Limoges, 1944-1947. Capitale Du Maquis
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
LIMOGES 1944-1947 capitale du maquis ancien PrésidentalberyCHAUDIER du Comité Départemental / de Libération de la Haute-Vienne LIMOGES 1944-1947 capitale du maquis éditions lavauzelle paris - limoges @ Editions Lavauzelle, Paris-Limoges 1980 Avant-propos Il convient de rappeler une vérité première, fondamentale. Avant la libération de la France, il y eut, quatre années durant, ce fait dominant : la Clandestinité. Ce vocable mérite la majuscule. Il contient, il véhicule pour notre histoire, le flot ignoré, méconnu des choix décisifs, des options lourdes de périls individuels ou collectifs, les fidélités affirmées, les audaces et les vaillances qui répondirent, d'abord isolément, puis avec les armées de l'ombre et les réseaux civils de la Résistance, à l'appel d'un général de brigade, fraîchement nommé membre d'un gouvernement aux abois, dont le nom était encore totalement inconnu des Français le 17 juin 1940... Curieuse, unique, prodigieuse époque, durant laquelle dans la désolation et l'accablement de la patrie, écrasée de stupeur et d'humiliation, les uns déjà se résignaient à la défaite, d'autres « réa- listes » préparaient leur ralliement plus ou moins admiratifs aux vainqueurs d'alors, tandis que d'autres encore — si peu nombreux! — déjà s'empressaient, bravant les irritants brouillages de notre radiophonie muselée, tendant une oreille impatiente et vigilante à cette voix virile qui nous venait de Londres, qui osait ras- surer, qui osait prédire au bout d'un noir tunnel, l'éclat retrouvé d'un soleil de victoire ! Etrange époque aussi, où les familles, aux nombreux membres prisonniers dans les stalags ou les oflags, hésitaient, même entre pro- ches, à livrer leurs impressions, leurs opinions, ou, s'il était arrêté déjà, leur choix. On s'abordait au cours de rencontres fortuites, puis sur une intonation, sur un mot révélateur, on fixait lieux et heures de visites réciproques, fort de la réputation, de la loyauté reconnue de tel ou tel interlocuteur, on en arrivait à se constituer quelques relations solides entre gens de bonne compagnie, sans distinctions de « rang social », de métier, de culture ou d'âge. Et quel émoi! quelle exal- tante surprise quand on devenait, à propos d'un secret vital, absolu- ment sûrs l'un de l'autre ! Ainsi, entre autres exemples, fis-je la connaissance du gendre du maire de Limoges (1), M. Duché, dont les aléas de la vie, depuis des décades, m'ont séparé. Il devint après la libération, président de (1) M. Léon Betoulle destitué par Vichy et réélu d'ailleurs en 1947. (Photo Claude Lacan, Limoges.) M. CHA UDIER recevant des mains de M. le Maire la médaille de la Ville de Limoges à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la Libération. l'importante chambre de commerce de notre ville. Nous ne tardâmes point à nous « comprendre » et, mutuellement, nous initiâmes à la confection de cartes d'identité fictives, rarissimes en 1940 encore qu'indispensables en quelques cas où la vie même des bénéficiaires était en jeu. Se rappellerait-il ces lointains et communs souvenirs? Cette première forme de notre action de Résistants eut lieu chez moi, dans mon propre cabinet de travail : Pour ma part je revois la scène avec une intense et grave précision... Et que dire de la visite stupéfiante, inconcevable en période nor- male de Jean Gagnant, socialiste sincère, entier, aux vues et convic- tions péremptoires, à la philosophie strictement figée en un anticléri- calisme qui englobait non seulement les aspects et les formes exté- rieures du christianisme, mais, quels qu'ils fussent, tous ceux qui s'en réclamaient. Il avait solennellement déclaré, avant la guerre, à qui voulait l'entendre, sorte de serment qu'il se prêtait ainsi à lui- même : « Jamais, vous entendez, jamais je ne mettrai les pieds chez un homme d'Eglise »! Stupeur pour moi. Peut-être aussi pour lui. Il était là, devant moi, dans ce même bureau, où tant « d'adversai- res » selon les conceptions en vigueur en 1939 devaient se succéder; tournant vers moi son honnête visagç, non sans un visible embarras reflétant sa surprise de trouver, face à lui « un homme comme les autres ». Quelle ne fut pas sa stupeur quand il m'entendit lui dire, tout de go « alors, mon cher camarade, qu'attendez-vous de moi? ». Il sortit de sa poche une liasse épaisse de tickets de pain, desti- née aux détenus « politiques » c'est-à-dire non conformistes aux inspirations de Vichy, sachant que je pouvais pénétrer dans la mai- son d'arrêt en ma qualité d'aumônier protestant. Peut-être ma véture aussi laïque que la sienne avait-elle le don de le rassurer? Nous étions si loin alors de Vatican II ! Cher, courageux Jean Gagnant, résistant aussi convaincu que socialiste militant... Je le revis de loin