Diptères torrenticoles peu connus : les et européens et circum-méditerranéens

Autor(en): Thomas, A.

Objekttyp: Article

Zeitschrift: Mitteilungen der Schweizerischen Entomologischen Gesellschaft = Bulletin de la Société Entomologique Suisse = Journal of the Swiss Entomological Society

Band (Jahr): 58 (1985)

Heft 1-4: Fascicule-jubilé pour le 80e anniversaire du Prof. Dr. Paul Bovey = Festschrift zum 80. Geburtstag von Prof. Dr. Paul Bovey

PDF erstellt am: 09.10.2021

Persistenter Link: http://doi.org/10.5169/seals-402186

Nutzungsbedingungen Die ETH-Bibliothek ist Anbieterin der digitalisierten Zeitschriften. Sie besitzt keine Urheberrechte an den Inhalten der Zeitschriften. Die Rechte liegen in der Regel bei den Herausgebern. Die auf der Plattform e-periodica veröffentlichten Dokumente stehen für nicht-kommerzielle Zwecke in Lehre und Forschung sowie für die private Nutzung frei zur Verfügung. Einzelne Dateien oder Ausdrucke aus diesem Angebot können zusammen mit diesen Nutzungsbedingungen und den korrekten Herkunftsbezeichnungen weitergegeben werden. Das Veröffentlichen von Bildern in Print- und Online-Publikationen ist nur mit vorheriger Genehmigung der Rechteinhaber erlaubt. Die systematische Speicherung von Teilen des elektronischen Angebots auf anderen Servern bedarf ebenfalls des schriftlichen Einverständnisses der Rechteinhaber.

Haftungsausschluss Alle Angaben erfolgen ohne Gewähr für Vollständigkeit oder Richtigkeit. Es wird keine Haftung übernommen für Schäden durch die Verwendung von Informationen aus diesem Online-Angebot oder durch das Fehlen von Informationen. Dies gilt auch für Inhalte Dritter, die über dieses Angebot zugänglich sind.

Ein Dienst der ETH-Bibliothek ETH Zürich, Rämistrasse 101, 8092 Zürich, Schweiz, www.library.ethz.ch

http://www.e-periodica.ch MITTEILUNGEN DER SCHWEIZERISCHEN ENTOMOLOGISCHEN GESELLSCHAFT BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ENTOMOLOGIQUE SUISSE 58, 449-460, 1985

Diptères torrenticoles peu connus: les Athericidae et Rhagionidae européens et circum-méditerranéens1

A. Thomas Laboratoire d'Hydrobiologie, Université Paul Sabatier 118 route de Narbonne, 31062 Toulouse Cedex, .

Little known lotie Diptera: european and circum-mediterranean Athericidae and Rhagionidae - The author presents long term biological and ecological results about littleknown Diptera Brachycera living in streams and their use as bioindicators. Lotie Rhagionidae larvae belong all to the genus Chrysopilus and, in comparison to edaphic species, are caracterized with a strong stigmates size and tracheal trees reduction. Athericidae larvae present some exceptional trophic adaptations. The main ecological factors restraining them are substratum stability and water temperature, usually high in summer. All known studied species show a strong trend to collective oviposition.

Jusqu'à Stuckenberg (1973), ont été réunis sous le nom de Rhagionidae des Diptères de morphologie et de biologie très différentes. En réalité, les caractères de cette famille restaient assez mal définis et l'ensemble manquait d'homogénéité. Quant à la division en sous-familles, quelque peu différente suivant les auteurs, elle était plus discutable encore. Le travail de Stuckenberg (t.c), effectué sur la morphologie et l'anatomie des imagos, a mis en évidence un petit groupe de genres présentant des relations phyléti- ques nettes avec les Tabanidae. L'auteur a ainsi proposé de créer une nouvelle famille regroupant le genre et des formes voisines: les Athericidae. L'étude de la morphologie et de la biologie des larves confirme la nécessité de cette séparation.

LES RHAGIONIDAE SENSU STRICTO À LARVES AQUATIQUES (LOTIQUES) Habitat

Classiquement, les larves de cette famille sont considérées comme «terrestres», c'est-à-dire édaphiques plus ou moins hygrophiles ou, plus rarement, capables de coloniser des tissus végétaux en décomposition. Seule, la larve de Chrysopilus auratus (Fabricius, 1805) avait parfois été rencontrée dans des berges de cours d'eau (Tsacas, 1962), des sources ou dans l'habitat madi- cole (rochers suintants: Vaillant, 1955). En réalité, en Europe occidentale et en particulier dans le Sud-Ouest de la France, deux autres espèces de Chrysopilus peuvent être considérées comme franchement aquatiques et même lotiques: Ch. erythrophthalmus (Loew, 1840) dont la larve n'a été découverte que récemment (Thomas, 1978) et Ch. torrentium Thomas, 1978. L'habitat des larves est constitué: - pour Ch. torrentium par les fonds de pierres des ruisseaux et torrents de moyenne et basse altitude, relativement chauds l'été.

