Histoires De Sachs Et De Corde
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PORTRAITS ET SOUVENIRS ANDRÉ DAVID Histoires de Sachs et de corde A Robert delle Donne ombreux sont ceux qui se souviennent encore d'un curieux * personnage qui défraya la chronique entre les deux guerres et dont Paris surtout, mais Londres et New York également, furent les théâtres de ses aventures. Celui-ci ne vint pas, comme les jeunes ambitieux de Balzac, de sa province à la conquête de Paris: il était Parisien. On a dit de lui qu'il faisait penser à Rastignac ; certes, mais il lui aurait fallu être plus beau, plus calculateur et moins l'esclave de ses passions; plus fort, plus puissant, plus brutal et sans cœur. Il se rapprochait plutôt de Vautrin, en particulier lorsque Vautrin prend la forme de l'abbé Carlos Herrera, car dans ses multiples métamorphoses notre homme porta aussi la soutane. Comme la plupart des héros de la Comédie humaine, il eut des hauts et des bas ; tantôt on le voyait somptueusement vêtu habiter des palaces, dînant dans les grands restaurants, tantôt sans le sou, en velours côtelé, se nourrissant d'un sandwich. Mais celui qui fut réellement son modèle, duquel d'ailleurs il se rapprochait par sa corpulence, son élégance, son ironie, par ses goûts et sa fin tragique, c'était Oscar Wilde : mêmes yeux intelligents et doux, même mollesse dans le bas du visage. Sympathique, spirituel, capable de dévouement, il eut beaucoup d'amis, parmi lesquels des artistes, des écrivains morts aujourd'hui : Jean Cocteau, Max Jacob, Pierre Reverdy, Colette, André Gide, Coco Chanel, Pierre Fresnay, Violette Leduc qui a tracé de lui un inoubliable por• trait dans son livre la Bâtarde. Tous l'aimaient, bien que la plupart d'entre eux eussent été les victimes de ses indélicatesses d'argent, car il fut, hélas ! un escroc et peut-être pire, mais un ^escroc au petit pied sans envergure, au jour le jour, ainsi que nous le verrons plus loin. Ses indélicatesses, ses malversations, furent surtout les expédients d'un homme aux abois ; en effet, s'il avait vraiment eu la vocation d'un escroc, avec son intelli• gence, son charme et son imagination, il aurait fait fortune, ce qu'il ne fit jamais. Ce surprenant personnage s'appelait Maurice Sachs. 597 Capable du meilleur comme du pire, ce fut malheureusement le pire qui l'emporta. Extravagante fut sa vie ! On la connaît, il en a fait lui-même le récit. Tour à tour marchand de tableaux, acteur, courtier en bijoux {et dans quelles sinistres conditions si l'on s'en rapporte à la Chasse à courre.'), trafiquant d'or, direc• teur de collections littéraires, éditeur, conférencier, critique d'art, il joua chacun de ces rôles avec la plus parfaite conviction. Néan• moins, il fut avant tout un écrivain. Ses mésaventures rocambolesques, il les a lui-même racontées tout au long de son œuvre, dont la majeure partie est autobio• graphique. Certaines cependant ont été passées sous silence : ce sont peut-être les plus cocasses car il y a chez Maurice Sachs un vaudevilliste à la Labiche. 'est à l'hôtel Vouillemont, rue Boissy-d'Anglas, voisin du Bœuf Csur le toit, que je fis la connaissance de Maurice Sachs. Entre 1920 et 1939, à la veille de la guerre, la vie parisienne nocturne évolua sur les quelque cent mètres qui séparaient ces deux établisse• ments. Le Vouillemont compta des hôtes illustres. Verdi y composa Don Carlos. Paul Bourget, romancier du Disciple, célèbre en 1889, totale• ment oublié aujourd'hui, y vécut un temps durant la guerre de 1914. Camille Barrère, notre ambassadeur à Rome, mémorable dans l'his• toire de la diplomatie, y vint fréquemment. Pierre Louys, l'auteur des Chansons de Bilitis, y habita ; déjà presque aveugle, on le vit un jour descendre de taxi devant l'hôtel et, par un soleil de midi, gratter une allumette pour lire le prix marqué au compteur. Jean Cocteau s'y installa en 1936 ou 1937. Maurice Sachs bientôt l'y suivit, rajeunissant sans doute la vérité lorsqu'il prétend qu'il avait quinze ans quand Gérard Magistry le présenta au poète. Auparavant — vers les 1923 — Maurice Sachs vivait chez sa grand-mère, qui avait été mariée à Jacques Bizet, fils du compositeur de Carmen. Selon ses habitudes de tricheur, il brouille un peu les cartes pour dorer sa généalogie. J'en prends pour exemple le passage de la notice composée par lui-même pour Décade of illusion — Paris 1918-1928 qu'il publia à New York aux éditions Alfred Knopf. Il s'attribue Georges Bizet pour arrière-grand-père, ce qui fausse tout. Voici la traduction littérale du texte : « Son arrière-grand-père mater• nel est Georges Bizet, compositeur de