B E L I S a R I O -Étude Et Réflexions
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yonel buldrini B e l i s a r i o -étude et réflexions- forumopera.com « E degli occhi che perdei, Tu mi sei più cara ancor ! Et des yeux que je perdis, Tu m’es plus chère encore ! » Belisario devenu aveugle, à sa fille qui l’accompagne en exil S. Cammarano – G. Donizetti Atto II° — Finale Où en est le compositeur d’opéra le plus joué du moment ? Vincenzo Bellini, malheureusement disparu depuis 1835, ne laisse qu’une demi-douzaine d’opéras vraiment appréciés et entrés au répertoire du moment. Parmi une foule de compositeurs plus ou moins estimés, émergent les frères Ricci, Saverio Mercadante et Giovanni Pacini, mais aucun ne possède l’envergure d’invention mélodique, la capacité à caractériser musicalement une situation avec tant d’art, d’élégance et d’inspiration –surtout en produisant beaucoup d’opéras- que Gaetano Donizetti. Avec le retrait de Rossini et l’évolution de l’écriture musicale vers plus de chaleur passionnée et dramatique, une nette diminution des ornementations de la ligne vocale, c’est Donizetti qui porte le sceptre de l’opéra italien. On joue du reste ses oeuvres dans le monde entier, de Budapest à Lima, Mexico, Rio de Janeiro, Buenos Aires… et de Berlin et Dresde à Copenhague, La Havane, New York… Vibrantes de Romantisme délicat mais passionné (c’est son secret), ses opéras vont même atteindre des lieux dont on ne parle plus particulièrement aujourd’hui en matière d’art lyrique, comme Agram, Alger, Odessa, Palma de Majorque, Santiago de Cuba, Valparaiso, Corfou, Smyrne ! Néanmoins, à l’heure de Belisario, il ne faut surtout pas imaginer le compositeur au retour de son plus grand chef-d’œuvre, Lucia s’imposant certes dès sa création, mais s’ajoutant d’abord simplement au déjà riche catalogue donizettien (c’était son cinquantième opéra !), mais n’étant pas destinée à être montée plus qu’une Gemma di Vergy par exemple, ou que Parisina et Marino Faliero. On considère habituellement Anna Bolena (1830) comme la première affirmation d’une maturité d’inspiration pleinement atteinte, et ce sont surtout les opéras successifs qui entrent dans la faveur du public, au fur et à mesure que l’extraordinaire capacité de production donizettienne les livre à la postérité. Ses ambassadeurs se nomment donc Anna Bolena, Fausta, L’Elisir d’amore, Il Furioso all’isola di San Domingo, Parisina, Torquato Tasso, Lucrezia Borgia, mais maints ouvrages antérieurs à cette année 1830 voyagent encore, et plaisent toujours, comme L’Ajo nell’imbarazzo ou L’Esule di Roma qui justifie son titre en s’exilant jusqu’à Prague, Corfou, Malte et La Havane ! Après l’accueil triomphal de Lucia di Lammermoor, le 26 septembre 1835, le tourbillon régissant la vie du « pauvre compositeur d’opéras », selon la formule de Donizetti, ne se calme pas. L’infortuné Bellini disparaît trois jours avant la première de Lucia et l’éditeur Giovanni Ricordi propose à Donizetti d’écrire une cantate intitulée Lamento per la morte di Bellini et qui sera interprétée par Maria Malibran. « J’ai beaucoup à faire, répond Gaetano, mais un témoignage d’amitié à mon Bellini passe avant tout. » En mémoire du profond attachement qu’il vouait à « son » Bellini —qui, lui, le jalousait plutôt— il composera même une Sinfonia su motivi di Vincenzo Bellini et une fort belle Messa di Requiem in Morte di Bellini. A Naples, lieu de sa résidence principale et port d’attache, Donizetti compose dès le mois d’octobre 1835 l’opéra qu’il doit donner au Gran Teatro La Fenice de Venise et qui s’intitule Belisario. Il décline la proposition de travailler avec l’écrivain vénitien Pietro Beltrame (par ailleurs auteur du livret La Fidanzata di Lammermoor pour le compositeur Alberto Mazzucato, dont l’opéra est curieusement créé cette même année 1835), estimant à juste titre que compositeur et librettiste doivent être dans le même lieu et se connaître l’un l’autre. Il retrouve donc son collaborateur de Lucia, Salvatore Cammarano, qui allait devenir son principal librettiste pour de fort beaux opéras comme L’Assedio di Calais, Pia de’ Tolomei, Roberto Devereux, Maria de Rudenz, Poliuto et Maria di Rohan. Une dernière tâche (!) consiste, en s’arrêtant à Milan dans le voyage pour Venise, à superviser la véritable création de Maria Stuarda que va donner le Teatro alla Scala. Le mot de véritable n’est pas excessif, cet opéra ayant valu au pauvre Donizetti, peut-être ses pires démélées avec la censure. L’œuvre était déjà en répétition au Teatro San Carlo de Naples quand la censure du Royaume des Deux-Siciles interdit purement et simplement l’œuvre ! A la hâte, on trouve un autre sujet, Giovanna Grey, que la censure repousse également car on y