1 Présenté dans le cadre du «Symposium d'Entomologie aquatique» lors de l'Assemblée annuelle de la S.E.S. les 23 et 24 mars 1985 à Lausanne.

449 - pour Ch. erythrophthalmus par les fonds de pierres et les Bryophytes aquatiques (en particulier Eurynchium riparioides) des ruisseaux et torrents froids de moyenne altitude. Dans les deux cas, il ne s'agit pas d'espèces simplement ripicoles car les larves peuvent être régulièrement prélevées sous une hauteur d'eau de quelques dizaines de cm, hors crues, et en plein lit à une distance des berges de plusieurs mètres. Dans les élevages, les larves âgées supportent très facilement des immersions de plus d'un mois sans avoir accès à la surface de l'eau. Voici quelques uns des taxas strictement aquatiques trouvés dans les mêmes prélèvements et donc faisant partie des mêmes biocénoses que les larves de Chrysopilus (dét. C. Berthelemy, H. Décamps et A. Thomas): - avec Ch. torrentium: Baetis lutheri. B. rhodani. Epeorus torrentium, Ephemerella ignita (Ephémérop- tères); Brachyptera risi, B. seticornis, Protonemura beatensis. P. intricata, P. praecox, P. pyrenaica. Amphinemura sulcicollis. Perla burmeisteriana. Siphonoperla torrentium (Plécoptères); Rhyacophila dorsalis. Chimarra marginata (Trichoptères). - avec Ch. erythrophthalmus: Baetis alpinus. B. rhodani. Ecdyonurus angelieri. Habroleptoides berthelemyi (Ephéméroptères)". Brachyptera rìsi. B. seticornis. Protonemura intricata. Nemoura fulviceps. Périodes microcephalus. Siphonoperla torrentium (Plécoptères); Rhyacophila evoluta. Rh. moczaryi. Rh. tristis. Hydrophsyche instabilis. H. pellucidula. Philopo- tamus montanus. Micrasema minimum. M. morosum (Trichoptères).

Morphologie des larves: adaptations à la vie en immersion Les larves ont un aspect d'asticot mais elles sont plus longues (elles peuvent atteindre 25 mm) et plus minces. Elles sont blanc jaunâtre et subcylindriques, amincies vers l'extémité antérieure. Le corps, à tégument épais, ne porte pas de pseudopodes abdominaux rétractables, mais seulement des bourrelets locomoteurs ventraux transversaux, complètement dépourvus d'épines ou de soies sauf sur le dernier segment. Dans la région postérieure, s'ouvrent deux gros stigmates, entre quatre lobes terminaux, deux dorsaux et deux ventraux. On observe un gradient morphologique entre les trois espèces. Ch. torrentium occupe en effet une position intermédiaire entre l'espèce d'origine édaphique (Ch. auratus) et la forme la plus torrenticole (Ch. erythrophthalmus): - on relève une diminution importante de la taille des stigmates chez les deux espèces franchement lotiques: au dernier stade larvaire, ceux-ci sont circulaires et d'un diamètre de 155 à 170 um chez ces dernières (Planche I, 2 et 3), alors qu'ils sont ovales et mesurent de 270 à 290 um sur le grand axe chez Ch. auratus (Pl. I, 1). Il en résulte aussi une sensible diminution du nombre des pores périphériques. La surface (section) des troncs trachéens principaux est diminuée de 85% dans le dernier segment chez Ch. erythrophthalmus et Ch. torrentium par rapport à Ch. auratus. - par contre, les lobes terminaux sont de plus en plus longs et donc de plus en plus mobiles - et ainsi susceptibles de protéger les stigmates en se refermant - dans la série auratus - torrentium - erythrophthalmus. Ces caractères sont autant d'adaptations à la vie en immersion par réduction des risques de pénétration d'eau dans les troncs trachéens. D'autre part, chez Ch. erythrophthalmus. le long bourrelet préanal épineux des deux autres (Pl. I, 4 et 5) fait presque entièrement défaut.

