AQUEDUC ANTIQUE DE ()

RAPPORT DE PROSPECTION THEMATIQUE

2001

PRESENTE PAR ALAIN PROVOST, BERNARD LEPRETRE ET ERIC PHILIPPE

MINISTERE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION DRAC BRETAGNE - SERVICE REGIONAL DE L'ARCHEOLOGIE

DEPARTEMENT DU MORBIHAN Atoo Rapport de prospection thématique 2001 « Aqueduc romain de Locmariaquer » (Morbihan).

Avertissement

Dans ce rapport, sont inclus les résultats de l'opération de prospection sous-marine sur les vestiges immergés du « Pont de César ». Cette opération qui a fait l'objet d'un rapport adressé à la DRASSM, était couplée à l'opération de prospection terrestre. La mention de ce couplage figure dans la rubrique « prescriptions particulières à l'opération » de l'article 5 de l'arrêté autorisant l'opération de prospection sous-marine.

Prospection thématique terrestre :

Autorisation n° 2001/034 en date du 22 mai 2001.

Validité du 22 mai au 31 décembre 2001.

Programme : 025 : Histoire des techniques, de la protohistoire au XVIIIe s. et archéologie industrielle.

Titulaire : Alain Provost, archéologue indépendant.

Equipe de recherche : Bernard Leprêtre, ingénieur Génie civil et archéologue bénévole. Eric Philippe, doctorant en Histoire antique, Université de Toulouse-Le Mirail (sujet de thèse : L'eau et la gestion de l'eau en Armorique romaine). Patrick André, professeur d'Histoire retraité. Sandra Bourguet, Thomas Crognier, Thomas Gash, Mickaël Roberts, Fabrice Sauvagnargues, étudiants.

Prospection sous-marine :

Autorisation DRASSM n° P 03/2001 en date du 11 juin 2001.

Validité du 11 juin au 30 septembre 2001.

Titulaire : Eric Le Gall, président du Groupe de Recherches Archéologiques et Historiques Maritimes de Bretagne-Sud (GRAHMBS).

Equipe de plongée et de sécurité : Bruno Jonin, André Lorin, Michel Girard, Jean-Pierre Hennegrave, Guénolé Le Port, Didier Savatte, Armel Strill.

Remerciements : MM. S. Deschamps et Y. Lecerf, respectivement Conservateur régional de l'Archéologie et Conservateur du Patrimoine. MM. F. Bougis, ingénieur retraité et J. Sommer, ancien patron de pêche. Mmes S. Faure, I. Penet, C. de Kerhor, M. et Mme Jomier, M. X. Penet, propriétaires des domaines de Rosnarho.

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1 Sommaire page

Introduction 3

1. Présentation de l'opération 4

1.1. Milieu naturel, topographie du site du pont et conditions d'observation 4

1.2. Rappel des recherches et observations antérieures sur le « Pont de César » 4

1.3. Les acquis de la campagne 2000 5

1.4. Objectifs de l'opération 2001 6

2. Résultats de l'opération 7

2.1. Etude archivistique et enquête 7 2.1.1. Fonds consultés et témoignages 7 2.1.2. Principaux résultats 8

2.2. Prospection terrestre 10

2.3. Prospections du domaine maritime 11 2.3.1. Protocole, topographie et relevés 11 2.3.2. Les vestiges immergés 12

2.4. Sondages terrestres 13 2.4.1. Situation et objectifs 13 2.4.2. Analyse descriptive du sondage de Rosnarho 14 2.4.3. Interprétation 15

3. Synthèse des données 18

3.1. L'ouvrage de franchissement 18 3.1.1. Comparaison des profils en long du seuil du « Pont de César » 18 3.1.2. Essai de restitution des principes de fondation des piles 18 3.1.3. Eléments pour la restitution de la géométrie de F ouvrage de franchissement 20 3.1.4. Aperçu sur l'ensemble de l'ouvrage d'art 20

3.2. Un pont pour rien : l'abandon du projet d'adduction 21

Conclusion 22

Annexe : Liste des principaux documents d'archives 23

40 illustrations : 17 dessins au trait 5 clichés de documents d'archives 18 clichés de terrain Introduction

Les vestiges d'un pont-aqueduc franchissant la rivière d' entre la pointe de Kérisper (commune de Pluneret) et celle de Rosnarho (commune de Crac'h), connu sous le vocable « Pont de César », ont été repérés dès le XVIIIe siècle par Robien. Au XTXe siècle, M. Pourret, architecte- paysagiste chargé de la restructuration du parc de Rosnarho effectue des relevés et observations publiés par Closmadeuc en 1874 et 1882. A partir de 1984, P. André reprend ce dossier et conduit une campagne de prospections et sondages sur le pont et ses abords. Ces travaux débouchent, en 1992, sur une proposition de restitution en plan et en élévation de l'ouvrage de franchissement L'ouvrage d'art mesure environ 440 mètres de longueur et se compose de trois parties: -en amont, côté Kérisper, un ouvrage d'approche qui pouvait atteindre 40 m de long, dont seul un angle de maçonnerie appartenant soit à une pile, soit à l'extrémité de la culée, est connu ; -en partie centrale, l'ouvrage de franchissement proprement dit, d'environ 230 m de long, dont 5 massifs de fondation de piles subsistaient dans le lit mineur de la rivière ; -en aval, côté Rosnarho, l'ouvrage d'arrivée sur l'autre rive, d'environ 170 m de long, qui comprenait 25 piles dont 10 ont été rasées au XTXe siècle et une culée (Figures 3-4).

Le pont-aqueduc de Rosnarho-Kérisper est le seul ouvrage d'art de ce type dont subsistent des vestiges dans la péninsule armoricaine. C'est même le seul pont antique en pierres réellement attesté. Les ponts routiers reconnus sont en bois, comme à Visseiche (Ille-et-Vilaine). Sa situation est exceptionnelle : il franchissait une ria soumise aux marées et aux courants violents et il se confirme, qu'en l'état des connaissances, cette situation particulière est sans équivalent dans le monde romain. L'étude de cet ouvrage est par conséquent primordiale pour la connaissance des techniques antiques.

Hors le pont, le tracé et la structure de l'aqueduc de Locmariaquer demeuraient totalement inconnus. Or le projet d'adduction, tel que l'on doit l'envisager, est loin d'être banal. L'agglomération antique de Locmariaquer est distante de 9 km à vol d'oiseau du « Pont de César », lui-même à 6 km au minimum du ruisseau du Sal, seul captage offrant les conditions requises : absence de salinité, abondance et pérennité. Au bas mot, c'était un projet de canalisation d'au moins 30 km de long, comparable à celui de l'aqueduc antique de Carhaix étudié par nous-mêmes entre 1993 et 2000.

Cet important projet d'infrastructure hydraulique devait alimenter en eau la ville de Locmariaquer. Faute de recherches modernes -l'essentiel des connaissances provient des relevés et recherches des XVIIIe et XIXe siècles- la topographie, l'équipement monumental et domestique de la cité, les étapes de son développement et sa fonction même, font débat. L'hypothèse d'une agglomération-sanctuaire - hypothèse que nous privilégions1- repose sur l'enclavement du site à l'extrémité de la presqu'île, sur la présence d'un vaste théâtre « de type gaulois » et sur les mentions de mobilier religieux associé à des éléments d'architecture monumentale (Figure 2).

1 Notre rapport 2000, p. 3-6.

3 1. Présentation de l'opération

1.1. Milieu naturel, topographie du site du pont et conditions d'observation

Orientée nord-ouest/sud-est, la presqu'île de Locmariaquer ferme, à l'ouest, le Golfe du Morbihan. Le village de Locmariaquer s'abrite au fond d'une modeste baie, en retrait du goulet d'entrée du golfe resserré entre la Pointe de Kerpenhir et Port-navalo à l'extrémité de la presqu'île de Rhuys. Isolée par deux profondes échancrures nées de la convergence du réseau fluvial et de l'affaissement du socle - à l'est le Loc'h (rivière d'Auray) dont le premier passage guéable se situe à 15 km au nord de l'océan, et à l'ouest la rivière de Crac'h - la presqu'île présente l'aspect d'un relief tabulaire, basculé nord-sud, aux faibles altitudes : 35 m à l'ouest d'Auray et 8 m à l'ouest de Locmariaquer. Au nord du Golfe et à l'est du Loc'h, le plateau bas-vannetais est fracturé par des échancrures plus modestes dont deux intéressent notre sujet : les rias du Sal et du Rohu affluents du Loc'h (Figure 1).

Le socle de la presqu'île est constitué de granité à cordièrite et deux micas dit « Granité de », souvent érodé en boules arénisées avec des affleurements de migmatites vers la pointe de Kerpenhir. Une large bande de migmatites barre le bas-vannetais d'Auray à ; elle correspond à la faille d'Arradon-Montsarrac dont l'une des principales caractéristiques est la forte activité sismique.

A 3 km en aval du port d'Auray et 10,5 km en aval de l'entrée du Golfe du Morbihan, le seuil du Pont de César se situe entre la pointe de Kérisper en rive gauche et la pointe de Rosnarho en rive droite. A cet endroit, le Loc'h présente un resserrement de 240 m de largeur. L'influence des marées, encore très importante à ce niveau avec un marnage supérieur à 4 m, se fait sentir jusqu'à 5 km en amont du pont, à une distance de 14 km de l'océan. Le substrat granitique est masqué, y compris sur la majeure partie des estrans, par des limons et des vases. Les courants de plusieurs noeuds lors des marées entraînent le déplacement des sédiments, ce qui a pour effet, au niveau des estrans, de découvrir et recouvrir les vestiges selon un cycle rapide (quelques semaines) avec, pour conséquences, des difficultés dans la permanence de l'observation. Dans le lit mineur, la turbidité est telle que, dans le meilleur des cas, la visibilité en plongée ne dépasse pas 1,50 m. Les conditions optimales d'observation sont réunies à l'étalé de haute mer des marées à faible coefficient (inférieur à 70) et la durée maximale de plongée ne dépasse pas 2 heures. Ces paramètres avaient déjà été consignées par les plongeurs qui sont intervenus lors des opérations de dérasement des piles en 1960.

1.2. Rappel des recherches et observations antérieures sur le Pont de César

On doit à Robien le premier signalement des vestiges du « Pont de César » en 1737. Robien pense qu'il s'agit des restes d'un pont routier romain appelé, alors, « Pont des Espagnols »2. Au milieu du XVIIIe siècle, les premières poutres sont remontées lors du nettoyage du chenal. Pour La Sauvagère, ce pont aurait été construit par César ; c'est à partir de cette mention que l'ouvrage est dénommé « Pont de César ». Les premiers doutes sur l'interprétation d'un pont routier apparaissent en 1825 mais un érudit avisé comme Bizeul maintien cette interprétation : il voit, dans cet ouvrage, le moyen de faire passer la voie reliant à Locmariaquer3.

C'est un membre de la Société Polymathique du Morbihan, G. de Closmadeuc, qui va interpréter correctement les vestiges du pont à la faveur de la découverte, en 1874, des bases des piles de l'ouvrage terrestre, en aval de la rivière, dans le parc de Rosnarho. Pour Closmadeuc, l'absence de

2 Robien C.-P de, -Histoire ancienne et naturelle de la Province de Bretagne, 1756, édition revue par J.-Y. Veillard, Mayenne, 1974, p. 9-13. 3 Bizeul J.-M.-G., -Le Pont de César, Annales du Morbihan, 1841, p- 191.

