Le Vidourle : Ses Villes, Ses Moulins Et Ses Ponts
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Le Vidourle SES VILLES, SES MOULINS ET SES PONTS Du même auteur : Les Motifs solaires dans la sculpture mérovingienne, mémoire de maîtrise (dactylog.), Paris, 1977. Les Abbayes de Septimanie à l'époque carolingienne (dactylog.), Paris, 1980. L'Age d'or des religieuses, monastères féminins du Languedoc méditerranéen au Moyen Age, Presses du Languedoc, Montpellier, 1988. Marthe Moreau Le Vidourle SES VILLES, SES MOULINS ET SES PONTS LES PRESSES DU LANGUEDOC © Les Presses du Languedoc, 1992. - vû A mes petits-enfants pour qu'ils n'oublient pas le passé. REMERCIEMENTS Nombreux sont ceux qui m'ont aidée dans mon travail et qui ont droit à ma gratitude, trop nombreux pour que je puisse les citer tous. Qu'ils me pardonnent et sachent que je leur en sais gré infiniment. Je pense au personnel des mairies et administrations diverses qui m'a consacré une partie non négligeable d'un temps toujours précieux, aux propriétaires des moulins, presque tous accueillants et coopératifs et dont, avec certains, se sont noués des liens d'amitié, à ceux rencontrés occasionnellement ou sollicités chez eux et interviewés sur l'heure. Certains ont participé plus directement à mes recherches. Je me dois de donner leurs noms et en premier lieu, bien sûr, Pierre Clément. Ensuite, par ordre alphabétique, Bernard Atger, relieur artisan à Gallargues ; Jean Baille, historien de Lunel ; Fernand Blondin, du moulin de Runel ; Renée Cerret, conseillère munici- pale de Cros ; M. Chassin du Guerny, archiviste aux A.D. de Nîmes ; Charles Cuillé, spécialiste des moulins de l'Hérault ; M. Durand-Brunel, de la Jassette ; Michel Guérin, de la D.D.E. à Nîmes ; M. Henocque, du moulin d'Hilaire ; Anny Hermann, de Gallargues ; Aimé Jeanjean, directeur honoraire d'école ; Fernand Léonard, ancien conseiller général du canton de Saint-Hippo- lyte-du-Fort ; Louis Maystre, de Lansargues ; Mme Rousée, de Château-Lavesque. A tous, un grand merci. PRÉFACE LE DIEU VITURLUS L'inondation de septembre 1933 est restée gravée dans ma mé- moire. Comme chaque année, j'étais venu à Quissac passer les vendan- ges chez mes grands-parents dont la vieille maison à deux étages se situe à l'« estranglador » du cap de Vielle. Sur les trois heures du matin, nous avions été brutalement réveillés par un vacarme infernal. Le papé Albert avait crié « Vidorlo es vengut ». Alors que la vallée n'avait pas reçu la moindre goutte d'eau, des orages d'apocalypse s'étaient abattus pendant la nuit sur le Cros et Saint- Roman-de-Codières. Un torrent, gluant de limon, avait frayé son cours dans les rues de Quissac, emportant sauvagement les comportes et les barriques entreposées au-devant des caves. Au milieu du fracas des tonneaux et des troncs d'arbres qui butaient sur les portails, nous avions entendu les hurlements d'angoisse de la mère de Laurence, la couturière qui habitait en face. La malheureuse, qui était paralysée, dormait au rez-de-chaussée et elle avait péri, sans que personne ne puisse venir à son secours. En fin de matinée, lorsque les eaux s'étaient retirées, ma cousine et moi, nous nous étions aventurés dans le village dévasté. Certes, nous verrions pire dix ans plus tard avec les bombardements ravageurs, mais je n'ai jamais oublié le spectacle des murs éventrés, des amoncellements de meubles et de branchages, des vaches et des chevaux crevés au milieu de la route et gonflés comme des outres... A ce souvenir, le dieu Viturlus me glaçait d'effroi. Il a fallu que le manuscrit de Marthe Moreau me soit confié pour que je réalise qu'il était un dieu à deux faces. D'un côté, le seul que j'avais connu, il avait la farouche expression d'un personnage emporté et coléreux ; mais, de l'autre côté, celui que m'a fait découvrir l'auteur de ce livre, avait la ferme apparence d'un bienfaiteur généreux et accueillant. Bien qu'ayant longtemps travaillé sur le pays de Sauve, je ne soupçonnais pas les mille activités qui étaient nées sur mes rives depuis des temps reculés avec la prolifération des moulins à moudre le blé ou à fouler le drap, je ne soupçonnais pas non plus les quantités de gués, de passes, de planches et de ponts de pierre qui permettaient de le traverser à intervalles très rapprochés. En lisant ce passionnant ouvrage, j'ai perçu également une nouvelle Marthe Moreau. Alors que je me la représentais comme une spécialiste des recherches en archives et en bibliothèques, je me suis trouvé devant une éminente femme de terrain. Au fil des pages, je l'imaginais déchirant ses chemisiers aux ronces qui lui masquait une paissière ou encore pataugeant dans une boue noirâtre pour répertorier une meule dormante... Elle m'a donné envie, comme elle vous donnera envie, de fouiner le long des berges en quête des merveilles disparues des mémoires. Et