450 Appareil buccal: régime alimentaire L'appareil buccal est de type perforant suceur (Tsacas, 1962) avec un complexe maxillo-mandibulaire massif (Pl. I, 6) qui participe aussi, chez les espèces édaphiques, à la locomotion (les protubérances de la lacinia sont fréquemment très usées). La mandibule, épaisse et robuste, ne possède pas de canal interne mais une simple cannelure latérale, ce qui diminue à la fois l'efficacité de l'injection anesthésiante sur les proies et le rendement de la prise de nourriture: cette dernière se fait par aspiration des tissus, surtout musculaires, liquéfiés (digestion partiellement extra-orale). Malgré des mouvements lents, les larves de Chrysopilus sont de redoutables prédateurs, capables de tuer d'autres formes zoophages (Tabanidae, Athericidae de taille équivalente ou supérieure). Lorsque les proies sont de petit diamètre relatif (Oligochè- tes, Chironomides), la région thoracique s'enroule autour de la victime avant la perforation.

Nymphose

Les nymphes, brun rougeâtre, sont fortement chitinisées et peu mobiles. Elles portent des couronnes de crochets de fixation sur l'abdomen. La nymphose, aérienne, a en effet lieu sur un support émergé - par migration des larves jusqu'à 2 m au dessus de l'eau - le plus souvent d'origine végétale (Bryophytes bordants).

Répartition Jusqu'à maintenant, des larves de Chrysopilus aquatiques ont été récoltées dans plus de trente cours d'eau des Pyrénées, des Prépyrénées et du Massif Central français. Les altitudes maximales relevées sont de: 1400 m pour Ch. auratus et de l'ordre de 1000 m pour Ch. erythrophthalmus et Ch. torrentium.

LES ATHERICIDAE

Espèces européennes et circum-méditerranéennes

8 espèces sont actuellement connues et décrites avec une précision autorisant leur identification; ce sont, regroupées en trois genres:

Atherix ibis (Fabricius, 1798);

Ibisia amicorum Thomas, 1985, /. dispar (Bezzi, 1909) Atherigia dalmatina Szilady, 1934 (syn. nov.), /. marginata (Fabricius, 1781), I. maroccana (Sêguy, 1930), /. vaillanti Thomas, 1982;

Atrichops crassipes (Meigen, 1820), A. numidicus Thomas & Gagneur, 1981.

Habitat Les larves, très contractiles possèdent un tégument à la fois souple et résistant. Les longueurs maximales observées sont, au dernier stade, d'environ 30 mm chez A. ibis, 20 mm chez et 15 mm chez Atrichops. Les Atherix et Ibisia se trouvent dans les torrents, ruisseaux et rivières, colonisant les Bryophytes aquatiques ou, surtout, s'encastrant étroitement, avec obstination, entre les pierres du fond (Pl. II, 7 et 8) par courant vif (0,4 à lm/s). Les Atrichops,

451 psammophiles, vivent dans les accumulations de sédiments des cours d'eau lents ou entre les pierres du fond, lorsqu'elles sont plus ou moins ensablées. Déposées à la surface d'un sédiment, les larves s'y enfoncent rapidement (Pl. IL, 9 et 9'), ne laissant dépasser que les prolongements postérieurs respiratoires.

S

ss a, **

ft

' t <¦» i * t md. D W

Planche I: larves de Chrysopilus au dernier stade. Echelle 100 um. 1 à 3: lobes dorsaux et stigmates en vue ventrale chez Ch. auratus 1 Ch. torrentium (2) et Ch. erythrophthalmus (3). 4 et 5: bourrelet épineux préanal ventral et latéral chez Ch. auratus (4) et détail de la région latérale chez Ch. torrentium (5). 6: appareil buccal chez Ch. erythrophthalmus (mandibule gauche md. G après ablation de la maxille; à droite, complexe maxillo- mandibulaire en place, avec ga.=galea, la.=lacinia).

Punche II. 7 à 11: larves d'Athericidae au dernier stade. Echelle 5 mm (7, 8, 9, 9') et 20 um 10, 11). 7: larve i' à l'affût sous une pierre (fond transparent). 8: attitude collective de larves à'A. ibis pendant un jeûne de plusieurs semaines. 9-9': vues dorsale et latérale d'une larve a'Atrichops crassipes s'enfonçant dans un fond de sable (p.p.»prolongements postérieurs; photos H. Tachet, Lyon). 10: appareil buccal d'A. ibis. 11: ouverture préapicale du canal mandibulaire interne. 12 et 13: gouttières d'élevage à fond transparent (12) ou opaque (13). a.= arrivée d'eau, e.=évacuation. Pente et débit réglables.