4 voie aboutissant à la rivière et la configuration des vestiges indiquent un pont-aqueduc. S'interrogeant sur l'origine et la destination de la conduite, ce chercheur, d'une rare rigueur pour l'époque, propose d'y voir les témoins de l'aqueduc alimentant la ville antique de Locmariaquer4.

En 1869 puis De 1897 à 1899, des tentatives sont menées pour tenter d'abaisser le niveau de trois des cinq piles idmergées dans le lit de la rivière afin d'augmenter la profondeur du chenal. Des relevés sont alors effectués par la subdivision des Ponts-et-Chaussées d'Auray. Les courriers des ingénieurs chargés du projet font état de la présence de poutres à encoches. En 1960, l'augmentation de la fréquentation touristique (vedettes du Golfe du Morbihan) est à l'origine d'une nouvelle campagne de dérasement des restes de piles présents dans le chenal. Un dessin de coupe réalisé par l'opérateur de la société Trasouma montre, pour la première fois, le dispositif de fondation des piles avec ses poutres verticales en place.

Dans la décennie 1980, le Centre d'Etudes et de Recherches Archéologiques du Morbihan mène de nouvelles investigations sur l'aqueduc sous la direction de P. André, archéologue vannerais. A partir des travaux de Closmadeuc, du profil en long dressé par les Ponts-et-Chaussées à la fin du XIXe siècle, des résultats de sondages exécutés sur l'estran de Kérisper et des plongées sous-marines effectuées par des plongeurs locaux, P. André et F. Bougis publient un article faisant le point des connaissances sur l'aqueduc5.

1.3. Les acquis de la campagne 2000

L'opération de prospection thématique 2001 de l'aqueduc romain de Locmariaquer prolonge celle de l'année 2000. Nous nous étions fixé quatre objectifs lors de cette première année d'intervention : 1- Définir le faisceau du tracé de l'aqueduc de part et d'autre du « Pont de César », seul point connu et coté approximativement, et en corollaire appréhender les points de captage potentiels. 2- Engager la recherche documentaire et archivistique sur le pont mais également sur d'éventuels signalements d'autres sections de l'aqueduc. 3- Effectuer une prospection terrestre du faisceau, à la recherche de témoins de la canalisation par la mise en œuvre des méthodes de prospection au sol et d'enquête ayant fait leur preuves sur l'aqueduc de Carhaix. 4- Compléter les observations réalisées par nos prédécesseurs sur le « Pont de César ».

Les résultats consignés dans notre rapport 2000 faisaient apparaître une situation contrastée. La prospection-enquête s'était soldée par un échec puisqu'aucun témoin archéologique nouveau sur l'aqueduc n'avait été découvert. En revanche, les recherches archivistiques apportaient de nombreux renseignements sur le pont, notamment la nature des vestiges des fondations des piles immergées, grâce à l'exploitation des fonds de l'Equipement/Travaux maritimes de Vannes où sont conservées les minutes des pièces relatives aux projets de dérasement du seuil du Pont de César. Il en est de même de la prospection des estrans où des blocs de grand appareil de granité avaient été repérés lors des basses- mers des marées à fort coefficient.

L'intuition de P. André, lequel s'interrogeait sur la construction effective de la canalisation en dehors de l'ouvrage de franchissement de la rivière d'Auray, s'en trouvait renforcée mais demeurait insatisfaisante car il semblait surprenant que le pont ait été construit pour rien -ce qui serait un cas unique dans le corpus des aqueducs romains- et il était évident que l'abandon d'un tel projet aurait gravement nuit au développement de l'agglomération antique de Locmariaquer dont le site est dépourvu de sources.

4 Closmadeuc G. de, -Le Pont de César sur la rivière d'Auray, Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 18, 1874, p. 124-130. Ibid. -Une rectification à propos du Pont dit de César sur la rivière d'Auray, Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 26, 1882, p. 61-69. 5 André P. et Bougis F., -Le pont-aqueduc de Kérisper-Rosnarho (Morbihan), Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1992, p. 143-155.

5 1.4. Objectifs de l'opération 2001

Les objectifs de l'opération de 2001 étaient strictement les mêmes que ceux de l'opération 2000 avec l'idée de renforcer la prospection du tracé. S'y ajoutaient la reconnaissance des vestiges immergés du pont par le couplage de la prospection terrestre avec une prospection subaquatique et l'éventualité de sondages de sections terrestres.

La prospection subaquatique avait pour but de faire le point sur l'état des vestiges immergés. L'état des lieux dressé en 1869, 1899 et 1960 pouvait laisser penser que les vestiges des fondations des piles avaient été soit arasés soit enfouis sous les déblais. Cette appréciation semblait confortée par les très maigres résultats des plongées réalisées en 1980 par le club des Vénètes lors de l'étude lancée par P. André : aucune poutre n'avait été repérée et seuls 2 blocs de granité déplacés avaient été signalés. Bref, il s'agissait d'en avoir le cœur net, par la mise en œuvre de relevés du profil en long du seuil, de profils en travers et par la reconnaissance de vestiges déplacés ou in situ.

Les sondages projetés aux extrémités aval et amont de l'ouvrage d'art avaient pour but de vérifier si la canalisation enterrée avait été effectivement construite et, le cas échéant, d'étudier sa structure et son altimétrie.

6 2. Résultats de l'opération

2.1. Etude archivistique et enquête

2.1.1. Fonds consultés et témoignages

Après le dépouillement, en 2000, des archives des Ponts-et-Chaussées concernant les travaux d'arasement en 1897-1899 et i960, conservées au service départemental des Travaux maritimes de Vannes, il est apparu indispensable d'explorer plus amplement les fonds déposés aux Archives départementales du Morbihan et de compléter les recherches dans différents services d'archives régionaux. Au même moment, paraissait, dans les MSHAB, un article de D. Fauque faisant état de curages effectués dans le port et dans la rivière d'Auray au XVIIIe siècle6 d'après des documents conservés aux Archives départementales d'Ule-et-Vilaine (ADIV) et du Morbihan (ADM). La richesse de la documentation rassemblée7 permet, à présent, de retr acer la chronologie des relevés topographiques et des tentatives d'arasement du seuil du « Pont de César » : -au XVIIIe siècle, intervention de 1753 ; -au XIXe siècle, interventions en 1814, 1827, 1869 et de 1897-1899 ; -au XXe siècle, intervention en 1960.

Pour le XVIIIe siècle, les documents proviennent des fonds de l'intendance (ADIV, série C 1178) ; une petite partie concerne le dérasement du seuil. Ces travaux furent réalisés en régie, ce qui nous vaut de nombreux éléments sur les délibérations, la direction des travaux, les demandes de crédits auprès de l'Intendance de Bretagne, les problèmes techniques rencontrés. S'y ajoutent les pièces justificatives des travaux (160 pièces papier), des mémoires et reçus pour le paiement des journaliers et des fournitures. Ces documents donnent une foule de détails sur la période de l'année pendant laquelle eût lieu le dérasement, les moyens en hommes et en matériel, l'évacuation des déblais et les techniques de stockage de la vase à l'arrière de grandes chaussées construites à cet effet.

Pour le XTXe siècle, les documents proviennent du service de F Equipement-Travaux maritimes de Vannes et du fonds des Ponts-et-Chaussées aux ADM. A l'Equipement, les pièces qui concernent le dérasement du seuil en 1897-1899 comportent principalement les brouillons de la correspondance échangée entre les Ponts-et Chaussées et la préfecture, ainsi que des notes internes contenant de nombreux renseignements d'ordre technique sur les procédures de dérasement et l'évacuation des déblais. Aux ADM, sous la cote S 51, les pièces concernent les correspondances des Ponts-et- Chaussées, un dossier sur la démolition de deux piles expédié au Conseil général de la Sarthe (sic !) et des documents se rapportant au projet de déblaiement sur les piles du pont en 1814 et 1827 (le dossier semble incomplet car seul le premier acompte figure dans la liasse). Toujours aux ADM, le fonds des Ponts-et-Chaussées comprend une cinquantaine de pièces concernant le dérasement des piles en 1869 et en 1897-1899 (séries S 3060, S 167). Une partie de ces pièces doublonne avec les documents conservés aux Travaux Maritimes de Vannes mais de nombreux renseignements complémentaires y figurent. Pour 1869, il s'agit du plan des restes de piles accompagné du mémoire de l'ingénieur sur la nature des travaux et les moyens à engager ; en revanche, aucun document n'est relatif à la phase de réalisation. Pour la période 1897-1899, les documents accompagnant le plan et le profil en long du seuil concernent le projet de dérasement, l'avis de la commission nautique mise en place par la préfecture et les demandes de crédits supplémentaires au vu de la complexité du travail déjà réalisé. Dans le fonds Lallemand, figurent les lettres de l'ingénieur des Ponts-et-Chaussées qui expédie à Closmadeuc (auteur des articles publiés en 1874 et 1882 dans le bulletin de la Société Polymathique) les plans commentés dressés en 1869 et 1897 (cote 7 J 150).

Pour le XXe siècle, Les principales sources écrites proviennent de la DDE et concernent le projet de dérasement de 1960. On y ajoutera le témoignage oral de M. Sommer. Les archives de la

6 Fauque D., -Les écoles d'hydrographie en Bretagne au XVIIIe siècle, Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, LXXVIII, 2000, p. 369-400. Transcription des documents : Eric Philippe ; liste des principaux documents en annexe.

7 DDE comprennent les relevés schématiques bathymétriques réalisés sur le seuil, l'ensemble des feuilles de plongées et donnent des renseignements sur les travaux à exécuter par les détails fournis à l'appel d'offre des entreprises soumissionnaires. Le témoignage de Jean Sommer, patron du sablier « Vers le devoir » chargé de l'évacuation des déblais, apporte des précisions intéressantes sur les conditions de dynamitage, sur les zones de déblais et sur les vestiges antiques : poutres et blocage entre les poutres.

2.1.2. Principaux résultats

L'analyse étant toujours en cours, nous ne présentons ici que les éléments impliquant directement les vestiges du pont.

Le document le plus ancien porté à notre connaissance est une carte du Morbihan dessinée par Le Grain en 1637. Le pont de Kérisper/Rosnarho y est figuré par deux tirets rouge et dénommé « Pont de l'arche » (BNF SH 16) (Figure 5).

Sur le plan en couleurs levé par l'hydrographe Loiseau, en 1753, à l'occasion du premier projet connu de dérasement du seuil et du désenvasement du chenal jusqu'au port de Saint-Goustan - à la requête de la communauté de ville d'Auray -, on remarque, au niveau du pont, 6 amas de pierres (signalés par les lettres A, L, M, N). Les 2 amas opposés correspondent aux estrans et les restes de piles immergés sont représentés par 4 amas. Dans la légende du plan, il est précisé que ces amas « ferment la rivière » et favorisent l'envasement en amont (ADIV, C 1178) (Figure 6). Dans l'avis des ingénieurs Chocat de Grandemaison et Villeminot en date du 7 octobre 1754 relatif à l'examen des ouvrages proposés pour le rétablissement du port d'Auray, il est, pour la première fois, fait mention de la présence de poutres dans les fondations des piles en ces termes : «... il convient d'enlever un des deux amas de pierres ou fondations de piles qui est dans le chenal à la pointe de Kérisper, ainsi que les bois d'assemblages où les amas sont renfermés, afin que la passe des navires en soit plus aisée... » (ADIV, C 1178).

