Terres Rouges – Histoire De La Sidérurgie Luxembourgeoise Dans Le Cadre Du Projet De Recherche Du Même Nom Soutenu Par Le Gouvernement
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Terres rouges Histoire de la sidérurgie luxembourgeoise Collection dirigée par Charles Barthel et Josée Kirps Volume 3 © Centre d’études et de recherches européennes Robert Schuman, Ministère d’État Archives nationales de Luxembourg, Ministère de la Culture Luxembourg, décembre 2011, ISBN 978-99959-635-6-9, version imprimée Luxembourg, avril 2020, ISBN 978-29197-731-0-7, version électronique Centre d’études et de recherches européennes Robert Schuman, Ministère d’État, Archives nationales de Luxembourg, Ministère de la Culture Sommaire Introduction 4 Octavie Modert L’industrie lourde luxembourgeoise dans les années trente (1929-1939) Radioscopie d’une crise économique 8 Paul Feltes Le paternalisme d’Émile Mayrisch 104 Nadine Schmitz Les forges du Bassin minier luxembourgeois sous le signe de la concentration dans l’industrie lourde en Allemagne wilhelmienne 1903/04-1911/12 De la naissance d’une communauté d’intérêts entre Differdange et Rumelange, de l’inauguration du site de Belval et de la fusion constitutive du groupe Arbed - 1re partie 154 Charles Barthel et Michel Kohl Index 286 La composition du conseil d'administration de l'Arbed (1911-2002) annexe Michel Kohl et Sally Scholer 3 Introduction Octavie Modert 4 oint n’est besoin d’y insister longuement: tout le monde sait au Grand-Duché de Luxembourg que la naissance d’une industrie sidérurgique moderne a marqué P le point de départ de l’essor économique du pays et partant, de la prospérité de ses habitants. Aussi suis-je particulièrement reconnaissante qu’en cette année des multiples centenaires sidérurgiques – de la fondation de l’Arbed, de la mise en route de l’usine de Belval, de la création de la communauté d’intérêts entre les hauts- fourneaux de Differdange et de Rumelange/St. Ingbert, du laminage de la première poutrelle Grey d’un mètre de hauteur et des débuts de la fabrication des palplanches, mais aussi d’autres faits marquants de l’activité sidérurgique au Luxembourg affectée par la crise internationale –, les Archives nationales de Luxembourg et le Centre d’études et de recherches européennes Robert Schuman aient sorti un troisième volume de la collection Terres rouges – histoire de la sidérurgie luxembourgeoise dans le cadre du projet de recherche du même nom soutenu par le Gouvernement. Comme les numéros précédents, celui-ci fournit à sa façon une contribution précieuse à la conservation du patrimoine culturel-industriel national en valorisant les 4,5 kilomètres de documents de tous types (correspondances, rapports de réunions, cartes, plans, dessins techniques, actes juridiques, etc.) entre-temps amoncelés aux fonds de la section économique des Archives nationales. Comme d’habitude aussi, les éditeurs de Terres rouges ont veillé à nous offrir un bouquet de contributions aux thèmes fort variés, mais néanmoins regroupés autour du dénominateur commun qu’est leur impact sur les destinées du pays. C’est le cas notamment de la terrible épreuve de force qui s’abat sur les ouvriers métallurgistes au moment de la grande crise économique mondiale consécutive au krach de Wall Street en octobre 1929. Paul Feltes nous révèle les répercussions parfois dramatiques de cette dépression qui préfigure à bien des égards la catastrophe des années 1970 et 1980; il dévoile aussi sans ambages les ombres au tableau d’une politique gouvernementale de crise soutenue tant par le patronat que par les syndicats ouvriers cherchant à ménager les ressortissants luxembourgeois aux dépens des travailleurs immigrés, Italiens en l’occurrence, priés avec plus ou moins d’insistance de quitter le pays. À l’opposé, l’auteur nous montre également les atouts de la récession de l’entre-deux-guerres. Ils consistent notamment en la création du Conseil national du travail (1936) qui, en représentant une espèce de Tripartite avant la lettre, «incarne parfaitement le modèle social luxembourgeois». 5 Nadine Schmitz enfonce le même clou. Elle expose les nombreuses œuvres sociales initiées par nos maîtres de forges dès le milieu du XIXe siècle et portées à leur faîte par le directeur général de l’Arbed, Émile Mayrisch, et son épouse, Aline de Saint- Hubert. Largement inspiré par le paternalisme rhénan et français, le couple agit sur de très nombreux plans: à la construction de cités ouvrières devenues partie intégrante de notre patrimoine architectural, de crèches, d’hôpitaux, d’une maternité, d’écoles et d’autres édifices à vocation sociale, s’ajoutent les services de prévention médicale et de protection familiale ainsi que tout un système de subsides, de gratifications, de pensions et d’assurances maladie ou vieillesse mis en place au fil des années. Ces mesures volontaires décidées par un patronat qui, il est vrai, n’agit pas toujours d’une manière tout à fait désintéressée, revêtent néanmoins un caractère modèle, à tel point que la classe politique nationale se contente bien des fois d’en imiter l’exemple lorsqu’elle met progressivement en place le système social qui est devenu le nôtre aujourd’hui. Combien la neutralité, voire