Transalpina Études italiennes

19 | 2016 Le cinéma italien d’aujourd’hui Entre film politique et film engagé

Mariella Colin et Rossella Giardullo (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/transalpina/427 DOI : 10.4000/transalpina.427 ISSN : 2534-5184

Éditeur Presses universitaires de Caen

Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2016 ISBN : 978-2-84133-839-9 ISSN : 1278-334X

Référence électronique Mariella Colin et Rossella Giardullo (dir.), Transalpina, 19 | 2016, « Le cinéma italien d’aujourd’hui » [En ligne], mis en ligne le 19 décembre 2019, consulté le 06 novembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/transalpina/427 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transalpina.427

Transalpina. Études italiennes Livre 1.indb 1 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 2 03/10/2016 14:30 Le cinéma italien d’aujourd’hui entre film politique et film engagé

Livre 1.indb 3 03/10/2016 14:30 Couverture : Maquette de Cédric Lacherez

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction, sous quelque forme que ce soit, réservés pour tous pays.

ISSN : 1278-334x ISBN : 978-2-84133-839-9

© 2016. Presses universitaires de Caen 14032 Caen Cedex - France

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ÉTUDES ITALIENNES – 19 –

Le cinéma italien d’aujourd’hui entre film politique et film engagé

Textes recueillis par Mariella Colin et préfacés par Rosella Giardullo

2016

Équipe de recherche sur les littératures, les imaginaires et les sociétés (erlis) Université de Caen Normandie

Livre 1.indb 5 03/10/2016 14:30 Directeur de publication Mariella Colin

Comité scientifique Patrizia Gabrielli (Université de Sienne), Luca Bani (Université de Bergame), Piergiovanni Genovesi (Université de Parme), Andrea Gareffi (Université de Rome Tor Vergata), Anne-Rachel Hermetet (Université d’Angers), Jean-René Ladmiral (Université de Paris Ouest – Nanterre et ISIT), Antonio Lavieri (Université de Palerme), Gilles Pécout (EN Ulm et Université de Paris I), Pierluigi Pellini (Université d’Arezzo-Sienne).

Comité de lecture Nicolas Bonnet (Université de Dijon), Maria Pia De Paulis (Université de Paris III), Christian Del Vento (Université de Paris III), Stefano Lazzarin (Uni- versité de Saint-Étienne), Xavier Tabet (Université de Paris VIII).

Comité de rédaction Viviana Agostini-Ouafi, Mariella Colin, Juan Carlos D’Amico, Laura Fournier- Finocchiaro, Jacqueline Spaccini (Université de Caen, équipe erlis).

Livre 1.indb 6 03/10/2016 14:30 Sommaire

Rossella Giardullo : Introduction...... 9

Jean A. Gili : Le cinéma politique italien...... 19 Jean-Claude Mirabella : Marco Tullio Giordana et Daniele Vicari : deux générations d’héritiers du cinéma d’« impegno civile » de Francesco Rosi ?...... 31 Graziano Tassi : Il privato è politico ? Vita privata e vita pubblica degli attori politici e religiosi nel cinema italiano degli anni 2000. . . . . 47 Jean-Louis Libois : Nanni Moretti : une nouvelle écriture politique au cinéma. 59 Gabriele Rigola : Lo sguardo politico nell’ultimo Bellocchio. Impegno e sistema mediale tra storia, cronaca e privato. 71 Ada Tosatti : Représentations du politique dans les films contemporains dédiés aux années 1970 : lectures en creux du présent. 85 Cristina Vignali : Romanzo di una strage, ou l’art au service de la « vérité » ?...... 99 Fabien Landron : Italie et Italiens d’aujourd’hui dans le cinéma soci(ét)al d’Ivano De Matteo...... 115 Fabrice De Poli : Le berlusconisme dans La grande belleza de Paolo Sorrentino...... 129 Nadège Leclerc : Le cinéma-ethnologie de Francesca Comencini, citoyenne engagée...... 145 Enrico Gheller : Il cinema italiano di fronte alle migrazioni (1994-2014) : da uno sguardo personale a uno sguardo politico...... 159

Brigitte Le Gouez : Andrea Segre entre éthique, esthétique et politique. 173 Benedetto Repetto : Il documentario italiano in epoca berlusconiana. Il degno erede del cinema politico del Bel Paese...... 189

Livre 1.indb 7 03/10/2016 14:30 Maxime Letissier : Le montage du film documentaire Draquila – L’Italia che trema . 203 Laurent Scotto d’Ardino : Vogliamo anche le rose (2007) d’Alina Marazzi : entre documentaire et fiction. 213

Recension bibliographique...... 227

Notes critiques . 229

Comptes rendus...... 245

Livre 1.indb 8 03/10/2016 14:30 Introduction

En ce début de XXIe siècle, la production cinématographique italienne, après une période de crise 1, connaît un vrai renouveau, qui a attiré l’intérêt du public et l’attention de la critique 2. Et c’est tout particulièrement dans le domaine du film politique et engagé, qui affronte des problématiques nouvelles ou bien réélabore des thèmes bien enracinés dans la tradition de la péninsule, que ce renouveau connaît ses meilleurs résultats. Tout comme l’engagement et le témoignage civique du « cinema impegnato », la réflexion sur le politique et la représentation à l’écran de la politique sont des caractères structurants du cinéma italien depuis qu’ont émergé dans le milieu cinématographique de nouvelles écritures dont le but principal était d’analyser et d’exprimer les incertitudes politiques et les difficultés sociales de la péninsule. Les pionniers de ce nouveau genre filmique ont été Francesco Rosi et Elio Petri, qui ont poursuivi et développé dans leur travail les enseignements du néo-réalisme. Francesco Rosi a été un observateur attentif de la situation politique des années 1960 et 1970, qu’il a dénoncée de manière explicite dans Le mani sulla città (1963) et Cadaveri Eccellenti (1976), où il a mis en avant l’instabilité des institutions, la puissance de la mafia et l’importance croissante de la domination économique. Dans les longs métrages Salvatore Giuliano (1962), Lucky Luciano (1974) et Il Caso Mattei (1972), il a mené un travail d’investigation construit sur des temporalités différentes, qui lui a permis de recomposer une histoire fragmentée et de mettre en lumière des vérités occultées. Elio Petri, pionnier d’un cinéma engagé innovant et audacieux, s’est focalisé sur la représentation des mécanismes du pouvoir. Dans Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (1970), il utilise

1. Cf. L. Schifano, Le cinéma italien de 1945 à nos jours. Crise et création, Paris, Armand Colin, 2005. 2. Un intérêt démontré par des publications telles que Postmodern Impegno : Ethics and Commitment in Contemporary Italien Culture, P. Antonello et F. Mussgnung (dir.), Berne, Peter Lang, 2010, ou encore les nombreuses contributions de Christian Uva, parmi lesquelles « Appunti per una definizione del (nuovo) Cinema Politico », The Italianist, n° 33, 2013, p. 240-243, ainsi que le dossier « Francesco Rosi. Le pouvoir et la mort », Positif, n° 656, octobre 2015, p. 86-111 (dossier réuni par Michel Ciment ; iconographie : Christian Viviani).

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 9-18

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l’ambiguïté du personnage principal pour dénoncer les deux visages de la justice et du pouvoir dominant. Dans La classe operaia va in paradiso (1971), le cinéma devient un instrument pour suggérer la dépersonnalisation des masses ouvrières, due à l’aliénation du travail et à l’impossibilité de la combattre. Mais Petri va encore plus loin quand, dans Todo Modo (1976), par l’assassinat du personnage principal, il imagine de manière quasiment prophétique l’autodestruction de la Démocratie chrétienne. Ensuite, dans les années 1980, le cinéma italien a connu une phase de récession, tandis que la Fininvest de Silvio Berlusconi s’est imposée grâce à ses énormes liquidités financières, en envahissant les écrans avec des spectacles de divertissement, pendant que le pouvoir politique se trans- formait en un gigantesque système de financement illégal et de corruption généralisée, qui devait finir par être balayé par l’opération judiciaire Mani pulite. Au début des années 1990, la production cinématographique était devenue purement commerciale ; affaibli par la télévision, soumis aux nouveaux comportements passifs des spectateurs provoqués par le phé- nomène complexe du berlusconismo, l’engagement politique du cinéma italien semblait s’être éteint progressivement. Mais à partir des dernières années du XXe siècle, et encore plus pen- dant la première décennie du nouveau siècle, est réapparue la nécessité de documenter clairement des faits de société, par des histoires vraies et dénonciatrices, comme dans I cento passi et Romanzo di una strage de Marco Tullio Giordana. Le début du nouveau millénaire se caractérise aussi par des partis pris idéologiques, tel Buongiorno, notte de Marco Bellocchio, capable de mettre en scène une nouvelle image d’Aldo Moro, ou encore Il Caimano de Nanni Moretti, qui présente trois figures de Berlusconi et s’achève sur la sombre victoire du nouveau dirigeant italien, tandis qu’avec Diaz, Daniele Vicari essaie de reconstruire à travers plusieurs points de vue le massacre du G8 en 2001 à Gênes. Au cours des dix dernières années, la société italienne a été mise à nu par des réalisateurs comme Paolo Sorrentino, qui dans La grande bellezza représente d’une manière satirique le milieu bourgeois italien, ou comme Francesca Comencini, qui avec Mi piace lavorare met en avant le travail précaire et le chantage dans le milieu du travail. Dans ces nouveaux longs métrages s’est manifestée la capacité de réinventer le langage cinématographique, ainsi que l’objectif bien ciblé de rénover le cinéma politique et le cinéma d’« impegno civile ». C’est pour- quoi l’équipe de recherche ERLIS (EA 5442) a décidé de leur consacrer un colloque international intitulé Le cinéma italien d’aujourd’hui, entre film politique et film engagé, qui a eu lieu les 15 et 16 octobre 2015 à l’université de Caen Normandie et au cours duquel ont été mises en perspective et analysées en profondeur l’évolution de la définition de cinéma politique

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et d’engagement cinématographique d’une part, les structures narratives des œuvres de l’autre. En ouverture, l’histoire du cinéma politique italien a été retracée par le critique cinématographique Jean A. Gili, qui a rappelé l’engagement civil de Francesco Rosi, la leçon filmique d’Elio Petri et le défi idéologique de Bellocchio, avant de citer les cinéastes contemporains qui ont affronté des sujets tels que la répression menée par l’État, le crime organisé et l’immi- gration. J.A. Gili se focalise ensuite sur la transposition au cinéma du terrorisme, en commençant par le film collectif 12 dicembre (1972), qui devait faire la lumière sur l’attentat de Piazza Fontana, puis par Per non dimenticare (1992) de Massimo Martelli, évoquant le massacre à la gare de Bologne en 1980, avant d’analyser les œuvres de plusieurs cinéastes contemporains qui se sont interrogés récemment sur les années dominées par le terrorisme, comme Renato De Maria (La prima linea, 2009), Marco Bellocchio (Buongiorno, notte, 2003) et Marco Tullio Giordana (Romanzo di una strage, 2012). Jean-Claude Mirabella retrace également l’histoire du cinéma ita- lien engagé, mais pour mieux examiner les productions de deux cinéastes contemporains (Marco Tullio Giordana et Daniele Vicari) et rechercher ce qui caractérise l’« impegno civile » aujourd’hui. Giordana, toujours attaché à proposer une réflexion sur l’état de la société italienne et sur les injustices dans le pays, peut être considéré comme le digne héritier de Francesco Rosi pour sa manière filmographique, tout particulièrement pour Pasolini, un delitto italiano (1995) et I cento passi (2005) ; de même, il a construit Romanzo di una strage (2012) en s’inspirant de Salvatore Giuliano du maître napolitain. La situation est différente pour Daniele Vicari, qui après s’être montré dans ses premiers films très attentif à la réalité sociale mouvante de l’Italie contemporaine, s’est tourné avec Diaz : Don’t Clean Up This Blood (2012) vers le cinéma politiquement engagé, pour dénoncer les carences des institutions et la violence d’État. Avec Diaz, Daniele Vicari a fait sienne la leçon de l’autre grand maître du cinéma engagé, Elio Petri. D’autres réalisateurs ont recueilli l’héritage du film politique italien, en se tournant vers les nouvelles réalités sociales et culturelles de la péninsule ; mais leur façon de se rapporter au contexte historique a évolué, ainsi que leur façon de mettre en scène le pouvoir politique. Graziano Tassi s’interroge sur la représentation cinématographique du pouvoir et explique comment trois réalisateurs, Paolo Sorrentino, Marco Bellocchio et Nanni Moretti, ont préféré donner de l’espace à leur subjectivité artistique pour mieux démasquer les nombreux visages du pouvoir. Pour montrer comment les personnages politiques ont été cernés par les trois cinéastes à partir de la sphère du privé, il a analysé dans leurs films respectifs les séquences

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des trois promenades effectuées par les protagonistes. Dans Il divo, lors de la promenade de Giulio Andreotti, Paolo Sorrentino semble vouloir scruter ce qui se cache derrière l’activité politique, mais paradoxalement cette approche intime renforce le caractère impénétrable de l’homme. La deuxième promenade, celle d’Aldo Moro victime des Brigades rouges dans Buongiorno, notte de Marco Bellocchio, est probablement un rêve. La scène finale du film révélerait la réaction « humaine » de la brigadiste Chiara, en opposition aux « barbares » prisonniers de l’idéologie. Enfin la troisième promenade, qui se transforme en une fuite, est celle du pape nouvellement élu, effrayé par le pouvoir religieux qui lui a été conféré ; Habemus Papam (2011) de Nanni Moretti met à nu le malaise ressenti par l’homme devant les charges de l’autorité suprême. Jean-Louis Libois s’attarde principalement sur l’écriture personnelle et autoréférentielle de Nanni Moretti, à partir de trois films. Dans Palombella Rossa, à travers le personnage fictif et amnésique de Michele Apicella, l’alter ego de Moretti, le réalisateur romain met en scène un match de handball surréaliste qui suggère l’égarement du parti communiste italien. Avec Aprile, un film strictement autobiographique, il décide d’abandonner son alter ego pour interpréter son propre personnage dans la vie quotidienne. Dans ce long métrage, une mise en abyme représente sarcastiquement la difficulté, puis le manque de volonté, de réaliser un film documentaire sur la vie politique du pays. Le motif d’un film impossible à réaliser revient dans le Caimano. Mais contrairement à ce qui se passe dans Aprile, Nanni Moretti décide de faire un pas de côté : le rôle du réalisateur et celui de l’acteur principal ne sont plus attribués à Nanni Moretti ou à son alter ego ; seule la séquence finale dévoile un personnage rappelant Silvio Berlusconi interprété par le cinéaste. La série des contributions sur les metteurs en scène engagés est close par l’article de Gabriele Rigola, qui se penche sur la reconstruction subjective des événements historiques dans les derniers films de Marco Bellocchio, pour montrer les caractéristiques de son « regard politique », toujours présent dans son œuvre. L’Histoire est le point de départ dont Bellocchio s’éloigne peu à peu pour laisser place à sa propre liberté d’interprétation, et le présent et le passé sont par lui recomposés pour amener le spectateur à réfléchir sur son époque. La sphère du privé s’impose dans ses films, et la perception intime est le détail qui mène à l’universel ; même lorsqu’il aborde l’actualité, comme dans Bella addormentata (2012), le cas particulier d’Eluana Englaro devient un expédient pour raconter un pays qui tâtonne. Bien qu’ayant évolué au fil des années, le cinéma de Marco Bellocchio ne cesse de porter à l’écran les débats historiques du contexte italien et de la société en général.

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La deuxième partie du colloque a été consacrée à la représentation des faits historiques liés au terrorisme en Italie. Dans le domaine cinéma- tographique, l’intérêt pour la violence idéologique a toujours été présent, et il convient de souligner que les termes terrorista et anni di piombo, très répandus dans la langue courante, sont des emprunts lexicaux issus du grand écran. Ada Tosatti se penche sur la production de ces dernières années, en reconstruisant l’imaginaire filmique qui s’est développé autour des événements dramatiques les plus marquants des années 1970. Elle souligne le profond déséquilibre entre la quasi-absence, sur le grand écran, de la représentation de la conquête des droits acquis pendant cette période, et les nombreuses œuvres centrées sur l’extrémisme idéologique qui a secoué alors la péninsule. Dans ces films, qui privilégient le massacre de Piazza Fontana et l’enlèvement d’Aldo Moro, le politique devient personnel. Les films baignent dans une atmosphère claustrophobe, le plus souvent dans un cadre familial, et l’espace des histoires narrées se réduit à l’intimité domestique, de sorte que puisse se créer une empathie avec le spectateur. A. Tosatti conclut sa contribution avec l’analyse de Se sarà luce sarà bellissimo (2008), où Aurelio Grimaldi souhaite transmettre d’autres vérités, en montrant l’incarcération de personnes anonymes et en créant un lien entre une histoire autre et le présent, entre le film et la mémoire. Mais d’autres réalisateurs se sont confrontés à la représentation du terrorisme, et notamment Marco Tullio Giordana, qui dans son premier film (Maledetti vi amerò, 1980) mettait en lumière la rupture entre la lutte armée et les mouvements politiques de gauche. Trente-deux ans plus tard, il devait s’interroger sur le massacre de Piazza Fontana dans Romanzo di una strage. Pour déceler les stratégies employées par le réalisateur et ses deux scénaristes Sandro Petraglia et Stefano Rulli, Cristina Vignali nous propose l’analyse des procédés narratifs du film, qui visent à simplifier la complexité des faits historiques et judiciaires par des séquences aux contenus très riches, qui dévoilent étape après étape les données dramatiques. Le langage est lapidaire et les personnages sont caractérisés par des idiolectes. Pour servir de lien entre les séquences, le symbolique prévaut (comme lorsque le paquet de cigares Senior Service nous ramène à Giangiacomo Feltrinelli). La simplification passe aussi par la dialectique des contrastes : le contraste politique entre Calabresi et Pinelli, le contraste géographique entre les différentes villes d’Italie et celui, plus formel, entre le rouge et le noir. Tout en utilisant l’émotion, le film Romanzo di una strage est né du désir de Giordana d’informer, et de proposer, quarante-trois ans après l’attentat, sa propre interprétation. Les trois études de la troisième partie déplacent l’attention sur la méta- morphose sociale qui a transformé le pays. La famille, l’un des piliers de

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la tradition culturelle italienne, semble désormais incapable d’affronter ses propres responsabilités. Les apparences bourgeoises sur lesquelles elle s’appuie sont démasquées : elles sont remises en question dans la trilogie « soci(ét)ale » d’Ivano De Matteo analysée par Fabien Landron. Ces trois films sont dominés par l’impact d’une crise qui pénètre dans toutes les classes sociales : l’immigration, l’impossibilité de l’intégration, la violence urbaine, l’omniprésence des médias de masse, les injustices sociales sont autant de thèmes développés par l’acteur-réalisateur romain. F. Landron insiste sur l’importance prise par l’émotion. La dénonciation sociale, les personnages « affreux, sales et méchants », les modalités narratives utilisées font d’Ivano De Matteo un possible héritier du néo-réalisme ; le film révèle une véritable mosaïque humaine, dont chaque tesselle, chaque personnage devient une force empathique qui amène le spectateur à s’interroger sur la société qui est la sienne. Une société qui, pendant le « ventennio berlusconiano », a vu la forte diminution de l’offre culturelle et la puissance grandissante de la télévision contribuer au changement des mentalités. C’est le thème abordé par Fabrice De Poli. Le film La grande bellezza (2013) de Paolo Sorrentino, qui à première vue ne semble pas traiter du politique, peint à travers la construction de séquences remplies d’allégories et de symboles une fresque de la société italienne contemporaine. Les images de la fête deviennent une allégorie de la décadence humaine. Le personnage de la soubrette animatrice Lorena est un produit du chan- gement culturel façonné par le pouvoir des médias. La place est laissée à l’obsession du corps et au mythe de la jeunesse éternelle. Les médias ont visiblement remplacé l’idéologie ; par le personnage de Talia Concept, le réalisateur dépeint la crise idéologique par laquelle le communisme, devenu une idéologie de salon, domine les environnements radical chics où l’engagement est seulement apparent. Tout en sachant préserver des lueurs d’espoir, P. Sorrentino montre la faillite politique, culturelle et sociale de l’Italie moderne. Nadège Leclerc s’interroge à son tour sur le rapport entre la réalité sociale et le cinéma, et esquisse un portrait de Francesca Comencini en soulignant son caractère de citoyenne et de réalisatrice engagée. Elle nous invite à comprendre en quoi le travail de cette cinéaste est une dénonciation sociale et politique continue, qui veut donner une voix aux discriminés et aux exclus. Les femmes, les immigrants, les travailleurs ont trouvé dans ses films un espace dans lequel ils peuvent dénoncer les abus de l’État répressif. La stratégie narrative de Francesca Comencini tend à s’approcher le plus possible du réel, le spectateur devant ses films se sent oppressé, mis en cage par la machine sociale. Grâce à son regard d’ethnologue, qui la pousse à une attention méticuleuse dans le choix des lieux et des objets, les détails

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sont chargés de symbolique et transformés en instruments de révélation du politique. Pour souligner la capacité du cinéma à véhiculer des informations éloignées du discours dominant, deux contributions analysent les pro- ductions filmiques sur l’immigration étrangère en Italie. Le thème de la migration a joué un rôle important : une autre manière de faire du cinéma est née, alternative et politique. Enrico Gheller examine le rôle concret du cinéma sur la prise en charge des récits de la migration et retrace un parcours divisé en deux périodes. Dans la première, de 1994 à 2001, on assiste à une sorte d’auto-analyse sociale contradictoire ; des films comme Lamerica (1994) de Gianni Amelio ou Vesna va veloce (1996) de Carlo Mazzacurati racontent une découverte de l’Autre qui passe par un effort de compréhension de soi. Dans la deuxième période, de 2004 à 2014, les réalisateurs commencent à raconter la vie quotidienne des immigrés, leur voyage, leur histoire personnelle, et l’intégration devient un des thèmes principaux autour desquels se construisent leurs films. Brigitte Le Gouez analyse la capacité de réflexion du « lanceur d’alerte » Andrea Segre. L’engagement civil de ce réalisateur est un instrument de dénonciation et de témoignage, dont le but est de redonner la parole aux « sujets subalternes » de la société. Tous, sans exception, ont « droit de cité » dans ses longs métrages. La langue, les mouvements de caméra, le rythme délibérément lent deviennent des instruments démocratiques qui permettent au spectateur de se reconnaître dans l’Autre. Dans ses films, nous ne voyons pas une accumulation d’informations persuasives ; bien au contraire, son projet maïeutique est de faire accoucher le spectateur de vérités qu’il n’avait encore jamais formulées. L’engagement civil se développe et implique aussi la production et la distribution des films : avec ZaLab, l’association fondée par Segre, le film, comme l’avait théorisé Zavattini, devient un instrument au service des citoyens et de la communauté. Le cinéma comprend également le genre documentaire, qui peut mettre en évidence le climat politique et social et dénoncer les processus de mar- ginalisation, d’exclusion et de répression qui investissent directement la res publica. Ces derniers temps ont été réalisés de nombreux documentaires sur Silvio Berlusconi qui ont cherché à explorer les relations étroites entre la politique, les médias et le public. Le point de vue singulier, l’engagement moral, la volonté de représenter la situation sociopolitique italienne sont redevables de la leçon du néo-réalisme et de celle des pères fondateurs du film politique, Francesco Rosi et Elio Petri. Le documentaire italien contemporain pourrait être considéré comme le seul instrument qui, dans ces dernières années, a su raconter la société et démasquer la « non-réalité » de l’information dominante. Tel est l’argument

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mis en avant par Benedetto Repetto : grâce aux nouvelles technologies, l’image devient témoignage direct du réel, comme dans Black Block (2011) de Carlo Bachschmidt, qui redonne la parole à certaines victimes qui ont vécu les violences perpétrées par la police lors du G8 de Gênes. Pendant toute la durée du film, la valeur de dénonciation des images d’archives reste intacte et les nouvelles images tournées dix ans après les faits deviennent l’écho de la mémoire. Le documentaire de Filippo Vendemmiati È stato morto un ragazzo (2010) déplace l’attention sur une autre agression d’État, la mort de Federico Aldrovandi. Le réalisateur reconstitue méticuleusement la longue bataille juridique menée par Patrizia Moretti, la mère de Federico, pour faire ressortir la vérité sur les coups mortels subis par le jeune homme de dix-huit ans lors d’un contrôle de police. B. Repetto présente également des documentaires sur l’ère de Berlusconi : Silvio Forever (2011) de Roberto Faenza, Videocracy (2009) d’Erik Gandini, Draquila – L’italia che trema (2010) de Sabina Guzzanti. Au sujet de ce dernier court métrage, Maxime Letissier en décortique le montage cinématographique. Sa contribution débute par une question à laquelle il est difficile d’apporter une réponse simple : quelle est la différence entre un documentaire et une fiction ? Après avoir esquissé une définition du genre documentaire, il propose une analyse structurelle du montage de Draquila, où « La vision de Berlusconi », « Les sinistrés », « De la protection civile à Cosa Nostra » sont les trois thèmes qui s’entrelacent sur toute la durée du film. La critique de S. Guzzanti envers la politique mise en place par le président du Conseil de l’époque est explicite ; l’étude de la séquence des nouvelles constructions promises par le Cavaliere et de l’opposition des citoyens de L’Aquila illustre le rôle fondamental de la troisième écriture du film, celle du montage, qui génère une tension chez le spectateur. Ainsi, bien qu’étant une enquête citoyenne, le film peut être discuté quant à la liberté d’interprétation laissée au spectateur. Enfin la dernière contribution de Laurent Scotto d’Ardino conclut l’exploration sur le cinéma italien engagé d’aujourd’hui. L’auteur analyse Vogliamo anche le rose (2007) d’Alina Marrazzi, un film documentaire réalisé par une femme avec des femmes. En rapport avec un cinéma plus expérimental, le film détourne les techniques traditionnelles du documen- taire comme l’utilisation de la voix off, qui n’assume pas le rôle omniscient d’un narrateur traditionnel mais devient la voix de la subjectivité des pro- tagonistes, qui, à partir de leur propre expérience personnelle, essaient de tisser un dialogue collectif. Le récit mélange différents codes narratifs, et la structure du film est fondée sur la « fragmentation » des matériaux qui construisent le documentaire. Chaque fragment (images d’archives, films familiaux, publicité, imagés animées, etc.) renvoie à une époque particulière,

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celle des années 1970, tout en essayant de stimuler une réflexion sur des thèmes contemporains. Selon L. Scotto d’Ardino, la réalisatrice interroge le passé pour le restituer aux spectateurs et leur donner la possibilité d’y réfléchir dans une perspective actuelle. En conclusion, ce numéro de Transalpina s’inscrit dans une perspec- tive résolument moderne, dans le but de mettre en évidence la capacité du cinéma italien d’aujourd’hui, toujours attentif à la leçon des grands maîtres du cinéma engagé, à dénoncer les incohérences sociales et politiques actuelles. Les articles qui composent ce volume démontrent que le désir des réalisateurs de démasquer les ravages politiques et sociaux qui ont secoué le Bel Paese est évident, tout comme le désir d’innover pour donner une voix aux exclus de la société et de trouver de nouvelles formes narratives à même de représenter le monde politique. Sans avoir la prétention de l’exhaustivité, grâce à l’approfondissement de ces questions émergentes, toutes les contributions ont exploré la relation qui s’est établie entre la politique, la réalité sociale et le cinéma. De ce contexte nouveau et vivant, que les études rassemblées ici ont cherché à saisir et à problématiser, il est nécessaire que puissent naître d’autres réflexions, qui interrogent la nouvelle relation entre le cinéma et l’espace public.

Rossella Giardullo Université de Caen Normandie

Livre 1.indb 17 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 18 03/10/2016 14:30 Le cinéma politique italien

Résumé : L’article retrace les grandes lignes de l’histoire du cinéma politique, qui connaît un grand épanouissement en Italie dès le début des années 1960, lorsque Francesco Rosi et Elio Petri inaugurent le cinéma d’engagement civique qui dénonce les problèmes politiques et sociaux du pays : dégénérescence de la Démocratie chré- tienne, corruption, spéculation immobilière, criminalité organisée. Ils seront bientôt suivis dans la voie de la réflexion politique par une génération de cinéastes (Maselli, Damiani, les frères Taviani) qui préfèrent parfois la dimension métaphorique. Après un certain fléchissement, le cinéma politique occupera à nouveau le devant de la scène dans les années 2000, avec l’affirmation d’un cinéma de témoignage dont les enquêtes exploreront tous les domaines. Parmi ceux-ci, l’article analyse les œuvres récentes de metteurs en scène comme Marco Bellocchio, Renato De Maria et Marco Tullio Giordana, qui ont mis en scène les « années de plomb ».

Riassunto : L’articolo ritraccia le grandi linee della storia del cinema politico italiano, che conosce una grande stagione in Italia sin dai primi anni ’60, quando Francesco Rosi e Elio Petri inaugurano il cinema d’impegno civile che denuncia i problemi politici e sociali del paese : degenerazione della Democrazia Cristiana, corruzione, speculazione edilizia, criminalità organizzata. Saranno presto seguiti nella via della riflessione politica da una generazione di cineasti (Maselli, Damiani, i fratelli Taviani) che preferiscono a volte la dimensione metaforica. Dopo un certo riflusso, il cinema politico verrà di nuovo alla ribalta negli anni 2000, con l’affermazione di un cinema di testimonianza le cui inchieste esploreranno tutti i campi. Fra questi, l’articolo analizza le opere recenti di registi come Marco Bellocchio, Renato De Maria, Marco Tullio Giordana, che hanno messo in scena gli « anni di piombo ».

L’art est éducateur en tant qu’art et non en tant qu’art éducateur 1.

Dans son manuel Écoles, genres et mouvements au cinéma, Vincent Pinel résume bien les enjeux du film politique :

Tout film est « politique », même s’il arbore le drapeau blanc du pur diver- tissement. On se limitera donc au film politique qui traite explicitement du

1. Antonio Gramsci, cité par Barthélemy Amengual dans Clefs pour le cinéma, Paris, Seghers, 1984, p. 190.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 19-30

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gouvernement de la cité et de l’exercice du pouvoir, de sa conquête et de la dénonciation de ses excès 2.

À cet égard, Le mani sulla città (1963) de Francesco Rosi peut être considéré comme le prototype du film politique. On voit donc se dessiner deux voies possibles : – le film enquête, cherchant à se saisir des traces précises laissées par les faits représentés (style souvent influencé par le documentaire) ; – le film métaphorique, qui emprunte des voies détournées pour abor- der son sujet et qui n’hésite pas à recourir au baroque, voire au grotesque. Le cinéma politique, ou pour mieux dire d’engagement ou de témoi- gnage civique, connaît à partir du début des années 1960 un grand épanouis- sement, avec notamment les films de Francesco Rosi et d’Elio Petri, deux cinéastes qui ont été les assistants le premier de Luchino Visconti (cf. sa collaboration à La terra trema et à Senso), le second de Giuseppe De Santis (cf. les enquêtes de Petri pour Roma ore undici ou pour Giorni d’amore), poursuivant ainsi dans leur travail les enseignements du néo-réalisme. L’Italie de la période offre un terrain d’observation exceptionnel avec l’ampleur de ses problèmes politiques et sociaux : instabilité gouverne- mentale, omniprésence de la Démocratie chrétienne, activité intellec- tuelle du parti communiste qui se lance à partir de 1973, sous l’impulsion de son secrétaire général Enrico Berlinguer (Togliatti est mort en 1964), dans le compromis historique, c’est-à-dire dans le rapprochement avec la Démocratie chrétienne, développement de la régionalisation, début (avec l’explosion d’une bombe en décembre 1969 à la Banque de l’Agriculture à Milan) de la stratégie de la tension, marquée par de nombreux attentats dont la violence culminera en août 1980, lors d’un attentat dans la gare de Bologne qui coûtera la vie à quatre-vingt-cinq personnes. En arrière-plan se dessine un pays traversé par l’action terroriste des Brigades rouges et des diverses organisations d’extrême gauche – notamment Lotta Continua – , les menées subversives des services secrets qui participent à la déstabilisa- tion de l’État et qui cherchent à provoquer l’arrivée au pouvoir des forces de l’extrême droite (organisée au sein de la loge maçonnique P2 de Licio Gelli). À cela, il faut encore ajouter la puissance de la criminalité organisée – la mafia – dont on découvrira plus tard qu’elle avait des alliés au sein même des structures gouvernementales, et la corruption généralisée née de l’étroite imbrication entre milieux politiques, économiques et financiers. Inauguré en 1958 par Francesco Rosi avec La sfida – un film qui le pre- mier pose clairement le problème de la camorra napolitaine – , le cinéma de

2. V. Pinel, Écoles, genres et mouvements au cinéma, Paris, Larousse, 2000, p. 172.

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dénonciation des dysfonctionnements de la société trouve dans ce cinéaste son représentant le plus cohérent. Avec Salvatore Giuliano (1961), Rosi poursuit son analyse de la mafia sicilienne dont il suivra les ramifications internationales avec Lucky Luciano (1973). Il analyse aussi les ravages de la spéculation immobilière dans Le mani sulla città (1963) – Lion d’or à Venise – avant d’envisager le problème du pouvoir personnel et d’évoquer les luttes internationales autour du pétrole dans Il caso Mattei (1972) – Palme d’or à Cannes – puis de poser en termes métaphoriques la question de la survie d’un État de droit pris dans la tourmente des menées subversives dans Cadaveri eccellenti (1976). Elio Petri, de son côté, poursuit le discours sur la mafia avec A ciascuno il suo (1967), avant de proposer l’analyse pénétrante de la schizophrénie du pouvoir policier avec Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (1969). Ses films suivants, La classe operaia va in paradiso (1971) – Palme d’or à Cannes en 1972 avec le film de Rosi, Il caso Mattei – et La proprietà non è più un furto (1973), analysent les névroses qu’engendrent la course au profit et l’accumulation capitaliste. Avec Todo modo (1976), il dresse un portrait apocalyptique et prémonitoire de la dégénérescence du pouvoir démocrate chrétien. Parmi les épigones du cinéma politique, on peut encore citer : – Francesco Maselli, qui s’interroge sur la politique du parti communiste dans Lettera aperta a un giornale della sera (1969) et Il sospetto (1975) ; – Damiano Damiani, qui ne recule pas devant le didactisme pour illustrer son propos (Il giorno della civetta, 1968 ; Confessione di un commis- sario di polizia al procuratore della repubblica, 1971 ; L’istruttoria è chiusa : dimentichi, 1972 ; Perchè si uccide un magistrato, 1975 ; Io ho paura, 1977) ; – Marco Bellocchio, qui remet en cause l’idéologie de la bourgeoisie (notamment à l’égard de l’institution familiale) avec I pugni in tasca et La Cina è vicina ; – Marco Ferreri, autre iconoclaste virulent, qui attaque l’institution familiale (L’ape regina, 1963) et qui décrit de façon métaphorique la sub- version politique (L’udienza, 1972) ; – Paolo et Vittorio Taviani, qui emploient les voies de la métaphore. D’une certaine manière, leur cinéma (San Michele aveva un gallo, 1971 ; Allonsanfan, 1974 ; Padre Padrone, 1977 – Palme d’or à Cannes – ; La notte di San Lorenzo, 1981 ; Kaos, 1984) entre dans le domaine de la réflexion politique, mais la dimension métaphorique de leurs films et la réflexion sur l’utopie les rangent dans une perspective idéologique moins directement liée à la représentation des situations contemporaines. Après un certain fléchissement des préoccupations politiques et sociales dans les années 1980 et 1990, beaucoup de jeunes cinéastes redécouvrent

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« le cinéma engagé ». Dans le droit fil des œuvres de Rosi ou de Petri, se consolide une forte tendance à un cinéma de témoignage (on a même parfois parlé à leur endroit de néo-néo-réalisme). L’omniprésence de la criminalité organisée a fourni un grand nombre de sujets pour des films tournés à Naples, Palerme, Bari ou en Calabre (Tano da morire et Angela de Roberta Torre, I cento passi de Marco Tullio Giordana, Le conseguenze dell’amore de Paolo Sorrentino, Tornando a casa et Vento di terra de Vincenzo Marra, La siciliana ribelle de Marco Amenta, Fortapàsc de Marco Risi, Galantuomini d’Edoardo Winspeare, Gomorra de Matteo Garrone – on y sent fortement l’influence de Rosi – , Saimir, Il resto della notte, Anime nere de Francesco Munzi). En 2003, avec La meglio gioventù (Nos meilleures années), Marco Tullio Giordana réalise une sorte de synthèse en suivant l’histoire récente du pays. D’autres cinéastes lui ont emboîté le pas, tel Michele Placido avec Romanzo criminale (2005). Quant aux malversations politiques, elles sont évoquées par Francesca Comencini dans A casa nostra (2007), et les dérives du berlusconisme ont fourni à Nanni Moretti la matière de Il Caimano (2008) et à Daniele Vicari celle de Diaz (2012). Toujours en 2008, Sorrentino propose un portrait au vitriol d’Andreotti avec Il divo (on y sent fortement l’influence de Petri) : il y évoque les relations entre les hommes politiques et la mafia. Les années de plomb, longtemps occultées dans la conscience nationale, reviennent avec force au travers de films comme Buongiorno, notte (2003) de Marco Bellocchio, La prima linea (2009) de Renato De Maria et Piazza Fontana (2012) de Marco Tullio Giordana. Enfin, depuis Lamerica de Gianni Amelio, de nombreux films posent la question de l’immigration clandestine (Quando sei morto non puoi più nasconderti de Giordana, Terra ferma d’Emanuele Crialese) ou de la difficile insertion en Italie des migrants (Saimir de Francesco Munzi, Io sono Li et La prima neve d’Andrea Segre, Mediterranea de Jonas Carpignano). Pour illustrer mon propos de façon plus détaillée, parmi les différents thèmes qu’ont traité les cinéastes « engagés », j’aimerais prendre l’exemple de la façon dont le cinéma italien a rendu compte du terrorisme. La date du 12 décembre 1969 marque le début des années de plomb en Italie, les années noires de la stratégie de la tension qui conduiront le pays à connaître une des périodes les plus sombres de son histoire. Ce jour de décembre, une bombe explose à Milan dans l’agence de Piazza Fontana de la Banca Nazionale dell’Agricoltura : dix-sept morts, quatre-vingt-huit blessés graves. La police ne suit délibérément que la piste anarchiste alors qu’un ratissage plus large eût été nécessaire ; trois jours plus tard, l’anarchiste Pinelli est retrouvé très gravement blessé dans la cour de la préfecture de police de Milan. Le corps est tombé du quatrième étage d’une pièce où il

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était interrogé depuis trois jours par des policiers, dont le commissaire Calabresi. Chute accidentelle, suicide, défenestration volontaire ? Le drame donne lieu tout de suite à de violentes controverses 3.

Un témoignage à chaud : 12 dicembre (1970) d’Elio Petri En 1970, Elio Petri participe à un film collectif, 12 dicembre, également connu sous le titre Documenti su Giuseppe Pinelli, dont il est l’un des initiateurs. Dans l’épisode qu’il tourne, il s’interroge sur la signification politique de l’événement et s’intéresse plus particulièrement aux circonstances entourant la mort de Pinelli :

Au lendemain du 12 décembre, beaucoup d’entre nous se sont rendus compte que l’on se trouvait à un moment crucial de l’histoire de notre pays. Avec ce type de provocation, cette stratégie de la tension, la possibilité d’un retour de la droite italienne et même des fascistes s’est créée. Selon moi, cette stratégie de la tension était manœuvrée et provoquée par la Démocratie Chrétienne. […] Pour réagir, nous avons fondé un comité des cinéastes contre la répression. Ce comité produisit immédiatement Documenti su Giuseppe Pinelli, un long métrage d’environ une heure vingt : mon apport est de courte durée, quinze à vingt minutes. Des cinq groupes qui furent créés, les seuls qui réussirent à porter leur projet à terme furent ceux de Nelo Risi et le mien. La partie tournée par Nelo Risi concerne exclusivement Pinelli. Au contraire, ce que j’ai tourné illustre les explications données par la police pour justifier la mort de Pinelli, le « suicide » de Pinelli. Je pars d’une découverte très simple : essayons de reconstruire les versions fournies par la police de la mort de Pinelli. La police a donné en même temps quatre ou cinq, et même six ou sept versions de la mort de Pinelli. Pour le film, nous n’en avons pris en considération que seulement trois car les autres étaient encore plus infantiles et nous avons essayé de voir si matériellement ces hypothèses de la police pouvaient être vérifiées. Pour cette recherche de la vérité, nous avons pris une petite pièce comme celle du commissaire Calabresi, nous avons mis dans cette pièce les quatre policiers qui selon les indications de la police s’y trouvaient au moment où Pinelli s’est jeté par la fenêtre : nous avons découvert qu’il était matériellement impossible qu’un

3. Autour de ce drame existent divers ouvrages. On peut citer La piste rouge (Italia 69-72), C. Cederna (dir.), Paris, Union générale d’éditions (10 / 18), 1973 ; C. Ginzburg, Le juge et l’historien, Paris, Verdier, 1997 ; A. Sofri, Les ailes de plomb, Paris, Verdier, 2009. Signalons encore le DVD (Pierpaolo Pasolini. Lotta continua. 12 dicembre) et le livre (Il malore attivo dell’anarchico Pinelli, a cura di Adriano Sofri) publiés en 2011 en coffret par NdA Press à Rimini.

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homme puisse se précipiter par la fenêtre en présence de quatre policiers. Nous n’avons pas dit que Pinelli avait été jeté en bas… 4

Peu vu, montré à Paris dans une salle d’essai sans aucune indication sur la nature du film et les circonstances de sa réalisation,12 dicembre est resté comme une bouteille à la mer demeurée lettre morte. En fait, les cir- constances ont laissé le champ libre à toutes les divagations interprétatives et la lumière n’a jamais été faite sur les ressorts cachés de l’attentat et de ses suites. Pour la justice italienne, après trente-trois ans de procès, tous les inculpés ont été acquittés, toutes les affaires classées.

Un attentat terrifiant : Per non dimenticare (1992) de Massimo Martelli Si l’attentat de Piazza Fontana marque le début des années de plomb, d’une certaine manière l’attentat de la gare de Bologne, le 2 août 1980, apparaît comme l’épisode le plus sanglant de cette période et en constitue aussi une sorte d’épilogue. Ce jour-là, un dimanche estival avec une gare pleine de monde qui en ce jour festif partait en vacances ou tout simplement à la plage, l’explosion d’une bombe sur le quai principal cause la mort de quatre-vingt-cinq personnes et en blesse environ deux cents. L’enquête révélera les responsables : les milieux d’extrême droite et la loge maçonnique P2 de Licio Gelli. En 1992, « pour ne pas oublier », Massimo Martelli consacre un moyen métrage à l’évocation de l’attentat. Dans un film choral qui présente des voyageurs de toute sorte attendant un train, le cinéaste fait appel à de nom- breux comédiens très connus en Italie qui sont là pour témoigner de leur participation à ce film commémoratif. Parmi ceux-ci, on peut notamment citer Antonio Catania, Gianni Cavina, Giuseppe Cederna, Roberto Citran, Massimo Dapporto, , Sergio Fantoni, Angela Finocchiaro, Roberta Lena, Patrizia Piccinini, Giovanna Ralli, Remo Remotti, les Gemelli Ruggeri, Mariella Valentini – tous sont les représentants d’une prise de conscience citoyenne. Au final, la caméra s’attarde sur la plaque commé- morative dressée le long du quai, là précisément où se produisit l’explosion. Tous les noms défilent avec en voix off le commentaire : « Ils étaient tous engagés à vivre ». Un texte apparaît à l’écran : « Dédié aux victimes et aux survivants de ce jour et à tous ceux qui sont en train de dépenser leur vie pour obtenir justice ».

4. J.A. Gili, « Rencontre avec Elio Petri », in Elio Petri, J.A. Gili (dir.), Nice, Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1974, p. 73-74.

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Signalons qu’on trouve une allusion à l’attentat de la gare de Bologne dans le film de Michele Placido Romanzo criminale (2005), qui met au cœur du récit la bande de la Magliana, un groupe de voyous aux ramifications politiques. Les scénaristes, Stefano Rulli et Sandro Petraglia, y annoncent l’explosion par des signes avant-coureurs, comme ils le feront plus tard dans Romanzo di una strage lors de la mort de Pinelli.

Au cœur des ténèbres : Buongiorno, notte (2003) de Marco Bellocchio L’enlèvement d’Aldo Moro en 1978 a inspiré plusieurs cinéastes. Le premier d’entre eux, Giuseppe Ferrara, a, dans Il caso Moro (1986), choisi Gian Maria Volontè pour interpréter l’homme politique. Le film est l’illustration soigneuse de l’épisode sanglant. Volontè avait déjà prêté son visage à Moro dans le film d’Elio Petri, Todo modo (1976). Citons aussi Paolo Graziosi dans Il divo (2008) de Paolo Sorrentino. En 2003, Marco Bellocchio prend ses distances à l’égard de la stricte reconstitution des faits. Son film bâtit une sorte de fiction à partir d’un événement réel : l’enlèvement, la séquestration et l’exécution d’Aldo Moro (mars-mai 1978). Buongiorno, notte s’organise comme une sorte de huis clos mettant en présence deux protagonistes : l’un a quatre visages – le com- mando des Brigades rouges qui séquestre Aldo Moro – tandis que l’autre est le vieux leader de la Démocratie chrétienne, enfermé entre les quatre murs d’une petite cellule pour y subir un procès révolutionnaire. Entre les deux pôles de la confrontation se joue une partie serrée. Le cinéaste oppose la rigidité idéologique des brigadistes, avec toutefois la faille qu’il introduit en la personne d’une jeune femme qui croit de moins en moins à la légitimité d’une exécution programmée (par ailleurs, c’est le seul personnage que l’on suit dans son travail hors de l’appartement du séquestre), à l’humilité d’un vieux politicien cerné dans sa détresse humaine. L’Aldo Moro de Bellocchio est rendu touchant par la dimension de ses affects et l’étroitesse de ses perspectives de libération : il appelle au secours sa famille, ses camarades de parti, le pape lui-même, espérant toujours qu’il existe une alternative à sa condamnation prévisible. Ainsi, Bellocchio offre davantage une réflexion qu’une relecture d’un épisode controversé de l’histoire de l’Italie, il ne fait pas œuvre d’historien mais donne libre cours dans son imagination à l’égard d’un événement vieux de vingt-cinq ans et que le recul rend particulièrement absurde, d’autant qu’il subsiste encore aujourd’hui des zones d’ombre autour d’un événement si singulier. Il revient aussi sur l’épisode fondateur de la démocratie italienne – les combats de la Résistance – , mettant en scène un banquet du souvenir en mémoire d’un camarade décédé, comme si les

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espérances trahies des lendemains de guerre conduisaient à l’impasse du terrorisme. Les années de plomb ont profondément marqué un pays pour lequel la page semble d’autant plus difficile à tourner qu’il est confronté à des résurgences du phénomène. Le cinéaste, qui fut lui-même traversé par des convictions d’extrême gauche et qui milita dans les rangs de l’Union des communistes – il tourna pour elle en 1969 Viva il primo maggio rosso et Paola – , met en scène un épisode traumatisant de la vie politique italienne : l’enlèvement du président du parti le plus puissant du pays, sa détention pendant cinquante-cinq jours et son exécution par des brigadistes décidés à aller jusqu’au bout de leur logique de lutte contre l’État bourgeois. Face à une classe politique qui refuse de négocier et à un souverain pontife qui se contente de lancer des appels à la clémence sans aucune monnaie d’échange, les brigadistes, au risque d’étaler leur manque de détermination au regard de « la classe ouvrière » dont ils se prétendent la pointe avancée, n’ont guère le choix. Avec la rhétorique du discours extrémiste se justifie l’exécution d’un homme dont les appels ne sont jamais entendus ou ne veulent jamais être entendus : la raison d’État ! À cet égard, le finale, qui voit toute la classe politique assister à une messe célébrée par Paul VI, alors même que la dépouille mortelle ne se trouve pas dans la basilique Saint-Jean-de-Latran, a quelque chose de surréaliste. Bellocchio, qui a beaucoup utilisé dans la narration les journaux télévisés comme repère temporel, souligne l’étrangeté de la cérémonie en se servant des documents d’archive de la télévision, il passe les images au ralenti en un funèbre défilé de têtes. Tous les responsables de l’État et des partis sont là : Moro n’était-il pas à l’origine d’un rapprochement des démocrates chrétiens et des communistes ? Tous les dignitaires semblent plus accablés par leur impuissance, leur lâcheté ou leur hypocrisie – Leonardo Sciascia ne s’y était pas trompé – que par la disparition du leader assassiné. Métaphoriquement, dans la dernière image du film, Aldo Moro n’est plus un cadavre mais un homme libre qui, au petit matin, un manteau jeté sur son survêtement de détenu, parcourt les rues du quartier où il était séquestré. Bellocchio, après L’ora di religione (2002), confirme ici son choix d’un cinéma plus enraciné dans des problèmes de société, plus lié à l’expérience contemporaine. Buongiorno, notte marque une nette évolution vers un cinéma de facture subtilement classique. Aidé par son chef opérateur Pasquale Mari, déjà présent dans le film de 2002 après la longue colla- boration avec Giuseppe Lanci, il baigne son film dans une lumière aux couleurs feutrées où dominent les tons d’ocre et de bronze, donnant à l’image une sorte de tonalité mortuaire pour cette chronique d’une mort annoncée. Il scrute ses personnages en gommant tout effet insistant, il cerne les individualités au plus près, en gros plans, en détails qui finissent

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par devenir suffocants. Il oppose des jeunes qui s’accrochent à leurs certi- tudes – sans aucune marge de manœuvre, sans le moindre espace ouvert à l’imagination – à un vieil homme d’abord entrevu au fond de sa cellule avant qu’il ne prenne une place grandissante à l’image. Force du comédien (Roberto Erlitzka), mais aussi force du personnage qui peu à peu impose sa morale sensible. En brigadiste inquiète, Maya Sansa, protagoniste de La balia, est remarquable : elle rend crédible le rêve de la fuite du pri- sonnier et fait sentir la profonde schizophrénie de tout extrémisme dans la perte du sens de la réalité. Après La meglio gioventù, Luigi Lo Cascio, en brigadiste déterminé à accomplir jusqu’au bout la mission qui lui est confiée, confirme son immense talent et sa capacité à donner vie à des personnages singuliers auxquels il confère toujours une épaisseur de vécu.

Fin de partie : La prima linea (2009) de Renato De Maria Le terrorisme et les années de plomb demeurent en Italie un sujet brûlant. Nombreux sont les cinéastes qui ont abordé le sujet mais qui s’en sont tenus souvent à des considérations marginales ou allusives. Rares sont ceux, tel Marco Bellocchio avec Buongiorno, notte, qui en ont fait l’objet central du récit. Le succès de La meglio gioventù de Marco Tullio Giordana s’explique sans doute par la volonté du réalisateur de parcourir une période particulièrement douloureuse pour laquelle le travail de mémoire et de deuil est loin d’être achevé. Sans détour, Renato De Maria – avec l’aide de ses scénaristes, notamment Sando Petraglia qui avait collaboré au film de Giordana – aborde les actes criminels accomplis par les terroristes de Prima Linea et décrit la fin du mouvement dans la prise de conscience douloureuse d’un échec inévitable. Né en 1975 à l’initiative de Sergio Segio et Susanna Ronconi, Prima Linea était un des groupes terroristes les plus actifs, se livrant à divers attentats, notamment contre le conseiller provincial du MSI Enrico Pedenovi, abattu en avril 1976, et contre le juge Alessandrini, abattu à Milan en janvier 1979. Le film rend compte avec précision de ce moment critique pour la démocratie italienne. De Maria choisit de se situer à deux niveaux, d’une part l’observation froide de ceux « qui avaient confondu l’aube avec le crépuscule » et qui avaient imaginé de susciter une révolution prolétarienne alors même qu’ils étaient coupés de toute base populaire, d’autre part la dimension humaine de jeunes gens et de jeunes filles dévoyés par un idéal qui allait se briser au contact de la réalité. De fait, ce qui transparaît de façon évidente dans les analyses du groupe et les prises de décision, c’est que le passage à l’acte relève d’une perte d’humanité : à partir d’un certain moment, l’aveuglement idéologique tue le sentiment et, au nom d’une

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perspective d’intransigeance politique, s’accomplissent des actions que rien ne peut justifier. La prima linea se développe habilement selon trois temporalités, un procédé qui fait penser à certains films de Rosi : en prison, Sergio Segio – après son arrestation par les carabiniers à la fin de 1982, il a été condamné à trente ans d’incarcération – dresse le bilan négatif d’une lutte armée condamnée à l’échec. Commence alors en flash-back le récit de la journée – le 3 janvier 1982 – au cours de laquelle Segio et ses amis organisent un attentat contre la prison pour femmes de Rovigo afin de libérer la compagne du terroriste. Troisième temporalité, au cours de la journée, Segio revoit les moments de sa vie passée, la clandestinité, les attentats, les débats idéolo- giques sur la justification de la violence, l’assassinat du juge Alessandrini, les rares moments de bonheur avec Susanna. De Maria parvient à tenir fermement tous les fils du récit et son analyse politique, sa façon d’éviter tout romantisme ou toute compassion à l’égard de jeunes gens victimes de leur utopie nous ramènent au meilleur du cinéma politique italien. De fait, le ministère de la Culture a remis en cause l’aide que le film avait reçu de l’État, au point que le producteur, Andrea Occhipinti, pour éviter toute instrumentalisation, a renoncé au fonds qui lui était attribué. Par la suite, lors de l’exploitation commerciale du film, de nombreux débats ont émaillé les projections et la presse a relayé la polémique. Porté par , qui confirme le formidable talent que l’on avait découvert dans Vincere de Marco Bellocchio, et par Riccardo Scarmacio, qui est ici bien plus convaincant que dans Il grande sogno de Michele Placido, le film de Renato De Maria s’inscrit dans la veine féconde du cinéma d’interrogation historique.

Retour sur les années de plomb : Romanzo di una strage (2012) de Marco Tullio Giordana Le terrorisme et les années de plomb demeurent en Italie une plaie ouverte. Plusieurs films récents en témoignent comme ceux déjà évoqués, Buon- giorno, notte de Marco Bellocchio, La prima linea de Renato De Maria, voire Il divo (2008) de Paolo Sorrentino. Marco Tullio Giordana, qui avait déjà mis en scène les années de plomb dans La meglio gioventù, revient sur le sujet avec l’intention de chercher à comprendre ce qui s’est passé et même à émettre des hypothèses quant aux responsabilités engagées. Le cœur du film est constitué par la confrontation entre deux figures présentées avec nuances : l’anarchiste Pinelli, accusé à tort de l’attentat, et le commissaire Calabresi, dévoué serviteur de l’État qui finit par douter de sa mission. Tous deux trouvent la mort. Dans des circonstances mystérieuses,

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l’anarchiste Pinelli meurt en tombant d’une fenêtre de la préfecture de police où il était interrogé. Trois ans plus tard, le commissaire est assassiné dans la rue par des terroristes, peut-être de Lotta Continua. Pour rendre compte d’événements complexes mettant en jeu un grand nombre d’individus de différents bords, Giordana, avec l’aide des scéna- ristes Sandro Petraglia et Stefano Rulli, construit une histoire cohérente en déployant un dossier aux multiples protagonistes. Ainsi, peu à peu, apparaissent les rouages secrets, les manipulations, les enjeux autour d’une démocratie fragile qui, cinq ans plus tôt, avait déjà failli sombrer. Le film souligne les agissements de groupes d’extrême droite et de néo-fascistes, comme le prince Junio Valerio Borghese ou l’avocat Ventura, qui cherchent, avec l’aide de responsables haut placés et de certains membres des services secrets, à déstabiliser le pays pour aboutir à un coup d’État comparable à celui des colonels grecs. Rétroactivement, le film fournit des clefs de lecture et laisse aussi planer le doute sur une opacité politique encore aujourd’hui, par bien des aspects, indéchiffrable. Dans la grande tradition des dossiers politiques que le cinéma italien a su si bien développer, Piazza Fontana avance avec rigueur et souligne les points essentiels d’un récit atterrant comme un thriller. Si le résultat est aussi convaincant, il faut en trouver les raisons dans la documentation rassemblée et dans la justesse de reconstitution d’une époque qui semble déjà éloignée dans le temps. Il faut aussi noter la précision de l’interprétation. Si Valerio Mastandrea et Pierfrancesco Favino donnent des protagonistes une image saisissante, on peut souligner la justesse de Giorgio Colangeli en chef des services secrets, d’Omero Antonutti en président de la République et surtout de Fabrizio Gifuni qui fait d’Aldo Moro l’homme qui porte une sorte de sentiment de culpabilité collective et qui deviendra la troisième victime du récit, exécuté par les Brigades rouges en mai 1978, moins de dix ans après le massacre de la Banque de l’Agriculture. Comme l’écrit Giordana : « Sur ces chapitres cruciaux de l’histoire italienne, la désinformation est totale. Un brouillard épais, une nuit sans lune où tous les chats sont gris » 5. Arrivé à ce point, le cinéaste, dans le texte de présentation du film, cite l’article mémorable de Pasolini publié dans le Corriere della Sera du 14 novembre 1974, un an avant son assassinat, intitulé « Cos’è questo golpe ? Il romanzo delle stragi ». En voici un extrait :

Moi je sais. Moi je sais les noms des responsables de ce qu’on appelle un « coup d’État » (et qui est en réalité une série de « coups d’État » que le pouvoir

5. Texte de Marco Tullio Giordana, in Dossier de presse édité à l’occasion de la sortie française du film, 28 novembre 2012 [s.p.].

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a érigé en système de protection). Moi je sais les noms des responsables du massacre de Milan, le 12 décembre 1969. Moi je sais les noms des res- ponsables des massacres de Brescia et de Bologne perpétrés au début de l’année 1974. Moi je sais les noms de ceux qui composent le « sommet » qui a agi, les voici : des vieux fascistes adeptes de « coups d’État », des néofascistes, auteurs matériels des premiers massacres, et enfin des « inconnus », auteurs matériels des massacres plus récents. Moi je sais les noms de ceux qui ont orchestré les deux phases différentes, ou plutôt opposées, de la tension : une première phase anticommuniste (Milan, 1969) et une seconde phase antifasciste (Brescia et Bologne, 1974). […] Moi je sais tous ces noms et je sais tous les faits (attentats contre les institutions et massacres) dont ils sont coupables. Moi je sais. Mais je n’ai pas les preuves 6.

Jean A. Gili Université Paris I

6. Texte de Marco Tullio Giordana, in Dossier de presse édité à l’occasion de la sortie française du film, 28 novembre 2012 [s.p.].

Livre 1.indb 30 03/10/2016 14:30 Marco Tullio Giordana et Daniele Vicari : deux générations d’héritiers du cinéma d’« impegno civile » de Francesco Rosi ?

Résumé : Qu’est-ce que le cinéma politique et dans quelle mesure peut-on le diffé- rencier du cinéma d’« impegno civile » italien ? Après s’être attaché à répondre à ces questions en partant des exemples d’Elio Petri (1929-1982) et de Francesco Rosi (1922- 2015), l’auteur essaie de voir dans quelle mesure Marco Tullio Giordana (Milan, 1950) et Daniele Vicari (Rieti, 1967) sont les héritiers de Francesco Rosi. Prenant Salvatore Giuliano (Rosi, 1961) comme exemple, il apparaît que si Giordana peut être considéré comme son héritier direct, en revanche Vicari réalise un cinéma davantage social : seul Diaz peut prétendre au titre de cinéma d’« impegno civile ». Riassunto : Che cos’è il cinema politico e come possiamo distinguerlo dal cinema d’impegno civile italiano ? Dopo aver risposto a queste domande, sulla base degli esempi di Elio Petri (1929-1982) e Francesco Rosi (1922-2015), l’autore cerca di capire come Marco Tullio Giordana (Milano, 1950) e Daniele Vicari (Rieti 1967) possano essere gli eredi di Francesco Rosi. Prendendo Salvatore Giuliano (Rosi, 1961) come esempio, risulta che mentre Giordana può essere considerato un erede diretto, Vicari realizza un cinema più sociale, solo Diaz potrebbe rivendicare il titolo di cinema d’impegno civile.

Au printemps 2012, lors de la sortie – à quinze jours d’intervalle – de Romanzo di una strage (Marco Tullio Giordana) et de Diaz : Don’t Clean Up This Blood (Daniele Vicari), une grande partie de la critique italienne a considéré qu’il s’agissait d’un retour du cinéma d’« impegno civile ». Que signifie cette expression reprise régulièrement lorsqu’un film dénonce certains comportements condamnables ? En quoi les deux réalisateurs sont-ils ou ne sont-ils pas héritiers de ce « genre » ?

Cinéma politique et cinéma d’« impegno civile » Qu’est-ce que le cinéma d’« impegno civile » et quelle est sa spécificité par rapport au cinéma politique ? « Engagement civique », si l’on traduit en français, ne donne que peu d’informations par rapport à l’expression ita- lienne, utilisée également pour qualifier d’autres moyens d’expression comme le roman, par exemple. C’est sans doute pourquoi les chercheurs

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 31-46

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français ont souvent parlé de cinéma politique, de cinéma engagé voire de néo-réalisme critique. Emmanuel Barot, dans son ouvrage Camera politica, établit une typo- logie schématique de ce que l’on nomme le « cinéma politique ». Selon lui, les films « explicitement politiques » sont ceux « qui se donnent, d’abord, la politique comme objet : les rapports de pouvoirs, de domination, de révolte, qu’entretiennent entre eux peuples, communautés, individus et pouvoir d’États ou groupes de pression, etc. » 1. Il distingue trois sous-genres dans cette vaste catégorie. D’abord le « cinéma civique » et pédagogique. « Il va du thriller […] aux fresques historiques reconstituant de grands moments de l’histoire, […] de certains films de guerre […] aux récits biographiques […], en passant par la politique-fiction mettant en scène la connivence mafia-pouvoir, les alliances entre pouvoirs légaux et illégaux, les processus d’oppression, de répression, ou de résistance et de révolution, etc. » 2. Ce cinéma civique « cherche avant tout à connaître, à mettre à nu les mécanismes du pouvoir, et les ressorts de la révolte autant que de la sou- mission » 3. Ensuite, E. Barot parle de cinéma « militant ». « Avec l’emblème eisensteinienne du Cuirassé Potemkine (1925), il est mené du côté de ceux qui luttent, avec “leurs yeux” et leurs visions du monde » 4. Enfin la troisième catégorie serait le cinéma « de propagande », qui, au-delà du militant, « tend souvent à l’épique par sa vocation édificatrice et justificatrice » 5.

Petri a été l’initiateur du cinéma politique Le cinéma d’Elio Petri, à partir d’Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (1969), donne des clés importantes pour comprendre la décennie qui va de 1968 à 1978, une décennie décisive dans l’histoire de l’Italie. Selon Andrea Minuz, c’est Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto qui ouvre la voie au cinéma politique italien, car ce film « può essere considerato in un certo senso come il modello di riferimento […]. È infatti a partire da Indagine che si comincia a parlare di cinema politico italiano » 6. À propos de Todo modo (1976), Elio Petri affirme avec force et

1. E. Barot, Camera politica : dialectique du réalisme dans le cinéma politique et militant, Paris, Vrin, 2009, p. 28-29. 2. Ibid., p. 29. Pour l’auteur, certains films de Francesco Rosi sont à classer dans cette catégorie. 3. Ibid., p. 29-30. 4. Ibid., p. 30. 5. Ibid., p. 31. Octobre (Eisenstein, 1928) en serait le meilleur exemple. 6. A. Minuz, « Cronaca di una stagione annunciata. Note sul cinema politico di Elio Petri », in Schermi di piombo. Il terrorismo nel cinema italiano, C. Uva (dir.), Soveria Mannelli, Rubbettino, 2007, p. 135.

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conviction : « De mon point de vue, l’unique clef de lecture possible me semble la clef politique […], je n’ai visé qu’un seul objectif, celui de nuire au maximum à la démocratie chrétienne » 7. Maurizio Grande complète par son jugement cet aspect du cinéma de Petri, car selon lui « è oggetto dei film di Petri lo smascheramento dei rapporti fra polizia e potere politico, la corruzione dei politici, le loro ossessioni e perversioni nel riflesso che hanno nella gestione della vita pubblica italiana (Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto, Todo modo) » 8. Il nous semble donc évident qu’on qualifie – dans sa grande majorité et pour toutes les raisons énoncées – le cinéma de Petri de cinéma politique.

L’exemple de Francesco Rosi En revanche, pour Francesco Rosi il en va différemment, car son objectif est avant tout de vouloir rétablir la vérité par l’enquête :

Oggetto dei film di Rosi è la « buona inchiesta » contro l’inchiesta imbavagliata, dunque la rivelazione dei legami di potere fra la polizia e la magistratura con il partito di governo ; il disvelamento dei rapporti fra criminalità organizzata e politica ; dunque mostrare, far vedere ciò che tutti sanno o suppongono, ricostruire gli elementi accertabili di quanto è sussurrato e non detto, appro- fondire le mezze verità di convincimenti diffusi ma non fondati su fatti e argomentazioni inconfutabili 9.

Le but clairement affiché par Rosi est avant tout pédagogique et aboutit à ce que de nombreux exégètes ont appelé le « film-enquête ». Ce travail d’investigation préalable est mis en avant par le réalisateur lorsque Jean Gili lui demande : « Comment avez-vous préparé le scénario de Lucky Luciano ? » :

De la même manière que je m’étais documenté pour Salvatore Giuliano et l’Affaire Mattei. J’ai consulté des livres, des journaux, des documents, par exemple quelques procès-verbaux d’interrogatoires. J’ai lu aussi beaucoup d’interviews de Lucky Luciano publiées dans la presse […]. Grâce à tous ces documents, j’ai eu la possibilité de poursuivre la route que j’ai choisie pour faire le type de cinéma qui est le mien. À partir de faits historiques, de personnages ayant réellement vécu, je cherche à présenter une certaine réalité, mais pas dans les termes d’un documentaire. J’ai souvent lu, surtout en Italie, que mes films relevaient d’un travail de documentariste. Selon

7. J.A. Gili, Le cinéma italien, Paris, Union générale d’éditions (10 / 18), 1978, p. 199. 8. M. Grande, Eros e politica, Sienne, Protagon Editori Toscani, 1995, p. 27. 9. Ibid., p. 27.

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moi, il s’agit d’une grave erreur, mon cinéma n’est en rien un cinéma de documentariste, c’est un cinéma documenté 10.

La méthode Rosi : Salvatore Giuliano et le « film dossier » Avec Salvatore Giuliano, le réalisateur napolitain a inventé un genre. Dans l’œuvre de Francesco Rosi, trois films présentent de très nombreux points communs et sont apparus d’une nouveauté si radicale qu’il a été proposé de les qualifier de « film dossier ». Il s’agit de Salvatore Giuliano (1961), Il caso Mattei (1971) et Lucky Luciano (1973).

L’expression « film dossier » est donc souvent utilisée par les exégètes de l’œuvre de Rosi parce qu’elle fait référence à l’une des spécificités les plus frappantes de ces trois films, leur dimension ouverte. Celle-ci est produite par la structure narrative qui repose sur le flash-back, ou retour en arrière, mais également par une autre caractéristique. Dans le cinéma narratif ordinaire, la consécution chronologique et la conséquence logique se confondent ; une situation B vient après une situation A mais elle vient aussi à cause d’elle (c’est le fameux paralogisme latin « post hoc, ergo propter hoc » : « après cela, donc à cause de cela »). Or Rosi, par la structure du « film dossier », juxtapose des séquences situées à des époques différentes (l’écart peut être de six ou dix ans) en des lieux distincts, montrant parfois des personnages variés. Ce n’est donc plus la succession temporelle qui produit la causalité 11.

Le film s’affranchit de la chronologie, c’est sans doute cette dimension qui a le plus frappé ; nous en voulons pour preuve le fait que l’on trouve des expressions telles que « film mosaïque », « kaléidoscopes fragmentés » (Michel Ciment) ou encore « puzzle » et « chronologie éclatée ». René Prédal, quant à lui, parle de « confusion ordonnée ». Yannick Mouren a même utilisé le terme « achronologie » 12 pour qualifier ce type de cinéma. Ainsi, par un usage très personnel du montage, Rosi transforme cette enquête sur des faits historiques et sur leur enchaînement logique en un récit émotionnel, et non chronologique. Le film est tout sauf une biogra- phie de Salvatore Giuliano, puisque le héros éponyme en est quasiment absent ; il est, selon la belle formule de Jean-Louis Bory, « l’Arlésienne de sa propre histoire ».

10. J.A. Gili, Le cinéma italien, p. 248-249. 11. Y. Mouren, « La méthode Rosi. Le “film dossier” », in Francesco Rosi. Études cinématogra- phiques, J.A. Gili (dir.), Paris – Caen, Lettres Modernes – Minard, 2001, p. 100. 12. Ibid., p. 96.

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Le cinéma de Marco Tullio Giordana Marco Tullio Giordana est né à Milan en 1950. Il était donc adolescent lors de la sortie en salle des principaux films de Rosi. Après une formation qui devait l’orienter vers la peinture, il choisit le cinéma. Ses deux premiers films, frappés du sceau de la tragédie, se terminent par un constat d’échec et la mort de leur protagoniste. La caméra de Marco Tullio Giordana n’a jamais cessé d’interroger son pays à partir de la tragédie de la mort : mort d’un militant politique (Maledetti, vi amerò), mort de tifosi de la Juventus au stade du Haysel (Appuntamento a Liverpool), mort de Pasolini (Pasolini, un delitto italiano), mort d’un militant anti-mafia (I cento passi), mort d’un couple de comédiens (Sanguepazzo), morts lors d’un attentat (Romanzo di una strage). C’est souvent à partir de ces fins tragiques que le réalisateur propose une réflexion sur l’état de la société italienne. Marco Tullio Giordana est également le réalisateur de La meglio gioventù, qui met en scène la vie de la famille Carati de 1966 à 2003. C’est grâce à cette œuvre que Giordana a atteint une notoriété internationale, profitant ainsi de la couverture médiatique que lui a offert le festival de Cannes. Cet aspect rétrospectif qui caractérise son cinéma ne doit en aucun cas occulter le caractère immédiat, voire anticipateur, d’un film comme Quando sei nato non puoi nasconderti (2005), où la question des flux migratoires et de l’arrivée de migrants par le sud du pays est aujourd’hui encore d’une brûlante actualité. Pour plus de simplicité, notre corpus sera constitué de trois films : Pasolini, un delitto italiano (1995), I cento passi (2000) et Romanzo di una strage (2012). Les deux premiers enquêtent sur la mort de personnages connus, Pier Paolo Pasolini et Giuseppe Impastato. Le troisième veut proposer une thèse au sujet de la bombe qui a explosé à l’intérieur de la Banca Nazionale dell’Agricoltura à Milan, le 12 décembre 1969.

Pier Paolo Pasolini, absent du film comme le fut SalvatoreG iuliano Il est troublant de constater que les deux personnages qui donnent leur titre à chacun des deux films sont absents à l’écran. Le personnage du bandit sicilien est présent dans seulement neuf plans du film. Giordana a refusé, quant à lui, de faire interpréter le rôle du poète par un comédien. Les rares fois où il apparaît à l’écran, c’est bien de lui qu’il s’agit ; le protagoniste du film en revanche est son assassin présumé, Pino Pelosi. Tout comme Rosi, Giordana a réalisé un important travail de docu- mentation et de recherche pour nous proposer sa version de l’assassinat, celle de la thèse du complot qui innocente en partie Pelosi, le coupable pour beaucoup. La différence se trouve à notre avis dans le traitement :

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là où Rosi est encore héritier du néo-réalisme, Giordana choisit la voie du thriller judiciaire, qui ne prétend pas faire la lumière, mais « combler quelques trous » dans le mystère de cette mort. C’est ainsi que nous pouvons affirmer que Pasolini, un delitto italiano doit autant à la leçon formelle de Il caso Mattei qu’à la reconstruction vers la recherche de la vérité de Salvatore Giuliano. S’il était commode pour beaucoup que le seul coupable du massacre de Portella della Ginestra (1er mai 1947) fût Giuliano, la mort de Pasolini ne devait être que ce que Giordana fait dire dans le film au commissaire : « È una storia di froci, punto e basta ». Outre l’important travail de documentation, d’autres éléments viennent lier le cinéma de Giordana et celui de Rosi. En effet, de la même façon qu’au début de Salvatore Giuliano Rosi fait dire à un journaliste : « Strano, tutta la maglietta è inzuppata di sangue e a terra quasi niente » 13, dans le film de Giordana le point culminant se situe au moment où un expert en méde- cine légale, Faustino Diamante (interprété par Massimo De Francovich), affirme que la victime ne peut pas avoir été mise dans l’état dans lequel on l’a retrouvée par un seul adversaire armé d’un morceau de bois. « Siamo nella tradizione del cinema civile di Francesco Rosi, dove tutto vuol essere come nella realtà, meticolosamente ricostruito, rigorosamente attendibile » 14. Cela va de l’arrestation de Pelosi en fuite le long de la plage d’Ostie à la découverte du cadavre, en soulignant l’extraordinaire émotion que l’affaire a suscité dans le pays. Le film est composé de deux parties bien distinctes. Pendant la première, l’auteur entraîne le spectateur vers la thèse du crime passionnel (la fameuse version « è una storia di froci »), puis cette version est démontée dans la deuxième partie pour laisser place à celle du complot. De la même façon que Francesco Rosi avait fait alterner sa mise en scène avec des documents d’archives (l’après-guerre / les mouvements séparatistes), Marco Tullio Giordana a recours à des témoignages à chaud d’amis du poète comme Bernardo Bertolucci, Alberto Moravia ou encore Enzo Siciliano. Coexistent ainsi dans le film diverses sources et supports (noir et blanc, couleurs, images d’archives).

I cento passi I cento passi a permis au grand public de connaître Giuseppe Impastato et aux autres de se familiariser avec ce Sicilien assassiné par la mafia le

13. Ce journaliste est vraisemblablement, dans l’esprit de Francesco Rosi, Tommaso Besozzi, qui signera, dans l’Europeo daté du 16 juillet 1950, un célèbre article intitulé « Di sicuro c’è solo che è morto ». 14. T. Kezich, Corriere della Sera, 3 septembre 1995.

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9 mai 1978. La mort du jeune homme n’avait guère laissé de traces dans la mémoire de ses compatriotes, car elle avait bénéficié de peu de couverture dans la presse. En effet, le même jour avait été retrouvé à Rome le corps sans vie d’Aldo Moro. Le Corriere della Sera du 10 mai donne comme titre à un petit article paru en page 13 : « Ultrà di sinistra dilaniato dalla sua bomba sul binario ». L’article, peu documenté, affirme que le jeune homme se serait suicidé. Pour mettre en scène la vie de Peppino Impastato, le réalisateur a choisi une modalité extrêmement linéaire, essentielle, sans virtuosité. La chronologie est importante, et Giordana donne régulièrement des points de repère pour se situer dans l’espace temporel que recouvre le film (1958- 1978), avec une part importante pour la décennie 1968-1978. Rappelons que Peppino, né le 5 janvier 1948, a vingt ans en 1968 et meurt donc à trente ans. Il est devenu adulte au moment de la rébellion de la jeunesse mondiale. Certains éléments constitutifs de cette période accompagnent le film : chansons, arrivée de la télévision dans les foyers, lutte pour le divorce, pour l’avortement, libération sexuelle, mouvements féministes, autorisation des radios privées… I cento passi est une œuvre très « physique » : les corps jouent un rôle fondamental dans le film. Ils sont mis en scène pour exprimer les conflits et les luttes que la trame narrative propose ; Luigi Impastato, le père de Peppino, l’affronte plusieurs fois physiquement devant la caméra de Giordana, qui joue avec les corps comme le ferait un sculpteur. Les visages du jeune homme et de ses proches sont souvent filmés en plans très rapprochés, de manière à exalter ces personnages positifs. Mais l’un des moments centraux du film, pour comprendre la position aussi bien esthétique qu’idéologique du réalisateur, est la projection du film Le mani sulla città dans le ciné-club que fréquentent Peppino et ses amis. La scène débute avec le carton qui clôt le film de Rosi : « I personaggi e i fatti qui narrati sono immaginari, è autentica invece la realtà sociale e ambientale che li produce ». Il s’agit d’une déclaration qui peut être considérée comme étant à la base de tout le cinéma d’« impegno civile » italien, et que Giordana fait bien évidemment sienne.

Romanzo di una strage Si Giordana se donne Rosi comme modèle cinématographique, son repère poétique est bien Pasolini. Ce dernier vient habiter de façon récurrente le cinéma de l’auteur. S’il est inutile de rappeler le titre et le contenu de son œuvre de 1995, il n’est pas inutile de le faire pour Nos meilleures années, dont le titre original est La meglio gioventù, hommage direct à un recueil de vers de Pasolini. De la même façon Piazza Fontana, le titre choisi

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pour la distribution française, ne reprend en rien Il romanzo delle stragi (allusion directe à un article publié par le poète dans le Corriere della Sera du 14 novembre 1974, quelques mois avant sa mort, où il affirmait connaître le nom de certains terroristes qui avaient ensanglanté l’Italie). Le réalisateur est parti du livre Il segreto di Piazza Fontana du jour- naliste Paolo Cucchiarelli 15. Il se veut très exhaustif dès la couverture, qui comprend un sous-titre assurant « finalmente la verità sulla strage : le doppie bombe e le bombe nascoste, Pinelli, Calabresi, Feltrinelli, i servizi deviati e quelli paralleli, la DC, il PCI, la NATO e gli Stati Uniti. Il rac- conto tragico e sconvolgente del Pasticciaccio che ha ammalato l’Italia ». La structure de cet ouvrage de sept cents pages est assez pédagogique et est composée de quatre parties très explicatives. C’est de cette structure que sont partis Giordana et ses scénaristes habituels (Rulli et Petraglia) pour écrire un scénario structuré en huit parties. Le titre de chacune de ces parties est beaucoup plus abstrait, juste différence entre le travail d’un artiste et celui d’un journaliste. Dans son travail de reconstruction et d’évaluation des hypothèses, Giordana embrasse une période qui va de 1969 à 1972. Le film commence ainsi à Padoue, quelques semaines avant l’attentat, et se termine le 17 mai 1972, jour de l’assassinat du commissaire Calabresi. Le réalisateur a choisi, pour plus de simplicité, la voie de la reconstruction chronologique. Il ne s’agit ni d’un thriller, ni d’un film policier, mais bien d’un « film dossier », à la manière de Francesco Rosi. Reconstruction, déconstruction et reconstitution sont les mots que nous renvoie le film. Giordana reconstitue minutieusement une enquête qui avait initialement suivi la voie des milieux anarchistes. Le personnage principal est l’enquêteur en la personne du commissaire Luigi Calabresi. C’est lui qui est le dépositaire du point de vue de Paolo Cucchiarelli, ainsi que de celui du réalisateur et de ses scénaristes : la piste de la double bombe. Giordana enquête avec minutie, avec le recul nécessaire et sans préjugé, évitant d’avoir recours à l’émotion même s’il choisit de nous faire pénétrer dans l’intimité de deux personnages, les deux « vaincus » dans le film : Giuseppe Pinelli et Luigi Calabresi. Les scènes d’intérieur dominent, dans le but de donner une impression de claustrophobie à ce film d’une froideur chirurgicale :

Marco Tullio Giordana nous expose les faits, comme pourrait le faire un historien, puis traque les failles. Giordana montre à l’écran les vérités irré- futables mais laisse, à l’image de cette scène du « suicide », tout comme l’identité du terroriste présent dans le taxi, les suppositions dans le doute. Il

15. P. Cucchiarelli, Il segreto di Piazza Fontana, Milan, Ponte alle Grazie, 2009.

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conserve le point de vue du citoyen, celui qui aimerait connaître la vérité, et la traque, mais à qui il manque certains éléments pour regrouper l’ensemble du puzzle 16.

Étrangement, cette histoire rappelle par ces interrogations l’affaire Salvatore Giuliano, qui pose encore aujourd’hui trois questions majeures : que s’est-il passé le 1er mai 1947 lors du massacre de Portella della Ginestra ? Dans quelles conditions Salvatore Giuliano a-t-il trouvé la mort ? Qui a tué Gaspare Pisciotta ? Trois questions demeurent également sans réponse dans le film de Giordana : que s’est-il passé le 12 décembre 1969 lors du massacre de Piazza Fontana ? Dans quelles conditions Giuseppe Pinelli a-t-il trouvé la mort ? Qui a tué Luigi Calabresi ? Même dans ses interro- gations ultimes, le film de Giordana rejoint celui de Rosi : héritage évident et revendiqué par le réalisateur dans ses réponses aux questions du Nouvel Observateur :

[…] Je pense qu’il était en effet difficile mais nécessaire de faire ce film. À son échelle, il tente de reprendre le flambeau de Francesco Rosi, qui, dans les années 1960 et 1970, avec Main basse sur la ville, L’Affaire Mattei ou Cadavres exquis, faisait son devoir de cinéaste en s’emparant « à chaud » de l’actualité pour incendier les écrans et la conscience des spectateurs. Malgré son aspect effectivement anachronique dans le contexte culturel et économique d’aujourd’hui, je crois que Piazza Fontana a une petite chance d’atteindre sa cible 17.

Giordana nous propose sa vérité, qui épouse celle du commissaire Calabresi. Non sans ironie de la part du réalisateur, Calabresi l’expose à D’Amato (un de ses supérieurs) dans son bureau, et ce dernier répond avec un sourire malicieux : « Che romanzo ! Che immaginazione ! ». Ainsi l’étude des trois œuvres Pasolini, un delitto italiano (1995), I cento passi (2000) et Romanzo di una strage (2012) établit-elle combien le cinéma de Marco Tullio Giordana doit à l’héritage de celui de Francesco Rosi. Le travail de documentation préalable à l’écriture du scénario est pour Giordana fondamental comme il l’était chez Rosi, l’un et l’autre revendiquent cette façon de travailler. Ce n’est qu’après une étude soignée du « dossier » à partir de sources diverses (articles de presse, ouvrages, minutes de procès, témoignages…) que le metteur en scène peut prendre parti et argumenter cinématographiquement pour proposer sa thèse. Ce modus operandi associe

16. http://www.nirvadvd.com/critique-chronique-dvd-piazza-fontana-de-marco-tullio- giordana/ ; site consulté le 23 septembre 2015. 17. B. Achour, Le Nouvel Observateur, 28 novembre 2012.

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de façon évidente les deux réalisateurs dans cette tradition du cinéma d’« impegno civile » dont Francesco Rosi a été le héraut pendant plusieurs décennies. L’un comme l’autre défendent avec conviction cette idée que leur cinéma n’est en rien un « cinéma de documentariste » mais bien un « cinéma documenté ».

