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Liberté pour les utilisateurs, pas pour les logiciels, par

Un article fort intéressant de Benjamin Mako Hill (que nous traduisons souvent) qui apporte un éclairage nouveau à la différence importante entre « logiciel libre » et « open source ».

C’est bien la question de la liberté des utilisateurs qui est fondamentale ici. À mesure que la technologie avance et que de plus en plus de domaines expérimentent « le Libre », elle rejoint tout simplement la liberté des citoyens…

Remarque : ’est d’ailleurs pourquoi nous regrettons « l’abus d’open source » dans les premiers États Généraux de l’Open Source qui se déroulent actuellement à Paris (cf cetweet ironique). Liberté pour les utilisateurs, pas pour les logiciels

Freedom for Users, Not for Software

Benjamin Mako Hill – 23 octobre 2011 – Blog personnel (Traduction : Munto, VifArgent, aKa, KarmaSama, Lycoris, aaron, PeupleLa, bruno + anonymous)

En 1985, a fondé le mouvement du Logiciel Libre en publiant un manifeste qui proposait aux utilisateurs d’ordinateurs de le rejoindre pour défendre, développer et diffuser des logiciels qui garantissent aux utilisateurs certaines libertés. Stallman a publié la« Définition du Logiciel Libre » ( Definition ou FSD) qui énumère les droits fondamentaux des utilisateurs concernant les logiciels.

La liberté d’exécuter le programme, pour n’importe quel usage ; la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ; la liberté d’en redistribuer des copies pour aider les autres ; la liberté d’améliorer le programme et de rendre publiques les améliorations, afin que la communauté entière puisse en bénéficier.

Stallman est informaticien. Il avait compris que la manière dont les programmeurs concevaient les logiciels pouvait influer sur les possibilités des utilisateurs à interagir avec eux. Par exemple, des programmeurs pourraient concevoir des systèmes qui espionnent les utilisateurs, vont à leur encontre ou créent des dépendances. Dans la mesure où les ordinateurs occupent une place de plus en plus importante dans la communication des usagers, et dans leur vie toute entière, leur expérience est de plus en plus sous le contrôle de la technologie, et par conséquent de ceux qui la maîtrisent. Si le logiciel est libre, les utilisateurs peuvent désactiver les fonctionnalités cachées ou abusives et travailler ensemble à l’amélioration et au contrôle de leurs technologies. Pour Stallman, le logiciel libre est essentiel à une société libre.

Hélas, beaucoup de personnes qui entendent « logiciels libres » (NdT : free software en anglais) pensent que le mot libre (free) veut dire qu’il peut être distribué gratuitement – une confusion bien naturelle puisque les logiciels libres peuvent être, et sont le plus souvent, partagés sans permission expresse ni paiement. Dans des tentatives concertées pour démêler cette confusion, le slogan « free as in free speech not as in free beer » (free comme dans la liberté de parole et non comme une bière gratuite), et la référence à la distinction que l’on fait en français entre libre et gratuit, sont devenus des clichés dans la communauté du logiciel libre. Une biographie de Stallman est d’ailleurs intitulée « Free as in Freedom » (NdT : Libre comme dans Liberté, biographie traduite et publiée par Framasoft dans sa collection Framabook).

À la fin des années 90, un groupe de passionnés de logiciels libres a suggéré un nouveau terme : « open source ». À l’instar de Stallman, ce groupe était agacé par l’ambiguïté autour du mot « free ». Cependant, la principale préoccupation du groupe open source était l’utilité du logiciel libre pour les entreprises.

Plutôt que de mettre en avant la « liberté », qui pouvait, selon eux, rebuter des entreprises commerciales, les promoteurs de l’open source décrivaient les bénéfices techniques que l’« ouverture » du développement de logiciels libres pourrait apporter, grâce à la collaboration de nombreux utilisateurs mis en réseau. Ces appels ont trouvé un écho au sein des entreprises high-tech à la fin du millénaire au moment où le système d’exploitation libre GNU/ gagnait en popularité et où le serveur web Apache dominait un marché bondé de concurrents propriétaires. Le concept « open source » prit un nouvel élan en 1998 quand Netscape rendit public le code source de son navigateur web Navigator.

Malgré des différences rhétoriques et philosophiques, les logiciels libres et les logiciels open source font référence aux mêmes programmes, aux mêmes communautés, aux mêmes licences et aux mêmes pratiques. La définition de ‘openl source est presque une copie conforme desdirectives du logiciel libre publiées par la communauté qui sont elles-mêmes une tentative de redéfinir la déclaration de Stallman sur la Définition du Logiciel Libre. Stallman a décrit cette distinction entre « logiciel libre » et « logiciel open source » comme étant le contraire d’un schisme. Dans un schisme, deux groupes religieux auront des cultes séparés, souvent à cause de désaccords mineurs sur des points de liturgie ou de doctrine. Dans le logiciel libre et l‘open source, les deux groupes se sont articulés autour de philosophies, de principes politiques et de motivations qui sont fondamentalement différentes. Et pourtant les deux parties continuent de travailler en étroite collaboration au sein des mêmes organisations.

Les conversations autour du libre et du gratuit dans les communautés du logiciel libre et de l‘open source ont occulté un second niveau d’ambiguïté dans le terme « logiciel libre », bien moins discuté : le terme a à croire qu’il fallait interpréter les quatre libertés comme des déclarations sur les qualités que les programmes eux-mêmes devraient posséder. Stallman se fiche du logiciel libre en tant que tel, ce qui lui importe c’est la liberté des utilisateurs. Les slogans « free as in freedom » et « free speech not free beer » n’aident en rien à résoudre ce second type d’ambiguïté, et créent même de la confusion. « Free as in freedom » ne dit rien sur ce qui devrait être libre, tandis que « free speech not free beer », reproduit un problème similaire : les défenseurs de la liberté de parole ne défendent pas tant la liberté d’expression en tant que telle que la liberté des individus dans leur parole. Quand pour l’essentiel le discours des promoteurs du logiciel libre insiste sur les caractéristiques des programmes, certains en viennent à considérer la liberté de l’utilisateur comme un problème de second ordre – c’est tout simplement ce qui se produit lorsque le logiciel est libre.

Quand le logiciel est libre, mais pas les utilisateurs

La liberté de l’utilisateur ne découle pas toujours de la liberté du logiciel. En effet, le logiciel libre a pris de l’importance dans les domaines économique et politique : cela a suscité l’intérêt de certaines personnes qui souhaitaient en récolter les bénéfices tout en maintenant l’action et l’indépendance des utilisateurs dans des limites.

