsi devenue un lieu patrimonial plus que mémoriel ». Concernant la période contemporaine, outre l’étude déjà cité de la bataille de Dixmude, deux contributions de Christian Bougeard sur la Seconde Guerre mondiale, l’une centrée sur l’intérêt stratégique de la Bretagne et l’autre sur le maquis et la bataille de Saint-Marcel, concluent l’ouvrage. Le schéma centré sur la « bataille » dans son unité de temps et d’action est forcément abandonné, mais les études de la Bretagne en guerre restent particulièrement intéressantes, avec une attention particulière au volet mémoriel et muséographique.

6 En conclusion, même si on peut regretter que certains choix méthodologiques ne soient pas plus clairement assumés, la mise en avant de la critique des sources, l’intérêt et la rigueur historique de l’ensemble des contributions font de cet ouvrage utile et lucide une référence nécessaire pour l’étude de la Bretagne en guerre et des récits qui s’y sont construits.

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La recherche dans les universités du Grand Ouest en 2015

NOTE DE L’ÉDITEUR

Précédente publication en décembre 2015, ABPO 122-4.

La rédaction des Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest publie à nouveau cette année la liste des thèses et mémoires de master soutenus dans les universités de l’Ouest de la France. Pour localiser ces documents, les lecteurs pourront se reporter à la base de données alimentée par Renan Donnehr, IT CNRS, responsable de la bibliothèque du Centre de Recherches Historiques de l’Ouest (CERHIO UMR 6258) : THEO (http:// services.univ-rennes2.fr/theo). Cette base (12 221 références au 2 novembre 2015) recense des mémoires de niveau M (DES, Maîtrise, DEA et Master) concernant l’histoire d’un très large nord-ouest de la France et déposés dans cette aire géographique. Ils pourront également consulter : DIPOUEST (http://services.univ-rennes2.fr/ dipouest/). Cette base (4 564 références au 23 octobre 2015) signale des articles de revues et des contributions à des ouvrages collectifs sur la Bretagne et les régions limitrophes (Basse-Normandie, Pays de la Loire en particulier)

Université d’Angers

Les mémoires sont consultables en ligne sur la plateforme Okina http://okina.univ- angers.fr. Ceux qui ne sont disponibles que sur l’intranet de l’université n’ont pas été signalés. Les mémoires de master sont consultables sur http://dune.univ-angers.fr().

Thèses

BATTAIS, Boris, La Justice militaire en temps de paix. L’activité judiciaire du Conseil de guerre de Tours (1875-1914), dir. Y. DENÉCHÈRE.

BOIVINEAU, Pauline, Danse contemporaine, genre et féminisme (1968 - 2015), dir. C. BARD.

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D’HOOGHE, Vanessa, « La féminité, un beau mot qui disparaît lentement ». Réaménagement d’une norme en crise (Belgique-France, 1960-1980), dir. C. BARD, co-dir. V. Piette. En cotutelle avec l’ULB, Belgique. GUILLEMIN, Thomas, Isaac Papin (1657-1709) Itinéraire d’un humaniste réformé, de l’École de Saumur au jansénisme, dir. D. BOISSON.

HAMARD, Damien, Des paléographes aux archivistes, l’Association des archivistes français au cœur des réseaux professionnels (1970-2010), dir. P. MARCILLOUX.

TRIMBLE, Sheena, Les femmes et les politiques d’immigration au Canada (1945-1967) : au- delà des assignations de genre ? dir. Y. DENÉCHÈRE.

Masters

ESNAULT, Silvère, La scolarisation des enfants étrangers en Maine-et-Loire dans les années 1970-1980, dir. Y. DENÉCHÈRE et P. QUINCY-LEFEBVRE (master 2)

GUIBERT, Amélie, Les associations d’Amis des bibliothèques, dir. V. SARRAZIN (master 1)

MOULLEC, Nathan, L’ambassade du comte de Vergennes à Constantinople pendant la guerre de Sept Ans (1755-1764) : à partir de sa correspondance diplomatique, dir. F. BRIZAY (master 2)

Université de Bretagne occidentale (Brest)

Ces documents sont consultables au CRBC (Bibliothèque Yves Le Gallo)

Thèse

LE MOIGNE, Alain, Marine et ouvriers de la construction navale à l’arsenal de Brest (1918-1970), du paternalisme d’État à la mondialisation économique, un mouvement syndical partagé entre pragmatisme et idéologie, dir. C. BOUGEARD.

