Jean Lorrain, L'illusionniste Interférences Entre Monde(S) Et Fiction
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Jean Lorrain, l’illusionniste : interférences entre monde(s) et fiction Élodie Dufour To cite this version: Élodie Dufour. Jean Lorrain, l’illusionniste : interférences entre monde(s) et fiction. Littératures. 2009. dumas-00399866 HAL Id: dumas-00399866 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00399866 Submitted on 29 Jun 2009 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Université Stendhal (Grenoble III) UFR de Lettres et arts Département de Littératures Jean Lorrain, l'illusionniste Interférences entre monde(s) et fiction Mémoire de recherche pour Master Littératures 1ère année Parcours « Écritures et représentations (XIXe-XXIe siècles) » 30 crédits Présenté par: Directeur de recherche: Élodie DUFOUR Bertrand VIBERT Professeur Année universitaire 2008-2009 1 Remerciements Non seulement pour sa patiente assistance tout au long de l'année, mais encore pour les courts stimulants dispensés en licence, et qui sont sans doute à l'origine de ce mémoire, merci à M. Vibert, qui m'a apporté ses lumières avec une grande disponibilité ainsi qu'une grande générosité. Par avance, merci également au deuxième membre du jury, qui a fort aimablement accepté de me lire et de m'offrir ses critiques. 2 Avertissement Afin d'alléger la lecture des pages à suivre, on abrégera le titre de Monsieur de Bougrelon: M. de B. et celui de Princesses d'ivoire et d'ivresse: Pr. d'iv. et d'iv. 3 Introduction « De ce fruit éternel [le désir], M. Jean Lorrain, au lieu de le manger tout cru, fait des sirops, des gelées, des crèmes, des fondants, mais il mêle à sa pâte je ne sais quel gingembre inconnu, quel safran inédit, quel girofle mystérieux, qui transforme cette amoureuse sucrerie en un élixir ironique et capiteux. » Remy de Gourmont, « Jean Lorrain », Le Deuxième Livre des masques (Mercure de France, 1898, p. 58) A. Pourquoi lire Jean Lorrain (1855-1906) aujourd'hui? Un bref panorama critique « Il y a de tout dans l'œuvre de Jean Lorrain... et le pire y abonde: mauvais vers, roman sans intérêt, etc. [...] Mais Monsieur de Bougrelon est une charmante petite nouvelle, pittoresque, bien écrite, verveuse... un charmant bibelot qui n'a rien perdu de son éclat et de son intérêt.1 » Ces mots de Robert Desnos, qui entament un court article de présentation de Monsieur de Bougrelon, résument une opinion répandue sur l'œuvre de celui qui fut sans doute l'écrivain le plus représentatif de la veine décadente: si l'on accorde un peu d'intérêt à Jean Lorrain, c'est presque à regret et avec une hauteur qui dissimule mal, sous la minceur de l'éloge, une certaine condescendance. Les avis sont cependant partagés et s'échelonnent sur un large spectre. Dans un article des années trente, traitant des plagiats de Lorrain et reprochant à ses défenseurs de l'en excuser par son métier de chroniqueur qui l'astreignait à un rythme de production soutenu, Léon Guichard se fait encore plus acerbe: « On ne peut pas pondre et vivre comme Jean Lorrain — et écrire... mettons comme Flaubert.2 ». Sans doute, toute l'œuvre de Lorrain n'est pas à envisager avec un égal intérêt; on compte des textes moins parachevés que d'autres, des romans à scandales de moindre qualité comme, à notre appréciation, Le Poison de la Riviera3, roman posthume aux finitions assez grossières mais que n'eût sans doute pas publié Lorrain en l'état (c'est Georges Normandy, son légataire, qui s'en chargea). Même ses romans les plus salués, comme Les Noronsoff4 et Monsieur de Phocas5, peuvent sembler vieillis par quelque aspect et de qualité inégale6. C'est avec la conscience des quelques faiblesses de l'auteur que nous en entreprenons l'étude. On ne jette pas la récolte pour quelques pommes gâtées et il y a un roman qui, d'après nous, rachète 1. Robert Desnos, « Monsieur de Bougrelon », Mines de rien, éd. « Le temps qu'il fait », 1985, p. 32 2. Léon Guichard, « Jean Lorrain plagiaire », Bulletin des Lettres, 25 février 1936, p. 63 3. Le Poisons de la Riviera [1911 posth.], La Table Ronde, 1992 4. Les Noronsoff [1902], La Table Ronde, 2002 5. Monsieur de Phocas: Astarté, Ollendorff,1901 6. Monsieur de Phocas, sans doute l'œuvre la plus promue de Jean Lorrain, est une somme de la Décadence qui n'échappe pas aux redites. J.-B. Baronian dresse le même constat, à propos de la production de Lorrain: « Là-dedans, beaucoup de choses ont vieilli. Ce qui demeure a néanmoins une rare séduction [...] » (« Jean Lorrain: des masques qui tombent », in Panorama de la littérature fantastique de langue française, Stock, 1978, p. 147). 