Google, Facebook, et autres titans de l’économie du Web ont bâti leur entreprise sur les logiciels libres. En les utilisant ils n’agissent pas seulement en passagers clandestins, dans de nombreux cas ces firmes partagent gratuitement, au minimum, une partie du code qui fait fonctionner leurs services et investissent des ressources conséquentes dans la création ou l’amélioration de ce code. Chaque utilisateur d’un réseau basé sur des logiciels libres peut posséder une copie du logiciel qui respecte les quatre libertés de la FSD. Mais à moins que ces utilisateurs n’exécutent le service web eux-mêmes- ce qui peut s’avérer techniquement ou économiquement infaisable – ils restent sous la coupe des firmes qui, elles, font bel et bien fonctionner leurs copies. Le « Logiciel en tant que Service » (, ou SaaS) – ou logiciel fourni via « le cloud » – est à priori entièrement compatible avec le principe d’un logiciel libre. Toutefois, du fait que les utilisateurs du service ne peuvent pas changer le logiciel ou l’utiliser comme ils le souhaitent sans l’autorisation et la surveillance de leur fournisseur de service, les utilisateurs de SaaS sont au moins aussi dépendants et vulnérables qu’ils le seraient si le code était fermé.

Chrome OS de Google est une tentative pour construire un système d’exploitation qui pousse les utilisateurs à être constamment en ligne et à utiliser des services comme Google Docs pour réaliser la plupart de leurs tâches informatiques. Quand Google a annoncé Chrome OS, nombreux étaient ceux qui ont applaudi dans la communauté du logiciel libre ; Chrome OS est en effet basé sur GNU/Linux, il s’agit presque entièrement de logiciel libre, et il avait l’appui de Google. Mais le but réel de Chrome OS est de changer l’endroit où les utilisateurs réalisent leurs tâches informatiques, en remplaçant les applications que l’utilisateur aurait fait tourner sur sa machine par des SaaS sur Internet. Chaque fois qu’on remplace un logiciel libre du bureau par un SaaS, on passe d’une situation où l’utilisateur avait le contrôle sur ses logiciels à une situation où il n’a pratiquement plus aucun contrôle. Par exemple, l’utilisation que fait Google des logiciels libre dans les services SaaS lui permet de surveiller tous les usages et d’ajouter ou retirer des fonctionnalités selon son bon vouloir. Ainsi, en se concentrant sur la liberté des logiciels et non sur celle des utilisateurs, bien des partisans du logiciel libre n’ont pas su anticiper cette inquiétante dynamique.

TiVo – le pionnier des magnétoscopes numériques – présentait un défi différent. Son système se basait sur GNU/Linux et, conformément à la licence « » sous laquelle sont distribués la plupart des logiciels libres, la société TiVo autorisait l’accès complet à son code source. Mais TiVo utilisait le chiffrage pour verrouiller son système afin qu’il ne s’exécute que sur des versions approuvées de Linux. Les utilisateurs de TiVo pouvaient étudier et modifier le logiciel TiVo, mais ils ne pouvaient pas utiliser ce logiciel modifié sur leur TiVo. Le logiciel était libre, les utilisateurs ne l’étaient pas.

Les SaaS, Chrome OS et la Tivoisation sont des sujets qui continuent de remuer le milieu des logiciels libres et open source et mettent à jour des lignes de fracture. Il n’est guère surprenant que les partisans de l‘open source ne voient aucun problème avec les SaaS, Chrome OS et la Tivoisation ; ils ne sont pas engagés dans la liberté des utilisateurs ou du logiciel. Toutefois chacun de ces exemples a été facteur de division, y compris parmi les personnes qui pensaient que le logiciel devrait être libre. La Fondation du Logiciel Libre (, FSF) a pris explicitement position contre chacun des sujets ci-dessus. Mais il a fallu du temps avant d’identifier chacune de ces menaces et ce fut laborieux de réussir à faire passer le message aux sympathisants. Aujourd’hui, il semble probable que Google et son modèle d’entreprise orienté service représentent une plus grande menace pour la liberté des futurs utilisateurs d’ordinateur que ne l’a été Microsoft. Mais comme Google se conforme scrupuleusement aux termes de la licence du logiciel libre et contribue aux projets de logiciels libres par une grande quantité de code et d’argent, les partisans du logiciel libre ont mis du temps à l’identifier comme une menace et à réagir.

Même la Free Software Foundation continue à se battre avec sa propre mission axée sur le logiciel. Stallman et la FSF ont travaillé ces dernières années pour déplacer du code non-libre qui s’exécute sur les périphériques internes des ordinateurs (par exemple, une carte wifi ou une carte graphique intégrée à l’intérieur d’un portable) depuis le disque dur principal de l’ordinateur vers les sous-processeurs eux-mêmes. L’idée derrière ces efforts est d’éliminer le code non-libre en le basculant vers les composants matériels. Mais les utilisateurs des logiciels sont-ils plus libres si les technologies propriétaires, qu’ils ne peuvent changer, existent dans leur ordinateur sous une forme plutôt qu’une autre ?

La clé pour répondre à cette question – et à d’autres -, c’est de rester concentré sur ce qui distingue libre et ouvert. Les promoteurs du logiciel libre doivent revenir à leur objectif premier : la liberté des personnes, et non celle des logiciels. L’apport fondamental de Stallman et du mouvement libre a été de relier les questions de la liberté et de l’autonomie personnelle à d’autres considérations, quoique ce lien ne soit pas évident pour beaucoup. La manière dont les utilisateurs resteront libres évoluera avec les changements de nature de la technologie. Et alors que certains adaptent les principes du logiciel libre à de nouveaux domaines, ils vont se retrouver confrontés à des problèmes de traduction comparables. Selon le soin que portera notre communauté à distinguer entre les différents mode d’ouverture et à mettre en évidence les questions de contrôle, de politique et de pouvoir, la philosophie du logiciel libre restera pertinente dans toutes ces discussions plus générales autour des nouveaux et différents biens communs – dans les logiciels et au delà.

Crédit photo : David Shankbone ( By)

Non à la privatisation du domaine public par la Bibliothèque nationale de France !

L’association COMMUNIA, l’Open Knowledge Foundation France, La Quadrature du Net, Framasoft, Regards Citoyens, Veni Vidi Libri, le Parti Pirate, Libre Accès et SavoirsCom1 publient ce jour un communiqué dénonçant la signature par la BNF, le Commissariat aux investissements d’avenir et le ministère de la Culture et de la communication d’accords qui privatisent l’accès numérique à une part importante de notre patrimoine culturel. Paris, le 18 janvier 2013 — Le ministère de la Culture a annoncé hier la conclusion de deux accords, signés entre la Bibliothèque nationale de France et des firmes privées, pour la numérisation de corpus de documents appartenant pour tout (livres anciens) ou partie (78 et 33 tours) au domaine public. Les fonds concernés sont considérables : 70 000 livres anciens français datant de 1470 à 1700, ainsi que plus de 200 000 enregistrements sonores patrimoniaux. Ces accords, qui interviennent dans le cadre des Investissements d’avenir et mobilisent donc de l’argent public, vont avoir pour effet que ces documents ne seront pas diffusés en ligne, mais uniquement sur place à la BnF, sauf pour une proportion symbolique.