452 »

î • :• -, t ragft .3

" y.:-' p. p «ft

«,,-. y

*• f

I

r^*L ¦?' LKV>x ^.vi

1 2 13

¦^

453 Microhabital des larves torrenlicoles (Atherix et Ibisia) et conséquences La Pl. II, 7 montre par dessous une larve d'A. ibis immobile, à l'affût dans un ruisseau artificiel à fond transparent. La vitre tient ici lieu en fait d'une autre pierre (on peut constater l'aplatissement, par compression, des tergites abdominaux). Ces animaux vivent en effet étroitement encastrés dans le substratum pierreux et, seule la région antérieure, libre, garde sa section circulaire et peut se télescoper puis, d'une détente fulgurante, harponner une proie éventuelle; cette dernière est ensuite tirée à l'abri pendant la durée de la succion. Conséquences: - Ce microhabitat assure une bonne protection des larves d'Athericidae contre les gros prédateurs (notamment des jeunes vis- à- vis des Perlidae ou des Rhyacophili- dae par exemple) et en particulier des Salmonidae. - Par contre, la survie des larves est très tributaire de la stabilité du fond. Tout déplacement des pierres, même minime - par exemple sous l'action de fortes vibrations - risque de les écraser. Ainsi, les Athericidae seront rares ou même totalement absents dans les cours d'eau soumis à des crues particulièrement violentes ou dans les sections à très forte pente (plus de 25%). En revanche, la pullulation de populations larvaires à!Atherix ou d'Ibisia sera toujours l'indication d'un fond stable.

Appareil buccal: régime alimentaire; comportement trophique Les larves d'Athericidae sont dotées d'un appareil buccal très proche de celui des Tabanidae avec un complexe maxillo-mandibulaire perforant et pivotant qui assure: la paralysie de la proie, l'ancrage de la tête du prédateur dans la victime et une digestion préorale des tissus de cette dernière. Les mandibules sont pourvues d'un canal interne (Pl. II, 10 et 11), ce qui permet une grande efficacité à la fois lors du déversement anesthésiant (paralysie totale obtenue en quelques secondes, même sur une larve plus grosse que l'Athericidae) et lors de l'aspiration du contenu liquéfié de la proie qui est parfaitement vidée (il n'en subsiste que l'enveloppe chitineuse externe et le tube digestif). Le rendement de la prise de nourriture est donc très élevé, en particulier par rapport aux prédateurs de type «broyeur» qui déchiquètent leurs proies au fil de l'eau. Plusieurs centaines d'observations, effectuées de jour et de nuit sur 600 larves élevées en aquarium ont montré que: - le temps nécessaire à cette ingestion par succion est toutefois élevé: il varie, selon les tailles relatives de la proie et du prédateur, d'une dizaine de minutes à plus d'une heure. - l'appareil buccal est efficace sur une large gamme de tailles relatives. Il permet la perforation de proies d'un diamètre seulement égal au double de la largeur de l'appareil buccal de l'Athericidae, ce qui correspond en général à une longueur du corps de 5 à 10 fois inférieure à celle du prédateur. A l'inverse, les larves d'Athericidae jeunes peuvent perforer des proies deux ou trois fois plus longues qu'elles. Dans ce cas, elle n'absorbent pas tout le contenu de la victime sauf si deux ou plusieurs larves vident le même individu. - le principal facteur limitant les possibilités de perforation est l'épaisseur du tégument des autres invertébrés: ainsi les coléoptères, surtout les adultes, échappent-ils à la prédation par les Athericidae; de même, les Gammares sont rarement perforés. Les animaux sécrétant de grandes quantités de mucus (Planaires, Oligochètes) ne sont pas chassés non plus par les Athericidae qui, au contraire, reculent à leur contact. Dans l'ensemble, les formes pétricoles (Atherix et Ibisia), par leur très grande souplesse, leurs éléments chitineux rigides de petites dimensions, et leur comporte-