surtout, quarante-neuf après, elle me réconcilie définitement avec un fleuve dont les barrages de Ceyrac, Conqueyrac et La Rouvière ont maintenant apaisé les furies. Pierre A. CLÉMENT INTRODUCTION Comment ne pas « s'éprendre » d'intérêt, puis de passion pour ce cours d'eau cévenol que les auteurs dépeignent comme prodigieux, capricieux, extravagant, fantasque, vif, pétulant, singulier, frondeur, turbulent, fougueux, outrancier... Curieux cours d'eau, en effet, dont la source est imprécise, qui passe de la nonchalance à de furieuses colères après s'être partiellement caché sous terre. Le Guide du Gard le décrit comme un « fleuve dangereux qui grossit à vue d'œil et à la moindre ondée, tantôt terrifiant les populations, tantôt roulant paisiblement ses eaux sur des graviers énormes qu'il entraîne ». Vidourle ! A Marsillargues, on a donné ce nom à un taureau particulièrement violent et brutal, « placide au pré, indomptable sur la piste ». Citons enfin le célèbre géographe du XIX. siècle, Elisée Reclus : « L'astre brille en sa force et sa sérénité sur la plaine, mais il a plu tropicalement sur le mont. Tout à coup, un bruit sourd résonne, l'air de la gorge ou du vallon s'ébranle et la vidourlade arrive, prompte comme le mascaret... Ce fleuve, qui coule sur la grève où s'égarait un ruisseau, passe avec la puissance de dix, vingt, trente et parfois quarante fois la Seine d'été dans Paris. Les trombes ne durant que quelques heures en pays de Cévenne, le Vidourle retourne bientôt à son repos qui parfois est presque la mort (1). Fleuve ou rivière ? Avec moins de cent kilomètres de long, il est de peu d'importance, et pas toujours indiqué sur les cartes. Henry-Paul Eydoux estime qu'il mérite bien d'être appelé fleuve, alors que, pour le cadastre, il est presque toujours rivière. Si l'on se réfère à la définition du dictionnaire, le fleuve est un cours d'eau formé par une réunion de rivières et aboutissant à la mer. Or, le Vidourle a beaucoup d'affluents (1) Cité par Joanne dans le Dictionnaire géographique et administratif de la France (1890-1905). et deux débouchés dans le golfe d'Aigues-Mortes (de façon indirecte, il est vrai), actuellement, du moins, car il fut un temps où il se perdait dans les marais, comme on peut le constater sur les cartes anciennes. Avec quelques variantes, le Vidourle a peu changé de nom au cours des siècles. Sans nous égarer dans les méandres de l'étymologie, disons que ses appellations viennent, selon toute vraisemblance, du dieu gaulois Vitousurlus, cité dans l'inscription gallo-romaine trouvée à Marsillargues, qui l'associe à Jupiter et à Auguste : Iovi et Augusto vicinia Vitousurlo. Dans les documents, il est appelé concurremment : Viturlus, Viturnellus, flumen Vidorle, Vidurlus, Vidosolis. On dit le Vidourle, rarement la Vidourle. Quant aux Sommiérois et quelques autres, ils suppriment l'article pour le personnaliser et parler de Vidourle comme d'un seigneur craint et respecté, un « grand seigneur » selon l'expression d'Ivan Gaussen. Le Vidourle coule en majorité dans le département du Gard, depuis sa source jusqu'à son confluent avec la Bénovie, à hauteur de Boisse- ron. A partir de là, il trace la limite entre les départements du Gard et de l'Hérault pour redevenir gardois en croisant le canal du Rhône à Sète. En fait de limite, il a un autre aspect intéressant : le Vidourle « rideau de la Provence ». On peut considérer que c'est lui et non le Rhône qui sépare le vrai Languedoc de la Provence à plusieurs points de vue. La réalité géographique et historique de ces deux régions diffère de l'administration : le climat, la végétation, la civilisation rattachent à la Provence la partie comprise entre Rhône et Vidourle. Nîmes est plus provençale que languedocienne. Au point de vue linguistique, c'est le Vidourle qui marque le clivage. Les parlers occitans diffèrent de la rive droite à la rive gauche. Donnons un exemple : « Viens ici » se dit à Marsillargues « Vene eici » et à Saint-Laurent-d'Aigouze, à trois kilomètres, de l'autre côté du fleuve : « va leou aqui ». Les mots se rattachent, d'un côté, au dialecte montpel- liérain, de l'autre, au dialecte bas-rhodanien qui ont été définis par Louis Michel (2). Il est évident qu'aujourd'hui alors que les langages régionaux sont abandonnés, les différences s'estompent de plus en plus. Pour Maurice Chauvet, « le royaume de Marseille commence, de nos jours, au pont de Lunel ». Barrière biologique aussi : M. Dubosq expose, dans sa Zoologie du Bas-Languedoc, que c'est un poste-frontière pour des espèces animales inférieures de Provence et d'Italie qui ont été capables de traverser le Rhône. Barrière météorologique : les orages de grêle sont réputés être localisés, mais des statistiques effectuées sur plusieurs années montrent (2) Louis Michel, La langue des pêcheurs du golfe du Lion, Paris, 1964.