Masters

BÂ, Céline, La guerre d’Indépendance de Bretagne 1487-1491 : déroulement, dir. Y. COATIVY.

CABIOCH, Thomas, Les Verts dans le Finistère : Étude du mouvement politique écologiste entre 1984 et 2007, dir. D. LE GUYADER.

CARON, Marie, Les petites chroniques de Bretagne, Transcription, traduction, analyse, dir. Y. COATIVY.

FLOCH, Adrien, Prénom et noblesse de 1398 à 1503 dans les diocèses de Léon et de Tréguier, dir. Y. COATIVY.

FRANCKAERT, Benjamin, Santé et pratiques médicales des Bretons insulaires et continentaux du Haut Moyen Age (V-Xe siècles) : revue de la littérature ouverte, analyse croisée des données historiques et archéologiques, dir. M. COUMERT.

GOURTAY, Yann, Les évêques de Quimper et la Restauration 1814-1830, dir. F. BOUTHILLON.

KERHOAS, Lena, Amour et Mysticisme dans l’œuvre de Tanguy Malmanche, dir. M. THOMAS.

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LE PAGE, Florian, Ahmad Shah Massoud 1979-1989 : une personnalité politique et militaire afghane à travers le regard de deux grands quotidiens français : Le Monde et Ouest-France, dir. P. BRUNET.

LE VOT, Thomas, La représentation et l’évocation des rites sacrificiels dans le discours officiel des Sévères (193-235 apr. J.-C.) : Étude réalisée à partir des « monnaies impériales romaines » Corpus, dir. V. HUET.

MEFFRE, Julien, Des usages de la langue en politique, dir. N. BLANCHARD.

Université de Bretagne Sud (Lorient)

Ces documents sont consultables à la bibliothèque universitaire de l’UBS (Lorient)

Thèse

NOFFICIAL, Sébastien, Le Parlement et la marine de guerre en France (1871-1914), dir. G. LE BOUEDEC.

Masters 1

BRUYAS, Émeline, Logwood cutters du Nouveau Monde : à la poursuite du bois de teinture XVIIe-XIXe siècles, dir. P. Hrodej.

CHEVRIER, Raphaël, L’image de l’« Autre » : le cas des Arabes musulmans chez Léon le Diacre, Jean Skylitzès, Nicéphore Phocas et Yahya d’Antioche, dir. E. LIMOUSIN.

CHEVROLLIER, Léna, Le point de vue des journaux britanniques The Times et The Guardian sur le contexte de ségrégation aux États-Unis en 1961, dir. N. BADALASSI.

COAT, Philippe, Les relations franco-américaines durant les mandats de Valéry Giscard d’Estaing et Gérald Ford entre 1974 et 1976 : coopération, comparaison et divergences politiques, dir. N. BADALASSI.

GUÉGAN, Kilian, La vision du Mercure Galant sur la Royale sous le règne de Louis XIV, dir. P. Hrodej. GUIGUENO, Thomas, La France, Cuba et l’Angola, 1975-1976, dir. N. BADALASSI.

HANGOUET, Enora, Les cinémas français et italien des années 1960 au regard du parti communiste français, dir. N. BADALASSI.

LE BODIC, Florian, Le sceptre maçonnique vu par l’Ouest-Eclair (1899-1905), dir. J.-B. BRUNEAU.

LE BRAS, Yvon, Les Visionnaires ou la tentation du grand récit. L’univers singulier de la gravure entre 1970 et 2000 autour de la galerie Broutta à Paris, dir. S. LLINARES.

LE LIBOUX, Margot, Le choléra en Ille et Vilaine et Finistère au XIXe siècle, dir. F. PLOUX.

LEROY, Virginie, Liquidations de prises et acheteurs de cargaisons et de navires dans les amirautés de Vannes et de Lorient durant la guerre d’Indépendance américaine (1778-1783), dir. P. Hrodej. LEVESQUE, Marion, L’aide humanitaire de l’Union européenne à la Bande de Gaza et ses limites (2006-2009), dir. N. BADALASSI.

