La Baronnie De La Luthumiere a L’Epoque De La Guerre De Cent Ans (1368 - 1433)
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François VULLIOD LA BARONNIE DE LA LUTHUMIERE A L’EPOQUE DE LA GUERRE DE CENT ANS (1368 - 1433) 2 LA BARONNIE DE LA LUTHUMIERE A L’EPOQUE DE LA GUERRE DE CENT ANS (1368 - 1433) 3 © François VULLIOD, 2015, 2020. Photographie de couverture : médaillon figurant au centre de la première de couverture du terrier (Archives départementales de la Manche, 4 J 45) 4 Introduction Les Archives départementales de la Manche possèdent deux précieux documents qui nous renseignent de façon détaillée sur la consistance et l’évolution de la baronnie de la Luthumière pendant la guerre de Cent Ans. Tout d’abord le terrier1 de Guillaume LE TELLIER, ou Guillaume DE LA LUTHUMIERE : celui-ci y avait fait mettre par écrit, en 1480, l’inventaire de ses biens fonciers et des redevances qui lui étaient dues par ses vassaux et tenanciers, dans sa terre de la Luthumière et dans son fief de la Connétablie, qui constituaient ensemble la baronnie de la Luthumière, ainsi que dans la seigneurie d’Ectot qu’il possédait par ailleurs. Ce terrier est d’autant plus intéressant pour l’histoire seigneuriale et économique des territoires concernés (environs de Brix, de Sainte- Marie-du-Mont et de Barneville), qu’il apparaît que ces seigneuries sont en réalité décrites dans l’état qui était le leur à une époque beaucoup plus ancienne que la date de rédaction du terrier. Le texte nous montre en effet que le terrier de la terre de la Luthumière et du fief de la Connétablie résulte, pour l’essentiel, d’informations rassemblées lors de plaids tenus en 1368, et que le terrier de la seigneurie d’Ectot est une copie celui qui avait été réalisé entre 1401 et 1417 pour Jean PIQUET, arrière-grand-père de Guillaume LE TELLIER (certaines parties de ce dernier sont cependant plus anciennes, peut-être antérieures à 1380). En second lieu, la copie2 prise au XVIIe siècle d’une information3 faite en 1428 sur ces mêmes seigneuries. Elles avaient été confisquées en 1419 à Jean PIQUET par le roi d’Angleterre et données, en même temps que d’autres biens de même nature, à un capitaine anglais, Thomas BURG ; cette information, qui est aussi détaillée que le terrier précédent, avait pour objectif de recenser les revenus que Thomas BURG pouvait retirer de tous ces dons. Ce second texte peut être complété par une autre information4 tirée de la Chambre des Comptes de Paris, qui avait été faite en 1433, après le décès de Thomas BURG. Elle est très synthétique, mais présente l’intérêt de nous fournir une valorisation globale de tous les revenus de la baronnie, non seulement de ceux qui étaient représentatifs des tenures (les cens), mais aussi de tous ceux qui étaient de la nature d’impôts féodaux (droitures, reliefs, treizièmes, droits de justice, etc.). Chacun de ces documents nous permet d’observer la structure de la propriété et de mesurer le poids des redevances féodales à l’époque de leur rédaction, et leur comparaison permet d’évaluer de façon détaillée les bouleversements apportés par la guerre de Cents Ans et par l’occupation anglaise. Ces deux raisons, ainsi que l’importance historique de la baronnie de la Luthumière, nous ont donc déterminés à en proposer une édition de ces textes. La transcription proprement dite des trois documents sera précédée par un historique de la baronnie de la Luthumière, qui nous permettra de situer dans le temps les différents personnages qui y sont mentionnés à des titres divers. Puis nous analyserons, sur la base du terrier, la structure de la baronnie et de la seigneurie d’Ectot, en type et localisation des fiefs et des tenures, ainsi que la nature des redevances ou services qui étaient dus par les tenanciers et leur importance économique. Enfin les deux informations de 1428 et 1433 nous permettront d’évaluer, une cinquantaine d’années après le terrier, les conséquences de l’occupation anglaise et de la deuxième phase de la guerre de Cent Ans. 1 Archives départementales de la Manche, 4 J 45, registre de moyen format d’une centaine de pages de parchemin (non foliotées), reliées dans une solide couverture de cuir ornée de motifs en fort relief. 2 Chartrier de Briquebec (voir plus loin), Archives départementales de la Manche, 280 J 216, cahier de 25 feuillets en papier. 3 Enquête. 4 Chambre des Comptes de Paris, dépôt du greffe, n° 19 552 ; édition partielle : Dom Lenoir, vol. 9, p.154-160. 