454 ment fouisseur, sont particulièrement adaptées à chasser dans les interstices où elles atteignent des invertébrés de faible diamètre, beaucoup mieux que ne peuvent le faire la plupart des autres prédateurs lotiques - à capsule céphalique volumineuse et segments rigides. Il en résulte une euryphagie, touchant une importante diversité d'invertébrés d'eau courante et ce, pendant une grande partie du cycle de ces derniers. Les proies peuvent se ranger en trois catégories principales: - proies usuelles, à chitine mince et microhabitat voisin de ceux des Athericidae soit essentiellement: les Ephéméroptères Baetidae, Heptageniidae et Leptophlebiidae; les Plécoptères Leuctridae; les Trichoptères Philopotamidae; les Diptères Chironomidae et Limoniidae. - proies occasionnelles, à chitine plus épaisse et / ou microhabitat moins favorable (vitesse du courant, face supérieure des pierres): les Ephéméroptères Ephemerel- lidae; les Plécoptères Nemouridae, Perlodidae et Chloroperlidae; les Trichoptères Hydropsychidae; les Diptères Simuliidae. - les proies rares à cause de leur grande taille, leur tégument épais, leur microhabitat défavorable ou leur comportement lui-même prédateur: les Amphipodes Gammaridae; les Trichoptères Polycentropodidae et Rhyacophilidae, la plupart des Trichoptères à fourreau; les Diptères Tipulidae et Blephariceridae. Un autre caractère trophique intéressant est la résistance au jeûne, peu commune, des larves d'Athericidae. Ces dernières peuvent, au dernier stade, supporter un jeûne de plusieurs mois et être quand même à l'origine d'un adulte - de taille réduite, il est vrai. Cette faculté permet aux populations d'Athericidae de s'adapter facilement, par exemple, à l'émergence massive d'une espèce d'Ephéméroptères en attendant des conditions trophiques plus favorables. Malgré un jeûne éventuel, le cannibalisme reste très faible. Par exemple, une expérience effectuée sur 273 larves d'A. ibis de 5 à 23 mm rassemblées en un même aquarium et privées de toute nourriture pendant deux semaines à une température moyenne supérieure à 20°C, a révélé une mortalité par cannibalisme inférieure à 10% alors que la reprise de la prédation a été immédiatement consécutive à la réintroduction de larves de Chironomidae âgées (268 victimes la première nuit!). L'observation diurne et nocturne de larves âgées dans un ruisseau d'élevage à fond transparent (Pl. II, 8) montre une grande tolérance des individus vis- à- vis les uns des autres. En aucun cas, il n'est observé de comportement territorial net; bien au contraire, les larves se regroupent côte à côte sous les pierres et limitent beaucoup leur activité lorsqu'elles manquent de nourriture. Ce comportement est très éloigné de celui de la plupart des autres insectes lotiques prédateurs. Conclusion: Les larves d'Athericidae sont donc particulièrement adaptées à une éventuelle pullulation dans les biocénoses lotiques grâce à: leur rendement lors de la prise de nourriture, leur grande euryphagie, leur exceptionnelle faculté de résistance au jeûne et leur cannibalisme réduit. Or, de fantastiques pullulations d'Athericidae sont connues depuis fort longtemps, puisqu' Aldrich (1912) a signalé que des peuplades d'Indiens d'Amérique du Nord utilisaient pour se nourrir des gâteaux d'adultes d'Atherix.

Ponte

Les 9 d'Athericidae pondent toujours sur un support surplombant l'eau: à l'éclosion les larves tombent dans le cours d'eau. Ces pontes sont souvent collectives, les S

455 se rassemblant sur le substrat retenu (rocher, pont, végétation). Chez Atherix ibis, les 9 restent rattachées à la masse d'œufs expulsée et l'ensemble peut dépasser un volume d'un dm3. Chez les Ibisia européennes, les 9 se séparent des œufs mais le support observé jusqu'ici est toujours constitué par des feuilles d'arbres caduques (Acer pseudoplatanus. Fraxinus excelsior. Fagus silvatica. Corylus avellana. Alnus glutinosa). La même feuille peut porter jusqu'à 400 pontes et 150.000 œufs. Toutefois, la dernière espèce d'Ibisia décrite (1. amicorum Thomas, 1985), trouvée à haute altitude (plus de 2000 m) dans une région aride (Haut Atlas marocain) n'est sans doute pas assujettie à un site de ponte de ce type. Des pontes d'Atrichops ont été observées, pour la première fois, par M. J. Gagneur (Université de Tlemcen. Algérie) sur des feuilles de Composées en surplomb d'un oued.

Nymphose

Comme celle des Rhagionidae, la nymphose des Athericidae est aérienne et a lieu sur un substrat émergé, bordant (graviers, sables, Bryophytes).