En 1814, il semble que l'une des piles ait été dérasée mais rien ne précise de quelle pile il s'agit. En 1827, des travaux ont été exécutés d'après le certificat de paiement pour « l'enlèvement des débris des piles » mais ni la nature, ni l'ampleur des travaux ne sont précisés. Ces travaux ont nécessité le recrutement de 27 personnes durant 12 jours plus 2 chaloupes (ADM, S 51).

Les travaux engagés en 1869 sont consécutifs aux délibérations du Conseil général du Morbihan qui constate que « ...la ruine (Pont de César) est un véritable empêchement à l'activité et à l'importance des échanges maritimes dont Auray est le centre. » Face aux coûts faramineux du projet de l'ingénieur, le Conseil estime que la conclusion du rapport de celui-ci « ...assure à perpétuité l'existence déjà raisonnablement ancienne de cette ruine » (sic !). Ces difficultés sont à l'origine d'un nouveau rapport de l'ingénieur ordinaire des Ponts-et-Chaussées (Forestier), daté du 31 mars 1869. Ce rapport constate que la seule passe existante entre les piles communiquant avec le chenal n'a que 11m de large au sommet, largeur réduite au fond par les déblais. La profondeur étant insuffisante pour le vapeur qui assure le service quotidien entre Auray et Belle-Ille dont le tirant d'eau est de 1,80 m, le rapport propose de « ...se borner à abaisser le sommet de la première pile de 0,50 m » ce qui ferait passer la largeur de la passe à 31,20 m et la profondeur d'eau à 2 m. Une lettre du directeur général des Ponts-et-Chaussées du 15 mai 1869, approuve la proposition d'arasement de la première pile sur 0,70 m de profondeur (ADM, S 3060). Le rapport de l'ingénieur Forestier et les plan et profil en long (Figure 7) qui l'accompagnent sont d'un grand intérêt pour la connaissance du pont. Sur le plan , sont figurées 5 plates-formes de plan rectangulaire, de dimensions à peu près identiques, correspondant aux fondations des 5 piles implantées dans le lit mineur de la rivière. De chaque côté, arrimés aux estrans, des massifs de même largeur que les plates-formes sont dessinés. Pour Forestier, il s'agit de culées (à cette époque, l'interprétation d'un pont routier prévaut toujours !). Les plates-formes ont 10 à 11 m de côté et les interdistances sont comprises entre 7 et 9 m. Les parois des plates-formes présentent un fruit accusé dû aux éboulis. Ce fruit est bien visible sur le profil en long. Les parements en moellons assisés

8 représentés sur le profil résultent d'une interprétation abusive, ces parements étant masqués par les déblais. Pour Forestier, les pierres qui entrent dans la maçonnerie du pont sont de petites dimensions et le mortier est entièrement décomposé (ADM, S 3060). En 1869, paraît le « Pilote des côtes de » où figure un dessin du seuil avec 6 piles représentées de forme et dimensions inégales (Figure 8). On y apprend que le « Pont de César » constitue un sérieux obstacle à la navigation avec des cotes de + 0,30 m et des intervalles entre les piles suffisants en profondeur mais insuffisants en largeur ; tout au moins l'auteur précise que l'écartement a juste la largeur d'un navire et que le danger est accru par la violence du courant !8 II est aisé de déduire de ce plan qu'il est antérieur aux relevés -beaucoup plus précis- de Forestier.

Manifestement, les travaux projetés en 1869 se sont avérés insuffisants d'après le voeu du Conseil général du Morbihan qui, en sa séance du 19 août 1897, réclame à nouveau la destruction des restes des piles du « Pont de César ». Dans son rapport du 14 mars 1898, le conducteur subdivisionnaire Y. Noury note qu'aucune avarie de navire due aux restes du pont n'est à signaler depuis 1871, date à partir de laquelle «... chaque année on agrandit la passe à travers les ruines du « Pont de César ». Il souligne cependant qu'il y aurait lieu de déraser les 2 piles de rive gauche à 1,50 m au-dessous du niveau des basses-mers de vives-eaux, ce qui aurait pour effet d'ouvrir un passage de 50 m de largeur. Ce projet est approuvé par l'ingénieur divisionnaire Lebert et soumis à la Commission nautique créée à cet effet, laquelle propose le « dérasement de 1 m au moins de 3 sinon des 5 piles » (ADM, S 3060). L'arrêté ministériel du 25 juillet 1899 engage les financements (2500 f) pour l'arasement de 1 m des 3 piles en rive gauche (ADM, S 167).

Le plan et les profils dressés par Y. Noury en 1897 et les commentaires qui les accompagnent (ADM, S 3060) sont du plus haut intérêt. Seules les 5 piles du lit mineur estimé à 108 m de largeur, sont dessinées sous l'aspect de plates-formes de forme et de dimensions irrégulières (Figure 9). Dans un courrier du 12 décembre 1899 (ADM, 7 J 150) Noury constate que ce plan ne se superpose pas exactement avec celui de 1869 car « ...la partie supérieure des piles a déjà été écrêtée avec pour résultat d'élargir les plates-formes par l'abaissement des crêtes et l'éboulement des pierres ». Ces éboulements expliquent la réduction considérable des vides entre les piles observable sur le profil en long et le niveau plus élevé qu'en amont ou en aval du seuil dû aux blocs de pierres formant la base des piles ou provenant de leur démolition (Figure 10). Toujours dans son rapport du 14 mars 1898, Noury indique «... qu'en rive gauche, à 116 m de la laisse de rive droite, se trouvent des blocs détachés offrant aussi un obstacle à la navigation ». Manifestement, ces blocs correspondent à la « culée » de rive gauche de Forestier. Les grandes profondeurs en amont et en aval du pont (cf. profils en travers) «... résultent des affouillements produits par le courant passant entre les piles, formant des remous ayant favorisé le dévasement naturel du ht ». Selon Noury, les piles «... sont formées par des enrochements qui, probablement, s'élevaient primitivement à environ 0,50 m au-dessous du niveau de basse mer des vives eaux ; des moellons étaient ensuite arrimés à la main et sans mortier pour en dresser la partie supérieure, sur laquelle reposait une semelle formée par des poutres de chênes assemblés à mi-bois (...) la poutre entière devait avoir un mirrimum de 7,75 m mais j'estime qu'elle avait plutôt 9,35 m. la partie supérieure des semelles sur lesquelles s'assemblaient les pilones (sic !) supportant la passerelle devait être établie au niveau des basses-mers de vives-eaux9. » Ce descriptif est accompagné, en marge, d'un croquis de la poutre (Figure 11 ).

En 1960, le développement du tourisme fluvial motive un nouveau projet de dérasement comme l'indique le courrier de l'ingénieur en chef de la DDE/Travaux maritimes de Vannes à l'architecte des Bâtiments de France, daté du 29 mars, qui précise que l'arasement du seuil du Pont de César est entrepris pour favoriser la navigation des vedettes touristiques. Le chantier a été attribué à la société Trasouma. Une passe de 40 m de largeur et 2 m de profondeur minimale a été ouverte côté rive

8 Bouquet de la Grye A., -Pilote des côtes ouest de France, tome premier, 1869, p.214-215 9 Manifestement, Noury reste dans la configuration d'un pont routier.

9 gauche, à partir de la souille préexistante large de 6 à 8 m ; 286 m3 de matériaux (enrochements et poutres) ont été dragués, 70 déchargés à la côte et le reste sur le seuil et dans les souilles (affouillements) Deux pièces émanant de cette entreprise sont particulièrement éclairantes. La première est un dessin d'une section transversale du seuil où, pour la première fois, sont représentés le système de poutres horizontales (légendées « pieux »), les poutres horizontales (fragmentaires et déplacées) et les enrochements10. Le second document est un tableau récapitulatif des plongées effectuées du 26 septembre au 13 décembre 1960 qui, outre qu'il contient des renseignements intéressant les conditions de plongées, présente la panoplie des tâches effectuées : expertises, testes explosifs, relevés bathymétriques, pose de charges, cisaillement de poutres verticales, pose de charge pour cisaillement de pieux, déroctages, dragages et déplacement de la bouée de César (Archives DDE/Travaux maritimes de Vannes).

Le témoignage oral de Jean Sommer apporte des précisions intéressantes. Le chantier s'est déroulé durant l'hiver 1960-1961. Les minages avaient lieu le matin et le dragage l'après-midi. Les matériaux remontés comprenaient des pierres de granité tout venant, des moellons, de la glaise et des poutres de bois. Selon J. Sommer, deux types de poutres ont été remontées : de grands éléments d'une dizaine de mètres de long et 0,40 m de section avec encoches d'assemblage, positionnées à plat avec, au-dessus, des poutres plus petites, de 2 à 3 m de long, sans encoches ; il signale également des chevilles d'assemblage entre les poutres croisées. Les poutres ramenées sur les estrans (Figure 12) ont été débitées et distribuées à des privés et des musées (Société Polymathique et musée de Carnac). Apparemment, ces éléments ne figurent pas les réserves de ces collections. J. Sommer conserve un fragment de 0,50 m de long, de 0,34 m x 0,29 m de section, en trop mauvais état pour espérer une datation dendrochronologique.

2.2. Prospection terrestre

En l'absence de témoins de la canalisation permettant de proposer un premier tracé approximatif, le faisceau du parcours de l'aqueduc a été défini à partir des cotes de niveaux probables du terme de l'aqueduc (entre 5 et 9 m ngf), du tablier du pont (entre 12 et 15 m ngf) et du point de captage présumé sur le Sal (entre 19 et 25 m ngf). Avec ces intervalles sciemment surestimés, le faisceau proposé apparaît très large -trop pour procéder d'emblée à l'exécution de tranchées de reconnaissance- avec une différence notable entre la secteur amont du pont et le secteur aval. A l'amont, la topographie plus affirmée, avec des vallées relativement encaissées permet de restreindre le faisceau à une bande évoluant entre 50 et 200 m de largeur. En aval, le relief tabulaire de la presqu'île élargit considérablement le faisceau avec, qui plus est, des options multiples compte tenu des possibilités de passage en tranchée profonde ou en tunnel et du schuntage possible du marais de Roc'h Du par un pont11 (Figure 13).

En 2001, on s'est attaché à compléter la prospection au sol du secteur amont en comblant les vides et en revisitant les zones déjà prospectées en 2000. Ce secteur, incluant la rive droite du Sal et les rives du Rohu, a été pratiquement couvert en totalité. En aval, l'effort de prospection a été porté aux abords de Locmariaquer. Devant l'échec des prospections de 2000, notre attention s'est plus particulièrement portée sur les coupes de terrain générées par les axes routiers aménagés ces dernières années ; au nord : les voies parallèles à la voie express RN 165 Vannes-Quimper via Auray, la nouvelle route reliant la voie express à Sainte-Anne-d'Auray, à l'est de Pluneret, construite à l'occasion du visite du pape Jean-Paul II en 1998 ; au sud : le barreau ouest de Locmariaquer. Ces travaux ont eux-mêmes générés des réseaux souterrains qui nous ont amenés à enquêter auprès des techniciens concernés (Equipement, EDF, sociétés de service des eaux).