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LOTERIE, Anne, Aspects matériels et humains de la gestion de la Compagnie de Calonne (1785-1793), dir. S. LLINARES.

MAUREL, Loick, La CFDT dans le Morbihan dans les années 1970-1980, dir. J.-B. BRUNEAU.

MOREL, Florian, Les accidents navals (1919-1929), dir. J.-B. BRUNEAU.

Université de La Rochelle

L’ensemble est consultable à la Bibliothèque universitaire.

HDR

SUIRRE, Yannis, De l’histoire de l’environnement au patrimoine culturel, les côtes d’Aquitaine au début du XVIIIe siècle : cartes, plans et mémoires de Claude Masse, ingénieur du roi, garant D. POTON.

Thèses

CAILLOSSE, Pierre, La paroisse de Soulac de la fin du XVIe au milieu du XIXe siècle. Les transformations d’un territoire littoral entre la Gironde et l’Atlantique, dir. M. BOCHACA et M. TRANCHANT.

DUSSIER, Marie, La Rochelle, capitale de la plaisance en Charente-Maritime (1945-2005). Étude sur l’évolution d’un loisir nautique et de ses aménagements urbano-portuaires, dir. B. MARNOT.

Master 2

DEPERNE, Marcel, Une famille française à l’époque des révolutions atlantiques. Charlotte, Edme, Waldemard… la famille Mentelle entre France et Kentucky (1789-1844), dir. T. VILLERBU.

ZEIN, Cham, Les missionnaires catholiques français au Texas entre 1846 et 1865, dir. T. VILLERBU.

Université du Maine (Le Mans)

La plupart de ces travaux sont consultables à la Bibliothèque universitaire du Mans, sur place et parfois sous condition (autorisation de l’auteur, droit de copie).

Thèses

JOMIER, Augustin, Un réformisme islamique dans l’Algérie coloniale. Oulémas ibadites et société du Mzab (c. 1880-c. 1970), dir. D. AVON et S. MERVIN.

MALAPRADE, Sébastien, Mobilité sociale et stratégies familiales : fortune et infortune de la famille Jurado y Moya dans la première moitié du XVIIe siècle, dir. L. BOURQUIN et J.-F. SCHAUB (EHESS).

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RAQUIDEL, Charlotte, Chefs de guerre dans le Maine et ses abords durant la guerre de Cent Ans, dir. A. RENOUX.

ROCHER, Philippe, Un Collège de la Compagnie de Jésus au XIXe-XXe siècle. Notre-Dame de Mongré à Villefranche-sur-Saône (1851-1951), dir. D. AVON.

Master 2

AHOUANTO, Camille, La mort de Jésus, dir. E. NANTET.

BLOT, Pierre, Les goûts alimentaires des Cisterciens de l’abbaye de Champagne de 1724 à 1746, dir. F. PITOU.

BOULAY, Mylène, Les Salons de la Rose-Croix (1892-1898), dir. C. MICHON.

CHAUSSADE, Hélène, Les réparations navales dans la Méditerranée antique, dir. E. NANTET.

DECULTOT, Fabien, Introduction à l’histoire de la psychothérapie constitutionnelle, dir. H. GUILLEMAIN.

FOSSE, François-Alexandre, Les quilles des navires en Méditerranée aux iie et ier siècles av. l’ère chrétienne, dir. E. NANTET

GAILLARD, Lucile, La révolution française à travers Assassin’s Creed Unity, dir. C. MICHON.

GAILLET, Aurore, La publicité des marques de l’industrie agro-alimentaire dans l’entre-deux- guerres (1920-1939) : méthodes, techniques et réceptions, dir. B. MUSSET et S. TISON.

GILBERT, Samuel, Étude de l’essor économique d’une seigneurie : Saint-Denis d’Anjou entre 1420 et 1480, dir. G. BAURY.

GRÉMY, Charlène, Les soins aux blessés dans l’Armée de la Loire pendant la guerre de 1870/1871, dir. S. TISON.

JAN, Emmanuel, Les politiques de répression judiciaires menées par les autorités allemandes dans la Sarthe du 17 juin 1940 au 8 août 1944, dir. S. TISON.

LECOMTE, Quentin, L’Anthropologie physique en France et en Espagne (1865-1930), dir. N. RICHARD.