Le cinéma de Daniele Vicari Daniele Vicari est né en 1967 à Rieti dans le Latium, il a donc dix-sept ans de moins que Giordana. Après une laurea en histoire et critique du cinéma à l’université La Sapienza de Rome, il collabore en tant que critique cinéma- tographique à deux revues d’inspiration marxiste, d’abord Cinema Nuovo (1990-1996), puis Cinemasessanta (1996-1999). C’est pendant ces années qu’il dirige ses premiers courts métrages. Ces films ont une dimension historique, politique et sociale, comme Non mi basta mai (2000), qui met en scène cinq ouvriers de FIAT licenciés en 1980. Depuis 2002, Daniele Vicari a réalisé quatre longs métrages de fiction et deux documentaires 18. Son intérêt pour la pédagogie et la transmission du savoir est évident, car il a fondé à Rome la Scuola d’arte cinematografica Gian Maria Volonté avec son associé Antonio Medici, avec lequel il a écrit un ouvrage consacré au langage de l’audiovisuel 19. Pour aborder la production de l’auteur, nous faisons le choix d’écarter L’orizzonte degli eventi, considérant qu’il s’agit de son film le moins achevé. En outre, le documentaire étant par essence un témoignage, une prise de position et une mise en scène du réel, nous choisirons de ne parler que des longs métrages de fiction.

Velocità massima Velocità massima est sélectionné en compétition à la Mostra de Venise 2002, fait rare pour une opera prima, il convient de le souligner. Stefano, un garagiste endetté, participe avec Claudio, son employé, à des courses automobiles nocturnes dans le quartier romain de l’EUR. Si le film met en scène la vie de deux jeunes gens issus du néo-prolétariat romain, ce portrait de l’Italie marginale est construit sur une histoire qui vit de stéréotypes et d’oppositions. Il s’agit de deux garçons unis mais que tout oppose : l’aîné est cynique et macho, alors que le cadet est silencieux et intransigeant ;

18. Il s’agit de Velocità massima (2002), L’orizzonte degli eventi (2004), Il passato è una terra straniera (2008), Diaz : Don’t Clean Up This Blood (2012), et des documentaires Il mio paese (2006) et La nave dolce (2012). 19. M.T. Giordana, A. Medici, L’alfabeto dello sguardo. Capire il linguaggio audiovisivo, Rome, Carocci, 2004.

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l’un a trente ans, l’autre vingt ; l’un est patron, l’autre ouvrier ; l’un est le maître, l’autre le disciple ; l’un compte sur ses muscles, l’autre sur sa tête.

L’auto è la loro mitologia, l’appuntamento in piazza un rito di appartenenza, la gara clandestina un’occasione di riscatto. Sono figli di operai in fuga dal destino dei padri e di una vita senza futuro. Privi di coscienza di classe, non hanno progetti di fuga o di cambiamento : nelle gare notturne sfidano il figlio di papà ma poi invidiano i suoi soldi. Sono, in un certo senso, l’incarnazione della profezia pasoliniana : un sotto-proletariato trasformato in massa piccolo borghese che insegue falsi miti di successo, anche se vive ai limiti dell’indigenza 20.

Il nous semble pertinent d’affirmer que le film de Vicari relève davan- tage d’un cinéma social que politique. V. Buccheri va même plus loin en affirmant que « quello che irrita e insospettisce è l’assenza di punto di vista, in senso narrativo ma anche morale. Innanzi tutto, è ambigua la mescolanza di dramma e commedia » 21. C’est ainsi que fonctionne la première partie du film, jusqu’à l’entrée en scène de Giovanna, le personnage féminin qui provoque les répliques misogynes de Stefano. Le rythme ralentit et le portrait de cette Italie, à la fois marginale et travailleuse, perd en intensité. Vicari montre cependant dès ce premier film qu’il a une grande maîtrise de l’outil cinématographique. Les scènes tournées de nuit dans le quartier de l’EUR (caméra sur l’épaule et en privilégiant le plan séquence) font, fort étrangement, penser à du reportage. Elles confèrent sans doute aux yeux du réalisateur un sentiment de « réel », d’images prises sur le vif, voire « volées », que le documentaire et a fortiori la fiction ne pourraient atteindre.

Il passato è una terra straniera Le troisième film de Vicari met encore une fois en évidence le caractère binaire de son cinéma. Il met en scène des oppositions simples : deux jeunes gens, le riche et le pauvre, le jour et la nuit, le bien et le mal, dans un film constitué de deux grandes parties (la première se déroule à Bari, la deuxième à Barcelone). L’utilisation du flash-back ajoute également un élément de double temporalité. Il passato è una terra straniera, adaptation d’un roman de Gianrico Carofiglio 22, met en scène une descente aux enfers. Giorgio (Elio Germano), le riche, est entraîné par Francesco (Michele Riondino), le voyou, vers les tables de jeu où le gain est facile grâce à ce dernier, qui est un habile

20. V. Buccheri, « Velocità massima », Segnocinema, n° 118, novembre-décembre 2002, p. 38. 21. Ibid. 22. G. Carofiglio,Il passato è una terra straniera, Milan, Garzanti, 2008.

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tricheur. Le film est parcouru par une atmosphère inquiétante marquée par des zones d’ombre et d’importants contrastes chromatiques, qui renvoient métaphoriquement à des contrastes d’un autre type, psychologique et social. À l’écran, Il passato è una terra straniera pourrait être qualifié de thriller noir, mais également de roman de formation. L’histoire de Giorgio est un long voyage vers la transgression, à la recherche d’une maturité que ni les études, ni sa famille ne semblent en mesure de lui garantir. De Bari à Barcelone, la ville est le lieu symbolique où mettre en scène le rite gratuit de la violence sur les autres. La caméra court, déforme, déstabilise grâce à la technique (emploi de l’objectif anamorphique) ou encore en utilisant un filtre faisant penser à un simple morceau de verre. Ce cinéma n’est ni sociologique et de genre comme son premier film, ni allégorique et poétique comme le deuxième, ni documentaire et politique comme Il mio paese. Le réalisateur fait souvent référence au néo-réalisme dans ses entretiens et ses conférences de presse. Certes, le fonds social de ses films ramène au grand cinéma italien de l’après-guerre, mais ce qui frappe c’est l’utilisation de l’espace de représentation. Vicari semble rappeler ce credo néo-réaliste en faveur de l’utilisation du paysage italien, revendiqué dans l’après-guerre comme clé de lecture fondamentale des transformations sociales :

I luoghi, o meglio le scenografie per me sono importanti quanto i corpi degli attori. Certamente sono il prolungamento delle coscienze dei personaggi, anzi sono la trasposizione immaginifica dell’interiorità degli interpreti. La Bari del Passato è una terra straniera è nera e astratta quanto la Roma di Velocità massima, o quanto il laboratorio di fisica del Gran Sasso. I luoghi sono il completamento drammaturgico della narrazione, a volta sono l’essenza stessa dell’emotività del film 23.

Il est évident que Daniele Vicari est un réalisateur très attentif à la réalité sociale d’une Italie contemporaine en constante transformation. Nous avons vu ainsi que ce jeune réalisateur est avant tout celui des rencontres et des aventures viriles. L’amitié entre deux hommes – souvent concurrents ou adversaires – est gâchée régulièrement dans ses films par l’arrivée plus ou moins tardive dans la narration d’une femme (fatale ?). C’est le cas de façon évidente dans Velocità massima (2002) et Il passato è una terra straniera (2008), mais également dans L’orizzonte degli eventi (2005). Il s’agit de films qui mettent en scène une certaine réalité économique et sociale de notre époque. En ce sens, le cinéma de Vicari, jusqu’à 2008, est ancré dans sa contemporanéité, contrairement à celui de Rosi et Giordana, qui ont surtout fait un cinéma rétrospectif.

23. Entretien avec Marzia Gandolfi : http://www.mymovies.it/cinemanews/2008/3868/.

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Diaz : un cinéma d’« impegno civile » La première projection publique a eu lieu lors du festival de Berlin le 12 février 2012. Le film met en scène des faits qui se sont réellement produits à Gênes le soir du 21 juillet 2001, en marge de la réunion du G8, lorsque la police est intervenue violemment dans l’école Armando Diaz alors que de nombreux participants aux manifestations anti-G8 y étaient couchés. Le résultat de cette épreuve de force a été de quatre-vingt-treize personnes arrêtées et quatre-vingt-sept blessées. Des violences ont été également dénoncées dans la caserne de Bolzaneto, le deuxième pôle du film. Le bilan général a été, après trois jours d’émeute, d’un mort (Carlo Giuliani), six cents blessés parmi les manifestants, près de deux cents voitures brûlées, des dizaines de banques, stations essence, agences immobilières et autres symboles du capitalisme détruits. Il s’est agi selon Amnesty International de « la plus grave atteinte aux droits démocratiques dans un pays occidental depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ». Diaz a été l’occasion pour Vicari d’essayer de faire la lumière sur ce qui s’est réellement passé cette nuit-là. Pour reconstruire et représenter les faits, le réalisateur a consulté les archives judiciaires, visionné documentaires et reportages, entendu des témoignages. Le sang est une constante du film, il est partout mais surtout sur les têtes, les visages en particulier. Le film pointe les carences des institutions dans leur désir de minimiser les faits, de cacher la vérité. Cela fait évidem- ment penser à Salvatore Giuliano et aux mensonges des forces de l’ordre qui ont composé avec la scène du crime. Diaz propose un cinéma hybride, fait d’images propres et de type reportage comme dans Salvatore Giuliano (la libération de la Sicile) ou Romanzo di una strage (les funérailles dans le dôme de Milan). Vicari choisit une structure qui rappelle Citizen Kane (Welles, 1940) : il met en scène plusieurs fois le même événement ou la même scène, en l’observant depuis les différents points de vue des témoins de cette tragédie dans l’établissement scolaire. Le film s’ouvre ainsi sur le vol, au ralenti, d’une bouteille en verre : elle se brise en mille morceaux au terme de sa parabole légèrement incurvée, puis se recompose pour repartir vers les mains de son expéditeur, un « no global ». Vicari reconstruit le puzzle et rassemble tous les fragments de cette longue nuit de violences afin de proposer au spectateur un récit plausible de ce qui s’est déroulé. La foule des victimes est composée de visages identifiables dans ce film choral, d’Alma, la jeune fille allemande du Genova Social Forum, à Anselmo, le vieux militant de la CGIL venu rejoindre les manifestants. Vicari a choisi une narration à caractère choral, ce qui fait que le spectateur reçoit, tour à tour, le point de vue de différents personnages. Il s’agit bien, en partie, d’un cinéma

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d’« impegno civile », héritier de Rosi, certes, mais également de Petri ; nous pensons surtout aux plans sur les policiers dans la questura, qui rappellent par exemple Indagine. Vicari prend, pour la première fois, de la distance par rapport aux événements mis en scène : onze ans séparent les faits de la sortie du film. Rappelons par exemple que Rosi a réalisé Salvatore Giuliano onze ans après la mort du bandit et que Giordana a tourné Romanzo di una strage plus de trente ans après les faits. Il existe cependant une différence fondamentale entre Diaz et Salvatore Giuliano ou Romanzo di una strage : les noms et les prénoms des protagonistes sont fictifs. Le 12 avril 2012, Sandra Rizza, dans un article publié par Il Fatto quotidiano, met en évidence cette carence : « I nomi dei responsabili del feroce pestaggio di Genova, infatti, non ci sono. Neppure nelle conclusioni che, nel rullo di coda, informano lo spettatore del processo tuttora in corso e del rischio di prescrizione che incombe sulle accuse ». Il est évident pour la journaliste qu’une question se pose : « È d’obbligo chiedersi : si può fare denuncia, al cinema, su una vicenda di stringente attualità, senza fare nomi ? » 24. Au demeurant, l’on peut affirmer que cette façon de procéder tend à rapprocher Diaz de Main basse sur la ville. Les noms sont imaginaires, les personnages également mais les événements mis en scène sont bien réels, pourrait-on écrire, en pastichant le célèbre carton final du film de Rosi. Mais, et c’est sans doute la limite de celui de Vicari, ce choix n’a jamais été vraiment justifié. En revanche, pour le réalisateur la question de son engagement ne se pose pas, et nous ne saurions le mettre en doute :

[…] Ho una particolare predilezione per questioni di carattere storico, politico, sociale. Da questo punto di vista non ho problemi a definirmi “impegnato”, ma sono gli altri a dover dire se lo sono davvero, non posso essere io. Quello che posso dire è che mi interessa quello che mi succede intorno. Quali sono i suoi riferimenti nell’ambito del cinema italiano, con particolare riferimento al cinema che possiamo definire « di impegno » ? Io amo molto i film, più che gli autori. Però non c’è dubbio che il nostro cinema migliore ha avuto sempre un occhio molto attento alla realtà socio-politica, dal Neorealismo in poi 25.

Nous avons plusieurs fois fait allusion aux rapports de filiation que Vicari entretient avec le néo-réalisme, ils sont ici revendiqués ouvertement.

24. S. Rizza, « Diaz, se il cinema civile dimentica di fare i nomi », Il Fatto quotidiano, 16 avril 2012, http://www.ilfattoquotidiano.it/2012/04/16/diaz-cinema-civile-dimentica-fare- nomi/204759/. 25. Entretien avec Raffaello Scolamacchia le 19 avril 2013 : http://www.altritaliani.net/spip. php?article1511.

Livre 1.indb 44 03/10/2016 14:30 Marco Tullio Giordana et Daniele Vicari… 45

Le réalisateur « n’a eu de cesse depuis près de vingt ans, avec la rigueur du sociologue et la passion de l’artiste, de vouloir rendre compte de la doulou- reuse réalité de Son pays » 26. Son cinéma est un cinéma à caractère davantage social, voire sociologique, si l’on prend en considération ses trois premiers films. En ce qui concerne Diaz, le lien avec le fameux cinéma d’« impegno civile » est évident et rapproche davantage le travail de Vicari de celui de Rosi et Giordana. Nous avons vu combien le cinéma de Marco Tullio Giordana est dans sa globalité proche du cinéma du maître napolitain, nous aurions pu étayer davantage notre démonstration avec des films comme La meglio gioventù (qui aurait à lui seul mérité un article) ou Quando sei nato non puoi nasconderti. Le chemin de Giordana continue sur cette voie, puisque Lea, son nouvel opus, met en scène la vie de Lea Garofalo, qui a été assassinée pour avoir voulu combattre la ’Ndrangheta, la mafia calabraise. Enfin, il est heureux de constater que la nouvelle génération de réalisateurs italiens est prête à s’engager sur la même voie ; nous pensons à Francesco Munzi (Anime nere, 2014), mais également à deux films présentés à l’automne 2015 aux festivals du film italien d’Annecy et de Villerupt : il s’agit de La terra dei santi, dont le réalisateur, Francesco Muraca, a reconnu le lien avec le cinéma d’« impegno civile », et de Patria, présenté par son auteur, Felice Farina, comme un film politique.

Jean-Claude Mirabella Université Paul Valéry, Montpellier

26. A. Bichon, « Du cinéma du réel au réalisme social du cinéma », Catalogue Annecy Festival Cinéma Italien, édition 2013, p. 64-65.

Livre 1.indb 45 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 46 03/10/2016 14:30 Il privato è politico ? Vita privata e vita pubblica degli attori politici e religiosi nel cinema italiano degli anni 2000

Riassunto : Il saggio intende indagare la relazione / opposizione che esiste tra la sfera pubblica e la sfera privata in alcuni personaggi a carattere politico o religioso presenti nel cinema italiano degli anni 2000. Si sono scelti tre film esemplari : Il divo (2008) di Paolo Sorrentino, Buongiorno, notte (2003) di Marco Bellocchio e Habemus Papam (2011) di Nanni Moretti. In questi tre esempi, la rappresentazione della sfera privata di Giulio Andreotti, di un gruppo di terroristi delle Brigate Rosse e di un pontefice che rifiuta la propria investitura si configura come un tentativo di andare al di là della cronaca giornalistica, del puro atteggiamento documentaristico di carattere « oggettivo », della ricerca universitaria. I tre registi sembrano piuttosto interessati a vedere, rappresentare, mettere in scena ma anche comprendere quello che si nasconde dietro la maschera del potere e dietro una qualsiasi attività politica o di carattere pubblico. Un tentativo di scandagliare i meccanismi e le dinamiche universali del potere, declinati e percepiti nel contesto storico contemporaneo.

Résumé : Cet essai se propose d’interroger la relation / opposition qui existe entre la sphère publique et la sphère privée dans certains personnages cinématographiques à caractère politique ou religieux présents dans le cinéma italien des années 2000. Nous avons choisi trois films exemplaires : Il divo (2008) de Paolo Sorrentino, Buongiorno, notte (2003) de Marco Bellocchio et Habemus Papam (2011) de Nanni Moretti. Dans ces trois exemples, la représentation de la sphère privée de Giulio Andreotti, d’un groupe de terroristes des Brigades rouges et d’un pape qui refuse son investiture se configure comme une tentative d’aller au-delà de la chronique journalistique, du simple docu- mentaire, de la recherche universitaire. Les trois réalisateurs semblent plutôt intéressés à voir, représenter, mettre en scène et comprendre ce qui se cache derrière le masque du pouvoir et derrière toute activité politique. Une tentative également d’analyser les mécanismes et les dynamiques universels du pouvoir, déclinés et perçus dans le contexte historique contemporain.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 47-58

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Introduzione La dicotomia pubblico / privato, talvolta l’opposizione più o meno marcata tra queste due dimensioni dell’agire umano 1, figura senza dubbio tra le caratteristiche, se non addirittura le matrici che stanno alla base del cinema politico o impegnato non soltanto italiano 2. Questa dicotomia, a mio avviso, può essere declinata in almeno due modi. Da una parte, in certe opere cinematografiche impegnate o di carattere politico, possiamo ritrovare la relazione / opposizione tra la vita privata del regista, la sua autobiografia, la sua soggettività e il contesto sociale, politico, « oggettivo » che è al centro della sua opera. È il caso emblematico, per esempio, di Nanni Moretti, poiché nella quasi totalità dei suoi film la soggettività del regista e le sue vicende personali sono profondamente intrecciate con la situazione politica e i pro- blemi di società dell’Italia contemporanea 3. È il caso ugualmente di Marco Bellocchio, anche se forse in maniera meno eclatante. In effetti, Bellocchio fa entrare nel suo cinema luoghi, esperienze e visi che appartengono alla sua via privata pur non mettendosi mai in scena apertamente 4. La seconda declinazione della dicotomia pubblico / privato è ravvisa- bile invece, ad un altro livello della rappresentazione filmica, in tutti quei personaggi cinematografici (realmente esistiti, fittizi o parzialmente fittizi) che ricoprono o svolgono un ruolo pubblico / politico, siano essi uomini politici, terroristi o rappresentanti del clero. In questo saggio, abborderò la dicotomia pubblico / privato seguendo questa seconda prospettiva di analisi, analizzando in particolare tre film : Il divo (2008) di Paolo Sorrentino che mette in scena la vita spettacolare di Giulio Andreotti, Buongiorno, notte (2003) di Marco Bellocchio che ha come argomento il sequestro di Aldo Moro da parte delle Brigate Rosse, e Habemus Papam (2011) di Nanni Moretti che dà vita al personaggio di un pontefice fittizio che rifiuta clamorosamente la propria investitura. Ci troviamo quindi di fronte a tre film, a tre poetiche cinematografiche molto diverse tra loro ma che nella rappresentazione del politico si attardano

1. A proposito della dicotomia pubblico / privato si veda T. Paquot, L’espace public, Paris, La Découverte, 2009, e D. Pacelli, M.C. Marchetti, Tempo, spazio e società : la ridefinizione dell’esperienza collettiva, Milano, FrancoAngeli, 2007, p. 131-138. 2. Per quanto riguarda il cinema americano, per esempio, si veda J.E. Combs, American political movies : an annotated filmography of feature films, New York, Garland, 1990. 3. In particolare, si vedano a questo proposito Caro diario (1993) e Aprile (1998), nei quali Nanni Moretti abbandona il suo alter ego storico Michele Apicella e interpreta direttamente se stesso alle prese con le proprie vicende private (la nascita del figlio in Aprile) e le vicende politiche italiane (l’elezione di Silvio Berlusconi sempre in Aprile). 4. Per questo aspetto dell’opera di Marco Bellocchio, si veda C.J. Brook, Marco Bellocchio : the cinematic in the political sphere, Toronto, University of Toronto Press, 2009, p. 3-28.

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a lungo sulla sfera privata dei protagonisti. È lecito chidersene la ragione. Perché Paolo Sorrentino immagina e mostra Giulio Andreotti in privato, nel suo appartamento con sua moglie, o passeggiando di notte per Roma ? Perché Marco Bellocchio ci mostra dei terroristi appartenenti alle Brigate Rosse mentre mangiano un piatto di minestra o guardano Raffaella Carrà in televisione ? O ancora, perché Nanni Moretti mette in scena un pontefice, appena eletto, in preda al panico, che cerca di nascondersi, addirittura di perdersi per le strade affollate di una Roma anonima ? In queste pagine, cercherò di dare qualche elemento di risposta a tutte queste interrogazioni, analizzando tre modi di percorrere le strade di Roma, tre « passeggiate » che hanno come protagonisti tre profili diversi di per- sonaggi pubblici.

La maschera del potere La prima passeggiata in questione è tratta dal film Il divo (2008) di Paolo Sorrentino. Si tratta della celebre camminata notturna 5 (anche se in realtà avviene di prima mattina) di Giulio Andreotti 6, accompagnato dai membri della propria scorta personale. Questa breve sequenza, a mio avviso, con- tiene, da una parte, i due temi principali del film, i quali sono, secondo le dichiarazioni dello stesso Sorrentino 7, la solitudine dell’uomo di potere e il mistero del potere, incarnato, nella fattispecie, da una maschera neoespres- sionista, creata sul volto di uno strepitoso Toni Servillo, a metà strada tra Nosferatu 8 e il vero Giulio Andreotti. D’altra parte, la sequenza è emble- matica del procedimento stilistico che utilizza Sorrentino per abbordare la vita spettacolare ed enigmatica di Giulio Andreotti. Sarebbe a dire che l’occhio della cinepresa, all’inizio della passeggiata notturna di Andreotti, sembra scoprire, sorprendere quasi per caso l’uomo politico. Si avvicina alla sua persona molto lentamente. Il regista, alternando le inquadrature di Andreotti e della sua scorta, passa inizialmente da un campo lungo ad

5. La passeggiata notturna, o meglio di prima mattina, di Giulio Andreotti, si situa proprio all’inizio del film, dopo che l’uomo politico si è svegliato, ha preso due aspirine, ha fatto un po’ di bicicletta d’appartamento, ha guardato intensamente una parete del suo salotto ricoperta di diplomi ed è uscito scivolando come un vampiro. 6. Sulla biografia di Giulio Andreotti si veda M. Franco, Andreotti : la vita di un uomo politico, la storia di un’epoca, Milano, Mondadori, 2008 e, più recententemente, M. Gambino, Andreotti il papa nero : antibiografia del divo Giulio, San Cesario di Lecce, Manni, 2013. 7. Si vedano a questo proposito le due interviste a Paolo Sorrentino contenute nelle « special features » del DVD (n° 4) de Il divo appartenente alla The Paolo Sorrentino collection, London, Artificial Eye, 2011. 8. Nosferatu è il vampiro protagonista del film espressionista tedesco Nosferatu il vampiro (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens) (1922) di Friedrich Wilhelm Murnau.

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un campo medio. In seguito, dal campo medio si arriva a una figura intera dell’uomo politico di spalle e, infine, a un primo piano sulla maschera impenetrabile di Giulio Andreotti. E poi, movimento inverso, dal primo piano ritorniamo a un campo lungo su una piazza perfettamente geometrica di Roma. Si ha quasi l’impressione che la cinepresa, avvicinandosi così lentamente, sia sul punto di cogliere finalmente cosa si nasconde dietro la maschera del potere, di comprendere il « mistero » Andreotti. Non è così. La cinepresa si allontana senza che lo spettatore sappia cosa pensa veramente Giulio Andreotti quando, leggendo sopra un muro un graffiti recitante « Stragi e complotti portano la firma di Craxi e Andreotti », l’uomo politico si arresta per qualche istante e guarda la scritta senza lasciare trasparire alcuna emozione. Come fa del resto durante tutta la durata del film. Nella sua vita pubblica come nella sua vita privata. Nel film, il personaggio di Giulio Andreotti si esprime soprattutto attraverso degli aforismi, delle massime morali, delle formule di saggezza intemporali di chiaro stampo machiavelliano 9, senza tuttavia svelare i suoi veri sentimenti, le ragioni del suo attaccamento quasi mostruoso al potere. Nel film, Paolo Sorrentino mostra Giulio Andreotti scivolare negli scenari magnifici e maestosi dei palazzi del potere, ma anche percorrere forsennatamente lo spazio privato, buio, quasi claustrofobico del suo appartamento. In questi due spazi apparentemente in opposizione,

9. Si veda, a questo proposito, la sequenza della confessione alla moglie (e di conseguenza anche allo spettatore) di Giulio Andreotti, nella quale l’uomo politico dichiara : « Livia, sono gli occhi tuoi pieni che mi hanno folgorato un pomeriggio andato al cimitero del Verano. Si passeggiava e io scelsi quel luogo singolare per chiederti in sposa, ti ricordi ? Sì, lo so, ti ricordi. Gli occhi tuoi pieni e puliti e incantati non sapevano, non sanno e non sapranno, non hanno idea, non hanno idea delle malefatte che il potere deve commettere per assicurare il benessere e lo sviluppo del paese. Per troppi anni il potere sono stato io. La mostruosa, inconfessabile contraddizione : perpetuare il male per garantire il bene. La contraddizione mostruosa che fa di me un uomo cinico e indecifrabile anche per te, gli occhi tuoi pieni e puliti e incantati non sanno la responsabilità. La responsabilità diretta o indiretta per tutte le stragi avvenute in Italia dal 1969 al 1984 e che hanno avuto per la precisione 236 morti e 817 feriti. A tutti i familiari delle vittime io dico : sì, confesso, confesso che è stato anche per mia colpa, per mia colpa, per mia grandissima colpa. Questo dico anche se non serve. Lo stragismo per destabilizzare il paese, provocare terrore per isolare le parti politiche estreme e rafforzare i partiti di centro come la Democrazia Cristiana l’hanno definita : strategia della tensione. Sarebbe più corretto dire : strategia della sopravvivenza. Roberto, Michele, Giorgio, Carlo Alberto, Giovanni, Mino, il caro Aldo, per vocazione o per necessità, ma tutti irriducibili amanti della verità, tutte bombe pronte ad esplodere che sono state disinnescate col silenzio finale. Tutti a pensare che la verità sia una cosa giusta e invece è la fine del mondo e noi non possiamo consentire la fine del mondo in nome di una cosa giusta. Abbiamo un mandato noi, un mandato divino. Bisogna amare così tanto Dio per capire quanto sia necessario il male per avere il bene. Questo Dio lo sa e lo so anch’io ».

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il comportamento, l’atteggiamento indecifrabile dell’uomo politico è lo stesso. Una maschera inespressiva e assolutamente impenetrabile. Persino i personaggi femminili come sua moglie e la sua segretaria personale che, nell’economia strutturale dell’opera, dovrebbero aiutare lo spettatore ad entrare nella vita privata dell’uomo politico sono, da questo punto di vista, totalmente inefficaci. In effetti, la moglie e la segretaria personale sembrano conoscere perfettamente l’uomo Andreotti, i suoi pensieri più intimi, il significato dei suoi gesti, i suoi problemi di salute, le sue abitudini. Tuttavia, alla fine del film, lo spettatore, a mio avviso, si trova in realtà davanti ad un doppio mistero. In altri termini, al mistero dell’uomo politico che riesce a restare al potere ininterrottamente per una quarantina d’anni (anni del resto difficili, instabili, difficilmente navigabili), nonostante le accuse, l’atteggiamento ostile di alcuni media e dell’opinione pubblica, i tradimenti e i complotti, a questo primo mistero si aggiunge il mistero della sua vita privata, delle sue profonde ed intime motivazioni, della sua volontà o necessità di trovarsi sempre in contatto continuo con il potere e la vita politica. In effetti, Giulio Andreotti, contrariamente a Silvio Berlusconi per esempio, a quanto pare non era nullamente interessato o attirato dalla prospettiva di sedurre un numero infinito di donne, di accumulare una ricchezza stratosferica o di creare un potente impero mediatico-immobiliare e di proteggere in seguito questo impero entrando in politica. Si ha quindi l’impressione che Paolo Sorrentino nel suo film, come del resto abbiamo visto nella sequenza della « passeggiata », cerchi con la sua cinepresa di penetrare il mistero, di avvicinarsi il più possibile alla vera natura dell’uomo politico e del potere, ma che, in ultima analisi, le cose sono forse troppo complicate o, semplicemente, per loro intima natura impenetrabili. Ne consegue che la sola possibilità lasciata al regista nel suo esercizio di comprensione e di rielaborazione estetica è quella giustamente di mettere in scena un mistero nel quale la rappresentazione della sfera privata non aiuta a comprendere l’enigma della sfera pubblica. Anzi, la rappresentazione della sfera privata aggiunge un ulteriore mistero al già spesso enigma della figura pubblica. Nel film di Sorrentino, la maschera del potere è quindi un soggetto / oggetto che rifugge da un qualsiasi tentativo di spiegazione e, ancor meno, di comprensione.

L’umanità ritrovata La seconda passeggiata oggetto del presente saggio è tratta dal film Buongiorno, notte (2003) di Marco Bellocchio. L’ombra vampiresca di Giulio Andreotti incombe su questo film che alla sua uscita ha suscitato delle reazioni discordanti. Non è la prima volta che Marco Bellocchio si

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occupa di terrorismo. Ci si era già avvicinato nel 1986 con il film Diavolo in corpo, ispirato molto liberamente al romanzo francese Le diable au corps di Raymond Radiguet, pubblicato nel 1923 10. Se, nel caso di Paolo Sorrentino, la passeggiata era un’occasione mancata per il regista e per lo spettatore di entrare nell’intimità di un uomo politico realmente esistito, nel film di Marco Bellocchio, la passeggiata finale di Aldo Moro si configura come un’alternativa possibile ai fatti realmente accaduti in quel tristemente celebre 9 maggio 1978. Gli spettatori del film sanno che Aldo Moro quel giorno è stato ucciso dalle Brigate Rosse. Marco Bellocchio inserisce, appena prima della sequenza finale del film costituita da delle immagini d’archivio del funerale dell’esponente della Democrazia Cristiana, una passeggiata mattutina di un Aldo Moro che cammina fiducioso e determinato per le strade di Roma. Lo vediamo uscire dall’appartamento, nel quale è rimasto prigioniero per quasi due mesi, mentre i terroristi, i suoi carcerieri, stanno dormendo. Qual è lo statuto narrativo di questa sequenza ? Su quale piano della diegesi si situa ? Si tratta di un sogno di Chiara, la sola presenza femminile all’interno del gruppo terrorista ? È una visione soggettiva del regista ? A mio avviso, le due ipotesi sono entrambe accettabili. Si tratta, molto probabilmente, del sogno finale di Chiara, di cui vediamo durante il film altri sogni e che si presenta come il solo personaggio all’interno del commando terrorista in grado ancora di sognare. E si tratta anche verosimilmente di una visione soggettiva del regista nella quale Marco Bellocchio ci rivela forse il messaggio centrale, se di messaggio si può parlare : il sogno, la visione di un’umanità ritrovata, un’umanità che la storia tragica degli anni di piombo e un’ideologia vissuta ciecamente avevano cancellato. In altri termini, quello che interessa Marco Bellocchio, in questo film, non è tanto la fedele ricostruzione storica (seppur presente) di un momento, di un avvenimento realmente accaduto, cruciale per la storia dell’Italia repubblicana. Si tratta piuttosto di sollevare una questione, d’interrogarsi, di riflettere e di far riflettere lo spettatore sull’azione politica, sul dogmatismo, sul carattere distruttore che può assumere l’ideologia quando è vissuta in modo cieco, quando è avulsa tragicamente dalla realtà. Per raggiungere questo risultato, Marco Bellocchio da una parte mette in scena un avvenimento reale : il rapimento e l’uccisione di Aldo Moro da parte delle Brigate Rosse. Si ispira al libro della brigatista Anna Laura Braghetti la quale, oltre ad essere l’intestataria dell’appartamento di Via Montalcini dove è stato imprigionato e ucciso Aldo Moro, ha partecipato

10. Per un’analisi de Il diavolo in corpo si veda F. Natalini, « Diavolo in corpo », in Marco Bellocchio : il cinema e i film, A. Aprà (dir.), Venezia, Marsilio, 2005, p. 185-189.

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al sequestro e all’esecuzione dell’uomo politico democristiano 11. Il regista utilizza anche in modo abbastanza insistente dei documenti video d’archivio, estratti di telegiornali e di programmi televisivi. Marco Bellocchio inserisce quindi la vicenda del suo film in un contesto storico reale e meticolosamente ricostituito anche per quanto riguarda l’abbigliamento dei protagonisti e l’arredamento dell’appartamento. D’altra parte, il regista cambia il nome dei terroristi e li mostra essen- zialmente nel corso abbastanza ripetitivo e quasi rituale della loro vita quotidiana. I quattro terroristi sono rinchiusi nel loro appartamento, vero e proprio « huis clos » di sartriana memoria. Questo appartamento diventa una prigione per Aldo Moro ma anche per i membri delle Brigate Rosse. La scelta di attardarsi a lungo sulla vita quotidiana dei terroristi, di mostrarli mentre guardano Raffaella Carrà ballare in televisione o mentre guardano un programma di fine anno con Enrico Montesano o ancora mentre consumano in silenzio, quasi come in un’ultima Cena di segno opposto, un piatto di minestra, permette al regista di privare i terroristi di una qualsiasi statura eroica. I membri delle Brigate Rosse appaiono così come degli uomini assolutamente ordinari ma completamente sconnessi dal mondo esterno, incapaci di decifrare chiaramente e con cognizione di causa la realtà politica della loro epoca e, soprattutto, interamente accecati da un’ideologia tanto dogmatica quanto una qualsiasi altra religione. Un’i- deologia che in nome della rivoluzione, della dittatura del proletariato, degli ideali del comunismo, della lotta armata, nega di fatto il contatto umano, il corpo, la sessualità, la tenerezza, la condivisione, la comunicazione e l’empatia. Nel film di Bellocchio, l’ideologia delle Brigate Rosse è votata alla morte e alla distruzione, alla negazione della specificità umana. La scelta di mostrare i brigatisti nell’ambito della loro sfera privata permette inoltre al regista di concentrarsi principalmente sul personaggio di Chiara, il cui nome, ovviamente, non è stato scelto per caso da Marco Bellocchio. Chiara è la sola donna a far parte del commando brigatista ed è il solo personaggio che, nel corso del film, conosce un’evoluzione psicolo- gica. In effetti, la ragazza passa dall’euforia iniziale, espressa intensamente quando sola nell’appartamento viene a sapere, grazie alla televisione, che Aldo Moro è stato rapito, a una perplessità sempre maggiore, che sfocia in una presa di distanza critica nei confronti dell’operato dei suoi compagni.

11. A.L. Braghetti e P. Tavella, Il prigioniero, Milano, Mondadori, 1998. Marco Bellocchio, per la stesura della sceneggiatura, utilizza anche delle informazioni tratte da S. Flamigni, La tela del ragno : il delitto Moro, Roma, Edizioni Associate, 1988, e da A. Moro, Il mio sangue ricadrà su di loro : gli scritti di Aldo Moro prigioniero delle BR, Milano, Kaos, 1997.

Livre 1.indb 53 03/10/2016 14:30 54 Graziano Tassi

Chiara, la quale si oppone all’oscurità reale dell’appartamento nel quale è confinata con gli altri brigatisti e Aldo Moro, e all’oscurità metaforica dell’accecamento ideologico, è il solo personaggio che sembra provare la necessità di un contatto fisico 12, e il solo personaggio a testimoniare un’evidente empatia nei confronti di Aldo Moro. È quindi lei che sogna, molto probabilmente, Aldo Moro mentre cammina liberamente per le strade di Roma. La passeggiata di Aldo Moro si configura di conseguenza come il sogno di un’individualità in grado di sfuggire alla prigione oscura dell’ideologia e che ha ritrovato e riscoperto nella sua profonda intimità il senso dell’umano, della solidarietà e della condivisione che l’accecamento ideologico nega ed esclude tragicamente.

Mamma, aiuto !!! La terza passeggiata di cui mi occuperò nelle righe seguenti ricorda molto da vicino la passeggiata notturna di Giulio Andreotti nel film Il divo di Paolo Sorrentino anche se siamo in presenza di sostanziali differenze. La passeggiata è tratta dal film Habemus Papam (2011) di Nanni Moretti. In quest’opera, ci troviamo di fronte a un pontefice, appena eletto, in modo del tutto inaspettato, che non si sente in grado, contrariamente al Giulio Andreotti di Paolo Sorrentino, di incarnare la maschera del potere, di svolgere il ruolo di guida spirituale e politica della chiesa cattolica. Davanti al suo ostinato rifiuto di prendere la parola davanti ai fedeli per salutarli e cominciare così il suo pontificato, il cardinale Melville è costretto dal collegio cardinalizio e dal portavoce polacco della Santa Sede a incontrare, all’interno del Vaticano, il celebre psicanalista Brezzi intrepretato dallo stesso Nanni Moretti. Tuttavia, Brezzi non riesce ad andare oltre ad una generica diagnosi di depressione e di senso di impotenza. Consiglia allora al collegio cardinalizio di sottoporre il cardinale Melville a delle sedute con un’altra psicanalista, la sua ex-moglie, senza però che quest’ultima venga a conoscenza della vera identità del paziente. Nel frattempo, per ragioni di sicurezza e per evitare delle fughe di notizie pregiudizievoli, lo psicanalista Brezzi si ritrova confinato nel mondo chiuso del Vaticano senza la possibilità di aver alcun contatto con il mondo esterno fino a che il problema psicologico del cardinale Melville non venga risolto.

12. Si veda, a questo proposito, la sequenza nella quale i brigatisti si danno il cambio per sorvegliare Aldo Moro. Chiara condivide il letto matrimoniale con il suo fidanzato e poi con un altro membro della Brigate Rosse. Non c’è nessuno spazio per l’intimità, al punto che i personaggi dormono persino vestiti, senza infilarsi sotto le coperte.

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La passeggiata oggetto della nostra analisi comincia quando il cardinale Melville esce dalla sua prima seduta con l’ex-moglie dello psicanalista Brezzi. La seduta non sembra che si sia svolta secondo le aspettative. Il cardinale appare ancora più perplesso e confuso e sente il bisogno di camminare un poco. Sicuramente, la necessità di ritrovarsi, di riflettere, di fare il punto della situazione, di calmarsi. Tuttavia la passeggiata, che comincia come la passeggiata di Giulio Andreotti ne Il divo, con gli uomini della scorta che seguono da vicino il cardinale, si trasforma in un’inaspettata fuga. In effetti, il cardinale Melville, approfittando del passaggio di un tir, scompare dalla vista della sua scorta, gettando il portavoce del Vaticano nel panico. La passeggiata / fuga del cardinale Melville riveste un’importanza fondamentale nell’economia strutturale dell’opera. In effetti, essa scatena tutta una serie di opposizioni. Innanzitutto, segna l’inizio della seconda parte del film poiché il lungometraggio è chiaramente diviso in due parti. Una prima parte interamente concentrata e focalizzata sul mondo chiuso del Vaticano, sull’elezione problematica del pontefice, sui timori e sul comportamento infantile dei cardinali, sulla crisi psicologica di Melville e sul primo tentativo di risolvere la crisi chiamando il miglior psicanalista di Roma, Brezzi. Nella seconda parte del film, il mondo chiuso del Vaticano, che si presenta quasi come uno spazio autosufficiente, avulso dal resto del mondo, entra in relazione e si oppone fortemente agli spazi aperti e quotidiani della Roma anonima, la città della gente comune. Questi due spazi interrelati, il Vaticano e la città di Roma, nella seconda parte del film diventano il teatro impietoso e quasi surreale di una doppia regressione. Da una parte abbiamo la regressione del cardinale Melville, la quale comincia già nella prima parte nel film, all’interno della Santa Sede, e si esprime attraverso una serie di urli, di collere improvvise, atteggiamenti ridicolmente infantili e grida d’aiuto notturne come : « Mamma, aiuto ! ». Questa regressione continua anche dopo la fuga. Melville, esitante, tre- mante, ancora più confuso e sperduto di quanto non fosse nel mondo chiuso del Vaticano, sembra voler ritrovare la sua giovinezza, o meglio la vita che ad un certo punto della sua esistenza avrebbe potuto avere ma che non ha avuto : la vita d’attore. Questo percorso controcorrente, alla ricerca di una possibilità ormai perduta, è incoraggiato dall’incontro con una compagnia teatrale che sta montando Il gabbiano di Anton Čechov, di cui Melville conosce le battute a memoria. La fuga nello spazio si prosegue quindi nel tempo, anche se già con un sapore di scacco e di fallimento quasi assicurato. In effetti, prima o poi il cardinale deve far fronte alla realtà delle cose, alle sue responsabilità, alla necessità di operare una scelta definitiva.

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In parallelo colla regressione del cardinale Melville, perduto per le strade di una Roma anonima, abbiamo la regressione collettiva dei cardinali, confinati, imprigionati nel Vaticano e privati della loro guida spirituale, ma sotto l’influenza « laica » dello psicanalista Brezzi. È grazie alla sua presenza, di norma esterna, estranea al Vaticano, che lo spettatore scopre dei cardinali che dietro l’ufficialità e la solennità dei loro abiti talari nascondono nevrosi, angoscie, invidie e comportamenti decisamente infantili e infantilizzanti. Per quali ragioni Nanni Moretti si attarda così a lungo sulla sfera privata dei cardinali rinchiusi nel Vaticano e di Melville, mostrato essenzialmente come un povero vecchietto smemorato perso per le strade di Roma ? Per due ragioni, a mio avviso. Innanzitutto, il regista sembra suggerire che esiste ormai un’enorme sfasatura tra la maschera del potere e la persona che deve incarnarla. Se nel caso di Giulio Andreotti l’uomo si identificava interamente con la maschera al punto che la maschera arrivava a can- cellare completamente l’uomo che gli stava dietro, nel caso di Melville l’uomo non ha neanche più la possibilità di fingere di identificarsi con la maschera 13. Senso di insufficienza, d’impotenza, di paura nei confronti di una realtà politica e sociale che appare da una parte, sempre più complicata e regolata da poteri largamente diffusi ma sempre più invisibili, e, d’altra parte, sempre più vuota, fatta semplicemente di strategie comunicative più o meno riuscite, basate sull’apparenza e sul sostegno e la compiacenza dei mass-media. Questo discorso non vale solo per Melville, ma riguarda l’insieme dei cardinali che appaiono nel corso del film. Si ha quasi una generale impressione di disagio, la sensazione che nessuno sia al proprio posto e che nessuno voglia in realtà restarci. La seconda ragione sembra risiedere nel fatto che Nanni Moretti abbia voluto rappresentare, attraverso la figura esitante e perduta di Melville, se stesso. In altri termini, attraverso la figura di un pontefice in crisi, il regista mette in scena anche la crisi di un intellettuale, di un regista impegnato che si trova sempre più a disagio in una società senza padri 14, senza valori sicuri a cui aggrapparsi, e votata all’edonismo, all’effimero e alla superficialità. La sfera privata di un pontefice che non vuole essere papa si configura quindi come la sfera privata di una qualsiasi personalità pubblica in crisi, che dietro la perfetta facciata ufficiale conosce l’angoscia del dubbio, dell’incertezza e del senso di inadeguatezza.

13. Si veda a questo proposito R. De Gaetano, Nanni Moretti : lo smarrimento del presente, Cosenza, Pellegrini Editore, 2015, p. 213-222. 14. Su questo aspetto dell’opera di Nanni Moretti, si veda P. Spila, « Il principio di autorità e la voglia di fuga : padri e figli », in Nanni Moretti : lo sguardo morale, V. Zagarrio (dir.), Venezia, Marsilio, 2012, p. 110-115.

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Conclusione Per concludere, a mio avviso, nei tre film che abbiamo appena tentato di analizzare, anche se in una prospettiva alquanto parziale, i registi, pur basandosi su degli avvenimenti realmente accaduti, o decisamente verosimili e aventi come protagonisti delle personalità o dei personaggi a carattere pubblico, ed utilizzando ampiamente dei documenti storici d’archivio, evitano allo stesso tempo una semplice e meticolosa ricostituzione storica seguendo i dettami della modalità realista 15. L’interesse che portano alla sfera privata, alla soggettività dei personaggi, ad una modalità di rappre- sentazione decisamente più vicina al postmodernismo, lasciando talvolta chiaramente trasparire la loro propria soggettività artistica, può essere visto giustamente come un tentativo di andare al di là della cronaca giornalistica, del puro atteggiamento documentaristico di carattere « oggettivo », della ricerca universitaria. Un tentativo di vedere e di rappresentare, di mettere in scena ma anche di comprendere quello che si nasconde dietro la maschera del potere e dietro una qualsiasi attività politica o di carattere pubblico. Un tentativo di scandagliare i meccanismi e le dinamiche universali del potere, declinati e percipiti nel contesto storico contemporaneo.

Graziano Tassi Université Paris Ouest – Nanterre La Défense

15. Sul rapporto tra impegno, realismo e postmodernismo si veda P. Antonello, « Di crisi in meglio. Realismo, impegno postmoderno e cinema politico nell’Italia degli anni zero : da Nanni Moretti a Paolo Sorrentino », Italian Studies, vol. 67, n° 2, July 2012, p. 169-187.

Livre 1.indb 57 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 58 03/10/2016 14:30 Nanni Moretti : une nouvelle écriture politique au cinéma

Résumé : S’il s’inscrit dans une certaine tradition du cinéma politique italien, le cinéaste Nanni Moretti y apporte une contribution singulière, une touche toute personnelle, en étant son propre acteur d’abord tel un double de son alter ego américain Woody Allen, ensuite en imprimant à ses fictions une relation à la réalité qui bouscule le canevas scénaristique conventionnel. Le cinéma politique selon Moretti suppose d’être revisité par le prisme de l’intimité du cinéaste. Dans l’ensemble de sa filmographie, nous avons choisi trois films (Palombella Rossa, 1989, Aprile, 1998 et Le Caïman, 2006) qui semblent constituer autant d’étapes vers la libération du cinéaste du personnage de Michele Apicella qu’il incarnait, et des formes cinématographiques classiques. La voie autofictionnelle est une étape que les films suivantsHabemus Papam (2011) et Mia madre (2015) entendent emprunter, et à partir de laquelle Nanni Moretti s’émancipe à son tour de son propre rôle. Riassunto : Pur inserendosi in una certa tradizione del cinema politico italiano, il cineasta Nanni Moretti vi porta un contributo singolare, una nota del tutto personale, dapprima essendo il proprio interprete, come un doppione del suo alter ego americano Woody Allen, poi coll’imprimere alle sue finzioni una relazione con la realtà che sovverte il canovaccio del copione convenzionale. Il cinema politico secondo Moretti suppone di essere rivisitato dal prisma dell’intimità del cineasta. Nell’insieme della sua filmografia sono stati scelti tre films (Palombella Rossa, 1989, Aprile, 1998, Il Caimano, 2006) che sembrano costituire altrettante tappe verso la liberazione del cineasta dal personaggio di Michele Apicella che incarnava, e dalle forme cinamatografiche classiche. La via dell’autofinzione è una tappa che i films seguenti Habemus Papam (2011) e Mia madre (2015) intendono seguire, e a partire da cui Nanni Moretti si emancipa a sua volta dal proprio ruolo. Tirant les leçons des expériences à la fois communes et contrastées des cinéastes Eisenstein et Vertov lors de la révolution russe de 1917, le cinéaste Jean-Luc Godard traçait deux grandes lignes générales pour le cinéma politique de l’après-mai 1968 : « faire les films politiques » ou « faire des films politiquement ». Dans la première catégorie, il incluait aussi bien le cinéma militant que « les fictions de gauche » qu’incarnaient à ses yeux des cinéastes tels que Claude Boisset ou Costa-Gavras. Dans la seconde, trouvaient place le couple Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Marguerite Duras et lui-même.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 59-70

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Acteur, metteur en scène jouant son propre rôle dès ses premières réa- lisations en super-huit, Moretti ne cesse de se poser des questions politiques et de questionner la politique. Cette présence exhibée du « je » de l’auteur a pour le moins le mérite d’éviter l’écueil des deux voies militantes ou forma- listes du dilemme godardien et d’apporter – ainsi que nous le verrons – des réponses cinématographiques nouvelles à des questions anciennes. Certes, il est vrai qu’en cela le cinéaste s’inscrit dans la tradition des cinéastes « engagés » qui ont contribué aux riches heures du cinéma italien et dont le flambeau est loin d’être éteint. Tout en perpétuant également – ainsi que certains commentateurs ont pu le noter – la tradition de la comédie italienne dont il se réclamait d’ailleurs explicitement dès ses débuts :

Je crois que Mario Monicelli avait tout à fait raison – écrit Sergio Toffetti – quand, il y a très longtemps, à l’occasion de la sortie de Io sono un autarchico (Je suis un autarcique, 1977), il avait dit à Moretti lors d’un débat télévisé : « Tu es des nôtres ». En effet, film après film, Nanni Moretti me semble être aujourd’hui l’un des plus grands héritiers de la comédie italienne. Son regard moral sur le monde n’est guère différent d’un Risi ou d’un Comencini, dans leurs films de l’âge d’or 1.

Néanmoins, chez Moretti les réponses à la question de l’engagement seront davantage d’ordre cinématographique que politique. Film après film, le postulat de l’engagement du cinéaste demeure, tandis que les réponses cinématographiques à cette problématique de l’engagement évoluent. Au centre de cette dialectique morettienne, Moretti lui-même : « son œuvre témoigne depuis trente-cinq ans […] d’un engagement tout à fait personnel, d’aucuns disent encore narcissique […]. Cet engagement passe nécessai- rement par son propre corps de cinéaste… » 2. Tant et si bien que tenter d’analyser ces réponses livrées par le cinéaste revient en quelque sorte à interroger les représentations récurrentes de l’acteur-cinéaste en personne, film après film. Nous retiendrons ainsi trois films de ces dernières décennies qui semblent inventer à la fois une nouvelle représentation de l’acteur, apporter une réponse inédite à la question de l’engagement et déployer une nouvelle écriture politique au cinéma. Il s’agit de Palombella Rossa (1989), Aprile (1998) et du Caïman (2006).

1. S. Toffetti, « Moretti entre fioretti et comédie italienne », Cahiers du cinéma, n° 524, mai 1998, p. 68. 2. D. Vasse, « La lucarne et le balcon. À propos de deux films de Nanni Moretti, Le Caïman (2006) et Habemus Papam (2011) », Double Jeu, n° 10, 2013, Figurations du pouvoir, p. 61.

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La fin du héros politique (Palombella Rossa, 1989) Le passé du protagoniste Michele Apicella – alter ego de Moretti – vient buter sur un mur après un concours de grimaces avec une petite fille. Cet accident automobile inaugure un accident d’un tout autre ordre : la fin de Michele Apicella. Paradoxalement, cette perte d’identité est l’occasion d’interroger le passé du personnage devenu amnésique. Son passé d’ancien communiste a beau lui être rappelé par ses inter- locuteurs, anciens compagnons de route, journalistes, proches… rien n’y fait. Ce personnage appartient dorénavant au passé ; un autre est en train de naître :

J’ai voulu créer un personnage qui ne se souvient plus de ce qu’il est. Pour deux raisons : parce qu’il me semblait que les communistes italiens avaient à cette époque des problèmes avec la mémoire… et puis je voulais un peu abandonner les caractéristiques de mes personnages précédents 3.

Certes, en pleine campagne électorale, sa conduite avait étonné ses interlocuteurs lorsqu’au détour d’un débat télévisé, à la question posée sur le programme de son parti, il avait répondu en chantant. Aux lieux coutumiers de la politique (assemblées de militants, réu- nions électorales, médias…), le film substitue une piscine et un match de water-polo comme lieu centripète de la fiction : raconter l’Italie à travers la métaphore du match de water-polo, telle est l’ambition de Palombella Rossa. Passé personnel et histoire politique de l’Italie convergent aux yeux du cinéaste. Si dans l’un de ses anciens films super-huit documentaire il se revoit expliquer les raisons de son engagement communiste, et s’il éprouve un certain dégoût en redécouvrant la séquence d’un militant fasciste, une pancarte accrochée autour du cou mentionnant : « Crachez-moi dessus », il n’est dès lors pas étonnant qu’au détour d’un flash-back dePalombella Rossa, on le découvre dans le rôle d’un dirigeant politique se demandant lors d’un entretien télévisé : « Que signifie aujourd’hui être communiste ? ». Tel le héros d’Ibsen Peer Gynt larguant les différentes couches qui le recouvrent comme un oignon qu’on éplucherait, il se retrouve à demi nu au bord de la piscine, en train d’essayer de recoller les morceaux d’un passé révolu à ceux d’un avenir incertain. Apicella n’existe plus, Moretti n’existe pas encore serait-on tenté d’écrire :

Moretti est déçu par la politique – entend-on dire – alors il retourne à ses problèmes personnels […]. Mais j’ai toujours fait du cinéma en parlant de

3. N. Saada, « Et la vie continue », Cahiers du cinéma, n° 479-80, mai 1994, p. 58.

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moi […]. La seule fois où j’ai abordé directement un thème politique, cela se passait à l’intérieur d’une piscine avec Palombella Rossa (1989). De plus, ce reproche vis-à-vis de mon désengagement politique s’adresse paradoxale- ment à mon seul film qui met en scène et raconte directement la politique 4.

Le film est à l’image de ce personnage en devenir : « Il y avait dans Palombella Rossa – précise le cinéaste – comme le désir de refuser les cases habituelles du scénario standard, le désir de raconter des histoires d’une manière un peu plus libre » 5. Les flash-back classiques de son récent passé communiste alternent avec des retours imaginaires dans l’enfance. Cette évocation est moins de l’ordre du souvenir d’un vécu que le fruit d’une régression du personnage. Ainsi épuisé par les invectives de son entraîneur, il revit l’imposition dans son enfance de ce sport qu’il n’aimait pas, ou bien encore il s’écrie : « Maman, viens me chercher », après qu’il a raté le tir de son penalty. La piscine fait office de « petit théâtre » de ses propres interrogations. Effrayé par les discours syndicaux de ses anciens compagnons, il plonge pour leur échapper. À un autre moment, il nage à contre-courant au milieu d’une piscine remplie de pancartes publicitaires et s’attire la remarque : « Tu nages entre deux eaux » de la part de son entraîneur. Plus généralement, le récit de Palombella Rossa combine fuite de la réalité, déni de la réalité, réalité métaphorique mais aussi irréalité, ainsi qu’en témoignent deux séquences : la séquence de la chanson chantée par Nanni Moretti et la séquence du Docteur Jivago. Dans la première, le public quitte les bords de la piscine en compagnie de Moretti pour se masser devant le petit écran d’un téléviseur, afin d’assister à la fin mélodramatique du célèbre film de David Lean, Le Docteur Jivago. En chœur, ces cinéphiles improvisés tentent d’infléchir par leurs cris le cours de l’histoire et apostrophent le protagoniste. Du tram, s’il aperçoit sa bien-aimée marchant dans la rue, c’est en vain que celui-ci frappe à la vitre pour attirer son attention. Le tram s’arrête, et tandis qu’elle le dépasse, il se lance sur ses pas avant qu’un malaise cardiaque ne le cloue au sol. Dans la seconde séquence – située peu après – la foule reprend à l’unisson la chanson que Moretti chante à tue-tête après l’avoir lui-même entonnée sur les plateaux de télévision en guise de réponse à la question d’un journaliste sur l’avenir du parti communiste italien. On peut aussi interpréter ce choix d’une adaptation de l’auteur russe Boris Pasternak, censuré par les autorités soviétiques comme une charge indirecte contre le communisme.

4. N. Moretti, « Pâtisserie, politique et paternité », Cahiers du cinéma, n° 524, mai 1998, p. 50. 5. « Entretien avec Nanni Moretti », Cahiers du cinéma, n° 479-80, mars 1994, p. 55.

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Ces matières narratives assemblées dans une seule et même histoire ne construisent certes pas un récit classique linéaire, mais elles composent en revanche une mosaïque dont la reconstruction du personnage est, semble- t-il, le but. Un passé lacunaire, un présent parcellaire et largement fantas- matique inaugurent ainsi la métamorphose que le cinéaste entend faire subir à son personnage de Michele Apicella : « Palombella Rossa est un peu la destruction de mon ancien personnage qui a oublié sa propre identité. J’ai laissé tomber ensuite mon ancien personnage dans Aprile et Journal intime pour interpréter directement Nanni Moretti » 6. Palombella Rossa, de par sa liberté narrative dont le cinéma politique est peu coutumier, anticipe la libération de la parole morettienne dans les films suivants.

Une autofiction politique (Aprile, 1998) Antérieur à Aprile, Journal intime (1994) met en scène un personnage parcourant Rome à scooter en égrenant sur son passage des séquences au caractère largement autobiographique. Le troisième chapitre intitulé « Les médecins » est à ce titre exemplaire de ce recentrage de Moretti autour de sa personne, confirmant la primauté de la sphère privée sur la sphère publique. « Aprile est le journal intime d’un double film à faire » 7 selon Sergio Toffetti. En résultent deux films : le premier consistant en un projet docu- mentaire sur la vie politique italienne et le second en la réalisation d’une comédie musicale. Le premier film commence dès la proclamation de la victoire de Silvio Berlusconi aux élections législatives de mars 1994, à laquelle le spectateur assiste par le truchement de la télévision que regardent Moretti et sa mère. S’ensuit l’injonction d’un journaliste français sommant le cinéaste de réaliser un film documentaire sur la vie politique italienne : « Monsieur Moretti, les Français veulent comprendre… ». Le second film reprend le projet de comédie musicale autour d’un pâtissier trotskiste sous l’ère de Staline auquel le cinéaste travaille depuis déjà quelque temps. Aprile sera donc le film des deux premiers et de leur impossibilité, ainsi que le récit de la grossesse de sa compagne et de la naissance de leur enfant. Le point commun aux « trois films » : la personne réelle de Nanni Moretti, incarnée par le Moretti acteur et mis en scène par le Moretti

6. N. Moretti, « Pâtisserie, politique et paternité », p. 58. 7. S. Toffetti, « Moretti entre fioretti et comédie italienne », p. 67.

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cinéaste. Ce dispositif quasi pirandellien est l’occasion pour le réalisateur de diversifier son discours politique en en multipliant à dessein les strates. Des deux films « impossibles », celui exigé par le journaliste connaîtra des velléités de réalisation qui toutes se concluront par le constat d’impuis- sance du cinéaste ainsi qu’en témoignent les séquences suivantes : – lorsqu’il va filmer l’anniversaire de la libération de l’occupation nazie (« il pleut tout le temps », avoue-t-il), il ne voit qu’une armée de parapluies multicolores ; – lorsqu’il décide de réaliser au printemps 1996, à la veille des légis- latives, un film sur les élections, il se met à acheter tous les journaux et magazines, qu’il découpe, colle, assemble afin de constituer un immense journal dans lequel il finit par s’enrouler comme dans une couverture. Plus tard, on le découvre circulant sur son scooter en train de disperser à tous vents ces mêmes coupures de presse ; – les séquences nombreuses faites d’atermoiements du personnage. Ainsi lorsqu’il déclare face à la caméra : « Avec ce documentaire, je ne dois pas heurter les électeurs de droite, je ne dois pas cajoler les électeurs de gauche. Comment dire ce que je pense ? », avant de conclure : « Je pense quoi au juste ? ». Ou bien encore à l’occasion de sa rencontre avec des réfugiés albanais qu’il souhaite filmer, lorsqu’il se surprend à leur poser la question suivante : « Qu’est-ce que ça change pour vous, si en Italie il y a un gouvernement de gauche ou bien de droite ? ». Il ne lui reste plus qu’à se donner des claques en guise de réponse à la stupidité de sa question. En conclusion du « devoir de faire ce documentaire », le protagoniste livre ce commentaire désabusé : « J’ai pas du tout envie mais je dois le faire ». Le second film représenté dans Aprile emprunte la forme d’une comédie musicale dont la réalisation est sans cesse reportée. Sur le mode des comédies des années 1950, il met en scène un pâtissier trotskyste pendant la période stalinienne. Faute d’inspiration, le réalisateur Moretti interrompt à diverses reprises son tournage. Étrangement pourtant, ce film connaîtra un début de réalisation, le temps d’une séquence chantée sur laquelle Aprile se conclura. Film politique et film de divertissement, cette comédie à l’état d’ébauche apporte une réponse comique et ironique à la fois à la possibilité de réaliser un film politique. « La vieille gauche – déclare le cinéaste – a pour modèle le stalinisme. La nouvelle gauche a pour modèle Mao ». Il s’imagine dès lors à Hyde Park en train d’haranguer les passants, ainsi qu’il se représente lui-même dans une séquence. Désenchantement, repli sur soi, désengagement sont autant de tenta- tions repoussées par le cinéaste. En effet, si les deux films (le documentaire politique et la comédie musicale) restent inachevés, le « film-somme » Aprile existe bel et bien. Il est l’occasion d’une double naissance chez les Moretti,

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celle du fils bien sûr mais aussi celle, entamée dans Palombella Rossa et officialisée ici, du père dans son propre rôle, définitivement débarrassé de son double Apicella. C’est ainsi qu’au soir de la victoire de la gauche, en guise de dénouement de son film, il peut hurler de joie du haut de son scooter au beau milieu de voitures ornées de drapeaux rouges et du bruit des klaxons : « Quatre kilos deux cents ! ». Aprile témoigne par ailleurs d’une volonté de renouveler l’approche de la politique par le cinéma. Certes, on peut avancer avec Sergio Toffetti que Moretti « filme politiquement l’impossibilité de faire de la politique » 8. Mais n’est-il pas en train d’inventer de nouvelles formes narratives, d’instaurer de nouvelles relations entre la réalité et la fiction, entre le champ politique et la sphère privée ? Sa méthode de tournage et de montage témoigne de ce désir de renouvellement. Il entame ainsi la réalisation d’Aprile avec une équipe simplifiée lorsque sa compagne est enceinte du neuvième mois et qu’il la filme jusqu’à l’accouchement, puis réalise d’autres séquences lorsque son fils a un mois. « Aucune scène n’est improvisée pendant les prises. Le matin, l’équipe arrivait à la maison, je me mettais dans une pièce avec mon assistant et j’imaginais à partir de mes notes les scènes que nous allions tourner dans la journée » 9. De ce matériau filmé sous forme de journal intime refictionnalisé et de séquences purement documentaires (images d’archives télévisuelles de Berlusconi, débarquement des réfugiés albanais), Moretti effectue un premier montage qui constituera le noyau dur du film à venir, auquel s’ajouteront des séquences de pure fiction, telle la mise en scène de la comédie musicale des années 1950, le cauchemar de Hyde Park… Père donnant naissance à un fils, citoyen en proie au doute mais aussi cinéaste en panne d’inspiration (il s’est écoulé près de quatre années depuis son film précédent), Moretti est devenu en quelque sorte un « auto- personnage », selon le néologisme de Maxime Sheinfeigel 10, dans un film où réalité documentaire et fictionnalisation de la réalité sont amalgamées dans une écriture commune, qu’on peut qualifier avec le cinéaste « d’espèce de mise en scène du documentaire » 11. « Mise en scène du documentaire de soi », pourrait-on ajouter. Ainsi pour Muriel Tinel, Journal intime et Aprile sont des autofictions parce qu’« il s’agit de la reconstitution et de la mise en scène de séquences à caractère

8. S. Toffetti, « Moretti entre fioretti et comédie italienne », p. 67. 9. N. Moretti, « Pâtisserie, politique et paternité », p. 49. 10. F. Boully, « Les effets d’une autofiction », in Le Je à l’écran, J.-P. Esquenazi, A. Gardies (dir.), Paris, L’Harmattan, 2006, p. 164, note 4. 11. N. Moretti, « Pâtisserie, politique et paternité », p. 50.

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intime » 12. Ces films relèvent à ses yeux d’un même projet : « mettre en scène et jouer son propre rôle de cinéaste dans l’Italie d’aujourd’hui en mêlant des séquences plus ou moins autobiographiques avec des moments de fiction » 13.

Moretti, l’ultime métamorphose (Le Caïman, 2006) Absente de la tragédie du film suivant, La chambre du fils, la politique fait son retour en force avec Le Caïman, tandis que la personne de Nanni Moretti semble reléguée au second plan. Au centre de cette nouvelle fiction, Berlusconi « le caïman », comme l’a désigné un juriste, journaliste à La Repubblica. Ce retour à un cinéma engagé contre une figure politique honnie par le cinéaste ne saurait étonner. Il correspond à un regain d’engagement personnel qui se traduit notamment par ses diverses prises de parole lors des meetings de la gauche à Rome. Ainsi lors d’une manifestation Piazza Navona en février 2002, tandis que Berlusconi dirige le pays et que les représentants de la gauche défilent à la tribune avec leurs discours stéréotypés, Moretti, présent dans la foule, décide de prendre la parole à l’improviste. Il dit son insatisfaction du discours de gauche et devient ainsi le héros du jour. Manifestation après manifestation, son engagement politique s’accentue. Il débouche néanmoins sur un aveu pour le moins paradoxal : « Avant mon intervention de la place Navona, je travaillais à un documentaire sur Berlusconi, vers la fin 2001. Suite à mon engagement politique direct, je l’ai mis de côté » 14. Le cinéaste préparait donc un film documentaire sur Berlusconi sous forme de journal intime et pensait réaliser ainsi un véritable film politique où le cinéma serait pour une fois mis de côté. Il prend alors conscience qu’il ne peut se satisfaire d’un film exclusivement consacré à l’homme politique (pour des raisons que l’acteur Moretti, sollicité pour le rôle dans Le Caïman, donnera) et introduit les personnages du producteur et de la réalisatrice. En conséquence, Le Caïman renoue avec ce goût des récits gigognes et sera constitué de quatre films : quatre projets consacrés au chef de file de la droite italienne comme autant de déclinaisons possibles de la représentation du politique par le cinéma. On trouve en premier lieu « les films » d’un producteur fauché (inter- prété par l’un des acteurs fétiche de Moretti, Silvio Orlando) ; producteur qui a réalisé dans un temps lointain des films aux titres évocateurs, tels que Botillons cochons, Mocassins assassins ou bien encore Freud contre Maciste.

12. M. Tinel, « L’auto-portrait au cinéma », in Le Je à l’écran, p. 180. 13. Ibid. 14. L. Codelli, « Fragments de B », Positif, n° 543, mai 2006, p. 6.

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Une séquence extraite d’une de ses productions anciennes, Cataractes, mélange de Kung Fu et de phraséologie maoïste, est projetée dans la salle de cinéma qui l’accueille. Succèdent alors des séquences illustrant le scénario intitulé Le Caïman que lui a remis une jeune réalisatrice à l’occasion de cette projection, dont on comprend qu’elles sont le fruit de son imagination. On peut voir ainsi un plan d’une valise remplie d’argent tomber du ciel, des plans tout droit sortis du film Main basse sur la ville (1963) de Francesco Rosi, avec un Berlusconi plus vrai que nature interprété par Elio de Capiteni au milieu des majorettes. Hélas pour lui, il n’a pas compris qu’il s’agissait de l’histoire du leader politique italien. Lorsqu’il en prend conscience, il emboutit une voiture. Et lâche cet aveu dans son excitation : « Les films politiques de gauche, je les détestais déjà il y a trente ans ». En second lieu, il y a le film de la jeune réalisatrice en quête de pro- duction. Elle contacte dans un premier temps ce producteur quelque peu dépassé par les évènements, puis l’acteur Nanni Moretti en personne qui refuse de tenir le rôle de Berlusconi : « On sait déjà tout sur lui. Ceux qui veulent savoir savent… Je suis en train d’écrire un film comique auquel je tiens… […]. C’est toujours le moment de faire une comédie », dira-t-il à la jeune femme pour clore leur entrevue. Enfin, elle rencontre l’acteur Michele Placido, personnage envahissant et obsédé sexuel, qui s’identifie au Gian Maria Volonté interprète d’Aldo Moro et qui accepte le rôle. « Il faut revenir à ce cinéma-là », affirme-t-il avec suffisance, avant d’abandonner lâchement le film au dernier moment. Un troisième film est constitué d’archives télévisées consacrées à Silvio Berlusconi lors de son passage au Parlement européen, lorsque, en réponse à son interlocuteur, il l’invite à solliciter un rôle de kapo à Cinecittà. Le quatrième film enfin est – si l’on peut dire – celui de Nanni Moretti lui-même, dans lequel il endosse dans la séquence finale le rôle de Berlusconi devant les juges. Ce contrepied fulgurant de la part du même acteur qui a décliné le rôle peu avant dans ce même film ne doit pas faire oublier au spectateur que le film est de Moretti au même titre que tous les projets de films avortés évoqués par les différents protagonistes. En outre, dans l’épilogue Moretti prend soin de les associer au sien propre afin qu’ils ne forment plus qu’un seul Caïman. « Papa a de l’argent – confie le producteur passé de mode à ses enfants qui l’accompagnent – pour raconter une journée du Caïman, celle de la fin de son procès ». En effet le tournage interrompu par la défection de l’acteur redémarre, le producteur étant aux côtés de la réalisatrice qui donne le signal : « Action ! », tandis que Moretti entre en scène à l’arrière d’une voiture qui démarre dans la nuit. Il campe un Silvio Berlusconi magistral.

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À quoi bon ces strates consécutives – mises en abymes successives pour en arriver à ce coup de théâtre final, Moretti campant le Cavaliere – , est en droit de se demander le spectateur, qui reconnaît néanmoins au passage la marque de fabrique du réalisateur. Elles ne sauraient relever entièrement d’une vision kaléidoscopique de la personne de Berlusconi, même si sa figure essaime dans tout le film. Ou bien alors il faut admettre que Berlusconi a gagné à ce point les esprits qu’il s’est emparé de celui-là même qui entend faire acte de résistance. À la différence d’Aprile, Le Caïman ne pratique pas l’esquive. Le film semblait cheminer vers cette même irrésolution avant que le cinéaste ne s’en empare à bras-le-corps et décide d’apporter la réponse la plus tranchée, la plus percutante qui soit : Moretti cinéaste endosse le rôle que Moretti acteur dans son film avait décliné ! Là où Aprile se concluait par une séquence de comédie musicale intemporelle aussi bien qu’improbable, l’épilogue du Caïman filme son objet frontalement, sans détour. En évoquant le procès en cours dont Berlusconi est l’objet pour corruption et détournement de fonds, le film renoue avec les accents des films politiques classiques. Il s’en détache néanmoins par un récit doublement à la première personne, puisque c’est Berlusconi qui est le narrateur et Moretti qui en est l’interprète. Là réside le véritable coup de force du cinéaste : il ne joue pas le rôle de Berlusconi (sinon par quelle inconséquence, voire incohérence de scénario, l’aurait-il refusé peu avant ?). Il est Berlusconi. Comme il a été Michele Apicella. Il est dorénavant tout le monde. Dans toutes les scènes, c’est lui Moretti :

Au début, en tant que personne, en tant qu’acteur qui interprète son propre rôle, je me moque du scénario de Teresa sans le connaître. Avant cela, en tant que réalisateur, je mets en scène le scénario de Teresa à travers l’ima- gination du producteur, mais c’est son imagination, ses idées. À la fin, dans les dernières minutes du film, moi en tant que réalisateur, Teresa en tant que réalisatrice, moi en tant qu’acteur, nous sommes une seule personne 15.

Le coup de force final vaut d’abord par son effet de surprise, et ensuite par la sidération qui saisit le spectateur, face à ce grand écart avec son modèle et son choix de la plus totale identification. Le trouble est d’autant plus sensible que les propos de l’un entrent parfois en résonance avec les propos de l’autre. L’acteur se glisse dans la peau du Caïman laissée vide tout le long du film tel un caméléon. Il est tour à tour Moretti et Berlusconi dans la même séquence, « sans maquillage, sans imitation, évoquant le

15. L. Codelli, « Fragments de B », Positif, n° 543, mai 2006, p. 6.

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Chaplin de la fin du Dictateur » 16, dont on se souvient qu’il interprétait avec la même conviction le rôle de la victime (le barbier juif) et du bourreau (Hitler lui-même) :

J’ai voulu aller jusqu’au cœur dramatique de cette aventure politique qui a paralysé l’Italie pendant douze ans – affirme Nanni Moretti – jusqu’à la représentation d’un homme seul. Quand il dit « Aujourd’hui, personne ne m’a téléphoné… », on est en présence d’un homme abandonné. Naturellement, j’ai joué sur de nombreux faits, un genre de court-circuit entre moi, le Caïman et le spectateur. Quand je dis : « Comme la gauche est triste, elle est triste au point de rendre les gens tristes », c’est Berlusconi qui parle mais interprété par moi qui ai souvent jugé la gauche sans indulgence. Ou quand je dis : « Quand j’avais une tumeur », Berlusconi a eu une tumeur et moi aussi 17.

Si Michele Apicella n’est plus Moretti et que Moretti peut être Berlus- coni, il est aussi le pape d’Habemus Papam interprété par Michel Piccoli. Et ce n’est en aucun cas un problème d’interprétation : Berlusconi et le pape n’ont-ils pas en commun le rapport au pouvoir et ne reconnaît-on pas dans les doutes et les atermoiements de ce dernier à l’égard des institutions ceux de Nanni Moretti dans Palombella Rossa et dans Aprile ?

Jean-Louis Libois Université de Caen Normandie

16. Ibid., p. 7. 17. Ibid.

Livre 1.indb 69 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 70 03/10/2016 14:30 Lo sguardo politico nell’ultimo Bellocchio. Impegno e sistema mediale tra storia, cronaca e privato

Riassunto : Marco Bellocchio è, tra i registi italiani che esordirono alla metà degli anni Sessanta, uno dei pochi ancora in attività, e continua ad esprimersi – attraverso la sua opera – sui temi caldi della politica, della società e della cultura, non solo italiane, come negli ultimi anni ha dimostrato l’interesse per l’omicidio Moro, il fascismo, o il recente caso Englaro e il tema del fine vita. Il contributo si concentra sui film successivi al 2009, mettendo in luce il profondo legame tra l’ultima parte della carriera di Bellocchio e la produzione precedente, soprattutto la fase politica vera e propria del regista, negli anni ’60 e ’70 ; in particolare si tratteggiano i caratteri di quello che è uno sguardo politico nell’opera del regista, non sempre e per forza militante, ma in grado di interpretare in modo peculiare le diatribe storiche del contesto italiano e della società in genere. Nel presente contesto si avanzeranno anche alcune ipotesi metodologiche sulla nozione di cinema politico, trattando il cinema di Marco Bellocchio come caso esemplificativo.

Résumé : Parmi les metteurs en scène italiens qui ont débuté dans les années 1960, Marco Bellocchio est l’un de ceux qui sont encore en activité, et qui continue de s’exprimer – à travers son œuvre – sur les sujets brûlants de la politique, de la société et de la culture, comme l’ont démontré, dans ces dernières années, son intérêt pour l’assassinat de Moro, le fascisme ou encore le récent cas d’Eluana Englaro et le débat sur la fin de vie. Notre contribution se concentre sur les films sortis après 2009, et veut mettre en lumière le lien profond entre la dernière partie de la carrière de Bellocchio et sa production précédente, notamment la période politique proprement dite du metteur en scène dans les années 1960-1970. On y étudie plus particulièrement les caractéristiques du regard politique dans l’œuvre du metteur en scène, qui n’est pas toujours, ni obligatoirement, celui d’un militant, mais qui est en mesure d’interpréter d’une façon très particulière les débats historiques du contexte italien et de la société en général. Dans ce cadre, en traitant le cinéma de Marco Bellocchio comme un cas exemplaire, seront avancées des hypothèses méthodologiques sur la notion de cinéma politique.

Il cinema italiano degli ultimi anni è caratterizzato da forme, stili, attitudini differenti, che vanno a comporre un universo complesso e diversificato :

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 71-84

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troviamo gli esordi del nuovo millennio 1, le pellicole di autori che hanno già all’attivo diversi lavori, o anche – in alcuni casi – le ultime opere di figure che hanno esordito decenni fa, pilastri del cinema italiano come i fratelli Taviani, Bernardo Bertolucci, Ermanno Olmi. Tra le figure più rappresentative di quest’ultima categoria vi è sicuramente Marco Bellocchio, soprattutto se consideriamo l’attitudine di interrogare i temi dell’impegno e del racconto della società in termini « politici ». Nelle prossime pagine si cercheranno di analizzare le relazioni tra la dimensione politica e l’ultima produzione del cineasta, in particolare in film come Vincere (2009), Sorelle Mai (2010) e Bella addormentata (2012), formulando anche alcune considerazioni sul suo ultimo film,Sangue del mio sangue (2015). È necessario anzitutto sottolineare il profondo legame che il cinema del regista piacentino intrattiene con gli aspetti della politica e dell’impegno fin dalle sue origini, a partire da I pugni in tasca (1965), caso paradig- matico di restituzione della temperie socio-culturale dell’epoca, e film simbolico del pre-sessantottismo 2. È però l’attraversamento di tutte le forme dell’impegno a rendere la sua opera davvero esemplificativa per più stagioni del cinema italiano, dai Pugni in tasca in poi : la fase del maoismo con La Cina è vicina (1967), le diverse esperienze di militanza (ricordiamo Discutiamo, discutiamo, Il popolo calabrese ha rialzato la testa, o ancora Viva il 1° Maggio rosso e proletario), fino ad arrivare al cinema politico degli anni Settanta, con l’esempio di Sbatti il mostro in prima pagina (1972), interpretato da Gian Maria Volonté 3. La politica rappresenta una chiave interpretativa e una costante della poetica bellocchiana, come per esempio la violenza, la religione, la problematica famigliare o quella sessuale : fin dagli anni Sessanta la sua opera, in relazione alle tematiche politiche, ha la capacità di entrare nei dibattiti, talvolta inserendoli come elementi tematici dei suoi stessi film (un caso su tutti, Buongiorno, notte, 2003), più spesso servendosene per una critica alle istituzioni 4. È il caso, negli anni,

1. Atlante del cinema italiano. Corpi, paesaggi, figure del contemporaneo, G. Canova, L. Farinotti (dir.), Milano, Garzanti, 2011. Sul cinema degli ultimi anni, v. Esordi italiani. Gli anni Dieci al cinema (2010-2015), P. Armocida (dir.), Venezia, Marsilio, 2015. 2. Sul film d’esordio di Bellocchio, con nuove premesse e prospettive storiche, si veda il capitolo di A. Tovaglieri « Marco Bellocchio, I pugni in tasca, 1965 », in La dirompente illusione. Il cinema italiano e il Sessantotto 1965-1980, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2014, p. 19-54. Si rimanda anche all’analisi di A. Costa, Marco Bellocchio. I pugni in tasca, Torino, Lindau, 2007. 3. Si veda almeno Marco Bellocchio. Catalogo ragionato, P. Malanga (dir.), Milano, Edizioni Olivares – Festival Internazionale del Film di Locarno, 1998. 4. Su questi argomenti, per ulteriori approfondimenti, si prenda visione di : S. Bernardi, Marco Bellocchio, Firenze, La Nuova Italia, 1978 ; T. Masoni, « La virtù adolescenziale. Forme della

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dell’interesse verso il clero (Nel nome del padre 5 o L’ora di religione), la caserma (Marcia trionfale), l’ospedale psichiatrico (Matti da slegare), e così via. In questo quadro, riferendoci soprattutto alla filmografia degli ultimi dieci anni 6, potremmo porci preliminarmente due interrogativi : possiamo forse definire qualche film di Bellocchio privo di una certa dimensione riflessiva intorno alla politica e all’impegno ? E, soprattutto, quale nozione di politico, di engagement, è più utile per il nostro percorso prendere in considerazione ? La tradizione storiografica intorno alla questione è stata recentemente arricchita, attraverso contributi che hanno cercato di allargare i termini della nozione di politico, in particolare per quanto concerne la storiografia del cinema italiano : le ricerche più interessanti si sono mosse tanto nella direzione di uno studio dell’impegno nella cultura italiana contemporanea nel suo insieme 7, quanto di aspetti e nodi della Storia nostrana in rapporto alla sua rappresentazione mediatica 8, talvolta approfondendo percorsi autoriali 9, talvolta invece in un orizzonte speci- ficatamente storico 10. A nostro avviso è utile seguire una prospettiva nella quale la questione politica negli audiovisivi possa interrogare i contesti sociali di oggi e di ieri, nonché i modelli che si strutturano e ripetono nella storia dello spettacolo in Italia, come gli studi di Maurizio Grande hanno mostrato. Aderendo ad un’ottica di storia culturale del cinema, si suggerisce di prendere in consi- derazione la dimensione del politico – a partire almeno dagli anni Trenta del Novecento fino ai giorni nostri – come tentativo di rappresentazione dell’italianità, dei suoi caratteri impliciti nei sistemi culturali e identitari 11, soprattutto per quanto concerne le manifestazioni della caricatura, del grottesco e dell’esagerazione allegorica, tanto nel cinema politico quanto

politica nell’opera di Bellocchio », in Marco Bellocchio. Il cinema e i film, A. Aprà (dir.) Venezia, Marsilio, 2005. 5. Si rimanda a M. Bellocchio, Nel nome del padre, Bologna, Cappelli, 1971. 6. Per un resoconto rimandiamo a Forme della politica nel cinema italiano contemporaneo, R. Menarini, G. Spagnoletti (dir.), Close Up, XII, n° 23, dicembre 2007-marzo 2008. 7. Si rimanda a Postmodern Impegno. Ethics and Commitment in Contemporary Italian Culture, P. Antonello, F. Mussgnug (dir.), Oxford, Peter Lang, 2009. 8. Si vedano i diversi contributi della rivista Cinema e storia, Soveria Mannelli, Rubbettino. Si veda C. Uva, L’immagine politica. Forme del contropotere tra cinema, video e fotografia nell’Italia degli anni Settanta, Milano, Mimesis, 2015. 9. A titolo di esempio citiamo due recenti lavori di ricerca su altrettanti autori del cinema ita- liano : A. Minuz, Viaggio al termine dell’Italia. Fellini politico, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2012 ; C. Uva, Sergio Leone. Il cinema come favola politica, Roma, Ente dello Spettacolo, 2013. 10. Il riferimento va al contributo di A. Tovaglieri, La dirompente illusione… 11. S. Patriarca, Italianità. La costruzione del carattere nazionale, Roma – Bari, Laterza, 2011.