Dérive

La dérive des larves d'A. ibis a été étudiée sur un ruisseau des Hautes-Pyrénées: le déversoir du Lac de l'Ile (petite retenue naturelle) à 2150 m d'altitude, où cette espèce pullule. La température de l'eau a varié de 10°C à 16.5°C et la totalité du débit a traversé le filet de récolte - relevé toutes les heures pendant 24 heures. La comparaison des effectifs du standing crop et de la dérive montre que le drift des larves d'.4. ibis est négligeable, de jour comme de nuit. En outre, les larves dérivantes sont souvent en cours d'exuviation. La seule espèce d'invertébrés benthiques - sur plus de 30 identifiées - présentant un taux de dérive aussi faible qu'A ibis est la Planaire Polycelis felina.

Répartition écologique des espèces dAthericidae dans le Sud-Ouest de la France 237 stations, réparties sur 108 cours d'eau ont été prospectées. Principaux paramètres écologiques. Ce sont essentiellement la température et la pente du cours d'eau et, pour les Ibisia, la présence d'arbres à feuilles caduques bordants. Le tableau 1 indique les amplitudes altitudinales atteintes par chaque espèce. , bien que la plus sténotherme, a une expansion en altitude limitée à l'étage des feuillus (site de ponte). Au contraire. Atherix ibis peut coloniser des cours

Tab. 1. Répartition des espèces d'Athericidae (Hautes-Pyrénées. Prépyrénées et région toulousaine).

Température de l'eau en été (°C) Altitu 3e m minimum maximum optimum max. min. necessaire relevé Atherix ibis 14 24 16-20 2200 140 Ibisia marginata 11 18 14-15 1550 470 Ibisia vaillanti* 15 25 20-21 525 140 Atrichops crassipes 19 30 530 65

dans le réseau hydrographique du Lot: 1100-350 m. dans les Pyrénées-Orientales : 85 0 m.

456 d'eau en prairie alpine, à pente et débits modérés, par conséquent relativement chauds l'été (jusqu'à 20°C et même davantage). Ibisia vaillanti, plus thermophile qu' /. marginata, remplace cette dernière en basse altitude, mais les deux espèces peuvent, à la limite, cohabiter dans les cours d'eau. /. vaillanti remonte d'ailleurs beaucoup plus haut en altitude dans le massif Central que dans les Hautes-Pyrénées à cause de températures estivales de l'eau plus élevées et probablement aussi grâce à la réduction de la concurrence avec /. marginata, beaucoup moins fréquente et moins abondante dans ce massif que dans les Pyrénées. Atrichops crassipes. de par son habitat (psammon) est exclusivement cantonnée aux cours d'eau lents, envasés et chauds l'été.

Athericidae et influences humaines

En raison de leur grande robustesse, les Athericidae ne sont pas des indicateurs biologiques de dégradation des cours d'eau aussi sensibles que d'autres groupes d'insectes (par exemple les Ephéméroptères, les Plécoptères ou les Diptères Dixidae). Cependant, voici deux exemples de populations de larves en extension sous l'action des influences humaines.

Actions humaines par perturbation du débit

(Le Laudot, Montagne Noire)

Le ruisseau de Laudot est un torrent non pollué au débit très artificiel. Au 17e siècle, a été édifié sur son cours le barrage de st Ferréol, destiné à l'alimentation du Canal du Midi (Bordeaux-Sète). Le débit originel du Laudot étant insuffisant, il a été aménagé, à cette époque, un canal collecteur de plusieurs autres ruisseaux: la Rigole de la Montagne Noire. Celle-ci se déverse dans le Laudot en amont - par un système de vannes - et augmente considérablement le débit de ce dernier pendant toute l'année. L'éventuel excédent par rapport aux besoins est dérivé vers une usine hydroélectrique.

Autres caractéristiques physiques du Laudot: altitude à la station d'étude: 545 m; largeur du cours: 3,5 à 6 m; pente moyenne: 3,3%; température maximale (août): 21 °C; débit ne dépassant pas 3 m3/s; épais couvert de feuillus composite avec surtout: Acer campestre, Fraxinus excelsior, Corylus avellana, Fagus silvatica. Le Laudot présente ainsi les particularités essentielles suivantes: - les crues modérées, «régulées» et une utilisation pendant très longtemps en ont stabilisé le fond; - par rapport à un régime naturel avec de fortes crues saisonnières, ces variations de débit sont très fréquentes toute l'année mais, surtout, elles s'établissent très rapidement - le temps de manœuvrer les vannes - ce qui a une forte influence sur la composition de la faune benthique, en particulier sur les groupes d'invertébrés à taux de dérive élevé. Il en résulte un peuplement très tranché, avec: - une grande abondance, d'une part, d'espèces adaptées à se fixer sur les fonds de pierres (en particulier les Ephéméroptères Heptageniidae et les Trichoptères Hydropsychidae) et, d'autre part, de formes de faible diamètre, de petite taille ou à comportement fouisseur (Oligochètes, Plécoptères Leuctridae, Coléoptères Elmidae, Diptères Limoniidae et Athericidae) qui peuvent s'enfoncer dans les interstices. - une faible abondance relative de formes torrenticoles à dérive élevée qui se