Ces partenariats prévoient une exclusivité de 10 ans accordée à ces firmes privées, pour commercialiser ces corpus sous forme de base de données, à l’issue de laquelle ils seront mis en ligne dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. Les principaux acheteurs des licences d’accès à ces contenus seront des organismes publics de recherche ou des bibliothèques universitaires, situation absurde dans laquelle les acteurs du service public se retrouveront contraints et forcés, faute d’alternative à acheter des contenus numérisés qui font partie du patrimoine culturel commun.

Les conditions d’accès à ces éléments de patrimoine du domaine public seront restreintes d’une façon inadmissible par rapport aux possibilités ouvertes par la numérisation. Seule la minorité de ceux qui pourront faire le déplacement à Paris et accéder à la BnF seront en mesure de consulter ces documents, ce qui annule le principal avantage de la révolution numérique, à savoir la transmission à distance. Partout enFrance et dans le monde, ce sont les chercheurs, les étudiants, les enseignants, les élèves, les amateurs de culture, les citoyens qui se trouveront privés de l’accès libre et gratuit à ce patrimoine.

La valeur du domaine public réside dans la diffusion de la connaissance qu’il permet et dans la capacité à créer de nouvelles œuvres à partir de notre héritage culturel. Sa privatisation constitue une atteinte même à la notion de domaine public qui porte atteinte aux droits de chacun. Ces pratiques ont été condamnées sans ambiguïté par le Manifeste du domaine public, rédigé et publié par le réseau européen COMMUNIA financé par la Commission européenne :

Toute tentative infondée ou trompeuse de s’approprier des œuvres du domaine public doit être punie légalement. De façon à préserver l’intégrité du domaine public et protéger ses usagers de prétentions infondées ou trompeuses, les tentatives d’appropriation exclusive des œuvres du domaine public doivent être déclarées illégales.

Les institutions patrimoniales doivent assumer un rôle spécifique dans l’identification efficace et la préservation des œuvres du domaine public. (…) Dans le cadre de ce rôle, elles doivent garantir que les œuvres du domaine public sont accessibles à toute la société en les étiquetant, en les préservant et en les rendant librement accessibles.

À titre de comparaison, les partenariats validés par le ministère de la Culture aboutissent à un résultat encore plus restrictif pour l’accès à la connaissance que celui mis en œuvre par Google dans son programme Google Livres, dans lequel les ouvrages restent accessibles gratuitement en ligne sur le site des institutions partenaires. La mobilisation de l’emprunt national n’aura donc en aucun cas permis de trouver une alternative acceptable aux propositions du moteur de recherche.

Le ministère de la Culture affirme dans son communiqué que ces partenariats sont compatibles avec les recommandations du Comité des sages européens « A New Renaissance ». C’est à l’évidence faux, le rapport du Comité des sages admettant que des exclusivités commerciales puissent être concédées à des firmes privées pour 7 ans au maximum, mais insistant sur la nécessité que les documents du domaine public restent accessibles gratuitement en ligne, y compris dans un cadre transfrontalier. Plus encore, les accords sont en flagrante contradiction avec la Charte Europeana du Domaine Public () alors même que l’un de ses signataires occupe aujourd’hui la présidence de la fondation Europeana.

Par ailleurs, le rapport du Comité des sages énonce comme première recommandation que les partenariats public-privé de numérisation soient rendus publics afin de garantir la transparence, ce qui n’est pas été fait ici. L’opacité a régné de bout en bout sur la conclusion de ces partenariats, au point qu’une question parlementaire posée au ministère de la Culture par le député Marcel Rogemont est restée sans réponse depuis le 23 octobre 2012, alors même qu’elle soulevait le problème de l’atteinte à l’intégrité du domaine public. Enfin, les partenariats publics-privés ont été récemment dénoncés par l’Inspection générale des finances dans un rapport commandé par le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, et par celui du Budget, Jérôme Cahuzac. Ces partenariats sont jugés trop onéreux, trop risqués, trop complexes et trop profitables aux seuls intérêts privés.

Nous, associations et collectifs signataires de cette déclaration, attachés à la valeur du domaine public et à sa préservation comme bien commun, exprimons notre plus profond désaccord à propos de la conclusion de ces partenariats et en demandons le retrait sans délai. Nous appelons toutes les structures et personnes partageant ces valeurs à nous rejoindre dans cette opposition et à manifester leur désapprobation auprès des autorités responsables : BnF, Commissariat général à l’investissement et ministère de la Culture. Nous demandons également la publication immédiate du texte intégral des accords.

Contacts presse

L’association internationale COMMUNIA L’association a pour mission d’éduquer sur l’importance du domaine public numérique, de le défendre auprès des institutions, et de constituer une source d’expertise et de recherche en la matière. Elle a succédé auRéseau thématique COMMUNIA actif sur les mêmes sujets et financé par la Commission européenne. Contact : [email protected]

L’Open Knowledge Foundation France L’Open Knowlegde Foundation (OKFN) est une organisation à but non lucratif fondée en 2004 à Cambridge qui promeut la culture libre sous toutes ses formes. Ses membres considèrent qu’un accès ouvert aux informations associé aux outils et aux communautés pour les utiliser sont des éléments essentiels pour améliorer notre gouvernance, notre recherche, notre économie et notre culture.

La Quadrature du Net La Quadrature du Net est une organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. À ce titre, la Quadrature du Net intervient notamment dans les débats concernant la liberté d’expression, le droit d’auteur, la régulation du secteur des télécommunications ou encore le respect de la vie privée. Contact : Philippe Aigrain, co- fondateur et conseiller stratégique [email protected] +33 6 85 80 19 31

Framasoft Réseau d’education populaire au Libre en général et au logiciel libre en particulier. Contact : Alexis Kauffmann, fondateur de Framasoft

Regards Citoyens est un collectif transpartisan qui vise à utiliser un maximum de données publiques pour alimenter le débat politique tout en appliquant les principes de la gouvernance ouverte. En plus de faire la promotion de l’OpenData et l’OpenGov en France, il réalise des projets web n’utilisant que des logiciels libres et des données publiques pour faire découvrir et valoriser les institutions démocratiques françaises auprès du plus grand nombre.

Le Parti Pirate est un mouvement politique ralliant celles et ceux qui aspirent à une société capable de : partager fraternellement les savoirs culturels et scientifiques de l’humanité, protéger l’égalité des droits des citoyens grâce des institutions humaines et transparentes, défendre les libertés fondamentales sur Internet comme dans la vie quotidienne.

Veni, Vidi, Libri a pour objectif de promouvoir les licences libres ainsi que de faciliter le passage de créations sous licence libre.

Libre Accès a pour objet de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux de l’art libre et de défendre les droits de ses amateurs et auteurs. SavoirsCom1 est un collectif qui s’intéresse aux politiques des biens communs de la connaissance. SavoirsCom1 défend les positions exprimées dans son Manifeste. Contact : [email protected]

Crédit photo : Massimo Barbieri (Creative Commons By-Sa)

Geektionnerd : L’histoire d’Aaron Swartz

C’est un Geektionnerd très spécial que nous propose Gee cette semaine (cliquez sur l’image pour l’agrandir).