MAUCLAIR, Sarah, La condamnation à mort dans la Sénéchaussée du Maine et le siège présidial du Mans au xviiie siècle (1670-1789), dir. F. PITOU.

MONIMART, Quentin, L’implication des cités grecques dans la grande révolte des satrapes (369-359 av. JC), dir. A. AVRAM.

PIVETEAU, Alice, Marcel Bélaïche, parcours d’un juif d’Algérie sous Vichy et la sortie de Vichy, dir. D. AVON.

REUNGÈRE, Kevin, La vie politique à Rome pendant la deuxième guerre punique, dir. A. ALLÉLY.

SIMON Chloé, De l’hôpital général au CHU du Mans (1658-2015), dir. H. GUILLEMAIN.

TASSIN, Kevin, L’abbaye Saint-Vincent du Mans, gestion d’une seigneurie ecclésiastique dans le Maine au xive siècle, dir. V. CORRIOL.

VARELA-FERNANDEZ, Dario-Ramon, L’influence de John Stuart Mill dans l’Espagne du xixe, dir. N. RICHARD.

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Master 1

Parmi les travaux soutenus, seuls ceux qui peuvent être utiles aux chercheurs sont ici signalés.

AVEDISSIAN, Mathilde, Le Massacre des Arméniens dans la presse Française 1895-1921, dir. S. TISON.

BRUEL, Jérome, La remise en culture du pastel dans le département de Haute-Garonne sous le Premier Empire, dir. S. TISON.

BRUNEAU-BOUSSARD, Martin, Mesure de la criminalité avant et après la Grande Guerre en Sarthe, dir. S. TISON.

GUILLAUME, Bryan, L’histoire des hôpitaux du Mans (du Moyen Âge à 1658), dir. V. CORRIOL.

HAMON, Adrien, La prise en charge de l’enfance inadaptée en Sarthe (association Montjoie 1947-1970), dir. H. GUILLEMAIN.

HEUZARD, Damien, Le culte de Mercure dans les Gaules et la Germanie inférieure à travers l’étude des sources épigraphiques, dir R. SOUSSIGNAN.

MANCEAU, Alexandre, Les productions matérielles médiévales des abbayes cisterciennes de l’ancien diocèse du Mans du XIIe siècle à aujourd’hui, dir. G. BAURY.

MENANTEAU, Charlotte, Les musiciens d’église en Charente-Maritime autour de 1790, dir. S. GRANGER.

SACAU, Vincent, La préservation du patrimoine architectural colonial à Phnom Penh, dir. D. AVON.

SALION, Luréna, Renée Diveau (1704-1778) marchande libraire rue du Pont Neuf au Mans, dir. S. GRANGER.

SUDOUR, Stéphane, La conversion de Jean-Mohammed Abd-el-Jalil, dir. D. AVON.

Université de Nantes

Documents consultables à la bibliothèque du CRHIA (exclus du prêt).

Thèses

AKOGNI, Paul, Pratiques sociales, rituels et évènements festifs : du patrimoine culturel immatériel au développement du Bénin, dir. G. SAUPIN.

ETTIEN, Comoe-Fulbert, Croisade et mémoire dans la France capétienne et valoise : XIIe- XVe siècles, dir. J. TOLAN et S.-P. EZANKA.

KADRI, Alice, Mudéjars et production en aljamía ( XVe siècle) : édition et étude du manuscrit d’Agreda (Esc. 1880), dir. C. MAZZOLI-GUINTARD et M. J. VIGUERA MOLINS.

MARIMOUTOU-OBERLÉ, Michèle, Engagisme et contrôle sanitaire. Quarantaine et lazarets de quarantaine dans les Mascareignes au XIXe siècle et début du XXe siècle, dir. J. WEBER.

MASSET, Youna, Les juifs face à la justice catalane (1301-1327), J. TOLAN et C. DENJEAN.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-4 | 2016 214

MEUNIER, Nicolas, Romains et Latins : récit et histoire de la Haute République jusqu’à l’abolition de la Ligue latine (509-338 av. J.-C.), dir. B. MINEO, L. ISEBAERT et P. MARCHETTI.

VILLERET, Maud, Le goût de l’or blanc. Transformation et diffusion du sucre dans la vallée ligérienne au XVIIIe siècle, dir. N. COQUEREY.

