LESDRAGONS PORTENT

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LA FLAMME DU XIII

Des matches à l’extérieur à plus de 1500 km de , un stade plein à la maison, des résultats plus qu’honorables... Les Dragons Catalans réussissent à faire vivre le rugby à XIII français en jouant le Championnat anglais. Pas si paradoxal.

PAR ERIK BIELDERMAN À PERPIGNAN

PHOTOS PIERRE MÉRIMÉE

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Des plaies et des bosses. Des visages mâchés mais souriants. On ne vient pas à bout de (38-6), alors deuxième de (les Dragons étaient huitièmes), sans sacrifier quelques soldats. Dans le stade Gilbert-Brutus de Perpignan, seul Justin Horo, le deuxième-ligne australien des Dragons Catalans, perché sur ses béquilles, semble ailleurs. Absent. Arcade sourcilière gauche recousue à la mi-temps du match face aux , l’« Aussie » a dû abandonner ses coéquipiers à l’heure de jeu. Rupture partielle du tendon d’Achille. Plaquer et plaquer encore. Quarante à cinquante fois par match pour chaque joueur.Défendre son territoire. Ne pas céder. Et une fois le ballon gagné, le faire vivre. Philippe Roques, trente et une saisons de médecine sportive vouées aux treizistes catalans, a l’œil pétillant d’admiration : « Ces types sont des gladiateurs. J’en ai cousu des kilomètres de points de suture. Réduit des centaines d’épaules luxées. Je me souviens de l’époque où les gars, pour préserver leurs dents, jouaient des Malabars plein la bouche. Ici, la souffrance ne justifie jamais qu’on mette un genou à terre. C’est le groupe qui guérit les hommes. On se relève pour les autres. Ma tolé- rance médicale est bien plus grande que dans n’importe quel autre sport. Heureusement que le protocole commotion existe sinon je ne pourrais jamais les empêcher de jouer. » À l’autre bout du couloir, dans la salle de musculation, les D joueurs non utilisés se jaugent épaule contre épaule. On se défie pour rire à coup de « shadow-boxing », comme d’autres se provoquent dans des duels d’« air guitar ». On se charrie en anglais, en français, rare- ment en catalan. Thomas Bosc,33ans,demidemêlée né au rugby à Saint-Estève ? CE SONT DES dans la banlieue de Perpi- gnan, est le dernier des GLADIATEURS. Catalans parmi les vingt- cinq Dragons. « Je suis ICI, LA passé pro en 2006. C’était la première saison des SOUFFRANCE NE Dragons – émanation de l’Union Treiziste Catalane – JUSTIFIE JAMAIS en Super League anglaise. Pour exister face aux pros britanniques, on a dû faire QU’ON METTE UN venir des Australiens, des gars des îles du Pacifique GENOU À TERRE < et les meilleurs Français. Philippe Roques, médecin D’où qu’ils soient. N’em- des Dragons Catalans pêche, l’âme catalane de ce club est inscrite dans ses gênes. Nous les anciens, on l’ino- cule aux étrangers via la bouffe, les chants catalans. » À l’autre bout du vestiaire, le Néo- Zélandais Louis Anderson entame à mi-voix Els Segadors (les Moissonneurs ), l’hymne officiel de la Catalogne. « Quand tu habites un pays, tu te dois d’apprendre la langue, la culture, t’imprégner des habitudes alimentaires JUNIORSA’U,DESSALFORDREDDEVILS,PRISENTENAILLEPARTROIS locales, explique le Kiwi. Depuis 2012, j’ai appris le français et CATALANS,LUNDIDERNIERÀPERPIGNAN.UNEACTIONQUIRÉSUME même un peu le catalan. » Autre Sang et Or de cœur, Vincent L’ENGAGEMENTETLECOMBATPHYSIQUEDURUGBYÀXIII. Duport, fier de ses trois essais inscrits face à Salford, est lui

34 Sur un effectif de 25 joueurs, 13 sont français cette saison. Pour rivaliser avec les Anglais, les Dragons ont recruté des Australiens ou des Néo-Zélandais comme Sam Moa (ci-dessus, maillot gris), arrivé cette année. Mais le club cultive sa « catalinité ». Jusque dans la salle de muscu du stade Gilbert-Brutus.

35 Bernard Guasch, président historique des Dragons Catalans, a fait de son club la vitrine du XIII français. « On doit maintenant régénérer notre public », avoue-t-il. Et cela passe aussi par les tournois de jeunes. Évoluer, mais sans jamais oublier son identité, illustrée par cette cargolade géante.