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nella commedia 12. Come scrive Grande, « il senso politico di un film può risiedere nello smascheramento di una situazione, nella critica ad un modo di concepire la vita privata o pubblica, nella messa in questione di equilibri consolidati, nella invalidazione di credenze e saperi comuni » 13. Questa specificazione dei contesti del politico mostra come nel cinema cosiddetto engagé non si tenda soltanto a rappresentare i risvolti della realtà, le lotte sociali o repressive, i fenomeni politici più stringenti, ma soprattutto – a partire dal cinema italiano degli anni Sessanta e Settanta – le dinamiche del potere e le sue nevrosi. In questo senso la nozione di politico che prendiamo in considerazione si forma come categoria, come insieme di pratiche sociali che (auto)rappresentano una o più epoche 14. Sotto questo profilo, l’opera intera di Marco Bellocchio risulta particolarmente fruttuosa, fino ai titoli più recenti 15.

La politica dello stile Se dovessimo indicare l’aspetto principale che riassume e organizza le forme del politico nel cinema dell’autore, potremmo dire che si tratta della « politica dello stile ». È lo stile ad essere incaricato, insieme agli elementi plurali che lo compongono 16, di esprimere una visione etica e una posizione critica nell’interpretazione della società. Per un regista che ha esordito in seno alla modernità degli anni Sessanta 17, lo stile si fa urgenza di rappresentazione, diviene espressione di un’istanza interpretativa e di un orientamento di per sé già politici. Nella scrittura e nella composizione dell’immagine, anche nei decenni successivi, resiste una modalità operativa che può essere considerata del tutto politica 18 ; è così che si presenta una messa in scena del politico, alimentata dalle variegate dinamiche dello stile :

12. R. De Gaetano, Il corpo e la maschera. Il grottesco nel cinema italiano, Roma, Bulzoni, 1999. 13. M. Grande, Eros e politica. Sul cinema di Bellocchio, Ferreri, Petri, Bertolucci, P. e V. Taviani, Siena, Protagon, 1995, p. 24. 14. Ibid., da p. 15. 15. Nella gran quantità di studi su Bellocchio, alcuni puntano l’attenzione su questi specifici aspetti : è il caso di G. Martini, « Marco Bellocchio e il ’68 », in Una Regione piena di cinema. Marco Bellocchio, G. Martini (dir.), Regione Emilia Romagna, gennaio 2005, p. 15-28 ; C.J. Brook, Marco Bellocchio. The Cinematic I in the Political Sphere, Toronto – Buffalo – London, University of Toronto Press, 2010. 16. Per un resoconto di un’idea di stile cinematografico plurale ed estesa, si veda V. Buccheri, Lo stile cinematografico, Roma, Carocci, 2010. 17. E. Morreale, Cinema d’autore degli anni Sessanta, Milano, il Castoro, 2011. 18. G.A. Nazzaro, « Del primato politico della messinscena », Filmcritica, LII, n° 525, maggio 2002.

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Si l’on pouvait à l’époque affirmer (sans sourire) que « tout film est politique », c’était parce que […] toute position de caméra, toute disposition de corps, toute opération de montage, y compris les plus nulles, n’est rien que geste d’écriture ; qu’un « degré zéro du cinéma » implique une décision d’inscription, une prise d’écriture, une élaboration signifiante 19. Il binomio composto da politica dello stile e osservazione critica della società può dunque far da premessa al nostro discorso sul cinema italiano contemporaneo, a partire dal caso di Bellocchio, proprio per accostare all’indagine sui temi della politica un’indagine sulla scrittura filmica, ali- mentata dalle poetiche d’autore, dagli stili nazionali, dai differenti contesti produttivi. Negli ultimi film del regista piacentino questi aspetti si radica- lizzano, lasciando ampio spazio ai temi evocativi di tutta la sua carriera, a partire dall’impegno fino ad arrivare alla critica delle istituzioni, alla follia, alla repressione e alla paralisi sociale, che raffigurano differenti aspetti della società italiana con un filtro grottesco e frequenti elementi di fantasticheria 20.

Di una Storia pubblica, di una storia privata Per considerare più da vicino le ultime pellicole di Marco Bellocchio, si preferisce organizzare un percorso a tappe che prenda in considera- zione tre linee direttrici, tre piste tematiche di riflessione sull’impegno, a partire da altrettanti film 21. La prima linea che prendiamo in esame è rappresentata dalla storia. La Storia con la lettera maiuscola, affrontata dal regista in film del passato come La visione del sabba (1988), Il principe di Homburg (1997), Buongiorno, notte, e ovviamente in Vincere. Ma anche, subito dopo, la storia con la minuscola, attraverso le piccole storie narrate in molti film, dai risvolti quotidiani dei terroristi delle Brigate Rosse in Buongiorno, notte – sullo sfondo del terrorismo degli anni Settanta 22 –,

19. J.-L. Comolli, « Ici et maintenant, d’un cinéma sans maître ? », in Les années pop. Cinéma et politique : 1956-1970, J.-L. Comolli, G. Leblanc, J. Narboni (dir.) Paris, Bibliothèque d’information publique Centre Pompidou, 2001, p. 36. Si veda l’intero contributo curato da Comolli, Leblanc e Narboni per un resoconto del tema in una prospettiva militante. Il dibattito sulla politica dello stile è parallelo, soprattutto tra anni Settanta e Ottanta, a quello sul rapporto tra cinema, tecnica e ideologia : J.-L. Comolli, Tecnica e ideologia, Parma, Pratiche, 1982. 20. Intorno a questi argomenti, ricordiamo le profonde relazioni che il cinema di Bellocchio intrattiene con le altre arti, assorbendone anche modalità espressive. Rispetto al rapporto con il teatro, si rimanda a M. Pellanda, Marco Bellocchio tra cinema e teatro. L’arte della messa in scena, Venezia, Marsilio, 2012. 21. Si rimanda a C.J. Brook, « Bellocchio’s Political Cinema from the Eighties to the Present », in Marco Bellocchio. The Cinematic I in the Political Sphere, p. 104-129. 22. Per alcune considerazioni sull’impegno nella generazione di cineasti italiani tra anni ’60 e ’70, si rimanda a Jeune Cinéma, n° 44, février 1970 : Cinéma et politique : une enquête

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fino alla vicenda privata di Ida Dalser, giovane moglie di Benito Mussolini, che entra nella complessità della Storia – con la maiuscola – del regime fascista. Per Bellocchio, come nel caso in questione, affrontare una vicenda storica del passato serve soprattutto a riflettere sul presente, riservando l’attenzione alle contraddizioni della società – dell’epoca, e di oggi – a partire dal trasformismo italico, filtrato e rappresentato dalla figura di Mussolini. Contraddizioni che si estendono ben presto incorporando aspetti quali l’assenza di critica, la facilità del compromesso, l’ingerenza della Chiesa. Per fare ciò Bellocchio in Vincere propone una sintesi personale e allegorica dei fatti e degli avvenimenti storici, rinunciando a una ricostruzione precisa e a spiegazioni dettagliate dei risvolti accertati, per le motivazioni che lui stesso spiega : « Io sentivo che per raccontare in modo inevitabilmente sintetico trent’anni di una storia bisognava procedere per grandissime sintesi e rinunciare a tutta una serie di spiegazioni o di didascalie. O per lo meno curare, trasformare queste didascalie in immagini che fossero espressive, che diventassero stile » 23. Ecco che l’attenzione per la sintesi della Storia si accompagna ad un uso intenzionale della scrittura stilistica. Inoltre, l’esigenza di tenere insieme la libertà del cineasta, l’uso immaginativo della Storia e l’espressione di uno stile, è ben riassunta in un’altra dichiarazione :

Credo che la libertà sia la cosa più preziosa per un artista. Non parlo delle libertà civili, ma di quella libertà di immaginazione che mi obbliga a rifiu- tare lo scrupolo morale che è mortale per l’artista e paralizza la fantasia. Il « devo » o « non posso » per non tradire l’idea, per non essere giudicato un reazionario, un venduto o un pazzo 24.

Le categorie della storia servono a mostrare l’instabilità del tempo presente, e ogni sguardo sul passato, per Bellocchio, serve a orientarsi nell’epoca in cui il film viene prodotto e si realizza. Vincere, in partico- lare, compie una riflessione inattesa sul tema del potere attraverso un lavoro sul corpo del Duce, a partire dal corpo dell’attore che lo interpreta, Filippo Timi : il giovane Mussolini è contraddistinto dai caratteri della

et les réponses de Zavattini, Orsini, Ferreri, Pontecorvo, Gregoretti, Giannarelli. Sul caso specifico di Buongiorno, notte, e in particolare sulle ricorrenze legate al caso Moro nel cinema dell’autore, si veda A.G. Mancino, La recita della Storia. Il caso Moro nel cinema di Marco Bellocchio, Milano, Bietti, 2014. 23. F. Betteni-Barnes, « Prendersi dei rischi. Intervista a Marco Bellocchio », Cineforum, n° 485, maggio 2009. 24. Marco Bellocchio. Morality and Beauty – Morale e bellezza, S. Toffetti (dir.), Roma, Istituto Luce, Centro Sperimentale di Cinematografia, 2014, p. 19.

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forza e del vigore, anche grazie alla recitazione di Timi 25 ; quando diventa il Duce, e si codifica il suo ruolo politico ma anche simbolico, il suo corpo è eliminato dalla rappresentazione, « totemizzato » e consacrato a icona, attraverso l’ausilio finzionale di immagini, busti, filmati di repertorio 26. Per Gianni Canova Vincere è un « lavoro sul corpo mediale del Capo » che ingloba al contempo « microfisica del potere e antropologia del dominio, semiotica della comunicazione di massa e fenomenologia del machismo italico » 27. Questa somma di elementi, questo lavoro sul corpo e sulla sua rappresentazione, sono ben visibili in alcune sequenze del film : una su tutte è quella nella quale Ida Dalser assiste al cinema ad un cinegiornale in cui compare Benito Mussolini (si tratta del Duce, e non la sua traspo- sizione filmica). Il corpo della Mezzogiorno si sovrappone alle immagini del passato, al corpo di Mussolini feticizzato e reso immagine, « il fascio di luce del proiettore colpisce il suo corpo, le disegna addosso le immagini, la ingravida nuovamente con l’iconizzazione del Duce » 28. Sparendo dalla rappresentazione, e rimanendo come pura immagine (o parodia di se stesso, come nell’imitazione che ne fa il medesimo Timi, interpretando il figlio Benito Albino), il corpo del Duce diviene strumento di riflessione sulle nevrosi del potere, sul « turbinio di immagini con cui il potere celebra se stesso » 29, e sui fenomeni di consumo intrecciati a questa celebrazione 30. « Ho visto Mussolini al cinema, sembra un gigante », dirà poco dopo Ida Dalser nel film. Del resto la rappresentazione mediale e la dinamica spet- tatoriale rappresentano due questioni fortemente intrecciate nel film di Bellocchio. Nel frammento del film che si svolge all’ospedale psichiatrico, e in particolare nel dialogo con lo psichiatra, viene ribadita la posizione suprema che ha la finzione – e in particolare la recitazione – in rapporto alla verità : l’ingiustizia subìta dalla Dalser viene poi paragonata a quella sullo schermo, nelle scene proiettate del film The Kid (Il monello, Charlie

25. Da questo punto di vista Vincere è un film sul movimento : da un lato il movimento della modernità futurista che punteggia buona parte della pellicola, dall’altro lato il movimento dello stesso protagonista maschile, dai desideri interventisti o dalla passione politica, fino all’ardore del sentimento amoroso. Per una disamina della recitazione maschile nel cinema contemporaneo, C. O’Rawe, Stars and Masculinities in Contemporary Italian Cinema, London, Palgrave MacMillan, 2014. 26. Sul film Vincere e il corpo di Mussolini, si veda M. Toscano, « In capo al mondo », Duellanti, n° 53, giugno 2009. 27. G. Canova, « Qualcosa che ci riguarda », Duellanti, n° 53, giugno 2009. 28. Ibid. 29. Ibid. 30. Sulla rappresentazione del corpo morto di Mussolini e sulle sue vicende storiche riflette S. Luzzatto, Il corpo del Duce. Un cadavere tra immaginazione, storia, memoria, Torino, Einaudi, 2011.

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Chaplin 1921), che di nuovo sanciscono la necessaria mediazione del cinema, della trasfigurazione della realtà attraverso il filtro di uno schermo. Oltre a ciò l’aspetto dell’impegno si ritrova anche « dietro le immagini », non solo nell’aspetto visuale ma in quello del visibile 31 : le sequenze al cinema, l’in- sistita dinamica meta-riflessiva, il riferimento agli spettatori 32, alla visione, alle trasformazioni dei media e al rapporto tra corpo e immagine 33, non sono altro che ulteriori valutazioni sulla teatralizzazione del fascismo, che rimandano al rapporto tra il Duce e l’immaginario dell’epoca 34. Raccontando la vicenda di un personaggio come quello di Ida Dalser, Bellocchio compie una riflessione profondamente antifascista, perché opta per un percorso narrativo pressoché inedito, che prende il via dal racconto della memoria del fascismo attraverso le storie identitarie degli italiani. Il tema del potere, di conseguenza, fin dagli anni del cinema civile di cineasti come Elio Petri, Francesco Rosi, Marco Ferreri, e Marco Bellocchio, si esprime come detto non soltanto attraverso la dimensione militante e fedele alla rappresen- tazione storica : spesso temi come l’impegno, il terrorismo, la politica, la Storia, sono soprattutto dei mezzi per simbolizzare le convenzioni sociali, i disagi generazionali, le patologie connesse al potere ; si tratta di fare dei film « politicamente », con un’attitudine politica, opposto al semplice fare dei film etichettati come politici. La seconda pista d’approccio che prendiamo in considerazione è quella della dimensione del privato. La filmografia del regista è ricca di film realizzati in una prospettiva familiare e privata, a partire da quelli realiz- zati con risorse economiche ridotte, prodotti nel contesto dei laboratori che Bellocchio stesso ha diretto negli anni a Bobbio, suo paese natale vicino a Piacenza. Questi gruppi laboratoriali (chiamati « Fare cinema ») sono stati una vera e propria scuola cinematografica : Bellocchio e i suoi collaboratori hanno realizzato in tutto sei episodi, tra il 1999 e il 2008, riuniti nell’esperienza denominata Sorelle 35. Il primo prodotto è stato appunto Sorelle (1999), poi Sorelle – Il matrimonio (2004), e infine Sorelle

31. P. Sorlin, Sociologie du cinéma, Paris, Aubier, 1977. 32. Si veda L. Malavasi, « L’immagine di un’immagine di un’immagine » e E. Morreale, « Il Duce e il Luce », Cineforum, n° 485, maggio 2009. 33. Per questi argomenti si rimanda a M. Dinoi, Lo sguardo e l’evento. I media, la memoria, il cinema, Firenze, Le Lettere, 2008. 34. In una prospettiva storiografica si veda P. Cavallo, « Theatre Politics of the Mussolini Régime and Their Influence on Fascist Drama », in Fascism and Theatre. Comparative Studies on the Aesthetics and Politics of Performance in Europe (1925-1945), G. Berghaus (dir.), Providence – Oxford, Berghahn Books, 1996, p. 113-132. 35. G. Pardi, L’esperienza “Sorelle”. Autobiografismo e presenze Cechoviane nei film di Marco Bellocchio, Roma, Albatros, 2011.

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Mai (2010) ; anche l’ultimo film di Bellocchio,Sangue del mio sangue, ha diverse caratteristiche in comune con questa esperienza. In questi film troviamo come attori e comparse gli amici e i parenti del regista : il figlio Pier Giorgio, la figlia Elena, le sorelle, le partecipazioni degli amici, come quella dell’attore Gianni Schicchi ; in più vi è la forte presenza del luogo d’infanzia di Bellocchio, Bobbio, che rappresenta le origini di uno sguardo, di una geografia sentimentale nata con I pugni in tasca, girato a Bobbio nella stessa casa di famiglia utilizzata anche in Sorelle Mai, quarantacinque anni dopo. Bellocchio reitera non solo i luoghi, ma anche un contesto rappresentativo mai superato, mai risolto, da I pugni in tasca in poi : La filmografia omnia di Marco Bellocchio sembra reiterare la sua origine, I pugni in tasca, e quel suo peccato originale, il matricidio di Ale, ripropo- nendone insistentemente il personaggio o addirittura […] lo stesso attore 36. Più in generale, per il regista Bobbio rappresenta la piccola realtà cit- tadina e le tradizioni, il ritorno alle origini (alla Heimat, potremmo dire 37), ma su tutto Bobbio ricorda la patria considerata straniera, e al contempo la difficoltà di lasciare quei luoghi, di dimenticare l’origine tormentata del film d’esordio, e di interpretare il mondo rinunciando a Bobbio e alle sue coordinate simboliche. Nel già citato Sangue del mio sangue l’attore Roberto Herlitzka, che interpreta il conte Basta, pronuncia la battuta « Bobbio è il mondo » : si rivela tutta la necessità di un’interpretazione del mondo che abbia come filtro la dimensione individuale, personale, del privato. Bobbio, a partire da Sorelle Mai, è l’esperienza di sé come veicolo per mostrare e interpretare le relazioni umane, i rapporti, gli interrogativi. Nella sequenza iniziale di Sorelle Mai si vedono i protagonisti riuniti attorno alla tavola, mentre si raccontano e rivelano una condizione pressoché immutabile : vediamo il figlio Pier Giorgio, le zie depositarie del passato e dei racconti della famiglia, e soprattutto la piccola Elena, la figlia del regista, che cresce e matura di fronte alla cinepresa, fino a diventare adulta, vista inSangue del mio Sangue ormai come una donna desiderabile. Il tema del corpo, anche in questa dimensione del privato, attraversa in modi innovativi anche un film come Sorelle Mai :

è la vera Elena Bellocchio a crescere e mutare davanti alla macchina da presa : un piccolo atto d’amore, quello di osservare cinematograficamente un corpo

36. M. Gandolfi, « Gli occhi, la bocca », in Le forme della ribellione. Il cinema di Marco Bellocchio, L. Ceretto, G. Zappoli (dir.), Torino, Einaudi, 2004, p. 108. 37. A. Morsiani, « L’argine perduto. La poetica dei luoghi e della heimat in Marco Bellocchio », ibid., p. 21-24.

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che si trasforma con serenità e dolcezza, in mezzo a tante sopraffazioni pubbliche da parte del corpo della nazione 38. La forma visuale del film sottolinea questo carattere d’intimità, sia nei momenti girati nella grande casa di famiglia, sia all’esterno, nelle sequenze ricche di silenzi e rumori della natura (dove ritorna il motivo visivo del fiume Trebbia, così decisivo nella poetica del regista, dai Pugni in tasca fino a Vacanze in Val Trebbia, 1980, dove recita lo stesso Bellocchio). La sfera del quotidiano e del privato ha avuto, per Bellocchio, il ruolo di primaria forma di ribellione, a partire da quella trasfigurazione auto- biografica che, nel 1965 dei Pugni in tasca, raccoglieva i disagi di un’intera generazione.

Cronaca e poetica dell’anacronismo Il terzo elemento di riflessione è contraddistinto dalla questione della cro- naca. Da un lato, la cronaca simboleggia la necessità di rinnovarsi attraverso gli eventi più prossimi, di ridiscutere continuamente il proprio cinema, di metterne in discussione i termini tematici e stilistici, per un incessante aggiornamento ; dall’altro lato, la cronaca rivela un interesse per il presente, come già il regista affermava nel 1976 : « Quando mi trovo di fronte a un progetto, c’è sempre il problema dell’attualità. Nel senso che c’è in me un’istanza, una vera preoccupazione […] di tenere conto del presente » 39. Allo stesso modo, come accade con la storia, l’interesse per l’attualità viene egualmente trasfigurato, distorto, orientato verso le proprie ragioni : lo psichiatra Massimo Fagioli, per anni collaboratore del regista, ricordava la sua « capacità […] di costruire immagini al di là della cronaca, della storia e della fotografia della realtà, pur partendo dalla realtà » 40. Bellocchio si serve anche della cronaca per costruire un suo personale percorso di analisi della contemporaneità. A partire da queste premesse, vorremmo soffer- marci su Bella addormentata (2012), film ispirato a un caso pubblico che ha fatto interrogare l’Italia intera, il caso di Eluana Englaro, che a seguito di un incidente ha vissuto in stato vegetativo, immobile e incosciente, per diciassette anni, morendo poi il 9 febbraio 2009 dopo l’interruzione della nutrizione artificiale. Come già detto, il caso pubblico di per sé serve da pretesto più generale a Bellocchio per trattare il tema del fine-vita, della malattia e della laicità, ma più nello specifico per affrontare le reazioni

38. R. Menarini, « Il corpo della nazione », Duellanti, n° 78, ottobre 2012, p. 25. 39. A. Cattini, A. Ferrero, « Conversazione con Marco Bellocchio », Cinema e cinema, III, n° 7-8, aprile-settembre 1976, p. 162. 40. M. Fagioli, « La sfida », in Marco Bellocchio. Catalogo ragionato, P. Malanga (dir.), p. 237.

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della politica e dei media alle tematiche trattate. Il film di Bellocchio si serve della dimensione cronachistica almeno a quattro livelli di lettura : il primo è costituito dall’evidente richiamo al caso Englaro, in particolare in riferimento agli ultimi giorni di vita di Eluana ; poi, il richiamo alle fasi di declino del berlusconismo e della figura pubblica di Berlusconi ; i modi con cui il caso di Eluana è stato raccontato e diffuso dall’opinione pubblica ; infine, il film stesso si fa cronaca, s’immette nel circuito mediale, per la quantità di critiche, commenti e polemiche che suscita prima, durante la lavorazione e dopo la sua uscita 41. Bella addormentata permette dunque di ragionare su alcuni modelli di società e le sue rappresentazioni : la « bella addormentata » del titolo non è soltanto la giovane Rosa, la giovane immobilizzata nel suo letto, o la figura assente ma sempre evocata di Eluana, bensì l’Italia stessa (« La vera bella addormentata è l’Italia » 42, ammette Bellocchio) : sotto questo profilo il caso di cronaca è un filtro per riflettere su un panorama più ampio, quello di un Paese vittima di un incantesimo 43 che lo rende immobile e addormentato. Ancora una volta nel film di Bellocchio tutto ciò si presenta attraverso un discorso lucido sull’apparato mediatico, la stampa, la cronaca, e soprattutto sul sistema dei media come strumento di orientamento, di autorappresen- tazione dei modelli socio-culturali e politici. Da subito il film ci mostra la forte presenza del sistema mediatico – internet, la stampa, e soprattutto la tv – che vive nei vari drammi dei personaggi : quello del senatore Beffardi (Toni Servillo) e sua figlia Maria (), volontaria pro-life, a loro volta protagonisti di una storia di sofferenza (il senatore ha aiutato la moglie gravemente malata a morire) ; gli intrecci dei personaggi che presen- tano vicende di malattia, dalla droga (la tossicomane Rossa, interpretata da Maya Sansa), alle crisi di collera del giovane attivista, fino al sacrificio con il quale la madre di Rosa (Isabelle Huppert) offre la sua vita per assistere la figlia, in stato vegetativo. Sullo sfondo rimane l’immobilità di Eluana, evocata come una presenza fantasmatica e al contempo figura che lega le vicende dei vari personaggi, fino alla sua reale morte.

41. È almeno il caso di ricordare la violenta contestazione da parte dei movimenti cattolici e pro- life che ha accompagnato la presentazione del film alla Mostra Cinematografica di Venezia. Per la stampa specializzata, si veda : « Speciale Marco Bellocchio. Bella addormentata », Duellanti, n° 78, ottobre 2012 ; « Speciale Bella addormentata », Cineforum, n° 518, 2012. Sulla cronaca e la sua reinvenzione nel cinema del regista, si veda P. Caproni, Lo sguardo inquieto. Marco Bellocchio tra immaginario e realtà, Recco – Genova, Le Mani, 2009. 42. M. Greco, I. Moliterni, « Convers(az)ioni private », in Speciale Marco Bellocchio. Bella addormentata, p. 7. 43. Sul rapporto fra il film e i modelli archetipici delle fiabe si veda M. Buratti, « C’era una volta… », in Speciale Marco Bellocchio. Bella addormentata.

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In Bella addormentata ritroviamo nuovamente una dicotomia tra pubblico e privato : in questo caso l’aspetto pubblico riguarda il caso di coscienza nell’opinione pubblica, la politica e i dibattiti, le scelte etiche e la religione ; e accanto troviamo il privato, ossia la dimensione della sofferenza, le scelte e il dolore vissuti privatamente, rappresentati dai vari punti di vista dei personaggi. Ma il caso di cronaca è anche motivo per rappresentare il cinismo e la vuotezza della classe politica : i partiti politici sono divisi dal caso Englaro, e in particolare viene mostrata tutta la loro incapacità di offrire un dibattito profondo, laico ed istituzionale su un tema così complesso e decisivo (le dichiarazioni reali degli esponenti politici sulla situazione di Eluana, riprese dal film, lo dimostrano). In una sequenza nella quale il senatore, interpretato da Servillo, esprime al rappresentante del suo partito tutta la difficoltà della scelta, dovendo esprimersi in Parlamento sul caso, questo vuoto della politica è ben messo in scena : viene anteposto il tornaconto personale, la necessaria fedeltà al gruppo dirigente, prima che alla propria coscienza civile. Il problema del caso pubblico viene messo in relazione con la vita personale del senatore, il ricordo della moglie malata, i sentimenti contrastanti che si presentano nell’affrontare una scelta difficile : e ancora una volta il corpo del protagonista viene messo a confronto con l’immagine finzionale, propagandistica, di uno schermo mediatico. I par- lamentari sono ripresi in una sovrimpressione tra loro stessi e le immagini dei militanti del Popolo della Libertà, di Berlusconi, delle bandiere politiche e dei tricolori : i corpi sono obbligati a confrontarsi con la finzionalità dell’immagine mediatica che li sovrasta e li ingloba. In Bella addormen- tata il corpo perde la sua specificità, il suo vigore, per diventare un corpo spesso stanco, malato, assopito, immobile : la corporeità diviene veicolo per mostrare la condizione di un Paese che ha la necessità di svincolarsi dall’immagine di se stesso, e risvegliarsi a nuova vita. Per certi aspetti Bella addormentata è anche un film dedicato al tema del prendersi cura, come per esempio sottolinea Massimo Causo : « Bella addormentata è letteralmente un film sull’assistere, che è prendersi cura ma anche stare svegli mentre gli altri sono assopiti » 44. Questa nota nel nostro discorso suona nuovamente come un’attenzione alla dimensione spettatoriale, a chi assiste a continue interferenze tra cronaca e irrealtà, tra finzione e documento storico, per tentare di comprendere qual è la sua posizione di spettatore, di cittadino, di persona. In queste interferenze si rivela la contraddizione che sta alla base di una « poetica dell’anacronismo » tutta interna al cinema di Bellocchio : la differenza tra attuale e contemporaneo che permette un racconto del

44. M. Causo, « La bellezza è altrove », in Speciale Marco Bellocchio. Bella addormentata, p. 15.

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presente a partire dal passato, o un racconto di temi e problemi universali a partire dalla cronaca dell’oggi. Lo studio condotto in queste pagine su Bellocchio ha voluto essere un tentativo d’analisi per mostrare alcune tendenze del politico nel cinema contemporaneo, a partire dal lavoro di un cineasta che appartiene al sistema cinematografico italiano ormai da svariati decenni. Si potrebbero riassu- mere gli aspetti della dimensione politica e dell’impegno con l’espressione « cinema della crisi ». Si evidenzia l’attitudine a rappresentare una crisi permanente : il cinema italiano è attraversato da un racconto profondo degli stati di crisi. Una crisi implicita tanto nel racconto cinematografico quanto nelle narrazioni dell’italianità, a partire dal Neorealismo 45 e dal dopoguerra, per arrivare al cinema d’impegno civile degli anni Sessanta e Settanta, via via fino alla produzione contemporanea. Il cinema di Bellocchio si fa ancora oggi latore della necessità di ragionare sull’identità nazionale cominciando dalla rappresentazione del dubbio e della crisi, attraverso uno sguardo politico che interroga le immagini del mondo.

Gabriele Rigola Università di Torino

45. Sul neorealismo si prenda visione dell’aggiornato contributo di S. Parigi, Neorealismo. Il nuovo cinema del dopoguerra, Venezia, Marsilio, 2014.

Livre 1.indb 83 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 84 03/10/2016 14:30 Représentations du politique dans les films contemporains dédiés aux années 1970 : lectures en creux du présent

Résumé : Le cinéma italien des années 2000 a vu se multiplier la production de films dédiés aux années 1970. L’analyse de la production cinématographique consacrée à cette décennie, dont la complexité est loin d’être suffisamment éclaircie, pousse à s’interroger non seulement sur les phénomènes historico-politiques les plus sollicités dans ces films – par exemple la focalisation de l’attention des cinéastes sur les facettes les plus dramatiques de cette période, comme la stratégie de la tension ou la lutte armée – mais aussi sur la façon dont ces thématiques sont souvent traitées : caracté- risation de la figure d’Aldo Moro, représentation en huis clos du phénomène de la violence politique, rapport entre conflit public et drame privé, présence ou absence des revendications de la société civile. Riassunto : Nel cinema italiano degli anni Zero si sono moltiplicati i film sugli anni Settanta. L’analisi della produzione cinematografica dedicata a questo periodo, la cui complessità non è ancora stata sufficientemente esaminata, conduce a interrogarsi non solo sui fenomeni storico-politici più rappresentati in tali film – ad esempio l’attenzione focalizzata sugli aspetti più drammatici del periodo considerato, come la strategia della tensione o la lotta armata – ma anche sul modo in cui queste tematiche sono spesso trattate : caratterizzazione della figura di Aldo Moro ; rappresentazione prevalentemente a porte chiuse del fenomeno della violenza politica ; rapporto tra conflitto pubblico e dramma privato ; presenza o assenza di rivendicazioni da parte della società civile.

Mon propos est ici d’interroger, d’un point de vue civilisationnel, la construction de l’imaginaire lié à la représentation d’une période particu- lièrement sensible et complexe de l’histoire récente de l’Italie : les années soixante-dix du XXe siècle. Il ne s’agira donc pas de fournir une analyse filmique technique ni de formuler des jugements de valeur de type esthétique sur la qualité de l’œuvre du point de vue de sa réalisation (photographie, maestria des acteurs, montage, son), mais d’aborder ces aspects seulement dans la mesure où ils renseignent sur le regard que le cinéma porte sur les événements historiques traités.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 85-98

Livre 1.indb 85 03/10/2016 14:30 86 Ada Tosatti

Une première observation concerne la question, largement débattue dans le domaine de la critique cinématographique, du rapport entre films de fiction et histoire 1. À ce propos, Lino Micciché, en parlant des films de genere storico, rappelle qu’un film parle toujours du présent de sa réalisa- tion, de l’époque dans laquelle il a été réalisé, même lorsqu’il s’agit d’un film dont la matière de la narration est historique : « In effetti, il soggetto, vivente oggi, esprime, da una parte e inevitabilmente, un punto di vista sul proprio presente ; dall’altra parte, metaforizzando il passato, esprime anche un punto di vista sul passato » 2. Dans ce sens, la production de films de fiction dédiés à la décennie soixante-dix à partir des années 2000, les narrations et les images qu’ils proposent sur cette période, sont intéressants en ceci qu’ils sont à relier avec l’actualité politique de l’époque à laquelle les films ont été conçus, et plus largement en ce qu’ils nous renseignent sur la construction d’un imaginaire social et politique. Qu’est-ce que ces films disent de l’époque sur laquelle ils se penchent et donc aussi sur l’époque présente ? C’est à partir d’un tel questionnement que l’on pourra s’interroger sur la valeur politique des films qui aujourd’hui racontent les années 1970, et sur les rapports qu’ils tissent avec les deux pôles qui constituent le noyau de réflexion de ce colloque : film politique et film engagé. Sur un arc temporel d’environ dix ans, de 2003 à 2014, plus d’une dou- zaine de films de fiction portant sur les années 1970, aussi bien pour le grand que le petit écran 3, ont été réalisés 4. À un niveau macro, il s’agira donc de questionner les faits et les phénomènes historico-politiques les plus sollicités par cette production filmique qui nous renseignent sur ce qui fascine ou pose problème dans la représentation et la compréhension de la décennie soixante-dix. À un niveau micro, il est possible de s’interroger sur l’image fournie des sujets choisis : caractérisation des personnages principaux, qu’ils soient protagonistes ou antagonistes, représentation des institutions et de la classe politique, de la société civile, des mouvements collectifs.

1. La bibliographie sur ce sujet étant très étendue, nous renvoyons à l’article d’A. O’Leary, « Cinema, storia, Italia. Appunti per una ricerca in espansione », Studi culturali, XII, n° 2, août 2015, p. 1-19. 2. L. Micciché, « Alcune considerazioni teoriche su cinema e storia », La valle dell’Eden, VI, n° 12-13, juillet-décembre 2004, Dossier Cinema e storia, G. Alonge, G. Carluccio, F. Villa (éd.), p. 20. 3. Concernant la télévision, voir l’article de V. Roghi, « Gli anni Settanta e la Tv degli ultimi dieci anni », Novecento.org [en ligne], n° 2, 2014, DOI : 10.12977/nov34, http://www.novecento. org/uso-pubblico-della-storia/vittime-gli-anni-settanta-e-la-tv-degli-ultimi-dieci-anni-533/. 4. A. O’Leary affirme que les films portant sur les « années de plomb » semblent désormais se constituer en genre (« Italian cinema and the “anni di piombo” », Journal of European Studies, n° 40 (3), 2010, p. 243-257).

Livre 1.indb 86 03/10/2016 14:30 Représentations du politique dans les films… 87

Narrations, dénominations, mémoire La plupart des films de fiction sur la décennie soixante-dix choisissent comme sujet principal de leur narration la lutte armée, les massacres et les mystères de cette période 5 : à titre indicatif, on peut considérer que six portent sur le terrorisme de gauche et les groupes révolutionnaires 6, six autres, sans en faire l’élément principal, lui consacrent une place impor- tante 7 et au moins deux enfin portent sur les « massacres » accomplis par les pouvoirs politiques corrompus 8. L’on remarque d’emblée que la plupart de ces films semblent refléter le débat historiographique concernant la dénomination de cette période : en plaçant l’accent principalement sur la question de la violence politique, ils fournissent une vision des années 1970 conforme à l’usage courant de l’expression « années de plomb » qui repose sur une des interprétations possibles du titre du film de Margareth von Trotta, Die Bleierne Zeit 9. De ce fait, ils semblent en revanche laisser de côté d’autres aspects essentiels de celle qui a été également appelée la « saison des mouvements » : libération de l’individu et expérience du collectif, avancées sociales. La question de la dénomination de la période que nous avons choisie comme champ de recherche est complexe, en ceci qu’elle induit une lecture idéologique. Si l’expression « années de plomb » s’est imposée dans l’usage courant 10,

5. Seulement deux films semblent constituer une exception : Lavorare con lentezza (2004) de Guido Chiesa sur l’expérience de Radio Alice à Bologne et La signorina Effe (2008) de Wilma Labate sur la Marche des 40 000 le 14 octobre 1980 et la défaite des luttes ouvrières à la Fiat. 6. Buongiorno, notte (2003) de Marco Bellocchio ; Piazza delle cinque lune (2003) de Renzo Martinelli ; Se sarà luce sarà bellissimo. Moro un’altra storia (2008) d’Aurelio Grimaldi ; Aldo Moro il presidente (2008) de Gian Luca Maria Tavarelli ; La prima linea (2009) de Renato de Maria ; Sangue Sparso (2014) d’Emma Moriconi. 7. La meglio gioventù (2003) de Marco Tullio Giordana ; Arrivederci amore, ciao de Michele Soavi (2006) ; Guido che sfidò le Brigate Rosse (2007) de Giuseppe Ferrara ; Mio fratello è figlio unico (2007) de Daniele Luchetti ; Il sorteggio (2010) de Giacomo Campiotti ; Gli anni spezzati (2014) de Graziano Diana. 8. Romanzo criminale (2005) de Michele Placido ; Romanzo di una strage (2012) de Marco Tullio Giordana. 9. Comme le rappelle Giovanni De Luna (dans les notes de son chapitre « Tra Memoria e oblio », in Le ragioni di un decennio : 1969-1979. Militanza, violenza, sconfitta, memoria, Milan, Feltrinelli, 2008), l’expression trouve son origine dans l’interprétation italienne du titre du film de Margareth von Trotta, Die Bleierne Zeit, qui avait été présenté au festival de Venise en 1981 avec deux titres, Tempi di piombo et Gli anni plumbei, l’adjectif « bleiern » pouvant se traduire par « oppressant ». Ce n’est qu’à la sortie en salle que le titre italien est devenu Anni di piombo. 10. Voir l’article de C. Lettieri, « L’Italie et ses Années de plomb. Usages sociaux et significations politiques d’une dénomination temporelle », Mots. Les langages du politique [en ligne], n° 87, 2008, DOI : 10.4000/mots.12032, http://mots.revues.org/12032.

Livre 1.indb 87 03/10/2016 14:30 88 Ada Tosatti

il est important de souligner que cette appellation met l’accent sur les conflits armés et sur le terrorisme, qui furent certes un des phénomènes les plus marquants de la période, mais auxquels il est impossible de réduire le foisonnement et la complexité des mouvements politiques et sociaux qui ont animé la décennie 11. C’est pourquoi nous préférons parler des « années 1970 » ou utiliser l’expression « saison des mouvements », qui, selon la définition de Marco Grispigni, indique cette phase historique « nella quale una serie di movimenti sociali (diversi fra loro, ma con alcune caratteristiche unificanti) furono tra i protagonisti principali della scena politica, sociale e culturale » 12. À l’intérieur de cette production cinématographique, il est inévitable de constater le grand nombre de films dédiés à l’affaire Moro, donnant lieu à un « Todo Moro », pour reprendre le jeu de mots que Christian Uva a créé à partir du titre d’un roman de Sciascia 13. Que l’on pense au presque « instant movie » de Giuseppe Ferrara, Il caso Moro (1986) réalisé à moins de dix ans de distance des faits, aux déjà cités Buongiorno, notte, Piazza delle cinque lune, Se sarà luce sarà bellissimo. Moro un’altra storia, pour finir avecAldo Moro il Presidente. Ainsi que l’écrit l’historien spécialiste de la décennie soixante-dix, Guido Panvini,

« Piazza Fontana » e il « caso Moro » sono diventati due topoi in grado di assorbire in sé la complessità della storia italiana degli anni Settanta e di condizionarne la narrazione, come se vi fosse stata una catena di eventi predeterminata e destinata a generarsi, evolversi e compiersi nel lasso temporale compreso tra il 12 dicembre del 1969 e il 9 maggio del 1978 14.

De plus, la représentation fournie par certains de ces films, en reproduisant la logique même du mystère et de la théorie du complot sans qu’il y ait un responsable clairement identifiable – l’historien cite par exemple le cas

11. A. O’Leary rappelle d’ailleurs que Margareth von Trotta voulait par son titre souligner le poids de l’histoire, alors que l’association entre plomb et projectiles n’évoque finalement que la violence politique d’extrême gauche en occultant le stragismo d’extrême droite. Cf. A. O’Leary, « Italian cinema and the “anni di piombo” », p. 244. 12. M. Grispigni, Elogio dell’estremismo : storiografia e movimenti, Rome, Manifestolibri, 2000, p. 21. L’expression « stagione dei movimenti » a été utilisée pour la première fois dans l’ouvrage collectif Il sessantotto. La stagione dei movimenti (1960-1979), Rome, Edizioni associate, 1988. 13. C. Uva, Schermi di piombo. Il terrorismo nel cinema italiano, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2007, p. 69. 14. G. Panvini, « La sfida al labirinto. Narrazione cinematografica e interpretazione storica di fronte al “mistero” della violenza », in Cinema e misteri d’Italia, C. Uva (éd.), Soveria Mannelli, Rubbettino, 2011, p. 189.

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de Romanzo criminale de Michele Placido – risque de laisser le spectateur politiquement démuni, impuissant comme face à une calamité naturelle 15. Guido Panvini voit en cela un problème lié directement au fait que la narration de ces années-là est influencée par la « mémoire », une mémoire qui, au lieu d’éclaircir la vision de cette période, jette un voile d’opacité sur les événements et se fait expression de l’incapacité, voire, dans certains cas, de la « non volontà di raccontare quanto successo realmente in quegli anni » 16. Cette mémoire, rappelle-t-il, est souvent à l’origine des narrations filmiques (comme dans le cas des mémoires de Anna Laura Braghetti pour Buongiorno, notte ou de Sergio Segio pour La prima linea de Renato de Maria 17), mais elle peut intervenir aussi, pourrions-nous ajouter, en tant que « mémoire » des réalisateurs eux-mêmes, qui ont été impliqués plus ou moins directement dans l’histoire qu’ils sont en train de raconter : on pense à Michele Placido qui met en scène sa jeunesse partagée entre sa vocation théâtrale et son travail dans la police dans Il grande sogno (2009), ou au militantisme de Bellocchio dans un groupe marxiste-léniniste.

Un huis clos politique et psychologique Concernant la représentation de la lutte armée, on est frappé dans nombre de films 18 par la dimension de « huis clos » politique et psychologique qui fait apparaître le recours à la violence comme séparée de la réalité sociale et politique des luttes collectives. On pense à une des scènes emblématiques du film La meglio gioventù dans laquelle Nicola Carati (Luigi Lo Cascio) entre dans la chambre enfumée de son appartement où sa compagne Giulia Monfalco (Sonia Bergamasco), qui choisira par la suite la lutte armée, est enfermée avec d’autres militants

15. « Così la rappresentazione filmica della strage di Bologna del 2 agosto 1980 (si pensi ad esempio a Romanzo criminale di Michele Placido, 2005), insistendo sul “carattere apparentemente senza senso del massacro”, spinge lo spettatore a pensare all’attentato come a una calamità naturale » (ibid., p. 195). 16. Ibid., p. 191 : « Spesso ci si dimentica, però, che la memoria, oltre a essere un vettore di conoscenza, è anche uno strumento di lotta politica. Omissioni, recriminazioni, contraddizioni, omertà e falsità abbondano nella memorialistica de-gli ex appartenenti ai gruppi armati di sinistra […] in uno strano parallelismo con le memorie di molti esponenti della Democrazia Cristiana, come, ad esempio, quelle di Paolo Emilio Taviani, Giulio Andreotti, Francesco Cossiga, quando nel racconto ci si avvicina ai momenti più drammatici di quella stagione. All’opacità dei poteri, parafrasando Foucault, si è aggiunta quella del “contropotere”. Trasmessa dalla memorialistica, tale opacità si è poi estesa alla narrazione cinematografica ». 17. A.L. Braghetti, P. Tavella, Il prigioniero, Milan, Mondadori, 1998 ; S. Segio, Miccia corta. Una storia di prima linea, Rome, Derive Approdi, 2005. 18. Je citerai ici surtout des séquences tirées de Buongiorno, notte et de La meglio gioventù à cause du caractère exemplaire de ces films et de leur grand succès auprès du public.

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en laissant la petite Sara abandonnée à elle-même dans la pièce d’à côté, ce que le personnage commente de la sorte : « i posti chiusi fanno male alle bambine e anche al cervello della gente ». Cette sensation de huis clos est particulièrement évidente dans le cas de Buongiorno, notte qui, dans l’intention du réalisateur, veut donner à voir l’enlèvement de Moro de l’intérieur de la cellule terroriste, voire même de la conscience de l’une des brigadistes, le personnage de Chiara (Maya Sansa). C’est pourquoi Buongiorno, notte se présente comme un holekeyfilm, ainsi que le rappelle Christian Uva, un film où le regard du protagoniste, et donc celui du spectateur, sont très souvent filtrés par un judas, et ce, notamment, lorsqu’il s’agit de donner à voir Aldo Moro 19. Dans ce film dominent les espaces fermés et sombres (l’appartement censé représenter la « prison du peuple », le lieu de travail de Chiara) auxquels s’opposent quelques rares séquences filmées à l’extérieur 20. Il s’agit d’ailleurs de scènes dont la valeur symbolique est forte : la recherche des canaris envolés dans le jardin de la « prison du peuple », le déjeuner avec l’oncle de Chiara et ses amis anciens résistants, et bien évidemment la fin du film avec la promenade de Moro dans une Rome matinale que Bellocchio fait rêver par la protagoniste. Qu’il s’agisse de stratégies narratives visant à rendre compte de la durée de la captivité du statista démocrate chrétien, ses cinquante-quatre jours de prigionia, ou alors de la crise, au sens étymologique du terme, de la séparation, que l’enlèvement de Moro (ou plutôt sa défaite, culminant dans son assassinat) va produire au sein du movimento et au sein de la conscience même de certains extrémistes, on peut néanmoins s’interroger sur la rareté des représentations des rapports qui avaient existé entre les Brigades rouges et les groupes de la gauche extra-parlementaire 21. Car s’il est vrai que les militants de gauche et d’extrême gauche avaient commencé à exprimer leur distance par rapport à l’usage de plus en plus diffus de la violence en concomitance avec l’enlèvement de Moro (on pense au slogan

19. C. Uva, « Tableaux mourants : l’immagine di Aldo Moro tra fotografia, pagina scritta e cinema », The italianist, n° 31, 2011, p. 258-269. 20. Ces séquences frappent d’autant plus que les autres images de lieux extérieurs qui appa- raissent dans le film sont de fait enfermées dans l’écran de la télévision. 21. Dans Il caso Moro de Giuseppe Ferrara, cette question était en revanche évoquée à plusieurs reprises, en faisant néanmoins apparaître la classe ouvrière et le mouvement étudiant unani- mement opposés aux brigadistes et trahissant de la sorte le positionnement idéologique du metteur en scène. On pense, par exemple, à l’utilisation des images d’archives du discours du syndicaliste Luciano Lama qui avait assimilé les terroristes à de simples criminels, ou à la rencontre entre deux terroristes et un représentant du movimento qui leur dit : « Ma lo volete uccidere veramente ? Guardate che nel movimento non c’è un cane che è d’accordo con voi ».

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de Lotta Continua « né con lo Stato né con le BR »), la possibilité d’un recours à la violence révolutionnaire informe nombre des luttes de la décennie. D’ailleurs, cette dimension de huis clos s’accompagne d’une repré- sentation des terroristes en aliénés, par la mise en exergue d’une déviance psychologique pathologique, comme lorsque Bellocchio fait répéter à ses terroristes comme un mantra la phrase : « la classe operaia deve dirigere tutto, la classe operaia deve dirigere tutto ». Ceci va de pair souvent avec la mise en scène des terroristes femmes 22, ce que le chercheur Alan O’Leary lit notamment comme une mise en image de la crise du patriarcat dans ces années. Toutefois, plutôt que l’expression de l’importance du mouvement féministe, il nous semble en réalité que nous retrouvons là le cliché de la femme hystérique, dont la violence aurait à voir avec un rapport problématique à son utérus en tant qu’organe de la reproduction : d’où le choix dévié de la violence au lieu du choix « naturel » de la procréation. Là encore, il est possible de citer en exemple le personnage de Chiara dans Buongiorno, notte : son évidente absence d’instinct maternel lorsqu’une voisine lui confie son bébé, sa fragilité psychologique. Ou encore le person- nage de la terroriste Giulia dans La meglio gioventù qui apparaît, au fur et à mesure que la saga se déroule, comme une névrosée, mère insensible qui abandonne sa fille. Cette représentation des terroristes en déviants semble correspondre à un processus de dépolitisation de leur discours et de leurs choix. D’ailleurs, comme l’affirme Alan O’Leary, « le scelte di Giulia non sono mai investigate a fondo, e il suo passaggio alla lotta armata sembra saltare tutta una fase intermedia di attività politica che sarebbe potuta essere tipica della sinistra extraparlamentare agli inizi degli anni ’70 » 23. Il n’est évidemment pas dans notre intention de légitimer ni de défendre le recours à la violence de la part des Brigades rouges ou de la part d’autres groupes armés agissant à l’époque. Il nous semble toutefois que les films cités, comme d’ailleurs un certain nombre d’autres pelli- cules – Aldo Moro il Presidente de Tavarelli, La prima linea de Renato de Maria, sans parler d’Arrivederci amore ciao de Michele Soavi – n’arrivent pas, ou ne cherchent pas à faire comprendre l’origine politique du choix du passage à la lutte armée de la part d’un certain nombre de militants d’extrême gauche, ni leur décision d’une intensification du conflit contre

22. Voir aussi R. Glynn, « Terrorism, a Female Malady ? », in Terrorism Italian Style : the Representation of Terrorism and Political Violence in Contemporary Italian Cinema, R. Glynn, G. Lombardi, A. O’Leary (dir.), Londres, IGRS Books, 2012, p. 117-132. 23. A. O’Leary, Tragedia all’italiana. Cinema e terrorismo tra Moro e memoria, Tissi, Angelica editore, 2007, p. 195.

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l’État. Alors que, comme le rappelle la politologue Isabelle Sommier, la radicalisation de la nouvelle gauche et le recours à la violence révolution- naire ne peuvent être compris en dehors de « l’environnement politique propre à chaque pays », et donc, en ce qui concerne le cas italien, en dehors de la stratégie de la tension, des mesures répressives de la part de l’État et du « compromis historique » : « Ce n’est pas une coïncidence si la période de la théorisation du compromis historique (1973-1975) est aussi celle du basculement progressif des premiers groupes clandestins vers la lutte armée, qui se déploie entre les deux échéances électorales de 1976 et 1979 et culmine avec l’affaire Moro » 24.

Le rapport public-privé : la réduction du conflit politique à un drame familial ? Nombreux sont les films qui placent au cœur de leur narration la repré- sentation du noyau familial et des conflits et des crises qui le traversent en parallèle avec les conflits ou crises politiques. L’on pense bien évidemment à la saga familiale racontée dans La meglio gioventù, à l’opposition entre les deux frères dans Mio fratello è figlio unico de Daniele Lucchetti, à la crise familiale dans Il grande sogno de Michele Placido (film qui se termine avec la figure du père mourant rassemblant autour de son chevet ses enfants comme des brebis égarées), aux représentations des deux familles dans Romanzo di una strage : le commissaire Calabresi avec sa femme enceinte, puis avec ses deux enfants en bas âge, et l’anarchiste Pinelli avec ses deux filles et sa femme. Mais cette dimension familiale apparaît également dans le portrait de Moro en pater familias 25 qui revient dans nombre de pellicules, parfois directement par la représentation de la famille du chef démocrate chrétien, sa femme, ses enfants et son petit-fils Luca (c’était le cas dans le film de Ferrara mais aussi dans celui de Tavarelli), très souvent indirectement, au travers du leitmotiv de la lecture de la dernière lettre de Moro à sa femme 26. Ceci relève certainement de plusieurs facteurs, aussi bien d’ordre drama- turgique qu’historiographique. D’un côté, la dimension privée, personnelle, familiale des histoires racontées, motif typique du cinéma italien, permet

24. I. Sommier, La violence révolutionnaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 106-107. 25. « Non a caso, protagonista di Buongiorno, notte è una “sacra famiglia” (è il titolo del testo di Marx ed Engels che la brigatista legge prima di addormentarsi) in cui la vecchia, canonica tematica di Bellocchio e della sua generazione, ovvero la messa a morte dei Padri, trova la sua definitiva e forse ultima celebrazione » (C. Uva, « Tableaux mourants : l’immagine di Aldo Moro tra fotografia, pagina scritta e cinema », p. 263). 26. Par exemple dans les films de Ferrara, Bellocchio, Tavarelli et Grimaldi.

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non seulement une plus grande caractérisation des personnages mais aussi la possibilité d’une empathie avec le spectateur, dans le but peut-être de rendre l’Histoire plus vivante, plus proche de nous. D’un autre côté, on peut y voir peut-être la tentative de rendre compte de l’imbrication effective qui s’était créée dans nombre de trajectoires existentielles entre ces deux pans de la vie d’un individu. En effet, non seulement les mouvements nés avec Mai 68 ont été lus comme le résultat d’un affrontement générationnel, une révolte des fils contre leurs pères, réels ou symboliques, mais la décennie soixante-dix a été également celle où l’on est passé du « tutto politico » à « il personale è politico » comme le récitaient des slogans de l’époque. En ce sens, ainsi que l’écrit Alan O’Leary, le trope de la famille comme image de la nation, qui est une constante de la représentation cinématographique des années 1970, pourrait en effet évoquer aussi bien le conflit œdipien entre fils et père que l’idée d’une guerre civile lorsque ce sont deux frères qui s’affrontent 27. Toutefois, cette centralité de la représentation de la famille, en jouant souvent sur les cordes du pathos et du sentimentalisme, tend à réduire le conflit politique à un drame familial, et de fait semble ramener le public au privé. De ce point de vue, par exemple, il serait intéressant d’analyser les choix formels caractérisant la représentation des figures des victimes, et de Moro comme symbole de toutes les victimes, qui, en répondant à une volonté légitime de reconnaissance de ces parcours existentiels brisés, insistent sur les drames personnels et familiaux 28. Comme l’écrit Vanessa Roghi, « se l’ideologia sorregge le memorie degli ex brigatisti, niente può spiegare, in una dimensione privata, perché un padre, un marito, un fratello abbiano perso la vita » 29. La politique ne serait rien d’autre que ce qui vient briser la paix sociale, certes, mais avant tout familiale. Et on glisserait en quelque sorte de « il personale è politico » à « il politico è personale ». Ce glissement s’opère au profit d’un dévidement idéologique qui rend les conflits de ces années-là encore plus insensés qu’ils n’ont pu l’être. De ce fait, il n’est peut-être pas si surprenant qu’aussi bien Bellocchio que Giordana, par exemple, prennent leurs distances par rapport à un discours politique qui est désormais connoté

27. A. O’Leary, « Terrorism and the anni di piombo in Italian cinema », ISLG Bulletin, n° 9, 2010, p. 40-48. 28. Uva parle du « divismo » qui finit par entourer la figure de Moro, « iconografia del “martire per eccellenza” degli anni di piombo, ciò che efficacemente Alan O’Leary ha definito “la sineddoche” di tutte le morti di quella stagione » (« Tableaux mourants : l’immagine di Aldo Moro tra fotografia, pagina scritta e cinema », p. 258-259). 29. V. Roghi, « Gli anni Settanta e la Tv degli ultimi dieci anni ».

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négativement au profit d’une valorisation du « privé », du « particulier », du « personnel » 30. Ce processus, comme il a été suggéré aussi par d’autres, pourrait corres- pondre à une évolution même de la gauche italienne et plus largement de la place de la politique dans nos sociétés 31. Comme l’affirme le cinéaste Guido Chiesa, au sujet de La meglio gioventù, il s’agirait peut-être de répondre à la « necessità di riscrivere la storia secondo le traiettorie ideologiche dei partiti della sinistra » 32, lesquels, dans l’objectif d’acquérir une légitimité en tant que partis au gouvernement, souhaitent prendre leur distance par rapport à leur origine révolutionnaire 33 et substituer à l’idée d’une libération des masses prolétariennes une perspective de salut individuel 34.

Pour une contre-histoire des années 1970 Se sarà luce sarà bellissimo – Moro : un’altra storia d’Aurelio Grimaldi a été défini le plus « politiquement incorrect » des longs métrages consacrés à la destinée du statista democrate chrétien. D’ailleurs, comme l’a précisé le metteur en scène lui-même, ce film n’est pas tant dédié à l’affaire Moro

30. Voir par exemple les interviews réalisées par M. Fantoni Minnella dans Non riconciliati. Politica e società nel cinema italiano dal neorealismo a oggi, Turin, UTET, 2004. Marco Bellocchio : « Mentre in passato si diceva “cinema politico” perché tutto era politico, il privato era politico, adesso nella coscienza e nell’inconscio delle persone la politica è qualcosa di indistinto, di poco chiaro, a volte di fortemente negativo, e di conseguenza parlare di cinema politico è una definizione smarrita […]. Il mio film Buongiorno, notte non è politico, parla di politica, però è un film privatissimo » (p. 223). Marco Tullio Giordana : « Non mi considero, non mi sono mai considerato, un esponente del cosiddetto cinema politico. […] La meglio gioventù, un film che bypassa completamente la politica, che si occupa d’altro e quell’altro oltretutto è proprio la ragione della sua riuscita, del suo grande successo anche internazionale. Quelli che i sondaggi chiamano “la gente” non ne possono più di veder inquinato ogni discorso dalla “politica”, di sentirne parlare, di veder fissata l’agenda delle proprie emozioni, della propria storia personale solo attraverso il filtro vagamente minaccioso del politically correct » (p. 280-283). 31. Voir par exemple ce qu’écrit A. O’Leary sur La meglio gioventù : « È una celebrazione forgiata secondo la modalità postmoderna dell’impegno esemplificata da un “ritrarsi dell’impegno da ideologie macropolitiche, sinistra / destra, a favore di iniziative micropolitiche, basate sulla comunità” » (Tragedia all’italiana. Cinema e terrorismo tra Moro e memoria, p. 194). 32. « Cineasti a confronto. Guido Chiesa, Wilma Labate, Francesco Patierno, Marco Turco », in C. Uva, Schermi di piombo. Il terrorismo nel cinema italiano, p. 247-248. 33. Cf. A. O’Leary : « La cifra sentimentalistica è funzionale alla negazione del progetto di cancellazione di un patrimonio di violenza, un progetto necessario per trasformare la sinistra in un centrosinistra con legittime velleità di potere (anziché un’opposizione con un ruolo semplicemente morale) nella Seconda Repubblica » (Tragedia all’italiana. Cinema e terrorismo tra Moro e memoria, p. 198). 34. Voir M. Fantoni Minnella, Non riconciliati. Politica e società nel cinema italiano dal neo- realismo a oggi, p. 126-127.

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qu’au phénomène du terrorisme dans son ensemble, et prend la forme d’une « radiographie de l’Italie » des années 1970 35, d’une contre-histoire de la période, comme le titre le laisse entendre. Le film aurait dû être à l’origine une trilogie comprenant une première partie sur la captivité de Moro, une deuxième sur l’expérience de la prison par les brigadistes et par d’autres militants d’extrême gauche au début des années 1980, et une troisième consacrée à des épisodes parallèles à la captivité de Moro. La faillite du producteur a de fait empêché la finalisation de la trilogie, dont 80 % des séquences étaient déjà filmées. Ce n’est que quatre ans après le tournage que Grimaldi décidera enfin de fusionner la première et la troisième partie de la trilogie en un seul film, avec des moyens financiers très limités qui expliquent la faible qualité de l’image et du son, qui sera distribué en 2008 uniquement en DVD. Grimaldi met en regard l’emprisonnement du chef de la Démocratie chrétienne avec d’autres épisodes d’incarcération, liés ceux-là à la violence étatique : l’arrestation d’une enseignante, interprétée par l’actrice Lalla Esposito, enfermée pour avoir durement critiqué l’État dans son établisse- ment scolaire, et celle d’un jeune d’extrême gauche, interprété par Fabrizio Raggi, que l’on accuse sans fondement d’être un terroriste. Tout le film est construit sur ces histoires menées en parallèle. Les scènes de l’incarcération de Moro (Roshan Seth) dans la « prison du peuple » et son interrogatoire, tendu mais très respectueux de sa personne, alternent donc avec les scènes, d’un côté, de l’arrestation de la jeune professeur par le commissaire Achille Crollo (Gaetano Amato), sa détention dans une cellule du commissariat sans possibilité de boire ni de se laver pendant plusieurs jours, les interrogatoires violents qu’elle doit subir et sa suspen- sion de l’enseignement. De l’autre côté, le spectateur assiste aux scènes des sévices infligés au jeune militant auquel on veut faire avouer par la torture sa prétendue appartenance aux Brigades rouges. Cette alternance, due en partie aux aléas de production, est l’une des caractéristiques qui conduisent à une lecture plus articulée de la période examinée. Elle trouve son apogée au moment où la voix de Moro, lisant la lettre qu’il avait adressée au ministre de l’Intérieur Francesco Cossiga, se superpose aux images de la torture du jeune militant : Caro Francesco, prescindo volutamente da ogni aspetto emotivo e mi attengo ai fatti. Mi trovo ristretto sotto un dominio pieno e incontrollato e sottoposto come presidente del nostro partito a un processo diretto a accertare le nostre responsabilità. Per la prima volta i miei carcerieri mi hanno mostrato un

35. Interview d’Aurelio Grimaldi par Miriam Tola, http://news.cinecitta.com/IT/it-it/ news/54/61709/aurelio-grimaldi.aspx, 14 octobre 2004.

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quotidiano che mi hanno però vietato di citare. La lettura di quel giornale mi ha deciso. Qui c’è in gioco una vita umana e la ragion di Stato nasce e finisce col rispetto della vita umana. Ti imploro in ginocchio di non permettere più tutto questo e di considerare seriamente la possibilità di uno scambio di prigionieri. Che Iddio ti illumini e ti dia la forza di illuminare anche i nostri compagni di partito. Tuo Aldo Moro.

La supplication de Moro pour la défense de sa personne qui, par le biais du montage, semble en quelque sorte commenter les images de la torture infligée au jeune militant, se transforme ainsi en dénonciation de la violence étatique et des responsabilités politiques de la mort du statista comme des autres victimes de la période, y compris les militants des groupes extra-parlementaires. Par ailleurs, dans cette tentative de fournir une contre-histoire de la période, Grimaldi choisit de s’écarter de la tendance à représenter Moro de façon apologétique et tend à privilégier une représentation de celui-ci en demi-teinte (du point de vue de l’image ceci est rendu par le clair-obscur qui accompagne souvent les apparitions du personnage). Si la situation de sa captivité le rend humainement touchant à cause de la fragilité, de la peur et de l’attachement à sa famille dont il fait preuve, le cinéaste essaie de montrer également son ambiguïté politique. Ceci est particulièrement évident lors de ses interrogatoires : son incapacité à se justifier, et le silence qui en découle au cours du premier interrogatoire, lorsque les Brigades rouges l’accusent d’avoir tenté de cacher son appartenance aux jeunesses fas- cistes (GUF), son attitude à l’égard des dictatures fascistes sud-américaines lorsqu’il était ministre de l’Intérieur et sa connaissance de la corruption de larges pans de son parti. De plus, le long métrage de Grimaldi, en allant à contre-courant par rapport à la représentation en huis clos du phénomène de la lutte armée évoquée précédemment, souhaite au contraire montrer les liens entre les choix opérés par les Brigades rouges et le contexte politique. C’est pourquoi il donne à voir les débats internes à la gauche provoqués aussi bien par le « compromis historique » que par l’enlèvement de Moro. Ainsi certaines séquences montrent-elles l’expulsion de syndicalistes de la CGIL pour avoir pris position contre la stigmatisation des Brigades rouges de la part de Luciano Lama, tandis que d’autres relatent les discussions au sein d’une section romaine du PCI sur l’origine de gauche de la lutte armée et sur l’abandon d’une ligne politique révolutionnaire de la part du Parti communiste. Grimaldi choisit enfin de placer son film au croisement entre fiction historique et témoignage, à travers les prises de paroles, externes au temps du récit, des familles des victimes de la violence politique des années 1970.

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Ces témoignages et la précédente évocation de la mort des deux jeunes militants 36, allocutions extradiégétiques qui s’adressent directement au spectateur, veulent poser la question du lien entre l’histoire et le temps présent, entre cinéma et mémoire. Leur mesure, leur retenue (qui ne les rend pas moins touchants d’humanité) en opposition ouverte avec le pathos de certaines représentations de la mort des victimes, la recherche d’un équilibre entre le discours privé et le discours public 37, et surtout la mise en cause d’une approche mémorielle visant à figer le passé sans tenter de le comprendre, se font l’expression d’une conception d’un cinéma militant, à la fois politique et engagé, qui veut agir dans le présent.

Ada Tosatti Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

36. On retrouve, concernant ces témoignages, la recherche d’un équilibre entre les victimes de gauche et de droite. Au premier tiers du film, des acteurs interprètent Fausto Tinelli et Iaio Iannucci, connus à l’époque comme Fausto et Iaio, qui racontent leur assassinat le 18 mars 1978 à Milan par des extrémistes de droite. À la fin du film, ce sont encore des acteurs qui interprètent des membres de la famille de victimes des extrémistes de gauche : Luca, le petit-fils d’Aldo Moro, Alessandro, le fils d’un membre de son escorte, et Erminia Gemmato, la veuve d’une autre victime du terrorisme. 37. Le cinéaste fait dire, de façon provocatrice, à l’acteur qui incarne Luca Moro : « Che importanza può avere per tutti gli altri se sono malinconico oppure no, tanti altri sono chiusi e malinconici senza aver avuto il nonno che si chiamava Aldo Moro ».

Livre 1.indb 97 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 98 03/10/2016 14:30 Romanzo di una strage, ou l’art au service de la « vérité » ?

Résumé : Romanzo di una strage de Marco Tullio Giordana est le premier film qui raconte l’attentat de Piazza Fontana. Un récit qui se veut engagé dès son titre, paso- linien. Giordana fait écho à Pasolini avec un film qui aspire, par les instruments de l’art, à dire la « vérité » et à la mettre au service de son public, de la jeune génération notamment, pour qu’elle prenne conscience de ce qui s’est passé. Car tout au long des procès qui se sont succédé pendant plusieurs décennies, la vérité s’est cachée, enlisée, voire démultipliée. L’étude se pose d’abord la question de comprendre par quels moyens narratifs est présentée la complexité des faits racontés. Dans un deu- xième temps, elle se propose d’analyser comment s’exprime d’un point de vue formel la volonté du cinéaste de traduire l’information par une émotion, car, comme il l’a affirmé, « un’informazione che non è agganciata a un’emozione non si attacca, si disperde ». Les questions posées permettront de réfléchir au rôle laissé au spectateur face à « la verité » que le cinéaste veut lui montrer. Riassunto : Romanzo di una strage di Marco Tullio Giordana è il primo film a raccon- tare l’attentato di Piazza Fontana. Un racconto impegnato sin dal titolo, pasoliniano. Giordana risponde a Pasolini con un film che aspira, mediante gli strumenti dell’arte, a dire la « verità » e a metterla a servizio del pubblico, in particolare dei giovani, perché prendano coscienza di quanto è accaduto. Questo perché nel corso dei processi che si sono succeduti in questi decenni la verità è stata nascosta, infangata, moltiplicata persino. Il saggio si pone in primo luogo l’obiettivo di capire con quali mezzi narrativi è presentata la complessità dei fatti raccontati. In secondo luogo, il saggio si propone di analizzare come si esprime da un punto di vista formale la volontà del regista di tradurre l’informazione per mezzo dell’emozione, poiché, come lui stesso ha affermato, « un’informazione che non è agganciata a un’emozione non si attacca, si disperde ». Tali questioni permetteranno una riflessione intorno al ruolo lasciato allo spettatore di fronte alla « verità » che il cineasta desidera mostrare.

Romanzo di una strage de Marco Tullio Giordana est le premier film qui raconte – quarante-trois ans après (2012) – l’attentat de Piazza Fontana. Un récit qui se veut engagé dès son titre, volontairement pasolinien. « Io so. Ma non ho le prove. Non ho nemmeno indizi » 1, avait écrit Pasolini dans

1. P.P. Pasolini, « 14 novembre 1974. Il romanzo delle stragi », in Scritti corsari [1974], Milan, Garzanti, 2005, p. 112.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 99-114

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son article « Il romanzo delle stragi » paru dans Il Corriere della Sera le 14 novembre 1974, « confér[ant] à la littérature le statut d’un outil cognitif capable de déceler une vérité » 2. Ce projet pasolinien, qui met la fiction au service de la quête, devient source d’inspiration pour le film de Giordana. Un film qui aspire, par les instruments de l’art, à dire la vérité, comme l’indique sur l’affiche la phrase qui fait office de sous-titre : « La verità esiste ». Mais, à la différence de Pasolini, le cinéaste dit avoir les preuves et pouvoir donner des noms : il affirme, dans ses Note di regia, que « queste prove sono diventate finalmente accessibili, a disposizione di chiunque voglia davvero sapere », et que le moment est enfin venu « di raccontarle, di tirarle fuori » 3. Giordana, fort d’un savoir qui n’engage pas que lui, va plus loin et ajoute dans une interview : « noi abbiamo le prove e possiamo fare i nomi, è giusto farli. Inoltre […] possiamo dire : “oggi noi sappiamo”, che è più forte che dire “io so” » 4. Une question s’impose cependant : celle du savoir qui a été utilisé et de la manière dont il a été présenté pour bâtir cette œuvre fictionnelle, car un film implique nécessairement les notions de spectateur et de spectacle mais se veut en même temps le véhicule d’une « vérité » qui « existe ». Une vérité qui pourtant, pour utiliser les mots du cinéaste, a été « continuamente insabbiata, ovattata, nascosta, sia dai servizi segreti deviati […] sia dalla disinformazione » 5. Revenons donc au titre : Romanzo di una strage 6. Roman du massacre qui, le 12 décembre 1969, détruisit la Banca Nazionale dell’Agricoltura de

2. I. Vezzani, « “Il romanzo delle stragi” : Pasolini et le “roman” de l’histoire italienne », http://colloque-temps-revoltes.ens-lyon.fr/spip.php?article157#acte (page consultée le 13 juillet 2015). 3. http://www.cinemaitaliano.info/news/12094/note-di-regia-del-film-romanzo-di-una-strage. html (page consultée le 13 novembre 2015). 4. http://www.cinefilos.it/tutto-film/interviste/marco-tullio-giordana-il-cast-di-romanzo- di-una-strage-ci-raccontano-piazza-fontana-cambia-la-storia-20236# (page consultée le 15 juillet 2015). 5. http://blog.screenweek.it/2012/03/romanzo-di-una-strage-intervista-a-marco-tullio- giordana-168505.php (page consultée le 13 juillet 2015). 6. Le choix du terme « roman » pour ce film a fait l’objet de plusieurs critiques. Parmi les plus significatives, on renvoie à Goffredo Fofi qui parle de « docufiction o di telefilm dei più rozzi », voire de « parodi[a] di ricostruzione storica » (G. Fofi, « Il telefilm della bomba », Il Sole 24 Ore, 1er avril 2012, https ://foglianuova.wordpress.com/2012/04/01/il-telefilm-della-bomba/). Jacques Mandelbaum définitRomanzo di una strage comme un « docudrama qui cherche moins à inventer une transfiguration cinématographique de l’Histoire qu’à élucider une réalité historique obscure » (J. Mandelbaum, « “Piazza Fontana” : du plomb dans l’œil », Le Monde, 27 novembre 2012, http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/11/27/du-plomb- dans-l-oeil_1796498_3246.html). Giorgio Boatti, auteur d’un livre incontournable sur Piazza Fontana (G. Boatti, Piazza Fontana. 12 dicembre 1969 : il giorno dell’innocenza perduta [1999], Turin, Einaudi, 2009), définit le film comme un exemple de «Fictory », à savoir

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Piazza Fontana à Milan, avec un bilan de dix-sept victimes et de quatre- vingt-huit blessés. Mais que signifie réaliser un film qui soit le roman d’un massacre ? D’après le cinéaste, cela veut dire « indaga[re] » sur ce massacre, mais pas « come farebbe un magistrato o un poliziotto, bensì come artista » 7. La narration, pour utiliser une définition du philosophe de l’histoire Louis Mink, sert donc d’« instrument cognitif primaire » 8. Stefano Rulli – scéna- riste du film (avec Sandro Petraglia) – explique dans une interview que romanzo n’est pas à entendre comme « opera di fantasia », mais comme « il tentativo di ritrovare un filo, un senso attraverso degli indizi che ci sono » 9. Si l’on croise les mots de Rulli et ceux de Giordana sur l’opération pasoli- nienne (« le [stragi] interpretava e ne trovava il filo » 10) on cerne le projet du cinéaste. Son roman en images doit naître, à l’instar du roman de Pasolini, d’un travail d’interprétation et de réorganisation – à savoir de synthèse et de reconstruction – de la matière existante sur le sujet. L’avant-dernier panneau du film met par ailleurs en alerte le spectateur en affirmant que les faits racontés se fondent « su riscontri e atti giudiziari, sentenze processuali, testimonianze personali » et que « ogni sintesi e ricostruzione operata dalla fantasia degli autori si è sempre ispirata al rispetto della cronaca e della verità ». Se pose aussitôt la question du statut de la soi-disant vérité dans ce travail artistique d’interprétation. Le terme « vérité », par ailleurs, n’est pas univoque : pensons à l’écart entre vérité individuelle, historique, judiciaire, journalistique, politique (et, pourquoi pas, cinématographique ?). Et cela sans compter les onze procès qui se sont succédé depuis le massacre, à la suite desquels, le 3 mai 2005, la cour de cassation de Rome a définitivement acquitté les derniers accusés et a reconnu la culpabilité de Franco Freda et Giovanni Ventura, néo-fascistes vénètes d’Ordine Nuovo, tout en concluant à la prescription pour ces derniers. Chacun de ces procès contenait des vérités, à chaque fois remises en question. Comme l’affirme Rulli, Piazza Fontana est « la storia di troppe verità […], [di] troppe sentenze che si sono

une « complessa forma di cobelligeranza tra la Fiction e la History » (G. Boatti, « Doppie bombe per una strage e un film », DoppioZero, 27 mars 2012, http://www.doppiozero. com/rubriche/10/201203/doppie-bombe-una-strage-e-un-film). Les pages citées ici ont été consultées le 14 juillet 2015. 7. http://blog.screenweek.it/2012/03/romanzo-di-una-strage-intervista-a-marco-tullio- giordana-168505.php (page consultée le 13 juillet 2015). 8. L. Mink, « Narrative form as cognitive instrument », in Historical Understanding, B. Fay, E.O. Golob, R.T. Vann (éd.), Ithaca, Cornell University Press, 1987, p. 185. 9. http://www.celluloidportraits.com/schedaintervista.php?id=312 (page consultée le 13 juillet 2015). 10. http://blog.screenweek.it/2012/03/.

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sovrapposte » ; et la difficulté a été, pour les scénaristes et le réalisateur, de « riuscire a capire […] qual è il senso di alcuni sprazzi di verità » 11. Histoire, vérité et produit fictionnel s’entrecroisent significativement dans ces mots du scénariste. Le film se dit librement 12 inspiré du livre-enquête du journaliste Paolo Cucchiarelli, Il segreto di Piazza Fontana 13, où l’auteur construit sa propre vérité 14 sur le massacre à la Banque de l’Agriculture ; ce qui suggère déjà une adhésion seulement partielle à la vérité de celui-ci. Les sources du réalisateur sont par ailleurs nombreuses, comme il le déclare lui-même : Il film è costruito su convinzioni e sentimenti opposti. Sono responsabile solo delle mie convinzioni e del film che ho fatto. Sarei grato se venisse giudicato come tale anziché portavoce o ostaggio di questo o quel libro. I libri cui sono debitore […] sono stati tanti 15.

Les vérités de Piazza Fontana subissent au cinéma également les contraintes de l’art car, comme l’explique Petraglia, malgré la volonté de repousser la fausseté, « non si può stare sulla verità fino in fondo perché non si può semplicemente mettere in scena dei verbali » 16. Le réalisateur applique au récit de Piazza Fontana, à l’instar de Pasolini, une intelligence « che dev’essere poetica prima che politica » car – affirme Giordana – « la politica purtroppo è molto restrittiva nel suo sguardo », à la différence du regard de l’art qui est « capace di toccare il cuore delle persone », et cette capacité de créer « il sentimento forte di un avvenimento » est importante car « un’informazione che non è agganciata a un’emozione non si attacca,

11. http://www.celluloidportraits.com. 12. Comme cela est affiché dans son dernier panneau. 13. P. Cucchiarelli, Il segreto di Piazza Fontana [2009], Milan, Adriano Salani Editore, 2012. 14. Ce livre a fait l’objet de nombreuses réactions critiques en raison principalement de son ambiguïté et de l’absence de preuves judiciaires et de documents : voir C. Stajano, « Dalle due bombe a Lotta Continua. Su Piazza Fontana buchi e forzature », Corriere della Sera, 28 mars 2012, http://archiviostorico.corriere.it/2012/marzo/28/Dalle_due_bombe_Lotta_ Continua_co_9_120328020.shtml ; et E. Mauro, « Quel romanzo e la ferita aperta del Paese », La Repubblica, 3 avril 2012, http://www.repubblica.it/politica/2012/04/03/news/ romanzo_ferita-32659838/. Ces pages ont été consultées le 10 octobre 2015. 15. M.T. Giordana, « Il mio film dalla parte delle vittime », Corriere della Sera, 29 mars 2012, http://www.corriere.it/opinioni/12_marzo_29/giordana-film-parte-vittime_7d9a7900- 7976-11e1-a69d-1adb0cf51649.shtml (page consultée le 14 juillet 2015). Giordana cite ensuite ses sources : « Dagli atti della Commissione stragi alla sterminata mole di incartamenti processuali, da La strage di Stato di vari autori a Una storia quasi soltanto mia di Licia Pinelli, da Mio marito, il commissario Calabresi di Gemma Capra a Piazza Fontana : una strage senza colpevoli di Luciano Lanza, da Pinelli. Una finestra sulla strage di Camilla Cederna a Il pistarolo di Marco Nozza […]. E last but not least La forza della democrazia. La strategia della tensione in Italia dello stesso Corrado Stajano […] ». 16. Dans les Extras du support DVD du film.

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si disperde » 17. Cela revient à réaliser un film qui provoque une réaction émotionnelle chez le spectateur pour que l’information s’y imprime. L’art du cinéma, pour Giordana, est ainsi conçu comme un moyen d’informa- tion dans cette lutte contre la désinformation qui a contribué (sans doute intentionnellement) pendant toutes ces années à enliser ou cacher la vérité sur Piazza Fontana 18. Dans ses Note di regia, le réalisateur hasarde une autre explication à la désinformation, qui dériverait de la quantité démesurée de données sur ce sujet, perdant de leur clarté ou s’annulant les unes les autres une fois entrées en collision :

La disinformazione su questo capitolo cruciale della storia italiana è totale. Una nebbia confusa, una notte senza luna […]. Più che da un unico inconfessabile « segreto », questa disinformazione sembra al contrario nascere da una massa sterminata di dati che finiscono per confondersi e cancellarsi a vicenda. Nel tempo la letteratura sull’argomento si è smisuratamente arricchita, ha continuato ad aggiungere tasselli al mosaico riuscendo a illuminare anche gli aspetti più oscuri di questa vicenda, ma al tempo stesso complicando il quadro, rendendone paradossalmente più difficile la sintesi, il senso generale. […] Credo però che un film – sia pure attraverso le sue inevitabili necessarie semplificazioni – possa aiutare la ricostruzione di un avvenimento così con- troverso, possa fissarlo nella memoria dello spettatore, appiccicandosi al suo « vissuto » quasi come un’esperienza personale 19.

Dans cette complexité, la « simplification » est au service de ce « romanzo di ricostruzione » 20 qu’est Romanzo di una strage. Ce travail de fixation dans la « mémoire du spectateur » que l’art est capable d’accomplir est à la fois le fruit d’une nécessaire simplification et le produit d’une synthèse réalisée dans le but de donner une « représentation la plus large possible » du sujet :

[…] l’arte deve dare una rappresentazione più larga possibile, toccando le emozioni degli spettatori e non facendo una lezione pedante di storia a una classe di ragazzini riottosi, che non vede l’ora che suoni l’intervallo 21.

Mais quel public vise Giordana prioritairement ? Ce sont les jeunes générations, si l’on s’en tient aux mots du cinéaste lui-même :

17. http://www.cinefilos.it/. 18. Giordana met l’accent sur le piège dans lequel sont tombés les quotidiens de l’époque : « Su Piazza Fontana è stato poi fatto un lavoro di disinformazione e depistaggio terribile all’epoca, in cui sono cadute vittime consapevoli e non : i grandi giornali d’opinione d’allora », http:// www.cinefilos.it/. 19. http://www.cinemaitaliano.info/. 20. E. Becattini, « Romanzi di una strage », http://www.lavoroculturale.org/romanzi-di-una- strage/ (page consultée le 16 juillet 2015). 21. http://blog.screenweek.it/2012/03/.

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[…] Penso soprattutto ai ragazzi più giovani, ai quali il film è rivolto. Chi non sa nulla e non è aiutato dalla scuola, né dai propri genitori che forse ricordano a fatica quegli anni o sono schiavi dei pregiudizi di allora, ripetuti come una coazione o un mantra, ha il diritto di sapere 22.

Autant dire que Romanzo di una strage, tout en n’ayant pas de fonction didactique, aspire à une utilité sociale. En même temps, contrairement à ces parents d’élèves imbus de préjugés sur Piazza Fontana, Giordana semble vouloir « montrer », sans qu’un parti pris n’influence ses spectateurs, en se méfiant de l’idéologie. Le cinéaste affirmait déjà dix ans avant son film :

[…] penso sempre che un cineasta con i suoi film debba mostrare le cose, non piegarli a una teoria… sarà poi lo spettatore a riconoscersi o rifiutare, analizzare, interpretare, esprimere un giudizio. Non ho mai creduto alla funzione « didattica » del cinema, diffido dell’ideologia che per me è sempre falsa coscienza. Quella di cinema civile mi sembra una definizione riduttiva, anche perché considero i grandi registi che vengono generalmente riuniti sotto quell’etichetta innanzitutto cineasti che hanno fatto buon cinema. […] Cinema civile è una definizione che mette subito in allarme, come se il cinema fosse lo strumento di propagazione dell’ideologia. Per me è esattamente il contrario : considero il cinema come la dimostrazione dell’impraticabilità dell’ideologia, della sua profonda inattualità e inutilità dal punto di vista artistico. Il cinema, come diceva Bazin, apre la finestra sul mondo, l’ideologia la chiude o la restringe 23.

Nous tenterons maintenant de répondre par l’analyse filmique aux interrogations que nous venons de soulever. Il s’agira tout d’abord de comprendre comment est traitée la complexité de la matière en question : le réalisateur se posant en « simplificateur » ne risque-t-il pas de tomber dans le piège du stéréotype ou d’une représentation précisément trop simpliste ? Nous nous interrogerons, dans un deuxième temps, sur la façon dont s’exprime, d’un point de vue formel, la volonté de Giordana de traduire l’information par une émotion, tout en répondant à une aspiration à « la vérité », et chercherons à voir quel est le rôle laissé au spectateur dans cette démarche : est-il vraiment libre de choisir comment interpréter les faits présentés, sans qu’aucune orientation idéologique ne le bride ?

22. http://www.cinefilos.it/. 23. M. Cruciani, P. Spila, « Prima di tutto il cinema. Incontro con Marco Tullio Giordana », http://www.cinecriticaweb.it/panoramiche/prima-di-tutto-il-cinema-incontro-con-marco- tullio-giordana. Giordana a plus récemment confirmé ses propos sur la place de l’idéologie dans Romanzo di una strage : « […] Il mio film è lontano da qualsiasi partigianeria e ideologia : serve a spiegare degli avvenimenti attraverso lo strumento dell’arte », http://www.primaonline. it/2012/03/27/103971/cinemagiordana-mio-film-non-ideologico-ma-dobbiamo-fare-nomi/. Les pages citées ici ont été consultées le 16 novembre 2015.

