Brittany Ferries L'épopée D'un Armement Paysan?
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La Bretagne et la mer Brittany ferries L’épopée d’un armement paysan? Alexis Gourvennec Président-directeur général de Brittany ferries C’est une compagnie atypique, née il y a trente-deux ans de l’ambition d’une poignée de paysans finistériens et condamnée par tous les experts de l’époque à disparaître avant même d’avoir fait naviguer son premier navire, qui affiche aujourd’hui de nouvelles ambitions sur la Manche. Contre vents et marées, cet armement issu d’un capitalisme collectif agricole avant- gardiste est devenu le premier employeur de marins français : ils sont aujourd’hui plus de 1 500 à naviguer sur les huit navires au pavillon tricolore de l’armateur breton. Brittany Ferries dont le patronyme sonne volontairement anglais, dessert quatre pays d’Europe, a transporté en 2004 plus de 2,5 millions de passagers, 750 000 voitures et plus de 200 000 camions à travers la Manche pour un chiffre d’affaires total consolidé de 346,6 millions d’euros. Une réussite incontestable qui s‘appuie avant tout sur la volonté hors du commun de ses dirigeants et sur la réactivité exceptionnelle des personnels de l’entreprise. Récit d’une odyssée des temps modernes par son Président directeur général et fondateur, Alexis Gourvennec. Alexis Gourvennec, comment un paysan, jeune président d’un marché au cadran et militant de la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), est-il devenu armateur dans les années 70 ? Alexis Gourvennec J’ai relu l’histoire de Bretagne et j’ai constaté que jadis, les Bretons peuplaient les mers. Et qu’à chaque fois que nous nous sommes tournés vers l’océan, notre région a connu de longues périodes de prospérité. Du XIVe au XVIIe siècle, le cabotage était florissant le long des côtes européennes et les Bretons y contribuaient largement. Toiles de lin, sel et vin de Bordeaux, argent ou albâtre, tabacs et peaux, le commerce maritime breton développait, en les irriguant, les cités du littoral armoricain. En fait, nous étions un peuple de marchands et de transporteurs. Il faut savoir que pendant de longs siècles, en Bretagne, les voies romaines étaient les seules routes vraiment carrossables. C’est donc par la mer et les profondes entailles naturelles que constituent les abers et les rias que des navires, de tous types et de toutes tailles, Août 2005 1 La Revue Maritime N° 473 s’engageaient à l’intérieur des terres, chargés des richesses de l’Ancien et du Nouveau Monde. Des échanges commerciaux, culturels voire familiaux témoignent de cette activité armatoriale de premier plan. Dans les archives municipales de Morlaix, ville accessible par la mer, on découvre que dès le milieu du XVe siècle, certains fils de marchands du port finistérien vont apprendre « l’art de la marchandise » en Angleterre. De jeunes Morlaisiens séjournent ainsi régulièrement à Exeter. Les séjours linguistiques ne datent pas d’hier ! C’est ainsi que sont nés des pays maritimes, dans un dialogue avec le monde rural auquel ils s’adossaient et dans ce pays de marins paysans, la petite cité de Roscoff situé à la pointe nord-ouest de la Baie de Morlaix n’échappait pas à la règle : commerçants et artisans étaient à la fois armateurs et corsaires. Ce petit port très entreprenant entretenait d’étroites relations avec la Hollande, l’Espagne et l’Angleterre. Au XVIe siècle, les armateurs roscovites sûrs de leurs puissances financèrent la construction de leur propre église, contre l’avis de l’évêché de Saint Pol de Léon tout proche ! Ce commerce maritime fut ruiné à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle par les nombreux blocus anglais et français. Le déclin se poursuivit avec l’essor de l’industrie dans l’Est de la France délaissant progressivement les ports de la périphérie atlantique : c’en était fini de Roscoff et du cabotage européen ; fini ou presque car c’est ici dans ce pays de Léon agricole tourné vers la mer que tout va recommencer un siècle plus tard. Vous aviez 25 ans, vous êtes un tribun et puisqu’on ne voulait pas vous écouter à Paris, vous choisissez la méthode forte pour convaincre le gouvernement Debré qui n’a pas confiance en vous. Pour la dignité des paysans déclarerez-vous un peu plus tard ? Alexis Gourvennec Ce fut effectivement le moteur de cette révolte qui n’a fait aucun mort, je tiens à le rappeler ! Nous sommes en 1961 à la fin du printemps et c’est bien une révolte paysanne dont il s’agit : au mois de juin, la prise de la sous-préfecture de Morlaix par des agriculteurs déterminés à se faire entendre du gouvernement va faire apparaître les difficultés bretonnes à la une de tous les journaux. C’est vrai, je n’avais que 25 ans et avec mes amis agriculteurs nous avons fait une entrée fracassante sur la scène