Sylvie Moreau Lire Pour Vivre Dans La Fiction Colette Lens
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Document generated on 09/24/2021 12:31 p.m. Entre les lignes Le magazine sur le plaisir de lire au Québec Sylvie Moreau Lire pour vivre dans la fiction Colette Lens Le livre et le cinéma : une histoire d’amour Volume 1, Number 1, Fall 2004 URI: https://id.erudit.org/iderudit/10485ac See table of contents Publisher(s) Les éditions Entre les lignes ISSN 1710-8004 (print) 1923-211X (digital) Explore this journal Cite this document Lens, C. (2004). Sylvie Moreau : lire pour vivre dans la fiction. Entre les lignes, 1(1), 16–19. Tous droits réservés © Les éditions Entre les lignes, 2004 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Artiste humaniste par excellence, Sylvie Moreau n'en finit plus de nous réjouir par ses multiples talents : à la scène, à l'écran, en écriture, en chanson, en danse, en animation et j'en passe... Artiste éclatée, dire?-vous? Méfiez-vous des apparences : en humour ou en compagnie des grands classi ques, Sylvie Moreau ne choisit rien à la légère. Très peu pour elle, les lieux communs, la facilité et la morale bien-pensante. Pas de complaisance non plus dans ses choix de lectures. Avec la finesse et la générosité de son regard, elle nous a donné le goût d'aller voir un peu plus près du côté de chez Proust, James Ellroy, Dan Simmons et bien d'autres encore... Sylvie Moreau: Lire pour vivre dans la PROPOS RECUEILLIS PAR COLETTE LENS ~ PHOTO : JULIE DUROCHER Entre les lignes : Lorsque l'on pose a quelque chose chez lui qui m'a à Sylvie Moreau la difficile question donné de la compassion pour le genre très longtemps qu'il veut être auteur, de choisir parmi toutes ses lectures humain et pour moi-même; on est romancier, et qui réalise qu'il n'a pas celles qui ont sa préférence, elle y tellement sévère... Avec Proust, je de sujet sur lequel écrire, qu'il n'a répond sans hésiter : Proust ! voyage... J'aime sa façon d'écrire, la pas de «vécu». Comme c'est un dandy, Sylvie Moreau : C'a changé ma vie ! Au longueur de ses phrases qui s'étalent il promène son oisiveté de salon en ! début, je me disais : c'est de la litté parfois sur un paragraphe et demi. salon, et soudain il se dit : je vais ! rature bourgeoise. Mais pas du tout, C'est ce qui me plaît par-dessus tout : écrire au «je», et décrire ces gens-là. ! c'est très amoureux des humains, c'est une évasion dans un univers qui Et c'est ce qu'il fait, il écrit ce qu'il est I une très belle peinture, à la fois com existe, qui est plein, structuré. Dans en train de vivre, tout simplement, j plexe et fouillée, de l'intimité des êtres. À la recherche du temps perdu, le nar jusqu'à sa mort, pendant 30 ans. j o o rateur est étendu sur son lit, dans un CM On lit ça et on se sent scruté, on se sent révélé. Cette œuvre-là m'a humanisée demi-sommeil. Il se met à rêvasser et ELL : C'est une œuvre vers laquelle ! o et aidée à ne pas laisser entrer le ces trois minutes durent 150 pages! vous aimez revenir? h- cynisme dans ma vie. Malgré les dif Imagine le voyage que l'on fait durant S.M. : Oui, ce que j'aime particulière-1 < ficultés, les douleurs, la vilenie, il faut cet espace-temps; à quel point c'est ment relire, c'est son Contre Sainte- [ 00 dense ! Parfois, on perd le fil, mais ce LU être amoureux, humain. Dans la vie, Beuve : une œuvre critique contre la j Z on croit d'une part être unique et, n'est pas important; ce qui compte, critique. Tous ceux qui font du jour 8 -J c'est là où on est rendu dans sa tête 00 parallèlement, que tout le monde est nalisme ou de la critique devraient le LlJ après une page. C'est l'histoire d'un _J comme nous. Finalement, ce n'est ni lire, je te jure que ça leur donnerait un LU gars un peu désœuvré qui sait depuis en l'un ni l'autre ; et c'est ça, Proust. Il y méchant code d'éthique parce que \- z LU 16 ENTRE LES LIGNES énorme, une transposition du monde y humain dans un monde fabulé, avec £ de nouvelles règles, un véritable « ouvrage d'imagination. Dan Simmons P o a aussi écrit des choses très dures £ comme L'Échiquier du