10 Notre rapport 2000, Annexe 7, p. 3. 11 Notre rapport 2000, p. 14-22.

10 Comme en 2000, la prospection terrestre se solde par un résultat négatif : aucune section de la canalisation n'a été repérée et aucun témoignage oral ne se rapporte à une telle structure. C'est d'autant plus surprenant compte tenu des conditions d'observation. L'exemple de la nouvelle route reliant Pluneret à Sainte-Anne-d'Auray est particubèrement probant : cette voie prend en écharpe le faisceau du tracé de l'aqueduc large, à cet endroit, de 200 m ; elle est en fort déblai et ses talus sont dépourvus de végétation. Malgré des conditions d'observation optimales, l'examen mètre par mètre démontre l'absence d'aménagement de toute canalisation antique. Certes, les canalisations maçonnées font parfois l'objet d'une récupération des matériaux des piédroits -plus rarement du radier- comme sur l'aqueduc de Carhaix mais, dans ce cas, le négatif de la structure est aisément identifiable sous la forme d'un creusement de 1 à 2 m de largeur pour autant de profondeur (fonction du calibre du canal), aux parois raides et à fond plat avec un remplissage mêlant terre végétale, mortier et tuileau détritiques recouvrant le hérisson dont les pierres de petite taille n'intéressaient pas, d'ordinaire, les récupérateurs de matériaux. Rien de tel n'a été observé ; les seules anomalies repérées concernent des petits fossés en V ou en auge correspondant au parcellaire antérieur. En conclusion, deux hypothèses se présentent : le faisceau tel qu'il a été défini n'est pas le bon ou bien la canalisation n'a pas été construite.

2.3. Prospections du domaine maritime

2.3.1. Protocole, topographie et relevés

Les prospections dans le domaine maritime comprennent des prospections terrestres sur les estrans lors des basses-mers des grandes marées d'août et septembre et des prospections sous-marines dans la zone ne découvrant jamais correspondant au lit mineur actuel de la rivière.

La découverte, en 2000, sur l'estran de Kérisper, d'un bloc de grand appareil vraisemblablement en place a incité à pousser plus avant la prospection des estrans à la limite du lit mineur, sachant qu'au delà les algues et concrétions huîtrières - sans parler des déblais - masquent les vestiges. Des blocs de grand appareil ont été repérés sur les deux rives. Ils ont été topographiés après nettoyage de la vase.

Les plongées ont été réalisées à partir d'un bateau stationné au-dessus des vestiges, amarré à la bouée de César. Deux à trois plongeurs opéraient et un ou plusieurs collaborateurs de l'équipe terrestre assuraient, depuis le bateau, l'assistance aux plongeurs, la surveillance de la navigation et consignaient les observations au fur et à mesure. Auparavant, il est apparu nécessaire de matérialiser l'axe du pont sous l'eau. Pour ce faire, un bout a été tiré d'une rive à l'autre, implanté au théodolite à partir des vestiges des piles subsistants sur les deux rives. Ce bout a été arrimé à des jalons fixes et lesté par des plombs. Chaque plomb a été calé avec une interdistance de 10 m et étiqueté pour servir de repère. Une longueur de 140 m a été ainsi balisée sous l'eau. Si quelques étiquettes ont disparu, nous avons pu constater que l'alignement n'avait bougé que de manière négligeable (quelques centimètres) durant les 4 mois d'exercice. Les premières plongées ont été vouées à l'observation en déplacement le long de l'axe afin de sectoriser le site et de recenser les zones de meilleure conservation des vestiges. Il est rapidement apparu qu'une section de 70 m de longueur depuis la rive droite présentait les meilleures possibilités avec la présence de blocs de grand appareil et de poutres et des variations de profondeur importantes significatives de forts reliefs. Au-delà, l'absence d'éléments particuliers et le profil relativement régulier du fond confirment la destruction profonde des fondations des piles à cet endroit lors des dragages successifs.

Pour une première approximation du relief sous-marin dans l'axe du pont, des mesures au profondimètre ont d'abord été réalisées, complétées par un relevé au sonar. Dans la section la plus intéressante où les vestiges de 3 piles subsistent, les mesures de profondeur dans l'axe (profil en long), ont été effectuées tous les mètres. La même densité a été retenue pour les profils en travers des 3 piles.

11 Des points de référence avaient été fixés au préalable, de part et d'autre de la rivière. La configuration du site en rivière permet d'avoir une station fiable à terre. Toutes ces données ont été connectées aux parties terrestres de l'ouvrage d'art qui avaient été relevées en 2000. De fait, les cotes altimétriques sont calées au ngf (nivellement général de la France). Les relevés ont été effectués au théodolite électronique à distance-mètre laser (stations totales Leica TC 500 et TC 110). Pour affiner le nivellement des plates-formes immergées des 3 piles les mieux conservées côté Rosnarho et pour positionner de manière précise les éléments de poutres découverts, on a utilisé, en profitant des basses mers des grandes marées, un prisme à longue canne maintenu en position sous l'eau par un plongeur et visé depuis la rive. Des clichés et croquis des poutres et des mesures des blocs de grand appareil ont par ailleurs ont été réalisés.

2.3.2. Les vestiges immergés

Le profil en long du seuil actuel (Figure 16) présente les caractéristiques suivantes : La limite inférieure de l'estran de Rosnarho (rive droite) est à la cote -1,25 ngf. De ce point, une plate-forme en légère déclivité vers l'est se prolonge sur environ 6 m de longueur. Le bord de cette plate-forme que nous dénommons pile 1 est à la cote -1,80 m ngf. A partir de ce point, le lit présente un profil en cuvette d'une largeur d'une dizaine de mètres en partie supérieure dont le fond est à la cote -4,70 m ngf. Le profil présente ensuite une deuxième plate-forme d'une dizaine de mètres de longueur, dénommée pile II, à la cote -2,50 m ngf. Lui succède une seconde dépression de largeur identique à la précédente, dont le fond est à la cote -5 m ngf La troisième plate-forme dénommée pile III présente les mêmes caractéristiques que la précédente, à une cote légèrement inférieure (-3 m ngf). Le bord oriental est à peine marqué. Au delà, le profil en déclivité régulière jusqu'à la cote -4,60 m ngf correspond à la limite occidentale du chenal dont le fond apparaît plan, sur une trentaine de mètres de longueur, avant de remonter progressivement jusqu'à la limite de l'estran de Kérisper, en rive gauche, à la cote -1,80 m ngf. Ce profil résulte du dérasement des piles IV à VI. Seules 3 piles conservent du relief : la première, pile I, en limite d'estran et les deux autres, piles II et III, totalement immergées.

La plate-forme de la pile I est soulignée par une légère anomalie topographique. Les plates- formes des piles II et III sont de forme subcirculaire et mesurent environ 10 m de diamètre. Le profil en travers (perpendiculaire à l'axe du pont) des 2 plates-formes est similaire et leur surface est relativement plane. De chaque côté, le profil est oblique et les affouillements descendent à la cote -8 m ngf. La volumétrie de ces deux plates-formes présente un aspect tronconique (Figure 17).

Sur les estrans, 3 blocs de grand appareil de granité côté Kérisper et 15 côté Rosnarho ont été identifiés. Certains ont été manifestement brisés lors de tentatives de récupération mais, à Rosnarho, 8 blocs appartiennent à une assise de pile et recouvrent une assise inférieure. Leur alignement sur une longueur de 4 m et une largeur de 1,50 m dans l'axe du pont et leur horizontalité d'assise laissent penser qu'ils sont en place (Figures 18-19). Certes, ils ne sont ni parfaitement jointifs, ni parfaitement alignés mais on a tout lieu de penser qu'ils ont été légèrement déplacés par les démolisseurs. Un parement assisé côté sud est apparu (confirmé à l'issue du report en plan) avec un appareillage caractéristique des techniques antiques. Les blocs sont quadrangulaires et le parement sud présente un assemblage en boutisses. L'épaisseur de l'assise supérieure est de 0,44 m (1 coudée soit 1,5 pied romain). L'assise inférieure n'a pu être mesurée. De nombreux blocs basculés sont présents autour des blocs assisés, dans une couche d'arène caractéristique, semble-t-il, d'un niveau de démolition. Au niveau des blocs en place, on note la présence d'un sédiment fin verdâtre, différent des vases et limons de couleur marron de la surface. Plus de la moitié des 18 blocs repérés présentent, sur une ou plusieurs faces, des traces caractéristiques de taille à l'escoude. Le poids moyen des blocs s'établit autour de 530 kg mais certains dépassent 2 tonnes. Les blocs sont donc de dimensions variables : le plus long mesure 1,70 m. Les épaisseurs varient entre 0, 30 m et 0,65 m ; celles de 0,30 à 0,33 m (1 pied) et de 0, 42 à 0,44 m (1 coudée) sont majoritaires. Aucun trou de levage ou de crampon n'a été observé. Les blocs assisés de l'estran de Rosnaro appartiennent au parement sud de la pile I. Les 3 blocs de l'estran de Kérisper appartiennent à la pile VII (cf. infra).

12 5 poutres ou fragments de poutres ont été observées au niveau de la pile III, partiellement masquées par des pierres (Figures 20-23 ). Certains fragments sont parfaitement orientés parallèlement ou perpendiculairement à l'axe du pont ; d'autres ont visiblement été déplacés. Le plus bel élément est une poutre de plus de 7 m de long, horizontale et perpendiculaire à l'axe du pont ; elle présente des encoches d'assemblage à mi-bois. Un fragment de poutre, au moins, est toujours en connexion avec cette grande poutre, d'après son orientation parallèle à l'axe du pont. Les modules observés sont de deux ordres : section de 0,40 m x 0,35 m et section de 0,30 m x 0,25 m. D'autres modules ont été signalés précédemment : 0,40 m x 0,30 m en 1899 et 0,37 m x 0,30 m en 1960. Des chevilles en bois pour les assemblages ont été également repérées : cette observation corrobore le témoignage de Jean Sommer. Sur la pile II, un unique fragment de poutre a été observé. Mal caractérisé car enfoui sous les pierres, cet élément a une section apparente de 0,30 m x 0,25 m.

Les poutres apparaissent au sein d'une vaste surface de pierrailles de granité et de moellons pouvant atteindre 0,30 m de module. Les témoignages de l'ingénieur des Ponts-et-Chaussées en 1869 et de Jean Sommer à propos des opérations de 1960 font état d'un mélange de pierres et d'argile en remplissage entre les armatures de bois. Il est impossible de discerner ce qui appartient au remplissage et ce qui provient de la démolition de la superstructure de l'ouvrage.