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un enfant d’Avignon. « Je me suis fondu dans la culture régio- nale, j’ai même inscrit mon fils Léon à La Bressola, l’école catalane. » À 29 ans, le centre s‘est tellement imprégné de l’identité d’ici, qu’il se mue tout naturellement en ambassa- deur du club catalan. « Les Dragons ne sont pas une franchise créée de nulle part en 2005 et intégrée un an plus tard en Super League. Le club est porteur de l’histoire mêlée du XIII Catalan et de Saint-Estève et leur fusion en 2000 (sous le nom de UTC : Union Treiziste Catalane) . C’était ça ou leur mort. Les Dragons, en fait, c’est la vitrine pro d’un rugby séculaire. » Avec quelques résultats face aux clubs anglais : deux demi-finales de Super League et une finale de Cup. Et, cette saison en Championnat, une sixième place sur 12 équipes (les 8 premiers disputent une phase finale). Retour la veille du match face à Salford, dans la zone d’activité de Torremila, près de l’aéroport, avec Bernard Guasch, l’histo- rique président des Dragons. Juste au-dessus de l’abattoir qu’il dirige. Chez les Guasch, on se lève chaque matin à 3 heures. De L’ENTRAÎNEUR LAURENT FRAYSSINOUS ET SES JOUEURS TAPENT père en fils et petits-fils. « José mon père, réfugié républicain, a ENCADENCESURLEURCASIERPOURFÊTERLEURVICTOIRE(38B6). pu ouvrir son premier étal de boucher grâce au XIII Catalan. En 1952, ilévoluaitpourtantchez lesquinzistes de l’USAP (finalistes 2013 : « Ça commence à payer. On a plusieurs jeunes catalans du Championnat de France Lourdes-USAP : 20-11) , mais le club issus de ces classes d’âge qui sont prêts à rejoindre l’effectif n’apas voulu lui prêter 20000 francs de l’époque pour lancer sa pro. » Bernard Guasch s’en félicite : « Nous sommes un vrai boucherie. Au XIII Catalan on lui a dit : “Signe chez nous et tu as club formateur et le réservoir essentiel de l’équipe de France. ton étal.” Nous, les Guasch, avons depuis cette date une dette Reste à promouvoir notre sport pour le sortir de la famille du éternelle vis-à-vis du XIII. » Aussi, de génération en génération XIII. On doit régénérer notre public. Seule une forte exposition ons’acquitte decedevoir.Guasch encore : « En2004,lesAnglais télé nous donnera cette visibilité. » Pour accueillir les Salford ont approché la Fédération française pour les aider à sauver Red Devils (banlieue de Manchester), Brutus affiche complet notre rugby et irriguer un nouveau marché. Ils ont proposé une (10 400 spectateurs) grâce en partie aux 1 300 jeunes joueurs placeàunclubfrançaispour de XIII, venus de la France entière disputer un tournoi sur les intégrer leur Championnat terrains de la fac de Perpignan. « On tourne à 9 000 specta- E ON TOURNE pro, la Super League, avec teurs de moyenne, explique Bernard Guasch. C’est plus que les droits télé afférents de l’USAP en Pro D 2. On est même passés au-dessus du XV en À 9 000 Sky. Villeneuve-sur-Lot, budget. Onze contre neuf millions d’euros. On s’appuie sur le et tissu de plus de 400 partenaires régionaux. À Brutus, on sert SPECTATEURS nous avons postulé. » Les plus de mille repas les soirs de match. Et on accueille jusqu’à Anglais choisiront l’UTC 1 000 supporters anglais quand les grosses équipes comme (17 titres de champion de ou viennent chez nous. » DE MOYENNE. France cumulés entre XIII L’occasion pour les Anglais de venir rosir au soleil de Catalogne. Catalan et Saint-Estève), « Le souci, c’est qu’ils atterrissent à Gérone et passent l’es- C’EST PLUS QUE rebaptisée pour l’occasion sentiel de leur week-end côté espagnol », se lamente Romuald Dragons Catalans. « Nous Peronne, viticulteur à Banuyls et volubile défenseur du rugby à LE XV DE L’USAP avons alors fait venir les XIII. Cet homme est un poète, un sociologue, un esthète : « Le meilleurs Français, pour- XIII c’est le rugby des rouges, des rugueux. De la terre à cail- EN PRO D2 @ suit leur président. Petit à loux.EnAngleterre,c’estlesportdesmineurs,dessocialistes.» Bernard Guasch, petit notre rugby national Le vin est joyeux, l’âme s’échauffe. « C’est ambigu de dire que président des Dragons retrouve sa fierté. » les Dragons sont réellement porteurs de l’identité catalane. Cettesaison13Français(sur Ce sera plus évident si le Toulouse Olympique, actuel 2 e de uneffectifde25)disputentla Championship (D2 pro anglaise), monte en Super League. Là, Super League. Jean-François Levy, le responsable de l’asso- la notion de derby exacerbera notre identité. C’est plus facile ciation regroupant les seize penyas de supporters des Dragons aujourd’hui pour l’USAP à XV. Eux affrontent chaque week- (5 000 membres inscrits), s’amuse de cette quête d’identité end des Basques, des Occitans... Notre “catalanité”, les gars d’un club cuisiné à la sauce anglo-saxonne. « Nous sommes de Hull ou Leeds, ils s’en foutent. Je nous vois plutôt comme le village catalano-gaulois d’Astérix encerclé par les légions le porte-drapeau de l’élite du rugby à XIII français. Quand des romaines… enfin, anglaises. » Pour résister,le club s’est struc- Avignonnais ou des Toulousains viennent nous soutenir,ce n’est turé. Objectif : former de bons joueurs régionaux via l’équipe pas simple pour eux de crier : “Catalans ! Catalans !” Là où on réserveengagéedansleChampionnatdeFranceÉlite(amateur). se rejoint tous, c’est sur les valeurs du XIII. » Celles du bleu de Mais plus encore avec les U19,inscrits eux dans le Championnat travail, du tablier de vigneron. Ici coule la sueur et le sang. Un anglais. Laurent Frayssinous, l’entraîneur des Dragons depuis vrai sport de gladiateur. On y revient. ∙ [email protected]

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