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Un monde à part Midnight in the Garden of Good and Evil de Thierry Horguelin

Number 96, Spring 1999

URI: https://id.erudit.org/iderudit/24931ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Thierry Horguelin (1999). Review of [Un monde à part / Midnight in the Garden of Good and Evil de Clint Eastwood]. 24 images, (96), 50–50.

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0 if) N MONDE À PART PAR THIERRY HORGUELIN

atrie de Johnny Mercer, dont les chan­ laisser croire? Entre les deux versions des faits P sons composent l'essentiel de la bande- qu'il nous présente, le films e garde bien de son, et de l'excellent saxophoniste ténor trancher, et l'on notera qu'au procès l'accu­ James Moody (auquel échoit un petit rôle sation et la défense reposent sur une preuve dans le film), Savannah (Géorgie) est une également fausse. Manière de suggérer le ville étrange peuplée de fantômes, un lieu caractère ambigu, complexe et finalement où les vivants dialoguent avec les morts, un insaisissable de la vérité, à Savannah plus monde à part au cœur du Sud, qui paraît qu'ailleurs, où la tolérance sociale (réelle) s'être arrêté une fois pour toutes dans le est faite d'une sorte de jeu consenti avec les temps et vivre en quasi-autarcie. C'est dire apparences. Nul n'ignore que le vieux Glover si l'endroit avait tout pour séduire Clint se balade sans chien mais on le salue chaque Eastwood qui en a fait, mieux que le décor, matin comme si de rien n'était. De même, le personnage principal de son vingtième la riche bourgeoisie est probablement infor­ film — au point qu'au terme de la projection, mée de l'homosexualité de Williams mais lui nous aurons nous aussi le sentiment d'avoir sait gré de ne pas en faire étalage, jusqu'à vécu, comme le journaliste John Kelso, quel­ l'irruption du scandale qui rompt ce pacte ques mois à Savannah, d'en connaître intime­ tacite et le met au ban de la bonne société. Jim Williams (Kevin Spacey): ment la topographie et les habitants. À l'image d'une ville qui cache ses un personnage fascinant d'ambiguïté. Venu effectuer un reportage pour le secrets derrière ses façades coloniales fraîche­ magazine Town and Country, ce dernier ment repeintes et ses jardins verdoyants, il joue pour le spectateur le rôle d'un média­ règne dans ce filmfaussemen t paisible une teur. Sa position d'outsider, son entregent et sérénité étrange et presque inquiétante. Le à-faux dans le cinéma de genre (cf. l'inégal sa naïveté à moitié feinte lui permettent de charme envoûtant de Midnight in the et attachant Absolute Power), mais qui se faire adopter de tous et c'est à travers ses Garden of Good and Evil tient d'abord à s'épanouit durablement dans des œuvres yeux que nous nous familiarisons avec la ce génie du lieu, à son sens du climat flir­ inclassables, ambitieuses et personnelles mentalité, le style de vie, les rites sociaux et tant avec le fantastique (ce n'est pas une comme Midnight in the Garden of Good les dessous d'une communauté peuplée de première chez Eastwood), sa manière de and Evil, qui prend place, aux côtés de sympathiques excentriques: un flamboyant nous faire pénétrer dans un univers dont on Bird et d', parmi les créations travesti, Lady Chablis (qui joue comme quel­ ne comprend pas forcément toutes les règles, majeures du cinéaste. Le mot de la fin? ques autres son propre rôle à l'écran), un mais qui prend son sens d'une manière rami­ Laissons-le à Jim Williams: «La vérité, inventeut malheureux qui circule entouré fiée, dans la durée. Adoptant une respiration comme l'art, est dans l'œil de celui qui d'une nuée de mouches reliées à lui par des large qui rappelle le Ford flâneur des derniè­ contemple», à quoi fait écho le «Il n'y a pas fils et menace d'empoisonner l'eau potable res années, le film ne cesse de captiver par de réponse» que lance Minerva à Kelso. de la ville, une prêtresse vaudou qui officie ses méandres, ses détours et ses digressions Lequel, ayant compris au terme du film la nuit au cimetière, un vieil homme qui pro­ qui l'enrichissent de manière inoubliable et qu'on ne saurait tout comprendre, sera mûr mène en laisse un chien inexistant... Au lui donnent une épaisseur romanesque pour s'établir à Savannah. • centre de la tapisserie figureJi m Williams, introuvable dans le cinéma américain riche antiquaire élégant et cultivé et person­ contemporain. Fordienne encore, cette nage fascinant d'ambiguïté (composition manière de prendre son temps, d'avancer une fois de plus magistrale de Kevin Spacey), par allers-retours entre le singulier et le col­ à la fois pilier de la bonne société et mar­ lectif pour brosser le tableau d'une micro­ MIDNIGHT IN THE GARDEN OF ginal en son sein en raison de sa fortune société et faite vivre avec une générosité rare GOOD AND EVIL récente et de son homosexualité — statut une multitude de personnages. États-Unis 1997. Ré.: Clint Eastwood. See.: John Lee Hancock, d'après le livre de John incertain qu'accentuera son inculpation Radicalement à contre-courant de la pour le meurtre de son jeune amant. Berendt. Photo: Jack N. Green. Mont.: Joel production hollywoodienne actuelle, le clas­ Cox. Mus.: Lennie Niehaus. Int.: John Cusack, Williams a-t-il tué en état de légitime sicisme eastwoodien atteint ici une liberté Kevin Spacey, Jack Thompson, Irma P. Hall, défense ou a-t-il maquillé son crime pour le souveraine. Liberté désormais en porte- Alison Eastwood. 155 minutes. Dist.: Warner.

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