Au niveau de la dépression située entre les piles I et II, les plongeurs ont observé plusieurs dizaines de blocs de grand appareil en granité dispersés sur une cinquantaine de mètres de long au nord de l'axe des piles et sur une vingtaine de mètres au sud. Une partie de ces blocs est masquée par les rejets de miles d'un ancien chantier ostréicole. On doit supposer que ces blocs proviennent de l'écroulement (ou de la démolition) des superstructures du pont. Certains sont peut-être des éléments perdus par les récupérateurs de matériaux ; l'un d'eux présente des alvéoles alignées, caractéristiques de logements de coins de débitage. D'autres blocs du même type ont été repérés entre les piles II et m ou dans leur environnement mais il s'agit de pièces, en apparence, isolées (Figures 24-25). Les dimensions ont été relevées sur une trentaine de blocs. Les longueurs varient entre 0,60 m et 1,80 m (dimension exceptionnelle) avec une nette dominante entre 1 m et 1,30 m. Les largeurs sont comprises entre 0,40 m et 1,05 m avec une majorité entre 0,70 m et 0,90 m. Les épaisseurs sont comprises entre 0,25 m et 0,45 m. Un bloc de 0,90 m x 0,60 m x 0,15 m est manifestement une boutisse. En réalité, la taille moyenne des blocs dispersés est conforme à celle des blocs en place.

2.4. Sondages terrestres

2.4.1. Situation et objectifs

Deux sondages avaient été projetés aux deux extrémités de l'ouvrage d'art franchissant la rivière d'Auray. Pour des questions de calendrier et d'accessibilité, le sondage prévu en amont, à Kérisper, a été reporté. En aval, à Rosnarho, le sondage a été exécuté du 2 au 15 novembre. L'objectif était double : vérifier si la canalisation enterrée au-delà de l'extrémité de la culée du pont avait été effectivement construite et, le cas échéant, vérifier l'option de tracé choisie par le concepteur, vers l'est en longeant la côte ou vers l'ouest en rejoignant la voie romaine qui reliait Locmariaquer à la voie Nantes-Vannes-Quimper au nord d'Auray.

Trois excavations ont été pratiquées (Figure 26 ). Deux tranchées mécaniques atteignant le substrat ont été effectués: l'une (S3) de 38 m de long pour 1,50 m de largeur, interrompue sur quelques mètres à cause de la présence de réseaux sous le chemin, à une distance de 65 m de l'extrémité de la culée et l'autre (S2), de 10 m de longueur, à 38 m de la culée. Le troisième sondage (SI) a été réalisé manuellement à l'extrémité apparente de la culée, sur une surface de 23 m2, à l'endroit ou le chemin forestier se divise en deux sentiers, l'un longeant le bord oriental de la culée et les piles de la file d'arche, et l'autre longeant le bord occidental. A l'issue de la fouille, les sondages ont été remblayées après la pose d'un géotextile sur les structures à l'extrémité de la culée.

13 2.4.2. Analyse descriptive du sondage de Rosnarho

Sondage S1

Coordonnées Lambert II : OX = 201, 275 OY = 2306, 700 Altitude NGF : 12,50 m

La section fouillée correspond au point de départ de la canalisation enterrée (Figures 27-34).

Les piédroits ont été édifiés en premier. Leur fondation est excavée dans l'arène du substrat jusqu'au toit du rocher, sur une profondeur d'environ 0,20 m. Les tranchées mesurent, à l'origine, 0,54 m de large ; dans un second temps, celle du piédroit gauche a été élargie vers l'extérieur à 0,60 m. Les fondations sont constituées de pierres de granité calées par un sable de couleur ocre (arène remaniée). Les tranchées de fondation s'arrêtent de manière franche. Les élévations des piédroits sont en maçonnerie de moellons de granité grossièrement équarris (petit appareil irrégulier) liés au mortier blanc. L'épaisseur des assises, joint compris, est en moyenne de 0,10 m. Le piédroit droit, en retrait de 0,10 m en face externe de la fondation, conserve 5 assises légèrement décalées les unes par rapport aux autres, ce qui réduit sa largeur, au niveau d'arasement à la cote 12 m ngf, à 0,40 m (Figure 30). Le piédroit gauche conserve 4 assises ; sa largeur de 0,30 m à l'origine a été portée à 0,45 m par l'adjonction, face externe, d'une épaisseur de moellons reposant sur des blocs allongés et irréguliers disposés sur la fondation élargie (Figure 31). L'interruption de la maçonnerie du piédroit gauche est en retrait de 0,60 m par rapport à l'extrémité de la fondation. Le plancher du canal est installé entre les piédroits dans une excavation surcreusant légèrement l'arène en place sur une largeur de 1, 80 m pour une profondeur de 0,12 m au niveau de la coupe pratiquée, là où le fond de la tranchée est à la cote 11, 69 m ngf. Dans l'axe nord-sud, le profil oblique du fond de l'excavation, montre que celle-ci s'arrête; sa lnnite, marquée par une crête de l'arène naturelle à la cote 11, 81 m ngf, correspond à la limite de la tranchée de fondation du piédroit gauche (Figures 32-33). Le plancher se compose de trois couches de matériaux, de bas en haut (Figures 28,34): - un hérisson de pierres de granité posées de chant ou à plat sur le fond de l'excavation, d'une épaisseur moyenne de 0,08 m ; la mise en place du hérisson s'interrompt 0,50 m avant l'extrémité de l'excavation ; - un radier de gravillons de granité de 1 à 2 cm de calibre, sans mortier, d'une épaisseur moyenne de 0,08 m et qui remplit les interstices du hérisson ; cette couche garnit le fond de l'excavation, là où le hérisson est absent ; - un béton de tuileau à granulat de fragments de tuiles ou briques et d'éclats de granité de 0,08 m d'épaisseur, affaissé en son centre et relevé en bordure des piédroits (cotes ngf respectives d'ouest en est : 11,95 , 11,91 et 11,94). L'épiderme de ce béton ne présente aucune trace de lissage ; d'autre part, il subsiste, entre les bord du plancher de tuileau et les piédroits, un espace vide de 0,04 m, ce qui donne une largeur de plancher de 1,72 m. Aucune trace de cuvelage à l'épiderme du béton de tuileau ou en paroi des piédroits n'a été observée.

Sous la canalisation, le substrat d'arène granitique légèrement surcreusé pour l'installation du plancher présente un faciès peu altéré, de couleur gris-jaune. Au-delà de l'extrémité de la canalisation et de part et d'autre de celle-ci, l'arène naturelle, en légère déclivité d'ouest en est, est en place sous différents aspects qu'il convient d'examiner (Figure 33). Dans la partie centrale du sondage, immédiatement au sud de la structure, l'arène présente, sur une bande de 1,50 m de large, un faciès légèrement argileux de couleur verdâtre avec de nombreuses inclusions de taches brunes dues aux racines. Son épidémie est légèrement surcreusé et affecte un profil en cuvette aux cotes ngf respectives, du nord au sud dans l'axe de la canalisation, 11,81, 11,72, 11,76, et aux cotes 11,83, 11,78, 11,86, 12,04 dans le prolongement du piédroit droit. L'arène altérée

14 s'observe également latéralement, contre les piédroits. Le profil en légère cuvette et l'altération de 1'épiderme de l'arène en place sont associés aux cheminements aménagés à l'extrémité de la culée et parallèlement à l'ouvrage d'art, aménagements qui datent de la restructuration paysagère de la fin du XIXe siècle au cours de laquelle furent découverts et dégagés les restes de piles. En limite sud du sondage, l'arène de couleur jaune présente un faciès non altéré aux cotes 12,04 ouest et 11,90 est. Elle est perturbée par un creusement subcirculaire de 1,40 m d'axe pour 0,69 m de profondeur par rapport au sol actuel, dont le fond atteint le granité franc à la cote 11,67. L'aspect irrégulier de la morphologie, des parois et du fond du creusement où s'observent des trous de racines, désigne un écofact : un chablis.

Sondage S2 (Figure 35)

Au fond de l'excavation, le toit du substrat franc apparaît en déclivité d'ouest en est aux cotes ngf respectives 12,45 et 11,87. Le rocher est recouvert par l'arène dont l'épaisseur varie entre 0,20 m et 0,30 m. D'ouest en est, 1'épiderme de l'arène est aux cotes ngf 12,65 et 12,17. L'épaisseur de la couche végétale varie entre 0,30 m et 0,50 m.

Un creusement affecte le rocher sur une profondeur comprise entre 0,10 m et 0,20 m et sur une largeur de 2,15 m à 1,95 m. Le fond, à la cote ngf 12,28, est plat. De même orientation que la section terminale de la culée, le creusement est pratiquement dans le prolongement de la culée ; sa paroi occidentale est dans l'exact prolongement du parement externe du piédroit droit. L'observation de la coupe nord de l'excavation (coupe C-C) montre un abaissement du rocher, immédiatement à l'est du creusement décrit, suggérant un second creusement tangent au premier. En réalité, cette anomalie qui se prolonge jusqu'à l'extrémité orientale du sondage résulte de l'altération plus profonde du granité. Le remplissage du creusement se compose d'une unique couche d'arène limoneuse de couleur marron mêlée de terre végétale (couche 3, coupe C-C). Le comblement est recouvert par une couche d'arène légèrement limoneuse, de couleur ocre (couche 2), indistincte de l'arène en place.

Ce creusement présente toutes les apparences d'un fond de tranchée. La nature de son remplissage tend à montrer que cette tranchée est demeurée ouverte un certain temps. La couche d'arène recouvrante pose problème : on voudrait y voir un colluvionnement de l'arène en place, ce qui supposerait que la couverture végétale avait été ôtée, notamment côté ouest, sur une large bande excédant la largeur du creusement. Aucune observation des parois ne vient cependant confirmer cette proposition.

Sondage S3

Le granité franc fortement fracturé est en déclivité d'ouest en est, aux cotes ngf respectives 13,13 , 12,82, 12,63 et 12,49. A l'est du chemin, son épiderme s'abaisse à 12,36 m. Aucune structure, aucune action anthropique de type « creusement » n'a été repérée dans cette tranchée.

2.4.3. Interprétation

Le sondage SI a été exécuté à l'extrémité de la culée, à l'endroit précis où la canalisation commence à s'enterrer comme le démontre l'aménagement de l'arène du substrat surcreusée sur 0,12 m de profondeur pour l'installation du plancher du canal. La construction de la canalisation est précisément interrompue à cet endroit. La somme des observations du sondage SI permet d'éliminer l'hypothèse d'une destruction du canal suivie d'une récupération des matériaux de construction, et de valider celle d'une interruption définitive du chantier de construction de l'aqueduc: - les tranchées de fondation des piédroits sont sans solution de continuité au sud où l'arène en place n'a subi aucun remaniement hormis une érosion et une altération superficielles dues à l'assiette du chemin qui se subdivise ensuite en deux sentiers parallèles à la culée ;

15 - le même constat s'impose à propos de l'excavation de fondation du plancher du canal dont le fond se relève, à son extrémité sud, à la cote ngf 11,81 ; - la mise en place du hérisson est interrompue avant l'extrémité de l'excavation de fondation, à partir du point où le fond est insuffisamment creusé pour fonder le plancher de 0,24 m d'épaisseur (hérisson + radier + tuileau). Le radier de gravillons et le béton de tuileau viennent mourir à l'extrémité de l'excavation ; - le niveau du toit du rocher en limite sud du sondage (entre les cotes ngf 12,01 et 11,90) - à fortiori de l'arène en place qui le recouvre - est tel que l'on peut affirmer que l'excavation de fondation du canal n'a jamais été prolongée. Dans le prolongement du piédroit gauche, à une quinzaine de mètres au-delà de notre sondage, subsiste un mur sous le talus oriental du chemin. Un nettoyage du parement a montré que cette structure n'a rien à voir avec la canalisation : ce mur est édifié en pierres sèches, généralement des blocs oblongs bien différents des moellons calibrés des piédroits, pratiquement sans joints et posés sur l'arène du substrat. On y reconnaît aisément la pratique très répandue dans la région qui consiste à armer les talus d'un muret pour en limiter l'érosion.