Master 2

BILLOT, Amaury, Les tensions entre chrétiens en Afrique du Nord (200-450 après J.-C.) à partir des écrits de Tertullien, Cyprien de Carthage et Augustin d’Hippone, dir. E. GUERBER.

BLAS’L, Claire, L’Église Saint-Hilaire du Martray Loudun, dir. J.-M. GUILLOUET.

CHAUVEAU, Grégoire, La crise de la « britannicité » et la réponse du new labour de Tony Blair, dir. M. CATALA.

COUAPEL, Lilian, L’Allemagne nazie vue par la presse nantaise (1930-1939), dir. B. JOLY.

CRUAUD, Baptiste, L’Immunité des ambassadeurs et le droit d’ambassade selon les théoriciens de la diplomatie du début du XVIIe siècle à la première moitié du XVIIIe siècle, dir E. SCHNAKENBOURG.

DEJOIE, Alix, L’hellénomanisme artistique des élites romaines, introduction et réception des oeuvres d’Art de la Grèce d’Occident à Rome (IVe-Ier siècle avant J.-C.), dir. T. PIEL.

DERAME, Antoine, La vie politique en Loire Inférieure : l’expression locale du bloc national (1919-1924), dir. B. JOLY.

DESCHODT, Élie, Les missionnaires de la Société des missions évangéliques de Paris au Lesotho : représenter et régénérer le sauvage 1818-1848, dir. B. SALVAING.

ELOY, Nina, Byzance et les Byzantins aux yeux de deux chroniqueurs du XIIe siècle : Matthieu d’Edesse et Guillaume de Tyr, dir. N. DROCOURT.

ESPERANDIEU, Matthias, Des Établissements de La Brosse et Fouché aux Ateliers et Chantiers de Bretagne : une aventure industrielle dans la navale Nantaise de 1893 à 1943, dir. M. CATALA.

GUYOT, Jean-Paul, L’économie de guerre à Rhodes, à l’aune du siège de 1480, dir. P. JOSSERAND.

HERVÉ, Jean-Baptiste, L’Action culturelle de la France pour le développement de l’espace francophone au Canada (hors Quebec) 1967-1984, dir. M. CATALA.

LAHUEDE, Thibaut, La commande artistique de Jean IV et Jean V de Montfort, dir. J.- M. GUILLOUET.

LE ROUX, François, Étude du manuscrit intitulé : Mémoire sur la Marine. Nécessité d’une Marine en France, dir. M. ACERRA.

LORCET, Julien, Présentation et représentation de l’empereur en guerre au temps des antonins Veni, Vidi, Vici, dir. T. PIEL.

MARCHADOUR, Yann Les campagnes russes en Silésie et en Brandebourg au milieu de la guerre de Sept ans (1759-1760). D’après la correspondance du marquis de Montalembert, dir E. SCHNAKENBOURG.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-4 | 2016 215

MATTHIEU, Clément, Pères et fils dans la tourmente : Histoire politique et sociale à Rome au dernier siècle de la République, dir. N. BARRANDON.

Master 1

EFFRAY, Maxime, Jacques de Molay et les templiers dans la tourmente des années 1307-1314, dir. P. JOSSERAND.

EON, Arthur, Stefan Zweig, l’idée européenne et la grande guerre, dir. S. JEANNESSON.

GERVAL, Pierrick, La diplomatie et la guerre communications, tractations et négociations pendant les campagnes militaires byzantines de la dynastie macédoniennes (867-1057), dir. N. DROCOURT.

KALB, Sébastien, Les relations entre les États-Unis et le Chili de Pinochet de 1973 à 1984, dir. P. PERETZ.

MARCHADOUR, Yann, Les campagnes militaires suédoises en Poméranie et en Brandebourg au début de la guerre de Sept Ans (1757-1758). D’après la correspondance du marquis de Montalembert, dir E. SCHNAKENBOURG.

MARIN PESNEAU, Raphaël, La mission de Villers et Fouché en Loire-inférieure Mars-Mai 1793, dir. M. ACERRA.

MARTINEAU, Anissa, Al-Idrisi et la Sicile : bilan historiographique et perspectives de recherche, dir. C. MAZZOLI GUINTARD.

MEYER, Valentin, La perception des terres australes par les explorateurs européens au XVIIIe siècle, dir. M. ACERRA.