Carmen. Sa veuve épousa Emile StraUs et, en tant que Mme Straus, devint une célébrité pari• sienne par son salon politique et littéraire. Beaucoup de traits de Mme Straus ont servi à Marcel Proust pour son personnage de Mme Verdurin. Son grand-père paternel était Georges Sachs, ami intime de Jaurès et d'Anatole France, également grand ami de Briand. Né en 1906, Maurice Sachs grandit donc dans ce milieu des écri• vains, des hommes politiques, des peintres de cette époque. » 598 De son mariage avec Georges Bizet, celle qui devint Mme Straus eut un fils Jacques Bizet. Celui-ci fut le second mari de la grand- mère de Sachs, ce qui ne suffit tout de même pas à créer un lien de parenté avec Maurice, dont la mère, née Sachs, se maria à un Allemand du nom d'Ettinghausen. Certes Maurice, enflammé d'une tendre admiration pour Jacques Bizet, l'imita jusque dans son ivrognerie et conçut à sa mort un chagrin déchirant. De même, tout en étant l'ennemi de sa mère, peu scrupuleuse, s'identifia-t-il à elle en copiant sa manie de signer des chèques sans provision. Celle-ci avait souhaité avoir une fille. Enfant, Maurice s'endormait avec l'espoir de se réveiller telle. Il est certain qu'il chérissait sa mère. Son affolement lorsqu'elle tenta de se suicider à Deauville le prouve, de même qu'il aimait sa grand-mère à laquelle il ne reprochait que d'avoir l'air jeune. En tout cas, c'est chez elle qu'il convia à dîner Robert délie Donne avec René Blum, frère de l'homme d'Etat, animateur des Ballets de Monte-Carlo qui connurent les plus vifs succès. René Blum fut très bon pour Maurice Sachs, qu'il aida de son mieux. Du reste, ce dernier en parle avec reconnaissance et monte en épingle le patriotisme du frère de Léon Blum, patrio• tisme qu'augmentait sa tendresse pour ce frère vénéré qu'il aurait cru desservir en quittant la France, patriotisme qui le conduisit jusqu'à la mort. Cette mort compte au nombre des millions de crimes des nazis. A ce dîner était également présent Robert Dreyfus, exégète de Marcel Proust. Peu après, Maurice Sachs partit pour l'Angleterre avec sa mère qui, raconte-t-il dans le Sabbat, risquait des ennuis pour un de ses chèques sans provision. C'était alors un garçon au physique plaisant, plein de vivacité, d'esprit et d'humour un peu moqueur. Il était habillé de vert de la tête aux pieds, complet veston, chemise, cravate, chaus• settes, de quoi prendre cette couleur en grippe, laquelle couleur se persuada-t-il lui causa malchance. Il n'avait pas entendu la mise en garde de Bernard Shaw : * Il ne faut pas être superstitieux, cela porte malheur. » De l'hôtel Vouillemont, on allait donc en trois minutes de marche au Bœuf sur le toit. Celui-ci n'était pas né rue Boissy-d'Anglas mais rue Duphot dans des circonstances que Maurice Sachs a si brillamment racontées qu'il serait vain de songer à lui faire concurrence. « Un Monsieur Schwartz s'était trouvé acheter un pas-de- porte rue Duphot, à l'endroit où se trouve actuellement le restaurant-la Cigogne, et, ne sachant pas positivement qu'en faire, pensait à en faire un bar. Ce Monsieur était lié avec le père d'un jeune musicien qui s'appelait Jean Wiener. M. Schwartz connaissant ainsi Wiener lui dit : « Que pour- 599 rais-je faire dans mon bar pour m'attirer une clientèle, n'y a-t-il pas dans vos relations quelques jeunes gens qui aient des talents ? » Or Jean Wiener allait aux déjeuners du samedi. C'était, sous l'égide de Cocteau, les réunions les plus gaies, les plus intelligentes et les plus fructueuses pour la jeunesse d'alors. Fargue, Valentine et Jean Hugo, Raymond Radiguet, Satie, Marcel Raval, Milhaud, Auric, Poulenc, Honegger, Aragon, Breton, Germaine Tailleferre, Paul Morand, Tzara, Brancusi, Picasso, Marie Laurencin, Picabia, Irène Lagut, Charles et Suzanne Peignot, et nombre d'amis de ce groupe déjeunaient chaque samedi dans un petit restaurant de la place de la Madeleine; c'est là qu'une revue d'étudiants fondée par Marcel Raval est devenue les Feuilles libres que nous connais• sons, auxquelles les écrivains les plus singuliers de l'époque ont collaboré ; c'est là qu'on parla d'abord des Mariés de la Tour Eiffel et des Ecrits nouveaux. C'est là que de 1918 à 1923 on discuta de tout ce qui souleva ensuite le plus de discussions dans le public. C'était la grande époque de Cocteau. Il était jeune, charmeur, éblouissant, amoureux et mieux entendu que personne à tirer de chacun 'son maximum. On « faisait des choses », « des drôles de choses », disait Valentine Hugo, « dés choses fourneau », disait parfois Satie. Mais les choses se faisaient. Il n'y fallut qu'une heure pour faire un bar.