On ne peut cependant éliminer toute possibilité que les travaux préparatoires à la construction de la canalisation aient jamais été conduits au-delà de la culée. Le fond de tranchée d'une largeur d'environ 2 m, implanté dans le prolongement de la culée, observé dans le sondage S2, est calibré pour un canal de 0,60 m ou 0,90 m de largeur interne. Mais, s'il s'agit bien de la tranchée de fondation du canal enterré - ce que les données du sondage ne permettent pas de certifier -, ce ne pourrait être qu'une ébauche de la tranchée compte tenu de la cote atteinte (12,28 ngf), supérieure de 0,50 m à la cote relevée sous le hérisson dans le sondage SI. Le sondage S3 n'apporte aucune information complémentaire dans la mesure où, d'après la topographie du terrain naturel, le tracé du projet peut correspondre à l'interruption de la tranchée de sondage au niveau du chemin. La canalisation, telle qu'elle se présente dans le sondage SI nous laisse circonspect. Sa largeur interne de 1,72 m en ferait l'un des plus grands aqueducs du monde romain mais ses principes constructifs (calibrage et fondation élémentaire des piédroits, composantes et faible puissance du plancher) sont contradictoires. Qu'une simple agglomération secondaire telle que Locmariaquer ait été dotée d'un projet avec une telle capacité hydraulique apparaît invraisemblable au regard du calibre des aqueducs des principales villes des Gaules ou d'autres provinces, comme Nîmes : 1,20 m, Augstet Cartilage : 0,90 m, Trêves et Lyon-Brévenne : 0,80 m, pour ne citer que quelques exemples. A titre de comparaison, le calibre du grand aqueduc de Carhaix, chef-lieu de cité - sans doute le plus important de la péninsule armoricaine - n'est que de 0,60 m12. Il n'est guère que le cinquième aqueduc de Vienne- Estrablin, d'une largeur de 1,80 m, qui soit comparable ; encore convient-il de préciser que la fonction de ce canal est purement technique : celle d'un canal écrêteur de crues, fonction que l'on chercherait vainement à vouloir prouver pour l'aqueduc de Locmariaquer ! On est bien embarrassé, en l'état actuel de la recherche documentaire, pour proposer une explication à ce surdimensionnement. L'hypothèse d'un bassin de régulation classique à l'extrémité de la culée aval est à exclure : les bassins de décharge, tels ceux que l'on connaît sur les aqueducs de Nîmes ou de Metz, sont toujours à l'amont des ouvrages franchissant les cours d'eau. Il est en effet logique d'assurer l'écoulement des trop-pleins avant les ponts où, par nature, le canal est plus précaire et le moins accessible en cas d'avarie. Une hypothèse envisageable se réfère à l'aqueduc de Metz. Sur le pont-aqueduc franchissant la Moselle, entre Ars et Jouy-aux-Arches, l'aqueduc se divise en deux canalisations parallèles séparées par un muret fondé sur le tablier du pont. En amont, au départ de l'ouvrage, un bassin régulait le débit tandis qu'en aval, au point ou la canalisation s'enterrait, un second bassin réunissait les deux canalisations. Selon l'explication traditionnelle, ce dispositif - unique dans le corpus des aqueducs antiques - permettait d'alterner le fonctionnement des canalisations, l'une étant en service pendant que l'autre était en entretien. Une explication récente, plus rationnelle, part des pressions de la colonne d'eau et de la voûte qui s'exerçaient sur les parois du canal. Le dédoublement avait pour effet d'élargir le fil d'eau et, par conséquent, de diminuer la hauteur d'eau en circulation et

12 A. Provost et B. Leprêtre -L'aqueduc gallo-romain de Carhaix (Finistère). Rapide synthèse des recherches en cours, Caesarodunum, XXXI, 1997, p. 525-546.

16 de diminuer les charges exercées par les deux voûtes en les reportant sur le muret central13. Dans ce qui n'est qu'une piste de recherche parmi d'autres, il faudrait convenir que le plancher du canal observé à Rosnarho représenterait le tablier du pont - ce que pourrait suggérer l'absence de cuvelage - et que le projet de division en deux canalisations n'aurait pas été réalisé, ce qui cadrerait bien avec nos observations qui démontrent que la canalisation enterrée n 'a jamais été construite !

13 C. Lefebvre -L'aqueduc de Metz, Caesarodunum, XXXI, 1997, p. 405-439.

17 3. Synthèse des données

3.1. L'ouvrage de franchissement (Figure 36)

3.1.1. Comparaison des profils en long du seuil du « Pont de César » (Figure 37)

Il est à présent possible d'établir un comparatif des profils en long de l'axe du pont relevés en 1869, 1897 et 2001. Les plans de 1960 sont trop imprécis pour être pris en compte. Les plans du XTXe siècle font apparaître un ensemble de 7 bases de piles dont 5 dans le lit mineur mais, d'un plan à l'autre, la position des piles et leur espacement varient. Pour les relevés de 2001, seules les piles I, II et III sont prises en compte, les autres ayant été globalement dérasées antérieurement.

Plan 1869 Plan 1898 Plan 2001

Largeur des piles 11,60 m 12 à 18m 11 à 12m (orthog. à l'axe du pont) (moy. 13,60 m)

Longueur des piles 10 à 12 m 10 à 20 m 11 à 12 m (dans l'axe du pont) (moy. 13,60 m)

Espacement 7,60 à 12 m 6àl0m 11m (moy. 10,20 m) (moy. 6,60 m)

Entraxe (moyenne) 21,20 m 20,20 m 22,50 m

La forme, les surfaces d'encombrement et les dimensions des piles varient d'un plan à l'autre, au XIXe siècle, à cause de l'imprécision des relevés effectués à partir de la surface, sans visibilité et de l'écrêtement intervenu entre 1869 et 1897. La comparaison des piles I à III permet de constater que la morphologie globale des plates-formes et des dépressions n'est pas modifiée depuis 1869. Les relevés du XIXe siècle montrent toutefois des ruptures nettes entre les plates-formes et les vides. En revanche, le relevé de 2001 fait apparaître une topographie plus molle liée à l'accumulation des déblais. Il est clair, d'autre part, que seules les piles I à III sont conservées au niveau des fondations. Les piles FV à VI ont disparu de la topographie après les travaux de 1960 par l'effet conjugué de l'arasement et du comblement des vides par les déblais, comblement effectif entre les piles III et IV. La pile I est ancrée sur l'estran de Rosnarho et la pile VII est dans la même configuration côté Kérisper. On note, pour les piles I à III, la forte similitude entre les données de 1869 et celles de 2001, il devient alors possible d'estimer les dimensions des massifs de fondation et des vides : -surface des plates-formes : 11 m x 11 m ; -espacement : 12 m ; -entraxe autour de 22 m.

3.1.2. Essai de restitution des principes de fondation des piles (Figure 38)

Le plan en courbes de niveau des piles I à III permet déjà de mieux appréhender la géométrie des fondations de l'ouvrage et autorise une progression dans la restitution des volumes. Il est quasi certain que le parement assisé de blocs de grand appareil de la pile I correspond au bord méridional de la pile. Le parement est à 5 m ± 0,50 m de l'axe du pont, ce que induit une pile d'environ 11 m de largeur, ce qui correspond à la plate-forme telle que la restituent les courbes de

18 niveau, plate-forme clairement matérialisée par une anomalie topographique visible à marée basse. Les autres blocs, déplacés mais toujours à proximité, résultent de son démantèlement. Les plates-formes des piles II et III sont visualisées par les courbes de niveau et sont bien alignées par rapport à l'axe du pont avec un léger débord vers le nord pour ce qui concerne la pile II. Les deux plates-formes sont de plan pseudo-rectangulaire et mesurent 12 m x 11 m pour la pile II et 13 m x 12 m pour la pile Ifl, définissant une surface de plus de 100 m2. L'altimétrie générale du sommet des plates-formes diffère : elle est de -2,50 m ngf pour la pile II et de -3 m ngf pour la pile III. Un seul élément de poutre a été repéré sur la pile II : on a tout lieu de supposer que les poutres sont masquées par les déblais et qu'une première assise de poutrage doit se situer à 0,50 m plus bas, ce qui correspondrait au niveau des poutres repérées sur la pile III. Les dépressions entre les piles restituent les vides, partiellement remblayés par les matériaux de démolition ou d'arasement. La dépression entre les piles I et H, large d'environ 10 m, conserve 2,50 m de profondeur par rapport à la plate-forme de la pile II. Entre les piles II et III, la dépression atteint plus de 3 m de profondeur pour une largeur égale à 11m. Le relief sous-marin est atténué par les accumulations de matériaux, à tel point qu'il est impossible de définir avec précision la limite vraie des plates-formes. La grande poutre repérée sur la pile III est, d'après son orientation, en place ; elle est presque à l'horizontale en considérant comme négligeables les 7 cm d'écart de niveau noté entre les deux extrémités (sur une longueur de 7 m). L'extrémité sud de cette poutre, dont la tranche semble d'origine, est à environ 5 m de l'axe du pont. Ainsi, la largeur de 10 m de la plate-forme (perpendiculaire à l'axe du pont), définie par les poutres de 10 m de long signalées aux XIXe et XXe siècles, trouve sa parfaite confirmation grâce aux éléments in situ. Il convient de remarquer que si les niveaux de poutrage sont identiques sur les piles II et III, ce que laissent supposer les observations différentes sur les 2 plates-formes, on peut présumer que la trame supérieure des poutres de la pile II est vraisemblablement intacte.

Aucune poutre verticale n'a été observée, ce qui est logique compte tenu du profil des plates- formes : les délais et accumulations les masquent totalement. Elles ont été observées in situ dans les piles à déraser en 1960. Le rapport illustré de la société Trasouma est un document majeur (Figure 39) : une coupe transversale -malheureusement non cotée à l'exception de la section des poutres- montre une « herse » constituée de 8 poutres (dénommées, à tort, pieux) de 0,40 m de section qui, si les proportions sont respectées sur le dessin, se développerait sur une longueur de 9 m avec une interdistance régulière à 1 m environ. Le document est à utiliser avec précaution : outre qu'il y manque l'échelle, rien n'indique à quel endroit du seuil correspond cette coupe. En tout état de cause, ce rapport fait table rase des propositions de restitution des structures de fondation des piles des ingénieurs du XIXe siècle (Forestier en 1869 et Noury en 1899) qui, il est vrai, en étaient restés à l'hypothèse d'un pont routier (cf. supra).