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Simplifier la complexité Primo Levi, dans son deuxième chapitre de I sommersi et i salvati, affirme que « la maggior parte dei fenomeni storici e naturali non sono semplici, o non semplici della semplicità che piacerebbe a noi » 24. Levi illustre pourquoi il est nécessaire de ne pas simplifier, surtout lorsqu’il s’agit de l’histoire :

[…] tendiamo a semplificare anche la storia, ma non sempre lo schema entro cui si ordinano i fatti è individuabile in modo univoco […]. Ciò che comunemente intendiamo per « comprendere » coincide con « semplificare » […]. Siamo insomma costretti a ridurre il conoscibile a schema 25.

Aborder au cinéma la complexité de Piazza Fontana signifie pour Giordana, nous l’avons dit, avoir recours à des simplifications « inevitabili » et « necessarie ». Comment appréhende-t-il ce travail de « simplification » ? Partons de la macro-structure du film et de sa division en dix cha- pitres 26, scandant le récit par dix panneaux noirs sur lesquels se détachent des titres en rouge. Tout en répondant à une volonté d’organisation de la matière sous la forme du roman, ce procédé guide par le même biais le spectateur dans le panorama des différents points de vue véhiculés par ses protagonistes, chacun offrant sa version du massacre. Onze didascalies 27 accompagnent également le récit filmique, une sélection de lieux et de dates qui dirigent le public dans cette narration prioritairement linéaire, chronologique, commençant par l’automne 1969 et se terminant par le jour de l’assassinat du commissaire Luigi Calabresi, le 17 mai 1972. Les lieux indiqués réduisent en même temps la géographie romanesque à une toponymie essentielle, incluant Milan, Rome, la Vénétie et le Frioul 28 : d’une

24. P. Levi, I sommersi e i salvati, Turin, Einaudi, 1985, p. 25. Sur la question de la simplification en relation avec l’histoire, on renvoie à l’éclairant chapitre « La storia e la semplificazione » dans l’ouvrage d’Alfonso Maurizio Iacono, Storia verità e finzione, Rome, Manifestolibri, 2006, p. 17-26. 25. P. Levi, I sommersi e i salvati, p. 24. 26. Il s’agit de « Autunno caldo », « Gli innocenti », « L’indagine parallela », « La pista rossa », « L’interrogatorio », « La ragion di Stato », « La pista veneta », « Dire la verità », « Esplosivo » et « Alta tensione ». 27. Il s’agit de « Padova, 1969 » ; « Milano, Teatro Lirico » ; « Roma, via Trionfale » ; « Milano, circolo Ponte della Ghisolfa » ; « Ministero Interno, Ufficio Affari riservati » ; « Roma, circolo anarchico 22 Marzo » ; « Milano, Università Statale » ; « Parigi, 12 dicembre 169 » ; « Milano, ottobre 1970 » ; « Segrate, 14 mars 1972 » et « San Michele del Carso (Gorizia) ». 28. Une seule didascalie est consacrée à Paris le jour même du massacre, mais son importance est fondamentale : Aldo Moro, à l’époque Ministro degli Affari Esteri et président par alternance de la commission du Conseil de l’Europe, y demande l’exclusion de la Grèce du Conseil, car le pays est dirigé par une junte militaire anti-démocratique qui opère pour que ce modèle se diffuse en Europe. Les décisions prises dans la capitale soulignent le climat

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part Milan, ville de l’attentat à la Banque de l’Agriculture et des premières enquêtes, mais également capitale économique d’envergure à l’époque de l’autunno caldo, lieu de palpitante vie culturelle et politique, siège de cercles anarchistes comme celui de Giuseppe Pinelli ; d’autre part Rome, ville incarnant vie politique et religieuse du pays et lieu où les enquêtes de Piazza Fontana sont initialement réorientées. Le vécu de ces villes dépend strictement de ce qui se trame ailleurs, entre la Vénétie néo-fasciste où opère Ordine Nuovo, et le Frioul, abritant un dépôt secret d’armes et d’explosifs. Chapitres et didascalies encadrent à leur tour les micro-scènes du film, parfois de véritables fragments contenant un nombre réduit de répliques, voire aucune. La fragmentation des scènes – signifiant sans doute la fragmentation des informations et des vérités sur Piazza Fontana – est ainsi recomposée dans un cadre répondant à une volonté de simplification par la sélection et l’ordonnancement. La sélection agit ensuite au niveau des personnages. La difficulté d’inclure tous les hommes et femmes impliqués dans l’affaire de Piazza Fontana, et en même temps l’importance que revêtent les personnages, pour Rulli et Petraglia, sont affirmées par les scénaristes eux-mêmes :

[…] ci siamo resi conto che non potevamo metterci tutto dentro e che soprattutto noi rischiavamo di fare un film con tantissimi personaggi e quindi senza nessun personaggio, e siccome noi siamo degli scrittori di personaggi, se noi non abbiamo quei personaggi noi non riusciamo quasi a scrivere 29.

Et au producteur, Riccardo Tozzi, de rebondir en expliquant la « grande idea di sintesi » 30 du réalisateur. Le résultat de cette synthèse est un récit filmique comptant quelques soixante-dix personnages. Un casting certes imposant, mais maîtrisé par l’adoption d’outils narratifs servant à la sim- plification. En premier lieu, on souligne le travail de réduction des dialogues à des phrases succinctes, parfois lapidaires, accompagnant quasiment toute action filmique dans un esprit dialectique souligné par les reprises en champ- contrechamp. Ces dialogues sont caractérisés par une utilisation du dialecte ; le cinéaste y a recours notamment pour ses personnages vénètes (comme Franco Freda, Giovanni Ventura et Guido Lorenzon), tandis que pour la plupart des autres personnages l’attention est portée systématiquement à leur accent régional, autant d’éléments de connotation non seulement

de guerre froide dans lequel se dessine la stratégie de la tension dont le massacre de Piazza Fontana est considéré comme le commencement. 29. Dans les Extras. 30. Ibid.

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linguistique (et géographique), mais aussi psychologique. Cet usage massif des dialectes et des accents guide le spectateur dans la complexe géographie romanesque au risque toutefois de frôler la caricature, sinon de caractériser par l’excès certains personnages en contraste avec la représentation qu’en donnent des témoins encore vivants 31. Le choix de fixer l’attention sur des objets anodins permet au spectateur de reconnaître et de connoter rapidement un personnage, d’en comprendre la fonction et de le situer dans un contexte historique ou institutionnel, dans un souci de vraisemblance historique. Parmi ces objets que la caméra met en relief pour qu’ils soient remarqués, pensons aux cigarettes anglaises Senior Service, en premier plan dans une scène conclusive du chapitre I. Ce paquet de cigarettes apparemment insignifiant introduit le personnage du riche éditeur Giangiacomo Feltrinelli qui, dans un amphithéâtre bondé de l’Università Statale de Milan, invite son public à la vigilance voire à la lutte armée face au coup d’État pressenti après les événements grecs de 1967. Ces cigarettes d’antan – les préférées de l’éditeur 32 – traduisent rapidement un contexte : son rôle dans la Resistenza, ses liens avec le Cuba de Fidel Castro, son militantisme d’extrême gauche dans un climat international de guerre froide et dans l’Italie de la strategia della tensione. Elles sont également le trait d’union entre un avant et un après Piazza Fontana, entre les mouvements sociaux d’après 1968 et les grèves ouvrières de l’autunno caldo d’une part et la mystérieuse mort de Feltrinelli pendant les années de plomb d’autre part. C’est justement en trouvant un paquet de Senior Service – filmé à nouveau en premier plan – dans la voiture laissée à côté du pylône où gît un corps carbonisé que Calabresi comprend (en même temps que le spectateur) qu’il s’agit de Feltrinelli. Cette scène du chapitre X (au titre doublement allusif d’« Alta tensione ») fait ainsi écho à la scène du chapitre I : un objet encadre ainsi le parcours filmique de l’éditeur, présenté comme étant la vraie cible de la construction d’accusations contre les anarchistes 33.

31. C’est le cas pour Giovanni Ventura, dont l’élocution est marquée par un fort dialecte vénète prononcé avec rapidité, ce qui, après la sortie du film, a attiré les critiques de Guido Lorenzon, son ami de jeunesse qui, par ses révélations, permit aux enquêteurs de découvrir la « piste vénète » du massacre. La critique de Lorenzon concerne cet usage exubérant du dialecte car, dit-il, « Ventura non era così […] parlava lentamente e in italiano. Era calmo e glaciale » (http://mattinopadova.gelocal.it/regione/2012/03/31/news/lorenzon-in-sala- questo-film-non-e-la-verita-1.3755114). Franco Freda, à son tour, a nié pour lui-même ce trait du langage qui lui a été attribué dans le film : « […] io, di padre irpino, ho sempre usato in famiglia l’italiano e non so dire che qualche stentata parola in venetico », http://ipharra. over-blog.it/article-intervista-a-franco-g-freda-103695072.html. Les pages citées ici ont été consultées le 17 novembre 2015. 32. Selon la biographie du fils de l’éditeur. Voir C. Feltrinelli, Senior Service, Milan, Feltrinelli, 1999. 33. À partir des bombes milanaises du 25 avril à la Fiera Campionaria et à la gare.

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Les inserts en noir et blanc alternant avec la narration principale, en couleurs, comptent parmi les outils narratifs employés à des fins de sim- plification. Ces inserts, dont l’artifice chromatique contribue à produire un effet documentaire, aident à visualiser un personnage ou une situation et à s’en rappeler dans la complexité de l’intrigue. La simplification passe également par une logique des contrastes, répondant sans doute en premier lieu à la volonté de signifier conflits et désaccords au moment même où les faits se produisent. Sans prétendre dresser une liste exhaustive de ces contrastes, on se limitera à en signaler certains, montrant à quel point ils animent à la fois la forme et le fond de la narration filmique. On remarquera d’abord l’opposition entre le rouge et le noir, couleurs symboliques scandant formellement le récit en chapitres, mais pouvant suggérer par le même biais à la fois le climat de guerre froide pesant sur le plan international et national et la violente opposition entre extrémismes propre aux années de plomb. Les protagonistes du film, Pinelli et Calabresi, s’affrontent perpétuel- lement et en même temps entretiennent une relation étrangement polie, voire, par moments, conviviale ; cette relation bipolaire entre anarchiste et commissaire a été par ailleurs âprement critiquée 34. Les contrastes du film sont également de nature topographique, notam- ment entre la ville de Padoue, où règne un calme apparent mais où sourd une activité terroriste souterraine, et la ville de Milan, où le chaos apparent des manifestations de l’autunno caldo cache les plans criminels de la stra- tégie de la tension 35.

34. Entre autres par Corrado Stajano, journaliste engagé dans la recherche d’une vérité dès le massacre de Piazza Fontana (C. Stajano, http://archiviostorico.corriere.it) ; par Adriano Sofri, dans son instant-book (A. Sofri, 43 anni. Piazza Fontana, un libro, un film, http://www. wittgenstein.it/wp-content/uploads/2012/03/43anni.pdf, p. 105-106) ou par Luciano Lanza, journaliste, ancien camarade de Pinelli au « Circolo Ponte della Ghisolfa » et auteur d’un livre sur le massacre de Piazza Fontana (L. Lanza, Bombe e segreti. Piazza Fontana : una strage senza colpevoli, Milan, Elèuthera, 1997). Pour les critiques de Luciano Lanza, voir L. Lanza, « Nel film, Calabresi viene presentato come… », http://www.arivista.org/?nr=371&pag=38. htm. Ces deux dernières pages ont été consultées le 18 août 2015. 35. Nous faisons allusion au contraste entre la scène liminaire présentant l’un des lieux les plus célèbres de Padoue, Prato della Valle, et la scène suivante, se déroulant au Teatro Lirico de Milan. Le bruit de l’eau des fontaines, des feuilles bercées par le vent et le chant des oiseaux suggèrent la tranquillité d’une matinée de l’automne 1969 dans la ville vénète : la violente stratégie terroriste qui touchera le cœur de Milan naît de cette « tranquille » réalité sociale vénète. Cette « tranquillité » contraste avec le chaos d’une Milan agitée par une manifestation de l’autunno caldo, le 19 novembre 1969, où l’agent de police Antonio Annarumma trouve la mort. Sa mort est utilisée d’emblée à des fins politiques avant même qu’une enquête judiciaire ne démarre. Comme le rappelle Giorgio Boatti, le président de la République Giuseppe Saragat accueillera immédiatement la thèse de l’assassinat politique dans un télégramme (cf. G. Boatti, Piazza Fontana…, p. 49).

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Les contrastes agissent fortement au niveau idéologique. Par exemple, Giordana tend à opposer schématiquement d’un côté des extrémistes de droite qui haïssent les faibles et les êtres fragiles, et de l’autre un anarchiste comme Pinelli proche des exclus, des « derniers » 36. On peut se demander si cette logique des contrastes amplement exploi- tée par Giordana n’expose pas son film au risque du stéréotype. Primo Levi illustrait un danger propre à la simplification lors de l’interprétation de l’histoire, à savoir le risque de diviser le monde en deux camps opposés : […] è talmente forte in noi […] l’esigenza di dividere il campo tra « noi » e « loro », che questo schema, la bipartizione amico-nemico prevale su tutti gli altri 37. Le recours à la simplification comme stratégie narrative dans Romanzo di una strage nous offre par moments une vision stéréotypée, voire scléro- sée, de cette époque cruciale de la péninsule. Les raccourcis que le cinéaste adopte, notamment dans les très courts dialogues, frôlent parfois la cari- cature. Voici un exemple. Le préfet de Milan, Marcello Guida, prend la parole pour la première fois au chapitre II et s’adresse ainsi au commissaire Calabresi : […] lei Calabresi, mi metta sotto pressione tutti questi Bakunin che ha raccattato. Li faccia cantare : li voglio cinguettanti, come i fringuelli della ridente isola di Ventotene. Ces mots manifestent la volonté de Giordana d’activer instantanément, chez un spectateur avisé, la mémoire de l’implication de Guida avec le fascisme, Guida ayant été directeur du confino de Ventotene en 1942. S’il est vrai d’une part que cette mise en scène du personnage contribue à signifier à quel point l’épuration d’après-guerre n’a pas été menée jusqu’au bout à la fin des années 1960, les fascistes étant encore installés dans les centres de pouvoir, il est tout aussi vrai que ces mots risquent de caricaturer le préfet, dans la ligne droite de la description qu’en fait Paolo Cucchiarelli dans son livre 38.

36. Ce contraste est illustré par le discours opposé tenu par Franco Freda et ses acolytes d’une part, et par Giuseppe Pinelli d’autre part. Dans une scène du chapitre I, en parlant des aveugles de l’institut où il tient une réunion clandestine, Freda affirme : « Io invece vorrei che non esistessero. Il cristianesimo da duemila anni ci ha riempito la pancia di nauseanti buoni sentimenti. Invece ogni falla nell’ordine dell’universo andrebbe eliminata ». Pinelli est aux antipodes de cette position morale, comme l’indique sa réponse au commissaire Calabresi qui lui demande ce qu’il croit avoir en commun avec Feltrinelli : « Una certa simpatia per gli ultimi ! Presente quelli in fondo ? Presente i tagliati fuori ? ». 37. P. Levi, I sommersi e i salvati, p. 24-25. 38. Voir P. Cucchiarelli, Il segreto di Piazza Fontana, p. 206.

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Communiquer l’information par une émotion À ce stade de nos considérations, il nous appartient d’analyser comment le cinéaste traduit d’un point de vue formel sa volonté de communiquer l’infor- mation par une émotion, et si ce choix respecte son aspiration à la vérité. Dans un article de réplique aux critiques de Corrado Stajano, définis- sant son film comme « asettico » 39, Giordana affirme que « l’emozione è nei personaggi, nella loro crisi e solitudine, perfino nella dannazione di alcuni, i carnefici, anch’essi disperati » 40. La responsable du montage Francesca Calvelli suggère que cette recherche de l’émotion autour des personnages passe d’abord par la construction de dialogues épurés. Alors que le premier montage était « densissimo di parole e aveva meno spazi di respiro emotivo », un travail de dosage a permis de « trovare dei momenti in cui davi spazio […] alla emotività » 41. Lorsque les mots se raréfient, que le silence prend de l’espace, gestes et expressions des acteurs gagnent en solennité. La raré- faction verbale est accompagnée par un ralentissement des mouvements de la caméra qui plonge les personnages dans une atmosphère de lenteur diffuse, investissant à la fois les mots qu’ils prononcent et leurs mouvements. La bande-son de Franco Piersanti, aux couleurs angoissantes, ainsi que les rares moments musicaux, alternent avec le silence. Ils se révèlent à leur tour comme un instrument traduisant l’information par une émotion. Prenons un premier exemple. Calabresi entre en scène suite aux pre- mières images de la manifestation milanaise de l’autunno caldo, lorsqu’il répond aux exigences millimétriques de sa femme Gemma, enceinte, désirant accrocher un tableau dans un appartement en pleine installa- tion. Le couple est interrompu par l’appel du supérieur hiérarchique du commissaire, Antonino Allegra, qui lui ordonne d’intervenir lors de la manifestation. Dans le « duel » entre Allegra et Gemma, c’est le premier qui l’emporte, le commissaire lui confirmant immédiatement sa disponi- bilité. Tandis que Calabresi écoute l’injonction d’Allegra et que sa femme montre, par ses gestes, toute sa désapprobation, la chanson de Patty Bravo Se perdo te scande les paroles « Hai voluto la mia vita, ecco, ti appartiene », paroles qui acquièrent un poids particulier à la lueur de l’assassinat du commissaire, l’énième victime du terrorisme 42. Giordana commence ici

39. C. Stajano, http://archiviostorico.corriere.it. 40. M.T. Giordana, « Il mio film dalla parte delle vittime », Corriere della Sera, 30 mars 2012, http://www.corriere.it/opinioni/12_marzo_29/giordana-film-parte-vittime_7d9a7900- 7976-11e1-a69d-1adb0cf51649.shtml (page consultée le 19 août 2015). 41. Tiré des Extras. 42. En 2009, pour la première fois, l’ancien président de la République Giorgio Napolitano invite en même temps Licia Pinelli et Gemma Calabresi à la Journée de la Mémoire pour

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même son portrait de Calabresi comme bouc émissaire de sa hiérarchie, l’exposant à un isolement progressif qui le fragilisera jusqu’à son assassi- nat 43. L’information est véhiculée, dans cette scène pauvre en dialogues, par l’émotion que les paroles de Patty Bravo suscitent, soulignant un duel entre vie publique et vie privée dans lequel bon gré mal gré domine la première. Au chapitre V, le personnage d’Aldo Moro prie seul à l’église, avant d’être filmé à l’arrière d’une voiture, travaillant seul à un dossier, à la recherche de la vérité sur le massacre. La scène, sans dialogue ni mono- logue, est animée par le Tristis est anima mea de Roland de Lassus. « Tristis est anima mea usque ad mortem. / Sustinete hic et vigilate mecum. / Nunc videbitis turbam quae circumdabit me. / Vos fugam capietis, et ego vadam immolari pro vobis », récite ce chant profane du XVIe siècle, véhiculant d’une part l’idée du sacrifice que Moro, solennellement, accepte pour lui- même en serviteur christique de la démocratie et de l’État, et d’autre part, à travers le contraste entre paroles et images, sa solitude dans le sacrifice 44, annonçant son destin de mort. L’échec de la justice devient également matière dramatique. Le choix du mélodrame Anna Bolena de Gaetano Donizetti, pour accompagner cette narration en « actes », en est le premier témoignage. La présence de la reine anglaise est déclarée sur « scène » par Federico Umberto D’Amato, lorsqu’au chapitre I, dans une rencontre avec Silvano Russomanno 45, il choisit le nom codé à donner à Enrico Rovelli, homme infiltrant le Circolo Ponte della Ghisolfa. Cette présence est ravivée en musique, pour signifier le

les victimes du terrorisme (cf. L. Pinelli, P. Scaramucci, Una storia quasi soltanto mia, Milan, Feltrinelli, 2009, p. 12). 43. Cette présentation de Calabresi comme victime naît de l’interprétation personnelle du cinéaste, comme Giordana l’affirme lui-même dans une interview précédemment citée, http://www.cinefilos.it/. De même, la thèse suggérée d’un assassinat voulu par ce que l’on nommera les hauts représentants de l’État relève encore une fois d’une lecture personnelle de l’histoire de la part du cinéaste (http://blog.screenweek.it/2012/03/). 44. C’est en particulier le chapitre VI (« La ragion di Stato ») qui voit Moro seul protagoniste d’une demande de vérité formulée au président Saragat au nom d’un pays bouleversé par la mort de Pinelli. Dans le dossier qu’il lui livre au Quirinal le 23 décembre 1969, Moro dévoile la nature putschiste du massacre de Piazza Fontana, en net contraste avec la vérité officielle médiatisée qui pointe du doigt les anarchistes. Mais au terme de cette rencontre, Moro retire sa demande de divulgation de sa contre-enquête, et en contrepartie invite Saragat à ne pas céder aux « tentazioni autoritarie » autour de lui. Enterrer la vérité signifie pour lui protéger l’Italie d’une pire tragédie et défendre ainsi la démocratie. Sur la véracité de ce dialogue, Stefano Rulli le définit comme le fruit de « tutto un lavoro di documentazione molto ampio » (il cite, parmi d’autres, le livre de l’historien Fulvio Bellini, Il segreto della Repubblica, Milan, Selene Edizioni, 1978) et conclut que « la ricostruzione di quel dialogo parte da alcuni dati di realtà » (http://www.celluloidportraits.com/). 45. C’est le directeur des opérations des Affaires réservées du Viminal. Dans le film, il prend le nom de Professore.

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douloureux destin que doivent suivre toutes les victimes de Piazza Fontana, de même qu’Ann Boleyn, épouse poussée à une mort préméditée par son mari Henri VIII, au mépris de toute justice. La musique est enfin un message qui se superpose aux images d’archives et qui signifie une justice en échec dans la scène des funérailles milanaises des victimes de la Banque de l’Agriculture. Tandis que la télévision d’État diffuse ces moments d’émotion collective commentés par un speaker, la Messe de Requiem de Wolfgang Amadeus Mozart 46 se superpose graduel- lement à cette voix. « Lacrimosa dies illa, qua resurget ex favilla judicandus homo reus », récite la Messe à ce moment précis. En superposant à la réalité médiatisée de l’époque les paroles du drame mozartien, le cinéaste souligne l’échec d’une justice (terrestre) laissant impunis les coupables. Dans ce cas comme dans la scène du Tristis est anima mea, si l’impact émotionnel est certain, la compréhension des messages que le réalisateur cherche à véhiculer par ces choix musicaux en latin nous semble toutefois discutable pour un jeune public – celui auquel Giordana dit vouloir s’adresser prioritairement. On en vient à se demander si cette façon de présenter des informations ne revient pas à une spectacularisation de l’information elle-même, et donc de « la vérité » que l’on désire mettre en scène, en contraste avec la volonté affichée par le réalisateur de « allinea[re] i fatti salienti, raccontando le cose come sono avvenute » 47. Le réalisateur est-il simplement en train de raconter ce moment de l’histoire aux Italiens qui l’ignorent, sans idéologie ni thèses à imposer ? Le public est-il vraiment libre de se reconnaître dans cette représentation de l’histoire et, à terme, de l’analyser à son tour, de l’interpréter ou d’exprimer son jugement personnel sur « la vérité » racontée ? Romanzo di una strage résiste à la tentation de communiquer une réponse unilatérale aux multiples interrogations que ce chapitre de l’histoire italienne continue de susciter, obligeant le public à se poser des questions alors que la Justice échoue, alors qu’enquêtes et procès s’arrêtent. C’est ainsi que nous concevons notamment l’un des choix les plus critiqués du film de Giordana, donnant de l’espace à la thèse de la double bombe adoptée par Paolo Cucchiarelli dans son livre, bien qu’en y associant des explications différentes, confiées au personnage de Federico Umberto D’Amato dans un dialogue final imaginaire avec Calabresi 48. Au chapitre VIII (portant

46. C’est la Messe de Requiem en ré mineur K 626, dernière composition de Mozart. 47. http://www.cinemaitaliano.info/. 48. Pour un éclairage sur la thèse des deux bombes, voir notamment l’article d’Aldo Giannuli, essayiste, ex-consultant de la Commissione Parlamentare di Inchiesta sulle Stragi et expert de terrorisme noir (A. Giannuli, « Romanzo di una strage, il libro di Cucchiarelli, le critiche di Sofri e gli anarchici indignati », Il Corriere della Sera, 1er avril 2012, http://www.aldogiannuli. it/romanzo-di-una-strage/, page consultée le 14 juillet 2015).

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significativement le titre « Dire la verità »), le journaliste Nozza, dans une scène nocturne et intime, semble livrer à Calabresi la clé du film lorsqu’il affirme : « Mi fa piacere di avergli instillato almeno il dubbio ». Chercher la vérité signifie du moins s’exposer au doute, ne cesser de s’interroger. Face à une vérité qui fait défaut, Giordana continue la quête pasolinienne ; son œuvre de fiction retrouve et illustre une logique interne, offre des solutions possibles, de possibles interprétations du réel. Sa vérité fictionnelle, qui n’a pas besoin de preuves pour être affirmée ni de justifications quant aux choix narratifs, brise le long silence cinématographique sur Piazza Fontana et participe, bien sûr par les moyens de l’art, de la lutte contre toute interprétation figée, cristallisée, rassurante mais faussée, de l’histoire.

Cristina Vignali Université de Savoie-Mont Blanc

Livre 1.indb 113 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 114 03/10/2016 14:30 Italie et Italiens d’aujourd’hui dans le cinéma soci(ét)al d’Ivano De Matteo

Résumé : Parmi les réalisateurs italiens dont les filmographies s’inscrivent aujourd’hui dans la veine d’un « nouveau » cinéma engagé figure le Romain Ivano De Matteo, auteur d’une trilogie « soci(ét)ale » : La bella gente (tourné en 2009 mais sorti en Italie durant l’été 2015), Gli equilibristi (2012) et I nostri ragazzi (2014) sont trois versions d’un rapport difficile à l’Autre, au Monde, à la société. Construits selon un même schéma global, ils sont la radiographie d’une société malade : dans la diégèse, l’équilibre établi se brise à l’arrivée d’un élément extérieur et inattendu, produit directement ou indirectement par la société. De Matteo insère dans ces trois volets la nécessité d’un questionnement sur le « Je » ; la construction formelle et l’écriture filmique sont elles aussi au service du propos, dans une démarche visant à impliquer puis responsabiliser le récepteur. Objets de critique « soci(ét)ale », à la fois films d’auteur(s) et de divertissement, les films du corpus retenu permettent une réflexion sur le monde à partir de procédés propres au cinéma dit « engagé ». Riassunto : Tra i registi italiani le cui filmografie si iscrivono oggi nel filone di un « nuovo » cinema impegnato c’è il romano Ivano De Matteo, autore di una trilogia « soci(et)ale » : La bella gente (girato nel 2009 ma uscito in Italia solo durante l’estate 2015), Gli equilibristi (2012) e I nostri ragazzi (2014) sono tre versioni di un rapporto difficile con l’Altro, con il Mondo, con la società. Costruiti secondo uno stesso schema globale, sono la radiografia di una società malata : nella diegesi, l’equilibrio si rompe con l’introduzione di un elemento esterno e inaspettato, prodotto direttamente o indirettamente dalla società. De Matteo inserisce in queste tre parti la necessità dell’interrogare il proprio « io » ; la costruzione formale e la scrittura filmica sono anche al servizio del discorso, in un progetto che mira a coinvolgere e responsabilizzare lo spettatore. Oggetti di critica « soci(et)ale », nel contempo film d’autore(i) e di divertimento, i film del corpus permettono una riflessione sul mondo a partire da processi relativi al cinema cosiddetto « impegnato ».

Ivano De Matteo, réalisateur « engagé » ? « Directement ou indirectement, le cinéma est prise de position par rapport au monde commun » 1 : telle est la définition d’un cinéma dit « engagé »

1. E. Barot, Camera politica : dialectique du réalisme dans le cinéma politique et militant, Paris, Vrin, 2009, p. 27.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 115-128

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que livre Emmanuel Barot dans un essai consacré au cinéma « politique » et « militant ». « Engagé », « politique », « militant » : ces adjectifs accom- pagnent l’idée d’un cinéma impegnato à la définition plurivoque qui a caractérisé une partie de la production cinématographique italienne dans les années 1970 avant de renaître de façon prononcée dans les années 2000 jusqu’à nos jours. Parmi les réalisateurs, jeunes ou moins jeunes, dont les filmographies s’inscrivent aujourd’hui dans cette veine, figure Ivano De Matteo. Il serait sans doute réducteur de résumer d’emblée les films d’un corpus à la seule figure d’un réalisateur car le film, bien sûr, est une œuvre collective et chorale ; les films d’Ivano De Matteo n’échappent pas à la règle. Il convient pour cela de citer deux collaborateurs en particulier : Valentina Ferlan, co-scénariste, et Francesco Cerasi, auteur de la bande originale des trois films du corpus retenu. Ces deux figures sont essentielles car les films d’Ivano De Matteo sont la fusion, la communion, de trois éléments qui s’imbriquent parfaitement, se complètent et donnent toute sa force à la trilogie que nous qualifions de « soci(ét)ale » : la mise en scène et la direction d’acteurs, l’écriture scénaristique et la composante musicale, soit trois éléments propres au cinéma, trois procédés cinématographiques donc, et qui, parmi d’autres, sont exploités pour mieux toucher le récepteur.

Parcours du réalisateur et thématiques du cinéma « soci(ét)al » Ivano De Matteo naît en janvier 1966 à Rome, la ville où il grandit. C’est un homme à plusieurs casquettes. Il est avant tout acteur : il débute au cinéma dans les années 1990 et tourne notamment dans Velocità massima de Daniele Vicari (2001) et dans Gente di Roma d’Ettore Scola (2003). Il se fait également remarquer dans des courts métrages : le grand public le connaît surtout pour son rôle d’Er Puma, criminel romain, dans la série télévisée Romanzo criminale, inspirée du film du même nom. Il arrive à la réalisation par le documentaire : en 1999, il s’intéresse au fanatisme dans le milieu du football avec Prigionieri di una fede avant de réaliser en 2002 son premier long métrage de fiction, Ultimo stadio, avec Franco Nero et Valerio Mastandrea, une réflexion sur la famille à l’occasion d’un match de football. Quelques années plus tard, son talent et sa maîtrise de réalisateur s’affirment avec trois films étonnants. La bella gente (Les gens bien, tourné en 2009, sorti en France avec un joli succès critique et public, et seulement en août 2015 en Italie, à la suite d’une longue bataille menée par Ivano De Matteo lui-même) raconte l’histoire d’un couple bourgeois (incarné par Monica Guerritore et Antonio Catania) qui accueille, le temps d’un été, une prostituée ukrainienne (Victoria Larchenko) arrachée à son triste sort. Le film obtient une reconnaissance internationale grâce notamment à sa

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diffusion dans des festivals consacrés au cinéma italien : il remporte en 2009 le Grand Prix au Festival du cinéma italien d’Annecy en 2009, le Grand Prix du jury au Festival du film italien de Bastia et la mention spéciale du jury du Festival du film italien de Villerupt, en plus d’autres récompenses en France et ailleurs. Puis, en 2012, le mélodrame Gli equilibristi (Les équi- libristes) met en scène un père de famille (Valerio Mastandrea), à la fois héros et anti-héros, incarnation d’un individu lambda, spectateur et acteur de sa propre vie qui s’effondre, en proie aux difficultés économiques et sociales dans une lente descente aux enfers, sorte de via crucis symbolisant le parcours d’expiation du péché jusqu’à la résurrection finale. Présenté avec succès dans différents festivals dans le monde, il remporte une nouvelle fois l’adhésion du public, de la critique et des jurys professionnels ; Valerio Mastandrea, nommé aux dans la catégorie du meilleur acteur principal, repart en 2013 avec la précieuse statuette. Enfin, le troisième volet de cette trilogie sociale et sociétale est I nostri ragazzi (Nos enfants, avec Luigi Lo Cascio, Alessandro Gassman, Giovanna Mezzogiorno et Barbora Bobulova), adaptation du roman néerlandais d’Herman Koch Le dîner 2 et réflexion profonde sur certains maux de la société actuelle. Le succès est une nouvelle fois au rendez-vous dans les différents festivals où le film est présenté : il obtient le Prix Amilcar de la Critique au Festival de Villerupt en 2014, tandis qu’au Festivale di u filmu talianu (Festival consacré au film italien) d’Ajaccio de 2014, il s’adjuge – fait rare ! – les quatre prix de la compétition (Prix Serge Leca, Prix du public, Prix des lycéens, Prix du jury des étudiants de l’université de Corse). Cette même année, le Festival du cinéma italien d’Annecy consacre le travail du réalisateur en lui attribuant le prestigieux Prix Sergio Leone. Les trois derniers films d’Ivano De Matteo sont liés par certaines caractéristiques communes et sont construits sur le même schéma global : l’équilibre établi, la routine, le quotidien rodé se brisent toujours à l’arrivée d’un élément extérieur et inattendu, anodin mais aux conséquences tra- giques, produit directement ou indirectement par la société (une prostituée étrangère, un divorce, les nouvelles technologies). Les trois films du corpus sont trois versions d’un même rapport difficile à l’Autre, au Monde, à la société ; ils sont la radiographie d’une société malade. Ce cinéma appartiendrait au mouvement du « cinéma social » ou du « cinéma du réel » italien – écho, sans doute, du cinéma social britannique. De Matteo y insère la nécessité d’un questionnement sur le « Je », dans un

2. Il existe une autre version du livre sur grand écran, plus fidèle à la structure même du livre, signée du réalisateur néerlandais Menno Meyjes, The dinner (2013). Une nouvelle adaptation, dirigée par l’actrice Cate Blanchett, serait à l’étude.

Livre 1.indb 117 03/10/2016 14:30 118 Fabien Landron

environnement social et sociétal particulier : l’humain est, en effet, au centre du projet, dans et devant l’écran. Car l’« engagement » caractéristique du cinema d’impegno tient à la mise en scène d’un fait, d’une situation, d’une condition, au moyen de l’« outil cinéma », impliquant de facto un auteur, un récepteur, et la mise en place d’un processus distancié et didactique faisant de l’œuvre à la fois un « film militant » et un « film de militant », pour reprendre les notions explicitées par l’historien Marc Ferro 3. Ici, le spectateur, initialement passif, devient en quelque sorte un protagoniste du processus qui l’oblige à se questionner et à remettre en cause ses propres certitudes. Car « les gens bien », « les équilibristes » et les « enfants » des titres des films d’Ivano De Matteo sont aussi bien les individus représentés dans ses œuvres que les spectateurs rendus actifs et auxquels l’auteur transfère ses peurs et ses interrogations, grâce notamment à une construction minutieuse du récit cinématographique et de la mise en scène, à des effets de scénario et à une direction d’acteurs maîtrisée. Cette notion de film « politique » dans ses acceptions « sociale » et « sociétale » tient avant tout à un premier élément : la notion de réalisme permettant un renvoi à un réel auquel peut appartenir ou non le spectateur. Les milieux qu’Ivano De Matteo choisit de dépeindre sont minutieusement construits à l’écran, à la fois pour renforcer le contraste entre les classes sociales (La bella gente) et montrer que la crise, la tension, la rupture, peuvent finalement concerner indifféremment tous les milieux sociaux, qu’ils soient modestes (Gli equilibristi) ou aisés (I nostri ragazzi). Si, pour La bella gente, le réalisateur choisit comme cadre une grande propriété à la campagne, il « quitte », pour Gli equilibristi, la chaleur et la torpeur d’un été en Ombrie pour filmer une Rome urbaine, oppressante, triste, aux tons froids : un univers urbain, glauque et angoissant, qui renforce le drame qui se joue sous les yeux du spectateur et des scènes de vie quotidienne qui facilitent le processus d’identification. PourI nostri ragazzi, Ivano De Matteo retrouve l’ambiance cossue de La bella gente en s’intéressant de nouveau et avec une certaine ironie aux familles aisées de la capitale italienne.

Un cinéma de dénonciation Le renvoi au réel et la fonction dite « politique » sont accentués par l’insertion d’éléments sociétaux critiques dans la diégèse. Ainsi, dans La bella gente, il est question d’immigration et d’exploitation (par un système, par une mafia) de la misère humaine à travers la prostitution de jeunes femmes, le plus souvent étrangères, ou bien d’immigrés au service des plus riches et

3. M. Ferro, Cinéma et Histoire [1977], Paris, Gallimard, 2003.

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souvent méprisés. La question sous-jacente concerne surtout la distribution sociale et la solidarité impossible, l’excès de bonne conscience et l’échec des relations humaines et sociales. Toute intrusion ou toute invitation dans un univers ou une classe sociale autre que la sienne ne serait finalement pas autorisée. Gli equilibristi présente la ville et son univers (les voitures, les parkings, les rues) comme un élément essentiel au récit, avec un aspect « brut », minimal, qui n’est pas sans rappeler les caractéristiques du cinéma social et, encore une fois, sociétal, car il montre que le comportement vis-à-vis des autres est déterminé par la société. Les plans rapprochés sur le personnage du père accablé renforcent également l’idée d’une intimité partagée avec le spectateur, tout en soulignant l’idée de solitude du personnage. C’est parce que Giulio sort du cadre préétabli, de son rôle d’époux et de père de famille de classe moyenne, à cause d’une erreur ayant entraîné la séparation d’avec sa femme, qu’il est lentement, progressivement, rejeté, mis au ban. La société décrite dans Gli equilibristi semble interdire une deuxième chance aux personnes dont les revenus sont moyens : Giulio est délaissé petit à petit par le système, par tous ou presque (seule sa fille ne l’abandonnera pas). Le spectateur assiste alors à la désincarnation du personnage, en proie à la solitude, guidé seulement par l’instinct de survie, jusqu’à devenir une sorte de fantôme. Ivano De Matteo filme la Rome du travail au noir, celle du double travail dans des conditions éprouvantes ; la Rome des extracom- munautaires, des laissés-pour-compte, des SDF, de la misère ; un univers parfois méconnu, loin des appartements confortables et de la conscience des gens bien-pensants. Cette vision cauchemardesque rappelle, par exemple, la vision néo-réaliste de la société de Ladri di biciclette (Vittorio De Sica, 1948), comme réflexion chorale sur les dysfonctionnements d’un système et les injustices de la société. I nostri ragazzi engage dès le début du film une réflexion sur la violence présente dans notre société. La première séquence met en scène l’agressi- vité – verbale et physique – au volant, devant les yeux d’un enfant : suite à une banale dispute entre deux conducteurs, le ton monte, puis les choses dégénèrent, jusqu’à ce qu’un coup de feu parte. L’un des deux hommes est blessé mortellement ; son fils, resté dans la voiture, est grièvement blessé ; c’est un policier en civil qui a tiré. Ce début de film est volontairement choquant pour dénoncer le phénomène de la violence urbaine. Celle-ci prend rapidement un autre aspect dans le film, à travers les actes commis par les deux adolescents, Michele et sa cousine Benedetta, dite Benny. Et cette violence est, selon ce que montre le réalisateur, banalisée : les deux jeunes sont fascinés, amusés par de courtes vidéos mises en ligne sur un webzine montrant des gens qui se rouent de coups. Le film fait ici allusion

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à la responsabilité d’Internet, mais aussi, sans doute, à l’échec de l’éduca- tion familiale. Ce discours puise son inspiration dans une certaine réalité, assurée notamment par l’omniprésence des médias de masse et des réseaux sociaux, caractéristiques d’une société dite « hyperconnectée ». La télévision joue un rôle central dans le film : elle est au cœur du foyer familial (comme, d’ailleurs, dans la quasi-totalité des foyers italiens) ; le programme télévisé Chi l’ha visto ?, programmé sur la troisième chaîne du service public italien (RAI 3), apparaît comme un rendez-vous incontournable pour l’un des personnages. Dans la diégèse, l’élément « télévision » permet au spectateur et aux personnages d’apprendre la nouvelle de l’agression d’une femme sans domicile fixe par deux inconnus dans le quartier romain du Salario. Les deux agresseurs ont été filmés par une caméra de surveillance ; les images, très violentes, sont diffusées dans l’émission pour trouver des témoins et faire avancer l’enquête. La femme a été passée à tabac par un garçon et une fille ; elle est dans le coma. Le smartphone de Michele, les SMS échangés, la tablette numérique de Benny sont d’autres traces d’une société hyperconnectée qui, paradoxalement, contrarie les relations sociales tout en garantissant un accès permanent au monde à travers Internet et les réseaux sociaux. Ce sont surtout les effets, les conséquences de ce phéno- mène de l’hyperconnexion qui sont montrés comme étant problématiques. L’adolescent Michele en est l’exemple : en proie à un mal-être profond, il se désocialise, se marginalise. Dépendant aux nouvelles technologies (à son smartphone, à son ordinateur), il est en échec scolaire, s’absente souvent, fume, boit trop d’alcool, a un comportement inapproprié et violent. La banalisation de la violence, élément essentiel dénoncé dans le film, est mise en scène dans une séquence apparemment anecdotique : la mère de Michele éprouve des scrupules à ébouillanter un homard vivant ; Michele n’en a aucun et le jette sans regret dans la casserole. I nostri ragazzi est surtout un film sur une société contemporaine qui engendre des monstres ; personne n’est à l’abri car Internet et les réseaux sociaux sont partout. Et l’éducation n’arrive pas toujours à corriger les choses. Le milieu social non plus.

Une construction formelle et participative La construction formelle est au service du propos, dans une démarche visant à impliquer puis responsabiliser le spectateur, clairement invité à entrer dans l’intimité des familles présentées à l’écran. Dès le début du film La bella gente, la caméra semble « coller » aux personnages. Le fait de filmer caméra à l’épaule plonge le spectateur dans une impression de réalité, le rendant presque « spect’acteur », passant du statut d’observateur

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passif à celui de récepteur engagé dans une interaction inconsciente avec le réalisateur, une « participaction » 4 à travers l’objet filmique. Le rapport au spectateur est aussi mis en avant grâce au recours à la technique de la caméra subjective, qui remplace directement le regard du récepteur. La bella gente renferme plusieurs exemples. Par le jeu sur le regard et la subjectivité, le réalisateur délègue aux personnages la fonction d’observer pour mieux responsabiliser le spectateur. Ce procédé marque à la fois la distanciation (prenant en compte le point de vue du spectateur à travers l’écran) et la mise en abyme d’une situation pouvant toucher tout ou partie de l’instance spectatorielle. Celle-ci n’est-elle pas, d’ailleurs, glacée par le regard bleu acier de Nadja à la quatorzième minute de La bella gente ? L’effet est saisissant : le spectateur est mal à l’aise car il est le témoin passif de la souffrance et de la douleur de Nadja, jeune femme contrainte à la prostitution. Ce plan est à relier au très gros plan suivant sur le poing serré, manifestation de la souffrance du personnage. Le principe du filtre est également formalisé dans Gli equilibristi. Giulio travaille derrière une vitre, au guichet. Sa relation avec le monde est sym- boliquement problématique, car la vitre permet une forme de communi- cation avec l’autre, mais c’est aussi une barrière qui le sépare et l’isole, qui le rend à la fois acteur et spectateur du monde qui l’entoure. Le jeu sur la focale participe de ce mouvement. Par exemple, un même plan montre la photo de l’épouse de Giulio avec un de ses enfants d’un côté, puis Giulio, étendu sur le lit. Cet effet de mise en scène signifie que la rupture est déjà consommée ; la distance est formalisée, y compris à l’écran. Puis, comme pour accentuer ce principe, les personnages sont filmés dans le miroir : la distance symbolique qui sépare désormais le couple est marquée même à l’écran. On retrouve ce procédé à plusieurs reprises. Le filtre est aussi présent dans I nostri ragazzi, mais il revêt une autre fonction. C’est la télévision (et son écran) qui fait office de filtre, puisque la découverte du drame s’opère dans l’écran filmé (on retrouve d’ailleurs la mise en abyme). Mais le filtre, cette fois-ci audio, est aussi le babyphone grâce auquel l’avocat entendra les confessions inavouables des enfants. Pour ce dernier film, Ivano De Matteo choisit une mise en scène et en images plus esthétique (mais sans doute plus froide, plus distanciée), avec un jeu presque permanent sur les lignes et la profondeur de champ et une construction géométrique des plans.

4. Les termes « spect’acteur » et « participaction » sont empruntés à l’article relatif au festival de théâtre TransAmériques d’A. Vigneault, La Presse, 22 mai 2010 : http://www.lapresse.ca/ arts/spectacles-et-theatre/theatre/201005/22/01-4283013-transformer-lobservateur-passif- en-spect-acteur.php.

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L’écriture filmique, guide de la prise de conscience

En plus de l’image et du son, l’écriture filmique permet la manipulation du spectateur, dont le jugement est altéré par la narration et les stratagèmes scénaristiques, dans un processus inconscient dont il ne s’aperçoit généra- lement qu’à la fin du film, une fois l’opération de déstabilisation achevée. Dans La bella gente, Ivano De Matteo construit sa réflexion sur le rapport entre deux personnages féminins, Susanna, la femme mûre, et Nadja, une jeune fille (une enfant, presque) déguisée en femme prostituée. Leur rapport évolue tout au long du film, comme pour marquer la fragilité des concepts d’humain et d’inhumain, d’humanité et d’inhumanité : le personnage de Nadja, déshumanisé au début, s’humanise (s’incarne, littéralement) puis se déshumanise ; a contrario, Susanna, humanisée au début, se déshumanise ou plutôt – osons le néologisme – « s’inhumanise » : opérant un virage à 180 degrés, elle devient inhumaine selon l’acception morale du terme. Le personnage de Susanna a pourtant, au départ, toutes les caractéristiques d’une héroïne positive : humaine, touchée par le triste sort de la jeune Ukrai- nienne, elle semble incarner l’action face à l’immobilisme et à l’hypocrisie des autres (son mari, ses amis, la société tout entière ?). Or le kidnapping (filmé dans une séquence d’une grande violence) qu’elle organise pour arracher Nadja à un triste sort apparaît comme un acte courageux. Le film présente également plusieurs personnages secondaires, souvent caricaturaux, qui servent à souligner les prétendues qualités humaines de Susanna ou bien l’incompatibilité sociale évidente entre les représentantes de deux classes opposées : le couple d’amis, « nouveaux riches » un peu grossiers, qui ont de l’argent et le montrent ; le fils d’Alfredo et Susanna, Giulio, et sa petite amie Flaminia, qui ne partagent pas le point de vue de Susanna. Le mépris que Flaminia affiche envers Nadja est une manifestation de sa jalousie vis- à-vis d’une jolie jeune femme, rivale potentielle. Elle ne se trompe d’ailleurs pas à ce sujet. En effet, une idylle naît entre Giulio et Nadja, qui trouve en lui un nouvel espoir : elle se laisse aller à la sincérité d’un jeune homme sympathique et enfin attentionné qui, inévitablement, la délaisse à son tour. Le personnage de Giulio, quand il affirme « Vous allez mal. Vous allez tous mal » (« Voi state male. State tutti male »), incarne une sorte de conscience extérieure, se faisant l’écho d’éventuelles observations du spectateur qui assiste à l’opération de mutation des consciences des personnages. L’impression positive du personnage de Susanna (aux yeux, toujours, des spectateurs) est corroborée par les intentions que le réalisateur lui prête : ignorant le danger auquel elle l’expose de facto, elle promet à la jeune fille une vie enfin normale (un travail, un titre de séjour ; de nouveaux vêtements ; de la bienveillance à son égard, etc.). Mais la belle histoire se

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transforme en cauchemar, et les sauveurs… en monstres. Ce changement d’état et de comportement est lent, insidieux, tout en nuances et en subtilité. Le confort et l’équilibre de la vie familiale se délitent petit à petit, jusqu’à ce que la situation initiale se renverse totalement : Susanna, craignant la menace d’un bouleversement dans sa propre vie, considère désormais Nadja comme un danger. La gradation, de l’agacement à l’agressivité, atteint son climax à quelques minutes de la fin du film. Susanna veut se débarrasser (littéralement) de Nadja en la plaçant dans un centre adapté à Rome ; ce que Nadja refuse. Susanna la jette donc hors de chez elle. Alfredo la laisse à la gare, une enveloppe d’argent à la main, pour se donner bonne conscience. L’exemple du personnage de Nadja illustre l’idée de circularité dans la construction et l’écriture du film. Dans les premières séquences, elle arbore un maquillage outrancier et inapproprié, porte des vêtements de prostituée. Quand elle accepte la proposition du couple, elle s’abandonne au plaisir de l’eau, du bain. Elle efface son maquillage, ôte sa carapace et redevient celle qu’elle était, sans aucun artifice : une jeune femme au sortir de l’adolescence, dans une sorte de renaissance, de baptême. Et elle sourit enfin. La boucle opérée par le film vis-à-vis de la condition fermée et sans issue de Nadja prend tout son sens, bien sûr, à la fin du film. C’est la fin de l’été et la fin de la journée (l’idée de fin d’un cycle est ici reprise). Nadja est seule sur le quai de la gare. Elle sort son rouge à lèvres et son miroir de poche, symboles de son appartenance à la communauté des faibles et signes de la prostituée qu’elle était au début du film (elle ne les a, finalement, jamais abandonnés). Elle se remaquille, attache ses cheveux en queue-de-cheval. Elle a retrouvé son regard dur, froid, inhabité ; ses gestes sont machinaux, robotisés. Elle reprend sa vie d’avant et sort du champ. Le film se termine non pas sur cette séquence, mais sur le retour d’Alfredo auprès de son épouse : leur vie reprend comme si rien ne s’était passé. Le film se conclut sur un plan fixe sur la porte de leur maison qui se ferme. La caméra reste à l’extérieur, comme Nadja, comme le spectateur. La brutalité d’un cut entraîne le générique de fin. La circularité du film condamne les personnages et annihile toute possibilité d’échappatoire, au sens propre comme au figuré. Après le générique de fin, un dernier plan fixe, volontairement flou, montre le train qui quitte la gare, sans indiquer au spectateur si Nadja se trouve à bord. Dans I nostri ragazzi, Ivano De Matteo recourt de nouveau au procédé de lente transformation des personnages, dont le traitement est particuliè- rement soigné, pour mieux « manipuler » le récepteur. Au début, le spec- tateur se place du côté d’un des frères (dont les fonctions et les caractères contradictoires sont utilisés à dessein) mais un lent changement de point de vue s’opère pendant le film, et jusqu’à la fin.

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Le problème éthique posé au début est symbolisé par la position morale de chacun des personnages vis-à-vis de l’épisode relaté dans la première séquence du film – peut-on ou doit-on agir selon la Loi et s’en remettre à la Justice d’État, ou faut-il agir selon des considérations humaines, voire religieuses ? Pour l’avocat, chaque individu a droit à une défense, et à un procès, quel que soit l’acte commis. Pour le pédiatre, prendre la défense d’un assassin pose nécessairement un problème de conscience. Le spectateur, indirectement et inconsciemment, se place d’un côté ou de l’autre, prend parti, s’interroge. Face au drame qui touche directement les familles des deux frères, les positions éthiques et morales des personnages – en même temps que celles des spectateurs – vont évoluer, jusqu’à s’inverser à la fin du film. L’un des nœuds du film est la séquence de la discussion entre les deux frères au bord de la mer : si l’avocat pense bien que les auteurs du crime envers la femme SDF sont Benny et Michele, Paolo ne veut pas y croire. Le dilemme est marqué à l’écran par le changement de focale et le jeu sur la mise au point. Le choix problématique de la décision se joue aussi lors de la confrontation entre les deux couples : ils ne sont pas d’accord et doivent réfléchir à la marche à suivre, à la conduite à adopter. En parallèle, les cou- pables, à tout point de vue, sont et restent les adolescents : ils acquièrent, toujours aux yeux des spectateurs, définitivement leur statut de monstres dans la séquence de la révélation : grâce à un flash-back, le spectateur découvre les images du passage à tabac. Cette scène, d’une grande violence, est difficile à regarder et doit susciter l’émoi. L’émotion est renforcée par l’attitude des personnages de Benny et Michele, qui rient de leur acte. Le délitement des rapports entre les personnages et la fracture de l’équilibre initial est symbolisé à l’écran par un remarquable effet de mise en scène. Tout se passe dans l’appartement de l’avocat, aux murs blancs. Des lignes rouges épaisses, selon l’angle de prise de vue, s’unissent jusqu’à former un rectangle parfait encadrant Benny : l’équilibre familial encore intact. Or, lorsque l’équilibre initial est rompu, le cadre formé à l’écran se défait. Plus tard encore, il est totalement brisé : l’équilibre est irrémédiablement perdu. Pour Gli equilibristi, le procédé retenu par Ivano de Matteo est quelque peu différent dans la forme, le traitement. Car le principe de départ est respecté : il filme les effets, les conséquences d’un acte, d’un geste dont le traitement à l’écran est furtif, presque anodin. L’élément déclencheur, celui qui causera le déséquilibre, est montré très furtivement dès les premières secondes du film. La caméra promène le spectateur entre les rayons d’une salle de stockage de dossiers ; dans un coin, un homme et une femme ont un rapport sexuel, debout, sans chaleur, sans amour, sans sensualité. C’est un plan-séquence bref, entre deux intertitres du générique de début. Car Gli equilibristi n’est pas un film sur la trahison, mais sur les conséquences

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humaines d’un acte. De la même façon, Ivano De Matteo choisit de ne pas alourdir le film en s’attardant sur les discussions liées à la séparation. Le traitement, du point de vue filmique et scénaristique, est neutre, factuel. Dès lors, le spectateur n’a pas besoin de formuler un jugement sur l’acte commis par le protagoniste. De la même façon, pour éviter de verser dans des dialogues larmoyants et interminables, Ivano De Matteo substitue ingé- nieusement à la parole l’image et la musique de Francesco Cerasi, comme des ellipses instrumentales, lorsque Giulio doit, par exemple, annoncer la séparation à ses enfants.

L’empathie, un outil au service du message Pour impliquer le spectateur, Ivano De Matteo recourt à l’induction – d’un sentiment, d’une idée – à partir d’une situation. Dès lors, le rapport film- spectateur se base sur l’émotion, à partir de la souffrance des personnages, victimes, exclus, ou marginaux. Pour autant, et conformément au genre du mélodrame, on y retrouve parfois un peu de légèreté à travers l’humour grinçant et pince-sans-rire du personnage principal, comme pour désamorcer le drame latent ou, peut- être, pour le souligner, par effet de contraste. C’est aussi aux personnages secondaires que le metteur en scène délègue ces fonctions : le collègue bègue, le livreur de pizzas qui confond les rues Leopardi et Pascoli, le domestique philippin, une vieille dame, la réceptionniste de la pension Serena ou encore le Chinois de l’atelier clandestin « dé-dramatisent », en créant des sortes de virgules comiques. C’est aussi, peut-être, une façon de signifier que la critique sociale et sociétale, pourtant au cœur du propos, n’est pas l’unique caractéristique du film, mais, pour reprendre les propos de Franck Fischbach, « une fonction du cinéma parmi toutes celles qu’il possède par ailleurs, comme par exemple les fonctions de divertir, d’effrayer, d’instruire, de convaincre, etc. Et […] qui n’est pas exclusive d’autres : un même film peut parfaitement posséder à la fois la fonction de la critique sociale et la fonction de divertir, voire de faire rire de sorte que, contrai- rement à un préjugé bien ancré, un film de critique sociale peut n’être pas nécessairement un film sérieux, voire ennuyeux » 5. Ce phénomène d’empathie envers le personnage-victime est bien entendu présent dans La bella gente, quand le personnage de Nadja, à la huitième minute, semble presque regarder le spectateur dans les yeux, comme pour le solliciter, ou quand ce dernier, en proie au malaise et à la compassion, est amené à s’interroger sur l’avenir de Nadja et sur le

5. F. Fischbach, La critique sociale au cinéma, Paris, Vrin, 2012, p. 39.

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comportement de Susanna. Mais c’est surtout dans le drame Gli equilibristi que le procédé est exploité. Le spectateur s’attache au personnage de Giulio. Même s’il est fautif de sa situation (c’est lui qui trompe sa femme – c’est, du moins, ce que le réalisateur veut nous montrer), il n’en reste pas moins un père de famille exemplaire, généreux et doté du sens du sacrifice : il aide ses enfants à faire leurs devoirs, il les borde au coucher, se sacrifie pour permettre à sa fille de partir en voyage à Barcelone et à son fils de recevoir des soins dentaires. C’est pourtant sur lui que le piège de l’injustice sociale se referme. Les problèmes d’argent arrivent vite, car il faut entretenir la vie de la famille et sa propre vie. Tout se délite lentement, jusqu’à l’humiliation devant son fils et son camarade à la fête foraine : une séquence qui rappelle une nouvelle fois la construction du film Ladri di biciclette et la scène finale sur le rapport père-fils. L’impuissance du personnage face à une société qui l’accable et l’injustice d’une vie qui le pousse presque au suicide sont des ressorts que le metteur en scène (et la scénariste) utilisent pour toucher le spectateur : le processus d’empathie et de compassion fonctionne pleinement. La tension progressive « explose » lors de la scène finale du film : alors que la femme et la (sa) fille de Giulio le cherchent dans les rues, prenant conscience de son calvaire, elles assistent (en même temps que le spectateur) à sa tentative supposée de suicide à l’arrivée du tramway, dans une séquence de grande tension dramatique. Grâce à un habile jeu de montage, le spectateur ne sait pas si le tram le percute. Le tram s’est finalement arrêté. Un long gros plan sur Giulio marque sa prise de conscience vis-à-vis de son geste. Son téléphone sonne, il répond et sourit : il revient à la vie. Ivano De Matteo, contrairement aux deux autres films de la trilogie, choisit de terminer ainsi le film, pour éviter l’insupportable drame ou le questionnement. Alors, bien sûr, ce recours à l’empathie peut être considéré comme une concession accordée aux films les plus commerciaux : oui, Gli equilibristi peut être considéré comme « lacrymal » ou « larmoyant ». Mais derrière ces facilités scénaristiques, sans doute doit-on voir le choix de réaliser un film de genre (ici, le mélodrame), pour toucher les masses, en y intégrant une fonction de critique sociale et sociétale où la prise en compte du récepteur est inévitable. Dans ce cas, le film est considéré comme un outil, au service de la réflexion sociale. Franck Fischbach pose d’ailleurs la question du lien entre le genre et la fonction sociale d’un film :

Il est certes vrai que tout film exprime quelque chose de la société, aussi bien de celle qu’il montre à l’écran que de la société dans et pour laquelle il est écrit, tourné et produit, et cela, même quand son objet explicite n’a rien à voir avec la société. À quoi s’ajoute que, de tous les arts, le cinéma est

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certainement le plus social, au sens où il est parmi les plus immédiatement inscrits dans la société, à la fois parce que certains films atteignent dans un temps très bref un public extrêmement large qu’aucune autre œuvre d’art n’a jamais pu atteindre, et parce que la réalisation et la production d’un film sont en eux-mêmes des processus entièrement sociaux et économiques 6.

Si le cinéma est « social », la prise en compte du récepteur est inévitable. Et dans les films d’Ivano De Matteo, c’est bien le spectateur qui est au cœur du projet, l’obligeant à s’interroger, l’impliquant dans un processus digne du cinema d’impegno. Pour autant, la trilogie soci(ét)ale de De Matteo a-t-elle une visée subversive ? Il serait sans doute hasardeux de l’affirmer. Néanmoins, la projection des films en salle a provoqué systématiquement un débat, et ce, à deux niveaux. Le débat est d’abord intérieur, car les films de De Matteo provoquent une foule d’interrogations qui remettent en question nos certitudes et notre conscience d’individu et de citoyen ; d’autre part, les films provoquent le débat avec nos voisins dans la salle, comme pour répondre à la question posée par Alberto dans La bella gente, « De quel côté es-tu ? » (« Da che parte stai ? »). Cette question, finalement, pourrait très bien s’adresser à chacun des membres de la communauté des spectateurs. Parmi les trois films de notre corpus, celui qui a sans doute provoqué le plus de débats est I nostri ragazzi. La séquence finale du dîner entre les quatre adultes aux avis contradictoires est exemplaire : Paolo dit à son frère, avant de quitter le restaurant : « Je vais te tuer pour de bon » (« Io t’ammazzo sul serio »). L’avocat et sa femme sortent du restaurant ; sa femme retourne à l’intérieur pour chercher son sac à main qu’elle a oublié. Soudain, hors champ, on entend le bruit d’une voiture qui accélère, freine et percute quelque chose ou quelqu’un. Le spectateur ne voit rien ; le réa- lisateur décide de ne rien lui montrer, sauf un gros plan sur la femme de l’avocat qui se retourne, choquée. Un cut brutal annule tout espoir de voir le film se conclure. Le spectateur reste seul avec ses interrogations et avec sa conscience : le débat démarre automatiquement, et la volonté d’extérioriser ses impressions aussi.

Conclusion Les films d’Ivano De Matteo donc bousculent, dérangent, émeuvent… Objets de critique « soci(ét)ale », à la fois films d’auteur(s) et de divertis- sement, ils ont pour fonction de remettre en question les certitudes et les acquis, de susciter le débat au sein de la communauté des spectateurs en

6. F. Fischbach, La critique sociale au cinéma, p. 9-10.

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permettant une réflexion sur le monde qui l’entoure, à partir de procédés narratifs et de mise en scène propres au cinéma. Ainsi, Ivano De Matteo s’impose dans le cinéma des années 2000 comme un des héritiers des Maîtres du cinéma engagé italien. On retrouve dans ses films le rapport au Monde et la dénonciation de ses maux, déguisée ou non, tels que les évoquaient des réalisateurs comme, par exemple, Vittorio De Sica pendant les années du néo-réalisme, puis, plus tard, Francesco Rosi et, d’une certaine façon, Ettore Scola. En effet, certains personnages des films de notre corpus sont « affreux, sales et méchants » comme les personnages du film de Scola (Brutti, sporchi e cattivi), tandis que d’autres, rappelant les protagonistes des œuvres nées de la collaboration entre Vittorio De Sica et Cesare Zavattini comme Le voleur de bicyclette et Umberto D., sont les victimes d’une société individualiste. Le cinéma de De Matteo est donc un condensé de l’héri- tage des différentes modalités de l’engagement à travers l’œuvre filmique. Néanmoins, il reste l’auteur d’un cinéma novateur à l’identité propre et en phase avec son époque. Dans une démarche originale, engagement d’un individu et d’un artiste, le cinéaste livre dans ses œuvres une réflexion sur l’Italie et les Italiens et, plus largement, sur l’humain, à la manière d’un « néo-néo-réaliste » dont les films seraient des instruments permettant une lecture chorale et critique du monde qui nous entoure. Voilà pourquoi La bella gente, Gli equilibristi et I nostri ragazzi appartiennent assurément à la veine politique et engagée du cinéma italien contemporain.

Fabien Landron UMR CNRS 6240 LISA Université de Corse Pascal Paoli

Livre 1.indb 128 03/10/2016 14:30 Le berlusconisme dans La grande belleza de Paolo Sorrentino

Résumé : Paolo Sorrentino a déclaré que la Rome de La grande bellezza (2013) constitue une « première, timide, phase d’approche » au personnage « Berlusconi ». Cette pré- sente étude vise à corroborer ce jugement en faisant ressortir la dimension politique que revêt ce film maintes fois primé, une dimension qui peut paraître occultée sous la luxuriance sublime des images savamment orchestrées et sous une trame apparente qui met au premier plan la crise existentielle d’un sexagénaire mondain et dissolu. Loin d’être « timide », la « phase d’approche » s’avère au contraire bien engagée dans la représentation symbolique et baroque du « berlusconisme », entendu au sens large comme phénomène social. Riassunto : Paolo Sorrentino dichiarò che la Roma della Grande bellezza (2013) costituiva una « prima, timida, tappa di avvicinamento » al personaggio « Berlusconi ». Questo studio intende corroborare quest’affermazione mettendo in luce la dimensione politica inerente a quest’opera pluripremiata, una dimensione che può sembrare velata sotto la sublimità lussureggiante delle sue immagini accuratamente orchestrate e sotto una trama apparente che mette in primo piano la crisi esistenziale di un sessantenne mondano e dissoluto. Lungi dall’essere « timida », la « tappa di avvicinamento » risulta al contrario impegnata nella rappresentazione simbolica e barocca del « berlusconismo », inteso in senso lato come fenomeno sociale.

Lors d’une soirée entre amis, des personnages de La grande bellezza discutent de ce qui oppose « i film di sentimenti » et « i film d’impegno civile » 1 ; leur discussion suggère par un effet de mise en abyme la nature ambivalente du film. Car si l’engagement est bien le « fait de prendre parti sur les problèmes politiques ou sociaux par son action et ses discours » 2, celui de Sorrentino dans La grande bellezza n’est pas inscrit explicitement dans la trame du film, mais ressort à travers un réseau de scènes, d’images allégoriques ou symboliques. Le synopsis du film est en effet centré sur un personnage en pleine crise existentielle, en proie à des nostalgies du

1. P. Sorrentino, La grande bellezza, DVD, 2013, Warner Bross Entertainment Italia, 45:36. 2. Cette définition est celle du Larousse.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 129-144

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passé et des nostalgies de pureté qui contrastent avec sa vie mondaine, frivole et dissolue ; et le film raconte comment, à travers une série d’évé- nements et leurs répercussions sur la psyché du protagoniste, celui-ci finira par surmonter la crise. La richesse du film cependant ne réside pas tout entière dans la manière subtile et profonde avec laquelle est donné à voir le cheminement intérieur du protagoniste ; cette richesse réside tout autant dans le cadre humain général (de pays, de société, d’époque) dans lequel ce cheminement individuel vient se découper. Et c’est précisément dans ce cadre humain général que s’exprime au mieux, mais comme en arrière-plan, l’engagement de Sorrentino, et notamment le rapport que le film peut entretenir avec le berlusconisme. Il nous apparaît en effet indéniable que l’inspiration de Sorrentino a été marquée par ce qu’on appelle désormais le « ventennio berlusconiano » 3 et même, plus spécifiquement, par certains traits typiques du « berlusconisme », entendu non pas seulement comme méthode politique mais plus largement, selon une définition du dictionnaire Treccani, comme « [i]l movimento di pensiero e il fenomeno sociale e di costume suscitato da Silvio Berlusconi e dal movimento politico da lui fondato » 4. Notre sentiment de spectateur s’est vu corroboré par certaines recensions du film : pour le journal belge Le soir, La grande bellezza est « La dolce vita, version post-Berlusconi » 5, tandis que pour le journal australien The Sydney Morning Herald ce film est « La dolce vita for the Berlusconi era » 6. Sorrentino lui-même a fait des déclarations significatives dans ce sens lors d’une interview pour la revue L’Uomo Vogue qui l’invitait à parler de la politique italienne :

Sorrentino – Il cialtrone disonesto è decisamente interessante, pur non coin- cidendo con l’interesse del paese. L’Uomo Vogue – Va bene, allora pronuncio io il nome : Berlusconi. Sorrentino – Berlusconi è talmente interessante che faccio fatica ad avvici- narmici. Ha un tasso di complessità e di imprevedibilità che richiederebbe anni di lavoro. Forse la Roma de La grande bellezza è una prima, timida tappa di avvicinamento. Sarebbe bellissimo pensare a un approccio diretto alla faccenda. Occorrerebbe una riflessione accurata, mai pensato di ridurlo

3. À l’instar du journaliste Enrico Deaglio, qui publie en 2014 un ouvrage à mi-chemin entre l’essai et le recueil d’interviews, Indagine sul Ventennio, Milan, Feltrinelli, 2014. 4. Vocabolario Treccani, http://www.treccani.it/vocabolario/berlusconismo/. Consulté le 25 septembre 2015. 5. Le soir, 25 septembre 2013 : http://www.lesoir.be/325886/article/culture/cinema/2013-09-25/ dolce-vita-version-post-berlusconi. Consulté le 25 septembre 2015. 6. The Sydney Morning Herald, 22 janvier 2014 : http://www.smh.com.au/entertainment/ movies/life-among-italys-ruins-20140122-318zw.html. Consulté le 25 septembre 2015.

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a un fenomeno da baraccone. È sfaccettato e complesso più di chiunque altro. Da maneggiare con cura 7.

Le réalisateur confirme ici un intérêt pour la politique qui l’avait conduit à réaliser Il divo (2008), tout entier consacré à Giulio Andreotti, leader historique et controversé de la Démocratie chrétienne. Si La grande bellezza n’est pas un film directement politique, il est nécessaire de comprendre en quoi il constitue, aux dires du réalisateur, une « première […] phase d’approche », et jusqu’à quel point celle-ci est « timide ». Nous analyserons tout d’abord la manière dont La grande bellezza donne à percevoir ce qui est communément dénommé par « fin des idéo- logies » (en prenant le terme d’idéologie dans une acception large), car c’est dans cette « fin » que s’impose le berlusconisme. Nous étudierons ensuite la manière dont Sorrentino, consciemment ou non, évoque ce « phénomène social » qu’est le berlusconisme, né d’un vide idéologique.

La « fin des idéologies » Si l’idée d’une « fin des idéologies » est sujette à débat (puisqu’on peut penser qu’il est impossible de sortir de l’idéologie), l’expression nous est utile car elle sert communément à nommer une sorte de vide (relatif), qui aurait suivi d’une part le processus de « sortie de la religion » qui caractérise depuis deux siècles un certain nombre de pays occidentaux, et d’autre part l’écroulement de l’empire soviétique et conséquemment du communisme en Europe. Adriano Sofri rappelle ainsi le lien qui unit l’avènement du berlusconisme et le contexte historique général de l’Europe : « Certo che con i tempi [Berlusconi] ha avuto a che fare, e questa è una tautologia. I tempi, in Europa, erano quelli in cui finalmente l’impero sovietico crollava in modo incruento […] mentre a Occidente era finita, sfinita, l’idea fiduciosa di poter cambiare il mondo attraverso una solidarietà collettiva » 8. Sofri voit dans le début des années 1990, pour la génération protestataire des années 1960, « l’età del disincanto e della ricostruzione delle carriere » 9. Les raisons de l’avènement du berlusconisme ne se limitent donc pas aux scandales de corruption révélés par l’opération « Mani pulite » en 1992 qui ont anéanti le Parti socialiste italien et la Démocratie chrétienne.

7. L’uomo Vogue, http://www.vogue.it/uomo-vogue/cover-story/2014/01/paolo-sorrentino. Consulté le 25 septembre 2015. 8. « Quando gli italiani diventarono cattivi – Il Ventennio visto dalla galera », in E. Deaglio, Indagine sul Ventennio, p. 102. 9. Ibid.

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Dès l’ incipit Ce contexte de « fin des idéologies » est rappelé de façon récurrente dans le film où s’entremêlent l’évocation des idéologies communistes et l’évocation du catholicisme, au fil des séquences ou bien dans une même séquence, comme c’est le cas pour la séquence initiale du film, située sur le Janicule. Le choix du Janicule comme lieu introductif répond à des considérations esthétiques (montrer la beauté de Rome, offrir une vue panoramique de la Ville Éternelle) mais aussi politiques, car le Janicule présente des symboles physiques des deux idéologies en question. Le coup de canon qui ouvre le film, instrument narratif spectaculaire qui remplace les traditionnels trois coups du théâtre, évoque le pouvoir papal puisqu’il est un rite institué par Pie IX en 1847 pour permettre aux cloches romaines de sonner à l’unisson. Un autre versant idéologique, politiquement orienté à gauche, est suggéré dans les images successives de statues : celle de Garibaldi à cheval, aux pieds de qui un homme (barbu comme un Carducci) se recueille avec dévotion ; puis deux bustes de patrioti du Risorgimento dans le jardin du Janicule, celui d’un garibaldien, le général Avezzana, celui de Gustavo Modena, patriote mazzinien et homme de théâtre qui écrivit des pièces politiquement engagées. Le buste de Gustavo Modena (le premier buste qu’on voit, en gros plan) pourrait constituer une sorte de clin d’œil méta-narratif renvoyant à l’idée de spectacle mais aussi à celle d’un art engagé. Un travelling mène le spectateur un peu plus loin sur le Janicule, vers un nouveau symbole de la papauté, la Fontana dell’Acqua Paola, commanditée par Paul V en 1608, dont sont montrées les armoiries.

Le communisme Sorrentino aborde plus frontalement la question des idéologies commu- nistes dans deux moments du film. Le premier présente la performance puis l’interview d’un étrange personnage, Talia Concept 10, une artiste illuminée dont la performance consiste à courir sur une sorte de route factice jusqu’à s’écraser contre un pilier du Parc des Aqueducs, à côté de Rome, et se blesser le crâne jusqu’au sang. L’ironie de Sorrentino vise les prétentions et le pseudo-mysticisme de certains artistes contemporains et en particulier de l’Art corporel, Talia Concept (dont le nom évoque le fait de couper – « tagliare » – les concepts) étant une sorte de double d’artistes fameuses du Body art comme Ana Mendieta ou Marina Abramović.

10. P. Sorrentino, La grande bellezza, 18:49-22:12.

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Mais la signification du happening paraît toute politique ; Talia Concept porte inscrit sur son pubis un blason du communisme, la faucille et le mar- teau. Dès lors, la route qui mène droit dans un mur renvoie à l’effondrement de l’URSS et au déclin de l’idéologie communiste. Le lieu choisi pour la représentation est hautement significatif d’un point de vue cinématogra- phique et politique ; il constitue un de ces liens forts que La grande bellezza tisse avec La dolce vita de Fellini et notamment son incipit, où une statue du Christ portée par hélicoptère longeait justement le Parc des Aqueducs. Fellini introduisait de cette manière le thème de la sécularisation, à savoir le déclin de la religion comme moteur social dominant, le décalage entre les symboles (religieux) que se donne une société et la vie réelle des individus (en l’occurrence, le journaliste Marcello) 11. Sorrentino utilise le Parc des Aqueducs de façon symétrique pour dire lui aussi le déclin d’une idéologie – mais d’une idéologie symétriquement « opposée » au christianisme – et l’aqueduc romain, signe d’un temps révolu, se prêtait bien à la symboli- sation du déclin. On notera enfin que cette séquence sur la « fin du communisme » est liée sur un plan formel à la séquence qui la précède, centrée sur l’enfance et la religion : Jep Gambardella y contemplait depuis sa terrasse des enfants qui jouaient dans un jardin avec une religieuse toute de blanc vêtue – or les motifs de la religion, de l’enfance et le vêtement blanc se retrouvent au début de la séquence sur Talia Concept, puisque deux jeunes filles, dans des robes blanches qui les font paraître angelots, bandent les yeux de l’artiste d’une gaze également blanche. Toutes ces figures et ces gestes sont dotés par Sorrentino d’une valeur symbolique : le voile pour indiquer l’aveugle- ment ; les angelots pour suggérer la dimension religieuse qui caractérise le messianisme communiste – une dimension religieuse qui touche plus largement les grandes idéologies du XXe siècle comme l’a bien montré, entre autres, l’historien Emilio Gentile 12. L’autre scène qui aborde explicitement le communisme 13 est celle où Jep ébranle les certitudes de Stefania, une riche quinquagénaire sûre d’elle- même et de ses choix, mais en réalité pleine de contradictions. Stefania critique les jeunes générations qui selon elles manquent « d’impegno civile » et elle évoque son propre engagement civique et politique, les occupations

11. Le critique Freddy Buache, au sujet de la religion dans La dolce vita, évoque le « divorce d’une société et de ses signes, [l’]impossibilité du dialogue » (F. Buache, Le cinéma italien d’Antonioni à Rosi, Yverdon, La Thièle, 1969, p. 76). 12. E. Gentile, Le religioni della politica. Fra democrazie e totalitarismi, Rome – Bari, Laterza, 2001. 13. P. Sorrentino, La grande bellezza, 44:27-49:42.

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de lycées dans sa jeunesse, ses « undici romanzi d’impegno civile e il [suo] libro sulla storia ufficiale del Partito [comunista] ». Stefania défend l’art engagé ; elle pense, comme l’explique une autre convive, Dadina, qu’un romancier engagé « ha una sorta di vantaggio, diciamo di salvacondotto rispetto a un romanziere che si occupa […] di sentimenti ». Jep démonte une à une toutes les certitudes de Stefania, notamment sa prétention à être une femme et une artiste engagée : son « Histoire du Parti » a été écrite moins par vocation que parce qu’elle était la maîtresse du chef du parti ; ses romans ont été publiés par une maison d’édition subventionnée par le Parti et promus par de petits journaux proches du Parti. La satire vise ici la tendance radical chic, celle de ces bourgeois qui se donnent bonne conscience par un engagement politique de façade. La scène participe à sa manière de l’idée d’un déclin de l’engagement communiste, déclin moral ici puisque cet engagement n’est pas sincère.

La religion Le film suggère de manière analogue une désaffection nostalgique pour cet autre « grand récit » (pour reprendre la terminologie du philosophe Jean-François Lyotard), celui du catholicisme. Jep est d’un côté attiré par plusieurs figures religieuses présentes dans le film : les jeunes religieuses d’un institut 14, la sœur jouant avec des enfants 15, figures qu’il contemple de loin ; mais surtout le cardinal Bellucci et le personnage de la « Santa », une sorte de Mère Teresa centenaire qui occupe plusieurs séquences dans le dernier tiers du film. Mais cette fascination est précisément celle d’un individu qui n’a pas la foi et ne peut considérer ces figures religieuses qu’avec distance, même nostalgique. Sorrentino poursuit ici le thème du rapport problématique à la religion ou à la spiritualité tel que Fellini l’avait développé dans La dolce vita et dans Otto e mezzo. La modernité occiden- tale est caractérisée précisément par la possibilité reconnue et largement pratiquée de ne pas croire et de ne pas vivre selon les dogmes d’une reli- gion ; et Sorrentino suggère tout au long du film précisément ce rapport problématique et distancié à la religion. Ce rapport ambivalent s’illustre avec la figure du cardinal Bellucci : s’il fascine Jep au point que celui-ci le sollicite personnellement et lui fait entendre son désarroi existentiel, le cardinal se comporte par ailleurs comme un homme mondain obsédé par la bonne chère.

14. P. Sorrentino, La grande bellezza, 13’29-14’33. 15. Ibid., 18’20-18’45.

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Sur la question du religieux, il conviendrait de citer également la série d’images qui vient s’intercaler entre la scène où Jep dénonce les mensonges de Stefania et une scène où l’on voit cette même Stefania, à son retour chez elle, « tomber » dans sa piscine, sombre et décontenancée 16. Cette série d’images correspond à des personnes que Jep croise ou entrevoit un instant au cours d’une déambulation nocturne : d’un côté, une femme musulmane voilée, en gros plan, de face, puis vue à côté de son mari qui mange au restaurant tandis qu’elle reste à ses côtés sans manger et sans bouger ; de l’autre des figures de femmes occidentales libérées, mais affectivement seules (une, d’une maigreur anorexique, promène un gros chien en laisse ; une autre est séparée d’un homme par une baie vitrée ; une autre encore dans une riche voiture se tient aux côtés d’un homme, probablement son compagnon, froide et détachée). Ces images valent comme illustrations et suggestions en lien avec le discours de Stefania sur sa condition de femme moderne, soi-disant libérée et épanouie dans sa vie de famille et dans sa vie professionnelle – mais elles valent également, et plus largement, comme allusions politiques à des sociétés que différencie fondamentalement le rapport à la religion, sécularisé dans un cas et pas dans l’autre. Le rapport distant de Jep au communisme et plus largement à l’enga- gement social ou politique, comme le rappellent ses amis 17, et son rapport distant à la religion renvoient au déclin des deux grands « récits » idéolo- giques, déclin qui a sans aucun doute favorisé le triomphe du berlusconisme. Et c’est précisément dans ce climat de doute et de distance par rapport à ces idéologies que sont présentés dans le film des personnages et des scènes qui renvoient à des traits saillants du berlusconisme.

Facettes du berlusconisme Pour le psychanalyste Massimo Recalcati, ce qui sépare Berlusconi de Mussolini et de tous les leaders totalitaires du siècle dernier est

la completa assenza di credenza ideologica. Egli non ha raporti con una Causa che lo supera (la Causa della Storia, della Razza, della Natura ecc.) perché è identificato totalmente alla propria di causa, cioè quella relativa all’affermazione del proprio Ego come monarca assoluto 18.

Et Recalcati de préciser l’extension du phénomène :

16. Ibid., 49’43-50’06. 17. Ibid., 44,57’. 18. M. Recalcati, « Oltre il Duce, verso la perversione », in E. Deaglio, Indagine sul Ventennio, p. 147.

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Il berlusconismo è stato molto più di un fenomeno politico. Non si sovrappone con le vicende partitiche di Forza Italia e nemmeno con quelle della destra e del centrodestra italiano. È qualcosa di più esteso, capillare, invasivo che non coincide temporalmente nemmeno col Ventennio che ha visto come protago- nista il personaggio e l’azione politica e di governo di Silvio Berlusconi. Inizia negli anni Ottanta offrendo il terreno culturale più propizio per il successo del socialismo craxiano attraverso un’azione egemonica mediatica che plasma gli italiani su alcuni valori che escludono ogni concezione solidaristica dell’esi- stenza, mettendo in primo piano una versione solo individualistica, cinica e narcisistica, della libertà, un culto estetizzante ed esasperato dell’immagine, una rappresentazione feticistica del corpo, il superamento antinostalgico di ogni ideologia, l’affermazione eroica della libera impresa, del farsi da sé, dell’autogenerazione, il mito del successo a ogni costo, la diffidenza radicale nei confronti della politica, il sospetto verso tutto ciò che è istituzionale, l’uso spudorato della menzogna, l’attaccamento al potere, l’insensibilità di fronte agli interessi generali, l’assenza di cultura, l’uso pubblicitario della comunicazione 19.

Cette apparente absence d’idéologie n’est au fond que l’adhésion à une idéologie qui se cache, une certaine idéologie libérale de la réussite individuelle et de la consommation jouissive.