l’indépendance de cet État peuvent être menacées par l’expansion spectaculaire de la branche sidérurgique à la veille du premier conflit mondial, se mesure aux connaissances novatrices qu’apporte la première partie d’une enquête de Charles Barthel et de Michel Kohl consacrée aux épisodes anniversaires de 1911 en général, et à l’édification du complexe de Belval en particulier. Les fondateurs de la nouvelle usine ne répugnent en effet pas à se mêler ouvertement des politiques fiscale et de sécurité intérieure du gouvernement de Paul Eyschen en stimulant par là une satellisation croissante du Luxembourg par le Reich allemand dont la tutelle économique, déjà, pèse lourd sur l’avenir du pays. Pire! Les erreurs de planification en relation avec le raccordement de Belval aux infrastructures de transport fournissent aux militaires prussiens un excellent prétexte pour étendre leurs préparatifs de guerre au Grand-Duché. Aussi ne faut-il pas s’étonner si le directeur général de la Gelsenkirchener, Emil Kirdorf, réclame carrément l’annexion du pays dès l’ouverture des hostilités en 1914. Conformément à la ligne éditoriale des volumes Terres rouges, l’équipe des jeunes chercheurs du projet, Michel Kohl et Sally Scholer, nous propose finalement un instrument de travail fort utile avec la publication d’une liste complète des membres du conseil d’administration de l’Arbed, depuis la naissance de l’entreprise en 1911 jusqu’à son intégration, en 2002, au sein du groupe Arcelor. Bref, l’attrait des sujets abordés et la qualité des travaux présentés – pour lesquels on ne saurait d’ailleurs que féliciter les auteurs –, donnent lieu à espérer que d’autres volumes viendront prochainement compléter la série Terres rouges. Je suis en tout cas heureuse d’appuyer à travers le ministère de la Culture un projet prometteur qui, par le biais de l’étude fouillée d’une activité industrielle clé, nous aide à mieux comprendre l’histoire, et le présent, de notre pays. Octavie Modert Ministre de la Culture 6 Gravure de Julien Lefèvre – À l’arrière-fond, on repère le Feierstëppler. Collection: Charles Barthel 7 L’industrie lourde luxembourgeoise dans les années trente (1929-1939) Radioscopie d’une crise économique Paul Feltes 8 L’industrie lourde luxembourgeoise dans les années trente (1929-1939) e terme «crise» désigne un changement brusque et douloureux. Pour l’historien de l’économie la crise est une phase de rupture négative.1 Elle se définit par L rapport à un avant et un après plus ou moins «normaux».2 La crise qui touche l’industrie lourde luxembourgeoise dans les années 1930 renferme une pluralité de traits saillants qui ne sont pas juxtaposés mais entre lesquels existe un rapport de causalité manifeste. Il n’en reste pas moins que la crise est d’abord économique et sociale. Les entreprises sont au centre de toutes les décisions essentielles. Elles constituent le lieu d’un rapport fondamental entre les classes sociales. Partant, la crise se répercute sur la marche des usines et sur la vie des travailleurs. Ainsi, toute crise économique a-t-elle un enjeu politique évident. Et qui plus est, elle engendre des répercussions démographiques, en l’occurrence à travers l’émigration forcée des ouvriers étrangers, et, sur le plan de l’organisation du travail, elle provoque un effort de rationalisation et de réorganisation. Tout bien considéré, la crise touche la collectivité dans son ensemble. Le poids de l’industrie du fer dans l’économie luxembourgeoise, sa concentration géographique dans le Sud du pays et les multiples ramifications internationales font du secteur de l’acier une pierre angulaire pour comprendre cette décennie. Le Grand-Duché ne peut vivre en autarcie. Voilà une constante de l’histoire du Luxembourg. Guillaume II, roi des Pays-Bas et Grand-duc du Luxembourg, fait entrer le Luxembourg dans le Zollverein (1842). Grâce à l’union douanière, le marché allemand devient le «poumon de l’économie luxembourgeoise» (Gilbert Trausch).3 Au total, l’économie luxembourgeoise se caractérise depuis le XIXe siècle par une demande nationale quasi inexistante et par l’insuffisance de ressources naturelles, humaines et financières.4 L’industrie lourde luxembourgeoise dépend du capitalisme international et de la main- d’œuvre étrangère (notamment italienne). Jusqu’à la Première Guerre mondiale, elle est entre les mains d’investisseurs allemands. Beaucoup d’ingénieurs sont originaires d’Allemagne. Le Luxembourg possède du minerai de fer (la «minette»), mais il est obligé d’importer le coke. Plus que ses concurrents, la sidérurgie luxembourgeoise est ouverte sur le monde extérieur. En 1919, le pays est obligé de chercher une nouvelle orientation économique. Quand la France repousse les avances des Luxembourgeois, ils s’orientent bon gré mal gré vers une union économique avec la Belgique. Avec la conclusion de l’Union économique belgo-luxembourgeoise en 1922, l’espace économique luxembourgeois constitue ce que l’historien luxembourgeois Claude Wey a appelé «un sous-espace économique hyperouvert à l’intérieur d’un espace économique – l’UEBL en l’occurrence – qui ne l’est pas beaucoup moins».5 1 LE ROY LADURIE E., La crise et l’historien, in: Communications, 25(1976), p.19.