La pile I et son vis a vis, la pile VII, en limite d'estrans ont évidemment été ancrées sur le substrat et l'on peut envisager une fondation en grand appareil exclusivement. Sur l'estran de Rosnarho, l'assise supérieure de grand appareil est à la cote -1,25 m ngf et l'assise inférieure à -1,70 m. Cette dernière cote est à rapprocher de l'altimétrie du gros bloc découvert en 2000 sur l'estran de Kérisper, à la cote -1,76 m ngf. Vu la complexité de l'ouvrage, on peut penser que l'altimétrie des assises successives était alignée d'une rive à l'autre. Sur l'estran de Rosnarho, l'assise inférieure de grand appareil est à 1 m au-dessus du poutrage de la pile III. Cette observation débouche sur l'hypothèse suivante : il est possible que la fondation en caisson des poutres de piles immergées était couronnée par une ou plusieurs assises de grand appareil afin d'assurer la stabilité des superstructures. Il est vrai qu'une telle disposition n'a pas été observée sur les piles II et III et il est tentant d'accuser les récupérateurs de matériaux sachant que les blocs affleuraient lors des basses-mers de marées à fort coefficient. Les poutres qui armaient les plates-formes et les pierres de blocage n'ont fait l'objet d'aucune récupération ce qui explique pourquoi, lors des dérasements, les opérateurs sont tombés dès le début de leurs interventions sur cet enchevêtrement de poutres qui leur a donné bien du « fil à retordre » comme le montrent les courriers des ingénieurs tant en 1960 qu'en 1899.

19 3.1.3. Eléments pour la restitution de la géométrie de l'ouvrage de franchissement proprement dit (Figure 40)

A partir de l'ensemble de ces éléments, il devient possible, avec une grande prudence, d'esquisser une restitution de la volumétrie du pont. Dans le lit mineur et en limite d'estrans, les fondations des 7 piles sont des massifs carrés d'environ 11 m de côté, interdistantes d'autant, conformément à la règle de l'égalité des pleins et des vides. Les piles extrémales du lit mineur (I et VII) sont fondées en grand appareil jointif à carreaux et boutisses probablement (aucune trace de crampon ou de trous de levage n'a été observée). Entre ces 2 piles extrêmes, les fondations des piles II à VI, sont de grands caissons à poutres horizontales et verticales dont l'assemblage reste à élucider : si les assemblages à mi-bois maintenus par des chevilles sont la règle en ce qui concerne les bois horizontaux, aucun assemblage entre bois horizontaux et bois verticaux n'a été reconnu. Ces caissons, vraisemblablement positionnés par flottage, ont été coulés par un remplissage composé de blocs, de pierrailles et d'argile. A l'époque romaine, le niveau de l'eau étant inférieur de 1,50 m à 2 m, la trame supérieure des poutres affleurait à marée basse ce qui était essentiel, au moment de la construction, pour assurer le calage des superstructures. Une ou plusieurs assises de grand appareil pouvaient couronner ces caissons mais il est difficile, en l'état actuel, d'appréhender l'appareil des superstructures de l'édifice. Au-dessus du niveau des plus hautes eaux, les piles devaient être à redans afin de diminuer le volume de matériaux à mettre en œuvre et donc le poids des superstructures. Des piles d'environ 8 m de côté sont envisageables ce qui induit des arcs d'environ 15 m de portée Le niveau du fil d'eau du canal devait avoisiner 13 m ngf, d'après la cote du béton de tuileau (11, 95 m ngf) relevée à l'extrémité de la culée aval (sondage SI). La hauteur du pont atteignait environ 15 m par rapport à 1'épiderme des fondations dans la rivière.

3.1.4. Aperçu sur l'ensemble de l'ouvrage d'art (Figure 36)

A quelques mètres près, l'ouvrage d'art de franchissement de la rivière d'Auray mesurait 450 m de longueur.

L'angle de maçonnerie en petit appareil visible en haut de falaise, côté Kérisper !4, appartient vraisemblablement à l'extrémité de la culée amont. La cote du terrain naturel à l'aplomb de cette structure est, en effet, de 9,50 ngf tandis que le départ de la culée aval est à la cote 8,80 ngf. Par comparaison avec les données collectées dans le sondage SI de Rosnarho, où le point de départ de la section enterrée se situe aux environs de la cote ngf 12 m, il est possible d'estimer la longueur de la culée amont autour de 35 m. Après la culée amont, la structure de l'ouvrage est inconnue sur une longueur de 65 m. Aucune structure n'est visible, ni en paroi de la micro-falaise, ni sur l'estran de Kérisper dont la surface est encombrée par les déblais de dérasement, des concrétions, des algues et de la vase. Les sondages réalisés par P. André sur l'estran ont laissé entrevoir des parements mais nous estimons trop partielles ces informations pour conclure. La section suivante, longue de 150 m, correspond au lit mineur actuel de la rivière. Elle comportait 7 piles fondées sur des plates-formes carrées d'environ 11 m de côté. Les plates-formes des piles VII et I étaient édifiées en grand appareil ancré sur le rocher. A l'époque de la construction - le niveau de la mer étant plus bas de 1,50 m à 2 m - la surface d'ancrage de ces 2 piles était à découvert à marée basse et correspondait à l'estran. Au-delà de la pile I, la structure de l'ouvrage est à nouveau inconnue sur une longueur de 36 m correspondant à l'estran de Rosnarho et au môle édifié pour supporter la terrasse aménagée pour la construction de la maison dite du « Pont de César ». La section suivante, de 121m de longueur, correspond à la file d'arches aval. Elle se compose de 10 piles détruites en 1964, y compris la pile d'angle à 160 grades et de 15 piles conservées, en élévation, sur une longueur comprise entre 1 et 2 m. Les piles de plan carré mesuraient 2,50 m de côté en fondation et 2,40 m en partie inférieure de l'élévation.

Notre rapport 2000, p. 23, figure 7.

20 La dernière partie de l'ouvrage correspond à la culée aval, longue de 40 m, avec une inflexion angulaire de 160 grades à 35,60 m de l'origine de la culée.

Les 2 sections non renseignées laissent en suspend une question loin d'être anodine : la liaison entre les 7 piles aux fondations immergées de 11 m x 11 m de section et les piles terrestres de 2,50 de côté.

3.2. Un pont pour rien : l'abandon du projet d'adduction

Les résultats négatifs de la prospection terrestre du tracé potentiel et les conclusions du sondage terrestre à Rosnarho concourent à démontrer que la canalisation enterrée de l'aqueduc de Locmariaquer n'a jamais été réalisée. Seul l'ouvrage de franchissement a été construit, dans son intégralité, tablier compris, si l'on en juge par les plaques de béton de tuileau observables tant au niveau des ouvrages aval et amont que sur les estrans. La construction primordiale de l'ouvrage d'art se justifie par les considérations suivantes : ce type de chantier requiert le concours de spécialistes originaires de corps spécialisés et étrangers à la région, pour partie tout au moins : librator (ingénieur-topographe), architecte et charpentiers spécialisés. La construction de tels ouvrages ressortit généralement du génie militaire. C'est en effet dans la légion - les textes, les inscriptions, et des recherches archéologiques le démontrent - que l'on trouve les spécialistes de tels ouvrages : à l'origine, les routes et les ponts ont été construits pour le passage des légions et par elles. Tous les chercheurs s'accordent pour penser que les études préliminaires à la construction des grands aqueducs, la définition de la section de passage, et l'encadrement de l'édification des ouvrages d'art étaient à la charge de spécialistes de l'armée envoyés en mission pour ces tâches. La construction du canal enterré, une fois le tracé défini et piqueté par le librator, pouvait être réalisée par les entrepreneurs et la main d'œuvre locaux.

Nous voyons trois pistes possibles pour amorcer la réflexion sur les raisons ayant conduit à l'abandon du projet à l'issue de la construction du pont : techniques, financières et politiques. La première conduit à envisager l'effondrement du pont peu après sa construction. Seules des recherches sous-marines - délicates compte tenu des conditions d'observation - sur la dispersion des matériaux de démolition dans le lit de la rivière pourraient éventuellement apporter des éléments de réponse. La toponymie suggère que les parties hautes de l'édifice étaient visibles au Moyen-Age (Rosnarho = colline aux arches) mais elle concerne vraisemblablement la file d'arches aval de l'ouvrage. La dénomination « Pont de l'arche » au XVIIe siècle ne peut, à elle seule, être décisive. La piste des problèmes de financement paraît plus sérieuse. Une inscription découverte à Sens (Yonne) mentionne un curateur sénon (C Decimius C. Decimi Severifil. Sabinianus) nommé par Caracalla (198 - 209 ap. J.-C.) pour remettre de l'ordre dans les finances de la cité des Venetes (CIL XIII, 2950). Cette inscription montre que le pouvoir impérial s'alarme des problèmes financiers de la cité des Venetes à la fin du Ile siècle ou au début du Ille siècle, difficultés sans doute antérieures à cette époque. On se gardera de toute relation de cause à effet, en considérant notamment que la construction du pont n'est 15 pas datée , tout en observant que la période sévérienne est, en Armorique, une période de grands travaux parmi lesquels il faut citer la construction du grand aqueduc de Carhaix. On a aucune peine à imaginer que la construction de l'ouvrage de Kerisper/Rosnarho, dans le contexte géophysique très particulier qui est le sien, a pu grever les finances du maître d'ouvrage. La troisième piste est purement conjecturale : celle de changements politiques à la tête de la cité ou du vicus - dans la mesure où Locmariaquer pouvait bénéficier de ce statut et donc jouir d'une certaine autonomie - générant d'autres choix, fonctions de critères économiques par exemple, ce qui nous ramène à la piste financière.

15 Une mesure radiocarbone (GIF 7191), réalisée sur une poutre en 1986, a donné 1700 ± 50 ans (P. André et F. Bougis, op. cit. p. 143) ; ce qui indique le Ille siècle.

21 Conclusion

Les résultats de l'opération de prospection thématique couplée à la prospection subaquatique du seuil du Pont de César sont d'un intérêt majeur à plusieurs titres. Au plan de l'étude des techniques de l'antiquité, l'ouvrage d'art offre des perspectives intéressantes. Il a été possible de déterminer avec précision qu'elles étaient les parties profondément détruites et les parties où les fondations conservent des vestiges conséquents et structurés permettant de proposer un schéma de la mise en œuvre. Si celle-ci n'a rien d'exceptionnel - le principe de la fondation à caissons a été reconnu dans la construction de môles et de quais antiques comme à Londres et dans la construction de ponts routiers sur le Rhin et le Danube entre autres - la situation du pont, en estuaire soumis aux marées générant un renversement de courants violents, en fait un ouvrage unique dans l'état actuel des connaissances. Sa construction fut une véritable prouesse technique dans de telles conditions. Au-delà de l'aspect technique, il convient de souligner qu'en fin de compte cet ouvrage n'aura servi à rien d'après les résultats des prospections et des sondages terrestres qui démontrent que la canalisation n'a jamais été réalisée, en aval comme en amont. Un tel constat conduit à s'interroger sur l'agglomération antique de Locmariaquer dont le développement fut certainement entravé durablement. Plus globalement, l'abandon de ce projet illustre les difficultés des cités armoricaines à mener à bien des projets somptuaires, difficultés illustrées, chez les coriosolites par l'achèvement différé du grand sanctuaire du culte poliade et du culte impérial du Haut-Bécherel.

Il faut souhaiter que le site antique de Locmariaquer face l'objet de toute l'attention qu'il mérite et que puissent s'y développer, dans l'avenir, des programmes de recherche, sous l'éclairage de l'abandon de l'ambitieux projet d'adduction.