L’impératif du jouir Pour mieux cerner en quoi certaines scènes du film peuvent renvoyer au ber- lusconisme, il peut être utile de rappeler le contexte politique de la période 2008-2013 qui a précédé la réalisation de La grande bellezza. Berlusconi entame alors le début de sa chute politique. Nommé pour la troisième fois président du Conseil en 2008, Berlusconi perd deux ans plus tard l’un de ses principaux alliés historiques, Gianfranco Fini, et perd ainsi la majorité absolue à la Chambre des députés ; en 2011, la pression politique et celle des marchés le contraignent à la démission. À ces échecs politiques s’ajoutent l’accumulation des procès à son encontre et la succession des affaires de mœurs : après les soupçons d’abus de mineur avec l’affaire Noemi Letizia en 2008, d’usage de la prostitution avec l’affaire D’Addario en 2009, com- mence en décembre 2010 une affaire qui fera la une de bien des journaux et magazines pendant plusieurs années, l’affaire Ruby. La presse dévoile alors au grand jour tout un système d’exploitation de jeunes femmes invitées aux soirées fines que Berlusconi organise dans ses villas. À ce grand déballage viennent s’ajouter les témoignages de l’épouse de Berlusconi, Veronica Lario, qui demande publiquement le divorce en 2009 et accuse publiquement son mari d’être un libertin effréné. Échecs politiques, procès, scandales

19. M. Recalcati, « Oltre il Duce, verso la perversione », p. 148.

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de mœurs, chute dans les sondages d’opinion, le climat de ces années est celui d’une fin de règne décadente, une décadence qui semble trouver sa transfiguration poétique dans La grande bellezza. Mais plus largement, on notera le goût de Sorrentino pour les personnages en décadence ou en déchéance, comme le chanteur et le footballeur de L’uomo in più (2001), le comptable des Conseguenze dell’amore (2004), l’usurier qui perd sa fortune dans L’amico di famiglia (2006), Andreotti mis en procès dans Il divo (2008) ou les deux protagonistes brimés par l’âge dans Youth (2015). Rappeler ce climat de décadence libertine nous semble important pour apprécier la dimension allégorique de la longue scène de fête nocturne qui suit la séquence introductive du Janicule. Cette fête, organisée par Jep pour ses soixante-cinq ans, n’est pas sans créer un effet d’écho avec les outrances des fêtes libertines berlusconiennes dont la presse rendait compte, de par l’opulence des festivités, mais aussi le libertinage (discret mais net) de ses participants, à commencer par celui de Jep (qui embrasse une jeune femme qu’on devine être une conquête d’un soir et qui se voit intensément sollicité du regard par plusieurs danseuses). Sorrentino explicite la valeur allégorique de la fête dansante et du libertinage qui s’y donne lorsqu’il affirme qu’en Italie

il y a une sorte de lassitude qui trouve son point culminant dans la danse, dans les rythmes des congas, dans les tentatives de séduire la femme magnifique du moment ou l’homme magnifique du moment. […] On dirait que c’est devenu la principale occupation du pays. […] Si c’est fait par quelqu’un qui a une position à grande responsabilité, cela devient selon moi une sorte de permission pour beaucoup de gens 20. Et Sorrentino d’ajouter que « Berlusconi donna une sérieuse contribution à ce climat » par son comportement et son insistance à faire du divertissement « un impératif catégorique ». L’écho au berlusconisme latent se perçoit dans l’outrance de la fête et se distribue entre les personnages, Jep mais aussi son ami Lello Cava, homme d’affaires génial que Jep définit comme « il più grande venditore del mondo. Intorta chiunque […]. Vende giocattoli all’ingrosso in tutto il mondo » 21. Outre le fait d’être un homme d’affaires hors pair, Lello partage avec Berlusconi sa petite taille, ses infidélités (malgré des déclarations péremptoires à sa femme), sa fréquentation des prostituées et, en somme, son désir sexuel maladif, un désir qui marque son visage de manière grotesque lors de sa première apparition, dans la première séquence de fête nocturne, où on le

20. The Sydney Morning Herald, 22 janvier 2014. C’est moi qui traduis. 21. P. Sorrentino, La grande bellezza, 25’36-25’56.

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voit trépigner et rugir aux pieds d’une jeune danseuse, ambitieuse et haut perchée sur un cube. Cette danseuse exhibitionniste est une femme qui cherche à percer dans le monde du théâtre et du cinéma ; sans scrupules et pleine d’ambition, elle n’hésite pas à manipuler et exploiter l’ami de Jep, Romano, qui s’est épris d’elle. Le fait que Lello, l’homme d’affaires, soit littéralement aux pieds de cette arriviste n’est pas sans rappeler les liens qui unirent Berlusconi à toute une kyrielle de jeunes femmes ambitieuses, désireuses de percer dans le monde du spectacle ou de s’enrichir, et dont certaines ont été soupçonnées de vouloir faire chanter leur mentor. Lello semble représenter typiquement ce que le journaliste Enrico Deaglio a dénommé de manière abrupte, pour définir la période 2009-2012, « l’era della gnocca », reprenant une saillie publique de Berlusconi qui, le 6 octobre 2011, proposait de rebaptiser son parti « Forza gnocca » 22. La possibilité d’une lecture « politique » est renforcée ici par la place qu’occupe la scène de la fête dans le film, soit juste après la première séquence du Janicule où étaient évoqués les deux grands filons idéologiques (pensée laïque et progressiste d’un côté, christianisme de l’autre) qui avaient modelé historiquement l’Italie. Comme si à la Rome des papes et à l’Italie du Risorgimento (symbolisé par la figure de l’anticlérical Garibaldi) avait succédé une nation dominée par le désir individualiste de jouir à outrance et par le désir du spectacle – puisque l’anniversaire de Jep est en lui-même un véritable spectacle. La succession des séquences semble mimer indirecte- ment le passage historique dans l’histoire italienne d’une politique dominée par des partis très idéologisés, du moins officiellement (le Parti socialiste italien, la Démocratie chrétienne), au triomphe du berlusconisme, lequel offre, selon les mots de Recalcati que nous avons cités, « una versione solo individualistica, cinica e narcisistica, della libertà » 23. Le cri hystérique d’une des convives qui introduit la scène de la fête sonne alors comme un cri de détresse ; il tranche sur le chant grave de la première séquence, qui venait rendre plus solennelles les images des armoiries papales et de Garibaldi 24. Se trouvent ainsi radicalement opposés un passé solennel et marqué par les idéologies fortes à un présent qui ne serait régi que par le désir de s’étourdir dans la fête. Le cri de la convive anticipe l’image de la fête, il retentit alors même que l’on voit encore, sur le Janicule, le corps allongé d’un touriste

22. E. Deaglio, Indagine sul Ventennio, p. 153. 23. M. Recalcati, « Oltre il Duce, verso la perversione », p. 147. 24. On notera au passage que Sorrentino reprend ici un type de raccord sonore utilisé par Fellini dans La dolce vita, où le cri d’un danseur déguisé en divinité orientale annonçait la vie nocturne de Marcello et tranchait avec les cloches de Saint-Pierre de la première séquence.

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japonais tombé raide mort alors qu’il contemplait la « Ville Éternelle ». Dans cette perspective symbolique qui constitue une composante primordiale du style Sorrentino, le corps mort peut symboliser l’idée d’une mort des idéologies, une mort vécue dans la douleur du cri.

Le désir de télévision La fête qui fait suite au chant sacré du Janicule est comme placée sous l’égide de « Lorena », une femme opulente qui sort d’un énorme gâteau et lance le moment venu des vœux d’anniversaire adressés à Jep. Lorena est définie par le personnage de Stefania comme une « ex-soubrette televisiva in completo disfacimento psico-fisico » 25. Or, le rôle est joué précisément par Serena Grandi, une actrice considérée comme un sex-symbol dans les années 1980 et 1990 pour ses formes généreuses et pour avoir tourné avec Tinto Brass. Serena Grandi a également participé à des émissions de divertissement télévisé, dans les années 1980 et plus récemment dans une émission de téléréalité, en 2004-2005. Le personnage de Lorena rassemble donc les thèmes de l’érotisme et de la télévision, thèmes intimement associés à la figure Berlusconi. L’histoire de l’ascension politique de Berlusconi s’écrit avec ses chaînes de télévision, lesquelles sont connues pour privilégier les figures de pin-up. Lorena, personnage central dans la fête de Jep, correspond tout à fait au canon du divertissement et à l’impératif de sensualité des chaînes berlusconiennes. Elle illustre pleinement cette ostentation et cette obsession du corps féminin que dénonçait Lorella Zanardo en 2009 avec Il corpo delle donne, documentaire sur l’image des femmes dans la télévision italienne (et principalement berlusconienne) 26.

Le culte de soi Fellini suggérait comment le vide idéologique créé par la sécularisation venait nourrir l’idolâtrie pour les stars, nouvelles déités de la modernité désenchantée. Sorrentino suggère que ce vide est comblé par le culte du corps, de la jeunesse et des gourous modernes qui exploitent le désarroi existentiel ambiant. Ce culte de la beauté féminine fait partie intégrante du style de Berlusconi, qui, par plusieurs propos déplacés, a montré combien la beauté plastique primait avant toute chose dans le regard qu’il porte sur les femmes ; à titre d’exemple on rappellera les offenses à la députée Rosy Bindi : le 8 octobre 2009 il lui lance ironiquement, dans l’émission

25. P. Sorrentino, La grande bellezza, 8’59-9’09. 26. L. Zanardo, Il corpo delle donne, http://www.ilcorpodelledonne.net. Consulté le 25 septembre 2015.

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télévisée Porta a porta : « Sei sempre più bella che intelligente » 27, tandis qu’il la traite d’« uomo » en 2015 lors d’une cérémonie officielle 28. Les femmes politiques chargées de représenter les différents partis de Berlusconi sur les plateaux télévisés se sont par ailleurs toujours distinguées par leur plasticité, à l’instar de Mara Carfagna, ancienne participante à des concours de beauté et ancienne présentatrice de télévision, devenue ministre du quatrième gouvernement de Berlusconi, dont elle est une des partisanes les plus fidèles. Lorena, l’ancienne pin-up, qui aura un malaise lors d’une autre fête nocturne suite à une prise de cocaïne trop importante, donne à voir la désil- lusion qui détruit celles et ceux qui ont tout misé sur le culte de l’apparaître à la télévision et qui, une fois la gloriole et la jeunesse passées, ne récoltent que dépression et incapacité à vivre en harmonie avec soi. L’obsession de la beauté et de la jeunesse est illustrée magistralement dans ce qu’on pourrait appeler « la scène du botox ». Jep se rend à la séance d’un prétendu maître de la chirurgie esthétique dans un salon privé et calfeutré ; il assiste éberlué à un défilé de patients de tous âges qui viennent recevoir des injections de botox, pour gonfler lèvres, seins ou rajeunir la peau. Le médecin-chirurgien est un véritable gourou de secte qui crée un lien de soumission et de dépendance affective chez ses clients, lesquels lui demandent des miracles pour leur corps, voire, pour certains d’entre eux, pour leur vie personnelle ou le salut du monde. L’idée qu’on puisse avoir un problème avec sa propre image, qu’on ait du mal à s’accepter pour ce qu’on est, est rendue dès les premières images de la séquence qui nous montrent, au moment où Jep entre dans l’appartement, une infirmière portant un miroir emballé dans du papier transparent, lequel reflète la silhouette du protagoniste, mais complètement floutée, brouillée. Si la question de la chirurgie plastique n’est pas spécifiquement italienne, elle renvoie cependant, là encore, au personnage Berlusconi et aux présenta- trices refaites qui peuplent ses chaînes privées, telles que nous les montre le documentaire Il corpo delle donne. La chirurgie plastique est bien entendu utilisée par Berlusconi lui-même, souvent moqué pour ses liftings ou ses implants capillaires (Beppe Grillo le surnomme « testa d’asfalto » 29). Mieux : dans un article du Corriere della Sera intitulé « L’estetica di Berlusconi », le journaliste Gian Antonio Stella nous fait savoir que Berlusconi a loué les

27. Porta a porta, 8 octobre 2009. https://www.youtube.com/watch?v=NJO5VJvx-rM. Consulté le 25 septembre 2015. 28. Libero, 3 février 2015. http://www.liberoquotidiano.it/news/politica/11752122/bindi.html. Consulté le 25 septembre 2015. 29. Corriere della Sera, 11 septembre 2013. http://www.corriere.it/politica/11_settembre_13/ stella-berlusconi_561cc2f6-ddcd-11e0-aa0f-d391be7b57bb.shtml?refresh_ce-cp. Consulté le 25 septembre 2015.

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bienfaits de la chirurgie esthétique pour tenter d’accroître sa beauté : « Io stimo le donne che si sottopongono a queste operazioni. Sono ancora più belle, perché la loro bellezza se la sono meritata » 30. Et Lorena, l’ex-présentatrice télévisée, est une des adeptes de ce gourou du botox. Le culte de la beauté plastique est lié à un impératif narcissique de séduction théorisé par Berlusconi, qui revendique « una sorta di training autogeno » : « Ogni mattina davanti allo specchio io mi guardo e mi ripeto : “Mi piaccio, mi piaccio, mi piaccio”. Ricordatevi : se uno piace a se stesso, piacerà anche agli altri ! » 31. Et Berlusconi, comme en témoigne son ancienne popularité, est un maître en la matière. Le narcissisme, illustré par la scène du botox, est également incarné par le personnage d’Orietta (joué par Isabella Ferrari), une femme riche avec qui Jep passe un bout de nuit. Au compli- ment qu’il lui fait sur sa beauté, Orietta répond qu’elle se photographie à toutes les heures du jour avec son smartphone « per conoscer[si] meglio » et qu’elle envoie ses photos à ses amis de Facebook qui la congratulent. Ce qui n’est pas du goût de Jep qui, sans se faire entendre, quitte aussitôt la riche narcissique qui est allée chercher son ordinateur portable pour lui montrer tous ses autoportraits 32.

La corruption Le climat décadent de La grande bellezza est redoublé par les allusions à la corruption politico-financière et au rôle souterrain du crime organisé dans l’économie du pays. Ce thème de la corruption est incarné notamment par le voisin de Jep, un personnage énigmatique, silencieux, que Jep voit une première fois dans l’ascenseur, puis trois autres fois à son balcon, qui surplombe la terrasse de Jep. Le spectateur découvrira avec Jep l’identité du personnage lors de son arrestation : il s’agit d’un certain Giulio Moneta, un des hommes les plus recherchés par la police. Giulio Moneta est un mafieux à col blanc qui, par sa tenue et son langage, semblerait plutôt être un homme d’affaires ou un homme politique. Ses liens avec le crime organisé sont d’abord suggérés dans une de ses apparitions au balcon où la femme qui le suit, et qui semble être sa compagne, embrasse soudainement l’homme qui se tient derrière Giulio Moneta, un homme gras et fier, dont l’aspect farouche le désigne comme homme de la pègre. Lors de son arrestation, Giulio Moneta s’adresse à Jep en attaquant l’oisiveté de celui-ci et en se définissant comme un « uomo laborioso » ; et il conclut son bref discours

30. Ibid. 31. Ibid. 32. P. Sorrentino, La grande bellezza, 29’57-32’.

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par cette phrase : « io faccio andare avanti questo paese » 33. D’un côté, la réplique pourrait évoquer l’importance du pouvoir et des capitaux d’origine mafieuse dans l’économie italienne. De l’autre, l’argument de Moneta qui consiste à faire passer pour service à la nation ce qui n’est en réalité que volonté d’enrichissement personnel rappelle la stratégie de défense employée régulièrement par les avocats de Berlusconi lors des procès ou par Berlusconi lui-même, par exemple en janvier 2011, où dans un message vidéo, alors qu’il est éclaboussé par les scandales, il déclare : « Vado avanti nell’interesse del Paese » 34. Giulio Moneta incarne le phénomène de la corruption qui, selon Romano Prodi, s’est répandu dans l’histoire récente de l’Italie comme jamais il ne l’avait fait auparavant 35. Le personnage peut renvoyer indirectement aux nombreux procès pour corruption de Berlusconi mais également aux soupçons de liens avec la mafia qui pèsent depuis longtemps à son encontre (soupçons accrus avec la condamnation le 13 janvier 2014 de son bras droit Marcello Dell’Utri à sept ans d’emprisonnement pour association mafieuse). On notera que la scène de l’apparition de Giulio Moneta avec le « mafieux » se présente, dans le déroulement filmique, comme le tableau central d’un triptyque dont la première et la troisième partie sont centrées sur Lello Cava, l’homme d’affaires. En effet, dans la scène précédant l’appa- rition, Jep fait le portrait de son ami Lello Cava et le taxe à plusieurs reprises d’« uomo scuoro », notamment au moment même où Giulio Moneta ouvre son balcon ; ce qui crée implicitement un lien radical entre le personnage de Lello Cava et celui de Giulio Moneta, d’autant que la scène d’apparition de Moneta au balcon est aussitôt suivie par celle où l’on voit Lello Cava rentrer chez lui mais se tromper de route, probablement dans un acte manqué qui le mène à une place où des prostituées qui le connaissent bien l’interpellent. La succession des scènes souligne, outre le lien entre l’homme d’affaires et le criminel en col blanc, un lien entre commerce, corruption et prostitution. Un lien qui se trouve renforcé par la musique qui sort de l’appartement de Giulio Moneta, lorsque celui-ci sort à son balcon avec son épouse et l’étrange homme farouche : une musique festive de congas qui semble celle qu’évoquait Sorrentino dans l’interview au Sydney Morning Herald pour dépeindre l’Italie berlusconienne.

33. P. Sorrentino, La grande bellezza, 1h45’. 34. Cf. SkyTG4.http://www.repubblica.it/politica/2011/01/28/news/berlusconi_ai_promo- tori_della_libert_respingeremo_l_assalto_delle_toghe-11787610/. Consulté le 25 septembre 2015. 35. R. Prodi, « Certo che si poteva sconfiggere – Il berlusconismo toccato con mano », in E. Deaglio, Indagine sul Ventennio, p. 38.

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Le naufrage Jep vit un naufrage personnel, définissant plusieurs fois sa vie par l’image du vide et du désert. Mais ce naufrage intérieur semble symboliquement celui d’une nation entière, dont Sorrentino montre surtout des aspects décadents, comme si la « grande beauté » n’appartenait qu’au passé – au passé de l’art et de la politique tels que Rome peut les rappeler dans son architecture ou sa statuaire. Naufrage personnel et naufrage national sont tous deux symbolisés par un même objet : le navire de croisière Costa Concordia, naufragé près de l’île de Giglio, que Jep fixe d’un regard songeur 36. Sorrentino récupère ici ce qui était devenu pour beaucoup de commentateurs l’image même de la décadence de l’Italie berlusconienne, le naufrage ayant lieu le 12 janvier 2012, soit deux mois après la démission de Berlusconi et alors même que l’Italie est en pleine tourmente financière et menace de faire banqueroute.

Conclusion Au terme de cette étude, force est de constater que, si La grande bellezza se donne a priori comme un film « de sentiments », par opposition aux films « d’engagement civil », sa nature est bien plus riche et complexe. Sorrentino reconnaît après coup qu’il réalise là une première étape d’approche, timide, du berlusconisme. Mais cette timidité n’est qu’apparente, car à travers le cynisme décadent de Jep et le cadre général dans lequel celui-ci évolue, le réalisateur donne à voir des traits saillants d’une certaine société italienne marquée par plus de vingt ans d’influence berlusconienne. Mais Sorrentino ne sombre pas dans le pessimisme morose que le spectacle d’une décadence enracinée peut facilement engendrer. La fin du film est solaire et ouverte positivement sur le futur puisque Jep, dans les toutes dernières images, après avoir contemplé mélancoliquement le Costa Concordia, connaît une mutation intérieure, sent soudainement ravivé en lui un état d’enthousiasme pour la vie, pour le hic et nunc, par-delà les naufrages.

Fabrice De Poli Université de Lorraine

36. P. Sorrentino, La grande bellezza, 1h29’10-1h29’20.

Livre 1.indb 143 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 144 03/10/2016 14:30 Le cinéma-ethnologie de Francesca Comencini, citoyenne engagée

Résumé : Cette contribution s’intéresse aux derniers films de Francesca Comencini en questionnant la spécificité du regard porté sur la société par cette citoyenne enga- gée et réalisatrice majeure du cinéma italien contemporain. Après avoir illustré la nature de son engagement, questionné le caractère politique de son cinéma et, enfin, analysé la manière dont documentaire et fiction se nourrissent réciproquement et harmonieusement pour contribuer à construire, film après film, l’œuvre cohérente et singulière d’une artiste qui aime à se définir comme une « réalisatrice-documentariste », l’article tente de démontrer combien son point de vue et ses méthodes de travail – notamment la longue période d’observation participante précédant chacun de ses films – s’apparentent à ceux d’une ethnologue. En effet, plus politique encore que le courage avec lequel elle s’aventure vers des lieux en partie délaissés par le cinéma contemporain, est son habileté (et ses corollaires, patience et humilité) à faire émerger la parole d’individus également sous ou mal représentés. Riassunto : Questo contributo s’interessa agli ultimi film di Francesca Comencini interrogando la specificità dello sguardo che questa cittadina impegnata nonché regista di primo piano del cinema italiano contemporaneo rivolge verso la società. In un primo tempo, viene illustrata la natura del suo impegno, interrogato il carattere politico del suo cinema e, infine, analizzato il modo con cui il documentario e la finzione si nutrono in maniera reciproca e armoniosa, tale da contribuire a costruire, un film dopo l’altro, l’opera coerente e singolare di un’artista che si definisce volontieri « regista-documentarista ». In un secondo tempo, l’articolo cerca di dimostrare quanto il suo punto di vista e i suoi metodi di lavoro – tra cui, il lungo periodo di osservazione partecipante che precede ognuno dei suoi film – si avvicinano a quelli di un’etnologa. In effetti, ancora più politico del coraggio con il quale la regista si avventura verso alcuni luoghi in parte trascurati dal cinema contemporaneo, è la sua abilità (e i suoi corollari, pazienza ed umiltà) nel far emergere la parola d’individui che, nello stesso modo, sono scarsamente rappresentati.

Hormis une monographie, non traduite en français, de la critique de cinéma Ilaria Gatti 1, il nous semble que l’œuvre singulière de Francesca

1. I. Gatti, Francesca Comencini. La poesia del reale, Recco, Le Mani, 2011.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 145-158

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Comencini 2 n’a pas encore suscité l’intérêt qu’elle mérite 3. La lecture que nous proposons d’en faire ici concerne la spécificité du regard porté par cette réalisatrice sur la société italienne contemporaine, un regard qui, par certains aspects, n’est pas sans rappeler celui d’une ethnologue. Pour développer notre propos, nous avons choisi de prendre en considération six films parmi les plus récents, trois films de fiction et trois films docu- mentaires : Carlo Giuliani, ragazzo (2001) 4, Mi piace lavorare. Mobbing (2004) 5, A casa nostra (2006) 6, In fabbrica (2007) 7, Le donne di San Gregorio (2009) 8 et Un giorno speciale (2012) 9. Avant de tester cette grille de lecture, il est nécessaire au préalable d’évoquer brièvement les questions de son engagement, du caractère politique de son cinéma et, enfin, de l’articulation documentaire-fiction au sein de sa filmographie.

Une citoyenne engagée Ho cercato di capire prima di tutto in quanto cittadina, poi in quanto madre e, in terza posizione, in quanto regista perché una ragazza normalissima, che vive in una famiglia normale, che ha dei sogni tutto sommato banali, normali, possa essere arrivata a considerare normali dei compromessi molto pesanti 10.

2. Elle compte à ce jour dix-sept titres, auxquels il faut ajouter deux épisodes de la première saison de la série Gomorra et, bientôt, ceux de la deuxième saison. 3. Cette œuvre est parfois sous-évaluée, en Italie surtout, voire confondue avec celle de sa sœur Cristina, dont les films sont pourtant très différents, en dépit de la grande estime réciproque qui caractérise leur relation. 4. Carlo Giuliani, Ragazzo (2002, documentaire). Haidi Giuliani raconte la dernière journée de son fils, victime d’une bavure policière pendant le sommet du G8 à Gênes en 2001. Son récit est entrecoupé d’images tournées pendant les événements et de la lecture d’écrits de Carlo. 5. Mi piace lavorare. Mobbing [J’aime travailler] (2004, fiction) relate l’histoire d’Anna, une employée victime de harcèlement moral à la suite du rachat de son entreprise par une multinationale. Film autofinancé, inspiré de procès-verbaux du syndicat CGIL. 6. A casa nostra (2006, fiction). Film choral sur l’argent roi et la crise des valeurs ; l’intrigue est située à Milan. 7. In fabbrica (2007, documentaire pour la télévision) relate l’histoire des ouvriers italiens et, surtout, du regard porté sur eux, depuis le boom économique jusqu’à nos jours, retracée à partir d’archives et d’entretiens réalisés pour l’occasion. 8. Le donne di San Gregorio (2009, court métrage documentaire). Il s’agit de l’un des cinq courts métrages de L’Aquila 2009 – Cinque registi tra le macerie (commande de La Repubblica après le séisme de L’Aquila, dont San Gregorio est un quartier). 9. Un giorno speciale [Une journée à Rome] (2012, fiction) relate la rencontre entre une jeune fille de la banlieue romaine et le jeune chauffeur du député avec qui elle a rendez-vous. 10. Déclaration extraite d’une interview donnée en 2012 à l’occasion de la projection du film Un giorno speciale au festival de Venise : Effetto Notte, « Venezia 2012 – Francesca Comencini e il suo “Un giorno speciale” » [vidéo en ligne : https ://www.youtube.com/ watch?v=0ZhAi2tfyZw (mise en ligne le 7 septembre 2012, consultée le 8 décembre 2015)].

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Cette déclaration de Francesca Comencini, prononcée en 2012 à l’occasion de la projection du film Un giorno speciale au festival de Venise, constitue un point de départ intéressant pour appréhender l’œuvre cinématographique d’une réalisatrice qui réfléchit d’abord en citoyenne puis en artiste. Pour illustrer son engagement citoyen, on peut citer deux épisodes liés à des thématiques que l’on retrouve constamment dans ses films : la condition des immigrés ainsi que celle des femmes. Le premier exemple est la lettre envoyée au quotidien La Repubblica en guise de protestation citoyenne contre l’opération White Christmas imaginée par le maire de Coccaglio (Ligue du Nord), une petite commune de Lombardie, qui avait pour objectif d’expulser tous les étrangers en situation d’illégalité afin que les habitants puissent passer un Noël sans immigrés ! Or, c’est là que sont enterrés les grands-parents paternels de Francesca Comencini, qui, dans ce texte, raconte d’abord comment sa grand-mère, originaire d’une famille suisse allemande, a dû, afin de pouvoir épouser son grand-père, combattre les nombreux préjugés à l’encontre des Italiens dans son pays, puis, à nouveau, lorsque ses grands-parents ont émigré en France, les humiliations subies par son père, Luigi. Bien entendu, le fait qu’une artiste utilise sa renommée pour critiquer publiquement une décision politique injuste ne constitue pas en soi un fait exceptionnel, cependant, dans cette lettre, deux phrases ont particulièrement attiré notre attention : « Per loro [i miei nonni] mi sento in obbligo di scrivere questa lettera », « A nome loro, tramite queste righe, lo faccio io » 11. Le fil conducteur d’une œuvre apparemment hétérogène nous semble précisément la volonté de donner la parole à ceux qui l’ont rarement ou, même, plus du tout : qu’il s’agisse de ses grands-parents, de Carlo Giuliani, ou encore des ouvriers, des jeunes et des femmes. En effet, ces derniers temps, la condition féminine a également beaucoup focalisé l’attention de la citoyenne Comencini, qui figure parmi les prota- gonistes du mouvement féministe Se non ora quando ?. Après avoir mis en scène la pièce de théâtre Libere, écrite par sa sœur Cristina, elle a également mis son talent au service de la mise en scène de la grande manifestation qui s’est déroulée à Rome le 13 février 2011 (elle a conçu les vidéos projetées, la banderole déroulée depuis le Pincio et, avec Cristina, l’idée du silence suivi du hurlement). De manière réciproque, son féminisme est aussi une compétence qui vient nourrir ses personnages féminins, incarnés certes par de brillantes actrices (Braschi, Golino, Buy notamment), mais dont

11. F. Comencini, « Il “natale bianco” che insulta tutti noi », La Repubblica, 19 novembre 2009. La lettre est entièrement reproduite en annexe de l’ouvrage d’I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 201-203.

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elle sait tirer le meilleur, sans doute, aussi parce qu’elle fait partie des rares réalisateurs proposant à ces actrices des rôles intéressants et originaux. Et cette forme d’« expertise en question féminine » explique également que Stefano Sollima ait fait appel à elle pour les épisodes de la série Gomorra où l’épouse du boss mafieux prend les rênes du clan à la place de ce dernier 12.

Du caractère politique de son cinéma Francesca Comencini est donc d’abord une citoyenne engagée mais son engagement est aussi artistique et son œuvre cinématographique, quoique caractérisée par son hétérogénéité, est incontestablement politique. Politique est son souci de comprendre la réalité contemporaine, et de la montrer pour en dénoncer avec force indignation les inepties et les injustices. À la base de son cinéma, il y a bien l’idée que l’on ne saurait se satisfaire du monde actuel et, pour reprendre le titre d’un documentaire collectif auquel elle a participé, qu’« un altro mondo è possibile » 13. En préambule de ce film consacré aux manifestations qui se sont déroulées à Gênes en 2001 pen- dant le sommet du G8, les trente-trois réalisateurs ont fait une déclaration collective dans laquelle ils disent avoir voulu « contribuire a dare volto e voce a chi rappresenta i miliardi di esseri umani cui viene negato il diritto di partecipare alle decisioni immense che riguardano il loro futuro, il futuro del mondo », que tous sont allés « a Genova per conoscere, capire e raccontare questo nuovo soggetto sociale, culturale e politico » 14. Or, il semble que ces revendications soient valables pour tous les films de Francesca Comencini, qui revêtent même parfois une forme de dimension prophétique, déjà soulignée par Luca Bigazzi : « Francesca cerca di raccontare la realtà, anche un po’ profeticamente : A casa nostra o Mobbing, girati anni fa, parlano di oggi. È inquietante come questi film siano anticipatori della realtà odierna » 15. Cette appartenance au cinéma politique est plus ou moins visible, plus ou moins revendiquée selon les films 16, toutefois, un discours critique à l’égard de la société italienne contemporaine est omniprésent. On y trouve un portrait détaillé de la crise des valeurs, en particulier dans les films A casa

12. Saison 1, épisodes 5 (Il ruggito della leonessa) et 7 (Imma contro tutti). 13. Un mondo diverso è possibile (2001). 14. I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 113. 15. Luca Bigazzi est l’excellent directeur de la photographie qui travaille sur tous les films de Paolo Sorrentino mais aussi sur ceux de Francesca Comencini depuis 2001 et pour lequel « ogni singola inquadratura ha un senso politico » (ibid., p. 188). 16. Au début du documentaire Carlo Giuliani, Ragazzo, il est précisé que les « proventi e incassi destinati al Comitato Piazza Carlo Giuliani, Fondazione Cinema nel presente per la realizzazione di film d’impegno sociale e politico ».

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nostra et Un giorno speciale, qui montrent un monde où règnent l’argent et le cynisme des dirigeants financiers et politiques ; la vulgarité de ces derniers contraste avec la « culture cultivée » dont ils ont hérité mais qu’ils sont bien en mal d’honorer, preuve en est cette réplique d’Ugo, le banquier sans scrupules d’A casa nostra : « – Devo accompagnare mia moglie a teatro, che noia ! ». Ces nouveaux leaders imposent leurs valeurs aux représentants des milieux populaires, irrésistiblement attirés par l’argent facile, le culte de l’apparence et la société du spectacle avec tous les renoncements, frus- trations, compromissions et humiliations que cela implique. Outre la disparition de la culture au profit de valeurs consuméristes, il ressort également de ces films une critique radicale du berlusconisme à travers la question du corps des femmes : par exemple, celui de Bianca, la prostituée étrangère d’A casa nostra, victime innocente sacrifiée sur l’autel de l’argent-roi qui pense pouvoir acheter non seulement les faveurs sexuelles de jeunes filles pressées mais même le bébé d’une morte. Il s’agit dans ce cas plutôt de berlusconisation des esprits ; le berlusconisme au pouvoir est pour sa part mis en cause, toujours dans ce film, à travers le discours nationaliste et xénophobe prononcé par un homme politique lors de l’inauguration d’un parc. Il est aussi bien sûr combattu dans le film Carlo Giuliani, ragazzo, qui évoque la gestion catastrophique, indigne d’une démocratie, de la manifestation des citoyens opposés aux décisions du G8. Le discours politique est donc attentif aux évolutions qui ont marqué et marquent l’Italie contemporaine. Néanmoins, un regard aiguisé est évidemment forcé de s’élargir à l’espace-monde et c’est alors que l’analyse de la crise des valeurs se double d’une dénonciation des effets pervers de la mondialisation et du libéralisme, notamment de leurs conséquences sur le monde du travail : licenciements et / ou harcèlement suite au rachat d’une entreprise par une multinationale dans Mobbing, film qui – quelques années avant le Deux jours, une nuit des frères Dardenne – faisait déjà état de la solidarité en berne et de la difficulté aujourd’hui de mener des luttes collectives 17. Le monde du travail est aussi au cœur du documentaire In fabbrica, qui questionne cette fois les difficultés des cols bleus, appréhendées dans une dimension diachronique : des inconvénients du fordisme hier (rythmes insoutenables qui abîment le corps des ouvriers et monotonie qui atrophie leur cerveau) aux problèmes d’aujourd’hui (individualisme mais aussi, toujours, des accidents mortels au travail). La question ouvrière est d’ailleurs l’occasion d’aborder celle de l’immigration, autre thématique politique chère à Francesca Comencini, et plus généralement la question

17. À noter que Francesca Comencini s’est inspirée d’un fait documenté par la CGIL et les frères Dardenne d’une histoire relatée dans La misère du monde (voir infra, note 44).

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de la migration au sens large : l’émigration et les migrations internes hier, rappelées au début du documentaire In fabbrica, y compris grâce à des images filmées par son père, et l’immigration aujourd’hui, toujours dans ce film qui souligne la contribution des étrangers ou des Italiens d’origine étrangère à l’histoire ouvrière contemporaine 18. On l’a compris, le discours est globalement assez sombre ; d’ailleurs, selon les propres mots de la réalisatrice, de la complexité de l’œuvre de leur père, elle et sa sœur ont pris chacune leur part : la lumière pour l’aînée, l’ombre pour la cadette 19. Dans A casa nostra, la transmission d’un sen- timent d’inquiétude est bien l’objectif de Francesca Comencini, aidée de la photographie de Luca Bigazzi qui, pour parvenir à ce résultat, nous montre une Milan grise, essentiellement filmée à l’aube ou au coucher de soleil. Néanmoins, la réalisatrice parvient toujours à dégager çà et là des lueurs d’espoir, sans doute en raison de son indéfectible humanisme : dans Mobbing, Anna finit par sortir de son isolement, se révolter et gagner son procès. Dans In fabbrica, à côté des difficultés des ouvriers, une grande place est laissée à la fierté que nombre d’entre eux disent éprouver à l’égard de leur métier. Enfin, même dans Carlo Giuliani, ragazzo, film poignant tant le sentiment d’injustice vis-à-vis de la mort de ce jeune homme est grand, le spectateur peut toujours se raccrocher à la dignité et à la force de la mère dont l’ironie, surtout, indique une voie possible pour continuer à se battre 20. Quoi qu’il en soit, tous ces thèmes traités par Francesca Comencini permettent donc bien de relier son œuvre au cinéma dit politique et, pourtant, plus politique encore nous semble cette volonté première non seulement de traiter certains sujets mais surtout de se donner les moyens de rendre audibles les discours d’individus également sous ou mal représentés. Une semblable intention se révèle dès le préambule du documentaire In fabbrica, où la voix off de la réalisatrice commence par déplorer l’absence de visibilité des ouvriers. En digne héritière de son père, elle accorde aussi une place importante aux jeunes en montrant leur précarité dans la fiction Un giorno speciale ou en leur rendant la parole 21 : ainsi, le film Carlo Giuliani,

18. Il est également question de l’émigration italienne dans Le donne di San Gregorio, à travers le deuxième entretien mentionnant l’histoire d’un grand-père émigré. 19. I. Gatti, Francesca Comencini…, « Conversazione con Francesca Comencini », p. 83. 20. Par exemple, Haidi Giuliani définit ironiquement les boucliers en plexiglas des manifestants « buffe armature da cavalieri del Medievo ». 21. Les enfants sont d’ailleurs souvent plus lucides que leurs parents, à l’instar de Morgana qui, à force de lire Le petit prince, sait distinguer entre le futile et l’essentiel et, partant, montrer la voie de la rébellion à sa mère. On relèvera aussi l’hommage en forme de clin d’œil que Francesca adresse à son père à travers la phrase finale de la fillette : « Smettila di

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ragazzo a été motivé par son indignation pour la diffamation dont le jeune homme a été victime puisqu’il a été accusé à tort par le discours politico- médiatique d’appartenir aux Blackblocks 22. Pour lutter contre une telle instrumentalisation, il s’agit donc pour la cinéaste de rétablir une vérité historique en donnant longuement la parole à sa meilleure avocate, sa mère, qui l’élève au contraire au statut de Résistant, mais également à Carlo lui-même à travers la lecture de ses lettres et poésies (dont une en latin traduite par l’écrivain engagé Erri de Luca). Enfin, ultime exemple déjà en partie évoqué : les femmes occupent également une place particulière au sein de cette typologie de sujets dominés et mal représentés. De manière plus précise, on s’aperçoit que la plupart des questions sociales et politiques y sont abordées depuis un point de vue féminin : les immigrées contraintes de se prostituer, le racisme subi au nord par les ouvriers méridionaux, les bavures policières, le harcèlement au travail dû aux restructurations dans un contexte de libéralisme et de mondialisation pour lesquelles les femmes constituent des victimes toutes désignées dès lors qu’il leur est plus difficile de concilier vie professionnelle et vie privée 23. Cette inclination possède l’avantage d’offrir aux spectateurs et spectatrices un certain nombre de beaux portraits féminins, des portraits complexes et nuancés de femmes courageuses et débordant d’énergie mais qui ont des relations pour le moins complexes avec la question de la maternité et souffrent, par ailleurs, souvent de solitude : on pense surtout à Rita, capitaine de la police financière dans A casa nostra, qui se voit précisément rappeler sa solitude par Ugo ou même par la jeune fille dans la rue qu’elle tentait pourtant de soustraire à la violence de son compagnon. En effet, hormis quelques exceptions 24, on ne trouve pas de solidarité particulière entre les femmes dans ces films, qui dénoncent tous en creux l’individualisme et l’isolement qui guettent l’homme et la femme modernes.

aver paura, ci sono io con te », la même que prononçait déjà le Pinocchio à jamais rebelle dans l’adaptation de Luigi Comencini. 22. I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 122-123 : « sono stata indignata dalla diffamazione di cui, dal giorno stesso della sua morte, Carlo Giuliani è stato oggetto, mettendo in piazza tutte le sue presunte vite, con rozzezza, grossolanità, menzogne, alle quali lui non poteva più rispondere ». 23. Ce point de vue est aussi celui adopté, à travers les histoires de six partigiane, pour appréhen- der le massacre des Fosses Ardéatines dans le spectacle théâtral Tante facce della memoria, qu’elle a mis en scène à l’occasion de la commémoration du soixante-dixième anniversaire de ce tragique épisode de la Résistance italienne. 24. Dans Mobbing, Anna trouve progressivement une confidente dans la figure de la collègue étrangère, elle aussi en difficulté à son retour de congé maternité, et le spectateur attentif remarquera également la brève apparition de Francesca Comencini jouant une professeure de Morgana qui s’enquiert de l’état de sa mère.

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Entre documentaire et fiction 25 Avant d’en venir enfin à la question du regard d’ethnologue, il nous faut encore souligner que, dans cette œuvre éclectique, documentaire et fiction se contaminent et se nourrissent réciproquement 26. Tout d’abord, il existe une solide continuité thématique entre tous ces films unis dans un même réseau d’intratextualité, tissé non seulement de thèmes récurrents mais aussi d’éléments plus anecdotiques. L’absence de rupture se situe également sur un plan stylistique. On peut évoquer certains choix dans la manière de construire le récit et, notamment, un rythme identique, résultant tantôt d’un enchevêtrement d’histoires parallèles comme dans A casa nostra, tantôt de la mise en scène qui tient en haleine le spectateur comme dans Carlo Giuliani, ragazzo et dans Mobbing à travers une tension dramatique allant crescendo jusqu’au final tragique inéluctable. En effet, par-delà tous les éléments qui peuvent opposer ces deux films, on y retrouve le même type de reconstitution progressive pour comprendre un événement dans son intégralité, ainsi que le même genre de participation provoquée chez le spectateur : dans les deux cas, on est en présence d’une forme de huis clos – celui de l’entreprise déshumanisante dans Mobbing, les ruelles de Gênes encerclées par les forces de l’ordre dans Carlo Giuliani, ragazzo – et le spectateur impuissant voit l’étau se resserrer autour d’une victime inno- cente. Les résultats similaires s’expliquent aussi par des méthodes de travail et des moyens techniques proches. Pour prendre le cas le plus significatif, Mobbing a été tourné en décors réels 27, avec de nombreux acteurs non professionnels, au moyen d’une caméra légère. Tous ces aspects contribuent à plonger le film dans une atmosphère de documentaire, surtout lors des scènes filmées dans les ateliers de production, lorsque Anna est chargée de « rationaliser » le travail des ouvriers. De manière générale, la réalité est très présente dans ce film inspiré d’histoires vraies documentées par la CGIL, citée directement à l’écran. L’œuvre de Francesca Comencini confirme si besoin en était que le rapport au réel ne saurait constituer un critère pertinent pour distinguer, opposer, des films dits documentaires à ceux dits de fiction, au contraire,

25. Nous empruntons cet intertitre à l’ouvrage d’I. Gatti, dont une section s’intitule « Tra documentario e fiction : la forbice del dispositivo filmico ». 26. Notre intention ici n’est évidemment pas de prendre part à un débat théorique sur les questions de genre ni de tenter de jauger la cinématographie de Francesca Comencini à l’aune de ces catégories classificatoires nécessairement mouvantes mais simplement de souligner les points communs entre tous ses films. 27. D’ailleurs, Francesca Comencini ne tourne en studio que dans des cas exceptionnels, considérés comme des « accidents » (cf. I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 81).

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chez elle, c’est précisément ce qui permet de faire le lien entre tous ses films qui attribuent toujours la primauté au souci de la réalité, favorisé par des dispositifs souples, ouverts à l’improvisation. Ainsi, d’après Luca Bigazzi, l’alternance entre une grande attention formelle et une large place laissée à la spontanéité constitue le trait unifiant de l’œuvre de Francesca Comencini 28, et l’intéressée de confirmer en s’autodéfinissant comme une « regista-documentarista » 29. On a donc d’un côté une forme de fictionnalisation des documentaires doublée d’une subjectivité assumée 30, et, de l’autre, une forme de contami- nation des films de fiction par le genre documentaire. Ces deux tendances contribuent ainsi à rendre les frontières assez floues entre les deux «genres cinématographiques » utilisés alternativement. Il faut vraiment utiliser ici ce terme de « genre » avec des guillemets, car l’on est bien en peine de définir ces films de manière définitive : s’agit-il de fictions sociales ? De documentaires politiques ? Ou encore, en ce qui concerne Carlo Giuliani, ragazzo, de « thriller documentaire [valant] toutes les fictions du monde », comme l’a écrit un critique 31 ? En tout cas, s’il est vrai que Francesca Comencini est loin d’être la première réalisatrice à marier documentaire et fiction 32, ces contaminations réciproques peuvent aboutir chez elle à certains résultats hybrides surpre- nants, ce qu’accentue encore la coprésence du drame et de la légèreté. On pense ici surtout au cas d’Un giorno speciale, qui oscille entre la comédie romantique et le néo-réalisme, comme l’indiquent certaines citations et autres références plus ou moins explicites : la scène d’essayage dans un magasin de prêt-à-porter et celle de la dégustation ardue d’une langouste font penser à un remake italien de Pretty woman, tandis que la première journée de travail du jeune chauffeur commençant sous le signe de la fierté

28. I. Gatti, Francesca Comencini…, « A proposito di fotografia. Conversazione con Luca Bigazzi », p. 191. 29. À la différence de sa sœur, dont les films accordent davantage d’importance à la narration et au récit qu’à la réalité (I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 82-83). Le rapport que son cinéma entretient avec la réalité doit beaucoup à la figure d’Elsa Morante (à laquelle elle a d’ailleurs consacré un documentaire), en particulier au texte Pro o contro la bomba atomica (1965). 30. Voir, par exemple, nos différentes remarques au sujet de Carlo Giuliani, Ragazzo. 31. V. Ostria, « Carlo Giuliani, Ragazzo », Les Inrocks : http://www.lesinrocks.com/cinema/films- a-l-affiche/carlo-giuliani-ragazzo/ (mis en ligne leer 1 janvier 2003, consulté le 8 décembre 2015). 32. Parmi les réalisateurs qui ont compté ou comptent particulièrement pour elle, il faut citer Rossellini, De Seta, Wiseman mais aussi Andrea Segre, Alina Marazzi, Nicolas Philibert ou encore Laurent Cantet dont les films ont constitué une référence pour la réalisation de Mobbing.

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pour se terminer dans le désespoir après qu’il a abîmé sa voiture (indis- pensable pour son travail) n’est pas sans rappeler Le voleur de bicyclette 33. Cette question nous donne d’ailleurs l’occasion d’évoquer la figure incontournable de son père, Luigi Comencini 34, par amour duquel elle a choisi le cinéma bien que, selon elle, il aurait sans doute aimé qu’elle cultive son intérêt initial pour l’anthropologie 35. Or, le cinéma de Luigi Comencini, d’abord incompris, était déjà caractérisé par une certaine porosité entre la comédie et le drame, tout comme par le souci de réaliser des films accessibles à un public populaire 36. Notre intime conviction est que ce même souci anime sa fille et explique que son audace stylistique soit parfois moins radicale que son courage politique. Pour reprendre le cas d’Un giorno speciale, le côté parfois un peu « lisse » du film s’explique sans doute par le désir qu’il soit aussi vu par un grand nombre de spectateurs de l’âge de la protagoniste.

Un cinéma-ethnologie ? Enfin, Francesca Comencini a approfondi une autre méthode de travail propre à son père : celle de faire du cinéma à la manière d’un ethnologue 37. Avant de développer cette idée, il n’est sans doute pas inutile de préciser comment cette dernière a germé dans notre esprit : il s’agit avant tout d’une forme d’intuition née lors du visionnage de ses films, intuition probablement en lien avec le fait que nous avons nous-même suivi un cursus de sociologie avant d’emprunter la voie de l’italianisme. Cette première impression a ensuite été nourrie par la lecture de la monographie d’Ilaria Gatti détaillant les méthodes de travail de la réalisatrice 38, et la piste d’approche selon

33. Pianoforte (1984), le premier film de la réalisatrice, avait remporté le prix De Sica. 34. Loin de nous l’intention de réduire l’œuvre d’une femme à sa relation avec son père (ou avec son mari) mais dans la mesure où cette filiation artistique est assumée et revendiquée par une cinéaste, dont le féminisme constitue une garantie de liberté à cet égard, l’honnêteté scientifique exige de la mentionner. 35. I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 68-69. 36. J.A. Gili, Luigi Comencini, Paris, Edilig, 1993, p. 81 et p. 97-98. 37. J.A. Gili soulignait déjà chez lui l’absence de préjugés, la disponibilité vis-à-vis de la réalité, la patience, l’humilité, ou encore la qualité d’écoute (ibid., p. 115-116). 38. L’auteure y remarque déjà : « i film di Francesca Comencini si possono anche considerare come una sorta di indagine antropologica sulla società italiana » (p. 14). Cependant, il nous a paru que cette spécialiste de cinéma connaissait relativement mal cette discipline (comme semble l’attester à un autre endroit – p. 53 – une digression sur l’arrogance de l’« anthropologue traditionnel »), ce qui expliquerait qu’elle n’exploite pas son intuition au sujet de l’« enquête anthropologique ». Pourtant, sa propre définition du cinéma de Francesca Comencini comme « poésie du réel » nous semble précisément correspondre à celle que nous avons fait le choix d’appeler « cinéma-ethnologie », en réalité, une autre

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laquelle la spécificité de son travail concernait non pas tant le rapport que ses films entretiennent avec la réalité que la relation de leur auteure avec le terrain nous a semblé d’autant plus légitime quand nous avons découvert qu’elle avait eu le projet de suivre des études d’ethnologie. Pour commencer à explorer cette piste interprétative, nous proposons de la tester ici à l’aune de quelques critères : l’expérience de l’altérité, l’importance de l’observation participante, le souci du détail et, enfin, la primauté accordée aux histoires de vie restituées dans une visée universaliste. Si l’expérience de l’alterité est au cœur de la démarche ethnologique, celle-ci n’est pas nécessairement liée à l’exotisme : elle peut s’entendre dans une acception générale comme la capacité à pénétrer des modes de pensée autres. Or, cette compétence est manifeste chez Francesca Comencini, dont le regard est relativement distancié, décentré vis-à-vis de l’Italie, ne serait-ce que du fait de l’importance de son expérience française 39. Pour parvenir à conduire une observation au service d’un questionnement anthropologique, elle sait justement mettre de côté ses propres valeurs pour réaliser, par exemple, des portraits justes de femmes parfois aux antipodes de ce qu’elle est mais dont elle cherche à décrire avec finesse – et sans jamais les juger – les motivations : on pense notamment à la mère d’Un giorno speciale, une mère aimante qui manifestement pense bien agir en poussant sa fille dans les bras d’un député dans la mesure où le système dans lequel elle évolue permet, voire encourage, ce genre de comportements. Dans cette approche nécessairement qualitative, le travail d’observa- tion sur le terrain joue un rôle de premier plan. En effet, chacun de ses films est précédé d’une longue période d’immersion s’apparentant à de « l’observation participante » 40, et ce, quel que soit le contexte, y compris

manière d’éluder la question de l’inscription de ces films si singuliers dans des catégories plus classiques telles que « fictions sociales » ou « documentaires politiques ». Bien entendu, ce cinéma se distingue du « véritable » cinéma ethnologique ou sociologique, raison pour laquelle nous avons utilisé ici l’expression « cinéma-ethnologie ». Sur le cinéma pratiqué par des sociologues, nous renvoyons à l’article-bilan de Y. Mignot-Lefebvre, « Le documentaire sociologique à l’épreuve de la télévision », Xoana : images et sciences sociales, 2, 1994, p. 67-90. En revanche, pour ce qui est de l’éventuelle valeur sociologique de films réalisés par des non-sociologues, on lira avec profit l’ouvrage d’Y. Delsaut, Reprises. Cinéma et sociologie, Paris, Raisons d’Agir, 2010. 39. Après avoir été scolarisée au lycée français de Rome, elle est venue s’installer en France toute jeune puisqu’elle n’avait que vingt et un ans lorsqu’elle y a épousé Daniel Toscan du Plantier. Sa longue expérience en France, une « seconde patrie » pour elle, et ses diverses rencontres (celle avec le producteur Serge Laluc entre autres) ont influencé sa manière de concevoir le cinéma (cf. I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 78). 40. L’observation participante, concept théorisé par Malinowski, consiste à aller observer les faits sociaux directement, c’est-à-dire au milieu des populations avec lesquelles on se familiarise en partageant leurs expériences.

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quand il s’agit d’aller vivre avec une famille de rescapés à Sarajevo dans le cadre du documentaire Dopo la guerra 41. Dans la continuité du travail de son père, auteur de deux grandes enquêtes télévisées, I bambini e noi (1970) et L’amore in Italia (1978), qui ont aussi nourri ses films de fiction 42, Francesca Comencini éprouve donc le besoin, avant de tourner, de réa- liser des enquêtes de terrain sur les sujets à filmer. Et quand cela lui est impossible, comme par exemple dans le cas de Le donne di San Gregorio où elle est appelée en urgence par La Repubblica, elle s’arrange pour le faire quand même en passant au moins une soirée intense en confidences au sein du campement de fortune :

Mi hanno chiamato da « la Repubblica » mentre montavo Lo spazio bianco chiedendomi di andare con urgenza a filmare la situazione dopo il terremoto. Avremmo dovuto riprendere delle persone senza aver stabilito con loro nessuna relazione. Ma io non filmo mai così. Sono arrivata lì e ho conosciuto delle donne, ho passato una serata indimenticabile a parlare con una ragazza e con le sue amiche nella tendopoli, mi hanno raccontato tante cose. La mattina dopo avevo studiato il dispositivo – qui è la differenza tra il cinema e il reportage – ho girato un piccolo film con delle regole rigide. In quelle ore intense, parlando con loro, ho capito il rapporto con il luogo, con la geografia dell’anima. Filmare una persona è un atto invasivo e lo puoi fare solo se te lo concede 43.

Or, cette réflexion sur le caractère intrusif (« invasivo ») de l’acte de filmer n’est pas sans rappeler un passage deLa misère du monde (la grande enquête sociologique dirigée par Pierre Bourdieu) dans lequel le sociologue emploie lui aussi ce terme d’intrusion et précise que, pour réduire la violence symbolique inhérente à toute situation d’enquête, les entretiens ont été réalisés par des enquêteurs proches des enquêtés afin d’établir une relation de confiance et de favoriser une écoute active 44. Certes, on rencontre sans doute ce type de travail préparatoire chez tous les réalisateurs, a fortiori pour les films documentaires, mais il nous semble, encore une fois, que cet aspect est accentué chez Francesca Comencini au point d’en devenir un trait caractéristique, une condition préliminaire indispensable à sa représentation du réel et à sa quête de vérité, car c’est durant cette immersion que peut se créer la relation d’empathie avec les sujets filmés 45. Quand d’autres se

41. I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 13. 42. J.A. Gili, Luigi Comencini, p. 55. 43. I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 79-80. 44. La misère du monde, P. Bourdieu (dir.), Paris, Seuil, 1993, p. 1391 et passim. 45. Ilaria Gatti ne parle pas d’observation participante mais la définition qu’elle donne de la méthode de Francesca Comencini rejoint ce concept : « l’approccio al documentario della Comencini può essere accostato a questo tipo di atteggiamento : per far emergere la specificità,

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contentent parfois de documentation indirecte, Francesca Comencini a besoin d’aller à l’intérieur, parmi, au sein de, pour comprendre, ce que nous confirment d’ailleurs les titres « in fabbrica » ou « a casa nostra ». Si cette technique est prévalente pour les films documentaires, elle n’en est pas moins présente dans les films de fiction. Car, plus surprenant, l’observation participante n’agit pas qu’en amont de la réalisation mais aussi pendant les films, puisqu’elle concerne également sa manière de diriger : ainsi, elle confesse son besoin de regarder longuement ses actrices pour parvenir à les comprendre et aboutir à une mimésis réciproque 46. Typique également du travail de l’ethnologue est la minutie de l’obser- vation réalisée : en effet, le chercheur en sciences sociales sait porter son attention vers des détails insignifiants pour l’observateur lambda mais qui, au contraire, sont chargés de valeur symbolique. Ce principe se vérifie pour toutes les questions sociales et politiques évoquées par Francesca Comencini, raison pour laquelle les lieux et les objets sont investis d’une attention particulière. On peut mentionner, par exemple, la scène du tire-lait dans Mobbing : lorsqu’une collègue d’Anna, de retour de congé maternité, est contrainte de tirer son lait en vitesse et en cachette dans les toilettes de l’entreprise, un détail apparemment anodin mais qui condense une question sociale de premier ordre, à savoir comment concilier vie professionnelle et maternité. Parmi les différents moyens à disposition, la technique privilégiée par la réalisatrice est celle des récits de vie, le plus souvent recueillis par des entretiens semi-directifs. L’exemple le plus significatif est l’entretien avec Haidi Giuliani qui constitue l’essentiel du film : un entretien au cours duquel l’écoute active de Francesca Comencini parvient à faire émerger la douleur liée à la perte d’un enfant sans que l’on sombre dans le pathos ou dans l’impudeur. On retrouve cette méthode dans In fabbrica ainsi que dans le court métrage Le donne di San Gregorio, où le drame de L’Aquila est saisi à travers les histoires de vie de six femmes de générations différentes qui ont toutes perdu leur maison. Ces histoires disent surtout, par-delà la tristesse et l’émotion, l’attachement de ces femmes à leur quartier, ses commerces, son bar, son église, en même temps qu’elles véhiculent un message d’espoir pour le futur. À la différence des quatre autres courts métrages de ce film collectif, ici la primauté est donc accordée à la parole des victimes, en face desquelles la réalisatrice s’efface : la plupart des questions ont disparu au montage et ces femmes sont filmées en plans fixes par une mise en scène minimaliste. Toutefois, ces histoires de vie sont toujours recueillies

l’intensità del reale, è necessaria un’immersione profonda, una mimesi massima, una condi- visione empatica tra il soggetto filmante e i soggetti filmati » (Francesca Comencini…, p. 57). 46. Ibid., p. 76-77.

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et restituées dans une vocation universaliste, avec l’objectif de servir un propos totalisant, à l’instar de l’ethnologie qui tente de constituer un savoir cumulatif et critique sur l’être culturel et social en cherchant à saisir à la fois l’ensemble des manifestations de la vie sociale envisagée dans sa dimension symbolique, et l’incorporation des faits culturels par les acteurs 47. En définitive, il est donc possible de prolonger la réflexion de Marghe- rita Buy selon laquelle, pour Cristina Comencini, le cinéma a représenté une forme de transgression par rapport aux études d’économie qu’elle avait faites 48 : selon nous, pour sa sœur cadette, le cinéma est bien dans la continuité des études d’anthropologie qu’elle souhaitait poursuivre, et son souhait de « fare un cinema documentario ma di tipo etnologico » 49 n’a été qu’en partie abandonné. Enfin, une dernière précision en forme de pré- caution s’impose quant au titre de cette communication qui n’est pas sans énoncer une forme de paradoxe : en effet, l’engagement contraste a priori avec la neutralité attendue du chercheur en sciences sociales. En fait, on l’a vu, ce sont surtout ses méthodes de travail qui s’apparentent à celles d’une ethnologue ; ses objectifs, quant à eux, servent un dessein éminemment politique. D’ailleurs, la position de Bourdieu lui-même a évolué sur la question de l’engagement 50, aussi l’a-t-on vu soutenir, à la fin de sa carrière, les mouvements ouvrier, chômeur et altermondialiste, et il semble bien que Francesca Comencini ait fait sienne la formule selon laquelle « la sociologie est un sport de combat », tant elle sait l’utiliser pour aider la société italienne à se défendre contre « les mauvais coups » comme, par exemple, la tentative de jeter le discrédit sur le mouvement altermondialiste, ou encore, celle de faire disparaître les ouvriers de l’imaginaire collectif 51.

Nadège Leclerc Université de Caen Normandie

47. Les allers-retours constants entre les niveaux individuel et collectif se manifestent, par exemple, dans la structure du film Carlo Giuliano, ragazzo, qui repose sur un montage alterné des séquences issues de l’entretien avec la mère du jeune homme et de celles composées d’images d’archives tournées pendant les événements. 48. I. Gatti, Francesca Comencini…, p. 185. 49. Ibid., p. 69. 50. Sur « “la neutralité axiologique”, identifiée à tort à l’objectivité scientifique » et, de manière plus générale, sur la nécessité de l’engagement du sociologue, on lira avec profit la préface de P. Bourdieu, Contre-feux 2, Paris, Raisons d’Agir, 2001. 51. Dans le documentaire que Pierre Carles a consacré au sociologue (La sociologie est un sport de combat, 2001), on entend P. Bourdieu donner la définition suivante : « Je dis souvent que la sociologie c’est un sport de combat, c’est un instrument de self-défense. On s’en sert pour se défendre, essentiellement, et on n’a pas le droit de s’en servir pour faire des mauvais coups ». Cette définition vaut également pour l’ethnologie puisque, pour Bourdieu, ces diverses sciences sociales sont autant d’approches d’une même science, l’anthropologie.

Livre 1.indb 158 03/10/2016 14:30 Il cinema italiano di fronte alle migrazioni (1994-2014) : da uno sguardo personale a uno sguardo politico

Riassunto : A partire dai primi anni Novanta, la penisola italiana è stata interessata a più riprese da flussi migratori cui le istituzioni non hanno saputo quasi mai rispondere in maniera umana. È toccato al cinema, più che agli altri dispositivi, supplire a tale difetto di comprensione e solidarietà. Dal 1994 al 2014, la figurazione e il ruolo del migrante nel cinema italiano hanno subito alcune evoluzioni fondamentali : l’« Altro » è passato progressivamente da un ruolo complementare a una posizione più auto- noma all’interno della narrazione. Da un ruolo di « specchio » in cui riconoscersi, lo straniero si è trasformato in oggetto di indagine, e spesso soggetto di racconto. Tale evoluzione si è accompagnata a un cambio di linguaggio di questo tipo di cinema ; se esso all’inizio si appoggiava in prevalenza su schemi di genere tradizionali, negli anni Duemila ha visto l’affermazione di forte istanze documentarie e la loro integrazione coerente nelle strutture della finzione. A tale trasformazione fondamentale, anche grazie al sorgere di una nuova generazione di cineasti impegnati, si è accompagnato un progressivo innalzamento del livello di engagement politico di questo cinema nei confronti di una questione sempre più centrale del dibattito politico italiano.

Résumé : À partir des années 1990, la péninsule italienne a été concernée à plusieurs reprises par des flux migratoires auxquels les institutions n’ont presque jamais su répondre de façon humaine. Face à ce défaut de compréhension et de solidarité, le cinéma a dû se charger, plus que les autres dispositifs, de suppléer ce manque de compréhension et de solidarité. De 1994 à 2014, la figure et le rôle du migrant dans le cinéma italien ont subi des évolutions fondamentales : l’« Autre » est progressivement passé d’un rôle complémentaire à une position plus autonome dans la narration. D’un rôle de « miroir » dans lequel se reconnaître, l’étranger s’est transformé en un objet d’enquête, et souvent en sujet de narration. Cette évolution s’est accompagnée d’un changement de ce genre de cinéma ; si au début on s’appuyait surtout sur des schémas de genre traditionnel, dans les années 2000 on a assisté à l’affirmation de formes documentaires fortes et à leur intégration cohérente dans les structures de la fiction. À cette transformation fondamentale, grâce par ailleurs à l’essor d’une nouvelle génération de cinéastes engagés, s’est ajoutée une augmentation progressive du niveau d’engagement politique de ce cinéma face à une question de plus en plus centrale dans le débat politique italien.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 159-172

Livre 1.indb 159 03/10/2016 14:30 160 Enrico Gheller

A proposito del titolo di questo convegno, che si interroga sulle insorgenze di natura politica e impegnata nel cinema italiano contemporaneo, si impon- gono diversi interrogativi. Esiste oggi in Italia un cinema propriamente politico ? E in caso affermativo, quali sarebbero le sue peculiarità ? Riesce davvero, tale cinema, ad intervenire sulla realtà e contribuire a modificarla attraverso una critica del potere ? Se considerassimo il cinema in senso esclusivamente tradizionale (come dispositivo composto di una struttura produttiva tradizionale, di una sala, di una visione collettiva, etc.), difficilmente riusciremmo a comprendere il ruolo politico da esso svolto nel mondo contemporaneo. In effetti molti testi audiovisivi impegnati, di fronte a un sistema distributivo tradizionale che li esclude, sono fruibili unicamente in rete, o comunque diffusi episodi- camente. Si può affermare che il film propriamente militante, negli ultimi vent’anni, ha progressivamente abbandonato la sala cinematografica, lo spettatore interessato a prodotti militanti si rivolge oggi allo schermo del proprio computer, alla ricerca di materiali video militanti diffusi in rete da organizzazioni politiche. Benché tale forma di fruizione sia evidentemente in opposizione a un’idea di esperienza politica tradizionale, che presuppone una partecipa- zione collettiva alla modificazione dell’esistente, va riconosciuto che i nuovi media telematici permettono una diffusione rapida dei contenuti di denun- cia. A questo proposito, sembra tornare alla ribalta il pensiero di Cesare Zavattini, indubitabilmente uno dei padri del cinema politico italiano. In effetti, lo scrittore-sceneggiatore promuoveva una vera e propria « esplo- sione » dell’immagine filmata, una parcellizzazione che doveva riguardare tanto i soggetti degni dell’attenzione dei cineasti quanto il pubblico desti- natario del messaggio. Al centro del cinema, in mezzo al suo fitto intrico di interconnessioni soggetto-realizzatore-spettatori, doveva trovarsi l’Uomo :

Osserviamolo il nostro uomo, cammina, sorride, parla, lo potete vedere da tutte le parti, avvicinarvi a lui, allontanarvi, studiare ogni suo atto, e ristudiarlo come se foste alla moviola. Ora, illuminato da tante lampade, gira adagio intorno a sé come la terra e noi lo osserviamo pieni di interesse, apriamo gli occhi sopra di lui che ci è davanti senza favola, senza storia apparente 1.

Si può d’altronde tranquillamente affermare che è nel periodo e nello spirito del Neorealismo che la vocazione umanista e impegnata del cinema

1. C. Zavattini, « Il cinema e l’uomo moderno », in Polemica col mio tempo. Cesare Zavattini, M. Argentieri (éd.), Milano, Bompiani, 1997, p. 61 e seguenti.

Livre 1.indb 160 03/10/2016 14:30 Il cinema italiano di fronte alle migrazioni… 161

italiano contemporaneo trova le sue radici storiche. Da questo stesso spirito proviene la fiducia nelle possibilità politiche della camera, che negli ultimi anni ha trovato nuovo slancio grazie all’elettronica e alla diffusione di mezzi di produzione video economicamente accessibili. Tale diffusione ha trovato di recente un’utilità politica in diversi ambiti militanti, soprattutto attraverso la forma specifica del reportage, organizzazioni politiche e cineasti impegnati possono approfondire le loro riflessioni e allargare il loro campo d’azione e le reti di solidarietà. Ad esempio, all’inizio del nuovo secolo, in seguito alle drammatiche giornate del G8 di Genova, in cui un giovane militante è ucciso dalle forze dell’ordine, lo strumento del video militante (gestito da reti come Indymedia), trova un’applicazione massiccia e documenta una parte importante degli avvenimenti, permettendo in seguito una denuncia dell’operato delle autorità. Uno degli ambiti più fruttosi di tale incontro tra audiovisivi e militanza riguarda, tra gli altri, quello delle lotte per i diritti dei migranti, un interesse che accomuna più settori del cinema italiano, quello commerciale distribuito in sala come il video militante. Dagli inizi degli anni Novanta, momento in cui il fenomeno dell’immigrazione ha iniziato a coinvolgere l’Italia, il cinema italiano ha dato conto del nuovo stato di cose, affrontando quasi da subito il tema dell’« altro » e del « diverso ». Mi concentrerò sull’evoluzione di questo sguardo, sul percorso com- piuto dal cinema italiano degli ultimi venti anni di fronte all’emergenza progressiva del fenomeno migratorio ; il corpus di opere da me selezionato ha conosciuto una distribuzione nel circuito tradizionale. A mio parere, il tema delle migrazioni è stato uno dei pochi ad aver consentito, nel corso degli ultimi anni, delle considerevoli manifestazioni di impegno politico all’interno di strutture produttive e distributive tradizionali. Più incisi- vamente rispetto agli altri temi politici, la questione della condizione dei migranti ha coinvolto il cinema e gli ha permesso di partecipare in maniera costruttiva al dibattito politico contemporaneo. In effetti, tale tema è, in Italia come in Europa, al centro dell’attualità politica ; dall’inizio degli anni Novanta i governi che si sono succeduti hanno tentato di gestire la situazione attraverso interventi puntuali e quasi sempre inadeguati. Gli atti giuridici repressivi messi in atto hanno progressivamente peggiorato le condizioni di vita dei migranti presenti sul suolo italiano. A tali atti di discriminazione, il cinema italiano ha sempre risposto in maniera diretta ; da una ventina d’anni, esso cerca di raccontare tale realtà sociale, di esaminarla, di spiegarla. Esso ha progressivamente appreso a esprimersi a proposito degli interventi messi in atto e a proporre una alternativa politica nella quale – secondo l’esempio di Zavattini – l’essere umano sia posto al centro della questione. In effetti, nel corso del XX secolo,

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il cinema è apparso come uno dei mezzi più adatti a riflettere su una que- stione così complessa. D’altronde, i temi del viaggio, dello smarrimento, dell’arrivo e della partenza, si trovano dall’inizio al centro della sua poetica ; pensiamo – con un flashback azzardato – a L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1895) dei fratelli Lumière, ma anche ai viaggi immaginari di Georges Meliès. La nozione di viaggio è strettamente legata a quella di racconto e il viaggio è struttura narrativa, metafora di evoluzione personale, di riuscita oppure di fallimento finale. In Italia questo tipo di cinema ha conosciuto, negli ultimi anni, un’evoluzione peculiare, secondo un percorso di maturazione che lo ha progressivamente portato a formulare un discorso politico sempre più netto e radicale. In seguito alla visione di circa venti opere 2 (per la maggior parte diffuse nelle sale italiane), mi è stato possibile individuare due fasi successive, il cui spartiacque si colloca nei primi anni 2000, corrispondenti a una fase di calo dell’interesse verso tali temi. Nel primo periodo (1994-2001 circa), il cinema italiano si confronta con l’« altro » in modo incerto ma prevalentemente intimo e personale. Il discorso politico esiste, ma passa attraverso le forme dello spettacolo ; la materia è trattata soprattutto attraverso la finzione e la tematica, e i personaggi di migranti sono inseriti in strutture di genere tradizionali (melodramma, commedia, road-movie etc.). Nella seconda fase (2004-2014), accanto al prosieguo dell’interessa- mento da parte del cinema di finzione, si sviluppa quello che potremmo definire « nuovo realismo », che dà vita a una nuova e vivacissima pro- duzione documentaria. Una nuova generazione di cineasti impegnati – divisi tra regia e militanza, tra messinscena e reportage grezzo – affronta la questione delle condizioni dei migranti con un nuovo entusiasmo. Tali

2. Un’anima divisa in due (Silvio Soldini, 1993), Lamerica (Gianni Amelio, 1994), Terra di mezzo (Matteo Garrone, 1996) ; Vesna va veloce (Carlo Mazzacurati, 1997), Ospiti (Matteo Garrone, 1998), L’assedio (Bernardo Bertolucci, 1998) ; Sud side stori (Roberta Torre, 2000), Tornando a casa (Vincenzo Marra, 2001), Saimir (Francesco Munzi, 2004), Lettere dal Sahara (Vittorio De Seta, 2004), Quando sei nato non puoi più nasconderti (Marco Tullio Giordana, 2005), Il vento fa il suo giro (Giorgio Diritti, 2005), La sconosciuta (Giuseppe Tornatore, 2006), Cover-boy (Carmine Amoroso, 2006), L’orchestra di Piazza Vittorio (Agostino Ferrente, 2006), Io, l’altro (Mohsen Melliti, 2007), Civico 0 (Francesco Maselli, 2007), Nuovomondo (Emanuele Crialese, 2007), Il resto della notte (Francesco Munzi, 2008), La giusta distanza (Carlo Mazzacurati, 2008), Come un uomo sulla terra (Andrea Segre, 2008), Good morning, Aman (Claudio Noce, 2009), Io, la mia famiglia Rom e Woody Allen (Laura Halilovic, 2009), Into paradiso (Paola Randi, 2010), Io sono Li (Andrea Segre, 2011), Terraferma (Emanuele Crialese, 2011) ; Mare chiuso (Stefano Liberti et Andrea Segre, 2012), La nave dolce (Daniele Vicari, 2012), La prima neve (Andrea Segre, 2013), Il villaggio di cartone (Ermanno Olmi, 2014), Io sto con la sposa (Gabriele Del Grande, Antonio Augugliaro, Khaled Soliman Al Nassiry, 2014).

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cineasti (o videomakers), sostenuti da un pubblico giovane e più sensibile a tali problematiche, rivolgono una critica apparentemente più esplicita alle istituzioni italiane.

Gli anni Novanta : l’« altro » sono io Alla metà degli anni Novanta, il modo in cui il cinema italiano affronta la tematica dei migranti e dell’accoglienza degli stranieri risente, come in genere l’ambiente culturale del momento, di un momento di crisi ideologica e politica delle sinistre tradizionali. La caduta del Muro di Berlino e la fine dell’Unione Sovietica hanno innescato nuove ondate di migrazione e, allo stesso tempo, hanno messo in crisi alcuni punti di riferimento ideologici tradizionali. Le opere cinematografiche di questo periodo sembrano risentire di tale smarrimento, affrontando la questione delle migrazioni in maniera incerta e guardando ai nuovi arrivati in maniera discreta e intima. A una società che oscilla tra diffidenza e curiosità, l’occhio del cinema serve ad approfondire la dimensione privata dei nuovi arrivati. Lamerica, film di Gianni Amelio (1994), può essere considerato come il punto di partenza di questo percorso. In uno stile hollywoodiano (con- traddistinto dall’uso del formato cinemascope), il cineasta adotta la forma del road-movie per raccontare l’Albania e i suoi abitanti sconosciuti, prota- gonisti di alcuni sbarchi sulle coste italiane. Di fronte a tali arrivi improvvisi e massicci, mentre lo Stato italiano adotta una serie di provvedimenti disumani e repressivi, un cineasta cerca di comprendere l’« altro », per ritrovarvi l’immagine di se stesso :

Vivere là, a Tirana o in Albania in generale, ti dava l’idea di essere ritornato un po’ nell’Italia degli anni ’50. Alla fine il film sull’Albania è diventato anche un film sull’Italia di quarant’anni fa. E gli emigrati albanesi, che sognano di vivere nell’Italia di oggi, rammentano un’altra emigrazione, quella nostra, storica, verso le Americhe 3.

Nel cinema italiano degli anni Novanta, lo sforzo di comprensione dell’« altro » è un tentativo di comprensione di se stessi ; in un momento di passaggio epocale, il migrante serve da specchio per ritrovare la pro- pria identità. Tale tendenza mi pare ravvisabile in altre opere dello stesso periodo, come Vesna va veloce (Carlo Mazzacurati, 1996), che segue le peripezie di una giovane donna cecoslovacca che arriva nel Nord Italia. Il film segue la parabola discendente della protagonista, all’inizio sorretta

3. M. Sesti, « Lamerica », intervista con Gianni Amelio (1994), in Gianni Amelio, un posto al cinema, D. Scalzo (a cura di), Torino, Lindau, 1994, p. 174.

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da un incrollabile ottimismo, ma obbligata in seguito alla prostituzione a causa dell’indifferenza degli italiani. Anche in questo caso, il personaggio di Vesna svolge una funzione riflessiva ; attraverso l’incontro con la pro- tagonista, l’italiano Antonio (e lo spettatore con lui) prende coscienza dei propri insormontabili pregiudizi ed egoismi. Anche il cinema di Matteo Garrone nasce sotto il segno delle migrazioni : le sue due prime opere (Terra di mezzo, 1996 e Ospiti, 1998) si interessano specificamente all’incontro-scontro di culture che segna la società italiana negli anni Novanta. In particolare, il secondo film si interessa al rapporto che si instaura tra i due protagonisti albanesi e i personaggi di Corrado e Lino : i due ragazzi stranieri appaiono come figure solide e coraggiose al cospetto dell’insicurezza degli autoctoni. Di fronte alla positiva speranza dei nuovi arrivati, secondo uno schema che si ripresenta più volte nelle opere studiate, gli italiani sono connotati come personaggi in crisi ; ne Lamerica, Gino (Enrico Lo Verso) perde progressivamente tutti i suoi averi e si ritrova alla fine a rientrare come clandestino su una nave di migranti ; in Vesna va veloce Antonio vive un’esistenza solitaria e precaria e trova nella giovane cecoslovacca un nuovo punto di riferimento. Credo sia inoltre interessante notare come, nella maggior parte del cinema italiano degli anni Novanta, le figure degli stranieri non siano mai viste nella loro dimensione di viaggiatori, quanto piuttosto in quella di nuovi cittadini. Potrebbe sembrare un paradosso, ma i film di questo periodo non si interessano tanto ai processi migratori che hanno condotto tali persone in Italia, quanto piuttosto al loro difficile processo d’integrazione e alla loro nuova vita. Nulla si sa del loro viaggio, né del loro passato ; essi sono corpi stranieri inseriti in un universo sconosciuto che essi esplorano con occhi nuovi. Agli inizi di questo fenomeno migratorio, il discorso politico del cinema italiano – un discorso che è certo critico, ma non esprime ancora una vera e propria istanza conflittuale – passa attraverso le strutture dello spettacolo, della messinscena, del simbolico. I generi tradizionali prestano spesso la loro forma ad una volontà di denuncia diffusa tra le fila dei cineasti legati alla sinistra. Il road-movie, la commedia, la storia d’amore, il giallo sono i generi pre- diletti per la messa in forma di uno sguardo problematico sui nuovi arrivati e, di riflesso, su se stessi. In tali film, dunque, il politico resta nell’ambito dello spettacolare e – per citare Christian Zimmer e la sua pubblicazione dedicata a politica e cinema – « le spectacle est, en un certain sens, impuis- sance devant le réel » 4.

4. C. Zimmer, Cinéma et politique, Paris, Cinéma 2000 – Seghers, 1974, p. 16.

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Gli anni 2000 : di fronte all’emergenza, uno sguardo più complesso I primi anni 2000 segnano, per il cinema italiano, un calo dell’interesse verso le condizioni dei migranti ; tali temi iniziano a tornare alla ribalta verso il 2004-2005, in seguito all’inasprimento di politiche securitarie che tendono a criminalizzare tali soggetti. In seguito, a partire dal biennio 2011-2012, gli sconvolgimenti politici che coinvolgono le regioni del Nord Africa portano migliaia di persone ad attraversare il mar Mediterraneo e spesso a trovarvi la morte. Al cospetto dell’emergenza, lo Stato italiano risponde in modo inadeguato : di fronte alle nuove ondate migratorie che interessano i confini del paese, si introduce il cosiddetto « reato di clan- destinità », promuovendo di fatto l’attività delle organizzazioni criminali dedite al traffico di esseri umani. I naufragi si succedono fino a quello del 3 ottobre 2013, quando circa quattrocento persone annegano nel canale di Sicilia. Il governo Letta mette dunque in atto l’operazione Mare Nostrum, che un anno più tardi diventa Frontex-Triton, ma che non può evitare la morte di novecentocinquanta persone il 19 aprile 2015. In aggiunta, il nuovo terrorismo islamico che dilaga in modo eclatante a partire dall’11 settembre 2001 e si manifesta ancora in occasione degli attentati di Madrid (2004) e Londra (2005), permette l’adozione di politiche statali allarmiste che diffondono un senso di insicurezza generalizzato e una generale diffidenza nei confronti delle persone di origine araba o di religione islamica. La gravità della situazione e la necessità di supplire a una mancanza di analisi e di comprensione impongono la ricerca di una via alterna- tiva all’accoglienza. Nel cinema italiano, tale esigenza si manifesta con il dispiegamento di un nuovo sguardo : da una decina d’anni, un « nuovo realismo » si è impadronito di una parte del cinema italiano. Si tratta di avere il coraggio di affrontare le questioni politiche in un modo differente rispetto al potere statale, attraverso un cinema che parli allo spettatore in modo diretto, anche di questioni giuridiche. Al cuore della questione si trova un nuovo interrogativo che riguarda la legittimità di una legge che non ha per scopo la protezione delle vite umane. Una ripresa generale della produzione documentaria italiana è ravvisa- bile a partire dal 2005, ripresa in cui il tema dell’immigrazione torna a essere privilegiato. A tale proposito, si potrebbe vedere Lettere dal Sahara (2004), film del maestro del documentario Vittorio De Seta, come un sintomo del cambiamento imminente. Tale mutamento si esprime in un progressivo re-interessamento del mercato distributivo per il film documentario e nella ripresa di alcuni eventi festivalieri espressamente dedicati a questo genere di opere, come ad esempio il Bellaria Film Festival.

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Tra le opere di questo tipo, un particolare interesse di pubblico e di critica ha suscitato L’orchestra di Piazza Vittorio (Agostino Ferrente, 2006), documentario dedicato ad una orchestra multiculturale romana. Il film esprime un punto di vista critico verso le logiche discriminatorie e propone una politica dell’accoglienza fondata sulla solidarietà e la condivisione delle culture. Ultimamente, un giovane autore come Andrea Segre, personalità pecu- liare divisa tra militanza e realizzazione di film, tra finzione e documentario, si dedica prevalentemente alla narrazione di storie di migrazione. Nella sua opera documentaria, i migranti sono interpellati in modo diretto ; essi non sono soltanto invitati al racconto delle loro vicissitudini, ma sono spesso implicati direttamente nel ruolo di co-autori dei film stessi. Con Andrea Segre ci troviamo di fronte a un cinema risolutamente impegnato, un cinema che affronta la questione dei migranti in Italia per rivolgere un’accusa alle istituzioni. Come un uomo sulla terra (2008) e Marechiuso (2012) sono dei reportages sulle condizioni dei migranti detenuti in alcuni campi di prigionia del Nord Africa a partire dai racconti di questi uomini e donne, sospesi in un limbo che sembra non avere fine ; Segre s’interessa ai dispositivi violenti messi in atto dallo Stato italiano per contenere gli sbarchi e denuncia le connivenze delle autorità italiane con il regime di Gheddafi. Accanto all’insorgenza di questa nuova e consistente produzione docu- mentaria, il cambio di passo è testimoniato dal presentarsi sulla scena di alcuni cineasti di origine straniera. A questo proposito vanno ricordati, ad esempio, due film come Io, la mia famiglia Rom e Woody Allen di Laura Halilovic et Io, l’altro di Mohsen Melliti. Il primo – piccolo documentario realizzato da una giovane regista d’origine bosniaca – racconta in modo ironico ma nitido la vita all’interno di un campo rom della periferia torinese e il razzismo che i suoi abitanti devono affrontare ogni giorno. La seconda opera, realizzata in un contesto nettamente più commerciale, adotta uno schema e uno stile hollywoodiani per raccontare il sospetto e i pregiudizi soggiacenti ai rapporti tra italiani e arabi all’epoca del terrorismo isla- mico ; attraverso una sceneggiatura che ricorda Stagecoach (Ombre rosse, John Ford, 1939), la condizione di coabitazione forzata è simboleggiata nel microcosmo di un peschereccio sperduto nel Mediterraneo.