4 tous les autres: Monsieur de Bougrelon1, longue nouvelle qui couronne l'apogée de la carrière de son auteur. Nous plaçons à son niveau le conte de La Mandragore2 et dans une certaine mesure le recueil Princesses d'ivoire et d'ivresse3 qui, sur un tout autre ton, exhalent une atmosphère d'un onirisme rare ainsi qu'une puissante poésie, d'une majesté empruntée aux tableaux préraphaélites, insoupçonnée sous la plume de l'acerbe chroniqueur des Pall-mall semaine. Prenons rapidement la température de la fortune de cette œuvre. Il faut avouer que la littérature décadente ne suscite pas aujourd'hui l'engouement des foules; et bien peu nombreux sont les lecteurs qui s'y risquent pour leur plaisir — faute, bien souvent, d'en avoir ouï parler. L'aura de l'esthétique décadente est bien mince en effet. Tout au plus connaît-on Huysmans pour son œuvre maîtresse, À rebours; encore est-ce le plus souvent de seconde main, à travers les généralités des cours d'histoire littéraire ou par les mentions très anecdotiques des manuels du secondaire. Même l'université propose assez peu de cours sur le sujet (rendons cependant justice aux heureuses entreprises), et il faut le découvrir par hasard coincé entre deux volumes d'une bibliothèque, à moins d'y être initié par quelque amateur de fortune. Quelles raisons invoquer à cette longue chute dans l'oubli? Certes, une partie de l'œuvre décadente paraît datée aujourd'hui, si bien qu'on en comprend mal les finesses4. Mais les divergences ne doivent pas éclipser les intérêts communs à notre époque5, et certaines préoccupations des auteurs décadents apparaissent très modernes, actuelles encore. Alors, que vaut à ces auteurs, qui connurent la gloire en leur temps, le statut d'écrivains secondaires, de minores? Cependant, une tentative de rachat a été amorcée avec un certain succès dans les années 1980 et 1990, accompagnée d'un retour en grâce de Lorrain; encore que le fait ait surtout concerné les universitaires6. À cette époque, les ouvrages sur la Décadence se multiplient, parmi lesquels on 1. Jean Lorrain, Monsieur de Bougrelon, in Romans Fin-de-siècle, Paris: Robert Laffont, « Bouquins », 1999 [Première publication en feuilleton dans Le Journal, du 30 janvier au 10 mai 1897. Première édition complète aux éditions Borel, 1897] 2. Jean Lorrain, « La Mandragore » [éditions Pelletan, 1899], in Princesses d'ivoire et d'ivresse, Motifs, n°291, 2007 3. Jean Lorrain, « Princesses d'ivoire et d'ivresse » [Ollendorff, 1902], in Princesses d'ivoire et d'ivresse, Motifs, n° 291, 2007 4. Jean de Palacio constate que dans les années 60, lorsqu'a commencé son intérêt pour la littérature fin-de-siècle, ni l'université ni le marché du livre ne s'en souciaient: « Les lettres de Jean Lorrain s'acquéraient à la grosse chez tel marchand de la rue de Seine. Et l'on avait, rue Bonaparte, pour deux cents francs, le manuscrit complet de son roman inachevé! » (Figures et formes de la Décadence, Séguier, 1994, p. 10). Il explique cette réticence comme suit: « La Décadence est une littérature d'abord difficile. L'espérer jamais populaire serait commettre un non-sens. Elle oppose au lecteur le barrage de son érudition, de son écriture et de ses silences. Pour être porteuse de scandale et dénuée de réconfort, elle inspire toujours la méfiance et la gêne » (p. 11). Et ajoute: « [Ces écrivains] ne sont pas des fréquentations avouables » (pp. 11-12); « Nous souffrons toujours actuellement d'un lansonisme sournois, qui a voué à l'ostracisme une part importante de la production littéraire "fin-de-siècle" » (pp. 13-14). Une certaine pruderie a sans doute freiné l'étude des auteurs décadents car, comme Ana Gonzalez Salvador le formule bien, Lorrain exerce une fascination difficile à avouer « dans la mesure où elle s'accommode de l'abject » (« Lorrain infâme », in « Jean Lorrain: vices en écriture », Revue des sciences humaines, février 1993, n°230, p. 9). 5. Si la fin du XXe siècle s'est appliquée à connaître celle du XIXe siècle, c'est peut-être parce que, comme le dit Huysmans, « les queues de siècles se ressemblent ». L'étude de la pensée d'une époque pourrait donc nous enseigner quelque chose sur la nôtre. 6. Même si les études décadentes se sont relativement institutionnalisées ces dernières décennies, leur démocratisation n'est pas achevée. Légitimement admises à l'université, il faudra sans doute attendre longtemps encore avant que l'étude 5 peut citer les importants travaux de Jean de Palacio, de Mario Praz, de Pierre Jourde et de bien d'autres encore. Les rééditions des œuvres du tournant des deux siècles s'organisent en collections (« Les Introuvables » des éditions L'Harmattan; « La Petite Bibliothèque décadente » dirigée par Jean de Palacio aux éditions Séguier; « Autour de 1900 », éditions Christian Pirot).