Vous pouvez également lire les traductions de quelques uns de ses articles que nous avons publié cette semaine, ainsi que ce Manifeste Hacker qui lui va si bien. Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa) Le Manifeste du hacker (1986) #pdftribute Aaron Swartz

Un certain nombre de textes tournent actuellement sur le Net suite au décès d’Aaron Swartz. Parmi eux on trouve « La Conscience d’un hacker » (ou « Le Manifeste du hacker ») datant de… 1986 et que d’aucuns trouvent particulièrement adapté aux circonstances. Et pour cause…

Nous vous le proposons traduit ci-dessous[1]. Il a été rédigé par Loyd Blankenship, (alias The Mentor) juste après son arrestation.

« Oui, je suis un criminel. Mon crime est celui de la curiosité. »

Remarque : Nous sommes en 1986 et c’est par le téléphone que passe le réseau. Un téléphone qui se retrouve alors bloqué par ces « sales gosses » pour la communication classique. La conscience d’un hacker

The Conscience of a Hacker

The Mentor – 8 janvier 1986 – Phrack.org (Traduction : NeurAlien, Moosh, ga3lig, goofy, zozio nocture (aka brandelune), Slystone, KoS, aKa, Martin, lamessen, Sky)

Ce qui suit a été écrit peu de temps après mon arrestation…

Un autre s’est fait prendre aujourd’hui, c’est partout dans les journaux. « Scandale : Un adolescent arrêté pour crime informatique », « Arrestation d’un hacker après le piratage d’une banque »… Satanés gosses, tous les mêmes.

Mais vous, dans votre psychologie de costume trois pièces et votre conscience technologique des années 50, avez-vous un jour pensé à regarder le monde avec les yeux d’un hacker ? Ne vous êtes-vous jamais demandé ce qui l’avait fait agir et quelles forces l’avaient animé ? Je suis un hacker, entrez dans mon monde… Mon monde, il commence avec l’école… Je suis plus éveillé que la plupart des autres enfants et les nullités qu’on nous enseigne m’ennuient… Satanés gamins, ce sont tous les mêmes.

Je suis au collège ou au lycée. J’ai écouté les professeurs expliquer pour la quinzième fois comment réduire une fraction. J’ai bien compris. « Non Mme Dubois, je n’ai pas montré mon travail. Je l’ai fait dans ma tête ». Satané gosse. Il a certainement copié. Ce sont tous les mêmes.

J’ai fait une découverte aujourd’hui. J’ai trouvé un ordinateur. Attends une minute, c’est cool. Ça fait ce que je veux. Si ça fait une erreur, c’est parce que je me suis planté. Pas parce qu’il ne m’aime pas… Ni parce qu’il se sent menacé par moi… Ni parce qu’il pense que je suis un petit malin… Ni parce qu’il n’aime pas enseigner et qu’il ne devrait pas être là… Satané gosse. Tout ce qu’il fait c’est jouer. Ce sont tous les mêmes.

Et c’est alors que ça arrive. Une porte s’ouvre… Les impulsions électroniques déferlent sur la ligne téléphonique comme l’héroïne dans les veines d’un drogué. Pour trouver dans un Forum le refuge contre la stupidité quotidienne. « C’est ça… C’est ici que je dois être…» Ici, je connais tout le monde… Même si je n’ai jamais rencontré personne. Je ne leur ai jamais parlé, et je n’entendrai peut-être plus parler d’eux un jour… Je vous connais tous. Satané gosse. Encore pendu au téléphone. Ce sont tous les mêmes.

A l’école, on nous a donné des pots de bébé alors qu’on avait les crocs pour un steak… Les morceaux de viande que vous avez bien voulu nous tendre étaient pré-mâchés et sans goût. On a été dominé par des sadiques ou ignoré par des apathiques. Les seuls qui avaient des choses à nous apprendre trouvèrent en nous des élèves de bonne volonté, mais ceux-ci étaient comme des gouttes d’eau dans le désert.

C’est notre monde maintenant… Le monde de l’électron et des commutateurs, la beauté du baud. Nous utilisons un service déjà existant, sans payer ce qui pourrait être bon marché si ce n’était pas géré par des profiteurs avides, et c’est nous que vous appelez criminels. Nous explorons… et vous nous appelez criminels. Nous recherchons la connaissance… et vous nous appelez criminels. Nous existons sans couleur de peau, sans nationalité, sans dogme religieux… et vous nous appelez criminels. Vous construisez des bombes atomiques, vous financez les guerres, vous assassinez et trichez, vous manipulez et vous nous mentez en essayant de nous faire croire que c’est pour notre propre bien… et pourtant c’est nous qui sommes les criminels.

Oui, je suis un criminel. Mon crime est celui de la curiosité. Mon crime est celui de juger les gens selon ce qu’ils pensent et disent, pas selon leur apparence. Mon crime est d’être plus malin que vous, quelque chose que vous ne me pardonnerez jamais.

Je suis un hacker, et ceci est mon manifeste. Vous pouvez arrêter un individu, mais vous ne pouvez pas tous nous arrêter… Après tout, nous sommes tous les mêmes. The Mentor

Crédit photo : Elizabeth Brossa (Creative Commons By-Nc-Sa)

Notes

[1] Il en existait une première traduction mais elle était « perfectible ».

Manifeste de la guérilla pour le libre accès, par Aaron Swartz #pdftribute

Il se passe quelque chose d’assez extraordinaire actuellement sur Internet suite à la tragique disparition d’Aaron Swartz : des centaines de professeurs et scientifiques du monde entier ont décidé de publier spontanément leurs travaux enLibre Accès !

Il faut dire que sa mort devient chaque jour plus controversée, les pressions judiciaires dont il était l’objet n’étant peut-être pas étrangères à son geste. Comme on peut le lire dans Wikipédia : « En juillet 2011, le militant américain pour la liberté de l’Internet Aaron Swartz fut inculpé pour avoir téléchargé et mis à disposition gratuitement un grand nombre d’articles depuis JSTOR. Il se suicide le 11 janvier 2013. En cas de condamnation, il encourait une peine d’emprisonnement pouvant atteindre 35 ans et une amende s’élevant jusqu’à 1 million de dollars. »

On peut suivre l’évolution du mouvement derrière le hashtag #pdftribute (pdf hommage) qui a déjà son site et son compte dédiés.

Dans la foulée nous avons décidé de traduire ensemble un autre article important d’Aaron Swartz (rédigé à 21 ans), en lien direct avec la motivation de tous ceux qui lui rendent ainsi un vibrant, concret et utile hommage : Guerilla Open Access Manifesto.

