Les Châteaux Dans Le Vignoble Nantais
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Nouvelles vies des châteaux, pp. 43-53 43 Les châteaux dans le vignoble nantais Raphaël SCHIRMER PRAG - Université de Paris-Sorbonne 75005- PARIS Résumé : Les châteaux jouissent dans le vignoble nantais d’une importance considérable, tant d’un point de vue social et politique que foncier. Mais leur "mission" historique de développement qualitatif achoppe au XIXe siècle, ce qui contribue à expliquer la longue absence de qualité du vignoble nantais. Ce n’est qu’à présent qu’ils renouent avec leur rôle de locomotive, tout en connaissant un déclin relatif de leur poids. Le château de La Mercredière (Le Pallet) offre un exemple caractéristique des évolutions en cours. Mots-clés : Vignoble. Châteaux de qualité. Vin. Abstract : In Nantes wineyard (Loire Valley), the "châteaux" have a significant role in terms of society, politics, as well as land ownership. But, their historical "mission" based on quality development declined in the nineteenth century and the decrease in quality affected Nantes wineyard during a long period of time. Today, these "châteaux" are recovering their leading role although it became less important. The "château de La Mercredière" (Le Pallet – Loire Valley) is a typical example of current evolutions. Key words : Wineyard. "Châteaux" of quality. Wine. Les travaux de Roger Dion (1896-1981) ont naguère montré combien la viticulture doit à la ville, à l’abbaye, mais aussi au château. En effet, « (au) village, (celui-ci) fut souvent le promoteur de la viticulture, par le modèle qu’il en a offert, aux pieds même de ses tours, et par l’aide qu’il a donnée à ceux qui suivaient l’exemple » (Dion, 1954). L’association entre le château et la vigne est à cet égard ancienne et profonde dans le vignoble nantais. Il n’est que d’évoquer l’exemple du château de Goulaine (XVe siècle) pour s’en convaincre. Par son architecture qui en fait un château de la Loire à part entière, par ses vignes aussi, il arrime le vignoble à l’ensemble ligérien. Par l’ancienneté du lignage, il rappelle combien ce trait est l’une des caractéristiques essentielles des châteaux d’un point de vue historique. Par le rôle de la famille dans les organisations viticoles des années 1970 enfin, il montre combien est grande son intimité avec le vignoble. Une telle relation ne laisse pourtant pas de surprendre pour qui s’intéresse à la viticulture. N’a-t-on pas écrit que la Loire est dénuée de châteaux proprement viticoles (Roudié, 2000, p. 416) ? La région est en réalité bien trop méconnue en ce qui concerne son histoire et sa géographie. L’Anjou peut tout de même se prévaloir de posséder l’illustre Coulée de Serrant, hier encore associée au château du même nom. Mais nul château Yquem, nul château Haut-Brion non plus, ne viennent à l’évidence éclairer de leur renommée le vignoble nantais. Les vins sont d’ailleurs longtemps restés médiocres… Faut-il voir là une faillite du modèle châtelain ? Sans aucun doute, même s’il convient de se garder d’expliquer la trop longue absence de qualité des vins nantais par ce seul éclairage. Les causes sont multiples. Elles obligent en tout cas à se pencher sur l’origine de cette relation, puis sur son évolution, pour en embrasser toute l’étendue actuelle. Ce qui n’est à l’évidence pas sans poser de problèmes. Car, qu’est-ce qu’un château ? Le terme est tout aussi polymorphe que polysémique. Il ne renvoie pas à la même réalité en fonction des périodes et des espaces que l’on étudie. Ce qui explique que dans le domaine viticole, la législation paraisse à tout le moins d’une bien grande libéralité. Certains viticulteurs n’en profitent-ils pas pour poser sur un banal chai un glorieux "château" ? Et d’ailleurs, qu’est-ce qui différencie une gentilhommière d’une maison bourgeoise, d’un manoir ou d’un château, sinon le sens commun ? L’ajout d’une tourelle permet souvent de faire passer des vessies pour des lanternes, on l’a vu dans le Bordelais... Aussi est-ce plutôt chez les historiens médiévistes qu’il convient de rechercher une définition satisfaisante : c’est le contrôle du plat pays qui fait le château plus que l’architecture (Dictionnaire de la France médiévale, Cahiers Nantais, 2000, n° 54 44 1993, p. 257). Il en va bien ainsi dans le vignoble nantais au moins jusqu’à la Révolution française, sinon plus tard pour certains aspects. Les banalités (avec bien sûr celle du pressoir), les rentes (avec notamment une rente particulière, celle du vignage), et surtout le complant(1), placent dans l’orbite du château toute une frange de la population. Tout ceci n’est plus aujourd’hui. C’est à un puissant mouvement d’affaiblissement du château auquel on assiste dans la longue durée : le contrôle du plat