POISBLAUD, Romain, Cinéma et guerre de Sécession : la guerre civile dans le film américain des années 1930 à nos jours, dir. P. PERETZ.

ROTUREAU, Suzon, La Subdélégation d’Ingrande : le faux-saunage vécu par les ligériens à la frontière d’Anjou-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle, dir. D. PLOUVIEZ.

YVART, Allan, Esclavage et métissage : le cas des intermédiaires métis de Gorée (1677-1789), dir. A. DE ALMEIDA MENDES.

Université de Poitiers

Documents consultables au CRIHAM, université de Poitiers

Thèses

BERTIN, Fabrice, Auguste Bébian et les sourds. Les voies de l’émancipation, dir. J. GRÉVY.

BOYER, Delphine, Construire sur l’épiscopat. Sépultures, geste funéraire et inscription du souvenir des évêques dans l’édification identitaire des Églises d’Aquitaine (Xe-XIIIe siècles), dir. C. TREFFORT et I. CARTRON.

ENGERBEAUD, Mathieu, Rome devant la défaite (753-264 a.C), dir. N. TRAN et S. PITTIA.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-4 | 2016 216

Masters 2

AGUGLIA, Fabien, Requiem aeternam dona eis. Morts et sépultures à l’époque romane, un enjeu mémoriel, dir. C. TREFFORT.

CASANO, Sarah, Louis IX et les évêques : une évidence ?, dir. M. AURELL.

DUCHÊNE, Quentin, Les royaumes clients et l’Empire (70 av. J.-C.- 68 apr. J.-C.), dir. N. TRAN.

GUILPAIN, Olivia, Les femmes victimes dans le ressort du siège présidial de Poitiers, d’après les procédures judiciaires du présidial de Poitiers entre 1770 et 1776, dir. F. VIGIER.

LÉGER, Sonia, L’éducation de la jeunesse aristocratique dans l’oeuvre de la comtesse de Ségur, dir. F. CHAUVAUD.

MATHAUD, Samuel, La marge et la norme à l’épreuve du genre. Permanences et changements des identités dans le cinéma français et dans le cinéma hollywoodien des années 1950, dir. F. CHAUVAUD.

MILLON, Mathias, Le commerce maritime entre la France et les ports de la Baltique au XVIIe siècle , dir. T. SAUZEAU.

PINÇON, Jérôme, Essor et développement des Grands Magasins sous le Second Empire, dir. J. GRÉVy.

POITEVIN, Benoît, L’armée impériale. Gloire et désastre, dir. J. GRÉVY.

ROSSELLO, Guillaume, Les sanctuaires et pèlerinages mariaux dans le diocèse de Poitiers, 1840-1940, dir. J. GRÉVY.

SAMY, Archimède, La famille royale de Numidie et ses relations avec Rome à l’époque de Jugurtha, dir. N. TRAN.

TARFAOUI, Leïla, Les Plantagenêts et l’Écosse, dir. M. AURELL.

Université de Rennes 2

Ces documents sont consultables au CERHIO, Bibliothèque François-Lebrun.

Thèses

POINTEAU, Noémie, La revitalisation de l’identité française à San Rafael, état de Veracruz, Mexique (1986-2012), dir. G. BORRAS, E. SANCHEZ.

SCUILLER, Sklaerenn, Le commerce alimentaire dans l’Ouest de la France au XVIIIe siècle. Territoires, pratiques et acteurs, dir. A. ANTOINE.

Masters 2 (Histoire)

CARDONA, GIL, Lucile, L’opinion publique en Bretagne face aux réfugiés espagnols entre 1936 et 1939, dir. L. CAPDEVILA.

CHEVALIER, Pauline, « Aquí se habla español » : la population hispanique dans la vallée de Yakima aux États-Unis dans les années 2000, dir. H. HARTER.

CHEVÉ, Michel, 150 ans de boulangerie dans les Côtes-du-Nord, dir. M. COCAUD.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-4 | 2016 217

CHOISELAT, Martin, Poutine vu par la presse française : le cas du journal « Le Monde » (1999-2004), dir. M. TISSIER.

COSRON, Maëlle, Ideas y Acción : la voix d’un féminisme partisan en Uruguay (1933-1939), dir. L. CAPDEVILA.