Anni 2000 : le migrazioni nella finzione L’insorgenza di una nuova produzione documentaria non corrisponde a una crisi della finzione nel cinema italiano. Al contrario, il lavoro di messinscena resta vivace, benché sempre più permeato dalla drammatica attualità. In effetti il cinema dedicato alla immigrazione è progressivamente

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divenuto un crocevia di passaggio tra documentario e finzione, tra realtà e messinscena. Come già emerso a proposito della produzione documentaria, il cinema di finzione più recente guarda ai migranti interessandosi alla dimensione del viaggio ; esso si interessa al passato dei propri personaggi, che decidono di raccontare le loro storie e le ragioni della loro partenza. Nella narrazione realista dei viaggi e delle sofferenze di questi uomini e donne, il cinema italiano ritrova il senso della solidarietà umana. Agli inizi di tale « trasformazione ideologica », si trova un film come Quando sei nato non puoi più nasconderti di Marco Tullio Giordana. In collaborazione con gli sceneggiatori Sandro Petraglia e Stefano Rulli, il regista adotta il punto di vista di un bambino per raccontare il dolore pieno di speranza dei migranti alla ricerca di una nuova vita. Il personaggio del piccolo naufrago salvato dall’arrivo di queste persone simbolizza la parte sana della società italiana, una parte che crede ancora nel valore della fraternità tra gli uomini. In una società falsamente solidale, il solo soggetto capace di una vera comprensione dell’« altro » è un bambino ; tale atto di fiducia gli costerà l’incomprensione dei suoi genitori e degli altri adulti. Il personaggio del giovane protagonista – che rimanda peraltro ad una tradizione risalente a De Sica e Zavattini – rappresenta da un lato il bisogno di adottare uno sguardo vergine di fronte a un argomento così delicato, e dall’altro ribadisce la perdita di fiducia nelle strutture statali, rilanciando l’appello a una solidarietà diretta e incondizionata. In genere, mi pare di poter affermare che il 2005 rappresenti un momento importante di presa di coscienza che riguarda anche il pubblico ; questa nuova tendenza è illustrata da alcuni film-evento come Il vento fa il suo giro (Giorgio Diritti, 2005), film che deve il proprio successo proprio al passa-parola tra spettatori. Tale film racconta i difficili rapporti tra autoctoni e stranieri in un piccolo paesino delle Alpi occitane ; in questo microcosmo isolato il regista può esaminare da vicino le psicologie che muovono gli esseri umani di fronte all’ignoto. Il vento fa il suo giro è un’accusa diretta all’ipocrisia dell’italiano medio, disposto all’accoglienza di chi è diverso solo fintanto che egli non entra davvero nel suo spazio vitale. Nel film di Diritti, l’aspetto documentario (soprattutto l’uso di attori non professionisti e l’uso del dialetto) s’introduce nella struttura della finzione e dona un valore più forte al discorso politico dell’autore. Ancora a proposito di tale amalgama di documentario e finzione, mi sembra utile evocare Là-bas. Educazione criminale (Guido Lombardi, 2011). Il soggetto del film nasce da un fatto di sangue realmente accaduto, il massacro di Castel Volturno del 18 settembre 2008, in cui alcuni immigrati africani sono uccisi dalla camorra nella cittadina dei dintorni di Napoli.

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Il progetto iniziale di raccontare attraverso un documentario la vita quo- tidiana della comunità immigrata del luogo e il suo sfruttamento da parte della mafia locale si trasforma progressivamente, e prende la forma di un film noir contemporaneo che conserva la forza e la freddezza realista di una analisi sociologica. A proposito dei film sulle condizioni dei migranti, l’anno 2011 sembra offrire un quadro particolarmente ricco ; anche un anziano maestro come Ermanno Olmi decide di dedicarsi alla questione con Il villaggio di cartone. Il protagonista, un prete vecchio e malato, accoglie alcuni migranti in fuga nella sua chiesa ormai abbandonata, opponendosi in questo modo a una legge che fa della clandestinità e della solidarietà dei reati penalmente perseguibili. Attraverso una rappresentazione dai forti valori simbolici, un maestro del cinema italiano esprime la propria proposta sul futuro della Chiesa e dell’Umanità in generale ; per sopravvivere al suo inesorabile spopolamento – secondo Olmi – la Casa di Dio deve riscoprire la virtù della Carità e aprire le sue porte ai più umili degli uomini. Restando nel quadro dell’anno 2011, troviamo la stessa tesi, benché espressa su un registro più laico, alla base di Terraferma (Emanuele Crialese, 2011) ; in un’ambientazione da racconto mitico, il cineasta mette in scena l’opposizione tra due mondi. Sull’isola siciliana di Linosa, una famiglia di marinai si divide di fronte all’arrivo di una barca di migranti. Da un lato, l’anziano patriarca, fedele alla legge millenaria del mare, si oppone alle leggi dello Stato e rifiuta di denunciare i clandestini, dall’altra parte il suo figlio maggiore e i militari della Guardia di Finanza rappresentano l’egoismo piccolo-borghese e la ragion di Stato. Questo schema prettamente maschile è integrato dai due personaggi femminili di Giulietta e Sara, che trovano senza sforzo i punti di contatto per fondare un rapporto di sorellanza autentica. Alla fine, il rapporto si giocherà tra esseri umani, tra gli abitanti dell’isola e gli immigrati ; le istituzioni sono lontane, sorde alle richieste di chi fugge da guerre e povertà. Ancora una volta un punto di riferimento del film può essere trovato nel cinema neorealista, nello specifico in La terra trema (Luchino Visconti, 1948) ; al di là dell’evidente citazione contenuta nel titolo e nell’uso insistito del dialetto siciliano, i due film sono accomunati da un’esplicita volontà di denuncia politica. In una fase più recente, desta interesse una diffusa volontà di indagare fenomeni migratori appartenenti al passato e ormai rimossi dalla memoria collettiva ; è il caso di La nave dolce (2012), film di Daniele Vicari concepito come un documentario dalla forte istanza narrativa. Tale film ripercorre gli avvenimenti del 7 e 8 agosto 1991, data in cui la nave Vlora porta in Italia 20 000 immigrati albanesi irregolari. Costruito a partire da un vasto fondo di immagini televisive di repertorio e attraverso i racconti di alcuni

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protagonisti dello sbarco, il film costituisce una sorta di seduta psicanalitica nella quale il cineasta e il pubblico riscoprono un capitolo dimenticato (e vergognoso) della storia italiana recente. Una parte importante del film, infatti, evidenzia e denuncia le pratiche disumane messe in campo dalle autorità italiane nella gestione di questo avvenimento inatteso. Gli ultimi anni hanno dunque visto, nel cinema italiano, l’apparizione di un nuovo spirito politico, uno spirito che si oppone alle leggi ingiuste e rifiuta di considerare i migranti in base ai loro documenti di identità. A proposito delle politiche migratorie, il cinema del nuovo secolo sceglie di far esplodere le contraddizioni della nostra società e non teme di mostrare il conflitto, più che l’integrazione. La visione dei cineasti verso tali tematiche sembra dunque farsi più problematica ; lo sguardo del cinema italiano, che durante gli anni Novanta guardava soprattutto ai rapporti tra italiani e stranieri, si rivolge ora alle istituzioni.

Uomini e donne in primo piano A tale evoluzione ideologica radicale corrisponde un cambiamento di lin- guaggio. Per quanto riguarda le soluzioni di regia, in effetti, questa volontà di critica delle istituzioni e di riaffermazione dell’umano si traduce nell’uso sempre più insistito del primo piano, che spesso diventa uno sguardo in camera dei personaggi stessi. A questo proposito pare appropriato citare il seguente passo, tratto dall’opera teorica di Jean Epstein :

Le gros plan modifie le drame par l’impression de proximité. La douleur est à portée de main. Si je tends le bras, je le touche, intimité. Je compte les cils de cette souffrance. Je pourrais avoir le goût des larmes. Jamais un visage ne s’est encore ainsi penché sur le mien. Au plus près, il me talonne, et c’est moi qui le poursuis, front contre front. Ce n’est même pas vrai qu’il y ait de l’air entre nous, je le mange. Il est en moi comme un sacrement 5.

Anche Christian Zimmer ha ripreso (da Pierre Bourdieu e Arnold Hauser) l’idea di sacralità legata al primo piano nella rappresentazione artistica. A partire dall’arte antica, passando dal teatro classico, « la frontalité manifeste et réclame le respect ». Nel cinema politico, secondo Zimmer,

il ne s’agit plus du tout évidemment de quoi que ce soit de religieux, mais d’une disposition intérieure créée chez le spectateur et qui correspond quelque peu, si l’on veut, à l’expression « regarder la vérité en face ». […] Frontalité, facialité, c’est la position la meilleure pour en voir le plus possible. […] Ce rêve du

5. J. Epstein, Bonjour, Cinéma [1921], Paris, Éditions de la Sirène, 1993, p. 102.

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quantitatif est peut-être aussi un rêve d’embrassement cosmique, d’abolition de mes propres limites, de fusion entre le regardant et le regardé 6.

Il frequente ricorso al primo piano – e spesso allo sguardo in camera – che si riscontra oggi nel cinema italiano dedicato alla condizione dei migranti risponde dunque ad un’esigenza di contatto, di condivisione, di simpatia (termine da intendersi in senso letterale). A tale proposito, si potrebbe ricordare il ruolo del primo piano in Terraferma di Crialese, il quale attraverso una successione alternata di sguardi in macchina tra Giu- lietta (la siciliana) e Sara (la migrante), stabilisce un contatto di solidarietà reciproca tra le due figure. In modo simile, Daniele Vicari in La nave dolce pone i suoi narratori (gli albanesi, ora anche italiani, protagonisti dello sbarco del 1991) di fronte all’occhio della cinepresa, a contatto diretto con gli spettatori ; per di più, il film si apre e si chiude, in maniera ancora più esplicita, su una lunga sequenza di primissimi piani degli occhi di queste persone. Nella rappresentazione cinematografica della figura della persona migrante, il cinema che sorge in Italia a partire dal 2005 denota una mag- giore maturità politica ; il migrante inizia finalmente a essere percepito e rappresentato come un elemento della società e sempre meno come come un corpo estraneo. Il suo ruolo si stacca dalla semplice funzione di « spec- chio » che egli aveva ricoperto durante gli anni Novanta, per raggiungere uno statuto più autonomo.

Io sto con la sposa : ritorno del cinema impegnato ? Il percorso di apparente presa di coscienza del cinema italiano al quale stiamo assistendo ha recentemente fornito un caso particolare che credo utile considerare in ultimo luogo : Io sto con la sposa (Gabriele del Grande, Antonio Augugliaro, Khaled Soliman Al-Nassiry, 2014). Il film in que- stione assume un’autentica dimensione militante nella misura in cui esso costituisce il reportage di un’azione politica sovversiva. Si tratta in effetti del resoconto in forma di road-movie di un atto premeditato di disobbe- dienza al potere, il viaggio di un gruppo di migranti dall’Italia alla Svezia. Per aggirare le leggi che in Europa regolamentano lo spostamento degli extra-comunitari, i protagonisti-registi organizzano un falso corteo nuziale che riesce a oltrepassare illegalmente tutte le frontiere sino alla meta. Scritto, organizzato, diretto e interpretato da un giornalista e un cineasta italiani oltre che da un poeta siriano, Io sto con la sposa costituisce la testimonianza

6. C. Zimmer, Cinéma et politique, p. 46-48.

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di un atto esplicito di insubordinazione a una legge ingiusta. Per questo l’opera è molto più che un semplice prodotto cinematografico ; è possibile considerarla come un’azione politica in senso più largo. Il film ha incontrato un’accoglienza molto favorevole in più settori della società italiana ; esso è stato presentato alla Mostra del cinema di Venezia, in cui è stato oggetto di buone critiche, e ha ottenuto un grande successo di pubblico nelle sale ; soprattutto, Io sto con la sposa è stato accolto molto positivamente negli ambienti della sinistra extraparlamentare italiana, che ha visto in esso un raro esempio di cinema « utile ». Due piattaforme di riferimento di tali aree politiche, globalproject.info e infoaut.org, hanno recensito, sostenuto e contribuito a diffondere il film. Peraltro la particolarità di tale opera riguarda anche il suo processo di produzione ; i centocin- quantamila euro necessari alla sua realizzazione sono stati ottenuti grazie ad una raccolta fondi promossa in rete e il film ha potuto contare sulla collaborazione volontaria di alcune persone sensibili alla causa. Attraverso tale sistema di finanziamento e realizzazione collettiva, gli autori hanno inteso condividere anche la responsabilità di un atto di violazione di una legge ingiusta :

Molti film sono finanziati dal basso, ma spesso si finanzia l’opera artistica, il progetto estetico. Qui da una parte c’è il discorso della mobilitazione, ma dall’altra c’è anche l’idea di dire « Voi da che parte volete stare ? » Noi poniamo una questione : siamo d’accordo o no su come vengono gestite le migrazioni all’interno di Schengen 7 ?

Forse per la prima volta da molti anni, siamo di fronte, in Italia, a un esempio di cinema insurrezionale, secondo la categorizzazione di Barthélémy Amengual 8. In effetti, se anche nelle sue manifestazioni più impegnate il cinema italiano si è sempre mantenuto nella cornice di una funzione « civica » e di testimonianza, Io sto con la sposa compie un passaggio

7. R. Da Soller, « Cosa posso mandarti dal posto in cui arriverò ? », intervista con Antonio Augugliaro e Valeria Verdolini, apparsa sul sito globalproject.info, 17 ottobre 2014. 8. B. Amengual, Clefs pour le cinéma, Paris, Seghers, 1971, p. 192 : « Il conviendrait de distinguer, au sein du cinéma politique, un cinéma insurrectionnel (ou seulement insurgé) d’un cinéma simplement civique. Le premier, forcement marginal, parallèle, voire clandestin, circonstanciel, qu’il soit toléré ou traqué par le système, relaie cette agitation par la brochure, le livre interdit, le meeting et le tract sur lesquels les révolutionnaires de la fin du XIXe siècle établirent leur propagande et leur action. Le second, moins ambitieux mais non moins primordial, mobilise les consciences sur les problèmes immédiats de la réalité politique et sociale, nationale et internationale. À défaut d’inciter le spectateur à la critique des armes, tâche qui incombe au cinéma insurrectionnel, le cinéma civique lui apporte les armes de la critique. C’est au cinéma civique, davantage menacé, on le conçoit, de castration et de récupération, que l’art est le plus nécessaire ».

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radicale. Nell’Italia di oggi, dove in seguito a vent’anni di « berlusconismo », la sinistra parlamentare porta avanti un’idea di democrazia strettamente legata ad una legalità incondizionata, Io sto con la sposa propone corag- giosamente una via alternativa. Ma siamo di fronte a un cinema davvero rivoluzionario ? La risposta sembra essere negativa, poiché il contenuto radicale di questo film non corrisponde a una forma artistica altrettanto innovativa ; in fin dei conti siamo ancora nel genere del road-movie. Tali dubbi sono stati recentemente sollevati anche in un saggio di Ivelise Perniola, la quale afferma che « il cinema del reale di oggi riflette soltanto l’immagine di se stesso, non c’è verità, c’è solo infinita rappresentazione, di codici, di norme, di modelli culturali, di stratificazioni mediatiche e storico-sociali. Il cinema del reale è scomparso » 9. La ripresa generale del documentario italiano come cinema di denuncia lascia dunque alcuni dubbi a proposito della sua effettiva natura e della sua capacità di rapportarsi all’esistente. Soprattutto nella sede specifica della sala cinematografica il documentario sembra, secondo Perniola, perdere la sua efficacia :

Di fronte allo sgretolamento della società, di fronte alla spettacolarizzazione della politica, di fronte alla fine della spettatorialità tradizionale, il documen- tario ritorna al cinema come al luogo della nostalgia, tendenza certamente affascinante ed evocativa, ma sotto molti aspetti poco produttiva 10.

Nondimeno va riconosciuto che, in un cinema dalle strutture pro- duttive piuttosto rigide, profondamente dipendente dai finanziamenti pubblici, l’urgenza del dibattito sui migranti ha saputo stimolare (più di altre tematiche politiche) una produzione relativamente libera e alternativa.

Enrico Gheller Université de Caen Normandie

9. I. Perniola, L’era postdocumentaria, Milano – Udine, Mimesis, 2014, p. 9. 10. Ibid., p. 112.

Livre 1.indb 172 03/10/2016 14:30 Andrea Segre entre éthique, esthétique et politique

Résumé : De ses premiers documentaires à la fin du XXe siècle jusqu’à ses fictions les plus récentes, Io sono Li (2011) et La prima neve (2013), le cinéma d’Andrea Segre enregistre les tensions du réel et procède à une sorte d’« état des lieux » pour remonter aux sources des dysfonctionnements qui affectent le corps social, en particulier dans ses composantes les plus fragiles : Tsiganes, ex-colonisés, migrants, travailleurs clan- destins, classes populaires déportées aux marges de la cité. Il leur donne une visibilité et rend audibles leurs voix. Nous y voyons une expérience politique intéressante, dans laquelle prend corps l’utopie d’un cinéma démocratique tel que l’avait rêvé Zavattini dans les années 1960, même si on peut s’interroger sur les limites épistémologiques de ce cinéma du témoignage et sur la liberté interprétative laissée au spectateur. La force politique du propos ne doit pas occulter non plus les dimensions esthétique et poétique d’une œuvre où se déploie un art du portrait assez remarquable. Riassunto : Sin dai primi suoi documentari alla fine del ’900 fino ai lungometraggi di finzione più recenti,Io sono Li (2011) e La prima neve (2013), il cinema di Andrea Segre registra le tensioni del reale e ne indaga le storture. Dedica particolare atten- zione alle componenti più fragili del corpo sociale : zingari, ex-colonizzati, migranti, lavoratori clandestini, classi popolari deportate ai margini della città, e da loro uno spazio di visibilità. Le loro voci escono dal silenzio. In questo vediamo un’esperienza politica rilevante sulla scia dell’utopia di un cinema democratico e partecipativo quale l’aveva sognato Zavattini negli anni Sessanta, anche se possiamo interrogarci sui limiti epistemologici di questa cinematografia della testimonianza nonché sulla libertà interpretativa rimasta allo spettatore. La forza politica del discorso filmico non deve poi distogliere l’attenzione dalla dimensione estetico-poetica di un’opera in cui l’arte del regista ci offre una galleria di ritratti di grande umanità.

Andrea Segre, quadragénaire socialement engagé qui avait déjà à son actif une douzaine de réalisations, a conquis une visibilité nouvelle dans le panorama contemporain du cinéma italien après le succès de Come un uomo sulla terra (documentaire, 2008) et celui de Io sono Li (fiction, 2011). Si l’on avait jamais cru pouvoir traiter de politique comme d’un « objet » dont le film serait – en quelque sorte – le contenant, cette illusion ne saurait résister longtemps à l’analyse de la production d’un auteur auquel sa formation comme ses divers types d’engagements ont donné un profil singulier. La

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 173-188

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construction de l’œuvre ainsi que la pratique cinématographique du réalisa- teur ont beaucoup à nous apprendre sur son rapport au politique (ou à « la » politique : il faudra, plus avant, sortir de cette indétermination provisoire du genre). Son cinéma documentaire, même s’il prend naissance « sur le terrain » auprès de témoins « presi dalla strada », est loin d’être neutre et il serait vain de prétendre dissocier le discours de son objet. Au moment de tracer un bref portrait de l’auteur – cinéaste mais aussi sociologue, spécialiste des sciences de la communication, enseignant à l’université, blogueur, auteur de projets audio-vidéo – nous reviennent en mémoire les propos d’une autre personnalité tout aussi polyvalente, un génial touche-à-tout qui se qualifiait lui-même de « dilettante » malgré sa maîtrise bien réelle des différentes expressions auxquelles il s’était essayé ; né à la même époque que le cinéma, Alberto Savinio 1 disait du septième art : « è un terribile svelatore di secreti […] un’arte che cerca le verità nascoste » 2. Cette intuition savinienne aurait sa place en exergue à la filmographie de Segre, qui compte une vingtaine de moyens et longs métrages réalisés entre 1998 et 2015 3. Ses « enquêtes » – le terme peut s’entendre de façon assez littérale lorsqu’il s’agit de films comme Il sangue verde (2010 ; sur les événements de janvier 2010 à Rosarno Calabro) ou Come un uomo sulla terra (sur le parcours des migrants subsahariens en direction de l’Italie), de façon moins littérale dans le cas des fictionsIo sono Li (2011) et La prima neve (2013) – comportent une dimension ethnographique et / ou sociologique. La logique qui les gouverne s’émancipe de la narration linéaire pour obéir à celle du dévoilement progressif où, à partir de l’émiettement des faits ou des événements relatés par bribes par un ou plusieurs témoins, ce qui se présentait comme un puzzle va peu à peu révéler un dessin d’ensemble.

L’auteur Né en Vénétie en 1976, Andrea Segre, après un doctorat en sociologie de la communication, a enseigné l’analyse ethnographique des productions vidéo ainsi que la communication sociale à l’université de Bologne jusqu’en 2010. Son travail de cinéaste a ensuite pris le pas sur ses autres domaines d’activité.

1. Si lui-même ne pratiqua pas le septième art, Alberto Savinio (Athènes, 1891 – Rome, 1952) élabora pourtant une demi-douzaine de sujets de films dans les années 1940 et publia un grand nombre de critiques cinématographiques, dès les années 1920, dans divers périodiques (dont plusieurs revues spécialisées). 2. A. Savinio, « Galleria », in Il Sogno meccanico, V. Scheiwiller (éd.), Milan, Quaderni della fondazione Primo Conti, 1981, p. 67 ; première parution dans la Rivista del cinematografo en février 1924. 3. Les observations qui suivent sont fondées sur l’analyse de la production de 2008 à 2015.

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Marco Bertozzi, dans sa Storia del documentario italiano parue en 2008, ne fait mention de lui que dans une brève note de bas de page 4. C’est, en fait, cette même année 2008 que Come un uomo sulla terra, documentaire « coup de poing » plusieurs fois primé 5, attire l’attention des professionnels, lui vaut leur reconnaissance et celle d’un certain public. L’enquête filmique révélait des complicités inattendues entre les instances européennes et l’État libyen – dernier rempart avant l’Europe – dans la tentative d’endiguer les masses migrantes qui traversent le Sahara. Mais c’est surtout en 2011 que le grand public découvre le travail d’Andrea Segre avec le long métrage Io sono Li (distribué à l’international sous le titre français moins polysémique mais commercialement plus attirant de La petite Venise et sous le titre : Shun li and the Poet dans les pays anglophones). Inspiré d’une situation réelle, le drame met en scène une jeune femme immigrée de Chine, à qui sa communauté d’origine a assigné un emploi dans un bar de Chioggia. Si, par son réalisme, le film tend parfois vers le reportage, le cinéaste a toutefois fait appel à des acteurs professionnels reconnus : à côté de Marco Paolini, Roberto Citran et Giuseppe Battiston, l’actrice préférée du cinéaste chinois Jia Zhang-Ke, Zhao Tao, dont Segre a particulièrement apprécié le jeu tout en retenue et pourtant expressif, et l’acteur serbo-croate bien connu d’Hollywood, Rade Šerbedžija, dans le rôle de Bepi, pêcheur immigré de longue date de l’ex-Yougoslavie. Les dimensions ethnographique, sociologique et poétique s’entrecroisent dans ce film très abouti et donnent une œuvre riche mais sobre, plastiquement remarquable car Luca Bigazzi (parmi les meilleurs directeurs actuels de la photographie) a su capter l’ambiance très particulière de la lagune, subtil mélange de couleurs chaudes et froides, à l’image d’un milieu ambivalent, à la fois chaleureux et distant. Si le milieu participe des flux et des échanges internationaux, la composante humaine y reste profondément conservatrice, souvent rétive à la métabolisation de l’élément étranger. Andrea Segre connaît bien le milieu qu’il dépeint : si lui-même est né à Dolo, sa mère est originaire de Chioggia 6, où il a passé les étés de son enfance. Il tourne actuellement au rythme d’environ un film par an et voyage pour les besoins de la réalisation et de la promotion de ses films. Au

4. M. Bertozzi, Storia del documentario italiano. Immagini e culture dell’altro cinema, Venise, Marsilio, 2008, p. 284. 5. Grand prix Téléfrance du meilleur documentaire au Centre méditerranéen de la commu- nication audiovisuelle de Marseille (2009) ; prix de la communication interculturelle TV5 Monde à Montréal… Pour une liste exhaustive des distinctions reçues, voir le site www. zalab.org. 6. « It was virgin territory from a cinematic point of view », observe le producteur Francesco Bonsembiante (« and Italy meet in a Seaside Bar », New York Times, 19 janvier 2011).

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moment où nous l’évoquons, le réalisateur est invité à la Freie Universität de Berlin où sont présentés Io sono Li et La prima neve (2013). Comme dans le drame précédent, ce deuxième long métrage de fiction soumet à l’observation un élément allogène (ici, un réfugié togolais) plongé dans un milieu social et culturel très marqué par son terroir d’appartenance, une vallée du Trentin. Le cinéma n’est pas le seul véhicule des prises de position militantes d’Andrea Segre : présent sur les réseaux sociaux, son blog appelle régulièrement à des actions en faveur des réfugiés ou de la lutte anti-mafia.

L’œuvre Come un uomo sulla terra a donc marqué un tournant dans le parcours d’Andrea Segre. Autant par ses conditions de réalisation que par son objet, ce documentaire sortait de l’ordinaire. Dans ces années 2000, la route du Sahara amène en Italie des flux toujours renouvelés de migrants, notam- ment érythréens et éthiopiens. Convié à animer un atelier vidéo dans un centre d’accueil pour les réfugiés, Andrea Segre y rencontre l’Éthiopien Dagmawi Yimer, avec qui il va co-réaliser le film qui se construit à partir des témoignages des migrants. L’intérêt pour l’autonarration filmique avait déjà amené Segre à réaliser un documentaire intitulé Kerchaou, du nom de l’oasis tunisienne où, en 2006, il avait mis en œuvre son projet. Il s’agissait non seulement de recueillir une parole, ce qui relève de la pratique sociologique de l’entretien, mais aussi de donner les moyens à cet autre habituellement privé de parole de bâtir son propre discours. Kerchaou se définit comme una riflessione sulle possibilità, per i giovani che vivono in aree culturalmente e geograficamente isolate, di accedere attivamente ai mezzi di comunicazione. Che significa diventare narratori della propria realtà e non solo passivi fruitori di immagini provenienti da mondi lontani verso cui sognare di fuggire 7. Ainsi, Segre, sociologue, ethnologue, expert en communication, avait mis au point une méthode d’investigation filmique aux finalités croisées mais cohérente et efficace. Au fil des enquêtes se révèle la barbarie souvent dissimulée derrière la civilité apparente de nos sociétés. La réalisation la plus récente à l’heure où nous écrivons, I sogni del lago salato (2015), traite de l’impact de l’installation des multinationales sur les équilibres tradition- nels. Parti enquêter au Kazakhstan, qui connaît actuellement un boom économique dû essentiellement à l’exploitation par l’ENI des ressources naturelles en pétrole et en gaz, Segre instaure dans son film un parallèle

7. « Kerchaou. Liberi segnali dal deserto », https://Terzacom.wordpress.com (site de l’Obser- vatoire de la communication sociale et de l’édition du Troisième secteur).

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avec l’histoire italienne des années 1960. En s’approchant au plus près de la perception des habitants des grandes steppes, il enregistre la désorientation produite par des choix politiques qui leur échappent, dictés désormais par les multinationales. C’est une forme de barbarie insidieuse qui s’installe, induite par une idéologie du profit imposée de l’extérieur : elle ignore le citoyen ou l’instrumentalise. Le titre du film rappelle la dimension omise (ou niée ?) par le système : celle, impalpable et pourtant consubstantielle à la nature humaine, du rêve et du désir. Dans la terminologie des études postcoloniales, on définirait le projet de Segre comme élaboration d’un espace de parole ouvert / offert au « sujet subalterne ». Là résiderait le fondement de l’éthique du réalisateur : affirmer que la parole de l’autre a autant de poids que la nôtre, et que, même habitant des marges et des périphéries, il a aussi « droit de cité ». On entre ici dans la dimension politique du travail de l’auteur car il est bien question ici « du » politique (au masculin) : projet commun dans lequel chaque habitant de la cité (cittadino) doit trouver sa place. À partir de ces prémisses, l’enquête filmique se construit entre le constat et la dénonciation. On dénonce les abus d’un pouvoir aveugle, souvent difficile à localiser. Tout n’est certes pas aussi dramatique que le blanc-seing accordé par l’Europe à la Libye pour le racket et la torture des candidats à la migra- tion 8, mais d’autres enquêtes filmiques dévoilent d’autres collusions : entre un gouvernement et des multinationales, entre les autorités civiles et les mafias, entre les municipalités et les promoteurs immobiliers… On passe alors du politique à LA politique, comme exercice d’un pouvoir qui crée les conditions du malaise. Le constat est réalisé par la mesure « sur le terrain » de l’effet des déci- sions prises, comme on dit, « en haut lieu ». Les classes populaires ont été chassées du centre « historique » de Rome pour se retrouver au « lieu du ban » dans des banlieues toujours plus lointaines, dépourvues de services, où elles sont abandonnées à elles-mêmes. Progressivement émerge la dépolitisation d’un citoyen à qui sa vie échappe ; à la conscience de sa perte de prise sur le réel, s’ajoute un sentiment de désorientation : « non so più da che parte sto » 9, déclare une ancienne militante de gauche. Le péril transparaît en filigrane car l’Histoire montre que c’est dans ces moments où les citoyens ont l’impression de ne plus être pris en compte que la démocratie vacille.

8. Le raccourci de la formule semble choquant, mais quelqu’euphémisées que puissent être les tournures, ce qui, en dernière analyse, est mis au jour, ce sont les circuits économiques et diplomatiques par lesquels les subventions européennes arrivent dans un pays chargé d’endiguer, par des moyens laissés à sa libre appréciation, les migrants dont l’Union européenne ne veut pas. 9. Magari le cose cambiano.

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« Le racisme, il est dans l’air, il entre dans nos maisons » 10, dit le même personnage qui, lucide, résiste contre la contamination idéologique par « l’air du temps ». Autour d’elle, ses voisines semblent plus fragiles. La désorientation mentale dont témoignent ces femmes est traduite à l’image ; spatialisée, elle s’exprime dans les topographies absurdes d’une périphérie romaine où les immeubles plantés au milieu de terrains vagues (qui, à dis- tance d’un demi-siècle, ne sont pas sans évoquer au cinéphile des plans de Mamma Roma 11), sont entourés de voies inachevées et d’allées ne menant nulle part. Dans ces espaces déstructurés à l’affectation douteuse (parkings ? impasses ?), ces femmes, habitantes de la même résidence, semblent errer plutôt que se promener et, de ce qui n’arrive pas à se constituer en véritable conversation, surgit l’expression d’un même malaise. C’est la dégénérescence du pacte social qui se révèle à l’écran. À partir de là, et de ce qu’on définirait en italien comme un « cinema d’impegno civile », la position d’Andrea Segre nous apparaît comme celle du « veilleur » (ou, si ça n’était devenu un statut, du « lanceur d’alerte »). La réminiscence d’un commentaire biblique nous ramène à l’esprit cette figure qui veille quand les autres dorment… : si le veilleur aperçoit le danger – dit le commentateur – il est alors tenu d’alerter la cité, sous peine de porter la responsabilité des événements néfastes qui pourraient s’ensuivre. Le projet global est complexe : entre investigation et mise au jour des rapports de pouvoir souterrains, il explore aussi les mécanismes de l’auto- narration et de la communication sociale. On s’intéressera donc de plus près à l’outil que le cinéaste élabore à cet effet.

Un cinéma dialectique Sociologue, le cinéaste pose la question des rapports de pouvoir et mène son enquête dans les marges où sont confinés les sujets économiquement faibles et / ou discriminés : Tsiganes, migrants, réfugiés, populations des banlieues… Ethnologue, le cinéaste enregistre la diversité du monde et sous la diversité apparente, des soucis, des aspirations, des rêves qui reconduisent tous à une même dimension très humaine. Sa (dé)monstration pourrait illustrer la pensée de Lévinas qui voyait le fondement de l’éthique dans l’aptitude à reconnaître son propre visage dans le visage de l’autre. Dans un moment où la question migratoire est particulièrement sensible, le décentrement de la vision eurocentrée promu par la plupart des documentaires de Segre a valeur d’engagement politique.

10. Magari le cose cambiano. C’est nous qui traduisons. 11. P. Pasolini, Mamma Roma, 1962.

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Vidéaste, sa passion du « voir » paraît quasiment relever de la pulsion… Dans la scène d’ouverture de Magari le cose cambiano (2009), le paradigme visuel est exalté : au plan rapproché sur les touristes armés de caméscopes (tandis que dans la profondeur de champ en circulent d’autres, équipés de lunettes de vue ou de soleil) succède un plan sur des touristes prenant des photos ; regard dédoublé ou redoublé, le dispositif optique est mis en exergue. Le choix même du logo de ZaLab, l’association fondée en 2006 par Segre avec quatre autres réalisateurs, est particulièrement éloquent : le personnage animé à la tête en forme de caméra pourrait être la déclinaison graphique du « cinéma-œil » théorisé par Vertov. Sur le site du collectif ZaLab, les réalisateurs (Matteo Calore, Stefano Collizzolli, Maddalena Grechi, Andrea Segre et Sara Zavarise) se définissent comme « filmmakers e operatori sociali » 12. À l’heure où triomphe une idéologie entrepreneuriale et individualiste, le choix d’une forme associative s’inscrit relativement « à contre-courant ». La finalité est de réaliser des vidéos « participatives » définies en ces termes : « Il video partecipativo è l’officina delle storie. I laboratori di ZaLab si rivolgono a chi vive al margine e normalmente non si esprime con il video, ma che grazie al percorso labo- ratoriale può diventare autore di racconti inediti sulla realtà » 13. Après le tandem avec Dagmawi Yimer, l’expérience de la co-réalisation est réitérée avec Stefano Liberti pour Mare Chiuso (2012) : la parole est aux migrants sauvés de la noyade en Méditerranée, qui, après s’être crus accueillis en Italie, se sont vus refoulés dans des camps libyens. « ZaLab inoltre promuove cam- pagne sociali per diffondere democrazia e diritti delle minoranze, soprattutto grazie alla rete di distribuzione civile che ha costruito negli anni per favorire la libera circolazione di film e documentari » 14, lit-on sur le site. L’enjeu commercial est donc secondaire car l’impératif premier est de favoriser la circulation des documentaires et de la parole qu’ils véhiculent. Le nom de Zalab place le projet dans le sillage d’une des plus grandes figures du cinéma italien. Dans cette expérience collective, on pourrait voir une version contemporaine du projet de Zavattini, dans les années 1960, d’un cinéma collectif et autoproduit, émancipé des logiques du profit et au service du citoyen et de la communauté 15.

12. Cf. www.zalab.org. 13. Ibid. 14. Ibid. 15. Le projet voulu par Zavattini donna naissance à quelques « Cinegiornali liberi » entre 1968 et 1970. Pour une remise en perspective de cette expérience, cf. M. Bertozzi, Storia del documentario italiano…, p. 193 sq.

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Le cinéma documentaire de Segre procède par juxtaposition de « mor- ceaux » : des témoins relatent leur vision d’une situation donnée à partir du point de vue qui est le leur. Ka drita ? (2001), Marghera Canale nord (2003), Come un uomo sulla terra, Magari le cose cambiano, Il sangue verde, Mare chiuso et Come il peso dell’acqua (2014) : la construction chorale est récurrente. De la multiplication des points de vue émerge un tableau dont l’unité se révèle progressivement. Par l’insertion d’images d’archives, le présent se met à dialoguer avec le passé ou alors, la composition contrapuntique instaure une dialectique entre micro et macro-histoire. Aux plans d’ouverture de Come un uomo sulla terra montrant Dagmawi Yimer assis au terminus des bus à la gare Termini, font suite des images de l’Éthiopie à l’époque coloniale ; dans Il sangue verde, le réalisateur rapproche l’exploitation d’une main-d’œuvre misérable dans la Calabre des années 1930 et celle des clandestins africains au XXIe siècle ; le Kazakhstan de 2015 est comparé à l’Italie des années 1960 (illustrée par les archives familiales des parents de Segre dans I sogni del lago salato). Ces rapprochements visent à mettre en évidence la systématicité de certaines dynamiques socio-économiques mais aussi à remonter aux « racines » du mal, en signifiant que les problématiques du présent ne sont pas lisibles sans prise en compte d’un passé dont elles portent les stigmates. Un « grand témoin » est parfois convoqué, qui commente et explicite un rapport suggéré par l’image : dans Il sangue verde, ce rôle revient au sénateur Giuseppe Lavorato, ancien maire de Rosarno (avant les événe- ments de 2010). Son statut particulier – ou l’inscription en contrepoint de son intervention ? – est souligné par le choix de le filmer en noir et blanc.

Valeur heuristique de l’image Tout le projet cinématographique de Segre est sous-tendu par une visée cognitive : donner à voir pour comprendre, dévoiler ce qui était caché, pousser les portes et aller voir « de l’intérieur ». Dans Il sangue verde, un travailleur africain raconte que les Blancs ne franchissent jamais le seuil de l’appartement que lui a alloué la municipalité ; ceux qui viennent lui proposer un travail frappent à la porte mais n’entrent pas. Segre, lui, est entré et, avec sa caméra 16, nous entraîne à sa suite.

16. « Moi, c’est-à-dire la machine, je suis la machine qui vous montre le monde comme elle seule peut le voir. / Désormais je serai libérée de l’immobilité humaine. Je suis en perpétuel mouvement. / Je m’approche des choses, je m’en éloigne. Je me glisse sous elles, j’entre en elles. […] / Je vous fais découvrir le monde que vous ne connaissez pas […] », pouvait-on lire il y a presque cent ans dans le manifeste de Vertov (1923).

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Le « cinéma du réel » n’entretient pas forcément un rapport mimétique avec celui-ci. Segre ne cherche pas à restituer l’événement dans sa plus ou moins grande linéarité mais il utilise le cinéma comme instrument maïeutique : au terme de l’enquête filmique, on accouche d’une vérité qui était déjà là mais le manque de recul nous empêchait d’en distinguer la forme. Les débuts sont souvent placés sous le signe de l’indétermination ; pendant de longues minutes parfois, le spectateur se trouve dans l’inca- pacité de déterminer précisément ce dont il est question. Un homme en bottes en caoutchouc, au début de Il sangue verde, se promène dans un hangar au milieu d’objets jonchant le sol : matelas, tentes igloo, sacs en plastique, vêtements, seaux, jerricans vides… Est-ce une décharge ? Un campement nomade après expulsion ? L’image projette à la face du spectateur l’enregistrement d’un état de faits donné mais elle n’est pas spontanément intelligible. Après la scène des touristes aux abords du Colisée, dans Magari le cose cambiano, une femme d’âge mûr raconte que le quartier était autrefois animé par un réseau de services maintenant disparu : le spectateur est plongé in medias res dans une réalité locale dont il ne connaît pas la cause. Si on devine qu’on traitera d’urbanisme, on ne pressent toutefois pas le cœur du problème : la toute-puissance du groupe Caltagirone, elle-même expression locale d’un problème plus général, la collusion entre les pouvoirs municipaux et les promoteurs immobiliers. À partir de la sollicitation d’un point de vue individuel, la perspective va s’élargissant pour reconduire au cadre politique général. Comme le disait Savinio, ce sont bien les « verità nascoste » qui sont révélées – au sens où, dans la photographie argentique, on parle de produits révélateurs – au terme d’un parcours progressif où, à travers les témoignages, des éléments de sens se sont peu à peu mis en place. « Du » politique, aperçu dans sa manifestation locale, on aboutit fréquemment, au terme de la parabole, à une mise en question de « la » politique : remontant aux racines de ce qui affleurait, les dysfonctionnements profonds d’un système sont mis au jour. Par la dénonciation des grands groupes entrepreneuriaux, de la spéculation immobilière, du laxisme des autorités, des collusions entre les démocraties et les États autoritaires, le cinéma de Segre s’inscrit naturellement dans la filiation de Rosi. Un ou plusieurs personnages / personnes jouent souvent le rôle de « cicerone » et nous guident dans l’entreprise de « pedinamento » 17 de leur

17. Est-il besoin de rappeler que la théorie du « pedinamento della realtà » fonde le cinéma de Zavattini ?

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réalité. Leur fonction est essentielle dans le décryptage du réel 18. L’adoles- cente italo-égyptienne, dans Magari le cose cambiano, lit dans le car qui l’emmène chaque jour de sa lointaine banlieue vers le lycée. « Io adesso leggo Marx », dit-elle,

E lui ha dimostrato che l’obiettivo della classe borghese… del capitalismo in generale… non è quello di produrre un bene, di soddisfare il bisogno dell’uomo ma è quello di accrescere il capitale attraverso la produzione e quindi, quello che fa il capitalista non è pensare a quello che fa, pensare al bene che deve essere la casa. La casa è un bene importantissimo. Non pensa al bene che serve al cittadino. Pensa al suo profitto ; quindi costruiamo tante case, mettiamo lì dentro chiunque – non fa niente – come vivono – non fa niente – importante è che noi costruiamo case, diamo case – le vendiamo – e abbiamo profitti 19.

On comprend alors l’incohérence de l’urbanisme périphérique qui nous a été montré : les promoteurs ne construisent pas pour le bien-être des habitants, mais pour que les affaires tournent, que les cimentiers fassent des affaires, que les agences immobilières et les publicitaires engrangent des profits. D’autres énoncent d’autres enjeux sous-jacents : tandis que l’espace habité commence à se cloisonner entre Romains de toujours, immigrés de longue date et nouveaux immigrants, tandis que la tentation du racisme serpente dans les allées, l’ancienne habitante du quartier du Colisée met en garde ses voisins de Ponte di Nona : « Quello che dobbiamo fare », dit- elle au cours d’une réunion où Romains et immigrés discutent du climat délétère issu d’une défiance réciproque, « è non fare sì che ci sia una guerra tra poveri. Sarebbe la cosa più stupida ! » 20. Cette prise de conscience sera- t-elle salutaire : est-il encore possible de « fare comunità » ? C’est en même temps que le personnage-guide formule les fruits de sa réflexion, que se construit la synthèse. L’opacité du réel le cède à une meilleure intelligibilité en même temps que l’enquête filmique progresse. À la fin du Sangue verde, on fait retour sur le hangar du début : l’image est maintenant lisible et le spectateur sait les causes immédiates et lointaines qui, après la « chasse à l’homme noir » de Rosarno, ont conduit à une éva- cuation en urgence durant laquelle les travailleurs africains ont abandonné

18. « Ce sont les hommes qui ont à construire leur morale et leur engagement », écrit E. Barot, analysant le refus de la figure de l’intellectuel éclairé dans l’œuvre de Rosi Camera( politica : dialectique du réalisme dans le cinéma politique et militant, Paris, Vrin, 2009, p. 84). Par cet aspect aussi, le cinéma de Segre est à rapprocher de Rosi. 19. Magari le cose cambiano. Mn 40. 20. Ibid. Mn 58’ 45’’.

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la plupart de leurs effets. Au terme d’un parcours cognitif, les objets parlent, comme dans certains mémoriaux, et maintenant, le spectateur les entend. Le dévoilement des tenants et des aboutissants de situations complexes et polémiques ne s’arrête pas à l’examen du réel ; le réalisateur interroge aussi l’inconscient : les représentations collectives, l’imaginaire, le poids de l’héritage colonial, les ramifications anciennes d’archaïsmes persistants, les refoulements et les non-dits. Le médium cinématographique est, de ce point de vue, particulièrement adapté. Car l’image agit comme un révélateur : notre « cicerone » romaine exilée à Ponte di Nona, dans sa cuisine, s’efforce de rendre une seconde jeunesse au gant de base-ball de son fils cadet à l’aide de lait démaquillant. Comme dans les villes américaines les moins pourvues en offre culturelle, le centre commercial est le but de la sortie du samedi. C’est le fils aîné qui sera notre guide. Avant sa promenade, sa camarade de classe – la jeune lectrice de Marx – l’interroge depuis le hors-champ. Assis dans la cuisine familiale, l’adolescent aux cheveux ras, avec son sweet-shirt à capuche, la casquette de base-ball rouge flamboyant au-dessus de ses taches de rousseur, est une vivante (ré)incarnation de la jeunesse américaine des années 1960. Sa jeune voisine lui demande : « Non hai qualche hobby, qualcosa ? ». Il n’en a aucun. Il va juste se promener, parfois, au centre commercial. « Faccio i giretti », répète-il, et le suffixe, intraduisible en français, dit assez la modestie de la chose. – Fai i giretti. Tipo ? Raccontaci un giretto tipo ! – Eeeh, un giretto tipo… Giro Roma Est 21 cinque volte. [geste de la main indiquant qu’il tourne en rond]. – Eh va bè ma così vedi sempre le stesse cose. E allora ? – Eeeeh, ti diverti così 22 dit le garçon en haussant les épaules, le regard baissé. Le « cinéma-œil » le suit dans sa balade, en apparence très banale. La scène suivante a pourtant quelque chose de poignant : l’adolescent au teddy (inscription « yankees » barrant le dos de satin blanc) monte et descend, assis sur la rampe d’esca- lator, et arpente sans but les allées de marbre d’un centre commercial qui ressemble à un Palais des Mille et Une Nuits. Son ami et lui contemplent, émerveillés, le ballet des poissons tropicaux dans un aquarium géant. Par l’image, tout est dit : le modèle américain s’est imposé, mais les moyens de consommer manquent à ce prolétariat des banlieues, enfermé dans un rêve dépassé, désuet, kitsch. On pense à Marcovaldo au supermarché,

21. Le promoteur a voulu faire de « Roma-Est » le « plus grand centre commercial d’Europe » alors que la capitale italienne est loin d’être la plus grande ville d’Europe ; cette disproportion est commentée dans le film. 22. Ibid. Mn 43.

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quand, dans les années 1950 23, Calvino narrait l’équipée tragicomique de son personnage, suivie de sa femme et de ses enfants, dans un magasin où, sans pouvoir rien s’offrir, il voulait juste expérimenter la sensation du consommateur qui pousse un chariot rempli de marchandises. Le constat final est sans appel ; dans sa cuisine, le personnage-témoin remarque que les travailleurs et les retraités d’aujourd’hui se contentent de dire qu’ils « n’y arrivent » pas… et rien de plus 24. Ancienne militante de gauche, elle a résumé là toute la démobilisation du citoyen, la disparition d’une conscience de classe, l’abdication, le renoncement même à l’espoir. Le film s’arrête brutalement, sur ce qui est, politiquement, une aporie. Pourtant, à la fin du parcours réflexif promu par l’œil-caméra, le personnage-témoin est, certes, toujours victime des mêmes dysfonctionnements, mais il ne peut plus en être dupe (pas plus que nous). C’est sans doute la réappropriation du sens qui est la visée ultime du cinéma documentaire de Segre. Dans un moment idéologique de dispersion et de désorientation, l’œil-caméra remet l’événement en perspective ; il vient rendre au « cittadino » 25 les moyens de comprendre ce qui lui arrive et ce faisant, de redevenir (peut-être ?) acteur de son histoire. La lucidité à laquelle accède ce dernier le place dorénavant « hors » du jeu dont il n’était qu’un pion.

Éthique et esthétique Par sa dimension participative et ses intentions déclarées, le cinéma de Segre s’offre comme lieu de la démocratie. Il en découle quelques implications pratiques concernant les principaux choix esthétiques. Le respect de la réalité du témoin impose de saisir le sujet dans son rapport à son milieu naturel, sans édulcoration ni dramatisation excessive. Ce sont des « gens ordinaires » que filme la caméra de Segre. Après la scène d’ouverture de Magari le cose cambiano, le spectateur a découvert celle qui sera son guide principal dans l’exploration des marges urbaines de la capitale. En surpoids, sans maquillage, vêtue de couleurs sombres, elle incarne l’antithèse des standards de la beauté hollywoodienne (mais sous l’œil de la caméra, au terme de cette incursion filmique dans des

23. I. Calvino, « Marcovaldo al supermarket », in Marcovaldo ovvero le stagioni in città, Turin, Einaudi, 1963, p. 88-93. 24. C’est la réplique finale du film : « Mi’ padre mi raccontava delle sue lotte, degli scioperi del dopoguerra. … Però almeno tu lì eri vivo, eri attivo ! Cioè lì scendevi, scontravi ! Cioè… oggi ? Oggi c’è l’operaio… va lì e fa : “Non arrivo a fine mese, non ce s’arriva !”, e basta. Così ! “Non ce s’arriva a fine mese”. Poi intervista la vecchietta e fa : “Non ce la faccio più a fine mese”. Eh ! Basta ! È questo ». Magari le cose cambiano, mn. 62. 25. Par cet italianisme, nous voulons désigner « l’habitant de la cité », tout autant que le citoyen.

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banlieues bien peu attrayantes, sa lumineuse présence aura bel et bien fini par humaniser le milieu). Le refus des cadences rapides d’enchaînement des plans est un autre choix formel qui éloigne le cinéma de Segre du modèle hollywoodien domi- nant. Ici, on prend son temps, car le temps de l’écoute accordée à l’autre s’accommode mal de la précipitation. La lenteur ménage aussi des espaces de réflexion : le temps est donné de se poser des questions. On retrouve un parti-pris de lenteur dans certaines scènes des fictions : longs plans sur le ciel et les arbres de la forêt alpine que traverse Dani le Togolais 26, longs plans sur la jeune femme chinoise, camarade de chambre de Shun Li, qui s’isole sur une grève désolée pour une séance de taï chi très chorégraphique. Ce personnage va disparaître sans que nous ne sachions plus rien de son destin, mais dans cette scène muette, lente, puissante 27, elle a offert au regard l’icône anonyme de la solitude et de l’exil. Le gros plan est courant dans le cinéma documentaire mais le choix du très gros plan, en revanche, est plus insolite. Sa récurrence chez Segre (très marquée dans Il sangue verde) en fait un choix stylistique : reflète-t-il la volonté de coller au plus près du témoignage de la victime, de tendre l’oreille vers une voix faible (eu égard au pouvoir des médias dont Segre nous montre comment ils ont utilisé les événements de Rosarno pour servir des intérêts politiciens) ? D’une « pulsion scopique » précédemment évoquée, serait-on passé à la focale serrée d’un examen « à la loupe » ? Le respect de l’authenticité d’un témoignage porte à éviter doublage et / ou voice over 28. Les sous-titres sont préférés : ils ont l’avantage de laisser entendre le murmure du monde, souvent babélique. La voix off est généralement absente : il revient au spectateur de tirer ses propres conclusions (en 2015, elle est utilisée, en revanche, dans I sogni del Lago salato). Chose surprenante, la présence du réalisateur est parfois manifestée. Dans certaines scènes, les personnes filmées mentionnent sa présence alors qu’il se tient, muet, dans le hors-champ (derrière la caméra, imagine-t-on). « Io do le chiavi a Andrea e ti faccio portare fino a Cave », propose la mère à son fils, en retard pour le bus 29. À un autre moment, une voisine âgée,

26. La prima neve. 27. L’accompagnement sonore est remarquable ; il donne une grande ampleur à cette scène pratiquement chorégraphiée, où le mystère de l’espace lagunaire, ni complètement terrestre ni complètement maritime, image possible des identités hybrides, est magnifié. 28. La voice over est utilisée dans Come peso dell’acqua (2013), expérience singulière à vocation didactique réalisée avec Rai 3, à mi-chemin entre reportage et expérience théâtrale. 29. Magari le cose cambiano. Mn 38. La phrase continue : « Anzi, sarebbe bello vedere dov’è la scuola… quaranta kilometri da qua ! ».

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arrivant à l’improviste, exprime son étonnement face à l’hôte inconnu et à sa caméra 30. Pourquoi n’avoir pas coupé au montage ces scènes qui pourraient apparaître comme des « ratées » ? C’est que le dispositif filmique ne cherche pas à être occulté : la caméra est bien là. En rendant sa présence manifeste, Segre suggère qu’il n’y a pas de césure entre le plan du témoin filmé et celui du réalisateur : les deux sont « dans la vraie vie ». Si la relation intervieweur / interviewé repose communément sur une hiérarchie sous- jacente, celle-ci est ici niée. C’est, du moins, ce qui est signifié.

Épistémologie de l’enquête filmique – Ciné(Ma) Vérité Le projet cognitif qui se déploie au travers de ce que nous avons qualifié d’« enquêtes filmiques » mobilise toutes les ressources – sonores et visuelles – du médium cinématographique. Or, derrière la collecte d’images, le rap- prochement de réalités issues de contextes et de temporalités différentes, le recueil des témoignages clé, l’art du montage… se tient un réalisateur qui donne forme à sa création.

Jamais la prétention militante à la fidélité au réel ne peut s’affranchir du fait que le film est une construction, une mise en scène, une sélection de traits jugés pertinents du réel, et un choix dans leur ordonnancement en images et en son. Bref, même le cinéma militant prétendument le plus « neutre » est soumis au fait que le mode de construction de tout film conditionne la réception de son contenu […] 31,

écrit Emmanuel Barot dans Camera politica, ce que résume la très syn- thétique formule empruntée à Chris Marker : « tout cinéma-vérité » est « ciné-MA vérité » 32. Croire en l’éclipse réelle du réalisateur au bénéfice de la parole du témoin revient à cultiver une illusion d’optique… À partir de l’émiettement discursif, le travail de reconstruction à mettre en œuvre nécessite la participation du spectateur. La démarche est inductive et le réalisateur met en place un dispositif d’aide à la lecture : intertitres (qui vont, parfois, jusqu’à saturer l’écran), images d’archives, construction contrapuntique, « grand témoin »… Le champ des interprétations pos- sibles se réduit d’autant. La critique cinématographique n’a pas manqué de l’observer : « assumendo da subito i ruoli di narratore, demiurgo ed esegeta della propria opera, il regista svela infatti ogni possibile interpretazione e traccia tutte le possibili associazioni, finendo per soffocare la soggettività

30. Magari le cose cambiano. Mn 38. 31. E. Barot, Camera politica…, p. 16-17. 32. Ibid., p. 16.

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dello spettatore » 33, écrit Emanuele Sacchi dans sa critique des Sogni del lago salato où ce dispositif est particulièrement insistant. Paradoxalement, c’est du côté du film scénarisé qu’on trouvera ces espaces de jachère du sens propices à être investis par l’imaginaire. Et c’est la résurgence du « mystère » qui donne chez Segre la pleine mesure de la poésie du récit. Dans Io sono Li, l’amie chinoise, personnage quasi muet, disparaît dans un hors-champ narratif. Comme Shun Li, on devine que c’est elle qui aura réglé la dette de sa camarade de chambre, accélérant ainsi la venue de son fils de Chine. Mais cette figure garde tout son mystère tandis que plane sur elle une ombre vaguement mortifère 34. L’opacité de cette figure secondaire ouvre, en effet, sur l’insondable des êtres et des choses, creusant un relief inattendu. D’autres espaces d’incertitude subsistent : dans l’ambiguïté du message délivré par le film, par exemple. Io sono Li montre comment le corps orga- nique de la communauté finit par éjecter les deux « pièces rapportées » que sont Shun Li et Bepi. Pourtant, le processus d’intégration est en marche, déjà réalisé en partie. La scène où la serveuse chinoise enseigne en pur dialecte chioggiote à la nouvelle venue, Shun Li, la recette du Spritz et la pratique du « ciodo » 35 est un vrai morceau d’anthologie. Le repli sur soi de la petite communauté des pêcheurs de la lagune est vain : point n’est même besoin de se préparer à un futur transculturel – multi-ethnique et polyglotte – car le présent l’est déjà 36. À la fin du film, la scène du bain ouvre sur le futur, incarné dans la figure de l’enfant de Li. Tout juste arrivé de Chine, il s’exprime dans sa langue maternelle mais c’est pour dire sa grande hâte d’apprendre l’italien. Là où l’existence d’un scénario pouvait laisser penser que le cadre était plus étroit, le spectateur trouve finalement une certaine liberté de lecture : libre à lui, dans ce drame assez noir, de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein.

33. E. Sacchi, « Un film a tesi. Un incastro di parallelismi e accostamenti, di affinità e diver- genze tra il Kazakistan del miracolo petrolifero e l'Italia anni Sessanta », www.mymovies. it. Dernière consultation : février 2016. 34. Ces femmes chinoises travaillent des années sans contrat pour se libérer d’une « dette » que des passeurs mafieux, dans leur communauté, fixent à leur gré. La camarade de chambre de Shun Lì n’avait pas réglé sa propre dette : que faut-il déduire de la généreuse cession de son argent au bénéfice d’une inconnue dont elle n’aura partagé la chambre que quelques mois ? 35. Terme vénitien désignant « l’ardoise » des consommations prises à crédit. 36. Dans « Lampedusa, il documentario Come il peso dell’acqua : i migranti e la loro storia », Stefano Liberti fait un constat similaire : « Migranti di prima e seconda generazione […], sono una fetta della nuova Italia. Inutile combattere », écrit-il, car « prima o poi la percezione di vivere in una società multietnica si impadronirà degli italiani » (http://www.ilfattoquotidiano. it/2014/10/03/lampedusa-come-il-peso-dellacqua-una-strage-spiegata-dagli-occhi-dei- migranti/1141495/. Dernière consultation : février 2016).

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Conclusion Enregistrant les tensions du réel, le cinéma de Segre procède à une sorte d’« état des lieux » et remonte aux sources des dysfonctionnements qui affectent le corps social, en particulier dans ses composantes les plus fragiles. En donnant une visibilité à ces sujets en marge du pouvoir, en rendant leurs voix audibles, le réalisateur contribue à modifier les représentations collec- tives que le quatrième pouvoir informe de manière souvent globalisante, voire caricaturale, en jouant sur les peurs archaïques. Même si elle n’est pas sans quelques limites épistémologiques, cette expérience politique, où prend corps l’utopie d’un cinéma démocratique tel que l’avait rêvé Zavattini dans les années 1960, garde tout son intérêt. On pourra s’interroger sur la marge d’interprétation laissée au specta- teur : elle est parfois restreinte. On ne peut nier cependant qu’Andrea Segre a mis au point une forme cinématographique propice à la saisie de l’Histoire en mouvement, au moment même où nous sommes pris dans son flux. La force politique du propos ne doit pas occulter les dimensions esthé- tique et poétique de l’œuvre. N’oublions pas que l’ouverture et le final du film le plus connu à ce jour, Io sono Li, sont placés sous le signe de la figure tutélaire d’un poète, Qu Yuan, qu’on honore en faisant brûler une flamme : quand l’humanité est défaite, l’art offre encore une voie de salut.

Brigitte Le Gouez Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Livre 1.indb 188 03/10/2016 14:30 Il documentario italiano in epoca berlusconiana. Il degno erede del cinema politico del Bel Paese

Riassunto : I documentaristi italiani negli ultimi vent’anni hanno filmato il paese nella sua quotidianità, mettendo in evidenza l’Italia invisibile, nascosta sotto la superficie berlusconiana. Raccontare gli eventi contemporanei è l’obiettivo principale del documentario italiano, in una dinamica collettiva di cinema militante, politico e impegnato. Questa produzione di documentari apre un percorso di esplorazione nella storia dell’Italia di epoca berlusconiana, e la sua comparsa testimonia l’urgenza di denunciare i meccanismi del potere e di indagare sulla verità in un periodo in cui realizzare del cinema politico sembra difficile. Il documentario italiano svolge un vero e proprio lavoro di ricerca e documentazione, traccia l’evoluzione della società e mantiene una forte tendenza politica, come il grande cinema politico del passato. L’ambizione è quella di essere il cinema impegnato odierno, seguendo il filo rosso che attraversa la produzione cinematografica italiana dal neorealismo nel dopoguerra, passando attraverso il cinema di Francesco Rosi ed Elio Petri realizzato durante gli anni 1960 e 1970. Résumé : Les documentaristes italiens des vingt dernières années ont filmé le pays au quotidien en mettant en relief l’Italie invisible, le pays caché sous la surface berlusconienne. Raconter les événements contemporains dans une dynamique collective de cinéma militant, politique et engagé est l’objectif principal du documentaire italien. Cette production documentaire ouvre un parcours d’exploration dans l’histoire de l’Italie berlusconienne et son apparition témoigne de l’urgence de dénoncer les mécanismes du pouvoir et d’enquêter sur la vérité dans une époque où réaliser du cinéma politique paraît difficile. Comme jadis le cinéma politique italien des années 1960 et 1970, le documentaire d’aujourd’hui réalise un dur travail de recherche et de documentation, retrace l’évolution de la société italienne et garde une forte tendance politique. Son ambition est celle d’être le cinéma engagé contemporain, en suivant le fil rouge qui parcourt la production cinématographique italienne du néo-réalisme de l’après-guerre, en passant par le cinéma de Francesco Rosi et Elio Petri.

L’epoca berlusconiana Per epoca berlusconiana si intende il periodo, lungo quasi quanto il fascismo, che va dal 1994 al 2010, e che ha visto il predominio di Silvio Berlusconi

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 189-202

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nella politica italiana. A capo del paese c’è un uomo che vede la politica come strumento di difesa dei propri interessi, che profitta del suo ruolo pubblico per favorire i suoi affari privati, sfruttando il controllo dei media per determinare la cultura generale, scommettendo su un populismo che ha finito per frazionare l’Italia in due squadre : berlusconiani e anti- berlusconiani. Paul Ginsborg e Enrica Asquer hanno individuato alcuni aspetti caratteristici del berlusconismo, nel volume da essi curato, dedicato all’analisi del berlusconismo, aspetti che così hanno elencato :

[…] la natura patrimoniale del sistema di potere di Berlusconi ; le peculiarità del discorso culturale che hanno caratterizzato il suo controllo dei media ; la visione di genere che informa le sue azioni e riflessioni ; la relazione strumentale che ha instaurato con la chiesa cattolica e la connivenza di quest’ultima col suo sistema di potere ; il modo in cui il populismo, nel mondo del berlusconismo, porta con facilità al disprezzo delle istituzioni e all’assenza di qualsivoglia etica pubblica ; il modo in cui il berlusconismo ha diviso il paese 1.

In effetti, l’imprenditore, nel corso del tempo, cambia la fisionomia culturale del paese impossessandosi di gran parte dei media italiani. Compra case editrici, giornali e riviste, televisioni, case di produzione e distribuzione cinematografiche. Nei periodi dei suoi governi il leader del centrodestra esercita la sua influenza non solo sulle tre principali televisioni private, ma anche su due (Rai 1 e Rai 2) delle tre televisioni pubbliche. Quindi, durante tutta la sua parentesi politica gestisce la quasi totalità della televisione ita- liana. Nel campo dell’industria cinematografica invece, attraverso Fininvest Berlusconi è stato socio, dal 1994 al 2002, di Blockbuster Italia, colosso della distribuzione audiovisiva. Inoltre, acquisisce il controllo del gruppo Medusa Film, la più importante casa di produzione e distribuzione cinematografica italiana che si occupa di film internazionali, oltre che italiani, ed è anche leader in Italia nel campo dell’home entertainment. In questo clima mi sono domandato che fine ha fatto il cinema politico italiano. Quel cinema che vuole essere e che in passato è stato un cinema critico, d’impegno sociale, di denuncia, un cinema delle lotte, delle diversità, delle minoranze, del disagio, dell’emarginazione. Cercando di rispondere a questa domanda mi sono accorto che negli ultimi vent’anni il cinema politico italiano è stato soprattutto cinema documentario.

1. P. Ginsborg, E. Asquer, « Cos’è il berlusconismo », in Berlusconismo. Analisi di un sistema di potere, P. Ginsborg, E. Asquer (dir.), Roma – Bari, Laterza, 2011, p. VIII.

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Il cinema documentario come cinema politico Raccontare gli eventi del periodo che noi tutti stiamo vivendo resta l’obiet- tivo principale del documentario italiano contemporaneo in una dinamica collettiva di cinema militante politico e impegnato. Per il suo carattere politico, il documentario italiano dà visibilità a realtà che il potere tende a ignorare e nascondere. Come abbiamo visto, il modello di vita e di società berlusconiana è stato fortemente diffuso nell’Italia degli ultimi venti anni, ed è stato solo il documentario, e non il cinema di finzione, a raccontare ciò che è accaduto sotto gli occhi di tutti gli italiani, filmando il paese ogni giorno. I documentaristi di questo periodo registrano le trasformazioni sociali e culturali della società contemporanea, attraverso un cinema diretto, che ha anche l’obiettivo di agire una forte e seria controinformazione. Esso esplora e opera in un senso critico, e interroga la coscienza dei suoi telespettatori e dell’opinione pubblica. Come scrive Marc Ferro, « jouant un rôle actif en contrepoint de l’histoire officielle, le film devient un agent de l’histoire pour autant qu’il contribue à une prise de conscience » 2. Questo documentario è alla base del forte rinnovamento del cinema politico italiano contemporaneo. Esso ci dà una narrazione oggettiva delle realtà sociali, racconta il suo tempo, testimonia il suo tempo. Degli esempi che tracciano un panorama che testimonia la nascita di un documentario italiano di lotta, sono i documentari che raccontano le manifestazioni intorno al G8 di Genova nel 2001 e la violenza di Stato (Black Block e Bella Ciao) ; quelli che raccontano le resistenze territoriali contro il sistema di discariche illegali di rifiuti tossici in Campania (Biutiful Cauntri e Una montagna di balle) ; quelli che indagano su Berlusconi (Silvio Forever e Quando c’era Silvio) e quelli che trattano delle conseguenze dell’impero televisivo di Berlusconi sulla società e la cultura italiane (Videocracy). Quelli ancora, per non citare che i più significativi, che sondano gli affari del dopo terremoto a L’Aquila (Draquila. L’Italia che trema) o trattano di oscuri casi di violenza di Stato (È Stato morto un ragazzo). Questa produzione apre un percorso di esplorazione nella storia dell’Italia berlusconiana e la sua comparsa testimonia l’urgenza di denunciare i mec- canismi del potere e di indagare sulla verità in un’epoca in cui realizzare del cinema politico sembra difficile. Questo documentario vuole essere testimone oculare oggettivo di una realtà attraverso la verità delle immagini. Esso opera una radiografia immediata e dipinge un ritratto del paese crudo e senza artifici, con uno stile asciutto e diretto, seguendo un rigore etico. Si propone di toccare questioni difficili, il suo obiettivo è spesso il potere, con

2. M. Ferro, Cinéma et histoire, Paris, Gallimard, 2009, p. 13.

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l’intenzione di ristabilire la verità storica, normalmente negata o nascosta e di informare il pubblico di una data realtà.

Il documentario italiano erede del cinema politico del passato I documentaristi in epoca berlusconiana escono nelle strade come già facevano i registi del Neorealismo, come ci ricorda la storica Tiziana Maria Di Blasio : […] i registi neorealisti si formano nel vivo della realtà sociale del paese e propugnano un cinema senza attori professionisti che sappia uscire nelle strade, al di fuori dei protettivi ma angusti confini dei teatri di posa, per incontrare l’aria stimolante della verità così come la poteva cogliere ed interpretare lo sguardo dell’uomo comune 3. Il documentario politico contemporaneo si occupa di vedere, testimo- niare, oltre che documentare la realtà, la vera vita quotidiana dell’Italia. Il cineasta francese Jean-Louis Comolli suggerisce : « Quelque chose fait peur dans l’exercice du documentaire. Qu’il touche, comme on dit, au réel – c’est-à-dire à cette part des choses qui garde sa force poétique de surprise, à tout ce qui diverge de l’ordre établi, qui raye les programmes, qui tourne les contrôles » 4. Come in passato il cinema politico italiano degli anni Sessanta e Settanta, il documentario italiano di oggi sta facendo un vero e proprio lavoro di ricerca e documentazione, traccia l’evoluzione della società e mantiene una forte tendenza politica. L’ambizione è quella di essere il cinema impegnato di oggi, seguendo il filo rosso che attraversa la produzione cinematografica dal Neorealismo del dopoguerra, passando attraverso il cinema di Francesco Rosi ed Elio Petri degli anni ’60 e ’1970. Certo sul piano formale il documentario italiano contemporaneo non è all’altezza dei film politici italiani degli Anni di Piombo, che erano di alto livello per quanto concerne la qualità della fotografia ed eccellevano nella sceneggiatura e nella scenografia, senza dimenticare la presenza di grandi attori, in primis Gian Maria Volonté. Ma il documentario italiano di epoca berlusconiana è il degno erede del cinema politico del Bel Paese sul piano politico.

Documentario e finzione tra politica e non politica Il documentario italiano odierno è un cinema diffuso, che impegna molti realizzatori, ma che ha poca visibilità, in conseguenza del dato che il mercato

3. T.M. Di Blasio, Cinema e storia : interferenze / confluenze, Roma, Viella, 2014, p. 181. 4. J.-L. Comolli, Voir et pouvoir. L’innocence perdue : cinéma, télévision, fiction, documentaire, Lagrasse, Verdier, 2004, p. 200.

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cinematografico è totalmente appannaggio del cinema da botteghino e della televisione. Cito il documentarista Paolo Pisanelli :

Per questo suo carattere politico e reale, a volte il cinema documentario svela verità scomode che l’establishment che gestisce il potere mira sempre a mettere sotto silenzio. Questo è uno dei motivi per cui la televisione di Stato italiana non produce, non compra e non trasmette cinema documentario : è evidente che i film che raccontano in modo diretto le realtà politiche, sociali e culturali del Bel Paese, sono scomodi e rischiano di allarmare i video spettatori intontiti dall’overdose quotidiana di quiz e ballerine 5.

Molti documentari non escono nelle sale cinematografiche seppure siano da considerarsi degni di figurare tra i film italiani più interessanti. Ad oggi, un gran numero di documentari non sono distribuiti e sono realizzati spesso in condizioni difficili economicamente. L’assenza di un sistema d’aiuto governativo è quindi decisiva per la sua produzione e divulgazione. Questi fattori, seppur determinanti, non hanno impedito la fioritura di di un genere che per la sua qualità e la sua quantità non deve passare inosservata. Il suo carattere principale è quello di essere un cinema che intende denunciare ingiustizie, miserie, scandali, per smascherare la società del malaffare. Il documentario militante si occupa di ciò, a differenza del cinema di finzione italiano. Rifiuta il cinema mainstream, rifiuta le sue istituzioni e i suoi canoni narrativi e stilistici. In Italia oggi invece il cinema di finzione è spesso rappresentato dalla commedia e da un certo cinema d’autore, con film che possono essere reputati cinema personale e autobio- grafico, in cui la dimensione politica è quasi del tutto assente. I diversi film di finzione che oggi occupano la scena cinematografica italiana cercano di riscrivere la storia, oppure adottano una lettura personale su importanti eventi politici della storia italiana che meriterebbero molta più attenzione e serietà. Si può ipotizzare in generale che il cinema contemporaneo italiano, ad eccezione del cinema documentario, rispetta certi meccanismi logici e estetici per non disturbare i poteri forti. I registi del cinema di finzione non sempre sembrano indipendenti dalle istituzioni e dalle forze politiche, anzi appaiono influenzati dalla necessità di riscrivere la storia secondo le traiettorie ideologiche dei partiti di governo. Il cinema, come la fiction televisiva di oggi, sceglie di smussare certi angoli, per realizzare i film in quella maniera convenientemente prudente della televisione. Nel cinema di finzione italiano c’è poi sovente una ricerca di identificazione emotiva

5. P. Pisanelli, « Filmare la storia di oggi. Grandi eventi collettivi attraverso storie individuali », in L’immagine plurale, A. Medici (dir.), Roma, Ediesse, 2003, p. 162.

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dello spettatore. Utilizzare questa identificazione, questa dimensione psi- cologica, quasi sempre significa abbandonare il piano politico. All’opposto, il documentario italiano rifiuta questo tipo di processo, questa maniera di fare cinema. Il documentario durante l’epoca berlusconiana ha tenuto gli occhi sulla realtà, ponendosi in rapporto con la storia e la memoria. Esso ha costituito un archivio delle lotte di quel periodo.

Il G8 di Genova 2001 : la svolta digitale Tra i documentari italiani di quegli anni, un ruolo importante è stato svolto dai documentari sul G8 di Genova 2001. Questi hanno segnato una svolta significativa. Nei primi anni Duemila si è assistito ad un grande rinnovamento delle tecniche, delle attrezzature di ripresa, di montaggio e di post-produzione. Oggi molti film sono girati in digitale e tanti giovani registi non chiedono finanziamenti allo Stato o a privati ma preferiscono praticare l’auto-produzione. La tecnologia digitale consente ormai da tempo di abbattere i costi, garantendo comunque una buona qualità. Il cineasta francese Jean Louis-Comolli scrive a proposito :

[…] la pratica del cinema documentario non dipende in ultima analisi né dai circuiti di finanziamento né dalle possibilità di distribuzione, ma sem- plicemente dalla buona volontà, dalla disponibilità di chi o cosa scegliamo di filmare : individui, istituzioni, gruppi. Il desiderio è al posto di comando 6.

C’è un forte desiderio da parte di questi documentaristi italiani di partecipare alla trasformazione del mondo. Sono nate nuove maniere di guardare, di vedere. Scrive il cineasta francese Jean Breschand :

Grâce à sa nouvelle économie, la caméra peut aller au centre d’un événement. Bien que cela ne manque pas d’influer sur son déroulement, ce qui se gagne, c’est la tension d’un présent capté dans son émergence. Désormais, le film est la trace d’une rencontre avec une situation qui est, pour ainsi dire, précipitée par le tournage 7.

Durante i giorni del G8 di Genova 2001, vediamo iniziare questo pro- cesso di autonomia. Questo è il primo evento storico che segna un nuovo modo di filmare il presente. Questo evento ha visto per la prima volta una grande quantità di persone nell’atto di riprendere con delle piccole videocamere Mini DV ciò che accadeva nelle piazze e nelle strade. Tutti

6. J.-L. Comolli, Vedere e potere, Roma, Donzelli editore, 2006, p. 89. 7. J. Breschand, Le documentaire. L’autre face du cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 2002, p. 28.

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hanno filmato il G8 : registi, documentaristi, giornalisti, televisioni, mani- festanti stessi. In quella circostanza vi era l’urgenza di produrre documenti audiovisivi per denunciare le violenze delle forze dell’ordine contro i mani- festanti, che hanno portato alla morte di un ragazzo, a centinaia di feriti, alla sospensione dei diritti democratici. È l’esplosione del videoattivismo, a proposito del quale i sociologi francesi Dominique Cardon e Fabien Granjon scrivono :

Ainsi, le vidéo-activisme conserve le projet initial du cinéma militant en conformité avec les exigences de la critique de l’hégémonie des médias : contre- information, éducation politique, représentation des luttes sociales, productions etc. Le vidéo-activisme se présente comme une forme d’engagement qui entend lutter contre la censure et les affects d’agenda des médias mainstream par la production alternative d’images 8.

Attraverso questi film si è affermata la rivendicazione di una verità sommersa e si sono potute ascoltare le voci di chi è politicamente escluso dalla possibilità di raccontare e raccontarsi pubblicamente. I documentari su Genova 2001 hanno agito sul piano riproduttivo del reale. Hanno uti- lizzato l’immagine come prova, come ricostruzione dei fatti, spinti dalla necessità di fare subito informazione sulle violenze delle forze dell’ordine. Il vertice è stato caratterizzato da una repressione militare particolarmente feroce, le forze di sicurezza hanno agito in maniera ultra violenta (molte testimonianze di torture e pestaggi). Amnesty International ha dichiarato (dopo aver ascoltato i testimoni provenienti da 15 paesi) che i diritti umani sono stati violati a Genova ad un punto mai raggiunto nella storia recente d’Europa. Risulta prevalente una forte tendenza al reportage all’interno dei documentari sul G8 di Genova, con molti di questi che hanno montato gli eventi in sequenza cronologica. Ciò si spiega come forma di reazione alla disinformazione messa in atto dai media mainstream e dalle televisioni.

Alcuni esempi di documentario politico contemporaneo Black Block di Carlo A. Bachschmidt ha vinto la Menzione Speciale nella sezione Controcampo italiano alla Mostra Internazionale d’Arte Cinema- tografica di Venezia 2011. Fandango ha prodotto questo documentario che ci riporta indietro ai giorni del G8 di Genova del 2001, alla scuola Diaz e alla caserma di Bolzaneto. Black Block racconta una delle pagine più buie della storia italiana degli ultimi venti anni. Si tratta di un documentario

8. D. Cardon, F. Granjon, Médiactivistes, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2013, p. 100.

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realizzato dieci anni dopo quei giorni terribili. Questo non è quindi un documentario girato nell’urgenza, alla maniera dei reportages, come altri realizzati a Genova, ma è un’opera di un regista che si è voluto prendere del tempo per riflettere, per avere quella distanza temporale che permette un grado maggiore di lucidità. Si tratta quindi di un cinema dell’analisi, dell’interrogazione distanziata. Il regista ha partecipato all’organizzazione del Genoa social forum 9 occupandosi di archiviare e analizzare il materiale videofotografico relativo a quei giorni e di realizzare altri documentari su quei fatti. La moltiplica- zione delle immagini, delle fotografie, realizzate e archiviate da Baschmidt durante il suo lungo lavoro nel Genoa social forum forma una sorta di grande archivio delle giornate di Genova, che è stato poi condiviso dagli spettatori che sono invitati a vivere o per lo meno a comprendere le soffe- renze vissute dalle vittime, e che a loro volta trasmettono questo racconto e costruiscono una memoria, che si afferma in virtù della forza delle suddette immagini. Cristina De Maria scrive che « l’archivio diventa metafora della memoria come processo sempre in costruzione e, contemporaneamente, come traccia depositata ; in altre parole, l’archivio chiede costantemente di essere definito, prodotto, ma è al tempo stesso già testimonianza » 10. Attraverso la testimonianza di sette manifestanti stranieri (non ci sono italiani intervistati), Bachschmidt ricostruisce i fatti della notte del 21 luglio 2001. Il regista dà la parola a coloro che hanno vissuto personalmente le violenze del blitz alla scuola Diaz di Genova e le torture nella caserma di Bolzaneto. La camera è incollata ai visi dei protagonisti per registrare le loro emozioni senza pudore e abbandonarsi lungamente ai loro pensieri e ricordi. Nel documentario non c’è posto per riflessioni non dimostrabili. Il lavoro di Bachschmidt è molto rigoroso, severo. Si limita e si attiene ai fatti. Biutiful cauntri di Esmeralda Calabria, Andrea D’Ambrosio e Peppe Ruggiero ha vinto il Nastro d’Argento nella sezione Miglior Documentario nel 2008 e ha ricevuto la Menzione Speciale del Torino Film Festival 2007. Si tratta di un documentario che indaga sulle discariche in Campania, sul problema delle Ecomafie. Nella cosiddetta Terra dei fuochi, nei pressi di Napoli, si trovano numerose discariche abusive di rifiuti tossici e la percen- tuale di tumori è tra le più alte in Europa. La Corte di Giustizia dell’Unione

9. Il GSF era una struttura, che riuniva molte organizzazioni : Rifondazione comunista che è stato l’unico partito nel movimento, con la sua organizzazione giovanile dei Giovani Comunisti ; le sinistre sindacali erano presenti con i sindacati Cobas e con correnti di sinistra della CGIL come la Federazione dei metalmeccanici (FIOM) ; le associazioni con Mani Tese, Lega Ambiente, ARCI, Attac ; i centri sociali coi Disobbedienti. 10. C. De Maria, « Documentary Turn ? La cultura visuale, il documentario e la testimonianza del ‘reale’ », Studi Culturali, VII, 2011 / 2, p. 169.

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Europea ha già condannato l’Italia per aver tollerato sul proprio territorio la presenza di migliaia (circa 5 000) di discariche abusive. La narrazione degli eventi è affidata a Raffaele, un educatore ambientale, residente locale, che ci accompagna in questo inferno a cielo aperto e che conosce molto bene i luoghi in cui si concentrano le discariche abusive. Scopriamo che gli imprenditori dell’Italia Settentrionale inviano le loro fogne tossiche in Campania. Il documentario mostra i collegamenti esistenti tra la criminalità (in questo caso la Camorra), la politica e il sistema industriale italiano. Attraverso questo film abbiamo la possibilità di vedere tutto ciò che i media mainstream non hanno mostrato o che hanno cercato di nascondere per quanto concerne il problema delle Ecomafie in quella zona. Diversi documentari dell’epoca berlusconiana si sono focalizzati sulla figura di Silvio Berlusconi. Tra questi Silvio Forever (2011) di Roberto Faenza. Questo regista nel 1977 aveva realizzato un documentario intitolato Forza Italia, sulla condizione politica dell’Italia del dopoguerra e degli anni del miracolo economico italiano. Silvio Forever in ottanta minuti percorre con ironia e uno sguardo oggettivo e distanziato la storia d’imprenditore e di politico di Silvio Berlusconi, partendo dalla sua infanzia per arrivare ai nostri tempi. Il documentario segue il leader del centro-destra italiano dalla nascita fino alla tomba di famiglia, quest’ultima costruita dal famoso scultore e pittore Pietro Cascella. Questo film è un’opera di montaggio, realizzata con immagini di repertorio. Vi è un tentativo di raccontare la traiettoria di Berlusconi attraverso una biografia non autorizzata, con un montaggio che alterna parole e dichiarazioni del protagonista a interviste e testimonianze di persone vicine a Berlusconi, e a materiali audiovisivi. Lo scopo è quello di realizzare un documentario neutro su questo personaggio. Faenza ha costruito una narrazione fedele alla biografia del politico. Emerge fortemente la volontà del regista di informare, di portare alla coscienza del pubblico l’enorme influenza che Berlusconi ha acquisito in rapporto alla politica, alla società e alla cultura italiana. Draquila – L’Italia che trema è un documentario di Sabina Guzzanti, presentato fuori concorso al Festival di Cannes 2010 e nominato finalista per il Nastro d’Argento dello stesso anno nella sezione Miglior Docu- mentario, premio infine vinto dal pregevole La Bocca del Lupo di Pietro Marcello. Draquila – L’Italia che trema è un’indagine sulle conseguenze del terremoto dell’Aquila del 6 Aprile 2009, una tragedia che ha contato quasi trecento morti. Una città distrutta. Sabina Guzzanti ha trovato la chiave per raccontare la deriva autoritaria dell’Italia, le truffe della classe politica e la complicità dei media, sviluppando un processo che non si accontenta di mettere in ridicolo Berlusconi, ma si interessa anche ai meccanismi che garantiscono la sua permanenza al potere e la stima persistente che egli

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riceve da parte del popolo italiano. L’indagine mostra, con una certa ironia, i problemi a cui L’Aquila è costantemente sottoposta a causa degli interessi di imprenditori legati a una classe politica corrotta. Il sisma in Abruzzo è stato il mezzo per questi imprenditori di ottenere grandi somme di denaro. Il film si focalizza sul ruolo della Protezione Civile, che ha avuto pieni poteri per supervisionare la ricostruzione dell’Aquila. Guzzanti mostra come l’agenzia gestita da Guido Bertolaso (un altro personaggio che, come Berlusconi, è al centro di diversi scandali), grazie ad una serie di decreti, sia autorizzata dal governo Berlusconi a prendere decisioni in particolari casi di emergenza nazionale e di eventuali Grandi eventi e possa ignorare temporaneamente le leggi esistenti. Berlusconi infine ha approfittato di questo incidente in Abruzzo – sfruttando la miseria umana e la manipo- lazione delle informazioni – facendo del post-catastrofe una spettacolare sfilata mediatica. In questo documentario è evidente l’urgenza del reale. Draquila - L’Italia che trema detiene un forte valore di testimonianza. La regista ci guida in questo universo macabro, pieno di scandali che è l’Italia berlusconiana, utilizzando delle interviste, molte immagini d’archivio, degli estratti di telegiornali. Ciò che emerge è l’interesse di Sabina Guzzanti a denunciare il modo in cui è stata messa in atto la ricostruzione de L’Aquila dopo il terremoto. È stato morto un ragazzo ha vinto il David di Donatello nel 2010 nella sezione Miglior Documentario ed è stato presentato nello stesso anno alla Mostra Internazionale d’Arte Cinematografica di Venezia. Il film di Filippo Vendemmiati tratta con coraggio il caso della morte di Federico Aldrovandi avvenuta a Ferrara il 25 settembre 2005 durante un controllo di polizia, un caso di violenza di Stato molto famoso in Italia. L’ambiguità circonda la causa della morte del ragazzo e i genitori di Federico Aldrovandi cercano di fare chiarezza ; i loro avvocati non sono soddisfatti delle versioni ufficiali e conducono un’indagine parallela. La realtà supera le congetture più sinistre. Vendemmiati percorre con forte rigore e in maniera cronologica la storia giudiziaria della famiglia Aldrovandi, l’evoluzione delle indagini e del processo, attraverso le diverse testimonianze, le immagini del processo e l’utilizzo di attori che ne interpretano alcuni atti. Egli mette in evidenza i diversi tentativi di creare ostacoli e di impedire la ricostruzione dei fatti da parte della polizia e dello Stato italiano. Ma attraverso le intercettazioni telefoniche le menzogne della polizia sono smentite e viene scoperta una verità drammatica. Infine, la famiglia Aldrovandi trova giustizia per il figlio e ottiene la condanna di diversi agenti di polizia. Vendemmiati attraverso questo documentario dimostra l’intenzione di testimoniare la verità su questa storia, cercando di rivelare cosa è successo realmente, per esserne memoria. Secondo Rancière, la memoria deve organizzarsi per mezzo

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di un concatenamento tra dati e testimonianze dei fatti, intrecciando un filo narrativo che in quanto tale è capace di costituirsi in opposizione a quella sovrastruttura di informazioni eccessive o insufficienti, che spesso è trasmessa quale narrazione ufficiale :

La mémoire doit donc se constituer contre la surabondance des informations aussi bien que contre leur défaut. Elle doit se construire comme liaison entre des données, entre des témoignages des faits et des traces d’actions, comme cet arrangement d’actions dont parle la poétique d’Aristote et qu’il appelle muthos 11.