pays a disparu. Qui plus est, bon nombre de propriétés ont été dépecées. D’autres ont perdu leurs vignes pour ne devenir que de simples résidences, tel le château de Vair (Anetz), ou encore des équipements publics, comme l’hôpital de la Droitière (Mauves-sur-Loire), quand elles n’ont pas tout simplement disparu sous les coups de l’urbanisation. Songeons à l’ancien château Bougon (Saint-Aignan-Grandlieu)… Le monde viticole s’est, parallèlement, profondément transformé : l’émergence de grands domaines, qui rompent avec l’ancienne pulvérisation foncière, en est sans doute l’illustration la plus remarquable. Ils font figure de véritables "locomotives" (Bachelier, 1996, p. 64) en ce qui concerne la modernisation et la recherche qualitative. Car le vignoble nantais produit aujourd’hui d’excellents vins. Force est donc d’admettre une sorte de banalisation du château dans le domaine viticole. Il n’est désormais plus qu’une grande exploitation, douée, il est vrai, d’un cachet particulier. Les paysages que domine le château du Coing (Saint-Fiacre), à la confluence de la Sèvre et de la Maine, sont des plus séduisants ; ils invitent à la contemplation et à la dégustation de délicieux vins. On le voit, si le château s’est somme toute banalisé, il n’est pas sans renouer avec sa "mission" historique, accompagné par bien d’autres types d’exploitations aujourd’hui. C’est pourquoi il convient de mesurer le poids des châteaux dans ce processus, de juger de leur pouvoir d’attraction, tout en observant leurs devenirs fort différenciés. Le château de La Mercredière (Le Pallet) est à cet égard doublement célèbre : pour la convoitise dont il a fait l’objet à l’extrême fin des années 1970 dans une situation de faim de terre, pour la renommée de ses vins aujourd’hui. I - UN ACTEUR AMBIGU DU DÉVELOPPEMENT VITICOLE (XVIIe-XIXe SIÈCLES) Tout semble réuni à l’époque moderne pour que le vignoble se calque sur un modèle de développement qualitatif que l’on serait bien tenté de qualifier de "médocain" (Pijassou, 1980, p. 543). Nantes et Bordeaux accusent de fortes ressemblances. Le château est un investissement foncier pour la noblesse comme pour la bourgeoisie, et symbolise en cela la réussite de ces catégories sociales. La qualité des vins des propriétés, au moins sur les rives de la Gironde, participe de ce même processus en contribuant à asseoir l’honnête homme. Qu’en est-il sur la Loire ? Les propriétaires introduisent bien des ferments de progrès pour accroître la qualité de leurs vins. C’est d’abord un rôle accru alloué au fermier, que l’on charge de surveiller la bonne conduite de la vigne. En particulier pour lutter contre cette conséquence néfaste qu’occasionne le complant. Le partage de la récolte en nature incite en effet les colons à pousser les rendements au détriment de la qualité. L’exemple du château de La Gournerie (Saint-Herblain), propriété de Jacques-Antoine Maillard, conseiller du roi, membre de la Chambre des Comptes de Bretagne, dont le domaine est affermé en 1786, en atteste. Les preneurs sont particulièrement incités à surveiller les vignes menées par les complanteurs : « Ils veilleront à ce que les colons fassent lesdites vignes de tous leurs tours et façons en temps et saisons convenables, sans les surcharger de bois lors de la taille »(2). C’est aussi le développement de l’exploitation directe par le biais d’un régisseur omnipotent. Ainsi en est-il de la propriété de Jean-Baptiste II Blanchard, parlementaire à Rennes, située à l’ouest de Nantes. Des lettres, malheureusement très incomplètes, font état de l’avancement des différentes productions, en particulier des légumes et du vin(3). Elles rendent toutes compte d’un souci qualitatif comme par exemple le vieillissement des vins rouges du cru, ou encore le soutirage des vins blancs au printemps(4). C’est encore Agnès O’Shiell, comtesse de Trèves, veuve du très riche irlandais Jean de Stapelton, qui exige de sélectionner sa part des raisins amenés par les fermiers au pressoir du château des Dervallières (Chantenay)(5). Cahiers Nantais, 2000, n° 54 45 Le luxe et le raffinement des élites nantaises ne font pas de doute. Jean Meyer le rappelle : « (Princes) et sommités du monde civilisé considèrent la visite aux grandes familles du négoce local, Monteaudouin, Drouin, Bouteiller, comme une étape obligatoire de leur tour d’Europe » (Meyer, 1969, p. 249). C’est leur attitude face à leurs propres vins qui étonne. Car, qu’offre-t-on sur les tables nantaises, à la Fosse, Cours des États, ou dans les châteaux du pourtour de la ville ? Des vins de Bordeaux, d’Anjou, de Champagne ou encore de précieux Madère, de subtils Jerez, mais point de vins du cru. Ils sont réputés comme « notoirement les plus mauvais du royaume »(6) par les Nantais eux- mêmes.