GANGOUE, Charles, Les pratiques pastorales de l’église catholique dans la province ecclésiastique de Douala : le cas des diocèses de Douala, Bafoussam et Nkongsamba de 1945 à nos jours, dir. V. JOLY.

GAY, Félix, La France face à la crise guatémaltèque de 1954, dir. L. CAPDEVILA.

GENTILS, Isis, Les historiens et l’écriture de leur mémoire familiale, dir. M. COCAUD.

HIRARD, Pierre-Alexis, La fin de la marine allemande, lendemains de guerre et avenir naval (1918-1923), dir. V. JOLY.

LAFERTÉ, Romain, Un marchand fruitier malouin à la fin du XVIIIe siècle : Noël Prigent, dir. Y. LAGADEC.

LE BAIL, Etienne, La première édition de la Coupe du Monde de football 1930 : État- nation, identité et modernité en Uruguay et dans le monde, dir. L. CAPDEVILA.

LE FUR, Léo, « Tierra pa’quien la trabaja » : lutte pour la terre dans le nord de l’Uruguay. Les coupeurs de canne à sucre de Bella Unión (1961-2015), dir. L. CAPDEVILA.

LE GARNEC, Anne, Des vies en abrégés : être religieuse à l’époque moderne d’après le livre du couvent de Vannes (1683-1785), dir. G. PROVOST.

LE LEC, Julien, Les armes en Bretagne sous l’Ancien Régime : étude menée à travers les arrêts sur remontrance du Parlement de Bretagne (1554-1789), dir. G. AUBERT.

LECHAT, Clémence, Le bombardement de Bruz, 7 au 8 mai 1944 : événement et postérité, étude d’un traumatisme, dir. M. BERGÈRE.

LECLAIR, Nolwenn, De la fraude à la révolte : Rennes (1702), dir. G. AUBERT.

LUAULT, Noémie, De la fouille d’un habitat à l’étude des dynamiques territoriales entre Antiquité tardive et haut Moyen Âge : la Coume Païrounell (Cerdagne, Pyrénées- Orientales), dir. I. CATTEDU et C. RENDU.

MANAC’H, Tiphaine, Cinéma, genre et ethnicité : les représentations des femmes d’origine maghrébine dans le cinéma français (1970-2007), dir. L. CAPDEVILA.

MORICE, Julien, Perspectives et interventions françaises autour de la « question germano-tchécoslovaque » (1945-1950), dir. E. DROIT.

NATALI, François, Amérindiens et Canadiens sous le regard des officiers français pendant la guerre de Sept Ans, dir. P. HAMON.

PELLÉ, Guillaumen, La France face à la « question autrichienne » : soutenir, observer, abandonner (1932-1938), dir. E. DROIT.

PLOUGOULM, Amandine, Femmes armées d’Irlande et d’Uruguay : une révolution dans la révolution ?, dir. L. CAPDEVILA.

PRÉVOST, Charlotte, D’Abraham à Gratien : évolutions dans la perception de la pratique de l’oblation dans les enluminures (XIIe-XVe siècles), dir. I. ROSÉ.

RICHOMME, Alice, La dictature argentine de 1976 à 1983 à travers les espaces de mémoire : représentations, enjeux et luttes autour du passé récent en Argentine de 1996 à aujourd’hui, dir. L. CAPDEVILA.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-4 | 2016 218

RÉMOND, Baptiste, Culture et identité dans le sertão : interactions culturelles entre indiens et bandeirantes dans la Province du Paraguay entre 1600 et 1641, dir. C. GIUDICELLI.

SOURD, Benoît, L’avènement de la presse touristique dans l’arc lémanique suisse de la Belle Époque (1879-1914) : d’un discours promotionnel local à une pensée anti- touristique nationale, dir. H. HARTER.

Université de Tours

Masters 2 (Histoire)

BLANDET, Océane, Les élites municipales de Sienne, dir. R. BECK.

BADSTEIBER, Julika, Franz Stock et l’Église catholique sous l’occupation allemande en France 1940-1945, dir. F. LEMMES (Bochum).

BELLOIRE, Violaine, Les fléaux dans les campagnes tourangelles au XVIIIe siècle, dir. U. KRAMPL.

BEREL, Jean-François, Les parlementaires radicaux et radicaux-socialistes en Indre-et-Loire, dir. R. BECK.