457 laissent probablement «surprendre» (Ephéméroptères Baetidae, Plécoptères excepté les Leuctridae. Diptères Simuliidae). 24 prélèvements, effectués au filet Surber de 0.2 m2 de surface, ont permis de récolter 20.350 invertébrés benthiques dont une grande partie a pu être identifiée spécifiquement. Le tableau 2 indique, pour chaque série de prélèvements, le pourcentage moyen de la biomasse des larves d'Atherix ibis par rapport au total de la faune des macroinvertébrés benthiques. Il rend compte aussi du rapport des biomasses instantanées entre les larves de cette espèce - de très loin le principal invertébré prédateur du Laudot - et leurs proies usuelles et possibles. Les valeurs obtenues sont extrêmement élevées; elles ne tiennent pas compte de la production des différents groupes du benthos mais elles permettent cependant de penser que seuls les caractères trophiques adaptatifs des larves d'A. ibis autorisent une telle pullulation.

Il est intéressant de noter que la grande abondance d'A. ibis a des conséquences sur le peuplement piscicole du Laudot. La reprise en mars des truites de 22 à 24 cm, introduites au mois d'octobre précédent, a en effet révélé une importante perte de poids, attribuable à une carence trophique. Les Salmonidae rencontrent dans ce torrent des conditions de nutrition défavorables par suite du manque de larves d'insectes - en particulier à dérive élevée - intervenant normalement dans leur régime alimentaire. Probablement, une grande partie de la production de ce cours d'eau sert-elle exclusivement à la croissance et au maintien en forte densité des larves d'A. ibis. Or, il est connu que les Athericidae. par leur comportement fouisseur et leur faible dérive, ne constituent qu'une part très secondaire de l'alimentation des truites. L'équilibre de l'écosystème du Laudot parait donc dominé, dans une large mesure, par A. ibis dont la pullulation perturbe gravement la chaîne trophique naturelle.

Tab. 2. Biomasses d'Atherix ibis par rapport au total de la faune des macroinvertébrés benthiques et du rapport des biomasses instantanées entre les larves d'.4. ibis et leurs proies (années 1973-74).

BIOMASSES ^~""\^ DATES 13-7 1-¦3 26-4 11-6 16-7 2-9 24-10

En pourcentages: A. ibis/faune totale 13,5 22 2 23,1 13,4 9,8 16,6 7,5 En rapports: A. ibis/proies usuelles 1,1 1 5 1,3 0,4 0,9 1,0 1 ,2 A. ibis/proies possibles 0,8 0 7 1,1 0,3 0,3 0,6 0 ,5

Actions humaines par pollutions organiques modérées.

(Le Volp. Prépyrénées) Le Volp est une petite rivière des Prépyrénées, affluent de rive droite de la Garonne. Elle mesure 40 km de long et coule entre 530 et 230 m d'altitude. Elle n'est pas non plus soumise à une violente pollution ponctuelle mais plutôt à une évolution progressive dans le temps. En effet, depuis deux décennies, le nombre de maisons riveraines et des égouts d'agglomérations à déversement plus ou moins direct dans le cours d'eau est en hausse, ainsi que l'épandage d'engrais et de pesticides dans les champs du bassin versant.