Berlusconi, la politica e la videocrazia Normalmente i contenuti diffusi dai media ufficiali forgiano le nostre cate- gorie di percezione e di fatto contribuiscono a costruire quella realtà nella quale noi ci facciamo le nostre opinioni. Questo processo di costruzione della realtà, agito dai media, avviene attraverso la quantità di informazioni che ci arrivano continuamente, in primo luogo dalla televisione e dalla stampa. Quindi il popolo dei telespettatori e dei lettori, a causa di ciò, si crea delle idee spesso false, dei punti di vista spesso distanti dalla realtà delle cose. Ma attraverso i documentari, i video e le informazioni prodotte dai media alternativi, il pubblico ha l’opportunità di rendersi conto della non-verità delle informazioni diffuse dai media mainstream. Videocracy è un documentario del 2009 di Erik Gandini, presentato in anteprima alla Mostra Internazionale d’Arte Cinematografica di Venezia del 2009. Si tratta di un film sulla degenerazione del sistema televisivo italiano in epoca berlusconiana, sulla rivoluzione culturale ed antropologica attuatasi durante gli anni di Berlusconi e del suo impero mediatico, sulla consequenzialità fra dominio delle immagini e potere politico, sulla forza dell’immagine. In questo modo Eric Gandini rivela il suo punto di vista sull’Italia ai tempi della videocrazia. Il regista italiano, che fa cinema da diversi anni in Svezia, ha deciso di raccontare – innanzitutto ad un pubblico internazionale – cosa è stato l’esperimento della televisione commerciale nel Bel Paese, quali risultati ha prodotto sulla mentalità dei telespettatori, prima ancora che sulla loro vita politica. Mostrare in quale misura la cultura della televisione italiana è diventata nei fatti la cultura generale italiana. Il regista è interessato a quello che si può definire l’effetto Berlusconi, questa società diventata così mediatica, il potere esercitato dalle televisioni a livello culturale.

11. J. Rancière, La fable cinématographique, Paris, Éditions du Seuil, 2001, p. 202.

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D’altronde, come scrive la direttrice del quotidiano Il Manifesto Norma Rangeri, « chiunque voglia governare una società, insegna Marshall Mc Luhan, chiunque voglia governare il villaggio globale, deve governare la sua narrazione, concentrandosi più sui mezzi della comunicazione, che sui suoi effettivi contenuti » 12. Gandini ci racconta nel suo documentario l’Italia contemporanea, l’Italia della televisione commerciale berlusconiana, partendo dalla storia di Ricky, giovane operaio che sogna un futuro da star della televisione : una storia di illusioni, di tentativi di entrare in quella scatola magica. Il ragazzo (durante un’intervista) spiega al regista che la forza della televisione consiste nel fatto che apparire sugli schermi televisivi significa essere ricordati per sempre. Poi il film prosegue con una parte dedicata alle veline, queste ragazze che ballano e non parlano, il cui ruolo evidenzia l’uso del corpo femminile nella cultura italiana contemporanea e il ruolo significativo agito dalla televisione di Berlusconi in tale processo di sfruttamento. Infatti le sue televisioni presentano sistematicamente le donne come oggetti del desiderio. Clamoroso è stato il caso della ex-velina Mara Carfagna, che diviene poi ministro per le Pari Opportunità in un governo Berlusconi. Una tale decadenza culturale si è sviluppata parallelamente al successo delle televisioni private e all’ascesa politica di Berlusconi, in virtù di quel flusso di immagini e parole che attraverso lo schermo televisivo invade da molti anni le case degli italiani. Il regista ci presenta alcuni personaggi che hanno fanno parte dell’immaginario di questa televisione, che sono parzialmente artefici di quel mondo perfetto che vive sugli schermi, quell’universo dove apparire è tutto ciò che conta : Lele Mora potentissimo agente televisivo (che ci viene descritto come un amico stretto di Berlusconi) a casa del quale troviamo partecipanti del Grande Fratello e tronisti di Uomini e Donne. A Lele Mora è legato un personaggio che ci viene introdotto come un elemento meno allineato a questo universo, di cui non accetta le regole : Fabrizio Corona, il re dei paparazzi, che scatta foto scomode ai vip della tv con metodi non convenzionali per poi ricattarli, ma che finirà per divenire egli stesso un personaggio famoso, invitato spesso sugli schermi televisivi. Il documentario prosegue alternando brani di vita di Ricky e di Corona a momenti della vita politica di Berlusconi, accompagnati da musiche dissonanti che creano un effetto di distanziamento e finzione alle immagini che ci scorrono davanti agli occhi. Il film si concluderà sul sorriso del leader del PDL. A proposito dell’uso delle televisioni da parte di Berlusconi quale mezzo per realizzare un radicale mutamento dell’universo

12. N. Rangeri, « Le mani sull’informazione », in Berlusconismo…, P. Ginsborg, E. Asquer (dir.), p. 124.

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culturale degli italiani, Paul Ginsborg ci ricorda quale fosse un grande obiettivo del berlusconismo :

[…] l’obiettivo generale era costruire un nuovo senso comune che avrebbe finito per sostituire la pubblica opinione. Questo progetto, elaborato prin- cipalmente attraverso la televisione commerciale, è stato perseguito con determinazione e tenacia per quasi trent’anni, dal 1984 in poi, non sempre con successo in tutte le fasce di popolazione, ma agendo come una sorta di basso profondo della cultura di massa quotidiana. Moltissime famiglie in Italia, come altrove, tengono la televisione accesa tutto il giorno 13.

Come ci ha mostrato il documentario di Gandini, il modello televi- sivo commerciale e mediatico e il controllo politico vanno di pari passo ; Berlusconi è riuscito ad instillare negli italiani attraverso le televisioni il suo populismo culturale. Inoltre avendo la gestione dell’informazione ha potuto presentare una realtà sempre mediata dalla televisione.

Conclusione In conclusione, questi diversi esempi di cinema documentario politico italiano contemporaneo rappresentano quel che è stato il cinema di con- testazione in epoca berlusconiana. Si tratta di « cinema di impegno politico e civile, intendendosi con questo termine una cinematografia di denuncia delle condizioni di vita di un paese, di una nazione, di una collettività, di un gruppo etnico o sociale » 14. Come abbiamo constatato in precedenza, questi documentari cercano di produrre un certo tipo di verità e sono film che indagano e testimoniano la loro epoca, alla stessa maniera dei film politici degli anni ’60 e ’70. Lo scopo è infatti oggi, come lo era per il cinema politico italiano del passato, quello di dare visibilità alla realtà italiana e alle sue contraddizioni. Il cinema politico è il cinema che riguarda la realtà, che vuole avere aderenza con la realtà sociale, che ha la volontà di far passare un messaggio politico. Un film politico dà agli spettatori le chiavi per inter- pretare il presente : « Documentare significa essere sul campo, riprendere una realtà in atto, in perpetua trasformazione e aperta all’imponderabile susseguirsi delle vicende terrestri » 15. Noi abbiamo mostrato che queste opere rivelano la connivenza tra mafia e potere, le alleanze tra poteri legali e

13. P. Ginsborg, E. Asquer, « Cos’è il berlusconismo », p. XIII. 14. T.M. Di Blasio, Cinema e storia : interferenze / confluenze, p. 235. 15. I. Perniola, Oltre il neorealismo. Documentari d’autore e realtà italiana nel dopoguerra, Roma, Bulzoni, 2004, p. 11.

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illegali, la criminalità e la repressione dello Stato, ossia la deriva della società berlusconiana. A ragione Emmanuel Barot segnala che « une nouvelle ère du cinéma politique et militant est aujourd’hui vitale, parce que le devenir de la société en a besoin » 16.

Benedetto Repetto Université de Versailles Saint-Quentin

16. E. Barot, Camera politica. Dialectique du réalisme dans le cinéma politique et militant, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2009, p. 125.

Livre 1.indb 202 03/10/2016 14:30 Le montage du film documentaire Draquila – L’Italia che trema

Résumé : Draquila – L’Italia che trema est un documentaire de Sabina Guzzanti. La réalisatrice se focalise sur le tremblement de terre de L’Aquila, survenu le 6 avril 2009. Entretiens, images télévisées et séquences animées se succèdent, suivant une seule direction : le tremblement de terre a été utilisé à plusieurs fins politiques par le président du Conseil de l’époque, Silvio Berlusconi. Aux yeux de la réalisatrice, la gestion de l’urgence dans ce chef-lieu des Abruzzes révèle la situation politique du pays. Le documentaire défend la position des habitants de L’Aquila, et plus large- ment celle du citoyen italien, contre les détenteurs du pouvoir politique. Toutefois, l’agencement des idées par le montage, le spectaculaire de certaines de ses images, la succession rapide de situations dramatiques peuvent donner l’impression d’un manque de confiance envers le jugement critique du spectateur. Ce spectateur type, qui est également un citoyen, serait donc incapable de suivre un chemin discursif sans l’utilisation de ressorts émotionnels ? Riassunto : Draquila – L’Italia che trema è un documentario di Sabina Guzzanti. La regista si focalizza sul terremoto dell’Aquila avvenuto il 6 aprile 2009. Interviste, immagini televisive e sequenze animate convergono verso un’unica direzione : il terremoto è stato utilizzato per diversi fini politici dall’allora Presidente del Consiglio, Silvio Berlusconi. Secondo la regista, la gestione dell’emergenza nel capoluogo abruzzese rivela la situazione politica del Paese. Il documentario difende la posizione degli abitanti dell’Aquila e più ampiamente quella dei cittadini italiani, contro i detentori del potere politico. Ciò nonostante, il modo di combinare le idee attraverso il montaggio, la spettacolarità di alcune immagini, la rapida successione delle situazioni drammatiche, possono dare l’impressione di una mancanza di fiducia verso il giudizio critico dello spettatore. Lo spettatore-tipo, che è anche un cittadino, sarebbe quindi incapace di seguire il filo del discorso senza l’uso di leve emotive ?

Draquila – L’Italia che trema est un film documentaire réalisé par Sabina Guzzanti, sorti dans les salles en 2010 après avoir été présenté au Festival de Cannes la même année. Avant d’analyser quelques éléments de montage du film et d’interroger le rapport au spectateur que celui-ci peut induire, interrogeons une définition du cinéma documentaire. Le CNRTL 1 propose

1. Centre national de ressources textuelles et lexicales : http://www.cnrtl.fr/definition/ documentaire.

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 203-212

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par exemple la définition suivante : « Film, généralement de court ou moyen métrage, à caractère informatif ou didactique, présentant des documents authentiques sur un secteur de la vie ou de l’activité humaine, ou sur le monde naturel ». Mais dans un cadre cinématographique, qu’est-ce qu’un « document authentique » ? Suffit-il de filmer sans le besoin de la fiction pour que le plan filmé soit authentique ? L’une des premières prises de vues du cinéma, la Sortie de l’usine Lumière, pourrait être considérée par exemple comme un document authentique. Des dizaines d’employés sortent de l’usine en moins d’une minute, la durée maximale d’un film de l’époque, et semblent se diriger harmonieusement à gauche et à droite du cadre. Il s’agit à l’évidence d’une mise en scène. La sortie des employés n’aurait pas pu, à proprement parler, se dérouler ainsi s’il n’y avait pas eu de caméra et, surtout, de volonté de réalisation. Le réel filmé, plutôt qu’un document authentique, reste avant tout le point de vue d’un auteur. La mise en scène dans la prise de vue documentaire n’est pas optionnelle, ni occasionnelle, elle est indispensable au film. Toute prise de vue, toute prise de son, tout montage est le fruit d’un choix, d’une construction. Nous ne développe- rons pas ici les enjeux de la définition du cinéma documentaire, mais il est certain que la mise en scène que le documentaire exige va au-delà de la présentation de « documents authentiques ».

Le montage d’un documentaire Étape de réalisation d’un film, le montage consiste à choisir et à assembler des images et des sons. La durée totale des plans tournés, que nous appelons les « rushes », est naturellement beaucoup plus grande que la durée du film en salle. Par exemple, Draquila – L’Italia che trema dure une heure et trente-quatre minutes, mais la réalisatrice et le monteur ont conçu le film avec environ six cents heures de rushes 2. Après avoir conçu ce que l’on appelle souvent « le bout-à-bout », ou encore, « l’ours », une version souvent proche de trois ou quatre heures, il s’agit d’affiner le film, au fur et à mesure, version après version, et souvent, négociations après négociations, entre les différents responsables de réalisation et de production. La production d’un documentaire commence généralement par l’écriture d’un scénario, mais il est impossible de se restreindre à retranscrire ce qui était écrit dans le scénario ; la réalisatrice Sabina Guzzanti et le monteur Clelio Benevento n’ont comme seule matière que ce qui a été filmé, avec ses imperfections et ses surprises. Les premiers visionnements des rushes sont autant de pistes

2. Blog de Sabina Guzzanti. Article « Tappeto rosso » du 15 avril 2010 : http://www.sabinaguz- zanti.it/tappeto-rosso/.

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possibles pour le film en devenir. Le mot « assemblage » pourrait insinuer l’idée que nous n’avons qu’à insérer les plans les uns après les autres, en sui- vant un modèle déterminé à l’avance. Mais si le montage est communément nommé « troisième écriture du film », c’est qu’il doit refonder une histoire de A à Z. Le montage prend du temps, parfois même plusieurs années, et le point de vue des auteurs évolue pendant le montage, un chemin se dessine, et ce chemin a une forme, celle du film terminé. Le montage de ce film, qui nous est proposé, à nous spectateurs, dans sa version définitive, peut ainsi être considéré comme une suite de choix de montage. Et ces choix peuvent nous donner un aperçu du rapport au cinéma de Sabina Guzzanti, et dessiner, en creux, le type de spectateur à qui le film semble s’adresser.

La matrice Les premières secondes d’un film comportent un ton qui caractérise d’entrée de jeu le rapport entre le sujet, l’auteur et le spectateur. Une lumière rouge, indistincte, un signal sonore répétitif, une nappe sonore grave, inquiétante. Les lumières jaunies des lampadaires font apparaître des maisons détruites et des gravats ; aucune figure humaine n’est visible. Par des panoramiques rapides, la caméra semble être à la recherche d’une présence. Deux camions garés au loin peuvent être des camions militaires. Panoramique droite, une camionnette s’approche de la caméra. Elle est dotée de gyrophares. Est-ce une camionnette de la police, de l’armée ? Elle se dirige vers la caméra. Une ellipse interrompt son approche. Une personne que l’on suit à quelques mètres semble parler au cadreur ou à la cadreuse, tout en marchant dans la nuit. C’est un homme en costume d’une cinquantaine d’années, son identité est inconnue. Sa première prise de parole : « La cosa che ti fai più impressionare, lo sai qual è ? Le luci rimaste accese ». Par cette phrase, il semble déjà se confier à la personne qui filme, ainsi qu’au spectateur. Puis après quelques plans cet homme dit : « Quando riporto la gente qua den- tro ? ». Quel est donc son statut ? Une nouvelle fois une voiture arrive, avec des gyrophares. C’est une voiture de la police, qui, lentement, se dirige frontalement vers la caméra. L’homme s’avance, comme s’il jouait le rôle de l’intermédiaire entre la caméra et la voiture de police. « Buonasera, sono il sindaco », dit l’homme. La voiture s’arrête à sa hauteur. Il serre la main au conducteur de la voiture, puis le plan s’arrête, à quelques mètres de la voiture de police et du maire, qui, par leur proximité à l’image, semble- raient presque complices. La parole « Buonasera, sono il sindaco », seule information à propos de celui qui nous guide depuis le début du film, a sans doute été ajoutée au moment précis dans lequel il se retrouve dos à la caméra : le ton et l’écho de la voix du maire sont assez différents de la

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phrase prononcée deux secondes après : « Buonasera, come va ragazzi ? ». Le montage n’est pas seulement une construction entre les plans : un plan est une construction en soi, le montage existe à l’intérieur même d’un plan. La première séquence d’un film est déterminée pour contenir le film en substance, un contenu symbolique dont on ne peut pas encore imaginer les ramifications. La matrice, ici, ne contient pas de discours, il s’agit d’intriguer plutôt que de dévoiler. La portée symbolique réside dans l’exposition nocturne d’une ville dévastée, par l’arrivée à deux reprises de véhicules de forces de l’ordre, et dans l’échange entre le maire – donc le pouvoir, même local – et l’agent de police : « Buonasera, sono il sindaco ». Poignée de main, « Buonasera, come va ragazzi ? ». L’échange est anodin, mais sa position, au tout début du film, avant le départ du générique et de sa musique tambours battants, lui confère une importance particulière. Tout est déjà là, en substance : L’Aquila détruite et désertée, les forces de l’ordre, le pouvoir. C’est un choix de la réalisation d’avoir transformé cet échange anodin en symbole annonciateur du film.

Une structure La structure de Draquila est construite selon un dévoilement progressif de l’information. C’est un film monté principalement avec la parole de la nar- ratrice, Sabina Guzzanti. Cette parole est articulée avec celles des personnes interrogées, et celle de personnalités, principalement Silvio Berlusconi, par le biais d’images télévisées. Certains films, de documentaires ou de fictions, font clairement apparaître leur structure, ce n’est pas le cas de Draquila. La structure du film peut être marquée par des points clés. Un point clé peut être considéré comme une information supplémentaire qui joue un rôle de rupture : on interrompt un chemin par une nouvelle information, on place le spectateur à une nouvelle distance, puis on commence une séquence de ce point de vue, avant d’arriver à une autre information de rupture. Voici deux exemples de phrases extraites de la voix off de la narratrice, qui marquent chacune une information de rupture : « L’operazione terremoto è uscita cosi bene, che l’Aquila lo sostiene anche quando scoppiano gli scandali sessuali che sconvolgono tutto il mondo », qui débute une séquence sur la vie privée / publique de Berlusconi, ou encore : « Il fatto è, che il terremoto del 6 aprile era stato preceduto da una serie di scosse. Sempre più frequenti e sempre più forti », première phrase d’une séquence concernant l’absence de prévention auprès des habitants. Le film peut être partagé en trois motifs. Le premier motif dans la chronologie du film pourrait être nommé «La vision de Berlusconi », le second, après vingt-trois minutes de film, pourrait s’appeler « Les sinistrés »,

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et le troisième, qui débuterait seulement dix minutes après, « De la protection civile à Cosa Nostra ». Ces motifs initiaux s’entrelaceront toujours davantage pendant le film. Ces dénominations sont bien sûr subjectives, car, comme nous l’avons déjà écrit, le film ne nous expose pas une structure claire. Les propos liés à la politique nationale jalonnent le film, débutant dès la deuxième séquence puis lui donnant son point final. Cet encadrement semble corroborer les propos de Sabina Guzzanti tenus dans une interview en 2010 :

Avevo sicuramente il desiderio di raccontare che cosa era successo in Italia, non sapevo ancora come… intervistavo, giravo, parlavo ma ancora non avevo avuto un’idea. Quando poi sono venuta a conoscenza di quello che stava succedendo all’Aquila ho pensato che era più … era sicuramente più efficace partire da quello che succede nello spazio piccolo, preciso, che potesse però raccontare tutto direttamente che in un film… ma insomma anche in un libro… mi sembra impossibile, diciamo che L’Aquila ha rappresentato un po’ l’elemento concreto perché lì si raccoglievano tanti elementi, innanzitutto l’enorme potere della propaganda 3.

Une situation parallèle pourrait être tissée entre la réalisatrice et celui qui semble être la cible de ses principales critique, Silvio Berlusconi. Ce dernier utilise le tremblement de terre pour redorer son image auprès de tous les Italiens ; Sabina Guzzanti utilise L’Aquila pour arriver au projet qu’elle préparait avant le tremblement de terre : réaliser un documentaire critique sur la situation politique en Italie. L’utilisation des témoignages des habitants est à ce titre ambiguë, en dépit, ou peut-être, à cause, du nombre impressionnant de témoignages, qui durent seulement quelques secondes et qui semblent, selon la situation, être utilisés seulement pour illustrer l’argumentation énoncée par Sabina Guzzanti.

Une séquence Nous appelons généralement une séquence ce qui constitue une unité de temps et de lieu, mais nous appellerons une séquence, en accord avec le film qui nous intéresse, une suite de plans constituant une unité thématique. Une séquence située aux deux tiers du film, au moment de l’inauguration des nouveaux logements, est intéressante car, bien que discursive, elle n’est pas dirigée de bout en bout par la voix de la narratrice. Elle suit une séquence concernant les liens financiers de Berlusconi avec la mafia, et l’information

3. Entretien avec Sabina Guzzanti, réalisatrice de Draquila. Propos recueillis par Lucie Geffroy. Production flip vidéo, publiée le 8 novembre 2010. Lien : https://www.youtube. com/watch?v=64wrMXrQE0w.

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du projet de Berlusconi de transformer la protection civile en société par actions. Cette séquence dure cinq minutes et cinquante secondes. Elle contient cinquante-cinq plans, qui durent en moyenne sept secondes. Ce sont des plans un peu plus longs que la moyenne du film, qui contient mille trois cent trente et un plans, pour une durée moyenne de quatre secondes 4. Elle contient vingt-quatre prises de paroles. Berlusconi, à l’extérieur, est entouré de nombreuses personnes : des hommes portant un gilet et un casque, et sa garde rapprochée. La seconde précise à laquelle débute la séquence n’a pas été choisie innocemment au montage : la séquence com- mence en effet avec le baiser d’un homme à Berlusconi. Cet homme porte un gilet jaune, il est peut-être un habitant, un ouvrier, ou un sympathisant. La scène est bruyante, le spectateur peut imaginer la foule en hors-champ, mais pourtant nous entendons clairement ce baiser, qui est très certainement un son rajouté pour appuyer l’image. Le niveau sonore du baiser est supé- rieur à la voix de Berlusconi, quasiment inaudible. C’est l’élément symbo- lique par lequel le montage de la séquence débute. Commence ensuite une succession d’éléments disparates à un rythme très soutenu. La situation initiale, explicitée par la voix off, est l’inaugura- tion des nouveaux logements par Berlusconi. Le premier conflit intervient quand un habitant tente de poser une question à Berlusconi, avant d’être sans doute interrompu par la sécurité. C’est en tout cas ce que fait signifier le montage, en interrompant le plan. Il est possible que l’homme ait fina- lement continué à protester, mais le plan étant interrompu, le spectateur l’imagine, sans nécessairement s’en rendre compte lui-même, intercepté par les services de sécurité. Quelques secondes plus tard, un habitant hausse la voix contre un agent de la protection civile. La scène est montée et ne reconstitue sans doute pas la chronologie réelle de la discussion : avec deux caméras, la scène est montée sur la base d’un plan d’ensemble, d’un gros plan sur l’habitant et d’un autre sur l’agent de la protection civile. Là aussi, la scène s’arrête avant que la tension ne puisse redescendre. En moins de deux minutes, le film donne la parole à une vingtaine de personnes, sans jamais replacer les propos dans leur contexte. Plan large devant un immeuble : une échelle de camion de pompiers permet à un secouriste de se rendre sur un balcon. Une femme dans le couloir d’un appartement parle à un homme resté derrière la porte, dans la cage d’escalier. Pendant leur conversation, un court plan survient : un pompier qui serait arrivé dans le salon par le balcon se tourne vers la caméra. Cut. Retour dans le couloir. L’habitante paraît prise d’assaut, par

4. Statistiques du film réalisées avec le logiciel Lignes de Temps (Institut de recherche et d’innovation).

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la porte d’entrée et par son balcon. C’est une construction de montage, car rien ne prouve le lien entre la personne qui parle, le pompier au balcon et la temporalité réelle de ces deux prises de vues. Les intentions de montage ici ne sont pas de faire comprendre la situation au spectateur, mais de dramatiser la scène. La séquence se termine sur ces deux phrases de l’habitante : « Nessuno me po dire, dopo cinque mesi di tenda, che io me ne devo andare a Castelfiume, a settanta chilometri di distanza. Tra l’altro, non ho nemmeno la patente e lavoro qui, all’Aquila ». Applaudissements nourris dans une tribune d’officiels. Le choix du montage fait en sorte que les applaudissements répondent à la revendication de cette femme. Les applaudissements sont en réalité destinés à Berlusconi, qui ouvre la séquence suivante avec un discours. Séquence qui suivra ce même rythme effréné. Mais est-ce que l’usage de plans toujours en mouvements, des paroles continues, sorties de leur contexte, et d’une musique angoissante est un procédé citoyen, qui tenterait de donner au spectateur le temps et la distance propices à susciter une réflexion qui lui serait propre ?

Une influence Dans les archives du blog qu’anime Sabina Guzzanti, un article écrit pen- dant le montage du film concerne le réalisateur Michael Moore. Elle écrit à propos de la sortie du film Capitalism dans les salles italiennes : Fare di un film un saggio sul mondo contemporaneo, cercare di tirare le fila del percorso occidentale, sulla democrazia fondata sulla libertà di mercato : da dove si era partiti, dove ci siamo persi, le prove evidenti degli errori, possibili vie d’uscita come la disobbedienza alle regole che vanno contro i diritti fondamentali dell’uomo. Mi pare che dopo Fahrenheit 9 /11 Moore senta e si assuma la responsabilità di rifondare il pensiero socialista anche a costo di esporre i suoi lavori a grandi rischi. Cosa c’è di meno allettante d’un film che affronta la sanità pubblica ? Correreste al cinema per vedere un film sulle ASL ? Eppure Sicko è un film perfetto. Questo Capitalism è sicuramente più divertente di Sicko e più fruibile 5.

Deux approches cinématographiques de Michael Moore pourraient rejoindre celles de Sabina Guzzanti. La première serait de faire d’un film un échantillon du monde contemporain : la gestion du tremblement de terre révélatrice de la politique italienne, parallèle à l’utilisation du 11 sep- tembre 2001 par George Bush. La seconde, moins avouée, concerne la

5. Blog de Sabina Guzzanti. Article « Michael » publié le 1er novembre 2009, http://www. sabinaguzzanti.it/michael-2/.

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problématique du film vu comme un spectacle : comment faire un film sur un sujet si sérieux ? Rappelons que les films de Michael Moore ont eu un fort succès dans les années 2000, réalisant un genre de documentaire dans lequel le réalisateur apparaît lui-même à l’écran, en utilisant l’humour. Elle dit dans un entretien, évoquant le succès des films de Michael Moore :

Mi ha aiutato per convincere quelli che devono distribuire, che era una cosa possibile, che un documentario funzionasse, anche dal punto di vista economico 6.

L’influence est avérée et assumée. Par conséquent, le producteur atten- dait un style, et une efficacité, proche de Michael Moore. Le spectateur doit avoir envie de voir le film, film qui doit compenser son sujet sérieux par un traitement humoristique, spectaculaire, pour éviter l’ennui. Cette nécessité de devoir faire rire le spectateur pour ne pas l’ennuyer dessine le type de spectateur à qui Sabina Guzzanti imagine s’adresser avec son film. Le ton satirique et des animations singeant des personnalités politiques mettent plutôt le film du côté de la persuasion que de l’argumentation. Après le refus du ministre de la Culture Sandro Bondi de se rendre au Festival de Cannes, et les critiques émises par les personnalités politiques italiennes proches de Berlusconi, la position de Sabina Guzzanti pendant ses apparitions publiques est de mettre en avant le fait que l’on peut difficilement contester des informations déjà révélées dans la presse, et que le film n’a fait que relier. Mais Draquila est-il pour autant une enquête irréprochable ? Draquila est-il un film distancié faisant appel à la réflexion du spectateur, et à sa propre appréciation ? Telle est la contradiction d’un documentaire politique comme celui-ci. Le propos est étayé par des arguments solides. L’information est rigoureuse et se veut incontestable. Son montage est construit « légitimement » par le besoin d’une narration propre à l’écriture filmique, sans qu’il y ait une quelconque manipulation. L’ajout possible, cité en début d’article, de « Buonasera, sono il sindaco » n’est qu’un procédé de narration, il ne nous ment pas sur l’identité de l’homme, qui est bien le maire de L’Aquila. Un spectateur va dans une salle de cinéma afin qu’une histoire lui soit racontée, que le film soit une fiction ou un documentaire. Clelio Benevento, le monteur du film, a une expérience du documentaire, ayant monté entre autres Viva Zapatero, le précédent film de Sabina Guzzanti, tout autant qu’une expérience de fiction : il est notamment le monteur du dernier film de Nanni Moretti : Mia madre. Les personnes travaillant à la production d’un film ne sont pas cloisonnées à l’univers de la fiction ou

6. Entretien avec Sabina Guzzanti, réalisatrice de Draquila. Propos recueillis par Lucie Geffroy.

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du documentaire. Si Draquila est donc défendu par la production comme une enquête très rigoureuse, cette prétendue rigueur est adaptée à l’image que l’on se fait du public que l’on veut capter. Des enquêtes cinématogra- phiques comme celle de Draquila informent le citoyen en produisant un discours critique sur la situation politique de l’Italie. Cependant, plutôt que d’utiliser les mêmes outils des programmes télévisuels grand public, et leur considération souvent assez basse du téléspectateur, l’enjeu politique serait peut-être, au-delà du discours critique, de donner également au citoyen, par les films mêmes, un regard sur le langage audiovisuel.

Maxime Letissier INSAS Bruxelles

Livre 1.indb 211 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 212 03/10/2016 14:30 Vogliamo anche le rose (2007) d’Alina Marazzi : entre documentaire et fiction

Résumé : Dans un monde saturé d’images, où toute image est une mise en scène, où la croyance positiviste en sa « vérité » n’est plus de mise, la recherche de formes et d’esthétiques nouvelles susceptibles de représenter et d’interpréter la réalité sociale et politique est au cœur du cinéma politique italien d’aujourd’hui. Le film d’Alina Marazzi Vogliamo anche le rose (2007), qui retrace les luttes des femmes depuis la période pré-68 jusqu’à la fin des années 1970, témoigne de cette volonté de renouveler le genre documentaire. À travers l’expérimentation de stratégies discursives inédites et audacieuses, de l’hybridation entre documentaire et fiction, Alina Marazzi réfléchit sur les potentialités expressives du genre. Par son dispositif formel qui mêle, dans un montage intertextuel et multimédia, des genres hétérogènes, mais aussi à travers le dialogue permanent et dialectique entre la parole et l’image, la réalisatrice ouvre un espace, un « entre-deux » poétique et subjectif, à l’intérieur duquel, loin de la rhétorique du « réalisme » documentaire, elle cherche à redonner aux images une valeur de témoignage et de vérité.

Riassunto : In un mondo saturo di immagini, in cui ogni immagine è una messinscena e viene meno la fede positivistica nella sua « verità », la ricerca di forme e di estetiche nuove in grado di rappresentare e di interpretare la realtà sociale e politica è al centro del cinema politico italiano di oggi. Il film di Alina Marazzi Vogliamo anche le rose (2007), che ripercorre le lotte delle donne italiane dagli anni prima del ’68 fino alla fine degli anni ’70, testimonia la volontà di rinnovare il genere documentario. Con la sperimentazione di strategie discorsive inedite e audaci e l’ibridazione tra documentario e finzione, Alina Marazzi riflette sulle potenzialità espressive del genere. Attraverso il suo dispositivo formale che mescola, con un montaggio intertestuale e multimediale, generi eterogenei, nonché attraverso il dialogo permanente e dialettico tra parola e immagine, la regista apre uno spazio, un « entre-deux » poetico e soggettivo, nel quale, lontano dalla retorica del « realismo » documentario, cerca di ritrovare la funzione testimoniale e la verità dell’immagine.

Documentaire ou film ? Dans sa Storia del documentario italiano, Marco Bertozzi salue l’inventi- vité d’une nouvelle génération de documentaristes dont Alina Marazzi,

Transalpina, no 19, 2016, Le cinéma italien d’aujourd’hui…, p. 213-226

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la réalisatrice de Vogliamo anche le rose (2007), fait partie 1. De la même manière, Adriano Aprà, dans un panorama consacré aux documentaristes italiens contemporains les plus originaux et les plus prometteurs, texte significativement intitulé La rifondazione del documentario italiano, cite également Alina Marazzi 2. Parlant du documentaire précédent de la réalisatrice, intitulé Un’ora sola ti vorrei (2002), Antonio Costa affirme :

Personalmente ritengo che sia uno dei film italiani più belli di questo decennio. Volutamente non ho precisato documentario, in quanto penso che ormai questa definizione di genere sia sempre meno significativa. E, se proprio la si vuole mantenere, servirebbe solo per affermare che, allo stato attuale, nel campo del documentario italiano si registrano fermenti più vitali e ricchi di promesse di quanto non accada nel cinema di finzione 3.

Voilà donc posée d’emblée la question du genre des films d’Alina Marazzi : la question de l’expérimentation de stratégies discursives iné- dites et audacieuses, de la porosité et de l’hybridation entre documentaire et fiction, de l’émergence de dynamiques intertextuelles. Ces problèmes sont des questions centrales désormais dans la pratique de réalisateurs qui cherchent à représenter la réalité sociale et politique de l’Italie d’aujourd’hui. Pour lancer ma réflexion, je voudrais m’arrêter sur le titre du docu- mentaire : Vogliamo anche le rose. Il s’agit de la traduction et de la cita- tion synthétique d’un vers (« Yes, it is bread we fight for – but we fight for roses, too ! ») tiré d’un poème intitulé Bread and Roses écrit en 1911 par un poète militant, James Oppenheim, engagé dans le soutien aux suffragettes anglaises. Le vers est repris un an plus tard, en 1912, par les ouvrières textile du Massachussets pour marquer leur originalité dans leur participation à un mouvement de grève. La dimension politique du film d’Alina Marazzi est déjà présente dans son titre mais je voudrais y voir aussi, dans l’opposition entre le « pain » et les « roses », l’esquisse d’un manifeste poétique : non seulement le « pain », les « faits », la dimension réaliste du documentaire, mais aussi les « roses », sa dimension poétique, intérieure, subjective, féminine. Il est intéressant de remarquer aussi que ce titre en rappelle un autre : Buongiorno, notte (2003), titre d’un film de Marco Bellocchio, un réalisateur

1. M. Bertozzi, Storia del documentario italiano. Immagini e culture dell’altro cinema, Venise, Marsilio, 2008, p. 279-281. 2. A. Aprà, « La rifondazione del documentario italiano », in L’idea documentaria, M. Bertozzi (éd.), Turin, Lindau, 2003, p. 187 et p. 191. 3. A. Costa, « Il documentario e il suo oltre », Quaderni del CSI, n° 3, 2007, p. 85.

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qui, lui aussi, cite une poétesse 4 et revendique le droit de traiter de manière subjective, à travers l’invention et l’imagination, des faits historiques, de faire « autrement » du cinéma politique. On peut comparer le titre du film de Marco Bellocchio à celui d’un autre film traitant le même sujet, Il caso Moro (1986) de Giuseppe Ferrara : titre qui nous place au contraire du côté du document, du « cas » à analyser, sur le modèle du film-enquête dont il reprend les conventions narratives et la rhétorique de l’objectivité. Et pour montrer combien cette question de la forme est problématique, rappelons que Buongiorno, notte s’était attiré à sa sortie en 2003 ce commentaire du critique Tullio Kezich : « Sarò un passatista, ma per me il cinema politico bisogna farlo ancora come lo faceva Rosi […]. Torniamo all’antico, a Francesco Rosi, e sarà un progresso » 5. Mais est-ce aussi simple que cela ? Peut-on revenir aussi facilement au passé ? La question qui parcourt, par exemple, Il Caimano (2006) de Nanni Moretti n’est-elle pas : comment faire aujourd’hui un film sur Berlusconi ? En effet, dans un monde « diventato favola » 6, saturé d’images, où toute image est une mise en scène, où la croyance positiviste en sa transparence n’est plus de mise – d’autant qu’aux médias audiovisuels qu’on pourrait appeler « linéaires », comme la télévision et le cinéma, s’ajoutent désormais l’image numérique et la fragmentation qu’elle induit – la recherche de formes et d’esthétiques nouvelles susceptibles de représenter et d’inter- préter la réalité sociale et politique est au cœur du cinéma politique italien d’aujourd’hui. Faire un cinéma politique et engagé selon l’esthétique du cinéma des années 1970 ou celle du documentaire classique n’a plus guère de sens. Faire un film de dénonciation au nom d’une collectivité dont le réalisateur serait la conscience n’est plus guère envisageable. Une solution pourrait être alors trouvée dans l’affirmation de la spécificité et des potentialités du médium cinématographique, en créant une image qui, loin de rechercher la transparence, exhibe au contraire son statut d’image pour produire son propre langage, pour élaborer cinématographiquement et poétiquement le réel et retrouver sa dimension heuristique, cognitive et interprétative, et pour finir politique.

4. La poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886), dont il reprend en partie le titre d’une poésie intitulée Good morning - midnight. 5. T. Kezich, Sette, 18 settembre 2003, cité par M. Fabre dans Anni di piombo. Memoria e rappresentazioni della lotta armata nel cinema italiano recente, mémoire de Master 1, sous la direction de J.-C. Zancarini, ENS Lyon, p. 20. 6. C’est là le titre d’un livre écrit par Paolo Bertetto : Lo specchio e il simulacro. Il cinema nel mondo diventato favola, Milan, Bompiani, 2007.

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Cette recherche est au cœur même des expérimentations du cinéma d’Alina Marazzi, expérimentations qui confirment, selon Adriano Aprà, la vitalité du documentaire italien de ces dernières années, sa véritable « refondation », sur des bases nouvelles :

[…] « la finestra sul mondo » aperta dai Lumière, posto che fosse « oggettiva », ha subìto negli anni una graduale erosione che ha fatto emergere […] il bisogno di soggettivizzare lo sguardo sulla realtà : come se l’accumularsi lungo il secolo di immagini e suoni riprodotti comportasse l’impossibilità di uno sguardo « vergine » e implicasse una riflessione sull’atto stesso del guardare. Film di compilazione di materiale d’archivio o famigliare (fino agli sperimentalismi del found footage film), film diaristici e autobiografici, film saggistici intervengono con sempre maggiore regolarità a interrompere l’« illusione di realtà » del cinema documentario : a spostare l’attenzione dallo sguardo al « montaggio » degli sguardi (e dei suoni). Al limite, diventa ormai difficile dire dove finisca la « verità » e cominci la « finzione », o se si vuole la « narrazione », nel cinema- che-documenta 7.

Un dispositif narratif singulier Vogliamo anche le rose est un documentaire historique et social sur l’évo- lution du statut des femmes et de la condition féminine en Italie, depuis les années 1960, avec le poids de la société patriarcale et des interdits religieux, jusqu’aux combats des mouvements féministes de la fin des années 1970, en passant par la libération sexuelle, l’accès à la contraception et la légalisation de l’avortement. Le film d’Alina Marazzi, composé presque exclusivement d’images d’archives, revient sur vingt années décisives pour l’émancipation de la femme italienne.

Le refus de la voix off Mais au-delà de son sujet, déjà en soi politique, ce qui rend le film d’Alina Marazzi original, c’est l’hybridation constante qu’elle y opère entre docu- mentaire et fiction. Cette hybridation se fonde en premier lieu sur un dispositif narratif singulier marqué par l’abandon de la voix off omnisciente et surplombante, caractéristique du documentaire traditionnel et héritée du réalisme litté- raire du XIXe siècle. Trop souvent, cette voix est la voix de l’Histoire qui organise et agence les faits « d’en haut », depuis le présent, selon une thèse déterminée à l’avance. Le montage linéaire et faussement transparent des images d’archives n’est là alors que pour illustrer cette thèse et lui servir

7. A. Aprà, « La rifondazione del documentario italiano », p. 189.

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de garantie d’authenticité. L’usage de ce type de voix off sous-entend une vision de l’Histoire comme passé fermé et univoque, sans alternative ni doutes, comme s’il s’agissait uniquement de convoquer ce passé, et non de le construire 8. Alina Marazzi utilise au contraire une voce narrante tout à fait singu- lière. Son documentaire est certes divisé chronologiquement en trois parties qui constituent trois moments clés de la condition féminine en Italie, mais cette division est motivée par le fait qu’à chacun de ces moments – 1967, 1975 et 1979 – correspond la lecture d’extraits tirés de trois diari, récupérés dans l’Archivio di Pieve Santo Stefano, écrits par trois jeunes femmes, appelées par la réalisatrice Anita, Teresa et Valentina, originaires de différentes régions d’Italie (Nord, Sud et Centre) et de différents milieux. Ces voix racontent, à la première personne, une histoire personnelle. Justifiant les trois parties chronologiques du documentaire, elles en constituent aussi la trame narrative. Ces voix authentiques, contemporaines de la période explorée, consti- tuent un point de vue subjectif, une focalisation interne, une sorte de monologue intérieur, le flux d’une conscience 9 en mouvement qui parle et qui se manifeste dans le déroulement même de la période, elle-même déroulée par le choix des images d’archives. Le contrepoint parlé des images est donc laissé à ces trois voix « silen- cieuses », anonymes et privées, qui n’avaient pas vocation à se faire entendre mais qui, par leur réemploi à l’intérieur d’un dispositif discursif différent, vont construire un récit et revêtir une valeur possible de témoignage. Il s’agit de voix de femmes. Le point de vue est non seulement subjectif mais il est aussi féminin. C’est un point de vue « de l’intérieur », pris lui- même dans les plis et les replis de la réalité sociale qu’explore le film. C’est donc à la subjectivité et à l’émotion féminine qu’Alina Marazzi confie le soin de sa narration 10. Il s’agit là d’un choix fort dans un genre traditionnellement dominé par la rhétorique et la transparence ambiguës de l’objectivité 11.

8. Adriano Aprà parle d’une « voce fuori campo onnisciente che commenta, radiofonicamente, immagini cieche » (« La rifondazione del documentario italiano », p. 191). 9. A. Costa, « Il documentario e il suo oltre », p. 86. 10. On peut également pour Vogliamo anche le rose valider ce qu’affirme Marco Bertozzi à propos de Un’ora sola ti vorrei, à savoir que « nel film della Marazzi entriamo in una prospettiva che attesta il valore “realistico” dell’interiorità » (M. Bertozzi, Storia del documentario italiano…, p. 280). 11. D’autant que la voix des trois diaristes est comme démultipliée par toutes les voix de femmes que l’on entend à l’intérieur du documentaire afin de montrer la complexité de la période ainsi que l’extrême lucidité de ces femmes. Leurs voix s’ajoutent à celle des trois diaristes, formant un vaste discours aux multiples facettes et créant une multiplicité de points de vue subjectifs.

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C’est par la médiation de l’intime et du personnel, de mémoires privées, que la réalisatrice construit la trame narrative de son documentaire. C’est par le biais d’un voyage à l’intérieur de la subjectivité féminine qu’elle cherche à retrouver le sens historique, collectif et politique des luttes des années 1970 12. Enfin, la position de ces voix est double. Elles sont à la fois la voix de trois témoins-commentateurs – par le caractère réflexif du diario et par l’utilisation qu’en fait la réalisatrice dans son dispositif narratif – mais aussi celle de protagonistes, prises dans la temporalité de l’histoire – personnelle et collective – qu’elles sont en train de vivre. Elles se situent dans ce que l’on pourrait appeler une sorte d’« entre-deux », à la fois extra- et intra- diégétiques, ni tout à fait in, ni tout à fait off.

Une voix « médiane » Cependant, la complexité du dispositif narratif ne s’arrête pas là. Les extraits des diari sont lus par des voix d’actrices choisies ad hoc. Il s’agit donc de voix « fictionnelles ». Alina Marazzi va même jusqu’à donner le prénom des actrices aux auteures des diari, créant une identification forte entre actrices (la fiction) et diaristes (le documentaire). Mais, en plus de leur donner une voix, la réalisatrice a voulu aussi donner un visage aux trois diaristes, les rendre visibles : en faire de véritables « personnages » de son film. Pour cela, elle a récupéré dans le matériel d’archives des images de trois jeunes femmes que l’on identifie, par le montage, comme étant les diaristes. Il en résulte que les trois personnages ainsi créés ne sont plus ni tout à fait vrais, ni tout à fait fictionnels. Ces visages sont à la fois authentiques – appartenant à l’esthétique du docu- mentaire – et faux car ils ne sont pas les « vrais » visages des trois diaristes. Quant à leur voix, qui lit des passages de vrais diari de l’époque, c’est celle d’une actrice. On assiste là à un mélange subtil et complexe de réalité et de fiction, d’authenticité et de reconstruction. Les trois éléments mis ensemble (textes - voix - visages) construisent une « fiction » mais qui va apporter un poids de vérité supplémentaire. Il se crée à nouveau un « entre-deux », qui est celui de cette voix que l’on pourrait appeler « médiane », située au point

12. Comme le souligne Antonio Costa, on assiste d’une certaine manière à une opération inverse par rapport au documentaire Un’ora sola ti vorrei : « Con un movimento inverso a quello di Un’ora sola ti vorrei, in cui lungo un percorso tutto individuale e privato si insinuano i segni di una storia collettiva e di un contesto sociale, in Vogliamo anche le rose è nella scena collettiva, pubblica che si insinuano le voci individuali dei tre diari » (A. Costa, « Il documentario e il suo oltre », p. 90).

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d’équilibre entre documentaire et fiction, installée dans un espace à part, dans un espace à elle. La création de cette voix particulière et du personnage qui la porte permet aussi de « mettre en récit » le documentaire. Le récit et ses per- sonnages servent alors de médiation afin de rendre plus compréhensible le réel, y compris et surtout dans sa dimension intérieure et émotive. Par exemple, la deuxième partie, consacrée au diario de Teresa, est le récit détaillé de son avortement. À la fin, les paroles de la diariste font écho aux images d’archives montrant les manifestations publiques pour l’obtention de ce droit. Mais la voix de Teresa avait dit aussi la peur, la souffrance, la culpabilité avant la prise de conscience. Son histoire intime nous reconduit ainsi à l’arrière-plan invisible, à la racine émotive et intime des combats collectifs que l’on voit à l’image. Pour le spectateur d’aujourd’hui, qui revoit ou découvre ces images, elles deviennent alors, par la « trace » qu’y laisse la voix de Teresa, dans l’empathie qui se noue avec le personnage, pleinement vivantes et présentes, et non plus figées et mortes, « aveugles » 13, froides comme un matériel d’archive catalogué, imposant son sens et sa place dans une mémoire collective qui ne le remet plus en cause. En favorisant l’identification du spectateur, tout en débarrassant les images d’archives de leur dimension froide de passé distant et révolu, détaché du présent, de passé que le spectateur subit comme une imposition, sans évasion possible, qui le bloque, le tient à distance, plus qu’il ne le pousse à réfléchir et à agir, la mise en récit fait partie de la dimension politique du film d’Alina Marazzi.

Voix et images Plus encore, dans ce dispositif complexe se met en place un rapport perma- nent entre la parole et l’image. La parole des diaristes entre en résonance avec les images d’archives sans être, comme souvent dans un documentaire classique, redondante et illustrative. Les voix se font entendre en contrepoint d’images qui montrent, entre autres, des événements publics, politiques et sociaux, appartenant à une mémoire collective. Les mots « se réfractent » alors dans les images et réciproquement. Le personnel s’entrecroise avec le collectif, le privé avec le contexte social des années 1970. La poétique d’Alina Marazzi s’inscrit dans cet aller-retour dialectique permanent. Mais qu’apportent les voix aux images et réciproquement ? Les images d’archives élargissent la dimension personnelle et même intime des diari à une situation générationnelle. « Non sono la sola piombata

13. L’expression est d’Adriano Aprà, voir note 8.

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nell’abisso », dit Teresa. Elles replacent dans un contexte social et historique les voix individuelles, leur donnent une valeur de témoignage en évitant qu’elles ne soient qu’un point de vue subjectif sur des événements person- nels. Elles montrent au contraire comment le social pèse sur elles, comment il agit sur leur monde intérieur, comment il traverse jusqu’à leur corps et le brutalise, comment ces femmes ont vécu l’Histoire, les mouvements sociaux et politiques qui leur étaient contemporains et combien leurs idées, leurs réflexions, leurs doutes sont marqués par ce contexte, combien – comme le souligne Alina Marazzi – certaines de leurs exigences personnelles ont aussi une dimension collective et politique. Elles les rendent emblématiques. Les voix des trois diaristes ne sont alors plus qu’une seule et même voix : la voix d’une Femme Symbolique prise à trois moments différents de la condition féminine en Italie. Ou mieux : la voix d’une Femme prise à trois moments de son évolution personnelle – la petite fille, l’adolescente, la jeune femme – renvoyant symboliquement à l’évolution de la condition de la femme en Italie. Réciproquement, la construction des trois personnages donne de la chair à la grande Histoire mais surtout elle dépouille les images d’archives d’une représentation univoque et figée : elle leur confère un sens nouveau et offre la possibilité de les interpréter différemment. Il peut même s’agir d’images banales, comme celles où l’on voit des couples marchant dans la rue, ou bien les images joyeuses et insouciantes filmées dans un parc d’attractions qui prennent soudain une tonalité sombre, énigmatique parce que, accompagnées par la bande-son qu’Alina Marazzi y ajoute (la très belle musique, aux accents étranges, des Ronin), elles sont soudain pleines de la souffrance que vient d’exprimer Anita. On voit alors ce qu’il y a « derrière » l’image, derrière l’image publique et historique, comme si la parole lui donnait une épaisseur et une vérité nouvelles, en la chargeant du poids de l’intime. Comme si chacune des figures qui s’y trouvent était pour nous, spectateurs, dans l’identification que l’on fait entre elle et l’intimité des diaristes, pleine soudain de tout un poids d’affects et d’émotions. Par exemple, l’extrait d’un petit film familial des années 1960 filmé en super 8 où l’on voit une première communiante souriante qui sort de l’église – et que l’on peut même, dans la fiction narrative mise en place par Alina Marazzi, identifier à Anita – est soudain dépouillé de toute sa rhétorique de représentation sociale et familiale par ce qu’Anita est en train de dire sur le poids écrasant de la famille et de la religion, par le passage, sur la bande-son, du son des cloches à la musique straniante des Ronin. L’image est alors comme mise à nu par les mots. Inscrite dans un autre dispositif, elle révèle soudain, au lieu de la cacher, la souffrance qu’il y a

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derrière ce sourire, derrière ce regard qui nous fixe, derrière les conventions représentatives de ce petit film familial. Ainsi, au lieu de voir les images d’archives seulement comme un miroir figé de ce que la mémoire, l’imaginaire collectif et l’historiographie en ont dit, la manière dont ils les ont fixées, on les regarde dans leur dialogue vivant avec des voix privées qui entretiennent avec elles un rapport dialectique et critique, on pourrait dire « décalé » :

Ciò che Alina Marazzi cerca negli archivi, nei depositi cartacei e audiovisivi, sono i momenti in cui una voce (singolare) intercetta un’immagine (pubblica) […] e ci restituisce un « eccesso » disorientante, non omologabile al senso concluso 14.

On regarde ces images non plus seulement comme le reflet transparent d’un réel univoque mais aussi de manière critique et problématique, en cherchant à les déchiffrer à nouveau. Comme si l’écho des voix sur les images leur avait conféré une potentialité nouvelle de vérité et de témoignage.

Un film de montage Cette reconstruction du passé, Alina Marazzi s’y applique à travers un autre moyen expressif qui est au cœur même de l’esthétique du cinéma, qu’elle utilise avec sa monteuse Ilaria Frajoli de manière dialectique et poétique : le montage. Le film témoigne d’un usage fort du montage, à l’opposé d’une esthé- tique naturaliste. Car le montage est bien ce moment de l’écriture d’un documentaire où s’agencent et s’ordonnent les idées et où se construit le sens. Or, c’est en exhibant la manipulation qu’il opère – à nouveau une construction fictionnelle – qu’Alina Marazzi sort de la fausse objectivité du documentaire classique et qu’elle arrive paradoxalement à dire une vérité, à exprimer un point de vue, voire un engagement.

Un montage multimédias En l’absence d’une voix off ordonnatrice, et accompagné librement par la trame tracée par les diari, tout son documentaire tient dans l’inventivité d’un montage qui en est le moteur narratif autonome, justifiant le passage d’une image à l’autre et produisant du sens. Il témoigne de l’immense travail de recherche puis de sélection opéré par la réalisatrice.

14. A. Costa, « Il documentario e il suo oltre », p. 90.

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Ce montage est marqué tout d’abord par une esthétique du collage, du recyclage et du réemploi d’images d’archives, ce que l’on appelle le found footage film. Il s’agit d’un montage intertextuel, violemment expressionniste et humoristique, d’éléments hétérogènes, détournés de leur stratégie dis- cursive et de leur fonction d’origine : images d’archives, extraits d’émissions télévisées, interviews, films publicitaires, films familiaux tournés en super 8, films d’animation de l’époque, bandes dessinées, dessins animés, romans- photos, films du cinémaunderground des années 1960, films d’animations créés ad hoc par Cristina Seresini pour dire aussi la part d’ineffable du réel (par exemple le désir féminin et le plaisir sexuel), et même créations de fausses images d’archives tournées par la réalisatrice elle-même. De manière évidente, ce montage ne cherche pas la transparence mais au contraire exhibe sa nature de reconstruction subjective, d’où une esthétique du patchwork comme agencement de fragments d’images de différente nature. Il s’agit d’entrecroiser et de faire dialoguer entre eux différents genres dans un montage kaléidoscopique que l’on pourrait appeler multimédias, rappelant également par son mélange de couleurs vives et de noir et blanc l’atmosphère pop et psychédélique des années 1970. Marqué par la fragmentation et le passage permanent d’un type de discours à un autre, d’un médium à un autre, il arrache chaque image à la fonction discursive qui lui est propre et en fait le tassello d’une vaste fresque où chaque morceau, parce qu’il est pris dans ce dispositif, est dépouillé de ses codes originaux mais finit par signifier autre chose, au-delà de sa valeur référentielle première, et récupère une potentialité de représentation. Le dessin final, comme sur la pochette du DVD du film, fonctionne comme celui d’une mosaïque. Dans le rapprochement signifiant avec d’autres images, chaque image peut être regardée différemment et vient former un motif nouveau. Alina Marazzi s’écarte volontairement de la rhétorique de la trans- parence du montage, caractéristique du documentaire classique, qui se donne – mensongèrement – comme la transcription objective et univoque de la réalité. Ici, le montage retrouve sa fonction dialectique, on pourrait dire « eisensteinienne » : il est collision d’images et c’est bien de la collision de deux éléments que surgit le concept. Dans la liberté et l’invention de ses associations, le plus souvent amusantes, Alina Marazzi crée du sens, retrouvant ce qui est – selon la célèbre formule de Jean-Luc Godard – la vertu première du cinéma : une pensée qui prend forme, une forme qui pense et qui permet à son tour de penser et de réfléchir. Par exemple, dans la liberté et l’invention de ces associations d’images, l’ironie et la distanciation sont fortement présentes. Elles visent à ne pas enfermer les images d’archives dans une représentation close et sentencieuse

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sur laquelle le regard du présent n’aurait plus aucune prise ni aucune matière à réflexion. Le montage s’adresse par là à la participation active, dans le présent, du spectateur pour lequel s’ouvre un espace où il peut reconstruire un sens à partir des collisions inattendues, des rapprochements humoris- tiques, des courts-circuits percutants. Comme le rapport parole-image, ce type de montage permet finalement de démasquer l’image, en dévoilant sa rhétorique et, dans l’association à une autre image, dans l’interstice ainsi créé, d’exercer son pouvoir d’interprétation. On en a un exemple à travers le démontage et le détournement d’une publicité des années 1960 pour la lessive Lauril où, en intercalant entre le début et la fin de la publicité, sur une musique ironiquement guillerette, d’autres images (des images d’archives de femmes occupées à des tâches domestiques, des images en accéléré d’une femme à demi-nue s’habillant et se rhabillant devant sa glace et un petit film d’animation humoristique de l’époque intitulé Cenerentola), Alina Marazzi dévoile le machisme et les modèles d’aliénation féminine véhiculés par la publicité.

Un montage mnésique et onirique S’agissant d’un documentaire historique, le montage est aussi un montage mnésique par l’utilisation et le réassort qu’il fait d’images appartenant à une mémoire et à un imaginaire collectifs. C’est une autre de ses dimensions possibles : une dimension onirique, proche des associations symboliques du rêve et de l’inconscient et de la démarche psychanalytique, où, à partir d’un matériel appartenant au passé, dans le tri puis dans la mise en récit des nouvelles associations qui s’opèrent entre les éléments de ce matériel mémoriel, se construit un sens qui est celui que le sujet donne à son passé et à lui-même, dans une sorte de nouvel assemblage des images de ce passé. La dimension psychanalytique est déjà présente au niveau du contenu du film. Anita, la première des trois diaristes, y fait allusion lorsqu’elle raconte qu’elle est allée voir un psychiatre puis qu’elle a fréquenté des groupes de parole. Le genre même du diario est un genre de l’introspection, du dialogue réflexif avec soi-même et de la quête identitaire. Le montage participe de cette reconstruction d’une identité, à la fois individuelle et col- lective, à travers l’agencement inédit d’un vaste répertoire iconographique. Ce dernier, établissant le lien entre passé et présent, arrive alors jusqu’au spectateur, profondément vivant et renouvelé. Il y a donc, au sens propre comme au sens figuré, du détournement d’images, ce qui permet de leur donner une valeur nouvelle, en ouvrant un espace – encore une fois, un « entre-deux » – dans lequel un sens peut se construire.

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Tout le documentaire d’Alina Marazzi se situe dans cet entre-deux : les images n’y sont plus ni « vraies » (référentielles) ni « fausses » (fictionnelles), ni passées, ni présentes, ou plutôt : à la fois passées et à la fois présentes. De leur montage naît un point de vue. D’une certaine manière, elles deviennent vraies parce qu’elles sont prises dans cette reconstruction fictionnelle, poétique et subjective du passé. Car il s’agit bien d’une « fiction », mais à l’intérieur de laquelle, dégagées de leur référentialité immédiate, arrachées à leur dimension discursive propre et inscrites dans un dispositif poétique, les images se chargent d’une potentialité nouvelle de vérité et de témoignage. Elles sont quelque part entre l’objectivité et la subjectivité. Peut-être – pour reprendre une formule d’Antonio Costa – Alina Marazzi cherche-t-elle à représenter, dans cet entre-deux, la « forme symbolique » 15 de cette histoire sociale et collective.

À la recherche d’une identité féminine Plus qu’un simple documentaire historique et social, le film d’Alina Marazzi apparaît alors comme une tentative d’introspection des femmes des années 1960 et 1970 mais aussi de leurs héritières – les spectatrices italiennes d’aujourd’hui – dont elles sont le passé et l’histoire, afin que ces dernières comprennent mieux leur propre présent. Tentative d’introspection d’Alina Marazzi elle-même enfin, car c’est aussi de la présence forte de la réalisatrice que le documentaire tire paradoxalement sa dimension politique. La réalisatrice affirme avoir en effet choisi les voix des actrices parce qu’il s’agissait de voix graves, semblables à la sienne : « Anche la mia voce ha una tonalità bassa e, quindi, forse, in queste tre ho riconosciuto qualcosa di familiare » 16. Il y a donc aussi une identification entre les diaristes et la réalisatrice, comme si elle-même se cherchait à travers elles. Dans la deuxième partie du documentaire, celle qui s’organise autour du récit de l’avortement de Teresa, Alina Marazzi complète par ses propres images certains passages du diario. Ce sont de longs travellings sur des façades de maisons romaines, filmées depuis une voiture en super 8, en noir et blanc, dans le style même de l’époque : « come se io avessi creato laddove ce n’era bisogno un altro repertorio utilizzando la tecnologia del tempo », affirme Alina Marazzi 17. Comme si elle accompagnait la diariste dans le trajet de son expérience intime.

15. « La manipolazione di materiali figurativi d’epoca trattati alla stregua di papier collés […] è la forma simbolica di questa storia collettiva » (A. Costa, « Il documentario e il suo oltre », p. 90). 16. Interview d’Alina Marazzi disponible dans les bonus du DVD du film. 17. Ibid.

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Enfin, le documentaire s’inscrit dans ce qui pourrait être considérée comme une trilogie dont il serait le troisième volet, le premier étant le film documentaire par lequel Alina Marazzi s’est fait connaître : Un’ora sola ti vorrei (2002), bâti sur le montage entre les journaux intimes et les lettres de sa mère – suicidée à trente-quatre ans, en 1972, alors qu’Alina n’avait que six ans – et les images familiales tournées par son grand-père, l’éditeur milanais Ulrico Hoepli, entre 1926 et les années 1970 18. Or, Alina Marazzi affirme avoir conçu Vogliamo anche le rose afin d’imaginer ce qu’aurait vécu et ressenti sa mère si elle avait connu les années 1970. Apparaît ici la volonté de poursuivre l’exploration de cette figure maternelle presque inconnue et donc, d’une certaine manière, l’exploration d’elle-même à travers cette figure et à travers les trois jeunes diaristes de Vogliamo anche le rose qui en sont des alter ego fantasmés 19. On comprend alors mieux la forme du documentaire, la quête d’une identité à partir des fragments et des restes du passé, le fait qu’Alina Marazzi choisisse des voix féminines prises dans leur intimité pour suivre la dimen- sion intérieure de leur condition et les interrogations qui la nourrissent. Ce qui semble être au cœur du travail de la réalisatrice, de ce documen- taire-là comme des deux précédents, c’est bien « un percorso all’interno della soggettività femminile » 20, une féminité inquiète, celle de femmes qui, comme sa mère, dépressive et mal à l’aise dans un milieu où elle ne trouva jamais sa place, cherchent leur identité à l’intérieur de contextes sociaux et historiques singuliers. Alina Marazzi affirme avoir voulu dans ses trois films « indagare dei personaggi femminili che dimostrano un’insofferenza ad aderire o meno a dei ruoli, a dei modelli » et avoir toujours pris comme sujets de ses films des personnages « leggermente spostati rispetto alla traiettoria » 21, c’est-à-dire irréductibles aux représentations sociales de leur temps : représentations que la réalisatrice cherche justement – nous l’avons vu – à faire éclater 22.

18. Le second volet de cette trilogie serait constitué par le documentaire intitulé Per sempre (2005). C’est Alina Marazzi elle-même qui invite à réunir ces trois documentaires en une trilogie, comme le rappelle A. Costa (« Il documentario e il suo oltre », p. 88). 19. La volonté de continuer à « riannodare i fili del passato » selon l’expression d’Alina Marazzi dans une interview à propos du documentaire Un’ora sola ti vorrei (A. Marazzi, « Intervista a Marco Bertozzi », Quaderni del CSI, n° 3, 2007, p. 135). 20. A. Costa, « Il documentario e il suo oltre », p. 85. 21. Interview de la réalisatrice disponible dans les bonus du DVD du film. 22. Mettant en parallèle le contenu du film d’Alina Marazzi (les années de transformation profonde de la condition féminine en Italie) et sa forme, Marco Bertozzi remarque « una deflagrazione di valori consolidati, alla quale corrisponde la felice libertà espressiva dell’autrice nel manipolare materiali diversissimi fra loro » (M. Bertozzi, Recycled cinema, Venise, Marsilio, 2012, p. 50).

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Dans Vogliamo anche le rose, les trois jeunes femmes diaristes sont des spostate et toutes font état de leur aliénation identitaire. Anita affirme : « Sono una pietra fra l’erba, estranea, fredda, rinserrata […]. Ma come si fa a vivere fuori dalle convenzioni sociali ». Teresa proclame son « rifiuto di determinati ruoli ». Le problème de l’aliénation et de la recherche d’une identité féminine épanouie traverse enfin toute la troisième partie. Il est l’enjeu des réflexions existentielles – presque ontologiques – du diario de Valentina (elle-même lectrice du diario de Carla Lonzi), qui vit l’époque du féminisme et du séparatisme et arrive à la fin de ces longues années de transformations sociales mais aussi psychologiques : « Bisogna trovare un modello da seguire. Ci guardiamo intorno e vediamo che non ce ne sono […]. Mi sento una diversa ».

Conclusion Il se trouve donc là aussi l’aspect paradoxalement politique du film d’Alina Marazzi, car, en interrogeant profondément cette identité féminine, c’est aussi l’identité, l’héritage de la spectatrice contemporaine qu’elle interroge, tout autant que le sien propre. Un héritage parfois méconnu, voire inconnu des plus jeunes femmes. Elle met ses spectatrices devant une version de leur propre histoire, dont elles sont en partie le produit, devant ce que fut le parcours de conquête de leur identité et de leurs libertés mais aussi de leurs enfermements, devant la nécessité encore actuelle de la lutte 23. L’avant-dernière séquence du film, le seul moment de saut dans le présent, montre, à travers un montage alterné, la désertion des locaux autrefois fréquentés par les groupes de parole féminins. La séquence finale est aussi là pour dire cette nécessité, où l’on voit une institutrice apprendre leurs droits constitutionnels à des femmes italiennes. Pour conclure, la forme même du film d’Alina Marazzi est un démenti de l’histoire envisagée comme passé linéaire et intangible, clos et construit une fois pour toutes. Elle interroge au contraire le présent et son specta- teur : quel est le sens de ce passé qui m’a façonné ? Qu’est-ce que j’en fais aujourd’hui ? Si l’histoire n’est pas le passé mais bien le sens que l’on donne à ce passé, un film politique est un film qui donne des clés d’interprétation et d’action pour le présent. De ce point de vue, le documentaire d’Alina Marazzi est un film politique.

Laurent Scotto d’Ardino Université Grenoble – Alpes

23. L’Italie était en 2010 au 84e rang mondial pour l’égalité des hommes et des femmes.

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Alberto Asor Rosa, Letteratura italiana. La storia, i classici, l’identità nazionale, Roma, Carocci, 2014, 253 p. Più che un volume di critica e riflessioni letterarie, questo di Alberto Asor Rosa sembra essere un’autobiografia intellettuale. O, forse meglio, la deli- neazione di quello che l’autore, in quanto studioso di letteratura italiana, è stato, continua ad essere e pensa debbano diventare coloro che ambiscono a questo ruolo. Il lettore si trova quindi tra le mani una miscellanea di saggi dalla fortissima valenza ideologica che, si condividano o meno le opinioni e le proposte in essa espresse e formulate, merita attenzione e rispetto per l’intenzione che sottende : garantire profondità e spessore etico agli studi letterari. Tranne uno, risalente al 1985, i saggi raccolti sono stati tutti scritti e pubblicati negli ultimi dodici anni e i motivi per i quali vengono riproposti sono dichiarati dal loro autore nella Premessa : innanzitutto la riconferma della centralità degli studi di critica e storia della letteratura italiana e la promozione del loro tentativo di riconquistare un ruolo di rilievo nell’« universo umanistico-mediatico in perenne trasformazione » (p. 10) che contraddistingue la società contemporanea, dalla quale i detti studi, inutile dirlo, sono percepiti come sempre più lontani e marginali, se non addirittura come inutili, come uno spazio per eruditi autoreferenziali al di fuori della realtà. Inoltre, l’urgenza, per poter dare almeno una chance al proposito sopra descritto, di ritrovare una struttura coerente di ricerca che recuperi alla letteratura quell’approccio e quella prospettiva scientifiche che, imperative sino a pochi decenni fa, sono ora definitivamente tramontate, lasciando spazio alla più completa e disordinata anarchia – e ignoranza – metodologiche. A proposito di quest’ultimo problema, è bene sottolineare come lo strumento preferito da Asor Rosa, anche se non è l’unico, per conferire sistematicità alle sue indagini sia quello del « canone » – alla cui definizione è dedicata un’intera parte del volume, la seconda, composta da due saggi e una densissima intervista a Corrado Bologna – da intendere come modalità utile per « organizzare lo sviluppo storico di una letteratura […] mostrando con l’eloquenza autoriale della “lista”, e della indubitabile

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successione degli eventi e delle scelte, cui essa si ispira, quali siano state le sue più evidenti e incontestabili manifestazioni apicali […] » (p. 12). Oltre a quella incentrata sul canone, vi sono poi altre quattro sezioni che scandiscono l’andamento del volume e attraverso le quali l’autore articola le motivazione già citate. La sezione proemiale è dedicata in generale a Storia e letteratura ed è composta da due saggi (Dieci tesi, un intermezzo e una conclusione sull’italianistica e la critica letteraria e Sulla storia della letteratura) ; la terza sezione si concentra invece sul Novecento (ancora due i saggi in essa contenuti : I fondamenti epistemologici della letteratura italiana del Novecento e Sulle antologie poetiche del Novecento italiano) ; la quarta discetta sulle Questioni di metodo e di sostanza (con due riflessioni dedicate rispettivamente a Metodo e non metodo nella critica letteraria e al rapporto tra Storia, geografia e… letteratura) ; infine, nell’ultima sezione, intitolata Percorsi di vita e di ricerca e sicuramente la più autobiografica del volume, trovano spazio l’allocuzione che Asor Rosa pronunciò il 5 giugno del 2003 in occasione della sua ultima lezione (Cinquantadue, il titolo richiama gli anni trascorsi ad insegnare) e il discorso tenuto per l’inaugurazione dell’anno accademico 2003-2004 all’Università degli Studi di Reggio Calabria. Al di là di quanto già detto relativamente agli intenti che hanno portato Asor Rosa a voler riproporre questi saggi, il filo rosso che sottende tutto il volume rimanda a uno dei temi forti dello studioso romano, ossia il rapporto fra letteratura e identità nazionale che, nella definizione datane dall’autore, si produce « tutte le volte in cui un’esperienza letteraria, o forse, più generalmente intellettuale e artistica, calandosi nel linguaggio che caratterizza e forma l’identità di un singolo paese, connessa profondamente con la sua storia, ne assume i gèni e ne enfatizza le diversità rispetto a tutti gli altri » (p. 13). È noto quanto questo sia un tema caro ad Asor Rosa, che vi ha dedicato monografie e studi di sicura profondità speculativa (tra i quali basterà citare Genius Italicum, del 1997) e che hanno il merito di aver portato alla ribalta della riflessione critica, con maggiore enfasi di quanto fosse stato fatto in passato, un dato peculiare della letteratura nazionale. Perché se è ovvio che in tutti i paesi la letteratura è uno degli elementi fondativi dell’immagine che un popolo ha di sé o che gli stranieri hanno di lui, è parimenti assodato che nel caso italiano l’importanza del fattore letterario assume un valore assoluto a causa della singolarità delle vicende nazionali. Infatti, per lunghissimo tempo – quasi sette secoli, dalle Origini sino a tutto il Risorgimento – la letteratura non è stata solo « una » delle espressioni dell’italianità, bensì l’unica modalità, molto più della musica e dell’arte, attraverso la quale una moltitudine di intellettuali e di scrittori politicamente divisi ma linguisticamente affini ha potuto determinare la propria immagine rispetto al resto del mondo.

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L’aspetto che però maggiormente colpisce del volume di Asor Rosa, è quello di avere un finale aperto, per usare una definizione narratologica. Se i pretesti del volume sono stati la preoccupazione per la marginalizza- zione degli studi letterari e la necessità di ritrovare una metodologia critica condivisa, nel finale della Premessa emerge chiaramente la preoccupazione per un futuro della disciplina e del suo statuto denso di nubi, perché, come chiarisce l’autore, stiamo « approdando a esiti assai discordanti dal passato e in qualche modo, più che innovativi nel senso… tradizionale del termine, orientati a bisogni e valori di eterogenea e totalmente inedita origine e natura » (p. 17). Questi sono gli elementi che fanno pensare a un finale aperto : la trepidazione, peraltro largamente condivisa da numerose figure di rilievo dell’italianistica, per un futuro incognito e la lucida percezione di vivere in un’età di transizione, dalla quale emergerà un mondo nuovo in cui molte cose, e tra queste la letteratura, dovranno riconquistare un senso, oppure saranno costrette a diventare fenomeni di nicchia, o, ancora, subiranno una mutazione genetica difficilmente immaginabile. Con lo sguardo rivolto a queste terre incognite e come per il Colombo del dialogo leopardiano, l’unica consolazione resta nella consapevolezza che la felicità sta nel viaggio, e non nella scoperta.