5 1. Histoire de la baronnie de la Luthumière et de la seigneurie d’Ectot La baronnie de la Luthumière était composée de la terre de la Luthumière proprement dite, localisée à l’ouest de Brix, du fief de la Connétablie, localisé entre Sainte-Marie-du-Mont et Saint-Germain-de-Varreville, et du fief de Gatteville, au nord-est du Cotentin. La carte ci-dessous5, qui indique les paroisses dans lesquelles ces fiefs étaient implantés, mentionne également les fiefs d’Ectot (ou de la Haye d’Ectot), près de Barneville, et de Mons à Yvetot, qui sont échus, à différentes époques, aux propriétaires de la baronnie de la Luthumière. Illustration 1 : localisation des composantes de la baronnie L’histoire propre à chacune de ces composantes leur a conféré, comme on le verra plus loin, des caractéristiques assez notablement différentes, en termes de structure des tenures et de nature des redevances seigneuriales. a. La terre de la Luthumière provenait du démembrement, au début du XIIIe siècle, d’une baronnie plus importante dont le siège était au château d’Adam, dans l’actuelle commune de Brix. Cette grande baronnie était tenue d’ancienneté6 par la famille BRUCE ou BRUIS (qui a transmis son nom à la paroisse puis commune de Brix). Robert BRUCE participa à la conquête de l’Angleterre avec Guillaume le Conquérant, qui le chargea en particulier de soumettre le Nord de l’Angleterre ; en récompense, il reçut une centaine de seigneuries dans les comtés d’York et de Durham. Les BRUCE vécurent pendant plusieurs générations avec des possessions à la fois en France et en Angleterre. Ils fondèrent le prieuré de la Luthumière7. Guillaume DU HOMMET8, baron du Hommet et connétable de Normandie, entra au début du XIIIe siècle en possession d’une partie de cette grande baronnie, dans des conditions sur lesquelles les historiens sont en désaccord : les uns pensent que la baronnie de Bruce aurait été confisquée par Philippe Auguste lors de la conquête de la Normandie, en 1204-1205, puis donnée en partie à Guillaume DU HOMMET, pour le récompenser d’avoir pris, dès 1203, le parti du roi de France, et le dédommager de s’être vu, en rétorsion, dépouiller par Jean- sans-Terre de ses possessions en Angleterre ; d’autres pensent que la terre de la Luthumière lui serait simplement arrivée par héritage de son épouse, Luce BRUCE, possible héritière des biens de sa famille en France9. La forêt 5 Sur fond de carte des communes actuelles. 6 Charles DE GERVILLE, « Mémoire sur les anciens châteaux du département de la Manche », in Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, 1824, p. 230-240. 7 Ibid., p. 241. 8 Edmond LEPINGARD, « La baronnie du Hommet », in Notices, mémoires et documents publiés par la Société d'agriculture, d'archéologie et d'histoire naturelle du département de la Manche, 1899, vol. 17, p. 1-47. Mentionnons également la Généalogie de la maison du Hommet, dans la dernière partie de : Père LE BRASSEUR, Histoire civile et ecclésiastique du comté d’Evreux, Paris, Barrois, 1722. 9 Dans les articles cités ci-dessus, Charles DE GERVILLE soutenait la première thèse et Edmond LEPINGARD la seconde. 6 de la Luthumière appartenait déjà aux DU HOMMET, par suite du don qui en avait été fait à Richard DU HOMMET, en 1170, par le roi Henri II d’Angleterre10. b. Les terres de Sainte-Marie-du-Mont et de Varreville, ultérieurement connues en ces lieux sous le nom de fief de la Connétablie, avaient été concédées11 par Henri II, duc de Normandie et roi d’Angleterre, à Richard DE LA HAYE, baron de la Haye-du-Puits. Elles furent données en dot à la fille de celui-ci, Gillette, qui épousa Richard DU HOMMET avant 1187. Elles restèrent cependant dans la main du roi d’Angleterre entre la mort de Richard DE LA HAYE, en 1169, et 1190, date à laquelle Richard Cœur-de-Lion les confirma (ainsi que la forêt de la Luthumière) à Gillette et à son époux12. Ces deux seigneuries, la Luthumière et la Connétablie, restèrent dans la famille DU HOMMET jusqu’à ce qu’elles arrivent par héritage à Julienne DU HOMMET, une des trois filles et seules héritières de Jourdain DU HOMMET. A partir de ce moment, elles passèrent dans de nombreuses familles différentes. Le lecteur pourra s’aider des deux schémas qui figurent plus loin, pour suivre cette histoire compliquée. Julienne DU HOMMET les apporta à son mari Robert DE MORTEMER, baron du Bec-de-Mortemer. Leur petite-fille, Jeanne DE MORTEMER, les apporta à son tour à son mari Guillaume CRESPIN, baron du Bec- Crespin13. La petite-fille de ces derniers, Marie CRESPIN, les apporta de même à son mari Jean III DE CHALONS, comte d’Auxerre et de Tonnerre. En 1371, leur fils Jean IV DE CHALONS14 vendit son comté d’Auxerre au roi Charles V15, qui l’incorpora au Domaine royal. Vraisemblablement à la même époque, il se défit également de la baronnie de la Luthumière, qui arriva, dans des conditions que nous ne connaissons pas, à Bureau DE LA RIVIERE16, premier chambellan et ami très cher du roi. Bureau DE LA RIVIERE possédait déjà de plusieurs domaines dans le Cotentin, qui lui avaient été donnés par Charles V, en particulier l’usufruit de la baronnie de Saint-Sauveur vers 137517, après sa reconquête, et d’un tiers de la baronnie de Néhou qui lui était associé18.