Sans nier les problèmes techniques et financiers soulevés par une opération de cette envergure, il nous paraît clair qu'il faut achever l'étude de l'ouvrage d'art en fouillant les estrans et les piles conservées dans le lit de la rivière, ce qui suppose l'extraction de sections de poutres aux fins de datation dendrochronologique. Il est clair également qu'une telle opération devrait être confiée à une équipe professionnelle spécialisée dans l'architecture civile immergée, avec la collaboration des plongeurs locaux, bons connaisseurs du milieu et celle des archéologues terrestres. Lors de la présentation des résultats préliminaires lors de la convention internationale « In Binos Lumina II » qui s'est tenue à Narni (Italie) du 18 au 20 octobre 2000, nos collègues ont souligné tout l'intérêt d'un tel programme. L'année 2002 devrait être consacré à la mise sur pied d'un tel projet en collaboration avec les partenaires institutionnels, SRA et DRASSM.

22 Annexe : liste des principaux documents d'archives

Bibliothèque Nationale de France, Cartes et plans, S H Archives, 16.

« La carte du Morbihan. Faict par moy Le Grain ». 1637.

Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, C 1178

« Plan de la rivière d'Auray depuis le Pont de S1 Goustan jusqu'à la pointe de Kérisper ou la partie qu'il faut netoïer », plan en couleurs levé par Loiseau en 1753.

Requête de la communauté d'Auray auprès des Etats de Bretagne sur les désenvasements du port d'Auray et du seuil du pont des Arches (Kérisper-Rosnarho), 1753 ?

Avis des ingénieurs Chocat de Grandmaison et Villeminot en date du 7 octobre 1754 pour l'examen des ouvrages proposés pour le rétablissement du port (d'Auray).

Lettre du maire d'Auray en date du 17 mars 1757 à l'ingénieur Chocat.

Archives Départementales du Morbihan. S 51

Lettre de l'ingénieur en chef des ports maritimes à Vannes au préfet du Morbihan en date du 26 octobre 1814.

Certificat pour paiement et état des ouvrages exécutés en régie pour l'enlèvement des débris d'un ancien pont dit de César, Préfecture du Morbihan, en date du 22 mai 1827.

Archives Départementales du Morbihan, S 3060

Extrait du registre des délibérations du Conseil général du Morbihan en sa séance du 29 août 1868.

Rapport de l'ingénieur ordinaire Forestier, des Ponts-et-Chaussées du Morbihan, daté du 31 mars 1869, accompagné du plan et du profil en long du seuil du « Pont de César ».

Lettre du directeur général des Ponts-et-Chaussées et des Chemins de fer au préfet du Morbihan, datée du 15 mai 1869.

Voeu du Conseil général du Morbihan en sa séance du 19 août 1897, demandant la destruction des restes de piles du « Pont de César ».

Rapport du conducteur subdivisionnaire Y. Noury, du 14 mars 1898, accompagné des plans, profils en long et profils en travers du « Pont de César », suivi de l'Avis de l'ingénieur ordinaire Lebert, du 30 juin 1898 et de l'Avis de l'ingénieur en chef Wilotte, du 30 juin 1898.

Rapport de la commission nautique du 30 septembre 1898.

Arrêté du ministre des Travaux Publics d'ouverture de crédit pour l'arasement de 1 m de 3 piles en rive gauche, du 25 juillet 1898.

Archives Départementales du Morbihan, S 167

Proposition de constitution de laxommission nautique locale par l'ingénieur Lebert en date du 18 août 1898.

23 Arrêté de constitution de la commission nautique locale.

Arrêté du ministre des Travaux Publics, signé Quinette de Rochement, approuvant la destruction de 3 des piles du pont avec ouverture de crédit.

Archives Départementales du Morbihan, 7 J 150

Lettre du conducteur subdivisionnaire Noury à Willotte, ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées à Vannes, datée 12 décembre 1899, portant sur la comparaison des plans et profils du seuil du « Pont de César» levés en 1869 et en 1897.

Lettre de l'ingénieur en chef Willotte à Closmadeuc, datée du 23 décembre 1899, pour transmission des calques des plans et profils du seuil du « Pont de César».

DDE/Affaires Maritimes de Vannes (non cotés)

Lettre de l'Ingénieur en chef de la DDE à Vannes à l'architecte des Bâtiments de France/Monuments Historiques, datée du 29 mars 1960, faisant état du projet d'arasement du seuil du « Pont de César».

Demande d'autorisation d'exécution des travaux de dérasement du « Pont de César » présentée par la DDE/Travaux maritimes de Vannes au préfet du Morbihan, datée du 30 septembre 1960, précisant le nom de l'entreprise soumissionnaire (société Trasouma) et la nature des travaux..

Lettre du Comité interprofessionnel de l'ostréiculture et des cultures marines au préfet du Morbihan datée du 18 octobre 1960, attirant l'attention sur l'incompatibilité entre le projet de dérasement et le renouveau de la production de naissain d'huîtres plates dans cette zone.

Réponse de l'ingénieur en chef Galard au Comité interprofessionnel de l'ostréiculture, datée du 24 novembre 1960, niant toute conséquence des travaux de dérasement sur l'activité ostréicole.

Dessin d'une section transversale du seuil du « Pont de César » et tableau récapitulatif des bordereaux de plongées concernant les travaux effectués par la société Trasouma du 26 septembre au 13 décembre 1960, faisant état des jours et durées des plongées, du nom des plongeurs, de la profondeur des plongées, de la visibilité et de la nature des travaux effectués en plongée.

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Figure 4 : Vue d'une des piles de la fiche d'arches aval à Rosnarho (cl. D. Mokaddem) Figure 6 : Plan du seuil du « Pont de César » dressé par Loiseau en 1753 (ADIV, C 1178). Figure 8 : Plan du seuil du « Pont de César » d'après Bouquet de la Grye, Pilote des côtes Ouest de France, 1869. R.G.

Figure 9 : Plan du seuil du « Pont de César » dressé par Noury en 1897 (l'orientation est inversée : Nord vers le bas) (en jaune : partie à déraser) (ADM, S 3060).

ck rcurere . RC. IV.

111.

L Figure 10 : Profils de la rivière d'Auray dressés par Noury enl897. V : profil en long du seuil du « Pont de César » (en jaune : partie à déraser) (ADM, S 3060). ' if

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Figure 11 : Croquis d'une poutre extraite en 1898 lors des essais de dragage (Y. Noury) (ADM..S 3060). \Sk. Tri*

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| '■ V'' i" ■ 1

/3 if w- «-W"' r IL ; Légende

j ^ - : Faisceau du tracé potentiel et options

| t0, | : Principaux points de captage potentiels

| j : Voie romaine

Y////^ : Surfaces prospectées 1 ~ . ; r^

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Figure 13 : Carte du faisceau du tracé potentiel de l'aqueduc et zones prospectées. - ' ij^'^r- ,„ >" - I ^g^fejg;, *l&'l$â&P*x... Figure 14 : Les plongeurs en action au pied de la bouée de César (cl. A. Provost).

Figure 15 : Nettoyage des blocs de granité sur l'estran de Rosnarho. A l'arrière plan : positionnement du pnsme sur les vestiges immergés (cl. T. Crognier). ROSNARHO KERISPER —-

Figure 17 : Plan en courbes de niveau des plates-formes des piles I, II et III et leur positionnement par rapport aux vestiges terrestres aval. Figure 18 : Blocs de grand appareil de granité en surface de l'estran de Rosnarho (cl. T Crognier).

Figure 19 : Vue de l'assise en grand appareil de granité sur l'estran de Rosnarho. Traces de taille à l'escoude (cl. T. Crognier). Figure 20 : Vue sous-marine de deux poutres en connexion (cl. E. Le Gall).

Figure 21 : Vue sous-marine de détail d'une poutre (cl. E. Le Gall). Figure 22 : Vue sous-marine d'une entaille de la grande poutre (cl. E. Le Gall).

Figure 23 : Vue sous-marine d'une entaille de la grande poutre (cl. E. Le Gall). Figure 24 : Vue sous-marine d'un bloc de grand appareil (cl. E. Le Gall).

Figure 25 : Vue sous-marine d'un bloc de grand appareil avec coins de débitage (cl. E. Le Gall). Figure 26 : Rosnarho. Plan de situation des sondages à l'extrémité de la file d'arches aval. 11.9S

11.60 11.85

11.78

11.86

.11.76 11.84 '

. 12 CM

Légende

1 : Béton de tuileau

|. ' . | Mortier

| | : Gravillons 12 01 j | : Arène remaniée (ocre)

| : Substrat arenisé pur

| | : Substrat arenisé tache par l'humus

< rv.. / 'y 11 67 /Al y\

12.36

1m 11.90

Figure 27 : Rosnarho. Plan du sondage SI. Structures, substrat et position des coupes. 11.92

1 m

Légende

j^g^j : Béton de tuileau

: Mortier

: Gravillons

: Substrat arénisé |+++1

11.72 11.61 11.91

11.69 . + + +.-+'++ 4 H> + + V 4- -4—=T + + +,+ + t-, t + + i + 4- f + t t- +• + + f t- t- b 4-4-4-4- I \i B

1m

Figure 28 : Rosnarho. Sondage SI. Coupes Â-A et B-B. Figure 29 : Rosnarho. Sondage SI. Implantation du sondage à l'extrémité de la culée aval (cl. D. Mokaddem).

Figure 30: Rosnarho. Sondage SI. Parement externe du piédroit droit (cl. D. Mokaddem). Figure 31 : Rosnarho. Sondage SI. Parement externe du piédroit gauche (cl. D. Mokaddem).

Figure 32 : Rosnarho. Sondage SI. Extrémité de la structure matérialisant l'arrêt du chantier de construction de l'aqueduc. Au premier pian : arène en place, altérée (ci. D. Mokaddem) Figure 33 : Rosnarho. Sondage SI. Extrémité de la tranchée de fondation du piédroit gauche de l'excavation de fondation du plancher (cl. D. Mokaddem).

Figure 34 : Rosnarho. Sondage SI. Coupe (B-B) du plancher du canal (cl. D. Mokaddem). Légende

~| : Substrat arénisé

1 : Humus 2 : Arène limoneuse de couleur ocre 3 : Arène limoneuse mêlée de terre végétale de couleur marron

12.88

Figure 35 : Rosnarho. Sondage S2. Position du creusement anthropique et coupe nord (C-C). môle limite des plus basses eaux limite des plus basses eaux limite des plus hautes eaux sommet de falaise SOm

Kerisper Rosnarho

'/ II r ~ -, 'III 'IV' r ~ 1 L 1

piles dérasées

J culée aval piles existantes piles détruites en 1964 renseignée fondations à caissons zone non renseignée culée (?) amont

fondations en grand appareil

Figure 36 : Plan de l'ouvrage de franchissement de la rivière d'Auray. Etat des connaissances fin 2001. Figure 37 : Profils en long comparés du seuil du « Pont de César ». Figure 38 : Essai de restitution de la géométrie des fondations des piles I, Il et III ; positionnement des blocs de grand appareil et des poutres observés. Figure 39 : Section transversale du seuil du « Pont de César » dressé en 1960 par le conducteur de travaux de la société Trasouma (Archives de l'Equipement - Affaires maritimes de Vannes).