458 Ce cours d'eau présente l'avantage d'avoir été très étudié entre 1955 et 1962 par M. C. Berthelemy (Université Paul Sabatier). Des comparaisons avec des relevés plus récents 1976) effectués par moi-même sont ainsi rendus possibles. Il apparaît qu'en moins de deux décennies, les densités de populations larvaires d'Atherix ibis. Ibisia vaillanti et Atrichops crassipes se sont considérablement accrues à toutes les stations étudiées. Mais aussi et surtout, l'espèce A. ibis absente autrefois dans le cours supérieur du Volp (par exemple, à 430 m d'altitude, 63 prélèvements négatifs sur 63 jusqu'en 1962, 3 prélèvements positifs sur 3 en 1976) a progressé d'au moins 10 km vers l'amont. Ses populations de larves sont sans doute en train d'envahir progressivement les zones rapides de ce cours d'eau. Cette expansion s'est peut être faite au détriment d'autres insectes prédateurs moins robustes. Un facteur déterminant paraît être la concentration de l'eau en oxygène, dont les valeurs peuvent s'abaisser dans le Volp à 80-85% de la saturation en fin de nuit, l'été. Or, de telles valeurs sont très facilement supportées en élevage par les larves d'Athericidae pendant plusieurs jours en continu. Des valeurs de seulement 40% de la saturation en oxygène ont été maintenues pendant plusieurs heures sans même provoquer leur dérive!

Conclusion

Dans l'ensemble, les perspectives d'avenir et de survie des espèces d'Athericidae paraissent plutôt favorables à court et à moyen terme en raison de leur robustesse, de leur tolérance vis- à- vis des variations de la concentration en oxygène de l'eau et de leurs grandes possibilités d'adaptations trophiques. La perturbation la plus à craindre est - pour les Ibisia seulement - le déboisement intense et incontrôlé des rives des cours d'eau.

Intérêt et avantages présentés par ce matériel Les Athericidae, encore peu connus et peu utilisés en hydrobiologie, présentent d'importants avantages pratiques, au moins en Europe: - entre autres, la robustesse et la grande souplesse des larves fait que celles-ci sont très rarement lésées lors des prélèvements, même sur fonds de pierres en courant rapide. En outre, le transport d'individus vivants s'accomplit aisément sur de longues distances sans aucune mortalité, avec des précautions réduites ou nulles; - d'autre part, l'élevage des larves est grandement facilité - en particulier sur de longues durées - par l'absence d'exigences strictes en ce qui concerne: le régime alimentaire (composition, fréquence des prises de nourriture), les densités de populations pour un prédateur (cannibalisme réduit), la nature du substrat, la température et même le taux d'oxygène dissous, pour des animaux d'eau courante. Tous ces facteurs sont précieux lors d'études de cycles de développement, de nutrition, de comportement ou de toxicité.

RESUME

L'auteur présente le résultat de plusieurs années d'observation sur la biologie et l'écologie de Diptères Brachycè- res torrenticoles peu connus, ainsi que leur limite d'utilisation en tant que bioindicateurs. Les larves de Rhagionidae lotiques appartiennent toutes au genre Chrysopilus et se caractérisent surtout, par rapport aux formes édaphiques. par une très forte réduction de la taille des stigmates et des troncs trachéens. Les larves d'Athericidae présentent des adaptations d'ordre trophique exceptionnelles. Leurs principaux facteurs écologiques limitants sont la stabilité du fonds des cours d'eau et la température de l'eau en été. nécessairement assez élevée. Toutes les espèces étudiées jusqu'ici présentent une forte tendance à l'oviposition collective.

459 BIBLIOGRAPHIE

Aldrich, J.M. 1912. ofihe Leplid genus Atherix used as food by California Indians (Dipl.). Ent. News. 23(4): 159-163. Stuckenberg. B.R. 1973. The Athericidae. a newfamily in ihe lower Brachycera (Diplera). Ann. Natal Mus.. 21 (3): 649-673. Thomas, A.G.B. 1978. Diptères torrenlicoles peu connus. V. Les Rhagionidae (genre Chrysopilus) du Sud de la France (Brachycera. Orthorrhaplla). Bull. Soc. Hist. nat. Toulouse. 114 (3/4): 305-331. Thomas, A. 1981. Travaux sur la taxonomie. la biologie el l'écologie d'insectes torrenlicoles du Sud- Ouest de la France (Ephéméroptères et Diptères: Dixidae. Cecidomyiidae. Rhagionidae el Athericidae). avec quelques exemples de perturbations par l'homme. Thèse de Doctorat d'Etat. Univ. Toulouse. n°988: 330"pp. Tsacas, L. 1962. Recherches sur la structure et lefonctionnement de la tète et des pièces buccales larvaires des Rhagionidae (Diptères). Mém. Mus. natn. Hist. nat.. Paris, sér. A. 27 (2): 147-235 + 16 pl. Vaillant, F. 1955. Recherches sur la faune madicole (hygropétrique s.l.) de France, de Corse et d'Afrique du Nord. Mém. Mus. nam. Hist. nat.. Paris, sér. A. Il: 1-258 + 6 pl.

(reçu le 6 juin 1985)

460