en loin sans qu'il éprouvât alors la moindre gêne, jusqu'au jour, pour lui funeste, où dans un bourg assez proche de Limoges, à la vue de soldats allemands cas- qués et armés qui approchaient du paisible café où il était attablé, triant peut être des papiers à préserver, il crut bon de gagner précipi- tamment un pré qui dévalait vers la proche rivière, déclenchant ainsi le tir de ses poursuivants soudain alertés et résolus à tout, jusqu'à ce qu'il tombât mortellement atteint. Oui, cher Jean Gagnant ! Une importante avenue de Limoges porte son nom. Et c'est bien là jus- tice rendue à la mémoire de l'un des premiers clandestins de la Résis- tance locale. Ainsi se succédèrent jours, semaines et mois. Tout s'édifiait sans bruit. Longtemps devait régner la méfiance. Entre trois per- sonnes groupées au hasard d'une rencontre, une gêne s'insinuait. Très vite d'ailleurs les colloques dépassant ce nombre furent interdits dans les rues. Pouvait-on être absolument sûr du troisième, ou même des deux autres? Pourtant entre gens droits, solides, au choix arrêté, une silencieuse entente se tissait. Après deux ou trois rencontres for- tuites, ou recherchées au gré des horaires de travail de chacun, nais- saient la confiance et des amitiés. Des réputations se propageaient sans écrits, sans même qu'elles fissent l'objet de commentaires assourdis. Le silence était roi. A travers une intonation, une excla- mation étouffée, la déception passait sur un visage comme une épaisse nuée voilant un bref instant l'éclat du soleil, autant de signes prudents de la connivence. Rares, infiniment, étaient les noms arti- culés, de possibles comparses furtivement évoqués. Une sorte d'immense chuchotement parcourait notre province limousine, comme d'autres on l'imaginait à coup sûr, d'où jaillissaient ici et là, on ne savait pourquoi, de prudentes renommées assez vite spontané- ment démenties lorsqu'elles paraissaient entraîner des risques... Telles furent, en 1940-1941, la consistance temporaire, la mon- tée lente, comme feutrée, de la résistance à l'envahisseur et à sa cau- tion vichyste. Il faut savoir aussi que le facteur « relations personnel- les » gardait sa primauté. C'est ainsi que, par la voie inattaquée de mon ministère confessionnel (1) j'entrai en rapport avec le propre frère de l'actuel sénateur-maire de Limoges, Louis Longequeue, ce qui tout naturellement aidait à nouer entre nous des liens de réciproque estime, de cordialité et d'amitié que d'ultérieures et légitimes diver- gences de nature politique n'ont jamais et ne pourraient jamais enta- mer. Aussi est-ce sans la moindre surprise que dès mon entrée au Comité Départemental de Libération de la Haute-Vienne j'appris qu'au sein du Comité Médical de la Libération, siégeait en tant que pharmacien de profession mon ami, futur maire de notre chef-lieu que je n'ai d'ailleurs pas hésité plus de trente ans après, à mettre à contribution pour m'aider, par l'apport de nécessaires précisions ou le rappel de dates oubliées, à la rédaction du présent volume, ce dont il m'est agréable de le remercier. Tout ce qu'il advint en août 1944 ne représente point, pour moi, une surprise. Je savais depuis fort long- temps le choix arrêté de Louis Longequeue dès le commencement des dures épreuves de la France enchaînée. Il y avait enfin des liens fortuits, nés des circonstances mêmes qui firent de Limoges une ville de repli. Parmi les quotidiens de Paris qui y cherchèrent refuge il y eut « La Croix » et son jeune, ardent et talentueux critique littéraire Luc Estang, qui assuma dans les événe- ments préparés et passés dans les faits le 22 août 1944 une part assez déterminante. (1) J'étais pasteur à Limoges depuis 1931. Les affinités sont indicibles. Nous ne nous connûmes pas d'emblée. Il fallut, après la période des premiers et anxieux tâtonne- ments évoqués plus haut, les événements de poids que furent le débarquement des Alliés en Afrique du Nord (1), l'organisation con- comitante, plus hiérarchisée mais plus secrète que jamais de la Résis- tance, avec ses responsables, ses réseaux coordonnés du mieux qu'il se pouvait, l'action décisive en France même de Jean Moulin, autant de facteurs qui activèrent entre gens faits pour s'entendre des ren- contres profitables en des lieux agréables et privilégiés. Ainsi en alla-t-il de mon premier dialogue avec Luc Estang. Un site ensoleillé : le beau jardin en terrasse de mes amis M. et Mme d'Albis, dominant la Vienne, étincelante en ce début d'été 1943. A ma vive surprise, bien que les participants eussent été triés sur le volet, comme on dit, il fut ouvertement question des luttes militaires entre l'armée du maquis d'une part, les S.S. et la Wehrmacht d'autre part. Il y avait là des personnes inconnues de moi, visiblement impressionnées et craintives à la pensée de tout ce qui était alors évo- qué.