Luca Bani

Giorgio Bárberi Squarotti, Pensoso vo mesurando. L’irruzione della modernità nella narrativa italiana tra tardo Ottocento e Novecento, San Cesario di Lecce, Manni, 2014, 351 p. È un dato ormai consolidato e condiviso dalla comunità dei critici che la letteratura italiana postunitaria ha avuto un rapporto difficilissimo con la modernità e che la manifestazione più evidente di questo fenomeno è il suo pervicace attaccamento alla tradizione classicista. A parte rare ma notevoli eccezioni, e il riferimento a Leopardi è d’obbligo, quella classica è stata spesso considerata dagli scrittori del Belpaese più come una dimensione rassicurante e idealizzata nella quale rifugiarsi che una vera e propria linea programmatica di sviluppo per la letteratura nazionale, e questo ha fatto sì che molti di questi scrittori scegliessero di chiudersi in una sorta di passato autistico piuttosto che confrontarsi con la realtà che li circondava e che stava cambiando con ritmi vertiginosi. D’altro canto, le difficoltà incontrate dai letterati nel loro rapporto con la modernità non sono altro che il riflesso di quelle sperimentate dall’intera nazione nell’adattarsi a processi di modernizzazione economica, sociale e ovviamente anche

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culturale necessariamente dolorosi e traumatici, perché imposti a un paese ancora estremamente vulnerabile e appesantito da oggettive condizioni di arretratezza. Partendo da queste premesse, il volume di Giorgio Bárberi Squarotti ha l’indubbio merito di proporre al lettore una serie di saggi che, pur concen- trandosi sulla descrizione di alcune tra le più importanti opere romanzesche che, tra mutamenti e persistenze, hanno segnato l’ultimo secolo e mezzo di narrativa italiana, mantengono vivo il contatto con la realtà sociale di cui questi romanzi sono testimonianza fedele e non perdono di vista quel disagio e quelle lacerazioni rispetto alla modernità che, tra tardo Ottocento e Novecento, hanno contraddistinto tutto il paese e, in modo particolare, alcune tra le sue regioni più arretrate : la Sicilia, Napoli, la Basilicata. La raccolta si apre quindi con il capitolo dedicato all’Ermanno Raeli di Federico De Roberto per arrivare, con l’ultimo saggio intitolato Come è Moravia, ad una valutazione complessiva dei romanzi dell’autore romano, passando per nomi noti come quelli di Consolo, Del Giudice, Di Giacomo, Flaiano, Carlo Levi, Pirandello, Silone, Soldati o Verga e per scrittori meno conosciuti, ma altrettanto significativi come il siciliano Giuseppe Bonaviri, l’aquilana Laudomia Bonanni, il cagliaritano Giuseppe Dessì, il frusinate Giustino Ferri e altri ancora. Tra i diversi capitoli, un fascino particolare, almeno nell’opinione dello scrivente, rivestono le numerose pagine dedicate alla Sicilia e incen- trate non solo sull’identificazione di quest’isola come mito letterario, ma pure sull’analisi delle non poche differenze prospettiche che dividono e talvolta contrappongono gli autori siciliani rispetto proprio al loro modo di considerare l’isola, di viverne la complessa realtà storica, di elaborarne le implicazioni simboliche e di gestirne la ricaduta sull’immaginario. Per il primo di questi due elementi, Bárberi Squarotti delinea con pre- cisione le accezioni mitologiche del cronotopo spaziale isolàno che ben si attanagliano al caso siciliano, perché « L’isola (letteraria) è sempre un mito : luogo d’approdo dopo le vicissitudini del mare e la mutevolezza dei venti, oppure scampo dal naufragio dei progetti e delle imprese di conoscenza (Ulisse, Robinson), oppure nido primordiale, che ha l’opposta faccia del luogo intatto e preservato da pericoli e minacce, nel quale durare l’esistenza, contemplativa o operosa che sia, e della prigione più o meno esigua, dalla quale si anela di partire per conoscere il mondo, ma che trattiene con il suo fascino di sia pur limitata certezza di confini […] » (p. 111). Nel caso della Sicilia, alla stratigrafia di significati impliciti in tutti questi elementi bisogna assommare l’eredità particolare delle vicende che dai Greci in poi ne hanno caratterizzato profondamente la storia – così profondamente da risultare ostative al suo sviluppo nella modernità – e bisogna aggiungere il

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carattere particolare dei Siciliani che, sia esso causa o effetto di questa storia, assurge a vero e proprio tema letterario in molte delle prove romanzesche prese in esame nel volume. Ecco allora, per il secondo elemento, le pagine su Vittorini e sul suo Le donne di Messina, nelle quali il discorso su questo romanzo diventa un colloquio e una comparazione strettissima con moltissime altre opere e autori – dallo Sciascia degli Zii di Sicilia al Tomasi di Lampedusa del Gattopardo, da Bufalino con le sue Dicerie al D’Arrigo di Horcynus Orca – attraverso le quali emergono nettissime le linee ideologico-interpreta- tive che ciascuno di loro ha adottato nel tradurre letterariamente la sua personale percezione ed esperienza della realtà siciliana : « La sfiducia nella storia, la contemplazione continua della morte » vissute con matura consapevolezza e lucidità o, all’opposto, « la mitologia dell’infanzia, del primitivo, dell’avventura » che trascende la realtà storica, accentrando la propria attenzione sulle minuzie della quotidianità, e finisce per trasfigurare lo spazio isolano in una dimensione di assoluta atemporalità. Il percorso sin qui ricostruito è solo un esempio delle molteplici linee d’indagine sullo sviluppo del romanzo italiano tracciate da Bárberi Squarotti in questo volume dotto e intelligente, nel quale la funzione critica sembra adottare come postulato dal quale partire l’inscindibilità dionisottiana di « storia », ovviamente letteraria, e « geografia », intesa come spazio fisico semanticamente significativo per il suo portato esperienziale e, di conse- guenza, potenzialmente letterario. Un volume ricco di suggestioni, dunque, al quale non avrebbe sicuramente fatto torto un indice dei nomi e, magari, delle opere trattate. Luca Bani

Sophie Nezri-Dufour, Giorgio Bassani, prisonnier du passé, gardien de la mémoire, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence (collection 1 ; n° 5), 2015, 133 p. En cette année de commémoration bassanienne, le court essai de Sophie Nezri-Dufour tombe à pic. L’auteur, spécialiste de l’écrivain auquel elle a consacré plusieurs études, privilégie ici une approche monographique classique : éléments biographiques, contextualisation historique, présen- tation et analyse des œuvres. Sur ce plan, le contrat est rempli, la lecture agréable, les repères donnés précis. Pour autant, par endroits, quelques approximations sont à noter, ainsi qu’une certaine tendance à la simpli- fication, probablement liées à l’urgence de publier le livre (notre auteur est au programme des concours). Passons sur le début de la quatrième de

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couverture qui fait naître Bassani à Ferrare, ce qui semblerait logique tant la ville constitue le décor presque unique de ses récits, mais ne correspond pas à la réalité de l’état civil. Plus problématiques sont quelques formulations, à l’image du titre général de l’ouvrage qui, corroborant une certaine doxa critique, « enferme » l’auteur du Jardin des Finzi-Contini dans l’évocation du « passé » et fait de lui le conservateur intraitable de la « mémoire ». Certes, la dimension mémorielle, plus que testimoniale d’ailleurs, est bien au cœur du projet du Roman de Ferrare. D’ailleurs, les pages que Sophie Nezri-Dufour consacre à la question de l’ancrage d’un parcours individuel dans une dimension collective (ferraraise et communautaire, bien sûr, mais aussi générationnelle et intellectuelle) sont claires et convaincantes. Mais pourquoi, dès l’affichage du projet, réduire l’œuvre de l’écrivain à cette fonction nostalgique et, au fond, régressive ? Plus que « prison- nier du passé », Bassani en est le chroniqueur insatiable et c’est justement parce qu’il a franchi les murs de Ferrare qu’il a pu, avec la distance que confèrent l’éloignement géographique et la mise en fiction de la matière autobiographique, revenir sur les origines de ce dérèglement tragique de la tradition humaniste européenne. Une perte des valeurs communes dont l’égarement fasciste, que résume le mécanisme de l’exclusion raconté dans les récits, constitue l’illustration italienne. En d’autres termes, il nous semble que c’est en homme libre et depuis le promontoire d’un présent assumé, construit par l’Engagement – le Bassani résistant et membre du Partito d’Azione – et par la réflexion culturelle et sociétale – le Bassani pédagogue, homme des médias, défenseur acharné du patrimoine de son pays, quand le mot désigne aussi bien les monuments que les paysages – que l’écrivain « ferrarais » a bâti une œuvre qu’il serait vain de limiter à sa dimension rétrospective de mausolée de la folie fasciste. Comme le souligne justement Sophie Nezri-Dufour, l’écriture de Bassani peut être lyrique, construite à partir de ces « métaphores obsédantes » d’où jaillit un « mythe personnel », pour reprendre les célèbres formules de Charles Mauron. Les pages que la critique consacre à ces lieux à la fois réels et symboliques (la topographie de Ferrare), à ces lieux-objets (le mur, la chambre, le couloir, entre autres) ou à ces objets qui témoignent de la séparation du monde et de l’identité (les lunettes, les miroirs, les fenêtres), tous tissant la trame des récits, sont particulièrement éclairantes. Mais si l’on admet que la poésie est l’expression d’une volonté de se libérer de la gangue des mots galvaudés par l’usage, on retrouve l’idée que Bassani, depuis la réalité de son expérience personnelle, a su transformer cette dernière en discours exemplaire. Tout lecteur, qu’il ait traversé les épreuves relatées ou pas, reconnaît la part d’humanité bafouée, puis rédimée, que les œuvres illustrent. Les récits du Roman de Ferrare ont, nous dit-on, une écriture « philosophique »,

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« cinématographique » ou « thérapeutique ». Mais que signifient exactement ces adjectifs appliqués à la littérature ? Le dernier d’entre eux bénéficie d’ailleurs d’un usage pour le moins contradictoire, car il est dit que l’écriture de Bassani est « réellement thérapeutique » pour nous faire comprendre quelques pages plus loin que « les souvenirs obsédants qu’ont bon nombre de personnages bassaniens n’ont aucun pouvoir thérapeutique » (on trou- vera d’ailleurs d’autres contradictions internes : Bassani est défini comme « témoin, moraliste et historiographe » pour devenir ensuite un écrivain qui « se livre à une dénonciation des faits sans moralisme ni pathétisme »). Peu importe. L’essentiel est ailleurs et bien présent dans les analyses de Sophie Nezri-Dufour : les récits du cycle constituent autant d’étapes d’un processus d’émancipation. Son protagoniste se libère de sa communauté (certains des personnages juifs sont peu sympathiques, voire fascistes), de sa famille (sa tendresse filiale n’empêche pas quelques portraits au vitriol de la figure paternelle associée au sentiment de la honte), de sa ville (que Bassani cette fois quittera juste à temps pour ne pas être raflé et où il ne reviendra que très rarement), bref de tout ce que d’autres appelleraient son habitus. Mais, bien sûr, la libération ne signifie ni l’oubli, ni le reniement. C’est ce pas de côté, cette marche en avant, qui rend possible un retour que Sophie Nezri-Dufour définit élégamment comme la recréation esthétique d’un « monde disparu dont il [Bassani] va devenir le chantre ». Un aède que la mémoire biographique n’est pas la seule à inspirer. Les pages dédiées aux influences littéraires de Bassani et à l’intertextualité affichée ou plus subreptice de son œuvre sont pertinentes et, outre l’attendu Dante, on est surpris puis convaincu par d’autres références, comme Balzac, la dimension homodiégétique en moins. Ces quelques remarques, et les réserves ponctuelles exprimées ici, montrent que l’œuvre de Bassani se prête à des lectures nuancées. La momi- fier par trop de déférence (le respect dû aux morts, d’où qu’ils viennent) risquerait de lui porter préjudice car, comme le note justement Sophie Nezri- Dufour, « écrire consistait pour Bassani à sauver les victimes d’une seconde mort ». La finesse des analyses textuelles, la précision de la connaissance des récits mais aussi le débat que peuvent susciter certaines des affirmations de la critique prouvent que, comme toute grande œuvre, la production littéraire de Bassani est aujourd’hui « vivace ». La charge mémorielle qui la nourrit est le viatique d’une réflexionin fieri que n’épuisent pas les nom- breux lecteurs amateurs et professionnels de ses livres. En effet, pour citer une dernière fois Sophie Nezri-Dufour à l’occasion d’un rapprochement audacieux entre le Geo d’Une plaque commémorative via Mazzini et l’auteur lui-même : « Bassani est le survivant qui considère qu’une collectivité ne peut se reconstruire sur des bases solides et songer à recréer une société

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nouvelle si elle ne revient pas sur son passé et sur ses erreurs ». Dépasser le « ressentiment » donc, légitime, nécessaire, non pour « pardonner », mais pour comprendre, voilà bien ce qui constitue l’actualité du Roman de Ferrare. Vincent D’Orlando

Elena Surdi, Fantasia e buonsenso. Antonio Rubino nei periodici per ragazzi (1907-1941), Lecce – Brescia, Pensa MultiMedia, 2015, 351 p. Cet ouvrage consacré à l’œuvre d’Antonio Rubino (1880-1964) restitue dans sa totalité la production pour la presse et d’autres médias de cet auteur- illustrateur pour l’enfance. Le premier chapitre retrace la biographie de cet artiste qui ne suivit aucune formation artistique ; l’Exposition internationale d’Art Décoratif Moderne de Turin en 1902 fut l’événement marquant qui devait décider de sa future carrière. Dans son style très personnel s’unissent des influences diverses : le Symbolisme, qui l’avait fasciné au début, allait laisser une trace dans ses figures ambiguës et dans le soupçon de méchanceté qu’il percevait dans l’âme enfantine ; l’Art Nouveau, dans son trait toujours chargé d’ornements et de fioritures ; l’Art Déco, dans la fragmentation des éléments décoratifs et la présence de figures hermétiques ; enfin le Futurisme rapproche sa manière de celle de Depero, auquel il fut comparé. Mais Rubino se disait autodidacte et ne se reconnaissait dans aucune école. En 1905, il commence à travailler comme « copertinista » pour plusieurs journaux et magazines, parmi lesquels figurent les meilleurs hebdomadaires pour les enfants de l’ère de Giolitti : Il Giornalino della Domenica et Il Corriere dei Piccoli, puis il s’affirme comme auteur en publiant ses propres ouvrages. Si le premier, Versi e Disegni (1911), marqué par un symbolisme macabre, n’est pas pour les enfants, tous ceux dont il composera par la suite les textes et les dessins – à commencer par I balocchi di Titina (1912) – leur seront destinés et seront souvent des reprises d’histoires et d’épisodes parus dans le Corriere dei Piccoli. Cette prédilection pour l’enfance ne connaîtra qu’une seule interruption, lorsque, pendant la Grande Guerre, il est engagé par l’Ufficio Propaganda pour collaborer à La Tradotta, le journal de la Troisième Armée ; puis Rubino adhèrera au Pnf et quittera en 1927 le Corriere dei Piccoli – pas assez politisé à son goût – pour Il Balilla, le journal pour l’enfance du parti, car il est sincèrement convaincu que le fascisme est « l’ideologia che garantiva la celebrazione dei caratteri più puri dell’appartenenza italica » (p. 81). Il y restera jusqu’en 1929. Les années entre 1907 et 1929 constituent sûrement la période la plus féconde de sa carrière d’auteur-illustrateur. Elena Surdi consacre les deux

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chapitres suivants à la reconstitution et à l’analyse de cette vaste production, en prenant en considération Il Giornalino della Domenica (1906-1911), Il Corriere dei Piccoli (1909-1927), La Tradotta (1918-1919) et Il Balilla (1927- 1929), dont sont reproduites dans le volume de nombreuses illustrations. Pour le journal de Vamba, il réalise plusieurs couvertures où l’influence du courant symboliste et de l’école de l’Art Nouveau se manifeste dans la richesse des détails et le goût pour la décoration ; en revanche sa collabora- tion avec Il Corriere dei Piccoli, dont il fut l’un des pères fondateurs, est d’une tout autre importance. Pendant vingt ans, il va créer pour l’hebdomadaire milanais des dizaines de personnages et dessiner un nombre considérable de planches ; Elena Surdi les passe minutieusement en revue pour décrire l’originalité des dessins et des textes rimés qui les accompagnent, selon le modèle du « fumetto all’italiana ». Des talents qui se manifestent à nou- veau dans La Tradotta, où il se propose de remonter le moral des soldats en les amusant avec ses inventions comiques. Après la guerre, l’adhésion au nationalisme, puis à l’idéologie du régime fasciste sera l’une des voies suivies par Rubino, qui mettra son pinceau au service de ses opinions politiques ; il dessinera pour la propagande mussolinienne des gamins nommés Lio Balilla, Dado et Stellina, tous enrôlés pour démontrer que le fascisme signifie ordre, discipline et travail, tandis que le communisme est synonyme de désordre et de ruine. Parmi les autres thèmes majeurs de son œuvre, Surdi met en évidence la singularité de la typologie familiale : les parents de ses petits personnages sont des figures marginales, distantes et absentes, qui manquent d’autorité et n’arrivent pas à dialoguer avec leurs enfants, souvent indisciplinés et capricieux. Mais c’est dans le domaine du jeu que l’artiste se montre véritablement à son aise : ses histoires regorgent d’innombrables jouets, de pantins et de marionnettes transformés en per- sonnages dotés de vie propre. Rubino reprendra sa collaboration avec le Corrierino après le décès de Silvio Spaventa Filippi, puis à partir de 1930 il sera à son tour responsable de nouvelles publications : Mondo Bambino (1930) et Mondo Fanciullo (1934), avant d’être engagé par Mondadori pour diriger ses hebdomadaires disneyens Topolino (1935-1940), Paperino (1937-1940) et Nel regno di Topo- lino (1937-1940), tous supprimés par le fascisme en 1942, après l’entrée des États-Unis dans le conflit. Pendant la guerre, Rubino se tournera vers le dessin animé, avec la création de plusieurs courts métrages : Nel paese dei ranocchi, premier dessin animé italien primé à la Mostra de Venise en 1942, sera suivi par Crescendo rossiniano (qui proposait des airs de Rossini sous forme de dessin animé) et par Totò meccanico (1943), qui resta à l’état de projet. Par la suite, il réalisera I sette colori (1955) – où il narre en images l’origine de la lumière, de l’ombre et des couleurs – tout en collaborant à des

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périodiques éphémères de l’après-guerre (Pinocchia, Modellina, Gazzetta dei piccoli, Bambola), ainsi qu’au Corriere dei Piccoli. Dans le dernier chapitre, Elena Surdi dresse un bilan global de l’œuvre multiforme de cet auteur-illustrateur prolifique, dont elle éclaire par ses analyses rigoureuses la poétique et la conception éducative. Rubino sait créer des situations absurdes ou ridicules à partir des éléments du quoti- dien, qu’il restitue sous forme de situations paradoxales, mais sans aboutir pour autant au nonsense ou à la subversion. « Fantasia e buonsenso » sont les deux axes entre lesquels se développent ses narrations : la « fantasia », l’imagination créatrice, est le propre de l’enfant, tandis que le « buonsenso » appartient à l’adulte. Elena Surdi démontre avec finesse comment, malgré toute l’originalité de son œuvre, Rubino ne met jamais en discussion ses valeurs morales conservatrices, qui sont l’ordre et la discipline, et ne laisse pas de liberté de choix à ses personnages, invariablement pliés au « bon sens » commun. C’est cette conception pédagogique qui le conduira à adhérer à l’idéologie du fascisme, qu’il proposera aux enfants sous forme d’histoires illustrées et de bandes dessinées.

Mariella Colin

Sigismondo Castromediano : il patriota, lo scrittore, il promotore di cultura (Atti del convegno nazionale di studi, Cavallino di Lecce, 30 novembre-1 dicembre 2012), Antonio Lucio Giannone et Fabio D’Astore (dir.), Galatina, Mario Congedo Editore, 2014, 374 p. Le cent-cinquantième anniversaire de l’Unité italienne a coïncidé avec les célébrations du bicentenaire de la naissance du duc Sigismondo Castro- mediano (le 20 janvier 2011), patriote originaire de la ville de Cavallino di Lecce, dans la région du Salento (Pouilles). Antonio Lucio Giannone et Fabio D’Astore, dans le colloque organisé pour l’occasion puis dans leur volume d’Actes, offrent une mise au point significative sur les travaux réalisés depuis une vingtaine d’années et ouvrent de nouvelles pistes de recherche sur le « Bianco Duca », qui à cause de ses idées libérales fut enfermé pendant dix ans dans les prisons des Bourbons et qui fut l’un des principaux mémo- rialistes du Risorgimento. Dès sa préface, Antonio Lucio Giannone pointe que l’objectif principal des chercheurs doit être aujourd’hui de replacer Castromediano dans sa dimension nationale, qui lui appartient de plein droit et de laquelle il est resté injustement exclu. Le volume, qui comporte douze articles, est articulé selon trois axes, correspondant aux phases principales de la vie du duc : la lutte patriotique,

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l’écriture des mémoires, en particulier de son expérience de prisonnier, et l’activité politique marquée par l’animation de la vie culturelle de sa région. Les textes, disposés par ordre chronologique, commencent par un premier groupe centré sur les récits des Memorie qui se réfèrent aux années de jeunesse et de la première maturité de Castromediano, passées en grande partie, entre 1848 et 1859, dans les prisons bourboniennes. Après sa captivité et sa libération, commence une nouvelle période que Castromediano passe à Turin, entre 1859 et 1865, d’abord en tant qu’exilé puis comme député du premier Parlement italien. La troisième et dernière phase d’activité du duc, entre 1865 et sa mort en 1895, se situe sur ses terres, dans le Salento. Castromediano œuvre intensément à la promotion et à l’organisation de la culture, par différentes initiatives qui ont laissé des traces jusqu’à aujourd’hui. Parmi les contributions les plus significatives du volume, l’article d’Ermanno Paccagnini présente l’état actuel des recherches sur les mémoires du Risorgimento. Ce genre littéraire, pratiqué par de très nombreux patriotes (parmi lesquels se détachent Silvio Pellico, Luigi Settembrini, Giuseppe Garibaldi, Massimo D’Azeglio) aux parcours idéologiques et de vie très dissemblables, fait ressortir la nécessité douloureuse partagée par tous de fixer les moments exceptionnels de leur vie privée et de l’histoire nationale pour laisser une trace durable, ayant la valeur d’un message laissé à la postérité. La contribution d’Antonio Lucio Giannone restreint le regard aux mémoires des écrivains méridionaux, dans lesquels il repère des traits communs aussi bien en ce qui concerne leur finalité (la construction d’une épopée des « martyrs » du Risorgimento) que dans la description de certains épisodes (la vie en captivité et leur libération notamment). Ouvrant la seconde partie du volume, Maria Alessandra Marcellan examine le salon turinois de la famille aristocratique des Savio, dans lequel Castromediano noua des relations significatives, pour montrer l’importance des lieux de sociabilité publique au cours du Risorgimento, où étaient décidés les destins futurs de la nation italienne. Les batailles civiles du duc-député sont au centre des articles de Salvatore Coppola, Emilio Filieri et Andrea Scardicchio : le premier examine la brève parenthèse du mandat parlementaire de Castromediano, député de la Droite historique, en se servant des actes parlementaires et des articles de journaux rédigés par le Bianco Duca. Il montre comment Castromediano appuyait même des propositions présentées par ses adversaires politiques, s’il les jugeait conformes à l’intérêt commun et à sa vision libérale et libériste. L’article d’Emilio Filieri se concentre sur la vexata quaestio des dîmes et sur la longue polémique, politique et personnelle, entre Castromediano et Beniamino Rossi, défenseur des propriétaires terriens qui n’étaient pas disposés à

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perdre leurs revenus fiscaux. Castromediano se distingue par sa défense cohérente des revendications des paysans contre ses propres intérêts de propriétaire et réussit à rédiger une proposition de loi particulièrement équilibrée. Andrea Scardicchio illustre l’engagement du duc pour répondre à l’urgence éducative dans l’Italie post-unitaire. Les lettres et les articles de journaux analysés font apparaître la vision laïque de l’instruction publique de Castromediano, exempte cependant d’anticléricalisme, et les espoirs de rachat social que la classe intellectuelle plaçait dans l’école et dans l’éducation. De retour dans le Salento, Paolo Agostino Vetrugno met en lumière la contribution de Castromediano à la valorisation des biens culturels comme biens collectifs, en particulier par la mise en place d’une commission pour la conservation des monuments patriotiques, dont il fut président entre 1869 et 1875, et surtout par la fondation du musée provincial de Terra d’Otranto. Castromediano propose notamment un usage public de l’histoire pour éduquer la conscience civile des Italiens dans un sens unitaire. L’apport du Bianco Duca à la culture de sa région est également mesurable dans la richesse des archives de sa famille, décrites dans l’article de Rosellina D’Arpe, ainsi que dans sa très riche bibliothèque, dont nous parle Alessandro Laporta. Le volume est complété par la description de textes rares et inédits de Castromediano : un extrait inédit du manuscrit des Mémoires mis au jour par Fabio D’Astore, un travail de vulgarisation d’une nouvelle de Boccace en dialecte de Lecce, analysé par Marco Leone, ainsi que le manuscrit « Scardia » des Mémoires, en partie autographe, qui avait servi de texte de base pour la publication des deux volumes Carceri e galere politiche et Memorie del Duca Sigismondo Castromediano publiés en 1895, récemment offerts à Gigi Montonato, qui l’a ramené dans le Salento. L’ensemble du volume compose ainsi un portrait complet et vivant de Sigismondo Castromediano, qui permet sans aucun doute de lui attribuer une place significative dans l’histoire nationale du Risorgimento italien. On peut seulement regretter que le roman d’Anna Banti, Noi credevamo, publié en 1967 et récemment remis à l’honneur grâce au film homonyme de Mario Martone, qui est une des rares œuvres de fiction à mettre en scène Castromediano, ne soit cité que (trop) brièvement (p. 69-70 et 77). Mais cette lacune stimulera les chercheurs à s’intéresser davantage à ce grand personnage de la politique et de la culture en élargissant davantage les champs d’observation.

Laura Fournier-Finocchiaro

Livre 1.indb 240 03/10/2016 14:30 Notes critiques 241

Jean-Louis Fournel, La cité du soleil et les territoires des hommes. Le savoir du monde chez Campanella, Paris, Albin Michel, 2012, 368 p. Jean-Louis Fournel, spécialiste de l’histoire de la pensée politique italienne du XVIe siècle, propose dans cet ouvrage une nouvelle lecture des écrits du dominicain calabrais Tommaso Campanella (1568-1639). Dans le cadre du renouvellement depuis quelques décennies des études campanéliennes, il relève le défi d’une approche strictement politique de ces écrits, dans le but d’esquisser une direction de recherche alternative. Philosophe, poète, mage et astrologue, Campanella rédige, en partie depuis les geôles espa- gnoles de Naples et les prisons romaines où il demeure enfermé durant vingt-sept années, une œuvre encyclopédique tendue vers un même projet universaliste : un système mondial placé sous l’autorité spirituelle du pape et régi par un sénat permanent de princes chrétiens. Bien loin de faire appel au providentialisme eschatologique du dominicain ou à son prophétisme astrologique, l’auteur entend ici rendre compte de l’actualité de son projet de monarchie catholique universelle en démontrant comment celui-ci repose sur l’élaboration d’un nouveau savoir global de la terre qui autorise à penser le monde dans sa diversité. Cet objectif suppose notamment de redéfinir les catégories historio- graphiques qui ont guidé la recherche. Il convient, d’une part, de signaler les dangers que comporte l’utilisation du concept d’utopie, employé par toute une tradition interprétative pour définir l’ouvrage le plus célèbre du dominicain, La cité du soleil. Ce texte est ici présenté comme une géopo- litique actualisée, une utopie « qui se pens[e] dans le monde et à partir du monde » (p. 37), ce qui autorise l’auteur à avancer une thèse originale qui consiste à la fois à « désutopiser » l’écriture du Calabrais et à « reterritoriali- ser » sa pensée (p. 203). Cette lecture nécessite, d’autre part, d’interroger la catégorie d’empire dans la mesure où le projet campanélien ne semble pas puiser dans un héritage romain ou médiéval d’ordre juridique et ne peut être envisagé comme le précurseur d’une conception moderne de l’équilibre des puissances. La forme d’empire capable de concrétiser le dessein divin dépend en revanche d’une « géosophie » nouvelle, d’un savoir de la terre qui se distingue de la géographie (descriptive et taxinomique) en ce qu’il envisage les territoires comme le lieu de déploiement non seulement de la Providence, mais aussi de la liberté des hommes. Campanella apparaît alors comme l’artisan d’une pensée distincte du monde, d’un savoir qui se configure à la fois comme tension cognitive et comme condition de réalisa- tion d’un programme politique, ce qui suppose de redéfinir constamment les rapports qu’entretiennent le local et le global.

Livre 1.indb 241 03/10/2016 14:30 242 Recension bibliographique

Cette hypothèse de lecture qui est exposée dès le chapitre d’ouverture explique l’organisation du livre, qui examine successivement la place qu’occupent le royaume de Naples, le Nouveau Monde, les Pays-Bas, la péninsule italienne, la France et la mer dans la pensée de Campanella. Ces « territoires » sont entendus non pas comme de simples unités topogra- phiques, mais comme des entités politiques soumises à des dynamiques historiques et à des conjonctures spécifiques, c’est-à-dire comme des « manifestations de cette articulation de la géographie et de l’histoire au nom d’un impératif prophétique » (p. 38) qui autorisent le Calabrais à sans cesse redéfinir son projet politique en fonction des transformations de la conjoncture. Aussi, si la distribution des chapitres obéit à une logique circulaire, en brossant par touches successives le portrait d’un monde unifié à travers l’examen de ses parties, elle vise par ailleurs à rendre compte de la stratification progressive et des ambiguïtés d’une pensée contrainte de composer avec des temporalités distinctes, c’est-à-dire avec une histoire qui obéit à la fois au temps de la Providence divine comme histoire du salut et à celui d’une histoire des hommes dont les aléas constituent des impératifs sans cesse renouvelés. Ainsi, les considérations que Campanella consacre aux Amériques, aux Pays-Bas et à l’Italie, analysées dans la première partie du livre, permettent de rendre compte de la mission providentialiste que le dominicain assigne tout d’abord à l’Espagne, et annoncent du même coup la faillite de ce programme et le nouveau rôle attribué à la monarchie française qui est exposé dans les chapitres suivants. Ce passage d’une défense des intentions espagnoles au profit de la couronne de France se justifie à la lumière des bouleversements internationaux et entraîne une transformation des moyens de réalisation du programme d’unification du monde : au rôle conquérant et unificateur assigné à l’Espagne, placée à la tête d’une monarchie catho- lique universelle liée à la papauté, se substitue la figure libératrice du roi de France, qui est avant tout un instrument contre l’hégémonie espagnole et relève donc d’une rivalité européenne entre Habsbourg et Valois. Au-delà de tout opportunisme personnel, cette translatio imperii repose, à l’échelle locale, sur une appréciation étonnante des événements entendus comme des ruses provisoires de la raison qui ne sauraient entraver le dessein de Dieu – à l’instar de la rébellion des Flandres qui se profile chez Campanella comme une question plus politique que doctrinale servant à dévoiler la tyrannie du gouvernement espagnol. À l’échelle planétaire, elle entraîne une nouvelle distribution des rôles de l’Espagne et de la France, puisque si l’hégémonie sur l’Europe est attribuée au Roi Très-Chrétien, la conversion du Nouveau Monde demeure entre les mains de l’Espagne, de façon à bâtir un système multipolaire inédit.

Livre 1.indb 242 03/10/2016 14:30 Notes critiques 243

La cité du soleil et les territoires des hommes offre donc aux spécialistes de l’histoire de la Renaissance une lecture sans précédent de la pensée poli- tique de Campanella. Cependant l’ouvrage soulève également des questions épistémologiques qui sauront intéresser un public encore plus vaste en ce qu’elles touchent aux débats concernant le renouvellement de l’histoire intellectuelle, et notamment son ajustement avec la tendance globale des études historiques. Campanella apparaît ici comme le précurseur d’une conception inédite de l’unité de l’Europe et du monde, fondée sur l’équilibre des territoires – une idée qui sera balayée par le cours de l’histoire parce qu’alternative à la nouvelle Europe issue des traités de Westphalie, édifiée sur la balance des puissances et la construction des États singuliers – , mais il se montre également le théoricien d’une histoire globale et un penseur d’une forme de mondialisation. « Porteur d’une pensée de la reconstruction d’une unité de l’Europe et du monde », Campanella, grâce au portrait original que propose J.-L. Fournel, se dessine comme l’instigateur d’un universalisme qui, bien loin de répondre à une logique coloniale de domination, obéit à une volonté historique d’unification.

Hélène Soldini

Livre 1.indb 243 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 244 03/10/2016 14:30 Comptes rendus

Emma Schiavon, Interventiste nella Grande guerra. Assistenza, propaganda, lotta per i diritti a Milano e in Italia (1911-1919), Firenze, Le Monnier, 2015, 362 p. Il volume di Emma Schiavon approfondisce lo studio dell’interventismo in relazione agli sviluppi e alle espressioni del femminismo italiano. Merita sottolineare che, oltre alle più conosciute e studiate associazioni, quali ad esempio l’Unione Femminile ed il Consiglio nazionale delle donne italiane, l’Autrice volge lo sguardo a quelle meno note, aprendo il sipario su una presenza più che significativa e, soprattutto, sulla volontà politica e la capacità di entrare in relazione con le istituzioni. Sulla base di una documentazione differenziata, l’Autrice traccia un quadro sul dibattito femminista a favore dell’intervento. La periodizzazione 1911-1919, ampiamente motivata da Emma Schiavon, è più che condivisibile. Già in passato alcune studiose avevano individuato le origini della crisi del femminismo proprio nella guerra italo turca per la conquista della Libia, che coincide, tra l’altro, con i primi sviluppi del nazionalismo. La storiografia ha, dunque, indicato nel 1911 la data spartiacque per il femminismo italiano, il confine tra un primo periodo segnato da una sostanziale unità d’azione – a parere di chi scrive eccessivamente enfatizzata dalla storiografia – ed il manifestarsi di profonde divisioni interne connesse sia alle trasformazioni del quadro politico generale sia a fattori generazionali, che alla delusione provata da molte di fronte alle ambiguità del Partito socialista in materia di voto. Una rottura tra generazioni che si manifesta non solo in seno al femminismo, come alcuni studi hanno documentato. La stessa Schiavon fa riferimento alla questione riferendosi al tramonto della cultura demo- cratica risorgimentale, ma sarebbe stato utile misurare queste profonde divergenze anche in relazione alla polarizzazione dello scontro determinato dal conflitto, al radicalizzarsi delle posizioni, ovvero inquadrare la crisi del femminismo nel più ampio scenario delle trasformazioni che attraversano la società ed in rapporto all’affermazione di « altre » culture politiche. Lo scenario privilegiato in queste pagine è Milano, ma sarebbe riduttivo collocare il volume nell’ampio e vivace scaffale della storia locale e non solo

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per i riferimenti ad altre realtà, ma soprattutto per il ruolo del capoluogo lombardo, vera avanguardia nelle politiche di mobilitazione, una vera eccellenza ; la città è poi la culla del femminismo e, potremmo aggiungere ancora, del riformismo socialista. Milano diviene il modello, l’esempio da imitare per tante iniziative che si diffondono e si radicano nel Paese negli anni della guerra. Il libro si divide in due sezioni, la prima dedicata alla guerra di Libia, la seconda alla Grande guerra e al dopoguerra. L’Autrice ricostruisce la ricca geografia delle associazioni, gli incontri nazionali, le pratiche politiche inaugurate in età giolittiana, ovvero nella stagione d’oro del femminismo italiano. In questa fase il movimento, pur nelle sue diverse articolazioni, era stato capace di raccogliersi sotto un’unica bandiera, quella del voto alle donne. Priorità condivisa dalle stesse militanti socialiste che con disinvoltura passavano dai circoli del partito e delle leghe sindacali alla sedi dell’associazionismo femminista, dove entravano in relazione con donne di altre appartenenze, comprese le liberali moderate. L’alleanza Pro suffragio fu incrinata dalla guerra di Libia, banco di prova per quella propaganda e quella mobilitazione che si dispiegherà su larga scala con il conflitto mondiale ; evento nevralgico per l’associazionismo femminile che, pur con differenti posizioni, inaugura le attività di sostegno all’esercito. Pure l’Unione Femminile, d’ispirazione socialista, vi prende parte facendo tesoro delle capacità e delle esperienze accumulate con le tante attività di servizio alla cittadinanza. Le femministe fondano la mobilitazione – osserva Emma Schiavon – sulla continuità con il soccorso nelle terremotate Messina e Reggio Calabria, evento che « per la vicinanza temporale e per la tremenda entità del fenomeno, bene si pre- stava ad essere accostato ad una guerra quale prova di spirito e di coesione nazionali » (p. 75) e, soprattutto, poteva giustificare la presenza femminile nella scena pubblica « senza produrre traumi ». Decisi pure gli appelli alla sensibilità materna ; un materno, però, vorrei aggiungere, che acquista una nuova veste, come insegna, tra le altre, la scrittrice socialista interventista Anna Franchi. Intanto prendeva corpo il dibattito sull’ingresso delle donne nell’esercito come ausiliarie e Schiavon richiama a Carla Celesia per la quale « la nascita di un servizio ausiliario universalmente riconosciuto avrebbe senz’altro avvicinato il traguardo dei diritti » (p. 84). Alle prime avvisaglie della guerra in Europa, le femministe scelsero l’intervento, il neutralismo apparve loro rischioso, avrebbe potuto tradursi, in primo luogo, in una perdita significativa dell’agibilità politica costruita attraverso la rete di associazioni e di attività di servizio ; in secondo luogo, avrebbe tagliato fuori il movimento dal progresso rendendolo estraneo agli sviluppi della modernizzazione economica e sociale. La guerra, insomma,

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era vista come un’occasione per prendere parte in questi processi e ritagliarsi un proprio spazio. Questo insieme di convinzioni fece sì che « nel periodo della grande guerra siano potute convergere appartenenze ed ideologie che oggi appaiono incompatibili quali pacifismo, femminismo, interventismo e nazionalismo » (p. 97). Presenti nell’assistenza e nella propaganda, le asso- ciazioni si impegnarono al fine di garantire visibilità politica ed istituzionale alle donne nella convinzione che ciò avrebbe condotto al riconoscimento della cittadinanza. L’Autrice dimostra come il movimento non fosse semplicemente « sci- volato » nell’interventismo. Si trattò di una scelta consapevole che si rivelò catastrofica e non solo per il mancato raggiungimento del diritto di voto, ma per la divisione insanabile, e più profonda rispetto ad altre realtà, tra le femministe indipendenti e quelle inserite nel partito popolare e in quello socialista che andavano acquisendo la fisionomia di partiti di massa : « Ciò determinò una distanza incolmabile delle femministe italiane proprio rispetto alle due forze politiche vincenti nell’immediato dopoguerra : il Partito Socialista italiano e il Partito popolare, i quali avevano maggiore interesse politico a sostenere il voto alle donne » (p. 285). Le altre forze, quelle interventiste, ormai avevano quali referenti i reduci, tra i quali serpeggiava un forte antifemminismo. L’impegno del movimento nella mobilitazione contribuì alla diffusione di una più ampia coscienza tra le donne, ma venne presto dimenticato, scomodo anche per coloro che lo avevano sostenuto negli anni di guerra, e la progettualità femminista finì per « soccombere di fronte a un clima discorsivo pubblico sempre più misogino e sfavorevole, che era stato a sua volta fomentato proprio dalla guerra » (p. 287). Una condizione che il fascismo seppe abilmente trasformare in un programma politico.

Patrizia Gabrielli

Edmondo De Amicis, Souvenirs de Paris, Paris, Éditions rue d’Ulm (Versions françaises), 2015, 200 p. (édition d’Alberto Brambilla et Aurélie Gendrat-Claudel) Après Le livre Cœur, la collection « Versions françaises » des Éditions de la rue d’Ulm s’enrichit d’un autre ouvrage de De Amicis, porté à la connais- sance des chercheurs et des lecteurs de l’Hexagone en raison de son intérêt historique : Ricordi di Parigi, paru en 1879 chez l’éditeur milanais Emilio Treves. Cette publication est une nouvelle contribution à la redécouverte de De Amicis, naguère considéré comme un auteur mineur et aujourd’hui réévalué pour son ouverture d’esprit et sa curiosité intellectuelle, qui lui

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ont souvent permis de percevoir en avance sur ses contemporains les chan- gements de la société. Cette édition française des Ricordi di Parigi n’est cependant pas la première ; comme ses autres livres de littérature de voyage, les Souvenirs de Paris étaient déjà parus en 1880 chez Hachette, dans la traduction de Mme Colomb. Mais celle-ci, selon les habitudes de l’époque, avait soumis l’original à nombre de coupures et de censures, et normalisé l’écriture très compacte de De Amicis, qui procède par flux continu sans découpage en paragraphes, pour la plier à la ponctuation du « français standard » cher aux éditeurs ; c’est pourquoi Alberto Brambilla et Aurélie Gendrat-Claudel nous en proposent une autre, plus conforme à nos exigences parce que respectueuse du contenu et du style déamicisiens. Ricordi di Parigi réunissait en volume cinq longs articles, que De Amicis avait publiés dans l’Illustrazione Italiana. Sur les cinq articles, les deux éditeurs ont écarté les deux textes où l’écrivain relatait ses deux visites à Victor Hugo et à Emile Zola, et se sont concentrés sur les trois dédiés à la ville et à l’Exposition de 1878. Leur travail mérite d’être salué, non seulement par la qualité de la traduction, mais aussi parce que ces trois textes sont accompagnés d’une dense postface des deux « curatori » – qui, après avoir brossé le portrait d’un De Amicis « européen et francophile », analysent avec beaucoup de finesse les rapports ambigus que « le futur pédagogue » (l’auteur à venir de Cuore) entretenait avec « la redoutable pécheresse » (Paris) – et qu’ils sont complétés par un apparat de notes très minutieuses, renseignant le lecteur d’aujourd’hui sur les références culturelles de l’époque (notamment en rapport avec l’Exposition). La description de cette dernière, qui était pour Treves la raison principale du séjour déamicisien, est un morceau de bravoure. « Un coup d’œil à l’Exposition » (tel est son titre) réussit le tour de force de restituer en vingt pages la totalité de cet univers en raccourci, où le promeneur du Champ-de-Mars a l’impression de voyager dans le monde entier en pénétrant dans le Palais dédié à l’Exposition. La plongée dans le dédale des œuvres et la profusion des objets est progressive et ordonnée : dans la rue des Nations, l’écrivain passe en revue les édifices des pays exposants d’un côté, et de l’autre les édifices des produits français et de la France (où De Amicis voit bien quel rôle compensatoire l’Exposition offre à la nation vaincue en 1870) ; dans la Galerie du Travail, il observe les ouvriers fabri- quant les produits du savoir-faire humain, tandis que le centre du Palais est consacré aux Beaux-Arts et au stand de la ville de Paris. De Amicis, qui regarde le tout avec un vif plaisir et fait preuve d’une singulière capacité d’observation, ne s’interdit pas les éloges admiratifs ni les envolées lyriques, qui lui font élever un hymne au progrès et voir dans cette manifestation « le triomphe de la paix et du travail pour toute l’humanité » (p. 70).

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Des deux articles qui encadrent la visite à l’Exposition, « Le premier jour à Paris » entend décrire le parcours-type d’un touriste, allant d’un lieu célèbre parisien à l’autre comme dans une galerie de tableaux, et découvrant le fascinant spectacle à ciel ouvert qu’offre au touriste ébloui la métropole immense et grouillante de monde, qui par sa grandeur et sa magnificence rabaisse « ces petites villes solitaires et silencieuses qui s’appellent Turin, Milan ou Florence » (p. 9). Il est rappelé qu’il ne saurait s’agir pour De Amicis d’une découverte ex novo, même s’il veut donner l’impression du reportage sur le vif ; et ce, non seulement parce qu’il s’agit de son deuxième voyage (il s’y était rendu en 1873 comme envoyé spécial de La Nazione), mais aussi parce qu’il y retrouve les réminiscences de sa vie intellectuelle, notamment littéraire. S’insérant personnellement dans le récit comme un voyageur riche de sa première expérience, l’écrivain construit « une mise en scène de soi », sans éviter tout à fait l’« effet catalogue » propre aux guides touristiques. De Amicis n’était certes pas le premier à décrire Paris, car les « souvenirs de Paris » rédigés par des voyageurs de la péninsule sont si nombreux qu’ils peuvent être considérés comme « un genre typiquement italien » (p. 152), un fonds commun de thèmes et de clichés dans lequel l’écrivain puise à son gré. Oscillant entre fascination et détestation, il exalte la ville mythique tout en relevant ses failles (le vacarme et la confusion, la prostitution omniprésente) et les vices de ses habitants (la course effrénée aux plaisirs, la manie de vouloir faire « de l’esprit », le matérialisme et le goût du luxe, la fausse démocratie des citoyens toujours en quête de prestige et de pouvoir). Dans le troisième article, intitulé « Paris », De Amicis prend d’emblée le contre-pied du premier en écrivant : « Quel que soit le plaisir que l’on prend à séjourner à Paris, le moment arrive où la ville devient antipathique » (p. 75), puis il égrène à son tour la série des critiques morales stéréotypées. Prenant place dans le sillage des souvenirs parisiens de ses compatriotes, De Amicis s’en distingue néanmoins par la spécificité de son style. C’est par « la coulée d’une écriture touffue et hâtive » (p. 175) et par l’effet combiné des accumulations et des hyperboles que l’écrivain sait reproduire mimétiquement l’étourdissement et la confusion ressentis devant la ville par le voyageur étranger, et c’est par une écriture débridée et fantaisiste que, selon les éditeurs, il s’abandonne à la démesure en atteignant à l’esthétique de la déformation expressionniste (p. 176). C’est donc en tant qu’« hyperdescripteur » de Paris, comme le qualifient à juste titre Aurélie Gendrat-Claudel et Alberto Brambilla, que De Amicis donne à cette œuvre, document historique et témoignage percutant sur la perception que les Italiens avaient alors de Paris et de la France, son originalité et sa valeur littéraire.

Mariella Colin

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Jérémie Dubois, L’enseignement de l’italien en France, 1880-1940. Une discipline au cœur des relations franco-italiennes, Grenoble, ELLUG, 2015, 458 p. C’est un ouvrage impressionnant par la richesse de l’information et la minutie rigoureuse de l’analyse que nous propose Jérémie Dubois dans ce livre, tiré d’une thèse soutenue en 2010 (sous la direction de Gilles Pécout). L’auteur a puisé sa documentation de toute première main dans les sources d’archives et a compulsé les bulletins ministériels et disciplinaires, les annuaires et les rapports, les notices individuelles et les dossiers person- nels pour retracer l’histoire de l’enseignement et des enseignants d’italien en France sous la Troisième République. Il a reconstruit l’histoire de la discipline par une approche globale, d’après laquelle la formation de cette catégorie spécifique va de pair avec une quête de reconnaissance et de légitimité au sein de la communauté académique nationale et n’est jamais dissociée des relations internationales entre la France et l’Italie. En dépit de cette diversification, l’exposé reste toujours unitaire et ne se départit pas de la clarté pour retracer avec finesse la naissance de l’italianisme français et les voies par lesquelles cette discipline, inexistante comme matière scolaire jusqu’à la fin du XIXe siècle, va progressivement s’affirmer pendant la première moitié du siècle suivant. Au cours de ce processus, un rôle fondamental va être assuré par les acteurs de premier plan qui vont se relayer au sein de l’Université française : Émile Gebhart, professeur de littératures méridionales à la Sorbonne, qui enseignera le premier la littérature italienne du Moyen Âge ; Charles Dejob, qui en 1894 créera la Société d’études italiennes (dont l’histoire sera inséparable de celle de la discipline) et qui donnera des cours de langue et littérature italiennes à la Faculté de Paris à partir de 1900 ; Henri Hauvette, qui enseignera à Grenoble, première université à offrir en 1895 une licence d’italien, couplée avec des séjours dans les Instituts français de Florence et de Naples. Elle sera suivie par celles de Toulouse (1898), Aix-Marseille et Montpellier (1899), la Sorbonne et Bordeaux (1900), puis Lyon (1902). Grâce en grande partie à l’action de Dejob, en 1900 est instituée l’agré- gation d’italien, qui consacre l’intégration de la discipline au champ des savoirs reconnus et garantit un corps enseignant de qualité (on recrutera quelque 500 agrégés entre 1900 et 1940), sélectionné par des épreuves sur programme. La préparation est assurée à Grenoble et à Paris, le jury sera présidé par Henri Hauvette jusqu’en 1924, puis par Paul Hazard et Hauvette en alternance jusqu’en 1936, enfin par Henri Bédarida. Une fois agrégés, les professeurs (dont les profils et les itinéraires ont été retracés par Jérémie Dubois avec une remarquable précision) sont souvent contraints à un enseignement polyvalent dans le secondaire et doivent s’employer à

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donner de la visibilité à leur discipline s’ils veulent attirer les élèves ; plu- sieurs aspirent à passer dans le supérieur, mais cette démarche est rendue difficile par la rareté des postes. Les mêmes personnalités universitaires forment les étudiants, les jugent à l’agrégation et les évaluent comme enseignants (Dejob, Hauvette et Hazard sont aussi inspecteurs) ; ils disposent donc d’un contrôle sur toutes les étapes de la carrière des italianistes, dont la discipline tend à se scléroser en se cantonnant à la culture italienne légitimée par le concours. De même, « l’Italie des Italianisants » est définie par la revue qui fait fonction d’organe officiel : le Bulletin italien (1901-1918), les Études italiennes (1919-1935) et la Revue des études italiennes (1936-1938, 1954…) se succèdent ; on y passe pro- gressivement de l’étude quasi exclusive de la littérature médiévale à celle de la littérature contemporaine. Alors qu’avec Dejob et Hauvette l’italianisme s’était fédéré autour du conservatisme social et du catholicisme militant, les changements se produiront surtout sous la direction de Bédarida. Mais l’italien, en tant que langue étrangère, est aussi étroitement dépen- dant des relations entre la France et l’Italie, et Jérémie Dubois souligne avec pertinence à quel point la diffusion de l’italien dans l’Hexagone s’est trouvée liée aux enjeux de la politique internationale. De 1880 à 1900, les rapports entre les deux nations sont exécrables : liée à l’Allemagne par la Triple Alliance, l’Italie apparaît comme un pays ennemi, et la diffusion de la langue et de la culture italiennes en souffre. Dejob s’efforcera par tous les moyens de convaincre les élites françaises qu’il est souhaitable de développer l’enseignement de l’italien pour rallier l’Italie, et il finira par obtenir gain de cause. Pendant la Grande Guerre, la langue et la littérature transalpines connaîtront un regain d’intérêt avec le ralliement du Bel Paese à l’Entente cordiale. Pendant le Ventennio fasciste, le rôle des acteurs italiens dans l’implantation des études italiennes à l’université s’amplifie ; le régime utilise les lecteurs comme vecteurs de propagande idéologique, il instrumentalise de la même manière la Société nationale « Dante Alighieri » et se sert des écoles italiennes pour inculquer le sentiment d’appartenance à l’Italie. Le nombre des élèves est alors en constante augmentation. Parmi les italianistes français, les uns, comme Hauvette, sont séduits par le fascisme, d’autres en revanche sont beaucoup plus réticents. L’imbrication des questions intellectuelles et pédagogiques avec les enjeux patriotiques, stratégiques et même militaires pendant la période 1880-1940 a été ainsi largement démontrée. C’est donc en tout état de cause que Jérémie Dubois a précisé dans le sous-titre de son ouvrage que l’italien n’est pas seulement une matière quelconque d’enseignement, mais « une discipline au cœur des relations franco-italiennes ».

Mariella Colin

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Cultura di genere e politiche di pari opportunità. Il gender mainstreaming alla prova tra UE e Mediterraneo, Federica Di Sarcina (a cura di), Bologna, Il Mulino, 2014, 177 p. Il volume raccoglie sette saggi, introdotti e curati da Federica Di Sarcina, che offrono materiali per valutare le politiche di genere promosse dall’Unione Europea. All’ampia e articolata introduzione della curatrice, ricca di spunti di riflessione su diversi aspetti della politica delle donne negli ultimi cin- quant’anni, segue il saggio di Silvia Bianciardi che conduce i lettori indietro nel tempo, tratteggiando la biografia di una delle più importanti figure femminili della storia del socialismo e del sindacalismo italiano, Argentina Altobelli. La dirigente non trascurò il tema della emancipazione femminile e si impegnò per il diritto all’istruzione considerata la via principe per l’ingresso delle donne nella politica e nel mondo del lavoro. Maria Grazia Rossilli focalizza l’attenzione sulle politiche economiche degli ultimi anni e, in special modo, sulla inadeguatezza delle misure avanzate per arginare la grave recessione economica, una crisi che ha vanificato le politiche di pari opportunità ed ha prodotto un peggioramento sul piano dei diritti sociali tra donne appartenenti agli strati sociali più deboli. Laura Grazi dedica il proprio contributo alle politiche urbane, dimensione che intreccia aspetti economici e qualità della vita, si collega alla organizzazione dei tempi e degli orari del settore pubblico e privato, questioni centrali nella vita delle donne, divise tra la dimensione lavorativa e quella della cura. Federica Di Sarcina affronta una delle tematiche che hanno avuto maggiore centralità nel dibattito politico degli ultimi trent’anni : la rappre- sentanza. L’autrice, ricorrendo a dati e statistiche, sottolinea la positività dell’intervento europeo rivolto sia agli aspetti giuridici ed economici sia quelli più propriamente culturali con il fine di promuovere la conoscenza delle tematiche di genere, passaggio non secondario per la definizione di « una democrazia più forte e prospera » (p. 92). Segna una data importante in tal senso, e non solo, il 1979, anno dell’introduzione del suffragio diretto, da cui è maturata una sensibile crescita della rappresentanza femminile nel Parlamento europeo. Avvalora sul piano politico e simbolico questa afferma- zione la presidenza di Simone Veil, figura di primo piano del pacifismo e del femminismo. Questi progressi presentano però, come notava Nicole Péry, qualche contraddizione : « Non vi è dubbio che, se per gli uomini Strasburgo costituiva un semplice passaggio – un inizio o una fine di carriera – per le donne rappresentava invece un impegno di primo piano » (p. 96). Agli aspetti culturali si rivolge Irene Biemmi, che esamina la questione a partire dalla conferenza di Pechino del 1995, che sottolineava la necessità di un’istruzione e di una formazione attente alla dimensione di genere e

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denunciava la diffusione di strumenti didattici « pervasi da pregiudizi sessi- sti » (p. 45). Nell’Europa la questione diviene centrale e vengono promosse diverse iniziative fino alla Road Map, del 2006, che sottolinea la necessità di campagne di informazione, lezioni, dibattiti, interventi sui libri di testo. Serenella Civitelli riprende il tema da una diversa angolatura, concentrando l’attenzione sul rapporto donne e scienza. Gli stereotipi di genere sono un « fattore potente ». Non sono rari i report che sottolineano il disagio delle donne nelle università, dove sopravvivono profonde disuguaglianze che possono causare abbandono o ostacoli alla carriera. Il rischio poi è che tali abbandoni vengano diffusamente letti alla luce degli stereotipi più consolidati : le donne non sono adatte. Leila El Houssi è l’autrice di un saggio dedicato alla Tunisia ed al Marocco, « luoghi » troppo spesso considerati immobili ed, invece, ricchi di trasformazioni. Processi sui quali i femminismi, « elemento cruciale all’interno di queste società » hanno svolto « un ruolo di primo piano » sia nello spazio pubblico sia in quello religioso (p. 164).

Lucilla Gigli

Augusta Molinari, Una patria per le donne. La mobilitazione femminile nella Grande Guerra, Bologna, Il Mulino, 2014, 249 p. La mole di studi sulla Grande Guerra ha ormai raggiunto proporzioni enormi. Se, come ha recentemente notato Antonio Gibelli, l’attenzione della storiografia per questo evento spartiacque della modernità non ha mai subito battute di arresto, in occasione dell’anniversario della Grande Guerra si è assistito all’uscita di un notevole numero di lavori sull’argomento. In attesa di bilanci ponderati di questo biennio di celebrazioni, è da segnalarsi l’uscita di un certo numero di ricerche innovative dedicate a temi poco esplorati dalla storiografia. Tra questi si segnala senz’altro il volume di Augusta Molinari, Una Patria per le donne. La mobilitazione femminile nella Grande Guerra. Il lavoro di Molinari, frutto di un lavoro di ricerca durato anni, contribuisce ad estendere e portare verso nuove direzioni la storia delle donne nel primo conflitto mondiale. Questo filone di studi, sebbene non ricchissimo, ha già prodotto alcuni lavori dedicati soprattutto al rapporto tra donne delle classi popolari e guerra, con una forte attenzione alla conflittualità espressa da queste ultime, all’occupazione femminile e infine al rapporto tra intellet- tualità e movimento femminile e femminista, guerra e cittadinanza. Un territorio, quest’ultimo, che continua a contare nuove pubblicazioni. Poco esplorato, invece, se si escludono i lavori sulle infermiere volontarie, il tema

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della mobilitazione delle donne nelle opere di assistenza sul fronte interno. In Una patria per le donne Molinari esplora questo tema, delineandone un quadro esaustivo e originale. Durante la guerra il coinvolgimento delle donne nell’assistenza materiale e « morale » ai soldati e alle loro famiglie fu capillare : dall’assistenza ai bambini, alla produzione di abbigliamento e utensili per l’esercito, dalla corrispondenza con i combattenti alla propa- ganda vera e propria (con le seminatrici di coraggio), l’impegno femminile fu massiccio. Esso non coinvolse solo un numero ristretto di aristocratiche e alto borghesi – come si è a lungo creduto – ma una moltitudine di donne delle classi medie urbane, che sino allo scoppio della guerra era stata lon- tana dalla sfera pubblica. Ma non è questa la sola novità che caratterizzò la mobilitazione femminile. Lungi dall’essere sporadiche opere di beneficienza, i servizi socio-sanitari sviluppati dalle donne soprattutto attraverso i comitati di assistenza civile assunsero una funzione sostitutiva rispetto alle « carenze » dello Stato. Non si trattava di una novità assoluta : come hanno mostrato numerosi studi a partire da quelli pionieristici di Annarita Buttafuoco, il « femminismo pratico » aveva già iniziato negli anni precedenti il conflitto a costruire forme di assistenza immaginate come modello per i servizi sociali che lo Stato avrebbe dovuto offrire. Attraverso la partecipazione all’assistenza civile, moltissime donne vennero integrate nei ranghi della patria in guerra non (solo) come mogli e madri – sebbene la maternità fosse il dispositivo simbolico che ne autorizzava la mobilitazione – ma come « operatrici sociali » per la « patria ». L’inquadramento della mobilitazione femminile per l’assistenza all’interno di una cornice patriottica fu opera delle « élite intellettuali » femminili. Furono le « donne che aspettavano la guerra » a costruire il quadro discorsivo dentro il quale venne inquadrata la mobilitazione femminile, sebbene poco si sappia del grado di adesione alle ragioni del conflitto della maggior parte delle donne impegnate nell’assistenza. Molte di coloro che « aspettavano la guerra » appartenevano al movimento femminista, in particolare alla sua ala moderata. Come spiega Molinari, la mobilitazione dell’associazionismo politico delle donne nella Grande Guerra affondava le sue radici nell’appoggio prestato alla campagna coloniale di conquista della Libia. Le donne che durante il conflitto si impegnano nell’assistenza civile non sono tra quelle figure che, per usare un’espressione di Mario Isnenghi e Giorgio Rochat, « violentarono l’immaginario » di genere. Non generarono lo stesso disagio delle operaie mobilitate o delle donne che « prendevano il posto degli uomini », e tuttavia la mobilitazione civile costituì per certi versi una rottura. Per molte rappresentò il primo contatto con la sfera pubblica. Per alcune fu un modo di entrare in contatto con uomini e mondi lontani, estranei alla sfera famigliare, attraverso una forma di assistenza « privata » :

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molto interessante a questo proposito il paragrafo dedicato alle madrine di guerra. D’altra parte, però, la mobilitazione delle donne di classe media nella Grande Guerra rappresentò anche un passaggio fondamentale del loro processo di « nazionalizzazione », naturalmente sotto il segno della preservazione dell’ordine di genere tradizionale : un processo che merita di essere ulteriormente indagato.

Olivia Fiorilli

Chiara Lepri, Aedi per l’infanzia. Poeti e illustratori di oggi, Pise, Pacini, 2015, 295 p. Chiara Lepri se penche avec bonheur sur des auteurs italiens qui ont rénové la littérature de jeunesse en ouvrant un espace au jeu et à l’imaginaire dans le double registre verbal et iconique : la poésie pour l’enfance et les illustrations pour les livres d’enfants. Pour ce faire, elle a convoqué quatre poètes et trois illustrateurs dont l’œuvre possède une originalité propre (qu’elle excelle à saisir), et dont la création s’accompagne d’une réflexion sur leur activité créatrice. La série des auteurs à la recherche de nouvelles formes d’expression poétique est inaugurée par Pietro Formentini, qui unit code verbal et code artistique dans un « iconismo linguistico » fondé sur la dimension figurative de la parole écrite. Il s’agit d’une pédagogie qui doit permettre aux enfants de découvrir la complexité et les potentialités du langage grâce au pouvoir ludique de la parole. Le lien entre la poésie et l’oralité reste fondamental : on reconnaît la manipulation phonosymbolique des mots dans Marmellata di parole et Poesiafumetto, tandis que dans Parola mongolfiera les mots « volent » et fonctionnent par association, en en entraînant d’autres dans leur sillage. Guido Quarzo a recours également aux jeux linguistiques pour écrire des vers qui s’inspirent du nonsense anglais (Pocosenso) et des limericks (Rime piratesche), et bâtir ainsi une littérature pour l’enfance où fleurissent les « pay- sages de mots » et les bestiaires fantastiques. Ses « fisarmoniche filastrocche », formées sur le modèle des nursery rhymes par assonance et allitération, gardent l’empreinte archaïque des formulettes magiques et des rengaines ; leur succèdent les Rime di rabbia (prix Andersen 2011), recueil d’invectives pour les grosses colères enfantines. Le groupe des « aèdes pour l’enfance » réuni par Chiara Lepri est clos par les « parole matte » de Chiara Carminati, qui aime composer des comptines à accompagner avec les mouvements des doigts et des mains (Rime per le mani, Melacanti ?), car la poésie pour les plus petits doit fonctionner comme un mécanisme ludique. Naturellement proche du monde de l’enfance, ayant partie liée avec la musique, sa poésie

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est aussi un vrai moyen de connaissance, « un filtro per raccontare con altri occhi (con un altro linguaggio : quello poetico) il mondo » (p. 148). La partie consacrée aux dessinateurs s’ouvre avec Roberto Innocenti, l’un des illustrateurs les plus appréciés au monde, dont l’œuvre a été distin- guée par de nombreux prix. Par ses images, Innocenti raconte des histoires avec la précision d’un documentariste et la passion d’un poète. Sa célébrité a débuté avec Rosa Bianca, un album sur la Shoah internationalement connu, et son engagement civique et politique se poursuivra avec Storia di Erika. Innocenti innove aussi lorsqu’il illustre des contes célèbres (Cene- rentola, Pinocchio, Cappuccetto Rosso, Canto di Natale), ou des albums plus personnels, comme L’ultima spiaggia (composition autobiographique) et l’album sans paroles La casa del tempo (dont la protagoniste est une maison toscane), selon une manière qui allie le réalisme des cadres méticuleusement reconstruits à l’originalité de l’invention. Parmi les grands auteurs du dessin graphique figure aussi Andrea Rauch, qui sur les traces de Bruno Munari a fondé la maison d’édition Prìncipi & Princìpi (prix Andersen 2011 du meilleur projet éditorial). Parmi ses publications se côtoient les éditions non conventionnelles des grands classiques et les nouvelles histoires sur des thèmes réputés difficiles (comme l’immigration, la procréation assis- tée, etc.). En revanche, Chiara Carrer aime les formes et les couleurs, les chiffres et les lettres, les coupures de papier et les matériaux pauvres pour composer des collages qui se chargent de sens. Influencée par le théâtre et par la danse, elle fait de chaque livre un spectacle à mettre en scène, et ne craint pas de représenter dans ses albums la violence et les sentiments destructeurs (La bambina e il lupo, Barbablu). Tous ces auteurs et dessinateurs, rappelle la chercheuse, se posent la question du sens de leur activité créatrice, et leurs réponses démontrent combien leur art se nourrit de leur réflexion. Pour Pietro Formentini, seu- lement une écriture adulte très travaillée peut réussir à « pensare bambino scrivere adulto » (p. 98), ce que Bruno Tognolini résume par l’équation « leggere + costruire = scrivere » (p. 105). Il n’en va pas autrement pour les illustrateurs : « illustrare, a mio parere, è un modo di raccontare » (p. 195), affirme Roberto Innocenti, tandis que Chiara Carrer assure que «il disegnare è una forma di pensare » (p. 264). Avec cet ouvrage, Chiara Lepri a eu constamment à cœur de prouver que la simplicité de la littérature et de l’illustration pour l’enfance sont aux antipodes de la simplification ou de la banalité, et qu’écrire et dessiner pour les enfants ne doivent en rien être considérés comme des choix artistiques de second ordre, ou, pour tout dire, enfantins.

Mariella Colin

Livre 1.indb 256 03/10/2016 14:30 TRANSALPINA

ÉTUDES ITALIENNES –

1. Regards croisés, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 1996, 180 p., 5 €. La culture française et la culture italienne sont à tour de rôle « culture regardante » et « culture regardée ». On le voit dans le cas des études de linguistique contrastive ou dans les traductions françaises du Décaméron au xviiie siècle. À cette même époque, le regard des voyageurs ne distingue que les aspects jugés ridicules ou négatifs de la société de l’autre. Il en est de même pour le jugement des témoins lors de la bataille de Ravenne en 1512 ou de l’entrée en guerre de l’Italie en 1915. De la distance entre l’identité et l’altérité ont surgi ces perceptions des différences linguistiques, littéraires et sociales qui sont autant de pièces à verser à l’histoire de l’imaginaire italien des Français et de l’imaginaire français des Italiens.

2. identités italiennes, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 1998, 160 p., 5 €. On analyse ici les modalités selon lesquelles s’élaborent les constructions de l’identité collective et individuelle en Italie. Dans la péninsule, le caractère inachevé de l’État avait longtemps été déploré par les intellectuels ; à présent, les projets de partage du territoire invitent à rechercher les facteurs culturels et symboliques de la cohésion nationale. Sur le plan littéraire, la question de l’identité marque les écrivains et s’inscrit au cœur de leurs œuvres. Qu’elle se trouve revendiquée par un nous ou bien par un je, qu’elle soit plurielle ou singulière, l’identité est toujours à construire, et sa manifestation ne peut que prendre la forme d’une quête sans cesse recommencée.

3. Lettres italiennes en France, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 1999, 186 p., 5 €. Les articles réunis dans ce numéro sont autant de nouvelles pièces versées au dossier de l’histoire de la réception de la littérature italienne en France. Du début du siècle dernier jusqu’à la fin de notre siècle, ont été passés en revue les parcours en terre française d’écrivains italiens ayant marqué leur époque, choisis tantôt parmi les mineurs (Silvio Pellico, Cesare Cantù, Paolo Mantegazza) et tantôt parmi les plus célèbres (Italo Svevo, Curzio Malaparte, Dino Buzzati et Vincenzo Consolo).

Livre 1.indb 257 03/10/2016 14:30 Les études sur les uns et les autres ont permis de restituer les différentes modalités selon lesquelles leurs œuvres ont été comprises et diffusées, et de reconnaître les médiateurs ayant joué un rôle essentiel pour leur circulation : journalistes et critiques littéraires, éditeurs et directeurs de collection, sans oublier les universitaires (le plus souvent, des italianistes et des comparatistes). La connaissance du cadre politique, idéologique et culturel français, comme l’horizon d’attente des lecteurs, s’est révélée déterminante. La résonance esthétique et idéologique du contexte français avec les lettres italiennes a réservé plus d’une surprise, en permettant de mieux identifier les sensibilités et les aspirations des couches sociales qui le composent. Le rôle singulier qu’y joue depuis toujours la littérature transalpine, servant tour à tour de modèle et de repoussoir, de ferment et d’antagoniste, n’est pas le moindre des intérêts révélés par les contributions ici présentées.

4. Familles italiennes, textes recueillis et présentés par Marie-José Tramuta, Presses universitaires de Caen, 2000, 148 p., 5 €. Les articles proposés dans ce volume abordent la question de la famille dans la littérature italienne des xixe et xxe siècles. Le roman domestique ou roman de famille est un aspect de la totalité du groupe où il figure à la fois comme reflet du même et reflet de l’autre. La famille est fondée sur des données biologiques et soumise à des contraintes d’ordre social. Comme l’écrivait Claude Lévi-Strauss, il n’y aurait pas de société sans famille, mais il n’y aurait pas non plus de famille s’il n’y avait déjà une société. L’origine même du mot souligne, chez les Romains, le rapport qui préside à sa destinée : initialement la famille représente la réunion de serviteurs, d’esclaves appartenant à un seul individu ou attachés à un service public. Tout n’est au fond qu’une histoire de famille. La représentation de la famille constitue donc une métaphore destinée à justifier et à résoudre, dans le meilleur des cas, les tensions sociales et les conflits moraux, microcosme et reflet ou projection de la famille macrocosme, la nation. L’Histoire est présente en arrière-plan de chacun des textes proposés en tant qu’elle informe ou déforme la culture familiale sous les divers aspects qu’elle déploie, depuis les aspirations de l’Unité italienne jusqu’aux bouleversements d’une Histoire plus récente.

5. La Mort à l’œuvre, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 2001, 182 p., 5 €. De par son intensité dramatique, la mort se prête bien à la fiction, devient facilement un thème romanesque et théâtral, joue un rôle majeur dans la construction des intrigues : les cadres diégétiques et les fonctions narratives montrent comment on tue, comment on meurt en littérature et au théâtre. Du romantisme au naturalisme et au vérisme, de la littérature enfantine au théâtre, des romans historiques au fantastique, les articles ici réunis explorent les manières multiples par lesquelles les œuvres de la littérature italienne du xixe et du xxe siècle utilisent la mort comme

Livre 1.indb 258 03/10/2016 14:30 ressort narratif ou comme métaphore ; ils en analysent la portée philosophique ainsi que les modalités narratives et les codes rhétoriques, stylistiques et poétiques mis en œuvre. Une démarche qui relie également les textes aux faits de société et à l’espace du privé, à l’histoire des mentalités et aux thèmes anthropologiques.

6. Le poids des disparus, textes recueillis et présentés par Brigitte Le Gouez, Presses universitaires de Caen, 2002, 136 p., 5 €. Grandes figures historiques, modèles idéalisés ou parents précocement disparus, leur absence obère parfois le destin des vivants ; l’ombre qui voile leur existence se révèle alors déterminante dans leurs parcours de vie et d’écriture. C’est ce que montrent les études ici rassemblées à travers l’exemple de l’épigraphie commémorative ou chez quelques poètes et romanciers des xixe et xxe siècles. Les écrivains de la fin du xixe siècle inspirés par la figure de Beatrice, les poètes Carducci et Ungaretti ou encore les romanciers Gadda, Gianna Manzini et Erminia Dell’Oro sont ainsi convoqués pour témoigner des liens du deuil et de l’entreprise littéraire.

7. Proust en Italie. Lectures critiques et influences littéraires, textes recueillis et présentés par Viviana Agostini-Ouafi, Presses universitaires de Caen, 2004, 168 p., 15 €. Les contributions réunies dans ce numéro ont été présentées au colloque Proust en Italie qui s’est tenu à l’université de Caen Basse-Normandie les 20 et 21 juin 2003. Ces études ont pour objet des lectures critiques de l’œuvre de Proust proposées dans la péninsule au cours du XXe siècle ainsi que les influences littéraires exercées par la Recherche sur des poètes et des écrivains italiens. Les deux premières interventions brossent un tableau général de cette réception critique et littéraire, notamment dans l’entre-deux-guerres. Suivent des études approfondies portant sur la critique de Proust chez Giacomo Debenedetti, Giuseppe Antonio Borgese et Giovanni Macchia comme sur les contacts, thématiques ou formels, entre la Recherche et l’œuvre d’écrivains tels qu’Italo Svevo, Attilio Bertolucci et Giorgio Bassani. Les deux dernières interventions concernent la critique italienne de Proust des années 1980-1990, le travail accompli chez Mondadori pour la nouvelle édition de la Recherche et les débats avec la critique française contemporaine autour de l’établissement du texte d’Albertine disparue.

8. Lettres italiennes en France (II). Réception critique, influences, lectures, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 2005, 252 p., 15 €. Les treize contributions ici réunies expliquent les différentes modalités selon lesquelles ont été comprises et diffusées à l’étranger les œuvres d’auteurs italiens, du Trecento au Novecento. L’exploration attentive des éléments qui ont déterminé à chaque fois l’« horizon d’attente » dans le pays d’accueil a permis de dresser un inventaire précis des facteurs en jeu dans la réception de Pétrarque, Vico, Alfieri,

Livre 1.indb 259 03/10/2016 14:30 Collodi, Salgari, De Amicis, Carducci, Pascoli, D’Annunzio, Marinetti, Papini, Brancati, Bonaviri et Calvino. Ont été ainsi pris en considération divers aspects, tels que l’intertextualité et la traduction, l’édition et la diffusion, la lecture et l’interprétation critique. Parmi les pratiques de la réception, cette dernière a été tout particulièrement privilégiée comme angle d’attaque, en raison du rôle déterminant qui est le sien. Quel rôle a joué la critique française dans la reconnaissance de la littérature italienne en France (et en Europe) ? Quelles œuvres ont été saluées, et lesquelles négligées ? Au nom de quels critères, et selon quelles modalités ? C’est à toutes ces questions qu’ont été apportées des réponses nuancées, fondées sur une documentation riche et sûre.

9. La traduction littéraire. Des aspects théoriques aux analyses textuelles, textes recueillis et présentés par Viviana Agostini- Ouafi et Anne-Rachel Hermetet, Presses universitaires de Caen, 2006, 192 p., 15 €. Les interventions ici réunies, par la diversité des disciplines concernées et des approches mises en œuvre, prennent en compte les aspects théoriques et pratiques de la traduction littéraire. La variété des problématiques explorées est liée à la complexité du phénomène traductif : la place de l’auteur, l’importance de l’original, le rôle du traducteur, la nature du texte cible et la relation de celui-ci avec le texte source, enfin la lecture du texte traduit faite par le critique et le lecteur. Quant aux pratiques traduisantes étudiées, elles proposent un échantillon très large d’exemples tirés de la littérature traduite. Tout en tenant compte du contexte international, ces interventions privilégient les théories contemporaines de la traduction circulant en France et en Italie. La pluralité d’approches théoriques et méthodologiques, de perspectives croisées et d’analyses textuelles, présentée dans ce volume, se veut une contribution à l’approfondissement de la réflexion sur la traduction littéraire, en particulier franco-italienne.

10. Carducci et Pascoli. Perspectives de recherche, textes recueillis et présentés par Laura Fournier-Finocchiaro, Presses universitaires de Caen, 2007, 274 p., 15 €. Giosuè Carducci, contemporain de la formation de l’État unitaire italien, a été le premier poète italien prix Nobel de littérature, en 1906. Après avoir connu une popularité exceptionnelle, même auprès du grand public, ce « classique » de la littérature italienne du xixe siècle a par la suite été frappé par le mépris, voire la dérision. Aujourd’hui, après une longue période où la plupart des hommes de lettres avaient cessé de s’intéresser à lui, on constate un renouveau d’intérêt pour le poète, professeur et homme politique toscan, naturalisé bolonais à la fin duxix e siècle. Cet intérêt se prolonge pour l’éminent élève du professeur Carducci, le poète Giovanni Pascoli, qui reprit son flambeau poétique ainsi que la chaire de son maître à Bologne en 1907. À l’occasion du centenaire de la mort du prix Nobel, l’université de Caen Basse-Normandie a invité des experts reconnus français et italiens

Livre 1.indb 260 03/10/2016 14:30 les 11 et 12 mai 2007, dont les contributions sont réunies dans ce numéro. Leurs études analysent la réception et la postérité des deux poètes Carducci et Pascoli en France et en Italie tout au long du xxe siècle, présentent des aspects particuliers de leur œuvre et ouvrent des pistes de recherche sur l’œuvre poétique mais aussi sur l’ensemble de la production des deux auteurs.

11. L’Italie magique de Massimo Bontempelli, textes recueillis et présentés par Jacqueline Spaccini et Viviana Agostini-Ouafi, Presses universitaires de Caen, 2008, 186 p., 15 €. Massimo Bontempelli (1878-1960) est le théoricien et le principal représentant italien du « réalisme magique » ; son style d’écriture devance la production latino- américaine des García Márquez et Allende et prépare le postmoderne de Paul Auster. Écrivain éclectique, son œuvre se déploie sur plus d’une quarantaine d’années, au cours desquelles il s’est produit en tant que romancier, dramaturge, nouvelliste, essayiste, critique d’art et journaliste. En raison de son adhésion initiale au fascisme (dont il s’éloignera) et malgré la mise en résidence forcée que Mussolini lui imposera, Bontempelli connaîtra un déclin, consécutif à une méfiance intellectuelle à son égard qui s’est répercutée jusqu’à nos jours. Les contributions ici réunies soulignent le rôle culturel que cet intellectuel joua à son époque parmi les siens. Les spécialistes de cet auteur se sont penchés sur l’ensemble de son œuvre multiforme (l’écriture narrative, les pièces de théâtre, les critiques d’art…) selon des modalités d’approche diverses, permettant de mettre en valeur le talent polyvalent de cet écrivain et de retrouver les multiples échos bontempelliens dans les perspectives littéraires ouvertes par ce précurseur presque méconnu.

12. Fascisme et critique littéraire. Les hommes, les idées, les institutions, vol. I, textes recueillis et présentés par Christian Del Vento et Xavier Tabet, Presses universitaires de Caen, 2009, 212 p., 15 €. Ce numéro de Transalpina (qui sera suivi d’un second) prend en considération la question de la critique littéraire durant le fascisme et celle des rapports que le régime entretint avec les milieux académiques, universitaires et scolaires, ainsi qu’avec le monde de l’édition. Il tente de reconstruire quelques-unes des principales interprétations d’ensemble de l’histoire littéraire italienne et des théories générales de la littérature qui s’affrontèrent alors. Il examine tout particulièrement les usages qui furent faits de certains classiques italiens, lus comme des « prophètes » et des « précurseurs » du fascisme. On y trouve l’analyse de plusieurs institutions qui servirent de relais à la diffusion de la culture durant le Ventennio. Sont retracés aussi les parcours de quelques personnages de premier plan de la vie culturelle, ayant été des intellectuels « organiques » du régime ou au contraire des opposants en exil ou de l’intérieur. Enfin, une partie de ces deux volumes est consacrée à une comparaison avec la situation d’autres pays européens (la France, l’Espagne, l’URSS).

Livre 1.indb 261 03/10/2016 14:30 Peu de travaux évoquent en France cet aspect de la culture italienne du Ventennio. Or il s’agit là d’un aspect d’autant plus important que, au XXe siècle, quelques-uns parmi les principaux chemins interprétatifs et paradigmes historiques se sont constitués, ou consolidés, durant le fascisme. De sorte que lorsque l’Italie républicaine s’interrogera sur les racines démocratiques de ses traditions culturelles, il lui reviendra de combattre, ou de retourner, ces paradigmes et vulgates, mais aussi parfois de les absorber, fût-ce de façon implicite.

13. Fascisme et critique littéraire. Les hommes, les idées, les institutions, vol. II, textes recueillis et présentés par Christian Del Vento et Xavier Tabet, Presses universitaires de Caen, 2010, 222 p., 15 €. Ce numéro de Transalpina (comme le précédent no 12) prend en considération la question de la critique littéraire durant le fascisme et celle des rapports que le régime entretint avec les milieux académiques, universitaires et scolaires, ainsi qu’avec le monde de l’édition. Il tente de reconstruire quelques-unes des principales interprétations d’ensemble de l’histoire littéraire italienne et des théories générales de la littérature qui s’affrontèrent alors. Il examine tout particulièrement les usages qui furent faits de certains classiques italiens, lus comme des « prophètes » et des « précurseurs » du fascisme. On y trouve l’analyse de plusieurs institutions qui servirent de relais à la diffusion de la culture durant le Ventennio. Sont retracés aussi les parcours de quelques personnages de premier plan de la vie culturelle, ayant été des intellectuels « organiques » du régime ou au contraire des opposants en exil ou de l’intérieur. Enfin, une partie de ce deuxième volume est consacrée à une comparaison avec la situation d’autres pays européens (la France, l’Espagne, l’URSS). Peu de travaux évoquent en France cet aspect de la culture italienne du Ventennio. Or il s’agit là d’un aspect d’autant plus important que, au XXe siècle, quelques-uns parmi les principaux chemins interprétatifs et paradigmes historiques se sont constitués, ou consolidés, durant le fascisme. De sorte que lorsque l’Italie républicaine s’interrogera sur les racines démocratiques de ses traditions culturelles, il lui reviendra de combattre, ou de retourner, ces paradigmes et vulgates, mais aussi parfois de les absorber, fût-ce de façon implicite.

14. La littérature de jeunesse italienne du XXe siècle, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 2011, 242 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina porte sur la littérature italienne pour l’enfance et la jeunesse du XXe siècle, souvent peu connue en France. Il éclaire cette période, et présente les auteurs les plus significatifs et les œuvres les plus importantes de son histoire récente, dans laquelle les déclins ont alterné avec les renaissances, les continuités avec les ruptures. Cette production littéraire et artistique a été portée par plusieurs générations de romanciers, poètes et dessinateurs, qui se sont succédé d’une époque à l’autre :

Livre 1.indb 262 03/10/2016 14:30 après la floraison des années 1900-1920, le siècle a été marqué par un arrêt de la création sous le fascisme, puis par des années de conformisme sous la république catholique et conservatrice du deuxième après-guerre. Mais les romans de Landolfi et de Buzzati, la poésie d’Alfonso Gatto et les premiers textes de Gianni Rodari annoncent déjà la renaissance qui s’épanouira dans les « fabuleuses années 1970 », et qui ne s’éteindra plus ensuite : à côté de Rodari prendront place Marcello Argilli, Roberto Piumini, Bianca Pitzorno, Beatrice Masini, Bruno Munari, Nicoletta Costa, Agostino Traini, et toutes celles et tous ceux qui participeront à la nouvelle période de créativité, tant dans le domaine narratif que dans celui de l’image et de l’illus- tration, qui légitimera la littérature italienne pour la jeunesse au niveau mondial.

15. L’Unité italienne racontée, vol. I, Interprétations et commémorations, textes recueillis et présentés par Laura Fournier-Finocchiaro et Jean-Yves Frétigné, Presses universitaires de Caen, 2012, 272 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina (qui sera suivi d’un second) examine la façon dont le Risorgimento a été célébré et représenté en littérature, dans l’historiographie et les arts. Fruit d’un colloque qui s’est tenu à l’université de Caen Basse-Normandie à l’occasion des commémorations des 150 ans de l’Unité italienne les 20, 21 et 22 septembre 2011, le volume présente les contributions d’experts reconnus français et italiens autour de la question de la naissance de l’Italie au XIXe siècle et de son interprétation, en assumant clairement la nécessité de défendre le Risorgimento. À l’image des deux organisateurs, une italianiste et un historien, il illustre la rencontre féconde entre deux champs disciplinaires qui avaient tendance à s’ignorer, réunis par l’objectif de mieux faire connaître l’événement fondateur de l’Italie à la lumière des acquis des nouvelles recherches. Ce premier volume, consacré aux interprétations et aux commémorations, regroupe des études sur l’historiographie du Risorgimento, sur les protagonistes de cet épisode (Mazzini, Pie IX, Garibaldi), ainsi que sur les récupérations de la tradition risorgimentale. Le second volume, consacré aux voix et aux images du Risorgimento, présentera des études sur les auteurs littéraires qui ont « raconté » l’Unité au moment de sa réalisation ainsi que sur les artistes (peintres, librettistes, musiciens, cinéastes…) qui ont illustré à leur manière l’épopée risorgimentale.

16. L’Unité italienne racontée, vol. II, Voix et images du Risorgimento, textes recueillis et présentés par Laura Fournier-Finocchiaro et Jean-Yves Frétigné, Presses universitaires de Caen, 2013, 272 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina (comme le précédent n° 15) examine la façon dont le Risorgimento a été célébré et représenté en littérature, dans l’historiographie et les arts. Fruit d’un colloque qui s’est tenu à l’université de Caen Basse-Normandie

Livre 1.indb 263 03/10/2016 14:30 à l’occasion des commémorations des 150 ans de l’Unité italienne les 20, 21 et 22 septembre 2011, le volume présente les contributions d’experts reconnus français et italiens autour de la question de la naissance de l’Italie au XIXe siècle et de son interprétation, en assumant clairement la nécessité de défendre le Risorgimento. À l’image des deux organisateurs, une italianiste et un historien, il illustre la rencontre féconde entre deux champs disciplinaires qui avaient tendance à s’ignorer, réunis par l’objectif de mieux faire connaître l’événement fondateur de l’Italie à la lumière des acquis des nouvelles recherches. Ce second volume, consacré aux voix et aux images du Risorgimento, présente des études sur les auteurs littéraires qui ont « raconté » l’Unité au moment de sa réalisation (Rovani, D’Azeglio, De Amicis, Verga), ainsi que sur les mémorialistes, les poètes et les artistes (peintres, librettistes, musiciens, cinéastes…) qui ont illustré à leur manière l’épopée risorgimentale.

17. L’écrivain et les formes du pouvoir à la Renaissance, textes recueillis et présentés par Juan Carlos D’Amico, Presses universitaires de Caen, 2014, 288 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina est consacré à la culture politique de la Renaissance, notamment à l’utilisation des sources anciennes par plusieurs auteurs de traités et de textes politiques du XVIe siècle. Les auteurs étudiés sont Bartolomeo Cavalcanti, Bartolomeo Carli Piccolomini, Machiavel, Paolo Paruta, Alessandro Piccolomini et Tommaso Campanella. Dans la droite ligne de la tradition culturelle humaniste, les écrits analysés dans ces articles répondent au dessein de transmettre aux Modernes les savoirs des Anciens en les adaptant aux différentes situations politiques présentes dans les villes-États de la péninsule italienne. Les thèmes abordés accordent une place importante à la lecture d’Aristote par Machiavel, au rôle central de l’expression vivere civile (toujours chez le Secrétaire florentin), ainsi qu’à l’importance de la poésie politique chez Campanella et à la philosophie de la praxis chère à Cavalcanti.

18. Poétiques des archives. Genèse des traductions et communautés de pratique, textes recueillis et présentés par Viviana Agostini- Ouafi et Antonio Lavieri, Presses universitaires de Caen, 2015, 246 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina, né de la synergie entre les traductologues de l’équipe ERLIS et le groupe de recherche « Multilinguisme, Traduction, Création » de l’ITEM, s’interroge sur la poétique du traducteur en action à partir de ses archives. Les archives – mémoire des traductions à travers les traces de leur genèse (brouillons, tapuscrits, dialogues épistolaires…) – ne sont pas seulement le lieu où l’on peut observer le traducteur à l’œuvre, mais aussi un espace heuristique de reconfiguration de notre relation aux savoirs : le lieu et l’espace où tradition, traduction et invention nous donnent rendez-vous pour reconstituer – au plan génétique, philologique et herméneutique – le processus traductif en tant que pratique réflexive et identitaire,

Livre 1.indb 264 03/10/2016 14:30 collaborative et sociale. Dans un parcours privilégiant les échanges littéraires franco- italiens – Bona de Mandiargues et Alberto Savinio, Giorgio Caproni et André Frénaud, Camillo Sbarbaro et Gustave Flaubert, André Pézard et Dante… – , les contributions ici réunies prennent en compte la pluritextualité et la spécificité processuelle des pratiques traduisantes : la traduction comme dispositif d’écriture (Nicole Brossard), la relation entre écriture et autotraduction, la traduction à quatre mains (Amelia Rosselli), la retraduction et ses variantes. Par la richesse de ses approches et de ses analyses, ce volume contribue à tisser des liens nouveaux entre traductologie, philologie et critique génétique, critique des traductions et historiographie littéraire, tout en soulignant le rôle joué par des dispositifs matériels et symboliques dans l’émergence des communautés du traduire.

Livre 1.indb 265 03/10/2016 14:30 Livre 1.indb 266 03/10/2016 14:30 ESPERIENZE LETTERARIE presenta I T A L I N E M O Riviste di italianistica nel mondo Direttore : Marco Santoro http://www.italinemo.it

Che cosa è Italinemo ? Analisi, schedatura, indicizzazione delle riviste di italianistica pubblicate nel mondo a partire dal 2000. Abstract per ogni articolo. Ricerca incrociata per autori e titoli, per parole chiave, per nomi delle testate, per collaboratori. Profili biografici dei periodici e descrizione analitica di ciascun fascicolo. Nelle pagine “Notizie”, informazioni su novità editoriali ed iniziative varie (borse di studio, convegni e congressi, dottorati, master, premi letterari, pre- sentazioni di volumi, seminari e conferenze). La consultazione del sito è gratuita

Direzione Marco Santoro Università di Roma “La Sapienza” Via Vicenza, 23 00185 Roma Tel. e fax +39 06 35498698 [email protected] Segreteria [email protected] Dibattiti e discussioni [email protected] Iniziative e progetti in corso [email protected]

Transalpina_13.indb 221 11/03/10 10:20:55

Livre 1.indb 267 03/10/2016 14:30 TRANSALPINA

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Livre 1.indb 268 03/10/2016 14:30 19 n ce début de XXIe siècle, la production cinématographique en Italie Transalpina E connaît un vrai renouveau, qui a attiré l’attention du public et de la critique. Dans la grande tradition qui a fait de la réflexion sur le politique et sur l’engagement des caractères structurants du cinéma italien, une nouvelle génération de cinéastes s’est montrée capable de réinventer le langage cinémato- graphique pour cerner les personnages politiques et démasquer les visages du pouvoir. Leur attention s’est aussi portée sur les changements qui ont transformé le pays : la violence urbaine, l’emprise des médias, les processus de marginalisation et d’exclusion, l’immigration et l’impossibilité de l’intégration. Ce numéro de 19 Transalpina s’inscrit dans une perspective résolument moderne, qui met en évidence la volonté des réalisateurs d’aujourd’hui de suivre la leçon des grands TRANSALPINA maîtres du cinéma engagé, tout en innovant pour trouver de nouvelles formes Le cinéma italien d’aujourd’hui narratives. Grâce à l’approfondissement des questions émergentes, les études ici réunies explorent la relation qui s’est établie entre la politique, la réalité sociale et entre film politique et film engagé le cinéma, dans un contexte nouveau et vivant.

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universitaires Issn : 1278-334X isbn : 978-2-84133-839-9 15 € de Caen

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