Ce manifeste s’achève sur cette interrogation : « Serez-vous des nôtres ? »

Remarque : L’émouvante photo ci-dessous représente Aaron Swartz a 14 ans en compagnie de Larry Lessig. On remarquera son bien joli tee-shirt

Manifeste de la guérilla pour le libre accès

Guerilla Open Access Manifesto Aaron Swartz – juillet 2008 – Internet Archive (Traduction : Gatitac, albahtaar, Wikinade, M0tty, aKa, Jean- Fred, Goofy, Léna, greygjhart + anonymous)

L’information, c’est le pouvoir. Mais comme pour tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le garder pour eux. Le patrimoine culturel et scientifique mondial, publié depuis plusieurs siècles dans les livres et les revues, est de plus en plus souvent numérisé puis verrouillé par une poignée d’entreprises privées. Vous voulez lire les articles présentant les plus célèbres résultats scientifiques ? Il vous faudra payer de grosses sommes à des éditeurs comme Reed Elsevier.

Et il y a ceux qui luttent pour que cela change. Le mouvement pour le libre accès s’est vaillamment battu pour s’assurer que les scientifiques ne mettent pas toutes leurs publications sous copyright et s’assurer plutôt que leurs travaux seront publiés sur Internet sous des conditions qui en permettent l’accès à tous. Mais, même dans le scénario le plus optimiste, la politique de libre accès ne concerne que les publications futures. Tout ce qui a été fait jusqu’à présent est perdu.

C’est trop cher payé. Contraindre les universitaires à débourser de l’argent pour lire le travail de leurs collègues ? Numériser des bibliothèques entières mais ne permettre qu’aux gens de chez Google de les lire ? Fournir des articles scientifiques aux chercheurs des plus grandes universités des pays riches, mais pas aux enfants des pays du Sud ? C’est scandaleux et inacceptable.

Nombreux sont ceux qui disent : « Je suis d’accord mais que peut-on y faire ? Les entreprises possèdent les droits de reproduction de ces documents, elles gagnent énormément d’argent en faisant payer l’accès, et c’est parfaitement légal, il n’y a rien que l’on puisse faire pour les en empêcher. » Mais si, on peut faire quelque chose, ce qu’on est déjà en train de faire : riposter. Vous qui avez accès à ces ressources, étudiants, bibliothécaires, scientifiques, on vous a donné un privilège. Vous pouvez vous nourrir au banquet de la connaissance pendant que le reste du monde en est exclu. Mais vous n’êtes pas obligés — moralement, vous n’en avez même pas le droit — de conserver ce privilège pour vous seuls. Il est de votre devoir de le partager avec le monde. Et c’est ce que vous avez fait : en échangeant vos mots de passe avec vos collègues, en remplissant des formulaires de téléchargement pour vos amis.

Pendant ce temps, ceux qui ont été écartés de ce festin n’attendent pas sans rien faire. Vous vous êtes faufilés dans les brèches et avez escaladé les barrières, libérant l’information verrouillée par les éditeurs pour la partager avec vos amis.

Mais toutes ces actions se déroulent dans l’ombre, de façon souterraine. On les qualifie de « vol » ou bien de « piratage », comme si partager une abondance de connaissances était moralement équivalent à l’abordage d’un vaisseau et au meurtre de son équipage. Mais le partage n’est pas immoral, c’est un impératif moral. Seuls ceux qu’aveugle la cupidité refusent une copie à leurs amis.

Les grandes multinationales, bien sûr, sont aveuglées par la cupidité. Les lois qui les gouvernent l’exigent, leurs actionnaires se révolteraient à la moindre occasion. Et les politiciens qu’elles ont achetés les soutiennent en votant des lois qui leur donnent le pouvoir exclusif de décider qui est en droit de faire des copies.

La justice ne consiste pas à se soumettre à des lois injustes. Il est temps de sortir de l’ombre et, dans la grande tradition de la désobéissance civile, d’affirmer notre opposition à la confiscation criminelle de la culture publique.

Nous avons besoin de récolter l’information où qu’elle soit stockée, d’en faire des copies et de la partager avec le monde. Nous devons nous emparer du domaine public et l’ajouter aux archives. Nous devons acheter des bases de données secrètes et les mettre sur le Web. Nous devons télécharger des revues scientifiques et les poster sur des réseaux de partage de fichiers. Nous devons mener le combat de la guérilla pour le libre accès.

Lorsque nous serons assez nombreux de par le monde, nous n’enverrons pas seulement un puissant message d’opposition à la privatisation de la connaissance : nous ferons en sorte que cette privatisation appartienne au passé. Serez-vous des nôtres ?

Aaron Swartz

Crédit photo : Rich Gibson (Creative Commons By)

En hommage à Aaron Swartz

Une vague d’émotion sans précédente s’est emparée du Web (que j’ai l’habitude de lire) après la récente tragique disparition d’Aaron Swartz à l’âge de 26 ans. Il faut dire qu’il en avait fait des choses en une pourtant si courte période !

Nous avons décidé de lui rendre hommage en traduisant collectivement l’un des articles de son blog où il évoque son parcours et ses nombreux projets.

Cet article a été initialement écrit en 2007. Aaron avait alors à peine 20 ans… Comment dégoter un boulot comme le mien

How to Get a Job Like Mine

Aaron Swartz – 18 août 2008 – Blog personnel (Traduction : ga3lig, clementd, Amic, tth, bld, KoS, Havok Novak, a_r_n_a_u_d_b, jpcw + anonymous)

L’écrivain américain Kurt Vonnegut avait l’habitude de toujours nommer ses interventions « Comment obtenir un travail comme le mien » pour parler ensuite de ce que bon lui semblait. Je suis plutôt dans la situation inverse. On m’a informé que je pouvais parler de n’importe quel sujet qui m’intéressait et j’ai donc décidé, plutôt que de pontifier sur l’avenir d’Internet ou de la puissance de la collaboration massive, que la discussion la plus intéressante était probablement celle-ci : « Comment bénéficier d’un travail comme le mien » (NdT : ce texte a été rédigé en préparation d’une conférence donnée au congrès informatique Tathva à NIT Calicut en 2007).

Comment ai-je réussi à dégotter ce job ? Sans aucun doute, la première étape a été de faire le bon choix, c’est-à-dire les bons gènes : à la naissance, j’étais un garçon, blanc, et américain. Ma famille était relativement aisée et mon père travaillait dans l’industrie informatique. Hélas, il n’existe à ce jour aucun moyen d’influer sur ce genre de choses donc je ne vous serai probablement d’aucune utilité sur ce point.

En revanche, quand j’ai débuté, j’étais un très jeune coincé dans une petite ville au milieu de la campagne. J’ai donc dû trouver quelques astuces pour m’en sortir. En espérant rendre la vie un peu moins injuste, je me suis dit que je pourrais les partager avec vous.

Étape 1 : apprendre

La première chose que j’ai faite, et qu’a priori vous avez tous déjà faite, c’était d’apprendre des choses à propos des ordinateurs, d’Internet et de la culture Internet. J’ai lu un paquet de livres, j’ai lu une quantité énorme de pages Web et j’ai essayé des trucs. J’ai commencé par rejoindre des listes de diffusion et j’ai essayé de comprendre les discussions jusqu’à ce que je me sente assez à l’aise pour me lancer et y participer à mon tour. Ensuite, j’ai regardé des sites Web et j’ai essayé de construire le mien. À la fin, j’ai appris à construire des applications Web et j’ai commencé à le faire. J’avais treize ans.

