Volume ! La Revue Des Musiques Populaires
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Volume ! La revue des musiques populaires 8 : 1 | 2011 Peut-on parler de musique noire ? What is it we call "Black" music? Emmanuel Parent (dir.) Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/volume/70 DOI : 10.4000/volume.70 ISSN : 1950-568X Édition imprimée Date de publication : 30 mai 2011 ISBN : 978-2-913169-29-6 ISSN : 1634-5495 Référence électronique Emmanuel Parent (dir.), Volume !, 8 : 1 | 2011, « Peut-on parler de musique noire ? » [En ligne], mis en ligne le 15 mai 2013, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/volume/70 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.70 Ce document a été généré automatiquement le 10 décembre 2020. L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun 1 Actes choisis du colloque d'avril 2010 à Bordeaux autour de la fameuse lettre de Philip Tagg publiée dans le numéro 6-1&2, ce numéro de Volume ! souhaite interroger notre manière d'appréhender un domaine des musiques populaires que nous identifions facilement (blues, jazz, reggae, rap, etc.) sans pour autant être capables de le définir précisément. Qu'est-ce qui rassemble des musiques aussi différentes ? La couleur de peau ? Une aire géographique ? Certaines qualités propres à la musique elle-même ? Pas si simple. Dix auteurs s'attellent donc à déconstruire les catégories raciales en musique, sans pour autant abandonner ces vocables qui façonnent nos pratiques depuis des siècles. Ils nous invitent bien plutôt à réfléchir de façon lucide sur les liens complexes entre race et musique, pour les regarder sous un jour nouveau. A selection of texts from the April 2010 conference in Bordeaux based on a critical discussion of Philipp Tagg's famous letter on the issue, this issue of Volume ! wishes to question our way of apprehending a popular music field that we easily identify (blues, jazz, reggae, rap, etc.) without being able to define it precisely. What is it that unites such different types of music? Colour of skin? A geographical area? Certain specific musical qualities? There's no obvious answer. Ten authors thus tackle the subject to deconstruct the use of racial categories in music, without however abandoning such terms, that have been shaping our practices for centuries. Instead, they invite us to clearly consider the complex links between race and music, to look at them in a new light. Volume !, 8 : 1 | 2011 2 SOMMAIRE Dossier : «Peut-on parler de musique noire ?» Introduction « The uneasy burden of race » Introduction Emmanuel Parent Gregory Walker et le singe roublard La question de la création devant l’inexistence et la réalité de l’idée de « musique noire » Denis-Constant Martin Déconstruire les musiques noires Les Métamorphoses d’un havane noir et juteux… Comment la danse tango se fait « argentine » Christophe Apprill Le samba : un genre populaire chanté emblématique ni afro-descendant ni occidentalisé, mais spécifiquement brésilien Christian Marcadet Negra ou popular ? Esthétique et musicalités des maracatus de Pernambuco Laure Garrabé Nationalismes noirs : la négritude reconstruite Jeux de couleurs dans le candombe afro-uruguayen Clara Biermann Peut-on parler de musique « noire » au Mexique, pays de l’indigénisme ? Le cas de la cumbia et de la chilena des Afro-Mexicains de la Costa Chica Sébastien Lefèvre La question du jazz En Afrique du Sud, le jazz a-t-il une couleur ? Ambivalence des noms, frottement des genres Lorraine Roubertie Soliman Volume !, 8 : 1 | 2011 3 Le spectre culturel et politique des couleurs musicales : la « Great Black Music » selon les membres de l’AACM Alexandre Pierrepont Tribune Armstrong, je ne suis pas noir… Yves Raibaud Document - Ralph Ellison sur Richard Wright Présentation du texte de Ralph Ellison Emmanuel Parent Richard Wright’s Blues Ralph Ellison Varia - hors-dossier Beyond the Music: Rethinking Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band Sarah A. Etlinger Prix IASPM-branche francophone d'Europe L’échantillonnage comme choix esthétique. L’exemple du rap Maxence Déon Comptes-rendus Bruits. Exposition du Musée d’ethnographie de Neuchâtel Du 02 octobre 2010 au 15 novembre 2011 Fanny Wobmann-Richard « Subculture musicale. La musique pratiquée aux marges » Compte-rendu de la journée d’étude des 18 et 19 mars 2011 à l’Université de Strasbourg Laure Ferrand Volume !, 8 : 1 | 2011 4 Notes de lecture Yves RAIBAUD, Territoires musicaux en région. L’émergence des musiques amplifiées en Aquitaine Vincent Rouzé Julien BARRET, Le Rap ou l’artisanat de la rime Stéphanie Molinero Droit de réponse : le rap et la langue Réponse à Julien Barret Isabelle Marc Réponse à Isabelle Marc Martínez Julien Barret Seconde réponse à Julien Barret Isabelle Marc Volume !, 8 : 1 | 2011 5 Dossier : «Peut-on parler de musique noire ?» Volume !, 8 : 1 | 2011 6 Dossier : «Peut-on parler de musique noire ?» Introduction Volume !, 8 : 1 | 2011 7 « The uneasy burden of race » Introduction Emmanuel Parent “One of the most insidious crimes occurring