décapite toujours une reine ! Finalement, un troisième sujet est accepté, et à tout allure on opère le travestissement de la Stuarda en Buondelmonte : la rivalité anglo- écossaise devient la haine entre deux familles florentines du XIIIe siècle. Donizetti adapte la musique avec art (il fait de la grande Prière des Ecossais du troisième acte, une scène de conjuration !). La première de Buondelmonte peut avoir lieu le 18 octobre 1833, et avec succès encore... Quelle talentueuse réussite pour un Donizetti que l’on comprend bien lorsque, mi-amer, mi-résigné, il taxe ce Buondelmonte de « pasticcio », c’est-à-dire une chose mal faite, brouillonne. A présent, c’est donc la véritable Maria Stuarda que va donner le Teatro alla Scala, et c’est à cette occasion que Donizetti compose l’ouverture assez intéressante, mais qui a pourtant du mal à s’imposer dans les représentations actuelles. Pendant qu’il effectue le voyage vers Milan, penchons-nous sur d’autres préoccupations, d’ordre privé cette fois, car Francesco, l’un de ses deux frères, multiplie depuis Bergame les demandes d’argent pour assister leur père malade. Gaetano en fait, doutait des affirmations de son frère un peu simple d’esprit —qu’il nommait du reste en conséquence « mio fratello scemo »— d’autant que Giuseppe, le frère ainé, lui écrivait depuis Constantinople où il était Directeur de la musique du sultan, en mentionnant une somme d’argent envoyée à Bergame. Gaetano veut savoir ce qu’il en est, et charge son ami bergamasque le plus intime, Antonio Dolci, de pourvoir à tout besoin éventuel de la Mamma Domenica. Le 3 décembre 1835 il arrive à Milan et six jours plus tard son père décède. Lorsque Gaetano reçoit d’un autre ami la nouvelle fatale, il en parle ainsi au bon Dolci : « Elle m’annonce une chose que je ne peux croire. Si jamais elle était vraie, pour mon profond malheur, je me tourne vers toi afin que toi, que Mayr [son premier professeur de musique], afin que tous fassiez pour moi les devoirs d’un fils. Dépense cent, deux-cents écus, mais que la pompe démontre la gratitude d’un fils puisque l’un ne peut agir à cause de la distance et l’autre, n’aura pas la possibilité. Je t’écrirai avec plus de calme. Pense à maman, à tout ce dont elle a besoin. » Il n’a pas le courage de faire les quarante-cinq kilomètres qui le séparent de Bergame. Le travail le réconforte et l’aide, d’autant que Maria Stuarda suscite des remous à la Scala, la Malibran voulant chanter les paroles originales de l’invective (aujourd’hui célèbre de « Vil basta-a-rda ! ! »), que la reine d’Ecosse lance à la reine d’Angleterre. Elle tenait tellement à ce rôle, qu’elle ne participe même pas à l’hommage rendu par la Scala à Bellini en montant I Puritani, alors que le pauvre Bellini lui avait préparé une version spécialement pour sa voix de son dernier opéra ! Le destin répond en faisant tomber malade la Malibran qui ne peut donc pas assister aux répétitions de Maria Stuarda… Le soir de la première, le 30 décembre, elle n’est pas encore rétablie mais face au risque de perdre son cachet de 3000 francs, elle chante néanmoins, et le public prend cela comme un camouflet. Il lui pardonne pourtant et l’applaudit lors des deux représentations suivantes et Donizetti quitte Milan, son contrat rempli puisque les compositeurs étaient tenus à assister aux trois premières représentations. Les mésaventures de la pauvre Stuarda n’étaient pas terminées ! La quatrième représentation s’arrête avec l’exécution du premier acte dans lequel la reine d’Ecosse, personnage principal, ne paraît pas !!... On le fait suivre des actes deux et trois de l’Otello de Rossini. Des représentations suivantes et intégrales ont tout de même lieu, mais la terrible invective « Vil bastarda ! » lancée par une Stuarda-Malibran furieuse à une Elisabetta pour une fois défaite, ne laissent pas de repos aux nobles milanais. Ceux-ci vont même se plaindre à l’ennemi, le gouverneur autrichien de Milan qui… se heurte à l’inflexibilité de Madama Malibran ! Donizetti suit tout de même les choses de loin et nous en donne le résultat, dans une lettre au librettiste de Maria Stuarda Giuseppe Bardari : « La Stuarda après six soirées fut interdite, et dans le moment le plus heureux, ils ne voulaient pas “bastarda”, ils ne voulaient pas la toison d’Or au cou, ils ne voulaient pas qu’elle s’agenouille pour la confession à Talbot. La Malibran dit : je n’ai pas l’intention de me préoccuper de toutes ces choses... donc Interdite ! » Malgré ces attaques répétées, la superbe Maria Stuarda devait tenir bon et, même s’il s’agissait d’une version « asceptisée » comme le signale William Ashbrook1, elle fut mise à l’affiche dans une douzaine de théâtres italiens, espagnols et portugais, jusqu’en 1866.