Étape 2 : expérimenter

Le premier site que j’ai réalisé s’appelait get.info. L’idée était d’avoir une encyclopédie en ligne gratuite, que chacun pourrait éditer, ou compléter, ou réorganiser à travers son navigateur. J’ai tout développé, ajouté un tas d’options sympas, testé ça sur tous les types de navigateurs et j’en étais très fier. J’ai même remporté un prix pour la meilleure application Web de cette année-là. Malheureusement, les seules personnes que je connaissais à cette époque étaient d’autres jeunes de mon école, donc je n’avais pas grand monde pour écrire des articles d’encyclopédie. (Heureusement, quelques années plus tard, ma mère m’a montré ce nouveau site appelé « Wikipédia » qui faisait la même chose.)

Le second site s’appellait my.info. L’idée était qu’au lieu d’aller à la recherche d’informations sur toutes sortes de pages Web différentes, il suffisait d’avoir un programme qui allait chercher les nouveautés dans toutes ces pages Web et qui les regrouperait à un seul endroit. Je l’ai construit et je l’ai fait marcher, mais il se trouve qu’à l’époque, je n’étais pas le seul à avoir eu ce genre d’idée. Beaucoup de gens travaillaient sur cette nouvelle technique, appelée alors « syndication ». Un groupe d’entre eux s’est mis à part et a décidé de travailler sur une spécification appelée RSS 1.0, et je les ai rejoints.

Étape 3 : échanger

C’était l’été, je n’étais pas à l’école et je n’avais pas de boulot, j’avais donc beaucoup de temps libre à disposition. Et je l’ai entièrement consacré à lire la liste de diffusion de RSS 1.0 et à faire toutes sortes de travaux bizarres et tout ce qu’il y avait d’autre à faire. Assez rapidement, on m’a demandé si je voulais devenir membre du groupe, et je me suis retrouvé être co-auteur, puis co-éditeur de la spécification RSS 1.0.

RSS 1.0 était construit au-dessus d’une technologie appelée RDF, source de débats agités sur les listes de diffusion de RSS. J’ai donc commencé à m’intéresser à RDF, j’ai rejoint les listes de diffusion autour de RDF, lu des choses, posé des questions idiotes pour lentement commencer à comprendre comment ça marchait. Assez rapidement, je devenais connu dans le petit monde du RDF et quand ils ont annoncé la création d’un nouveau groupe de travail destiné à créer la prochaine spécification RDF, j’ai décidé de m’y glisser.

Premièrement, j’ai demandé aux membres du groupe de travail si je pouvais m’y joindre. Ils m’ont répondu négativement. Mais je voulais vraiment faire partie de ce groupe de travail, alors j’ai décidé de trouver un autre moyen. J’ai lu le règlement du W3C, qui expliquait le fonctionnement d’un groupe de travail. Les règles indiquaient que, bien que se réservant le droit de rejeter toute demande d’adhésion individuelle, il suffisait que l’une des organisations faisant partie des membres officiels du W3C sollicite la participation d’un candidat pour qu’elle soit acceptée d’emblée. Ainsi, j’ai examiné en détail la liste des organisations membres du W3C, découvert celle qui me paraissait la plus accessible et lui ai demandé de m’inclure dans ce groupe de travail. Et c’est ce qu’ils ont fait !

Faire partie d’un groupe de travail impliquait des communications téléphoniques hebdomadaires avec les autres membres, un tas de discussions sur des listes de diffusion et sur IRC, de temps à autre de voyager vers d’étranges villes pour des rencontres réelles et une quantité de prises de contact avec des personnes à connaître partout.

J’étais aussi un chaud partisan de RDF, j’ai ainsi œuvré ardemment à convaincre d’autres de l’adopter. Quand j’ai découvert que le professeur Lawrence Lessig lançait une nouvelle organisation appelée Creative Commons, je lui ai transmis un courriel lui conseillant d’adopter RDF pour son projet et lui ai expliqué pourquoi. Quelques jours après, il me répondit : « Bonne idée. Pourquoi ne le ferais-tu pas pour nous ? »

Donc, j’ai fini par rejoindre les Creative Commons, qui m’ont fait m’envoler vers toutes sortes de conférences et de réunions, et je me suis retrouvé en train de rencontrer encore plus de gens. Parmi tous ces gens qui commençaient à savoir qui j’étais, j’en suis arrivé à me faire des amis dans un paquet d’endroits et de domaines différents.

Étape 4 : construire

Puis j’ai laissé tout ça de côté et je suis allé à l’université pour un an. Je suis allé a l’université de Stanford, une petite école idyllique en Californie où le soleil brille toujours, où l’herbe est toujours verte et où les jeunes sont toujours dehors à se faire bronzer. Il y a des enseignants excellents et j’ai sans aucun doute beaucoup appris, mais je n’y ai pas trouvé une atmosphère très intellectuelle étant donné que la plupart des autres jeunes se fichaient apparemment profondément de leurs études.

Mais vers la fin de l’année, j’ai reçu un courriel d’un écrivain nommé Paul Graham qui disait démarrer un nouveau projet, Y Combinator. L’idée derrière Y Combinator était de trouver un groupe de développeurs vraiment talentueux, les faire venir à Boston pour l’été, leur donner un peu d’argent et la base administrative pour lancer une société. Ils travaillent alors très, très dur pour apprendre tout ce dont ils ont besoin de savoir sur le monde des affaires, en les mettant en contact avec des investisseurs, des clients, etc. Et Paul suggéra que je m’inscrive.

Donc je l’ai fait, et après beaucoup de peine et d’efforts, je me suis retrouvé à travailler sur un petit site appelé Reddit.com. La première chose à savoir à propos de Reddit était que nous n’avions aucune idée de ce que nous étions en train de faire. Nous n’avions pas d’expérience dans les affaires, nous n’avions pratiquement pas d’expérience en création de logiciels au niveau qualité d’un produit fini. Et nous n’avions aucune idée si, ou pourquoi, ce que nous faisions fonctionnait. Chaque matin, nous nous levions et nous vérifiions que le serveur n’était pas tombé en panne et que le site ne croulait pas sous les messages indésirables, et que nos utilisateurs étaient toujours présents. Lorsque j’ai commencé à Reddit, la croissance était lente. Le site avait été mis en ligne très tôt, quelques semaines après avoir commencé à travailler dessus, mais pendant les trois premiers mois, il a difficilement atteint trois mille visiteurs par jour, ce qui représente un minimum pour un flux RSS utilisable. Nous avons ensuite, lors d’une session marathon de codage de quelques semaines, transféré le site de Lisp à Python et j’ai écrit un article sur mon blog au sujet de cet exploit. Il a beaucoup attiré l’attention (même l’enfer ne peut déclencher autant de colère que celle d’un fan de Lisp mécontent) et encore aujourd’hui les gens que je rencontre en soirée, lorsque que je mentionne que j’ai travaillé à Reddit, disent : « Oh, le site qui a migré depuis Lisp. »

C’est à ce moment-là que le trafic a vraiment commencé à décoller. Dans les trois mois qui ont suivi, le trafic a doublé à deux reprises. Chaque matin, nous nous levions pour vérifier les statistiques et voir comment nous nous en sortions, vérifier si une nouvelle fonctionnalité que nous avions lancée nous avait attiré plus de monde, ou si le bouche à oreille continuait de faire parler de notre site, ou encore si tous nos utilisateurs nous avaient abandonnés. Et, chaque jour, le nombre de visiteurs progressait. Mais nous ne pouvions nous empêcher d’avoir l’impression que la croissance du trafic était encore plus rapide lorsque nous arrêtions de travailler sur le site.