in this democracy is that of designating another, politically weaker, less socially acceptable, people as the receptacle for one’s self-disgust, for one’s infantile rebellions, for one’s own fears of, and retreats from, reality.” Ralph ELLISON, Shadow and Act (1964) Volume !, 8 : 1 | 2011 8 1 Près de 25 années après sa première publication, la lettre ouverte sur les musiques noires adressée un jour de mai 1987 par le musicologue anglais Philip Tagg à ses collègues universitaires n’en finit décidément pas de faire des remous. Envoyée à quelques-uns tout d’abord, puis publiée à plus grand tirage en 1989 dans la revue Popular Music, cette lettre s’était déjà taillée un succès d’estime dans l’univers académique anglophone des popular music studies 1. Ce texte éloquent, traversé par un humour très britannique, souhaitait interroger l’idée selon laquelle les musiques issues de la diaspora africaine posséderaient en propre des traits communs facilement identifiables : blue notes, rythmes syncopées, improvisation, call and response, groove, etc. Le propos n’était pas tant de refuser toute unité ou parenté aux différentes musiques issues de la diaspora noire, mais plutôt d’interroger la pré-notion selon laquelle les musiques noires auraient le monopole de l’altérité dans l’espace musical atlantique occidental. Tout ce qui n’était pas blanc-classique-bourgeois-européen était forcément « noir ». Cette lettre rebattait ainsi les cartes des catégories de musiques noires, blanches, européennes et afro-américaines. 2 Or, ce qui n’était à l’origine qu’un billet d’humeur allait s’avérer être un texte résistant. De débats en débats, force était de constater que les concepts mis en jeu gardaient leur pouvoir initial, traversant les modes universitaires, les renouveaux stylistiques des musiques populaires, et interpellant différentes générations de chercheurs. Jusqu’à sa nouvelle parution française dans les colonnes de la revue Volume ! en 2008 2. Ce texte assez contextuel de prime abord 3 paraissait doué, comme certains bons romans, d’une vie autonome, et devait finir par échapper à son auteur lui-même. Aussi, en 2009, lorsque l’équipe de la revue Volume !, le CEAN et ADES, ont proposé à Philip Tagg de participer à un colloque explicitement consacré à son texte, il comprit qu’il n’avait pas vraiment le choix : il devait venir défendre une nouvelle fois son coup de gueule de 1987. Ce qu’il fit, d’ailleurs, avec brio, lors de son allocution d’ouverture, ce mardi 10 avril 2010 au conservatoire Jacques Thibaud de Bordeaux, en présentant un montage audio et vidéo assez édifiant 4 devant une centaine de personnes, et les 20 communicants qui avaient répondu présents à notre appel à contribution. 3 Tagg fit d’abord entendre des exemples musicaux. De vieilles mélodies anglaises ou écossaises du XVIIIe siècle qui swinguent, grincent et sollicitent d’improbables notes bleutées. Puis il insista sur le fait qu’il existait probablement une proximité culturelle et sociale plus grande entre les afro-descendants et les populations pauvres immigrées qui formaient le gros du contingent européen, qu’entre ces mêmes populations et l’élite sociale européenne qui pourrait se reconnaître dans le patrimoine culturel classique occidental alors en cours de construction. 4 Las, comme le fit remarquer Paul Gilroy (2003 : 26), lorsque « le processus dans lequel le fait d’être anglais, chrétien ou tout autre attribut ethnique ou racial, fit place en fin de compte à l’éblouissement perturbateur que constitue le fait d’être blanc », tout esprit Volume !, 8 : 1 | 2011 9 de nuance dans la compréhension des rapports entre race et culture devait disparaître de la conscience collective moderne. La pensée raciale allait occuper une place considérable dans la cosmovision occidentale à partir de la fin du XVIIIe siècle. C’est bien souvent avec elle que nous nous débattons encore aujourd’hui, dans la vie sociale, politique et intellectuelle, de façon différente mais avec une intensité sans cesse accrue. Projection et compensation 5 Une des conclusions qu’on peut tirer de la lettre de Tagg est que les musiques vécues comme noires ne sont pas ontologiquement différentes des musiques de tradition européenne. Mais que les musiques pratiquées par les Afro-descendants révèlent à l’Occident la profonde altérité des logiques populaires qui le traversent de part en part. C’est bien là tout le problème : l’Occident projette sur la figure du Noir sa propre altérité, qu’il lui est impossible d’assumer. (Du fait, probablement, de la lourdeur du projet occidental lui-même – i.e. l’universalité que l’Occident entend incarner pour le monde depuis bientôt cinq siècles.) 6 Ce n’est que par la projection sur l’autre minoritaire (ou perpétuellement minorisé) que le majoritaire parvient à se révéler lui-même, à se révéler à lui-même : c’est-à-dire à regarder sa propre complexité 5. On peut retrouver des échos à cette thèse chez Faulkner 6, qui met en scène la conscience lucide qu’ont les Blancs du Sud de leur part de négrité, à laquelle ils ne peuvent échapper.