BERTHAULT, Cyprien, Tours sous le Premier Empire 1789-1815, dir. R. BECK.

CHOISY, Maxime, Les conseillers municipaux de la Ville de Tours (1870-1882), dir. J.- M. LARGEAUD.

DELMAS, Romain, Le mouvement anarchiste en Indre-et-Loire 1891-1913, dir. R. BECK.

LEMERCIER, Tatiana, Tours en 1917-1918, dir. R. BECK.

MOUFTIEZ, Vincent, « L’industrie au village » : Pontgouin aux confins du Chartrain et du Perche, dir. D. BOISSEUIL.

PANDA, Jack, Le héros et l’héroïsme dans l’Iliade, dir. A. HELLER.

TURMEAU, Mélanie, La bibliothèque de la nation germanique à l’université de droit d’Orléans au XVIIe siècle, dir. P.-A. MELLET.

Masters 2 (Archéologie)

BERRIER, Anaïs, L’alimentation carnée du IXe au XVe siècle sur le site du promontoire du château de Blois, dir. : M.-P. HORARD-HERBIN, E. LORANS et D. JOSSET.

BLAISE, Geoffrey, Les tombes à armes à La Tène finale : étude comparative de quatre espaces géographiques, dir. S. CROGIEZ-PETREQUIN et S. FICHTL (Strasbourg).

BONVILLE, Lorène, Élaboration d’un SIG et analyses spatiales de la céramique médiévale et moderne dans le Centre-Ouest de la France (VIe-XIXe siècle), dir. J.-B. RIGOT et P. HUSI.

CARGOUET, Pierre, Le chien dans les contextes funéraires et cultuels en Gaule protohistorique et romaine, dir. M.-P. HORARD-HERBIN et A. FERDIÈRE.

CORDE, Dominique, Approche anthropologique d’un ensemble funéraire de l’âge du Bronze au haut Moyen Âge découvert sur le site de Portbail dans la Manche, dir. J. SEIGNE et S. CROGIEZ- PETREQUIN.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-4 | 2016 219

COUR, Jennifer, Mise en place d’un SGBDR et d’un SIG pour la mise à jour de la carte archéologique de Meung sur Loire, dir. J.-B. RIGOT et X. RODIER.

DUPLESSIS, Stéphane, Les anses d’amphores timbrées en Jordanie : témoins des échanges commerciaux entre mer et désert à l’époque hellénistique, dir. J. SEIGNE et S. C ROGIEZ- PETREQUIN.

DUSSOL, Clémence, Étude archéologique et topographique de l’ancienne église St. Lawrence de York : évolution d’un établissement religieux suburbain du XIIe au XIXe siècle, dir. E. LORANS et A. SALAMAGNE et Kate GILES (York University).

HAVET, Mickaël, Étude des itinéraires antiques entre Orléans-Genabum et Tours- Caesarodunum, dir. A. FERDIÈRE, J. SEIGNE et J.-B. RIGOT.

HUERRE, Marie, Étude archéologique des vestiges en élévation de l’abbatiale gothique de Marmoutier (Tours, Indre-et-Loire), dir. E. LORANS et A. SALAMAGNE.

LÉON, Gaël, Construction et application d’un ensemble SGBD, SIG et diffusion Web pour le Projet Collectif de Recherche ARBANO (l’Antiquité en Basse-Normandie), dir. J.-B. RIGOT et X. RODIER.

MARQUIS, Emeline, Les amphores d’Echiray (Deux-Sèvres) : approches méthodologiques de la Dressel 1, dir. S. CROGIEZ-PETREQUIN et S. FICHTL (Strasbourg).

PHARISIEN, Anne-Laure, Les anciens marais salants de Brouage : Identification des structures résiduelles à partir de données géographiques (cartes anciennes géoréférencées, Lidar, orthophotos), dir. J.-B. RIGOT et X. RODIER.

RECQ, Clément, Étude lithique complémentaire et analyse spatiale des données du Néolithique final du site du Foulon à Abilly, Indre-et-Loire, dir. X. RODIER, L.A. MILLET-RICHARD, E. LORANS.

INDEX

Index géographique : Angers, Brest, Lorient, La Rochelle, Le Mans, Nantes, Poitiers, Rennes, Tours

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-4 | 2016