Nous n’avions toujours pas d’idée sur la façon de gagner de l’argent. Nous avons vendu des t-shirts sur le site, mais, chaque fois, l’argent récupéré sur la vente servait à racheter encore plus de t-shirts. Nous avons signé avec un acteur majeur de la publicité en ligne pour vendre de la publicité sur notre site, mais cela n’a guère fonctionné, en tout cas pas pour nous, et il était rare que nous touchions, en réalité, plus de deux dollars par mois. Une autre idée était de commercialiser, sous licence, le savoir-faire « Reddit » pour permettre à d’autres de monter des sites sur le modèle Reddit. Mais nous n’avons trouvé personne d’intéressé pour acquérir notre licence.

Rapidement, Reddit a acquis des millions d’utilisateurs chaque mois, un chiffre qui dépasse de loin le magazine américain moyen. Je le sais, car j’ai discuté, à cette période, avec de nombreuses maisons d’édition. Ils se sont tous demandés comment le charme de Reddit pourrait opérer pour eux.

De plus, les sites d’actualités en ligne ont commencé à voir que Reddit pourrait leur envoyer un énorme trafic. Ils ont pensé, d’une certaine manière, encourager cela en ajoutant un lien « reddit this » à tous leurs articles. Pour autant que je sache, ajouter ces liens n’améliore pas vraiment votre chance de devenir populaire sur Reddit (bien que cela rende votre site plus moche), mais cela nous a offert beaucoup de publicité gratuite.

Assez rapidement, la discussion avec nos partenaires se dirigeait vers une négociation d’acquisition. L’acquisition : la chose dont nous avions toujours rêvé ! Il n’y aurait plus à s’inquiéter de faire du profit. Des entreprises externes se chargeaient de cette responsabilité en contrepartie de faire notre fortune. Nous avons tout laissé tomber pour négocier avec nos acheteurs. Et ensuite, cela est resté à l’abandon.

Nous avons négocié pendant des mois. Au début, nous débattions sur le prix. Nous préparions des « business plans » et des feuilles de calcul, puis allions au siège social pour faire des présentations et affronter des réunions et des appels téléphoniques sans fin. Finalement, ils refusèrent notre prix et nous sommes donc repartis. Plus tard, ils changèrent d’attitude, nous nous sommes serrés la main et nous étions d’accord sur la transaction pour finalement commencer à renégocier sur certains autres points cruciaux, et nous éloigner à nouveau. Nous avons dû nous retirer trois ou quatre fois avant d’obtenir un contrat acceptable. Au final, nous avons dû arrêter de travailler efficacement pendant six mois. Je commençais à devenir malade d’avoir à consacrer autant de temps à l’argent. Nous commencions tous à être affectés par le stress et le manque de travail productif. Nous avons commencé à nous disputer et ensuite à ne plus nous parler, avant de redoubler d’efforts pour retravailler ensemble, pour retomber finalement dans nos errements. L’entreprise a failli se désintégrer avant que la transaction ne se concrétise.

Mais finalement, nous sommes allés chez nos avocats pour signer tous les documents et le lendemain matin, l’argent était sur nos comptes. C’était terminé.

Nous nous sommes tous envolés pour San Francisco et avons commencé à travailler dans les bureaux de Wired News (nous avions été rachetés par Condé Nast, une grande entreprise de publication qui possède Wired et de nombreux autres magazines).

J’étais malheureux. Je ne pouvais pas supporter San Francisco. Je ne pouvais pas supporter une vie de bureau. Je ne pouvais pas supporter Wired. J’ai pris de longues vacances de Noël. Je suis tombé malade. J’ai pensé à me suicider. J’ai fui la police. Et quand je suis revenu le lundi matin, on m’a demandé de démissionner.

Étape 5 : liberté

Les quelques premiers jours sans travail ont été bizarres. Je tournais en rond chez moi. Je profitais du soleil de San Francisco. Je lisais quelques livres. Mais rapidement, j’ai senti que j’avais besoin, à nouveau, d’un projet. J’ai commencé à écrire un livre. Je désirais collecter toutes les bonnes études dans le domaine de la psychologie pour les raconter, non pas comme des analyses, mais comme des histoires. Chaque jour, je descendais à la bibliothèque de Stanford pour y faire des recherches. (Stanford est une école réputée en psychologie.)

Mais un jour, Brewster Kahle m’a appelé. Brewster est le fondateur de The Internet Archive, une organisation formidable qui essaye de numériser tout ce qu’elle trouve pour le publier sur le Web. Il m’a dit qu’il voulait démarrer un projet dont nous avions parlé à l’époque. L’idée serait de rassembler l’information de tous les livres du monde dans un lieu unique, un wiki libre. Je me suis mis immédiatement au travail, et dans les quelques mois qui ont suivi, j’ai commencé à contacter les bibliothèques, mettre à contribution des programmeurs, cogiter avec un designer et faire plein d’autres trucs pour mettre ce site en ligne. Ce projet a fini par devenir Open Library. Il a été développé en grande partie par un talentueux programmeur indien : Anand Chitipothu.

Un autre ami, Seth Roberts, a suggéré que nous devrions trouver le moyen de réformer le système des études supérieures. Nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord sur une solution satisfaisante, mais nous avons eu une autre bonne idée : un wiki qui explique aux étudiants à quoi ressemblent les différents métiers. Ce site va être bientôt lancé…

Ensuite, un autre ancien ami, Simon Carstensen, m’a envoyé un e-mail disant qu’il avait obtenu son diplôme universitaire et qu’il cherchait à monter une entreprise avec moi. En fait, j’avais gardé une liste d’entreprises qui pourraient être d’excellentes idées et j’ai pris la première de la liste. L’idée était de créer un site Web aussi simple à remplir qu’un champ texte. Pendant les mois suivants, nous avons travaillé d’arrache-pied à rendre les choses de plus en plus simples (et un peu plus complexes aussi). Le résultat, avec le lancement il y a quelques semaines, est le site : Jottit.com.