économique et politique. Nous venions de créer quelques mois auparavant la Société d’intérêts collectifs agricoles, la SICA, une vente au cadran de nos légumes sur le modèle du marché au cadran hollandais, un système qui nous paraissait fiable et équitable. Dans mon esprit, il fallait avant tout donner leur libre-arbitre aux producteurs de légumes du nord Finistère, très dépendants jusqu’alors des expéditeurs qui fixaient les prix. Il s’agissait en fait de donner de la dignité aux producteurs du Léon, très soumis jusqu’alors aux caprices du marché et à ceux qui l’organisaient. Nous souhaitions obtenir rapidement une loi d’orientation agricole pour contraindre une minorité d’agriculteurs à nous rejoindre car c’était selon nous le système le plus efficace. Mais bien au-delà de l’organisation du marché, c’est l’ensemble des revendications bretonnes que j’ai mis en avant. Il n’y avait pas de solution exclusivement agricole aux problèmes des paysans du Nord -Finistère : le progrès associé à la mécanisation, les gains de productivité étaient en marche et cela allait se traduire inévitablement par une diminution du nombre d’agriculteurs. Nous avons dû par conséquent penser à promouvoir un développement économique non agricole afin que celui-ci soit un élément permettant d’enrayer le départ des agriculteurs en surnombre vers la région parisienne. Août 2005 2 La Revue Maritime N° 473 C’est à cet effet que vous réunissez dès 1966, les élus, les représentants des chambres de commerce et d’agriculture, les syndicats et les collectivités locales au sein de la Société d’économie mixte d’étude du Nord Finistère (SEMENF) et vous leur dites en substance : « Nous recensons toutes les demandes de revendications des Finistériens, mais nous n’en gardons que l’essentiel sinon le gouvernement ne nous entendra jamais ! » Vous a-t-il entendu et écouté, ce gouvernement ? Alexis Gourvennec Le gouvernement nous a écouté parce qu’avec la SEMENF, nous avons fait un gros effort de synthèse. Nous essayions de nous projeter à l’horizon 1985 et pour être entendus, nous sommes passés effectivement de deux cents propositions à cinq propositions qui tournaient autour d’une même et seule préoccupation que nous avions appelée le désenclavement. Ce dernier concernait la création d’un réseau routier, de télécommunications, d’une université et d’une plate-forme industrielle à Brest et puis bien sûr la création d’un port en eau profonde à Roscoff. Au mois d’octobre 1968, le Premier ministre Georges Pompidou a donné son accord, mais le plus dur restait à faire car il nous restait à vérifier si cette décision donnerait bien lieu aux réalisations promises. L’échéance de 1975 pour le plan routier breton n’a par exemple jamais été respectée, mais le réseau réalisé a été bien plus important que le projet initial… Pourquoi la construction d’un port à Roscoff et pas ailleurs, à Brest, par exemple ? Était-ce une promesse faite aux agriculteurs de Saint Pol de Léon pour garantir le développement de la SICA ? Alexis Gourvennec Absolument pas, le port de Roscoff est né en 1970 parce qu’il offrait naturellement la possibilité aux navires d’échapper aux caprices de la marée. Mais sachez que nous sommes, ici à Roscoff, plus proches de Plymouth que de Rennes, plus proches de Londres que de Paris donc sur le plan de la géographie, c’était une évidence folle ! Il fallait regarder vers l’Angleterre ! Sur le plan de l’économie, l’Angleterre est un petit pays agricole donc il y avait une complémentarité qui relevait à nouveau de l’évidence ; enfin et toujours dans le domaine économique, nous entrions en ce début des années 70 dans une civilisation de loisirs et, alors que l’on essayait de se projeter dans l’avenir, j’avais écrit dans le schéma de structure du Nord Finistère que l’Angleterre entrerait un jour dans le Marché commun : cela faisait partie de ce que j’ai appelé la fatalité historique, géographique, économique et politique ! Nous sommes en 1970 à Roscoff. Vous avez un port mais pas de navire ! Il fallait avoir une bonne dose d’optimisme pour convaincre les armateurs de venir dans ce bout de Finistère où il ne se passait pas grand-chose, il faut bien l’admettre ! Août 2005 3 La Revue Maritime N° 473 Alexis Gourvennec C’est vrai qu’à l’époque, avec le président de la Chambre de commerce de Morlaix, nous rencontrâmes tous les armateurs français puis les Anglais, les Allemands et enfin les Scandinaves et c’est là effectivement que nous découvrîmes le peu de confiance qu’ils accordaient au port de Roscoff. Ils nous déclarèrent en substance que nous n’étions pas totalement fous, qu’il y avait assez d’eau dans le port de Roscoff pour faire un port mais qu’il n’y aurait jamais de bateau ! Il faut reconnaître que nous étions le dos au mur car ces armateurs avaient fait des études de marché.