Les Concerts
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MI HAI DE BRANCOVAN LES CONCERTS Le Festival d'Aix-en-Provence. — L'Orchestre des jeu• nes de la Communauté européenne, en Avignon. — Les Chorégies d'Orange. Plusieurs déceptions m'attendaient, cette année, à Aix-en- Provence. D'abord, hélas ! la ville elle-même, que des édiles bien intentionnés mais totalement dépourvus de goût sont en train de saccager à la barbe des Monuments historiques, dont il est permis de se demander ce qu'ils peuvent bien attendre pour réagir. Personne ne se plaindra que de plus en plus de rues du vieil Aix soient réservées aux piétons, bien au contraire. Mais pourquoi diable les paver en dépit du bon sens (heureux celui qui s'en sort sans se tordre au moins l'une des che• villes !) et y faire systématiquement pousser des bornes en bé• ton, et de hideuses vasques à fleurs, elles aussi en béton ? Ce n'est d'ailleurs pas tout : j'ai eu un choc en voyant la façon dont on vient de « restaurer » le cloître Saint-Sauveur. Quant au Théâtre de l'Archevêché, le temps se charge de parfaire l'œuvre de destruction si brillamment commencée par les hu• mains en 1973, lorsque Bernard Lefort succéda à Gabriel Dus- sUrget. L'ancien théâtre était un prolongement du palais de l'Archevêché, qu'il mettait merveilleusement en valeur. Il n'en reste plus que la scène et son encadrement, lequel, sali, abîmé, privé des ravissants pots à feu qui l'ornaient naguère, n'est plus que le triste reflet de ce qu'il fut. Ajoutez à cela l'in• signe laideur des gradins et des « fauteuils » destinés au public, et vous comprendrez pourquoi, loin de mettre en valeur la cour de l'Archevêché, le théâtre actuel la détruit, l'anéantit. Cela aussi s'est fait au nez des Monuments historiques. A ces déceptions d'ordre architectural vinrent s'en ajouter d'autres, causées celles-là par le festival lui-même, musicale^ 204 LES CONCERTS ment très satisfaisant, mais gâté par des mises en scène exas• pérantes. Faisant le bilan de six années de direction, Bernard Lefort se félicite d'avoir « systématiquement » engagé des « metteurs en scène venus du théâtre ». Peut-être aurait-il mieux fait d'être moins « systématique » dans ses choix, et de s'adres• ser aussi à des hommes plus au fait des exigences de l'opéra. Pourquoi n'avoir pas essayé d'attirer à Aix Jean-Pierre Ponnelle, que toutes les grandes scènes étrangères se disputent jalou• sement ? Il me semble inconcevable que l'un des premiers festivals français d'opéra se prive d'un talent comme le sien. Et Strehler ? Et Peter Hall, que la France connaît si peu ? Voilà des gens qui auraient pu renouveler Aix tout en restant fidèles à une certaine tradition. Au lieu de cela, on nous offre des Nozze di Figaro vues, transposées, mutilées et ridiculi• sées par M. Lavelli. Quelle idée, d'abord, d'aller changer d'époque lorsque toute l'intrigue tourne autour de l'abolition d'un « certain » droit féodal ! Sujet, on en conviendra aisément, tout à fait typique des années 1900 ! Rien de plus naturel, n'est-ce pas, que de voir des personnages habillés comme l'étaient nos grands-parents dans leur jeunesse en train de discuter de cela dans le décor tout de verre et d'acier de Max Bignens ! Cela semble parfaite• ment absurde, et pourtant, paradoxalement, là n'est pas vrai• ment la racine du mal, car l'indiscutable talent de Lavelli finit par faire oublier cet anachronisme. Peu à peu on se laisse pren• dre au jeu, on accepte que Non più andrai soit traité comme une scène de sadisme, au cours de laquelle Figaro, heureux d'être débarrassé d'un rival dangereux, prend un malin plaisir à lui décrire, une par une, les joies que lui réserve la carrière d'offi• cier ; on est charmé par le discret érotisme du jeu que jouent la Comtesse et Susanna avec Cherubino, lorsqu'elles l'habillent de vêtements féminins. Bref, même si l'on est passablement agacé par la présence d'un Comte ayant l'air d'un garçon coiffeur et se comportant comme un goujat (il n'ôte même pas son chapeau en entrant dans la chambre de sa femme), on se dit que, tout compte fait, cette transposition ne « marche » pas si mal que ça. Telles étaient mes réactions à la fin du troisième acte : somme toute plutôt favorables, vu ce que je craignais a priori. Elles devaient, hélas ! changer du tout au tout en moins d'un clin d'oeil. Voici pourquoi : en se relevant pour le dernier acte, le rideau nous découvrit, posé en plein milieu du décor dont j'ai déjà parlé, un petit théâtre. Arrive Barbarina, le LES CONCERTS 205 visage curieusement blanchi, à la recherche de sa fameuse