mal, une his toire de nazis presque insupportable « Pour Marcel Proust, les critiques sont des gens à lire, mais intéressante parce que de mauvaise humeur, qui s'improvisent éditorialistes, révélatrice de la psychologie humaine. qui parlent beaucoup d'eux-mêmes et très peu Simmons fait le choix de l'humanisme, c'est très clair dans toute son œuvre. de l'œuvre. » Et cet aspect-là est très important pour moi. Plus je vieillis, plus l'humanisme Proust était un artiste amoureux de recherche du temps perdu et, en quel prend de la place dans ma vie, dans l'art, de la culture, et il était conscient que sorte, une synthèse de ce qui pré mon regard sur les êtres et les choses. de l'importance de la beauté dans la cède. J'aime cette littérature où l'auteur vie. Pour lui, les critiques sont des cherche à donner son point de vue sur gens de mauvaise humeur, qui s'im ELL : Avez-vous fait d'aussi belles le monde dans lequel il vit en créant provisent éditorialistes, qui parlent rencontres avec des auteurs contem un autre monde. C'est une façon de beaucoup d'eux-mêmes et très peu porains ? nous donner des outils pour nous de l'œuvre. Moi aussi je pense que les S.M. : Oui, l'Américain Dan Simmons regarder en face sans que cela soit critiques devraient être des messa qui m'a assez fascinée pour que je rébarbatif. gers, des gens «connaissants», amou lise son œuvre entière. J'ai commencé ELL : Comme il est beaucoup ques reux de l'art. Ce regard de Proust sur par Les Cantos d'Hypérion, un roman tion de cinéma dans ces pages, y a- l'art est aussi présent dans Le Temps magnifique, foisonnant. C'est de la t-il un livre ou une œuvre dont vous retrouvé, le dernier volume d'À la vraie science-fiction : une fresque aimeriez voir l'adaptation à l'écran? »• ENTRE LES LIGNES ::: AUTOMNE 2004 I 17 SY E V ' S.M. : Tous les James Ellroy. J'ai vu morale-là, qui brouille tellement de la transposition cinématographique choses et qui fait qu'on a le jugement de L.A. Confidential, que j'ai adorée. si facile. On doit s'approprier nos pro Je trouvais magnifique de voir cette pres pensées, sans se laisser em œuvre-là s'incarner. J'aimerais voir brouiller par ce qu'il faut en penser. aussi la trilogie American Tabloïd. Je n'aime pas les lieux communs, je C'est une chronique romancée de la trouve cela suspect. fin des années 50, sur la crise cubaine, le communisme, les années Kennedy, ELL : Pensez-vous qu'il y a des livres la mafia et toute cette période des pour chaque tranche de vie? États-Unis, moitié fiction, moitié his S.M. : Oui, bien sûr. Proust, je l'ai lu torique. C'est très librement structuré, à 23-24 ans. À 16-17 ans, j'ai lu Jean- un peu comme si on lisait des archi Paul Sartre. J'étais au cégep, La Nau ves, des transcriptions de conversa sée, c'était moi. Ensuite, quand j'ai tions téléphoniques. Il y a chez Ellroy découvert Simone de Beauvoir, je me une grande profondeur; ce n'est pas suis dit que Sartre, franchement, il ne manichéen du tout. C'est bien et tour- l'avait pas pantoute ! Elle est telle- Dan immons « Quand on était sur la plage, on lisait un livre à haute Hy voix. À chaque chapitre on changeait de lecteur, à tour de rôle. On a lu tout le livre à quatre. C'est une activité extraordinaire ! » mentant à la fois parce que l'auteur ment meilleure romancière que lui. présente les deux côtés de la médaille, Pour moi, c'est une «vivante» et elle si bien qu'on ne peut prendre position le transmet très bien dans toute sa lit pour personne. Il n'y a pas de juge térature, notamment dans Mémoires ment dans son écriture et c'est ce que d'une jeune fille rangée. Ce que j'appré j'apprécie chez les auteurs. Pour moi, cie particulièrement de son écriture, la morale, c'est une lecture superficielle c'est son aspect «chronique», histo des choses. J'ai reçu une éducation reli rique. Dans l'œuvre entière de Simone Simone de Beainoir gieuse, très sévère, mais en même de Beauvoir se révèlent la guerre Mémoires temps j'ai été outillée pour aimer tous d'Algérie, le mouvement intellectuel, d'une jeune fille rangée les humains. La morale ambiante, le parti communiste.