Je me suis aussi engagé en tant que conseiller pour deux projets du Summer of Code, les deux étant étonnamment ambitieux et avec un peu de chances, ils devraient être lancés bientôt.

J’ai décidé également alors de m’impliquer dans le journalisme. Mon premier article papier vient d’être publié. J’ai aussi lancé quelques blogs sur la science et j’ai commencé à travailler à rédiger un article académique moi- même. Il se base sur une étude que j’avais conduite il y a quelques temps sur les rédacteurs effectifs de Wikipédia. Quelques personnes, y compris Jimmy Wales, qui est en quelque sorte le porte-parole de Wikipédia, affirmait que Wikipédia n’était pas, tout compte fait, un projet massivement collaboratif, mais était plutôt rédigé par une équipe d’à peu près 500 auteurs, qu’il connaissait pour la plupart. Il avait fait quelques analyses simples pour le mettre en évidence, mais j’ai vérifié attentivement les chiffres et j’arrive à la conclusion inverse : la grande majorité de Wikipédia a été écrite par de nouveaux rédacteurs, la plupart ne s’étant pas donné la peine de créer un compte, ajoutant quelques phrases de ci de là. Comment Wales a-t-il pu commettre une telle erreur ? Il a analysé le nombre de modifications effectuées par chaque auteur sans vérifier la nature de ces modifications. Or la grande majorité de leurs modifications sont tout à fait mineures : ils font des choses comme des corrections orthographiques ou des remises en forme. Il semble plus raisonnable de croire que ces 500 personnes se comportent plus comme des inspecteurs que comme des producteurs de contenu.

Derniers conseils

Quel est le secret ? Comment pourrais-je condenser les choses que je fais dans des phrases concises qui me correspondent le plus ? Allons-y :

1. Soyez curieux. Élargissez vos lectures. Essayez de nouvelles choses. Je pense que ce que beaucoup de gens appellent intelligence n’est rien d’autre que de la curiosité ; 2. Dites oui à tout. J’ai quelques difficultés à dire non, à un niveau pathologique, quels que soient les projets, les interviews ou les amis. Du coup, j’essaie beaucoup et même si ça se solde souvent par un échec, j’ai toujours fait quelque chose ; 3. Faites comme si les autres n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils sont en train de faire. Une foule de gens hésite à tenter une action pour la simple raison qu’ils pensent qu’ils n’en savent pas suffisamment sur le sujet ou parce qu’ils supposent que d’autres l’ont fait avant eux. Eh bien, peu de gens ont la moindre idée de la manière de mener une action et ils sont même encore moins nombreux à expérimenter de nouvelles méthodes, donc en général si vous faites de votre mieux sur quelque chose, vous le ferez plutôt bien.

J’ai suivi cette ligne de conduite. Et voilà où j’en suis aujourd’hui, avec une douzaine de projets en tête et mon niveau de stress toujours au plus haut.

Chaque matin, je me lève et vérifie mes courriels pour savoir lequel de mes projets a implosé aujourd’hui, quelle date limite a été dépassée, quels discours je dois préparer et quels articles doivent être rédigés.

Un jour, peut-être, vous aussi serez dans la même situation. Si tel est le cas, j’espère que j’y aurai modestement contribué.

Crédit photo : Sage Ross (Creative Commons By-Sa)

L’ado presque comme les autres avec un poster de dans sa chambre

Des dizaines de milliers d’ados s’enregistrent et postent leurs vidéos sur YouTube.

Plus rares sont ceux qui ont un poster deTux dans leur chambre

Les jeunes les plus talentueux choisissent le Libre

The most talented youth choose open source tools

Phil Shapiro – 13 décembre 2012 – OpenSource.com (Traduction : clementd, KoS, Pouhiou, Robin Dupret, ProgVal)

Je suis bibliothécaire, j’aide les gens à utiliser les ordinateurs en libre accès. Après une longue journée de travail, j’aime à me détendre en écoutant quelques vidéos musicales sur YouTube. Grand fan de cet artiste j’ai ainsi entré « Reprise Bob Dylan cette semaine », l’autre jour, dans le moteur de recherche du site Imaginez ma joie et ma surprise de tomber sur cette vidéo de « Knockin on Heaven’s Door » en multipistes. Mais minute ! Ce ne serait pas un poster du manchot Tux accroché au mur derrière cette jeune musicienne ? Eh si. Mmmh, est-ce que cette affiche a été sciemment placée ici ou est-ce une simple coïncidence ?

Je devais en avoir le cœur net. J’ai alors directement posé la question à la musicienne. Emily Fox me répondit qu’elle était une fan inconditionnelle des logiciels libres ! Elle utilise ainsi OpenShot, un éditeur pour créer la vidéo de sa musique.

Ça me réchauffe le cœur de voir que certains des plus grands talents de la nouvelle génération choisissent des outils libres. L’histoire ne s’arrête pas là, pourtant. L’histoire a une suite…

La semaine dernière, Emily Fox a mis en ligne la vidéo de sa dernière composition appelée « Please, Mr. Snowman » avec ses propres graphismes, simples mais superbes, réalisés avec GIMP ! Si vous aviez des doutes quant à son talent créatif, ces doutes auront peut-être disparu avec cette vidéo. Les voix sont simples et profondes. Les instruments de fond propres et bien équilibrés. Je suis impatient d’écouter les prochaines créations d’Emily et de voir ce qu’elle deviendra plus tard.

Ceci m’a fait penser aux jeunes que je rencontre dans la bibliothèque où je travaille. Certains des plus talentueux sont profondément attachés à l’utilisation des logiciels libres. Un collégien, dont l’aide m’est précieuse, me dit qu’il ne touchera aucun appareil qui utilise des DRM (Digital Rights Management). Je suis pour ma part plus modéré à ce sujet, mais je comprends son point de vue.

Une vague d’amateurs du Libre est-elle en train d’émerger à travers notre système scolaire ? Je dirais que oui. Elle n’est pas énorme, mais elle apporte un grand soutien et une grande promesse à sa diffusion. En dix ans, quelques-uns de ces jeunes créeront de nouvelles entreprises ou seront des artistes de renommée mondiale. Dans vingt ans, certains seront nos élus. Pour que cela dure, nous devons continuer nos efforts pour promouvoir le mouvement du Libre.

Et vous, par quelles petites choses allez-vous faire avancer le Libre ces jours-ci ?

Framasoft et le Père Gnuël vous souhaitent de joyeuses fêtes !

Avec ce sourire, nous en profitons pour vous remercier chaleureusement de votre soutien cette année, qu’il s’agisse d’un don[1], d’une participation ou tout simplement en diffusant la bonne parole du Libre autour de vous.

Rendez-vous en 2013, parce qu’il reste encore plein de sales gosses à convertir Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)

Notes

[1] Pour rappel : C’est le dernier moment pour faire un don 2012 défiscalisable à 66% (si vous êtes soumis à l’impôt sur le revenu).