épingle. Lorsque paraît Figaro, lui aussi le visage passé à la craie, on commence à se douter de ce qui va suivre. Et, en effet, le voilà qui se met à écarter lentement les rideaux du théâtre de marionnettes. Mais, chose étrange, il le fait tout en chantant Aprite un po quegli occhi, air dont ce n'est absolu• ment pas la place ; s'il est si tôt avant l'heure au rendez-vous, ce n'est que parce que l'on a fait subir au texte de Mozart une opération de chirurgie (esthétique ?) ayant pour objet l'extrac• tion d'appendices aussi inutiles et nuisibles que le dialogue Mar- cellina-Figaro, l'air de Marcellina, le récitatif de Barbarina, la scène entre Basilio, Bartolo et Figaro, enfin, l'air de Basilio : cinq scènes, seulement. Une bagatelle. Mais revenons à notre ridicule petit théâtre, car c'est là, dans l'affreux « décor » aux couleurs criardes de cette boîte dérisoire que se jouera toute la sublime conclusion de la « folle journée ». Les personnages sont maintenant en costumes du xvin8 siècle (l'opéra dans l'opéra, sans doute), ils ont tous des visages blanchis et fardés de clowns, et leurs mouvements saccadés font irrésistiblement penser à des pantins. Il fait nuit, mais, comme il ne faut pas qu'on le sache, la scène est inondée de lumière. De sorte que les divers quiproquos dus aux déguisements n'ont plus aucun sens et que, dramatiquement, l'air de Susanna, si riche de sous-entendus dans son ambiguïté, ne rime plus à rien. J'aimerais bien savoir, d'ailleurs, ce qui rime encore à quelque chose dans cette caricature de mauvais goût. Pourquoi Lavelli n'a-t-il pas simplement continué à trans• poser l'action au xx* siècle, comme pendant les trois premiers actes ? Parce qu'il est tombé sur trop de contradictions ? Ou bien a-t-il sciemment voulu tourner la fin en dérision ? Si oui, on peut dire qu'il a atteint son but, car il ne restait plus rien du charme mystérieux et nocturne de ce merveilleux dernier acte, lequel faisait plutôt penser à Pagliacci. Je m'étonne même qu'il ne se soit trouvé personne pour lancer « La com- media è finita ». Voilà pour la mise en scène. Mais ce qui m'attriste encore plus que sa propre perversité, c'est l'influence qu'elle semble avoir exercée sur les interprètes. Prenez, par exemple, Neville Marriner : tout au long des trois premiers actes, sa direction, vigoureuse, nerveuse, pleine de vitalité, était un pur enchante• ment ; au quatrième, par contre, ces qualités avaient fait place à une sécheresse tout à fait en accord avec ce que l'on voyait sur scène. Par ailleurs, je dois dire que je lui en veux d'avoir 206 LES CONCERTS donné son aval à une coupure pouvant rivaliser en dimensions avec la montagne Sainte-Victoire. Il n'en reste pas moins que son Academy of Saint Martin in the Fields est un merveilleux ensemble, et que rien ne remplacera jamais vingt ans de colla• boration entre un orchestre et son chef. Vocalement, ces Nozze étaient très belles, surtout grâce à la délicieuse Suzanna de Barbara Hendricks, qui est une vraie révélation ; elle devrait cependant surveiller de plus près sa prononciation italienne. La voix de Valérie Masterson (la Comtesse) a toujours la même pureté de cristal ; son intona• tion, par contre, n'était pas constamment d'une justesse abso• lue. Ann Murray est un Cherubino au timbre idéal, Samuel Ramey un Figaro jeune et sûr de lui, Michael Devlin (le Comte) tire le maximum d'un rôle sacrifié, tandis que Jules Bastin campe un Bartolo savoureux. On aurait aimé entendre davan• tage la Barbarina de Christine Barbaux, la Marcellina de Da- nielle Grima, ainsi que le Basilio de Jean-Pierre Chevalier, mais les maîtres ès coupures en ont décidé autrement. Guère plus heureux, Werther était la victime d'un traite• ment en tous points semblable. Musicalement, la représenta• tion était d'un très bon niveau, encore que je sois loin de par• tager l'enthousiasme dont font preuve nombre de mes con• frères au sujet de Nadine Denize : le timbre est beau, certes, mais l'expression monotone, et la diction franchement mau• vaise ; il arrive plus d'une fois que l'on ne comprenne pas un traître mot de ce qu'elle dit. Il faut cependant lui savoir gré d'avoir remplacé au dernier moment Teresa Berganza, souf• frante. Neil Shicoff, en revanche, est un Werther idéal : il a le phy• sique du rôle, et sa voix éclatante, d'une couleur très « italien• ne », n'est pas sans évoquer celle de Placido Domingo. De plus, comble de paradoxe, ce jeune Américain a une diction infini• ment plus claire que celle de Nadine Denize ; et, à quelques détails près, sa prononciation française est excellente.